Il étudiait l’influence de ses affections morales sur son appétit ; il expérimentait toutes choses, son sommeil, son réveil ; d’une condescendance pour les besoins de son corps qui venait moins d’un désir excessif de prolonger sa vie, que de la curiosité d’éprouver sur lui-même ce qu’il jugeait le plus propre à conserver la santé. […] Aujourd’hui, la science n’y compte que quelques vérités évidentes, répandues dans un corps de doctrines jugé faux. […] Il y a reconnu le signe même de l’évidence ; or, l’évidence étant le caractère du vrai, et notre raison seule pouvant recevoir et juger l’évidence, voilà la raison établie juge suprême du vrai et du faux. […] Ce fut là la grande nouveauté de la philosophie cartésienne ; ce privilège de juger le vrai et le faux, Descartes en dépossédait l’autorité pour le restituer à la raison.
De plus, j’estime que l’on ne doit pas juger le génie de l’artiste à travers ses répugnances pour l’homme. […] On ne boude pas plus contre ses oreilles que contre son ventre, et Wagner est un artiste assez considérable pour qu’on puisse juger son œuvre avec une sérénité qui permette de négliger l’homme et d’oublier le gallophobe. […] Encore une fois, je souhaite, avant tout, qu’on oublie l’homme pour juger le musicien de génie, et je pense qu’on ne m’accusera pas de vouloir amoindrir par ce vœu très sincère la grande idée de patrie. […] Après avoir dit que Wagner est jugé comme homme mais qu’il ne l’est pas encore chez nous comme musicien, M.
La France est un pays tellement généreux que l’idée d’exil l’empêche de juger un homme littéraire, que cela l’attendrit, que cela l’arrête, même quand il ne s’agit, comme aujourd’hui, que de se prononcer sur un suicide en littérature ! […] S’il réfléchissait chaque fois qu’il voit la sienne, laquelle est, comme on vient d’en juger, d’une assez belle épaisseur, ne s’arrêterait-il point dans la construction laborieuse de tous ces abominables non-sens ? […] Prenez les pièces les plus belles de La Légende des siècles, inspirées toutes, plus ou moins, par le Moyen Age ou ce qui en reste (il y a bien du Moyen Age dans Le Régiment du baron Madruce), et comparez-les tranquillement à celles dans lesquelles le monde moderne a mis son panthéisme, son humanitarisme, son progrès illimité et tous ses amphigouris sur les êtres, la substance, l’avenir et les astres, et vous aurez bientôt jugé. […] Mais les grands poètes n’ont pas toujours la faculté de se juger.
Revenu d’Italie en France en 1686, Lassay trouva des ennuis domestiques : il avait une fille du premier lit qu’il avait confiée en partant à Mme de La Fayette ; celle-ci qui écrivait de si agréables romans, mais qui n’entendait pas moins bien les affaires positives, jugea que cette pupille était un bon parti pour son fils, et elle était près d’arranger ce mariage contre le gré du père qu’elle cherchait à tenir éloigné. […] Tout en convenant avec lui que les qualités qu’on possède sont loin de se produire toujours ; que c’est l’occasion qui nous révèle aux autres et souvent à nous-même, et que la seule pierre de touche pour bien juger du mérite est qu’il soit mis à sa place, je remarquerai que, dans l’analyse très détaillée et assez naïve qu’il nous donne de son esprit et de son caractère, il nous dit : J’ai un défaut effroyable pour les affaires, qui gâte et qui détruit tout ce que je pourrais avoir de bon : c’est une grande paresse dans l’esprit ; en de certaines occasions, je la peux surmonter par élans ; mais à la longue je prends trop sur moi et j’y retombe toujours ; si bien que je ne serais propre qu’à penser, et encore plus à choisir et à rectifier ; car ce qu’il y a de meilleur en moi, c’est le discernement : mais il faudrait qu’un autre agît. […] C’est ce talent de juger et de discerner les hommes qu’il croyait avoir et qu’il avait à un très remarquable degré, qui l’a conduit à dire de lui une chose singulière dont Voltaire s’est, moqué, et dont l’expression ne saurait en effet, raisonnablement, échapper à la raillerie.
