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472. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Profondément estimé en France de tous ceux qui avaient lu quelques-uns de ses morceaux de morale et de critique dans lesquels une pensée si forte et si fine se revêtait d’un style ingénieux et savant, il laisse un vide bien plus grand que la place même qu’il occupait, et il serait impossible de donner idée de la nature d’une telle perte à quiconque ne l’a pas vu au sein de ce monde un peu extérieur à la France, mais si étendu et si vivant, dont il était l’une des lumières. […] Ce petit canton heureux et florissant, qui depuis quinze ans était un modèle d’ordre, de bien-être, de culture intellectuelle et morale, a été brusquement bouleversé.

473. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Entre le don littéraire, le don de sentir et d’exprimer le beau, et notre vie morale, un lien existe, assez facile à percevoir. Mais, entre notre vie morale et intellectuelle et le don mathématique, il n’y a le plus souvent nul rapport.

474. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

On aura beau prendre pour héroïne une vestale grecque ou romaine, jamais on n’établira ce combat entre la chair et l’esprit, qui fait le merveilleux de la position d’Héloïse, et qui appartient au dogme et à la morale du christianisme. […] Revenons aux idées religieuses, si nous attachons quelque prix aux œuvres du génie : la religion est la vraie philosophie des beaux-arts, parce qu’elle ne sépare point, comme la sagesse humaine, la poésie de la morale, et la tendresse de la vertu.

475. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Argument » pp. 93-99

Dans ce livre, il passe en revue toutes les idées que les premiers hommes se firent sur la logique et la morale, sur l’économie domestique et politique, sur la physique, la cosmographie et l’astronomie, sur la chronologie et la géographie. […] De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages.

476. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

D’une seule branche de ce tronc sortirent, en se séparant, la logique, la morale, l’économie et la politique poétiques ; d’une autre branche sortit avec le même caractère poétique la physique, mère de la cosmographie, et par suite de l’astronomie, à laquelle la chronologie et la géographie, ses deux filles, doivent leur certitude. Nous ferons voir d’une manière claire et distincte comment les fondateurs de la civilisation païenne, guidés par leur théologie naturelle, ou métaphysique, imaginèrent les dieux ; comment par leur logique ils trouvèrent les langues, par leur morale produisirent les héros, par leur économie fondèrent les familles, par leur politique les cités ; comment par leur physique, ils donnèrent à chaque chose une origine divine, se créèrent eux-mêmes en quelque sorte par leur physiologie, se firent un univers tout de dieux par leur cosmographie, portèrent dans leur astronomie les planètes et les constellations de la terre au ciel, donnèrent commencement à la série des temps dans leur chronologie, enfin dans leur géographie placèrent tout le monde dans leur pays (les Grecs dans la Grèce, et de même des autres peuples).

477. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Dans l’antiquité, l’école pythagoricienne avait allié la métaphysique et la géométrie, la morale et la politique, la musique et la poésie. […] Il comprit alors pourquoi la métaphysique du premier ne lui avait servi de rien pour appuyer la morale. […] Conformément à cette métaphysique, Platon donne pour base à sa morale l’idéal de la justice ; et c’est de là qu’il part pour fonder sa république, sa législation idéales. […] Lettres sur la philosophie morale, 1817, Padoue. — Colangelo — (Biblioteca analitica, passim). — Joignez-y Herder, dans ses opuscules, et Wolf dans son Musée des sciences de l’antiquité (tome I, page 555). […] Autres opuscules du même, sur l’identité de la race humaine, sur le commencement de l’histoire du genre humain, sur la théorie de la pure religion morale, etc.

478. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Quant aux vrais principes d’une république unanime appelant toutes les classes et tous les citoyens sans exception à apporter, par le suffrage universel, leur part juste de souveraineté naturelle dans une première assemblée, pour que cette première assemblée dictatoriale régularisât à loisir les degrés divers de ce suffrage universel, pour que la souveraineté brutale du nombre, équilibrée par la souveraineté morale de la lumière et de la raison, donnât la majorité au droit général qui fait de l’intelligence une condition de tout droit humain ; je ne les répudie pas davantage. […] « Il faut, dis-je à mes amis, confidents de ma pensée, il faut écrire pour ce peuple, dans une histoire impartiale, morale et pathétique à la fois, le commentaire vivant de sa première révolution, un Machiavel français, non dans l’esprit du Machiavel italien, mais dans l’esprit d’un Tacite moderne ; il faut prouver, par tous les faits de cette révolution, qu’en histoire, comme en morale, chaque crime, même heureux un jour, est suivi le lendemain d’une véritable expiation ; que les peuples, comme les individus, sont tenus de faire honnêtement les choses honnêtes ; que le but ne justifie pas les moyens, comme le prétendent les scélérats de théorie ou les fanatiques de liberté illimitée et de démagogie populacière ; que les plus justes principes périssent par l’iniquité des actes ; que la conscience ne subit pas d’interrègnes ; que la Providence est toujours là pour la venger, et que, si la Révolution de 1793 a noyé les plus belles pensées philosophiques dans le sang, c’est qu’elle est tombée des lèvres des philosophes dans les mains des tribuns, et des mains des tribuns dans les mains des Sylla et des César, lavant le sang dans le sang, et restaurant facilement la tyrannie, que les sociétés préfèrent justement aux crimes. […] Balayer de la scène le moyen âge et installer à sa place un âge de justice, de logique, de vérité, de liberté, de fraternité, conçu d’une seule pièce et jeté d’un seul jet ; En religion, conserver la belle morale et la sainte piété chrétienne, en détrônant les intolérances ; En politique, supprimer les féodalités oppressives des peuples, pour les admettre aux droits de famille nationale, et leur laisser la faculté de grandir au niveau de leur droit, de leur travail, de leur activité libre ; En législation, supprimer les privilèges iniques pour inaugurer les lois communes à tous et à tous utiles ; En magistrature, remplacer l’hérédité, principe accidentel et brutal d’autorité, par la capacité, principe intelligent, moral et rationnel ; En autorité législative, remplacer la volonté d’un seul par la délibération publique des supériorités élues, représentant les lumières et les intérêts généraux du peuple tout entier ; Enfin, en pouvoir exécutif, respecter la monarchie, exception unique à la loi de capacité, pour représenter la durée éternelle d’une autorité sans rivale, sans éclipse, sans interrègne ; honorer cette majesté à perpétuité de la nation, mais la désarmer de tout arbitraire, et n’en faire que la majestueuse personnification de la perpétuité du peuple : voilà la véritable Révolution française, voilà le plan des architectes sages et éloquents des deux siècles. […] V Quelle leçon morale et quel sujet pathétique d’histoire par un écrivain qui voulait instruire le peuple en moralisant la liberté ! […] Ce n’est point là de l’histoire, mais de la conjecture morale qui n’a aucune valeur positivement historique, mais qui ne fut jamais interdite aux historiens non pour falsifier, mais pour vivifier leur récit.

479. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Imaginez une carte géographique morale, tracée en arabesques railleuses par un artiste enivré d’esprit. […] Elle se déshabille lentement, pour ainsi dire, devant lui : à chaque scène, un pli tombe de sa toilette hypocrite, une draperie s’en va, un nœud se délace ; et lorsque le dernier voile est tombé et que sa nudité morale éclate dans toute sa froideur, elle prend une attitude si cambrée et si fière, que l’horreur fait place à je ne sais quel étonnement artistique. […] Le rôle brillant qu’il joue dans la pièce n’est pas seulement cruel, il est déloyal ; il blesse l’honneur, s’il satisfait la morale. […] Admettons, et il faut l’admettre, puisque c’est vrai, que je ne sois pas digne, en bonne morale, du nom et de la position que j’ambitionne, est-ce bien à vous, qui avez contribué à m’en rendre indigne, à me fermer la route honorable où je veux entrer ? […] Où diable la morale va-t-elle se nicher ?

480. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Elle aurait en même temps « plusieurs des caractères que connote ce mot dereligion : grâce à la naturesurnaturelledes objets de son culte ; à son règlement universel de vie ; à la rigueur de sa discipline morale ; et à la forme réellement extatique et mystiquement inspirée de sa production. » L’énumération n’est pas complète : ces caractères ne sont pas les seuls qui distinguent la religion positiviste de tant d’autres essais de religion rationnelle ; et je me propose de le montrer dans une prochaine étude sur La Religion comme sociologie. […] La propagande encyclopédique, menée par des hommes dont quelques-uns étaient des « savans » comme d’Alembert, et les autres, à commencer par Voltaire, Diderot et Rousseau, des littérateurs ou des philosophes plus ou moins informés de la « Science » de leur temps, se plaisait à opposer son évidence démonstrative aux conjectures, toujours incertaines, de l’histoire ou de la philosophie, de la morale même et de la théologie. […] Et si L’Avenir de la science est une œuvre de sa jeunesse, qui ne sait que son âge mûr ne s’est on quelque manière employé qu’à essayer de réparer au moyen de la science les brèches que son exégèse croyait avoir faites dans l’édifice dix-huit fois séculaire de la morale et de la religion ? […] Elle a posé aussi la borne qui sépare le domaine de la science du domaine de la morale ou de la religion. […] C’est pourquoi les savans, comme tels, en tant que chimistes ou que mathématiciens, n’ont aucune compétence à traiter de morale ou de théodicée.

481. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Zola, et qu’il oppose si impudemment et si insolemment à la vie morale ! […] malgré sa préface à patte blanche, je ne suis pas assez bête pour parler morale à M. Zola, dans les livres de qui la morale est muette et n’a jamais dit un mot ni poussé un cri parmi les horreurs qu’il se délecte à y retracer. Je ne veux lui objecter que de la littérature, quoiqu’il semble, dans son Assommoir, sorti autant de la littérature que de la morale. […] Je n’ai pas besoin même de morale pour condamner absolument un livre inouï, qui semble une gageure dans ce qu’il a, il faut bien le dire, de trivial et de crapuleux.

482. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Elle dominait les sciences physiques et s’y appuyait ; elle siégeait aux plus hautes régions de l’astronomie avec Laplace ; elle régnait à l’Institut par les brillants travaux de Cabanis, surtout par les analyses rigoureuses et en apparence définitives de Tracy ; en morale, elle était arrivée à rédiger son Catéchisme avec Saint-Lambert et Volney. […] Nous voulions être libres avec la morale des esclaves. Non, la statue de la Liberté n’a point l’intérêt pour base, et ce n’est pas à la philosophie de la sensation et à ses petites maximes qu’il appartient de faire les grands peuples… » Ainsi la liberté politique était invoquée en aide de la liberté morale par une sorte d’association et d’alliance naturelle qui n’était pas une confusion.

483. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Il n’y aurait qu’un cas où toutes ces distinctions, qu’on trouvera peut-être subtiles, mais qui se rattachent, selon nous, à la partie morale de la critique, deviendraient aussi funestes que ridicules, et où la vérité seule devrait parler, dure, amère, inexorable. […] Rousseau accusé de blesser la décence, d’outrager la morale ! […] « L’Assemblée (constituante) abolit toutes les distinctions honorifiques, toutes les armoiries, jusqu’aux titres insignifiante de monsieur et de madame, locutions de pure courtoisie, si l’on veut, mais qui, réunies à d’autres semblables, rendent plus douces les relations ordinaires de la vie, et entretiennent cette urbanité de mœurs que les Français désignaient par l’expression heureuse de petite morale. » Notez ce mot en passant, MM. de l’Académie ; et vous tous qui étudiez l’histoire, n’oubliez pas que l’Assemblée constituante abolit les titres de monsieur et de madame.

484. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

On sent que toute une nouvelle morale découle de là ; c’est qu’en effet nous sommes arrivés à une époque où un grand progrès est tout près de s’accomplir, où l’humanité en masse va s’élever d’une conception passée à une conception supérieure et où, par conséquent, la ligne de démarcation entre le bien et le mal doit être portée en avant. Tant que nos psychologistes n’entreverront pas cette morale nouvelle, Ils ne feront que délayer et attiédir la morale jadis excellente du catéchisme.

485. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Cethegus, chef des démagogues, le hait par bassesse de nature et « parce qu’un prêtre est un aristocrate comme un autre » et que « la morale, le bien, la vertu sont encore des restes de prêtrise ». […] Et voici l’un de ses derniers cris : « Impossible de sortir de ce triple postulat de la vie morale : Dieu, justice, immortalité ! […] Ainsi s’explique tout ce qui, dans ses livres, nous étonne et nous met en défiance, même en nous séduisant  Après avoir affirmé quelque grande vérité morale, insinue-t-il que le contraire serait possible, que cette affirmation n’est en somme qu’une espérance ?

486. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Le 26 juin 1765, Voltaire mandait à Helvétius : « Nous aurions besoin d’un ouvrage qui fit voir combien la morale des vrais philosophes l’emporte sur celle du christianisme. […] Il a, dans son énorme volume, dans cette Encyclopédie des immoralités du chef de la philosophie du xviiie  siècle, allégué un nombre de faits très intéressants pour tout le monde, pour les amis et pour les ennemis, et puisqu’on parle de la morale des philosophes comparée à la morale chrétienne, nous savons maintenant à quoi nous en tenir !

487. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Cet homme de l’idée, comme il s’est longtemps appelé, ce penseur formidable, qui dresse contre la morale chrétienne, à laquelle on doit la civilisation du monde, la morale de l’écu, à laquelle nous devrons peut-être sa fin, dans des combats affreux ; cet homme de l’idée, le croirait-on ? […] Aujourd’hui il nous donne la comédie de la pièce de cent sous ; il est bien capable de nous en donner demain la tragédie ou le roman, après-demain le poème épique, et de jeter ainsi les fondements de cette morale et de cette littérature de l’argent, qui sera, dit-il, la gloire de l’avenir.

488. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Si le génie de l’expression rayonne davantage dans Lamartine, si le pathétique de la passion et des larmes est incomparable dans son poème sublime où la nature muette, après les cris qu’y pousse la nature vivante, est peinte avec plus de relief et plus de grandeur que dans Virgile, — et par la raison que la nature vivante s’empreint sur cette nature muette pour la spiritualiser et la transfigurer, — la supériorité morale appartient pourtant à du Clésieux, et la supériorité morale n’est pas une chose indifférente ou vaine en littérature. […] Byron, accusé d’être immoral par tous les Tartuffes de l’Angleterre, n’admettait pas les esthétiques athées que nous admettons très bien maintenant, et qui, moins polis que Platon, jettent, sans couronne, la morale à la porte de la poésie.

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