Et toujours la même plainte monte à ses lèvres, et toujours il recommence à « bâiller sa vie. » À ce caractère était jointe une intelligence, en somme, distinguée. […] De cette intelligence résultait un libéralisme, relatif et limité, mais réel. […] Mais l’intelligence et l’esprit restèrent toujours des parties secondaires de sa nature, tout à fait sous la domination du caractère et de l’imagination. […] En un mot, avec une intelligence qui était plutôt au-dessus de la moyenne. il n’a que des idées médiocres, superficielles et surtout arbitraires. […] En vertu même de ce caractère, la forme de l’intelligence, en Chateaubriand, n’est pas philosophique ou scientifique, mais artistique.
Discerner les étapes de l’humanité, leurs conditions, leur succession, ce serait deviner un peu le rythme de l’intelligence humaine et nous mettre en garde contre le gaspillage insensé de nos vies. […] C’est donc avec les réserves les plus prudentes que j’esquisse quelques étapes : l’homme primitif, loin d’être libre, était totalement asservi aux lois les plus dures de la nature physique, au droit du plus fort ; par l’invention des armes et des outils, première application de son intelligence, il commence son émancipation ; par la religion, il essaie de vaincre les instincts de la bête ; puis il conquiert peu à peu, sous des formes très diverses et toujours relatives, la liberté de la personne, de la conscience, les droits politiques, l’indépendance économique… C’est-à-dire : tandis que les groupes vont grandissant peu à peu dans l’espace, les principes s’en vont à une conception toujours plus vaste de la liberté. […] J’ai déjà dit et je ne crains pas de répéter que le principe, étant une vision partielle de l’idéal, implique logiquement la totalité de cet idéal, en théorie ; mais en pratique, la perception du principe est un fait individuel ; elle est plus ou moins nette selon le degré d’intelligence, de culture de l’individu ; elle dépend aussi de la mentalité et des intérêts actuels des groupes de contiguïté. […] Il ne faut pas ramener la nature infinie au niveau de notre savoir et de notre intelligence ; c’est à nous de nous hausser jusqu’à elle, même sans espoir de réussir ; dans cette lutte de l’homme avec le sphinx, il n’y a pas de honte à être vaincu ; la honte est de fuir. […] L’influence de l’éducation et du milieu, la prudence imposée par les nécessités diverses de la vie, l’inertie inhérente à la nature humaine, les limites des intelligences, le poids de la tradition, tout cela suffit à expliquer pourquoi la majorité se soumet, d’une façon ou de l’autre, à la puissance d’un principe pourtant incomplet, forcément unilatéral ; ce principe impose l’accord essentiel ; les accents personnels en sont des variations ; variations du plus grand intérêt ; il y a là de quoi reprendre, d’un point de vue nouveau, presque tous les chapitres de l’histoire littéraire.
Paul Bourget a incontestablement ce talent : un talent fait d’une intelligence supérieure, et où l’intelligence se force jusqu’à la représentation un peu arbitraire, artificielle, de la vie. […] Mais quelle fougue et quelle intelligence de la passion chez un musicien, dans le reste de ce Buisson ardent. […] Et pourtant il faut reconnaître que la primauté reste à l’intelligence : tant que l’auteur sent, il cherche à comprendre. Nous assistons à l’auscultation d’une sensibilité suraiguisée par une intelligence merveilleusement perspicace. […] Chez lui, l’intelligence tout court a pris le pas sur l’intellectualisme, aux dépens de la création romanesque — pour le moment.
