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342. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Avec cette flexibilité de caractère qui est la faiblesse et la grâce de la jeunesse, il est naturel qu’il y ait admiré ces maîtres ; on comprend qu’il ait été possédé, au début, d’une certaine émulation pour rivaliser de jovialité et de gaudriole avec eux. […] mon père était un royaliste de ce qu’on a appelé la Jeunesse dorée du temps. […] J’ai connu les deux personnages vieillis de ce drame de jeunesse et d’amour. Je parlerai tout à l’heure de celle qui fut Lisette, compagne de la jeunesse, de l’âge mûr, de la poésie et de la vieillesse de Béranger. […] Je suis né dans ces bois, j’y passai ma jeunesse ; Une épouse et deux fils embellissent ma fin.

343. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Elle nous dit elle-même, en parlant de sa santé : « Je n’ai jamais connu ce bien-là, ni celui de la jeunesse. » Toute la première moitié de sa vie est simple, uniforme, et dans la ligne stricte du dévouement et du devoir. On y chercherait en vain ce qu’il est trop ordinaire de rencontrer dans la jeunesse des femmes du xviiie  siècle, le tempérament ou le roman ; c’est à une personne tout à fait calme et vertueuse (s’il est permis de savoir si bien ces choses de si loin) qu’on a affaire ici. […] J’avoue que ce goût, cette estime, cette persuasion avaient des bases très solides ; tout est anéanti pour moi depuis cette cruelle perte. » Nous savons tout ce qu’il nous importe de savoir sur là jeunesse de Mme de Créqui : encore une fois, nous n’avons affaire avec elle ni à une Mme Du Deffand, ni à une maréchale de Luxembourg, à aucune de celles qui eurent à refaire leur existence morale dans la seconde moitié et à regagner la considération. Elle n’eut rien, quant aux mœurs, de ce qu’on est convenu d’attribuer en propre au xviiie  siècle, et M. de Meilhan qui s’y connaissait, dans le portrait presque enthousiaste qu’il a tracé d’elle sous le nom d’Arsène, a pu dire en toute vérité : La jeunesse d’Arsène n’a point été troublée par les passions ; c’est dans le temps des erreurs et de la dissipation qu’elle a cultivé son esprit et exercé son courage par les privations et sa patience par les contrariétés.

344. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Sous la régence et depuis, l’abbé de Saint-Pierre, le marquis d’Argenson continuèrent à leur manière cette lignée de réformateurs : le marquis de Mirabeau s’y rattache dès sa jeunesse. […] Il faut cependant, pour vivre avec tous ces gens-là, un grand fonds de connaissances qui ne satisfont ni le cœur ni l’esprit, et qui prennent tout le temps de la jeunesse. […] Adieu, aimez-moi ; vous êtes quelques-uns dont l’amitié fera toute la douceur de ma vie, car les femmes, qui font maintenant toute l’occupation de ma folle jeunesse, n’y tiendront pas, j’espère, du moins en tant que sexe, le moindre petit coin à un certain âge. […] Dans la jeunesse, quand le brillant y était encore, et avant que ces humeurs impétueuses et ces fougues eussent acquis au caractère toutes ses aspérités, il pouvait y avoir sinon du charme, du moins bien de l’intérêt dans le commerce d’un tel homme : un air de grandeur revêtait les défauts.

345. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Sismondi est né à Genève, il est Italien de race et aussi un peu de tempérament, il ne vient à Paris que tard et en passant ; et pourtant, à travers bien des interpositions et des obstacles, il nous aime : non-seulement il écrit ses ouvrages en français, mais toute la seconde moitié de sa vie sera consacrée à écrire l’Histoire des Français dans la plus copieuse compilation qui ait été faite ; mais dans son premier ouvrage de jeunesse, publié en 1801, et tout entier relatif à l’Italie, il ne se sépare pas de notre nation, de celle à laquelle il avait alors l’honneur d’appartenir ; il dit nous. […] C’est là, dans un riant asile, partagé entre l’étude et les soins du cultivateur, que se passa, non sans quelques épreuves gaiement supportées, la première jeunesse de Sismondi, de 22 ans à 27. […] Il est narrateur, il n’est pas peintre ; il ne l’a été que cette fois, dans ce premier ouvrage, sous le double rayon du soleil d’Italie et de la jeunesse. […] Entendant louer toujours la campagne romaine avec ses riches teintes, il avouait ingénument que ce genre de beauté pittoresque échappait tout à fait à ses yeux, « pour lesquels le rayon rouge n’existait pas. » Mais soit qu’il en fût autrement pour lui dans la jeunesse, soit que l’amour-propre du colon et du propriétaire aiguisât sa vue et suppléât à son organisation, il a su nous rendre parfaitement ce qu’il regardait tous les jours, et il s’y est glissé un éclair de poésie ou de sentiment de la nature qu’il n’a jamais retrouvé depuis.

346. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Si l’on cherche la raison de cet oubli bizarre, de cette inadvertance ironique de la renommée, on la trouvera en partie dans le caractère des débuts de M. de Sénancour, dans cette pensée trop continue à celle du xviiie siècle, quand tout poussait à une brusque réaction, dans ce style trop franc, trop réel, d’un pittoresque simple et prématuré, à une époque encore académique de descriptions et de périphrases ; de sorte que, pour le fond comme pour la forme, la mode et lui ne se rencontrèrent jamais ; — on la trouvera dans la censure impériale qui étouffa dès lors sa parole indépendante et suspecte d’idéologie, dans l’absence d’un public jeune, viril, enthousiaste ; ce public était occupé sur les champs de bataille, et, en fait de jeunesse, il n’y avait que les valétudinaires réformés, ou les fils de famille à quatre remplaçants, qui vécussent de régime littéraire. […] L’enfant s’inquiétait déjà de la jeunesse des îles heureuses, des îles faciles de la Pacifique, d’Otaïti, de Tinian. […] Austère, scrupuleux en morale, dépourvu d’une jeunesse entraînante, dévoré d’une sensibilité vague qu’il désespérait de fixer sur un choix enchanté, désireux avant tout de s’asseoir dans une existence indépendante et rurale, M. de Sénancour se laissa dire, et se crut délicatement engagé : on peut saisir quelques traits de ces circonstances personnelles sous l’histoire de Fonsalbe, au tome second d’Oberman. […] Vieillard austère qui, après un chef-d’œuvre de ta jeunesse, t’es arrêté on ne sait pourquoi, qui t’es heurté à faux depuis ce temps sur d’ingrats labeurs, et qui, sans rien perdre assurément de ta valeur  intrinsèque, n’as plus su aboutir d’une manière récréante, fructueuse et féconde !

347. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Et la jeunesse a pu être trompée en cela par bon nombre de ceux qui précédaient ; il a passé dans tous les rangs comme un souffle de relâchement et de confusion. […] Cette Revue a publié, de la plupart des poëtes et romanciers du temps, des portraits qui, eu égard au peintre comme aux modèles, ne peuvent être considérés en général que comme des portraits de jeunesse : Juvenis juvenem pinxit. […] Celui de jeunesse, bien qu’il passe plus vite et qu’il cesse en quelques printemps de ressembler, est pourtant très-essentiel. […] Les portraits de jeunesse, pour les écrivains, ont donc avec raison leur moment, leur charme unique et leur éclair même de vérité : ne nous en repentons pas, mais osons passer franchement aux seconds.

348. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

Songe et joie dans la jeunesse ; hymne et piété dans les dernières années. […] La jeunesse de Fénelon fit échouer l’ambition de son oncle : un autre ecclésiastique de haute naissance obtint les suffrages. […] Fénelon, rappelé à Paris par l’archevêque, M. de Harlay, fut nommé, malgré sa jeunesse, supérieur des Nouvelles-Converties au catholicisme, dont les persécutions de Louis XIV avaient multiplié le nombre à Paris. […] Ces vers avaient la mollesse et la grâce de la jeunesse ; ils n’avaient pas la virilité de l’âme véritablement poétique.

349. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud, de ceux-là dont il a accueilli l’un des premiers et favorisé la jeunesse, et que moi-même je l’ai assez de fois écouté et vu pour pouvoir ressaisir et définir avec sûreté le genre de distinction de sa personne et le grain de son esprit. […] Michaud lui refuse la gloire ; il nie l’enthousiasme militaire de la jeunesse française, et montre le consul menacé par ses compagnons d’armes et, peu s’en faut, par son armée. […] Il avait volontiers l’œil aux aguets, et n’était pas fâché de croire que la police surveillait ses démarches : cela le reportait à sa date idéale de Fructidor, à l’un des plus doux printemps de sa jeunesse. […] Michaud poète, j’ajouterai cette remarque que je dois à un critique moraliste de ma connaissance : « Il y a des hommes qui n’ont pas assez de poésie pour l’exprimer par le talent et pour en faire preuve dans leur jeunesse : et pourtant cette poésie n’est pas entièrement perdue pour eux.

350. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Le meilleur et le mieux informé de ses biographes, Meister de Zurich, qui avait été pendant des années son secrétaire, et qui l’a peint au naturel avec reconnaissance, nous indique de lui dans sa jeunesse un amour profond et mystérieux pour une princesse allemande qui se trouvait alors à Paris : cette passion silencieuse faillit faire de Grimm un Werther. […] Rousseau, qui commençait à devenir célèbre, le présenta un jour à Mme d’Épinay, aimable et spirituelle femme, très mal mariée, riche, et dont la jeunesse, dénuée de guide, s’essayait alors un peu à l’aventure : M.  […] Grimm, d’ailleurs, était hors de France pendant la très grande partie du séjour de Rousseau à l’Ermitage (1756-1757) ; il avait perdu son ami le comte de Friesen, enlevé dans la fleur de la jeunesse, et le duc d’Orléans s’était chargé de sa fortune. […] À cette époque où nous le voyons et où il est aux dernières années de sa jeunesse, sa froideur apparente cachait mal un reste d’ardeur intérieure, et sa fermeté n’ôtait rien à la délicatesse de ses sentiments.

351. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

Chose étonnante que toute cette première période de la carrière oratoire de Bossuet ait été éclipsée tout entière et comme éteinte aux yeux de la postérité par l’éclat de la seconde période, et que des historiens de Bossuet eux-mêmes, tels que M. de Bausset, se soient figuré qu’elle avait été peu comprise, peu appréciée par les contemporains de la jeunesse du grand orateur ! […] Ignorant en partie ces choses et ne songeant qu’aux tout premiers sermons de Bossuet à Metz, Chateaubriand disait en 1819 : « Bossuet fut, dans sa jeunesse, un des beaux esprits de l’hôtel de Rambouillet.

352. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

S’il n’était dans l’existence de l’homme qu’une seule époque, la jeunesse, peut-être, pourrait-on la vouer aux grandes chances des passions ; mais à l’instant où la vieillesse commande une nouvelle manière d’exister, le philosophe seul sait supporter cette transition sans douleur. […] Comme il est rare d’arriver à la philosophie sans avoir fait quelques efforts pour obtenir des biens plus semblables aux chimères de la jeunesse, l’âme qui pour jamais y renonce, compose son bonheur d’une sorte de mélancolie qui a plus de charme qu’on ne pense, et vers laquelle tout semble nous ramener.

353. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Et des journaux donnent le bulletin de l’état d’âme de la jeunesse française, comme ils donneraient, sous une monarchie, le bulletin de la santé de l’héritier présomptif. […] Tolérez, mes chers camarades, notre maturité et ses circonspections : nous tolérons, nous aimons votre jeunesse et ses ardeurs et ses emportements.

354. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Quimper »

Là est le secret de notre jeunesse. […] Votre jeunesse m’enchante, me soutient.

355. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

Ces chants se conservaient par la mémoire, et passaient d’âge en âge ; on les répétait dans les familles ; on les chantait dans les fêtes ; la veille des batailles ils servaient de prélude aux combats ; ils animaient le guerrier et servaient de consolation aux vieillards ; le héros qui ne pouvait plus combattre, assis sous le chêne, entendait chanter les exploits de sa jeunesse, et il était entouré de ses fils et de ses petits-fils, qui, appuyés sur leur lance, écoutaient en pleurant les actions de leurs pères. […] J’ai cinquante et une fois élevé l’étendard des batailles ; j’ai appris dans ma jeunesse à teindre une épée de sang ; mon espérance était alors qu’aucun roi, parmi les hommes, ne serait plus vaillant que moi.

356. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Il rend grâce à cette jeunesse puissante qui a porté aide et faveur à l’ouvrage d’un jeune homme sincère et indépendant comme elle. […] Hugo touche à une heure décisive ; il a maintenant trente-six ans, et voici que l’autorité de son nom s’affaiblit de plus en plus… Lors même que l’auteur des Orientales s’enfermerait obstinément dans le système littéraire qu’il a fondé, et soutiendrait que la terre finit à l’horizon de son regard, son passage dans la littérature contemporaine mériterait cependant d’être signalé, sinon comme une ère de fécondité, du moins comme une crise salutaire… L’auteur, malgré sa jeunesse, appartient dès à présent à l’histoire littéraire. […] José-Maria de Heredia La gloire t’a donné la jeunesse immortelle. […] S’il n’a pas la fermeté magistrale, la certitude d’exécution souveraine, qui marquèrent bientôt toutes ses œuvres, il a le charme de la jeunesse, son enthousiasme ardent et tendre, une candeur grave, une foi profonde, la fleur du génie. […] Pour mon compte, je ne puis les entendre sans que toute ma jeunesse me passe sur la face, ainsi qu’une caresse.

357. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Par là, il a mené la muse parmi des chemins neufs, dans les laboratoires et les usines, et lui a dicté des paroles durables (Le Poème de la Jeunesse ; la Chanson des Hommes). […] Francis Jammes n’a rien de commun avec la jeunesse d’aujourd’hui, il n’a pas d’âme, pas de syntaxe, pas d’ardeur. […] — Cette poésie humaine, caractéristique des tendances de la jeunesse, de l’écrivain qui le premier avait voulu concilier les rythmes nouveaux avec l’expression de la vie, M.  […] Souchon pleura comme Ovide le lumineux mirage des villes d’or enfuies et de sa jeunesse errante parmi ces paysages de cinabre que Cézanne exalta par des toiles immortelles. […] Partout ailleurs, son vers résonne d’un timbre qu’il emprunte à cette épigraphe de Taine : “l’antiquité est la jeunesse du monde”. — On dirait une transposition de la poésie grecque, avec parfois une attitude de Chénier, une intonation de Keats.

358. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Son enfance pure fut suivie d’une adolescence pieuse et d’une jeunesse déjà à l’avance consacrée. […] Il n’avait pas été témoin, mais il avait vu et interrogé des témoins ; il avait fait parler le prélat lui-même : il écrit comme quelqu’un qui porte un sentiment d’enthousiasme et de vie dans ces choses d’autrefois qu’il veut rendre ; on a par lui le mouvement et comme le coloris de cette jeunesse de Bossuet. […] Bossuet n’a rien d’un homme de lettres dans le sens ordinaire de ce mot ; ayant de bonne heure connu ces triomphes de la parole qui ne laissent rien à désirer en satisfactions immédiates et personnelles (s’il avait été disposé à les savourer), s’étant dès sa jeunesse senti de niveau avec la haute renommée qui lui était due, naturellement modéré, et avec, cela habitué à tout considérer du degré de l’autel, on ne le voit rechercher en rien les occasions de se produire par la plume et de briller.

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