Rien ne montre mieux combien en est sujet, avec le meilleur esprit, à ne pas bien juger des hommes à bout portant et à ne pas se rendre compte, entre contemporains, de la courbe générale d’un génie et d’une destinée. — Voici le premier endroit où il est question, chez lui, de Voltaire (juin 1720) : « Arouet, poète, auteur du nouvel Œdipe, étant à la Comédie avec le prince de Conti, la Le Couvreur, actrice, entra sur la scène. […] J’accepte, monsieur, cette nomination, qui me vaut une élection dans les formes, et comme la plus grande joie que j’aurais serait d’être d’un corps dont vous êtes, j’en suis dès que vous m’avez nommé, et cet in petto me plaît plus que la chose même… Vos lettres ne manqueront pas de faire du bruit ; mon nom sera mêlé avec le vôtre ; on dira que vous m’avez jugé digne d’être un jour académicien : n’en est-ce pas plus cent fois que je ne mérite ? […] Un autre vieux classique de ce temps-là, M. de La Rivière, le gendre de Bussy-Rabutin, a jugé non moins sévèrement que Marais le salon de Mme de Lambert et son monde, quoiqu’il fût l’ami particulier de cette femme distinguée, sur laquelle nous nous permettons de différer d’opinion avec lui ; mais tous ces jugements et contre-jugements sont curieux, en ce qu’ils nous aident à comprendre le mouvement et les divisions de la société d’alors.
Je me servirai de l’un et de l’autre selon que j’en jugerai à propos, et, s’ils font leur devoir, comme je suis persuadé qu’ils feront, j’espère que Votre Majesté aura la bonté de les ouïr nommer et permettre qu’ils méritent par leurs services qu’Elle leur pardonne, après une pénitence conforme à la faute. » Mais, après s’être galamment conduit en bon Français à l’occasion, Saint-Évremond rentrait dans sa philosophie et dans sa tranquillité. […] Quant au point en litige, on va en juger. […] Il a raconté et exposé plutôt que jugé.
Mais nous n’aborderons M. de Balzac que par les côtés qui touchent le plus immédiatement ses écrits que nous jugeons. […] L’auteur a jugé ce roman digne d’être revu et reconnu, et il ouvre sa carrière ostensible à dater de là. […] Quel mélange singulier et contradictoire dans le romancier que nous voudrions juger ici, sans faire notre parole plus sévère que notre pensée, — quel mélange d’observation souvent maligne, de réalité prise sur le fait comme par un clin d’œil de malin Tourangeau, de gaieté de bon aloi et digne de Chinon, — quel mélange de tout cela, et encore de situations domestiques si fréquemment attendrissantes, avec tant d’écarts divagants et d’incroyables fantaisies !
La vanité, chez lui, entravait l’ambition ; la passion déconcertait les calculs de l’égoïsme ; l’intelligence faisait hésiter la volonté : il était irrésolu, inconstant ; il paraissait peu sûr à son parti, qui ne lui pardonnait point de le juger parfois, et de se juger lui-même en tant qu’il y coopérait, avec trop de clairvoyance. […] Tous les deux sont assez près de regarder le respect des anciens comme une dévotion de cuistre : pour eux, ils les jugent en honnêtes gens, par leur raison, sans leur attribuer de supériorité sur les modernes en vertu de leur antiquité.
L’invective montait, montait : « Au moins, puisqu’ils ne savent rien, qu’ils ne se mêlent pas de juger ! […] Encore une fois il relève du siècle dernier par son esprit, par son style, par ses goûts littéraires, même par sa philosophie, qui, autant que j’en puis juger, serait celle de Condillac ou de Cabanis et de Destutt de Tracy. […] Il se mit à raconter tranquillement, de son mieux, les pièces qu’il avait vues, à les juger le plus sérieusement du monde et à motiver avec soin ses jugements.
Les Considérations, sans nous enseigner le contraire, nous cachent souvent nos torts ou diminuent notre part de devoirs dans les fortunes de notre patrie : elles nous disposent à juger, du haut de notre innocence, ceux qui portent le fardeau des affaires publiques. […] De plus, le voilà en possession d’une faculté nouvelle : il appelle les rois, les ministres, les gouvernements à son tribunal ; il ne pense plus guère qu’à juger, à décider, à charger tout le monde des devoirs dont il s’exempte. […] D’Alembert lui en fait une louange : « Montesquieu, dit-il, s’occupe moins de ce que le devoir exige de nous que des moyens par lesquels on peut nous obliger à le remplir. » C’est vrai, et finement jugé.
