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567. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

Pour ma part, j’aime ces Centaures intellectuels, moitié savants, moitié artistes, et M. d’Héricault en est un… D’une main alerte et compétente, il a touché à une foule de sujets, même au roman. […] Elle y a mis d’autres mains que les siennes. Et M. d’Héricault, avec son regard aigu, a regardé dans le fond de ces mains-là… Elles n’étaient pas toutes tachées de sang, mais toutes, sans exception de fange ; car c’est une fange que la lâcheté… En ce vil temps, on était plus bas que sous Marat. […] Mais M. d’Héricault l’a mis en saillie dans la sienne, parce qu’il était réellement en saillie dans l’histoire de l’an II ; M. d’Héricault a bien compris que la Terreur n’était plus qu’une chose sans visage, quand elle ne portait pas celui de Robespierre… On peut dire de l’historien de Thermidor qu’il ôte des mains de Michelet la tête de Robespierre, coupée, par cet innocent bourreau, en l’honneur et au profit de la canaille, qui n’en a pas, et qu’il l’a restituée à celui qui, devant Dieu et devant les hommes, a individualisé la Terreur.

568. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

Éternellement et partout, c’est toujours la même vue brouillée, la même oreille qui tinte, la même main incertaine qui se pose aux objets et les dérange. […] Esprit de réverbération, système nerveux de harpe éolienne, Hoffmann avait été tellement remué par la main toute-puissante de Goethe, que l’air terrible resta éternellement vibrant dans ses cordes et qu’il le répéta toujours. […] Hoffmann, le caricaturiste en littérature, espèce de Hogarth incertain dont la main tremblait tout en appuyant sur le trait, a surchargé ses personnages de détails mesquins, inutiles ou vulgaires, et cette manie de sa pensée ne nous a jamais plus frappé que dans quelques-uns des Contes posthumes. […] La postérité n’aura pas besoin de briser de sa main sérieuse le verre vide où cet agaçant harmonica aura vibré.

569. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

Les mains pleines de dons avaient plus d’efficace près d’elles que les sourires et les promesses. […] Plus loin, des éclats de voix, des rires, des battements de mains. […] Sur le chemin de cette histoire projetée, il a rencontré le sublime bonhomme, pur comme un croisé des premières croisades, net de l’or qui avait taché tant de mains et corrompu jusqu’aux épées, et il a fait avec lui accointance. Peut-être est-ce d’une main gourde de vieillesse ou endolorie de blessures que le vieux soldat chroniqueur, Don Quichotte anticipé, avait écrit, pour l’honneur de la vérité, cette pauvre relation ignorée, et bonne pourtant à remettre en lumière à l’usage des grands cœurs, s’il en reste encore, et José-Maria de Heredia l’y a remise.

570. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Son esprit l’avait mis dans la confidence de tout, il connaissait les petits ressorts des grandes choses, et il avait le malheur de ne pouvoir être dupe de rien : un philosophe derrière les coulisses rit presque toujours des battements de mains du parterre. […] L’orateur peint cette multitude féroce dont on se sert pour changer la destinée des empires ; il fait voir le soldat arraché de ses campagnes, les quittant par un esprit de débauche et de rapine, changeant de maîtres, s’exposant à un supplice infâme pour un léger intérêt, combattant quelquefois contre sa patrie, répandant sans remords le sang de ses concitoyens, et sur le champ de carnage attendant avec avidité le moment où il pourra de ses mains sanglantes arracher aux mourants quelques malheureuses dépouilles qui lui sont bientôt enlevées par d’autres mains. […] S’il n’a pas l’éloquence et la sublimité de Pascal, il n’a pas non plus cette philosophie ardente et sombre qu’on lui a justement reprochée ; celle de Vauvenargues est plus douce ; elle tend la main à l’homme, le rassure et l’élève.

571. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Dumas ayant demandé que ces deux jumeaux fussent mis entre les mains de David pour achever leur éducation, cette proposition fut adoptée. […] une main parricide nous a ravi le plus intrépide défenseur du peuple. […] Que cette image du peuple, debout, tienne dans son autre main cette massue terrible dont les anciens armaient leur Hercule. […] David ne tarda pas à faire acte de soumission entre les mains du nouveau chef de l’État. […] Je lui serrai énergiquement la main pour toute réponse, et nous nous arrachâmes de ce lieu.

572. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Et quant li marchis oï le cri, si sailli en un cheval tot desarmés, un glaive en sa main ; et quant il virit là où ils ierent assemblés à l’arriere-garde, si lor recourut sus, et les chacia une grant pièce arrieres. […] Froissart, au lieu de lettres qui auraient pu tomber en des mains étrangères, y glissait des chansonnettes. […] Son panégyriste l’y montre « tenant le salut de la France en sa clef, et la tranquillité de l’Occident en sa main. » Il en fait un portrait physique, dont l’exactitude pittoresque peut paraître d’ailleurs minutieuse. […] Il reconnaît la main de Dieu dans cette chute si rapide de la maison de Bourgogne, et dans les emportements du dernier de ces grands vassaux qui depuis un siècle, tenaient en échec leur suzerain. […] Sitôt que le marquis eut oui leurs cris, il sauta sur un cheval, sans armure, un glaive à la main ; et, arrivé à l’endroit où ils étaient aux prises avec l’arrière-garde, il leur courut sus à son tour, et leur donna la chasse fort loin.

573. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

On veut toucher la cime de la main. […] Avare on serre les doigts de la main. […] Quand on est à sa table on trouve, on voit bien que la main ne rame pas, la main n’avance pas, la plume n’avance à rien, la main ne rend pas. […] Nous les touchions de la main. […] Et nous nos mains calleuses, nos mains noueuses, nos mains pécheresses nous avons quelquefois les mains pleines

574. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Daudet a gagné, haut la main, son pari. […] Avec une révérence de pensionnaire elle me tendit la main. […] Non, la main sur la conscience, je n’ai pas de remords. […] Ils ont sous la main un texte imprimé, dont l’auteur a corrigé les épreuves. […] Ici, juché sur une petite colonne, il étend la main vers nous.

575. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Toute son énergie est dans la paume de sa main dont il frappe la tribune, afin de s’animer au monologue ; toute sa mémoire est au fond du verre d’eau sucrée. » Mais je crois que nous avons changé de tribune : nous sommes à la Chambre des Pairs ; une voix sourde se fait entendre (M.  […] Une bonne Table dispensera seulement de tout parcourir pour mettre la main sur l’endroit sensible. […] Ô prose, mâle outil et bon aux fortes mains ! […] Est-ce à moi qu’on a dit, en me pressant la main : « Pour t’aimer j’ai deux cœurs ; je porte en moi deux âmes !  […] Avant qu’il fût deux mois, De mes tremblantes mains j’en ensevelis trois ; Je les vois, mais non plus dans la fleur de la vie ; Non plus avec ces traits dont j’avais trop d’orgueil, Au baiser paternel offrant leurs jeunes têtes ; Mais telles que la mort, hélas !

576. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Mais lui-même, épris de son objet, il eut ses scrupules de puriste, son désir du mieux, ses idées de perfectionnement : il en résulta, dans la seconde édition qu’il donna, des corrections de son fait, méditées de longue main et portant presque toutes sur les naturelles et divines négligences d’un auteur charmant qui n’avait jamais songé à être auteur. […] C’est ce texte qui fut reproduit dans toutes les éditions suivantes et qui était jusqu’ici entre nos mains. […] Monmerqué avait dès longtemps en main toutes les preuves de la corruption, et, comme auraient dit nos vieux éditeurs, de la dépravation du texte Sévigné, et l’aimable homme dormait tranquille là-dessus, il attendait patiemment et ne prévenait personne du danger : on ne s’en serait pas douté, si un autre près de lui ne l’avait dit et répété bien souvent, et n’avait averti un chacun de prendre garde ; cet autre, le premier et longtemps le seul à le dire, a été M.  […] Elle ne se paye pas de feintes et de faux-fuyants, elle pousse sa botte à fond ; elle lui fait sauter l’épée des mains, au moment où il ne s’y attend pas, elle le force à demander merci à genoux. […] Je fus chez Mme du Puy-du-Fou, qui m’approuva, et pour la petite, je la mis dès dimanche entre les mains de l’autre nourrice.

577. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

La Crise, qui me représente d’autres scènes pareilles, ayant même tendance, justifie ce qu’un bon juge du genre me disait en parlant de l’auteur : « Il met ses personnages dans des situations critiques d’où ils ne peuvent raisonnablement se tirer qu’avec une infraction et un faux pas : et il les en tire moyennant un petit moyen vertueux, bourgeois, un enfant qui accourt vers sa mère le jour de sa fête avec un gros bouquet à la main, ou tout autre expédient. […] Il est près de trois heures du matin ; elle vient de se retirer dans sa chambre ; son mari se présente, comme par hasard, un bougeoir à la main, elle l’invite à entrer. […] Partout l’empreinte d’un goût délicat et d’une main blanche… Une atmosphère doucement imprégnée des parfums favoris… Quelque chose à la fois de voluptueux et de sacré… Je ne sais quel demi-jour de pudeur voilant l’éclat d’un luxe profane… » Il continuerait encore longtemps sur ce ton lorsque Clotilde rentre. […] Mais pendant le bal et dans cette scène si bien amenée, où la jeune femme, qui n’a rien de grave, après tout, à se reprocher, tout émue enfin de tendresse, et transformée par la passion, se déclare au jeune amateur artiste et en vient à lui offrir son cœur, sa vie, sa main, — car elle est veuve, — d’où vient cette austérité subite et non motivée, cette pruderie farouche du jeune homme, déjà touché lui-même, et qui n’a plus aucune raison de la repousser ? […] Son front même est ombragé de cheveux noirs comme dans sa première jeunesse, et l’on ne se douterait pas que la main du temps y a passé.

578. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Lui, Bossuet, il n’était pas versé pour son compte dans les textes hébreux originaux, et il ne savait ces choses que de seconde main et par les Pères. […] Ces cinq cents ans n’embarrassent pas Bossuet : « Dieu donna, dit-il, à la majesté de son Fils de faire « taire les prophètes durant tout ce temps pour tenir son peuple en attente de Celui qui devait être l’accomplissement de tous leurs oracles. » Il franchit ce temps de silence, toujours son fil conducteur à la main, et le flambeau de l’autre. […] En nous supposant dociles, — plus dociles que nous ne l’avons été, — il nous a tenus par la main et nous a conduits où il voulait, au plus haut degré de l’autel d’où nous voyons désormais toute chose, le passé et l’avenir, la terre et le ciel. […] S’il attaque l’Hérésie par tant de moyens et plus encore que n’ont jamais fait ses prédécesseurs, ce n’est pas qu’il craigne pour son trône ; tout est tranquille à ses pieds, et ses armes sont redoutées par toute la terre : mais c’est qu’il aime ses peuples, et que, se voyant élevé par la main de Dieu à une puissance que rien ne peut égaler dans l’univers, il n’en connaît point de plus bel usage que de la faire servir à guérir les plaies de l’Église. » Erreur, abus de la parole et de l’éloquence ! […] Le fond du dessein de Bossuet, on le sait maintenant, et on le tient de sa propre bouche, était dans ce livre de « prouver le Christianisme aux libertins. » C’est une démonstration par l’histoire, et les faits en main, qu’il avait entreprise.

579. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Il est comme un cadavre, — comme le bâton dans la main du vieillard. […] en ce moment même, je ne le sens que trop, si ma volonté tout entière n’était pas entre les mains de mon père bien-aimé, si ses conseils ne me soutenaient pas, si je n’étais pas complètement résolu à obéir sans hésiter à ses ordres salutaires, oui, en ce moment même je retomberais dans mes premières incertitudes et dans l’abîme sans fond d’où sa main charitable m’a retiré. […] La main de Dieu est sur l’Europe. […] Carron réunis et se donnant la main le lancèrent dans le sacerdoce. […] Je fais tout ce que je puis pour lui rendre un peu de force et d’espérance, mais j’ai des idées et une façon de voir si différentes des siennes, que je m’y prends sans doute fort mal ; et puis on ne calme pas l’eau agitée en y trempant la main.

580. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

De Bordeaux où elle était alors, elle s’empressa de répondre à Mme Récamier : « Pardonnez si mes mains ne s’ouvrent pas pour accepter un don si bien offert. […] J’ai des moments où je croule, mais je me sens toujours soutenue par cette main divine qui nous a faits frère et sœur pour nous aider et nous chérir, mon bon Félix. […] J’espère que Dieu le bénira toujours77… « Je joins douze pauvres francs à cette lettre, en te serrant bien fraternellement la main. […] Tiens, mon amie, la main qui te l’a donnée est bien la main du plus parfait honnête homme que l’on puisse connaître. […] « Elle n’y va pas de main morte », disait le ministre, et il accordait presque toujours. — À propos de ce passage de l’article, un littérateur distingué, professeur à la Faculté même de Douai, M. 

581. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

La Bibliographie romancière en main, nous étions ballotté de M. […] On s’impatiente de l’entendre louer pour son génie ; on le traite de fou délirant ; on accuse la faiblesse de ses proches qui ne l’ont pas fait enfermer déjà : on tremble quand on voit sa fille aînée lui obtenir, pour l’arracher à son laboratoire, une caisse de recette générale au fond de la Bretagne ; on froisse la page sous sa main, mais on y revient ; on est ému enfin, entraîné, on se penche malgré soi vers ce gouffre inassouvi. […] Cette pensée, pour devenir tout à fait vraie, ne doit pas craindre de s’énoncer avec plus d’énergie, et je risque ici la variante qu’un ami plus sévère que moi (j’ai toujours cet ami-là à mes côtés) me souffle à l’oreille : « Balzac romancier est un médecin, quelque peu suborneur, de maladies cutanées ou sous-cutanées, de maladies lymphatiques secrètes, — quelque chose entre Alibert et Cullerier. — Il a des arts secrets, de certains tours de main, comme en a l’accoucheur, le magnétiseur. […] Il commence si bien chaque récit, il nous circonvient si vivement, qu’il n’y a pas moyen de résister et de dire non à ses promesses ; il nous prend les mains, il nous introduit de gré ou de force dans chaque aventure. […] quand j’ai lu ces choses-là (certaines descriptions sales et minutieusement ignobles de Balzac), il me semble toujours que j’ai besoin de me laver les mains et de brosser mon habit, » 109.

582. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

L’Italie recommença à s’agiter ; la main qui en tenait la balance s’était éteinte. […] Lorenzino lui dit que ce n’était pas l’heure de délibérer et qu’ils n’avaient que l’un de ces deux partis à prendre pour leur salut : ou sortir le poignard sanglant à la main et appeler le peuple à la liberté ; ou s’évader pendant que le forfait était ignoré encore et aller rejoindre les émigrés. […] Philippe, fait prisonnier et gardé un an dans les cachots de Castille, mourut en Romain, en se frappant, comme Caton, de sa propre main. […] » se mit-il à dire, et soulevant avec peine ses bras presque sans force, il me saisit et me serra les deux mains. J’éclatais en sanglots et en larmes que je voulais cacher, en m’efforçant de détourner ma tête ; mais lui, nullement ému, me prenait et me reprenait les mains.

583. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Tristan était venu demander la main d’Yseult pour son oncle le roi March, et ramenait la blonde fiancée, quand une funeste erreur leur fait boire à tous deux le philtre que la prudente mère d’Yseult avait préparé pour attacher à jamais le roi March à sa fille. […] Il versait, disait-on, « le beau français à pleines mains », Au reste, c’était un adroit faiseur sans conviction, sans gravité, qui ne se faisait pas scrupule, au besoin, de fabriquer des contrefaçons de légendes arthuriennes, pourvues de noms de fantaisie vaguement celtiques et de la plus invraisemblable géographie. […] C’est une scène exquise, dans le Chevalier au lion, que l’éveil de l’amour dans l’âme d’une veuve éplorée ; curiosité, égoïsme, désir de plaire, fierté, sentiment des convenances, semblant de résistance et manège adroit pour se faire forcer la main, il se fait là dans un cœur de femme tout un petit remue-ménage que le bon Chrétien a su noter : il y a un grain de Marivaux dans ce Champenois. […] Par malheur, il ne termina pas son Perceval, qui changea de caractère entre les mains des continuateurs. […] Le Graal a été aux mains de Joseph d’Arimathie, qui l’a apporté en Occident.

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