/ 2901
829. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

On dit qu’elle n’est point grande, que son nez est fort mal, et que, quoiqu’elle entende fort bien le français, elle le parle mal et avec peine. […] La reine m’a dit hier que plus elle la connaissait, et plus elle lui devenait chère et plus elle l’aimait ; et réellement elle est charmante. » Et comme on était alors en France plus fou que jamais de la porcelaine de Saxe, je ne sais quel bel esprit de la Cour disait : « On ne doit plus prendre de femme qu’en Saxe, et, plutôt que de m’en passer, quand il n’y en aura plus, j’en ferai faire en porcelaine. » Ce dauphin, auquel elle se consacrait, si renfermé et si méditatif, fut peu connu et mal connu : pieux, instruit, mélancolique, il se consuma d’ennui et mourut de la poitrine. […] Honni soit qui mal y pense27 !

830. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Je ne lardai pourtant point à m’apercevoir que les chagrins minaient insensiblement le général ; il ne mangeait presque plus, se plaignait sans cesse de maux de nerfs, et, de plus, il était presque hors d’état de s’occuper. » D’honorables négociants de Carthagène, les Valarino, trouvèrent moyen de faire pénétrer dans la prison des consolations, des secours d’argent : le général les partagea avec tous les prisonniers. […] Le général, déjà affaibli, se sentit atteint, du premier jour : il jugea du caractère de son mal et de l’issue. […] Cette généreuse femme rendait ainsi le bien pour le mal, et peut-être aussi entendait-elle remercier par là ce chef d’avoir empêché, au moment de la capture, le massacre de son mari. […] Avant tout, le hasard et la bizarrerie des destinées ; cette fatalité « qui préside aux événements de notre vie, qui paraît dormir dans les temps calmes, mais qui, dès que le vent s’élève, emporte l’homme à travers l’air comme une paille légère » ; les premiers succès, l’entrain du début, les heures brillantes de la vie, les espérances déjà couronnées ; puis les revers, les lenteurs, les mécomptes, les difficultés tournant à la ruine ; la prison, la souffrance, une épreuve sans terme ; une longue agonie dans l’âge de la force ; une nature d’élite écrasée, victime et martyre des persécutions ; les haines aveugles des foules, les sauvages préjugés des races ; l’horreur des guerres injustes ; toujours et partout, çà et là, quelques âmes bienfaisantes et compatissantes ; notre pauvre humanité au naturel et à nu, en bien et en mal ; une belle mort enfin, délicate et magnanime.

831. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Elle était connue, assez mal connue, il est vrai, très-mal famée, et elle semblait condamnée sans appel ; il a fallu un certain effort de curiosité et une sorte de courage de goût pour revenir jusqu’à elle et y pénétrer. […] S’attaquant au chef et capitaine de la bande, à celui qui, bien ou mal, n’avait cessé d’être en vue, M.  […] La poétique de Du Bellay peut être considérée, en ce sens, comme une machine un peu mécanique et artificielle, animée pourtant d’un beau feu et panachée d’une belle flamme : elle aida puissamment à déblayer le terrain, à faire le champ net et à remettre la langue et la littérature dans une large voie classique, régulière, dans une direction qui, en définitive, n’a pas si mal abouti. […] Et à propos de ce mot Pléiade, qui est prétentieux, quand on l’applique mal, et dont on a tant abusé de nos jours, en le dénaturant, M. 

832. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Rome hésitait, le pape Innocent XII dissimulait mal sa conviction secrète de l’innocence de Fénelon, de la pureté de ses mœurs, du charme de ses vertus. […] Elle déguisa mal la colère sous le dédain. […] J’ai souffert bien des maux ; mais un de mes plus grands était de ne pouvoir vous dire ce que je sentais pour vous pendant ce temps, et que mon amitié augmentait par vos malheurs, au lieu d’en être refroidie… « … Ne montrez cette lettre à personne au monde, excepté à l’abbé de Langeron, car je suis sûr de son secret. […] Les troupes, mal payées, désapprenaient l’obéissance et la discipline, comme elles avaient désappris la victoire.

833. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Étant homme, et poète, il aimait ce qui venait de lui, et préférait ce qu’il voyait mal reçu du public. […] Corneille a toujours cru que les sujets d’invention pure ne convenaient pas à la tragédie, et de là vient ce mot, qu’on a si souvent mal compris et incriminé : « Les grands sujets doivent toujours aller au-delà du vraisemblable. » Ce qui veut dire, non pas du tout que l’invraisemblance est de règle, mais que la vérité matérielle, historique des faits, est nécessaire. […] Appelez-les de noms inconnus : vous aurez bien plus de mal à établir la vraisemblance des faits. […] Lorsqu’il connaissait mal Dieu, Pauline était tout pour lui : l’œuvre de la grâce achevée, son amour est tout à Dieu, et ne retombe sur la créature que renvoyé sous forme de charité par l’amour même de Dieu.

834. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Tous ces ouvrages sont pleins de sa personne ; personne très diversement jugée, qui n’a guère moins mérité le mal que le bien qu’on en a dit, mais, après tout, personne si naturelle, si française et de tant d’esprit, que pour en avoir plus que lui il faut, comme on l’a dit, être tout le monde. […] C’est comme une sorte de poésie du premier degré ; elle ne prépare pas mal à la grande. […] Le Franc de Pompignan et Lebrun ont quelques strophes, et ce n’est pas peu ; car toucher le but lyrique, fût-ce une seule fois, met un nom à part, et toutes les railleries de Voltaire ont fait moins de mal à le Franc de Pompignan que ses strophes sur la mort de J. […] Comme le médecin, dans les temps d’épidémie, le mal qu’il voulait guérir, il se l’est inoculé.

835. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Mais quel bien et quel mal en ont résulté pour l’une et pour l’autre, c’est ce qu’il est intéressant de rechercher dans une étude d’ensemble. […] Elles n’ont pas toujours été heureuses ; et la revue rapide que nous venons d’en faire laisse déjà pressentir le mal qu’elles ont pu causer. […] Dirai-je la critique et l’histoire impuissantes à comprendre les âges barbares, parce qu’elles se les figuraient à l’image des époques civilisées ; la poésie lyrique à peu près tuée en son germe, parce que toute effusion personnelle est d’un homme « mal élevé », ainsi que disait Buffon en parlant de Jean-Jacques ; enfin la vie du peuple et celle de la famille proscrites de la littérature comme choses basses et indignes de son attention ? […] Preuve en soit, à la fin du règne du grand Roi, ce groupe mal famé de libres viveurs et de libres penseurs, qui soupe, rime et s’ébaudit au Temple autour des princes de Vendôme, entretient à huis clos un esprit de moquerie, d’impiété, de révolte et rattache ainsi, comme un chainon vivant, la Fronde, qu’il rappelle, à la Régence, qu’il annonce.

836. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Mais jamais suicidé ne sut plus mal son métier : au lieu de se laisser enferrer par le chevalier, c’est lui qui l’estropie, et, pour le dédommager de son égratignure, il le désigne au notaire qui attend son arrêt, la plume en main. […] Cependant où est la vraisemblance de ce baron qui entre dans un atelier d’artiste comme dans une boutique mal famée, et qui demande une messe à un musicien du ton dont il commanderait un corbillard à un croque-mort ? […] Mais pourquoi faire un homme mal élevé de ce galant homme ? […] Il me semble qu’après tant de critiques et de contestations, vous pourrez nous croire lorsque nous vous répéterons que cette comédie mal faite est née viable, malgré tout, et qu’elle contient des scènes charmantes, d’heureux détails et des fusées de saillies qui étincellent aux oreilles.

837. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Trahir, en quelques heures, son bienfaiteur et son maître, lorsqu’il vient d’être si solennellement averti, lorsqu’on lui a montré la queue de la sirène, les griffes du vampire, c’est descendre un peu brusquement les degrés du mal. […] Cette pièce mal conçue est une pièce mal faite. […] N’est-ce pas mal faire que de livrer une enfant si tendre, si aimante, à ce père indigne, à cette femme, bonne peut-être au fond, mais emportée et brutale, qui pourra s’en lasser demain, comme elle s’en est engouée tout a l’heure ?

838. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Mme de La Tour-Franqueville, après la lecture de La Nouvelle Héloïse, se monte la tête, se croit une Julie d’Étange, et elle écrit des lettres très vives au grand écrivain, qui la traite assez mal et en misanthrope qu’il est. […]  » C’est comme qui dirait : Honni soit qui mal y pense ! […] Un matin qu’assise dans le jardin parfumé et silencieux, elle rêvait à son isolement, l’idée de Goethe se présenta à son esprit ; elle ne le connaissait que par sa renommée, par ses livres, par le mal même qu’elle entendait quelquefois dire autour d’elle de son caractère indifférent et froid. […] Quand il voyait quelqu’un malade, triste et préoccupé, il rappelait de quelle manière il avait écrit Werther pour se défaire d’une importune idée de suicide : « Faites comme moi, ajoutait-il, mettez au monde cet enfant qui vous tourmente, et il ne vous fera plus mal aux entrailles. » Sa mère savait également la recette ; elle écrivait un jour à Bettina, qui avait perdu par un suicide une jeune amie, la chanoinesse Gunderode, et qui en était devenue toute mélancolique : Mon fils a dit : Il faut user par le travail ce qui nous oppresse.

839. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

La vraie date de Mlle de Scudéry est à ce moment, à l’heure de la régence, aux beaux jours d’Anne d’Autriche, avant et après la Fronde, et sa gloire dura sans aucun échec jusqu’à ce que Boileau y vînt porter atteinte, en vrai trouble-fête qu’il était : « Ce Despréaux, disait Segrais, ne sait autre chose que parler de lui et critiquer les autres : pourquoi parler mal de Mlle de Scudéry comme il l’a fait ?  […] Il est certain, disait Mlle de Scudéry, qu’il y a des femmes qui parlent bien, qui écrivent mal, et qui écrivent mal purement par leur faute… C’est, selon moi, une erreur insupportable à toutes les femmes, ajoute-t-elle, de vouloir bien parler et de vouloir mal écrire… La plupart des dames semblent écrire pour n’être pas entendues, tant il y a peu de liaison en leurs paroles, et tant leur orthographe est bizarre.

840. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Je voyais tout le mal et aucun remède. […] J’ai mangé d’un succulent potage, deux côtelettes panées à la minute, l’œil et les abat-joues de cette tête de veau si blanche, ce morceau de brochet du côté de l’ouïe que vous m’avez servi vous-même : je n’ai rien refusé parce qu’il faut que la volonté de Dieu et des jolies femmes soit faite ; j’ai fait honneur aux trois services : en un mot, j’ai dîné, moi indigne, comme aurait pu le faire un ancien prélat, et voilà cependant (ici les pleurs redoublent) que je songe à quelles cruelles privations sont exposés tant de pauvres prêtres sans dîmes, de chanoines sans bénéfices, qui n’ont peut-être pas une omelette au lard, et qui dîneront mal d’ici à l’éternité, si la Providence ne vient à leur secours. […] J’ai été trompé de toutes manières par celle à qui je ne voulais faire que du bien, et Dieu s’est servi d’elle pour me punir du mal que j’avais fait à d’autres. […] En ce cas, la prophétie même, si elle avait eu lieu, ne serait qu’un miracle de plus perdu pour vous comme pour les autres, et c’est là le plus grand mal.

841. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Au moment où il voyait ainsi assez habituellement Rousseau et où il cherchait à adoucir ses humeurs sombres, Bernardin était lui-même ou allait être atteint, à quelque degré, du même mal. […] Les espérances sont les nerfs de la vie : dans un état de tension ils sont douloureux ; tranchés, ils ne font plus de mal. […] Je n’ai pu toutefois parvenir à fixer le moment précis de la grande crise nerveuse de Bernardin, quand il se montre à nous (préambule de L’Arcadie) frappé d’un mal étrange, sujet à des éclairs qui lui sillonnent la vue, voyant les objets doubles et mouvants, et, dès qu’il rencontrait du monde dans les jardins publics et dans les rues, se croyant entouré d’ennemis et de malveillants. […] En vérité, vous devenez pour moi inconcevable, et je ne puis m’expliquer votre conduite autrement qu’en considérant que vous vous êtes longtemps aigri contre l’injustice de ceux qui auraient pu vous faire du bien, et que le point de votre cerveau où cette idée est classée est vicié par une humeur caustique qui le dénature au point de rapprocher le bien du mal, la bienfaisance de l’insulte ; d’où il résulte que, juste et bon dans tous les autres points de votre vie, dès qu’on touche cette corde vous devenez soupçonneux et injuste.

842. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Il déplore les misères des gouvernements despotiques qu’il observe, il leur attribue tous les maux dont il est témoin ; au fond de cette juste sévérité toutefois, on sent trop peu de sympathie pour ceux mêmes qu’il plaint, et en général pour les hommes. […] Volney cite les prophéties sur Tyr, il n’en dit point les auteurs ; il parle d’un écrivain seulement, comme si ces noms des prophètes lui faisaient mal à prononcer. […] L’événement prouva que je n’avais pas mal jugé cette affaire, puisque l’Assemblée nationale, aussitôt qu’elle en fut instruite, interdit à tous ses membres d’accepter aucune fonction à la nomination du roi. […] La Révolution, en lui montrant le triomphe présent, exalta tout à coup sa passion mal contenue ; elle mit cet esprit éminent et froid dans un état en quelque sorte pindarique, et le fit sortir de ses tons.

843. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

. — N’ayant eu pour le soutenir ni l’affection, ni les conseils de sa mère ; mal surveillé, mal dirigé par un père trop faible qui, toujours en admiration devant son fils, lui passait tous ses caprices, excusait toutes ses fantaisies, à dix-huit ans B… était sceptique et frondeur, ne croyant ni à Dieu ni à diable. — Il était homme à ne reculer devant rien, à n’être arrêté par aucun scrupule. — Aveuglé par son amour paternel, C… ne suivit pas les progrès incessants du mal, cette gangrène morale qui s’empare du cerveau d’abord pour descendre ensuite au cœur. — Il faut que jeunesse se passe. » Voilà le genre. […] L’art d’écrire est nécessairement l’art d’écrire mal ; c’est l’art de combiner, selon un dessin préconçu, les clichés, cubes d’un jeu de patience.

844. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Si Le Prince n’y prend garde, s’il continue à se négliger sur le dessin, la couleur et les détails, comme il ne tentera jamais aucun de ces sujets qui attachent par l’action, les expressions et les caractères, il ne sera plus rien, mais rien du tout ; et le mal est plus avancé qu’il ne croit. […] Ici les têtes sont mal touchées et les vêtemens lourds, ici ou dans un autre morceau dont le sujet est le même. […] Si un tartare, un cosaque, un russe voyait cela, il dirait à l’artiste : tu as pillé toutes nos garde-robes, mais tu n’as pas connu une de nos passions… autre moment mal choisi. […] Que le principal mérite de Le Prince est de bien habiller, on ne peut lui refuser cet éloge, il n’y a pas un de ses tableaux où il n’y ait une ou deux figures bien habillées ; mais il colorie mal, ses tons sont bis, couleur de pain d’épice et de brique.

845. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

L’exemple, dira-t-on peut-être, est mal choisi ; cette strophe presque toute entière est mauvaise en elle-même, et indigne d’être comparée à son modèle. […] Allons plus loin ; comparons le poète à lui-même dans le même ouvrage ; et quelque belle que soit la strophe que nous venons de citer, nous ne balancerons point à lui préférer la suivante, par cette seule raison que l’expression y est plus naturelle et moins étudiée : Ainsi de cris et d’alarmes Mon mal semblait se nourrir ; Et mes yeux noyés de larmes Étaient lassés de s’ouvrir. […] Aussi nos poètes ont-ils pour l’ordinaire assez mal réussi dans la prose. […] Qu’on change l’ordre des mots, et qu’on mette comprobavit filii temeritas, il n’y aura plus rien, jam nihil erit. » Voilà, pour le dire en passant, de quoi ne se seraient pas doutés nos latinistes modernes, qui prononcent le latin aussi mal qu’ils le parlent.

/ 2901