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715. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Qui ne se souvient de sa véronique, cette enfant idéale, née dans une échoppe de brocanteur auvergnat, comme une Vierge de Raphaël égarée parmi des croûtes de bric-à-brac. […] Ma remarque pourra paraître minutieuse, mais ce n’est pas une petite chose pour un poète de savoir donner à son héroïne un nom qui aille à son caractère comme une guirlande à son front. « S’il te naît une fille, — disent les livres sacrés de l’Inde, — donne-lui un nom doux, facile à prononcer, et qui résonne harmonieusement à l’oreille. » Molière, Shakespeare, et tous les grands poètes ont suivi, sans le savoir, le conseil des brahmes ; Shakespeare surtout, qui, pour parer ses filles de prédilection, va cueillir on ne sait où, dans la lune, sur les nuées, des noms inouïs, éthérés, célestes, des auréoles de pudeur, des étoiles de couronnement. […] Elle a choqué souvent, blessé parfois, inquiété toujours, mais elle n’a jamais ennuyé ; elle est brusquée, décousue, sans vérité sociale et sans vie morale ; mais elle amuse, elle intéresse, elle tient en haleine, elle jette aux yeux la poudre d’or de l’esprit ; elle vivra, je le crois du moins, quoiqu’elle n’ait fait que se donner la peine de naître… tout au plus. […] Il me semble qu’après tant de critiques et de contestations, vous pourrez nous croire lorsque nous vous répéterons que cette comédie mal faite est née viable, malgré tout, et qu’elle contient des scènes charmantes, d’heureux détails et des fusées de saillies qui étincellent aux oreilles.

716. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Aussi de quoi s’avisait-il d’aller en écrire la plupart en latin, lui qui, en 1630, ne mourut qu’en 1721, c’est-à-dire qui était à peine l’aîné de Boileau et de Racine, et qui leur survécut assez pour voir les premières fredaines de Voltaire ? […] J’ai consulté bien des savants : Huet, cet évêque d’Avranche, Qui pour la Bible toujours penche, Prétend qu’un usage si beau Vient de Noé………………… Soyez donc la plume la plus savante de l’Europe, l’homme de la plus vaste lecture qui fut jamais, le dernier de cette forte race des savants du xve et du xvie  siècle, joignez-y dans votre personne et dans votre procédé tout ce qui constituait l’homme poli, l’homme du monde et même de Cour, ce qu’on appelait l’honnête homme sous Louis XIV, et tout cela pour que, sitôt après vous, on ne sache plus que votre nom, et qu’on n’y rattache qu’une idée vague, un sourire d’une plaisanterie ! […] Huet naquit à Caen, en 1630, d’un père déjà vieillard, qui lui communiqua peut-être de ce tempérament rassis et de cette égalité d’âme qui le distingua dans toute sa longue vie ; d’une mère jeune, spirituelle, « d’une humeur charmante, d’un entretien enjoué, d’un esprit délicat et pénétrant, qui savait remarquer finement le ridicule des choses et des personnes ». […] Huet, en goûtant la poésie, avait fait de bonne heure une réflexion sur ce que bien peu de gens sont nés, en effet, pour la sentir : « Il y a encore plus de poètes que de vrais juges des poètes et de la poésie. » Il revient souvent sur cette idée, qu’on retrouverait, je crois, également chez Montaigne.

717. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Victor, duc de Broglie, celui dont nous parlons, en novembre 1785, petit-fils du maréchal de Broglie, descend d’une race toute guerrière, dans laquelle on distinguait des gens d’esprit, dont quelques-uns ont eu un nom dans la diplomatie ou dans l’Église ; mais il ne s’y trouverait aucun philosophe ni écrivain proprement dit. […] Le jeune enfant fut élevé par les soins de sa mère (née de Rosen), qui se remaria à M. d’Argenson, si connu sous la Restauration par la netteté et la précision radicale de son libéralisme26. […] Et lorsque, des hauteurs où cette pensée nous transporte, on abaisse ses regards sur l’état actuel de l’Europe, lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes cabinets que nous avons vus pendant trente ans si complaisants envers tous les gouvernements nés de notre Révolution, qui ont successivement traité avec la Convention, recherché l’amitié du Directoire, brigué l’alliance du dévastateur du monde ; lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes ministres que nous avons vus si empressés aux conférences d’Erfurt qui viennent maintenant, gravement, de leur souveraine science et pleine autorité, flétrir de noms injurieux la cause pour laquelle Hampden est mort au champ d’honneur et lord Russell sur l’échafaud, en vérité le sang monte au visage ; on est tenté de se demander : Qui sont-ils enfin, ceux qui prétendent détruire ainsi, d’un trait de plume, nos vieilles admirations, les enseignements donnés à notre jeunesse, et jusqu’aux notions du beau et du juste ? […] Sa pensée lui naît toute rédigée, dans cette forme rare, savante et assez imprévue, qui est la sienne.

718. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

L’abbé Ferdinand Galiani, dans le royaume de Naples le 2 décembre 1728, élevé à Naples auprès d’un oncle archevêque, y avait développé les dispositions les plus précoces pour les lettres et pour toute espèce de science ; mais, au physique, il ne put jamais s’élever au-dessus de la taille de quatre pieds et demi. […] Il fit les délices des sociétés qui se l’arrachaient ; ses amis particuliers, surtout Grimm et Diderot, appréciaient hautement la nouveauté et l’étendue de ses vues, de ses lumières : Ce petit être, au pied du mont Vésuve, écrivait Grimm, est un vrai phénomène. […] Dans un article de lui sur Polichinelle30, il le fait naître dans la Campanie, non loin du lieu où naquirent dans l’Antiquité les farces atellanes.

719. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

On aurait ainsi les trois moments, les trois tons les plus distants et les plus opposés ; et le seul rapprochement ferait naître bien des pensées sur ce qui est perfection, progrès ou corruption en telle matière. […] Camille Desmoulins, en 1760 à Guise en Picardie, d’un père lieutenant général au bailliage de cette ville, avait fait ses études au collège Louis-le-Grand, où il avait été camarade de Robespierre. […] Quels cris d’allégresse Retentissent de toutes parts D’où naît cette subite ivresse Et des enfants et des vieillards ? […] Cette descente ne nous offrira aucuns paysages inconnus, aucuns sites qui ne se soient offerts mille fois plus délicieux à ce Salomon qui · disait, au milieu de ses 700 femmes, et en foulant aux pieds tout ce mobilier de bonheur : J’ai trouvé que les morts sont plus heureuses que les vivants, et que le plus heureux de tous est celui qui n’est pas .

720. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Elle naquit au Louvre, en mai 1627. […] Elle s’accoutuma naturellement à se considérer comme née d’un tout autre sang que le reste des hommes, même des gentilshommes, et comme n’allant de pair qu’avec les reines et les rois. […] Mademoiselle eut de grandes satisfactions d’amour-propre durant ce séjour : « Le peuple de Paris, dit-elle, m’a toujours beaucoup aimée, parce que j’y suis née et que j’y ai été nourrie : cela leur a donné un respect pour moi et une inclination plus grande que celle qu’ils ont ordinairement pour les personnes de ma qualité. » Il résultait de cette exception des Parisiens en sa faveur qu’on laissa partir ses équipages pour Saint-Germain, et que, tandis que la reine et le roi manquaient de tout, elle avait tout ce qui lui plaisait, et qu’elle ne manquait de rien. […] On appellera cela comme on voudra ; pour moi, j’appelle cela suivre mon inclination et aller mon chemin ; je suis née à n’en pas prendre d’autres.

721. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Claude-Alexandre de Bonneval, le 14 juillet 1675, cadet de grande maison, et d’une des plus anciennes familles du Limousin, eut une éducation rapide, pas trop négligée, une instruction précoce, et, au sortir des Jésuites, il entra à onze ans dans la marine, où l’invitait son parent, l’illustre Tourville. […] Il tenait du duc d’Orléans, futur régent, du marquis de La Fare, de Chaulieu et des habitués du Temple, du grand prieur de Vendôme chez qui, plus tard, Voltaire jeune le rencontrera au passage : il lui suffisait, en tout état de cause, de rester digne de ce qu’il appelait la société des honnêtes gens, mais ce mot commençait à devenir bien vague ; et Saint-Simon, plus sévère et qui pressait de plus près les choses, disait de lui : « C’était un cadet de fort bonne maison, avec beaucoup de talents pour la guerre, et beaucoup d’esprit fort orné de lecture, bien disant, éloquent, avec du tour et de la grâce, fort gueux, fort dépensier, extrêmement débauché (je supprime encore quelques autres qualifications) et fort pillard. » Ce qui s’entrevoit très bien dans le peu qu’on sait du rôle du chevalier de Bonneval dans ces guerres d’Italie, c’est qu’il n’était pas seulement soldat, mais général : il avait des inspirations sur le terrain, des plans de campagne sous la tente, de ces manières de voir qui tirent un homme du pair, et le prince Eugène dans les rangs opposés l’avait remarqué avec estime. […] Elle ne reçoit des nouvelles que de ricochet et par les Français qui servent dans l’armée impériale ; elle s’en plaint avec douceur, avec timidité, comme quelqu’un qui se sent à peine des droits : Je suis bien heureuse que les Français qui sont dans votre armée n’aient point encore oublié leur patrie, car sans leur secours, malgré le peu de disposition que j’ai de vous croire coupable, je serais toujours dans des alarmes que votre situation ne fait que trop naître. […] Pour elle, elle est prête à se soumettre à toutes les absences, à toutes les privations, pour l’honneur et l’accroissement de réputation de celui qu’elle aime : « Quand on porte de certains noms, pense-t-elle, et qu’on est née avec la gloire de le sentir, on prend patience sur les choses auxquelles il n’y a pas de remède. » Comment Bonneval ne sut-il pas apprécier un pareil cœur, une distinction si vive et si pure, un choix et un don si absolus ?

722. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

au Havre le 19 janvier 1737, d’une famille originaire de Lorraine, qui aurait aimé à descendre de l’Eustache de Saint-Pierre de Calais, et qui, en tout, avait plus de prétentions que de preuves, Bernardin de Saint-Pierre reçut une éducation très libre et irrégulière, très coupée, mais où la nature, l’Océan et la campagne tinrent du premier jour beaucoup de place. […] Et nous, nous voyons chemin faisant le talent d’écrire naître de lui-même sous sa plume et les images éclore. […] Elle était Française, née d’une famille honnête, ainsi que son mari. […] Hennin le 7 février 1781 ces paroles qui sont comme un chant ; il y a au fond de Bernardin une âme pastorale qui, du milieu de ses douleurs, s’éveille au moindre motif et se met à chanter : J’irai, dit-il, vous voir à la première violette ; j’aurai bien près de cinq lieues à aller, j’irai gaiement, et je compte vous faire une telle description de mon séjour, que je vous ferai naître l’envie de m’y venir voir et d’y prendre une collation.

723. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

J’appelle maladie l’état du vivant, homme, dont toutes les facultés humaines sont comprimées, l’être entier meurtri, et j’appelle santé, l’état du vivant dont les puissances s’épanouissent harmonieusement et librement. […] Au sein de cette nouvelle famille, dont l’humanité puissante, après l’avoir épouvanté d’abord, le conquiert peu à peu, Pierre sent naître lentement en lui l’amour de la vie, du calme et bienfaisant labeur matériel, la foi en la vie, éternellement féconde, en la nature, la vérité et la santé, tandis que s’affaiblit la voix de ses doutes, de ses hontes, de ses timidités, de ses malaises […] Éprouver l’intime nécessité de revivre une autre vivre, de naître une seconde fois, pour ainsi dire ! […] Un être homme, avec des sens, un sexe, un cœur, un cerveau, une volonté, une conscience.

724. (1925) Portraits et souvenirs

d’aïeux qui se sont montrés au service du Roi et de l’Etat, il a hérité d’eux une âme, si l’on peut dire, militaire et diplomatique. […] Il n’était pas venu, des plages bretonnes où il naquit, pour demander à son siècle le bonheur ni la richesse. […] C’est de cette docte habitude que sont nées ces pages de critique que l’on a eu grandement raison de réunir. […] L’harmonie qui en naquit est des plus nobles qu’on puisse rêver. […] en 1789, il avait quatre ans lorsque l’événement eut lieu.

725. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Dès les premiers instants de la Restauration et du sein même de ses souvenirs naquit en France une poésie qui frappa, quelque temps, par son air de nouveauté, ses promesses brillantes de talent et une sorte d’audace. […] dans les camps, élevé au milieu de nos guerriers, il avait de bonne heure parcouru l’Europe à la suite de nos drapeaux ; son jeune cœur était déjà oppressé d’une foule d’ineffables sentiments, à l’âge ordinaire des jeux et de l’insouciance.

726. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Après le règne florissant d’Auguste, on vit naître les plus féroces et les plus grossières tyrannies dont l’antiquité nous ait offert l’exemple. […] Mais en avançant dans la littérature, on se blase sur les jouissances de l’imagination, l’esprit devient plus avide d’idées abstraites, la pensée se généralise, les rapports des hommes entre eux se multiplient avec les siècles, la variété des circonstances fait naître et découvrir des combinaisons nouvelles, des aperçus plus profonds ; la réflexion mérite du temps.

727. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Biographie : Étienne de la Boétie, en 1530 à Sarlat, mort en 1563, fut conseiller au parlement de Bordeaux. […] Amyot, à Melun en 1513, fils d’un boucher ou d’un mercier, étudia au collège du cardinal Lemoine, puis sous les lecteurs royaux Toussain et Danès.

728. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

Esope, que Phèdre a gâté en l’imitant, dit, et beaucoup mieux, chaque homme naît avec deux besaces, etc. […] Si je n’étais pas ne rime pas avec l’an passé.

729. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

Ici, un luxe qui masque la misère, là, un luxe qui, de l’abondance, ne produit qu’une félicité passagère. Où faut-il que je naisse ou que je vive ?

730. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Quoiqu’il fût à Bâle, à quelques lieues de la frontière de France, nous ne connaissions pas plus Hebel que s’il avait été quelque poète norvégien ou danois, un de ces vaporeux génies des Fiords solitaires, comme il y en a, sans nul doute, de perdus, excepté pour Dieu seul, qui les écoute penser, dans ces pays silencieux où les neiges polaires semblent assourdir jusqu’aux pas de la Gloire, et où Byron mourrait sans écho comme Manfred ! […] en 1760, Hebel vit sa célébrité commencer vers 1802, et depuis cette époque, elle n’a pas cessé de se projeter et de s’étendre.

731. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

… Il nous reste une foule de gens d’esprit, assez forts pour mettre chez toutes les nations de l’Europe la carte de la France, comme celle de la nation la plus spirituelle ; mais, à cela près, — à cela près de ce qu’il peut tenir d’esprit sur une carte de visite, nous n’avons rien, ni œuvres, ni hommes, parce que les grands sentiments qui font naître les grandes œuvres, et les croyances générales qui font naître les grandes passions, ne subsistent plus.

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