C’est qu’avant tout, intelligence autoritaire, en prenant parti pour les gouvernements, en choisissant cette cause qu’il a indissolublement épousée, c’était leur autorité qu’il voulait sauver ou défendre et qu’il a souvent défendue même contre eux ; car le pouvoir des lâches temps que nous avons traversés a eu d’effroyables pentes au suicide, et bien souvent il a mêlé imbécilement sa main à celle de ses ennemis pour se frapper. […] Nous avons montré jusqu’où cette intelligence avait pénétré et aussi où elle s’était arrêtée. […] L’historien des Classes nobles eut ses jours de thèse et de systèmes, et ces jours-là furent brillants ; mais, quels qu’eussent été le mouvement et la fécondité d’un esprit qu’il voulait, comme de très grandes intelligences l’ont voulu, trouver les moules de ses idées dans l’histoire, ce n’est pas cependant par cette manière de la comprendre et de l’écrire qu’il fût arrivé à l’emploi juste et vrai de ses facultés. En restant dans cette voie, s’il y fût resté, Granier de Cassagnac n’aurait été qu’un homme de lueur et d’à peu près, un esprit ingénieux plus ou moins profond, une intelligence à l’allemande, n’importe sous quel degré de longitude et de latitude cette intelligence fût-elle née, enfin un de ces esprits qui s’appellent Niebuhr dans l’en-haut, Boulainvilliers dans l’en-bas, et dans le bleu tout à fait (comme dit Tieck), si on peut jusque-là, Vico ou Ballanche. […] Dans ce livre, qui tout de suite le classa comme intelligence historique, on trouva bien encore çà et là l’homme de la thèse et de la jeunesse, que la nouveauté de l’aperçu tentait… et qui succombait à la tentation.
Il remonte, pour nous instruire, jusqu’à l’origine des sociétés ; et, suivant sa fantaisie, il nous développe une sorte de mythe à la façon de Platon, qui est comme le rêve d’une intelligence raisonnable et optimiste. […] L’histoire est traitée par la méthode des sciences physiques : aucune intelligence n’est supposée conduire le peuple romain vers un but, et pourtant les choses ne vont pas au hasard ; le développement de la puissance romaine, sa décadence ensuite se font nécessairement, logiquement, chaque état passager contenant l’état suivant, que le jeu naturel des circonstances se charge de dégager. […] Mais, sans la récente publication de quelques opuscules inédits, on ne verrait pas bien l’importance réelle de cette période scientifique de la vie de Montesquieu ; on ne se douterait pas de l’absolue domination possédée pendant un temps sur son intelligence, par l’esprit et les principes des sciences physiques et qu’une sorte de déterminisme naturaliste a précédé chez lui le mécanisme sociologique. […] L’Esprit des Lois répondait exactement au besoin des intelligences.
Il y prend part de son bras ; il en jouit aussi avec l’intelligence d’un guerrier qui entre dans les calculs du chef et qui comprend avec enthousiasme ce genre d’idéal : une géométrie sublime et vaste qui ne se réalise à chaque instant que par l’héroïsme. […] On s’occupa de tout remonter, et l’opinion de l’armée me récompensa de ce succès. — Toutes ces dispositions, dit Napoléon à son tour, se firent avec tant d’intelligence par les généraux d’artillerie Gassendi et Marmont, que la marche de l’artillerie ne causa aucun retard. […] Il a trop de ressort, trop de fierté naturelle d’intelligence, pour se prêter, même avec d’autres que Brune, à ces rôles à la fois intimes et secondaires. […] Et moi, je crois qu’il faut dire, en embrassant toute la condition humaine : « Il est mieux qu’il ait vécu pour montrer ce que peut le malheur, la force des circonstances, une certaine fatalité s’attachant, s’acharnant à plus d’une reprise à une belle vie, un cœur généreux ressentant l’outrage sans en être abattu, sans en être aigri, et finalement une belle intelligence trouvant en elle des ressources pour s’en nourrir et des résultats avec lesquels elle se présente aujourd’hui, en définitive, devant la postérité. » 1.