Tout ce qu’on nous explique, nous croyons le comprendre, et nous ne sommes pas loin de nous imaginer que les seules choses dont on puisse bien juger sans études, c’est la société et l’État. […] Ce que nous demandons à l’historien, pour en garder une impression durable, ce sont les causes de la guerre exposées et jugées, la situation des deux peuples qui vont en venir aux mains, leurs chefs, les préparatifs de la lutte, les batailles, et, dans les récits de ces batailles, les traits qui caractérisent le commandement chez les généraux et la manière de se battre chez les soldats ; enfin, la justice rendue à tous, avec un peu d’inclination pour tout ce qui peut honorer notre nation à ses propres yeux, et entretenir parmi nous la tradition de la discipline et du courage. […] Aussi je ne sache pas de meilleur guide que sa Correspondance, pour apprendre à lire et à juger les écrivains des deux derniers siècles et Voltaire lui-même.
Cette Mme de Tencin et son frère, si peu estimables, jugeaient ici les choses en gens de coup d’œil et d’esprit. […] C’est là qu’il faut aller voir la marquise avant de se permettre de la juger et de se former la moindre idée de sa personne. […] Ce livre de Mme Du Hausset laisse une impression singulière ; il est écrit avec une sorte de naïveté et d’ingénuité qui s’est conservée assez honnête dans le voisinage du vice : « Voilà ce que c’est que la Cour, tout est corrompu du grand au petit », disais-je un jour à Madame, qui me parlait de quelques faits qui étaient à ma connaissance. — « Je pourrais t’en dire bien d’autres, m’ajouta-t-elle ; mais la petite chambre où tu te tiens souvent t’en apprend assez. » Mme de Pompadour, après le premier moment passé de féerie et d’éblouissement, jugea sa situation ce qu’elle était, et, tout en aimant le roi, elle ne garda aucune illusion sur son caractère ni sur l’espèce d’affection dont elle était l’objet.
Vingt personnes l’ont jugé ainsi : deux cents ont reconnu la compétence des vingt juges ; cent mille répètent leur arrêt : tout cela, voix et échos, c’est le public, et le bruit que cela fait s’appelle la gloire. […] Toutefois, en supposant qu’une administration éclairée et bienveillante jugeât à propos de protéger les hommes qui écrivent, on conçoit, d’après ce que nous venons de dire, quel genre de bienfaits il faudrait lui demander pour eux. […] Ne prétendez pas trop en juger par vous-mêmes.
Les Chroniques de France, publiées en 1829, furent pourtant jugées, en général, comme une erreur honorable d’un talent élégiaque et intime, trop docile cette fois aux conseils de quelque ami, savant historien. […] (Mon désir d’être exact me fait ajouter un seul mot : ce portrait, jugé par des personnes qui voient de près l’auteur, leur a paru présenter l’idée d’une personne plus agitée ou plus résignée que ne l’est, que n’a besoin de l’être une âme si calme, si réglée, si bien établie dans les affections douces et dans les études solides.
Leurs déportements se jugent d’ailleurs par le fait même ; au bout de quelques jours, le public, d’abord excité, s’en dégoûte, sans avoir besoin d’être averti, et il ne reste d’irréparable, après de tels éclats, que les atteintes profondes que les violents se sont portées, qu’ils ont portées aussi à la cause littéraire qu’ils semblaient dignes de mieux servir. […] (voir les volumes de Portraits contemporains), on peut bien juger en quel sens et dans quelle mesure l’auteur a cru devoir se déclarer, à certains moments, pour le parti de la conservation en littérature et de la résistance.
Il excelle à refaire les livres d’autrui : il est incapable de les juger. […] Mais il a encore une qualité plus précieuse : c’est de juger, en somme, de la peinture en peintre, de s’intéresser à la lumière, à la couleur, de jouir de leurs combinaisons délicates ou puissantes.
Comment, vous qui jugez la face du ciel, ne savez-vous pas reconnaître les signes du temps 798 ? […] Il est sûr que l’humanité morale et vertueuse aura sa revanche, qu’un jour le sentiment de l’honnête pauvre homme jugera le monde, et que ce jour-là la figure idéale de Jésus sera la confusion de l’homme frivole qui n’a pas cru à la vertu, de l’homme égoïste qui n’a pas su y atteindre.