Après des années, c’est par cet ouvrage sur son pays, sur l’Allemagne, que Henri Heine, mûri par la réflexion et par la souffrance, nous introduit à ses œuvres complètes, à l’ensemble de ses pensées, et voilà que nous trouvons, mêlés à un talent suprême, de telles modifications, de tels changements dans le fond même des choses et de l’intelligence, que la Critique — cette jaugeuse des forces spirituelles, qui met la main sur la tête et le cœur des hommes à travers les œuvres, — est obligée de s’y arrêter. […] Si j’avais été un homme sensé, mon intelligence aurait succombé, mais fou comme j’étais, le contraire eut lieu, et, chose curieuse ! […] C’est Bonald, le grand Bonald, à présent dédaigné, mais qui un jour reprendra d’autorité, si le monde n’est pas irrémédiablement assotti, le respect immense qu’on lui doit ; c’est Bonald qui définissait superbement l’homme : « Une intelligence servie par des organes. » Eh bien, Henri Heine a montré plus superbement encore que Bonald lui-même ne l’avait dit, que l’intelligence pouvait se passer même des organes !
Quand on a déporté Dieu dans les culs de basse-fosse de l’intelligence, on se lave les mains et on affirme que l’on n’a rien fait contre lui. […] À ne prendre la chose qu’à son point de vue exclusivement philosophique, une thèse pareille, dangereuse par cela seul qu’elle est compréhensible aux intelligences les plus basses, n’est, après tout, qu’une pauvreté. […] … »« L’intelligence la plus claire et la plus pénétrante, ajoute-t-il ailleurs, fut le partage de l’homme au commencement », ce qui est vrai pour nous qui croyons à la Chute, ce qui est faux pour lui qui n’y croit pas et qui invente aujourd’hui un progrès abécédaire où rien n’est acquis ; où, plus on recule, plus on avance, et où il faut remonter à l’origine de tout pour avoir seulement quelque chose ! […] Dans le mal, on a vu plus fort, soit comme action, soit comme intelligence ; nous avons eu Vergès et Stendhal, et il ne viendra qu’après eux.
Par lui, les grandes phases de l’histoire des nations, les monuments de leurs lois, la série des législateurs et des philosophes, tout ce que le travail continu des siècles a apporté d’indestructibles matériaux à l’édifice du nôtre ; par lui, tout ce fortifiant spectacle n’a cessé de se dérouler aux regards des jeunes intelligences que la vue seule du présent pouvait décourager ou irriter outre mesure : leur devancier à peine de dix ans, l’ardent professeur les a constamment échauffées pour la science et pour l’avenir. […] C’est à l’intelligence et au travail des générations qui surviennent d’y pousser vigoureusement et sans violence, de mener à bien l’œuvre tant de fois coupée et toujours reprise. à chaque halte nouvelle, de nouvelles questions surgissent et se dessinent.
Quant aux figures dépensées, ou figures de passion, d’imagination, de raisonnement, elles ont été en général constituées par des grammairiens et des rhéteurs, qui, regardant le discours par le dehors, ont pris pour adresse de langage ce qui était le mouvement naturel de l’intelligence et de l’âme. […] L’idée se matérialise en quelque sorte, et, même avant l’intelligence, la voix seule et l’oreille marquent et sentent l’antithèse.
Elle est la grâce des intelligences vraiment libres. […] Elle est la charité de l’intelligence.
Paul Ginisty J’arrive aux chercheurs d’une formule nouvelle qui, malgré les railleries, continuent à donner des vers d’une intelligence difficile pour les profanes. […] Et il procède avec intelligence, combinant bien les faibles et les fortes ; seulement il se maintient trop dans l’atmosphère pure du lyrisme, oh détonne cet accent de prose qu’il indique pourtant expressément par la suppression de la capitale initiale, mais qu’il semble pourtant encore démentir par cette autre suppression des détails de la ponctuation.
En nous en tenant à la conception courante qu’on se fait de l’intelligence, les principaux leaders-dadas sont intelligents, voire très intelligents. […] Ce sens critique et cette intelligence les ont toujours fait côtoyer les bonnes tendances, mais leur manque absolu de possibilités constructives les a maintenus dans l’équivoque de ces tendances. […] Cependant, cette intelligence, cette culture, cette finesse, ce sens critique, ne sauraient être pris comme des facteurs suffisants pour leur accorder une responsabilité plénière. […] On sait des fous dans des asiles qui conduisent leur folie avec la même logique et qui ne sont pas dépourvus d’intelligence, de culture, de finesse et de sens critique. […] Lautréamont commençait une œuvre, puis s’exaltait et la continuait dans une sorte de frénésie de l’intelligence.
Dès l’âge de quatre ans, la jeune Amable faisait preuve d’une grande intelligence et d’une surprenante mémoire ; elle avait pour la lecture une véritable passion, et il lui fallait cacher les livres qu’elle dévorait. […] La précision même des détails nuit peut-être à une plus libre intelligence ; l’auteur suit trop pas à pas son chemin ; on s’aperçoit bien qu’on n’a point avec lui affaire à une pure fantaisie, mais on ne sait trop où il en veut venir. […] Après la perte de son mari, elle est allée rejoindre jusque dans l’Orient son fils unique, qui y remplissait des fonctions consulaires : elle est, après des années, revenue en France, la vue affaiblie, sentant le poids de l’âge, étrangère aux vains bruits, aux agitations de la vanité, et ne demandant de consolation qu’à la famille, à l’amitié, aux choses du cœur et de l’intelligence.
Considérées sous leur aspect intellectuel, les sensations musculaires « sont très importantes au point de vue de la connaissance ; d si à un poids de quatre livres que nous tenons dans la main, on en ajoute un autre, l’état de conscience change : ce changement d’état, c’est la discrimination (faculté de discerner), et c’est le fondement de notre intelligence. […] III Avant de pénétrer dans une région plus élevée de la psychologie, en allant des sensations à la pensée, il nous reste à passer en revue, d’une manière aussi complète que possible, tous les phénomènes qui sont la matière brute de l’intelligence et de la volonté. […] Pris dans leur ensemble, ils constituent tout un ordre de dispositions primitives, toute une structure primordiale qui sert de base à ce que l’être humain deviendra plus tard, au développement du sentiment, de la volition et de l’intelligence.
Et, comme de telles intelligences sont toujours complètes, on sent dans le drame un d’Eschyle se mouvoir toute la liberté de la passion, et dans le drame répandu de Shakespeare converger tous les rayons de la vie. […] Toute cette ombre vivante et mourante remue, ces larves agonisent, la mère manque de lait, le père manque de travail, les cerveaux manquent de lumière ; s’il y a là dans ce dénuement un livre, il ressemble à la cruche, tant ce qu’il offre à la soif des intelligences est insipide ou corrompu. […] Car il est beau, sur cette terre sombre, pendant cette vie obscure, court passage à autre chose, il est beau que la force ait un maître, le droit, que le progrès ait un chef, le courage, que l’intelligence ait un souverain, l’honneur, que la conscience ait un despote, le devoir, que la civilisation ait une reine, la liberté, et que l’ignorance ait une servante, la lumière.
L’hypothèse qui ferait de l’intelligence de tous les hommes sans exception une sorte de réfraction ou de diffraction de la mienne propre, cette hypothèse suivant laquelle les pensées d’un Newton ou d’un Laplace seraient encore mes propres pensées, même lorsque je suis absolument incapable de les comprendre, une telle hypothèse, si contraire au sens commun, n’a jamais été explicitement, que je sache, soutenue par aucun philosophe. […] Si au contraire on prétend que c’est, non pas l’étendue réelle qui est en Dieu, mais ce qu’il y a d’essentiel, d’intelligible, d’idéal dans l’étendue corporelle, on est amené par la même considération à avancer que c’est non pas l’intelligence elle-même qui est en Dieu, mais ce qu’il y a d’essentiel et d’absolu dans l’intelligence.