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493. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — I »

Je me déclare incapable d’exprimer avec convenance l’admiration que m’inspire cette incomparable imagination philosophique, et surtout de retracer avec l’ordonnance nécessaire le développement de cet esprit volontaire qui voua un culte si fiévreux à la logique.‌

494. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre I. Introduction. Trois sortes de natures, de mœurs, de droits naturels, de gouvernements » pp. 291-295

Du reste, la nature des premiers hommes était farouche et barbare ; mais la même erreur de leur imagination leur inspirait une profonde terreur des dieux qu’ils s’étaient faits eux-mêmes, et la religion commençait à dompter leur farouche indépendance.

495. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

Mais ce peuple est en partie retenu dans l’état héroïque par une religion pleine de croyances effrayantes, et dont les dieux tout couverts d’armes menaçantes inspirent la terreur.

496. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Songez qu’avant Marot la pensée de la mort n’inspire jamais, même à Villon, que l’effroi, l’horreur tragique, un beau frisson, mais un frisson seulement. […] Il était l’homme croyant, passionné de foi, se détournant des hommes jugés impurs ou tièdes et criant à Dieu : « Inspire-moi !  […] Nos nouveaux docteurs sont, dites-vous, inspirés de Dieu. […] La terreur de Dieu, c’est beaucoup plus ce qu’il inspire, et si, par certains côtés, il paraît plus chrétien que biblique, par celui-ci il paraît plus biblique que chrétien. […] Il n’y a pas de poème plus inspiré de la littérature latine, même plus copié sur elle que le Roman de la Rose.

497. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Nous venons de citer Apémantus, égoïste cynique, et Timon, dont la vanité inspire la misanthropie comme elle inspira sa libéralité ; vient ensuite Alcibiade, jeune débauché, qui n’hésite pas à sacrifier sa patrie à ses vengeances particulières. […] En général, l’intérêt qu’inspire la tragédie de Cymbeline, est d’une nature douce et mélancolique plutôt que tragique. […] Il composait ses pièces selon que telle ou telle circonstance lui en fournissait l’idée, lui en inspirait la fantaisie, ou lui en imposait la nécessité, ne se souciant guère de la chronologie des sujets ni de l’ensemble que tels ou tels ouvrages pouvaient former. […] Aucun de ces trois courages ne s’exprime de même ; mais tout cède à celui de Hotspur, auquel la teinte comique qu’a reçue son caractère n’ôte rien de l’intérêt qu’il inspire. […] Ces tableaux sont sans doute d’une vérité frappante et abondent en traits comiques, mais la vérité n’est pas toujours assez loin du dégoût pour que le comique nous trouve alors disposés à toute la joie qu’il inspire ; et les personnages sur qui tombe le ridicule ne nous paraissent pas toujours valoir la peine qu’on en rie.

498. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Cette beauté sévère, à peine plastique, mais qui se souvient et s’inspire de la nature, reste isolée dans notre littérature non pas précisément comme un but, mais comme une précieuse indication directrice. […] Depuis qu’il ne peut plus compter sur l’espèce de certitude que respire et inspire l’âme des foules, avec laquelle jadis il collaborait, il lui faut trouver en soi des motifs de croire, une raison de penser qu’il ne se trompe point : nul meilleur moyen que d’utiliser l’ennemi naguère intrus dans la maison, de lui assigner son rôle, d’en faire un allié. Quand il inspira au grand Goethe son immortel Faust, il n’était déjà plus adolescent, l’esprit critique ; il avait assez tourmenté déjà tout ce tendre et féroce moyen âge en dépit de ses naïvetés rouges et bleues ; il avait assez longtemps grimacé aux gargouilles des cathédrales et ricané dans les contes. […] Les peintres — la France de Puvis de Chavannes et de ses innombrables imitateurs, après l’Angleterre de Burne Jones et de Rossetti — s’inspirent des Préraphaélites, des Primitifs, avec prédilection. […] Voyez le rôle que la personnalité du Christ a repris dans la poésie sous toutes ses formes, depuis qu’on l’a rapproché de nous. — Voyez en musique les plus grands artistes s’inspirer avec prédilection de cette figure tendre et pensive en des chefs-d’œuvre comme « l’Enfance du Christ » de Berlioz, le « Parsifal » de Wagner, « les Béatitudes » de César Franck (pour ne citer que ceux-là). — Voyez en peinture : là le mouvement va jusqu’à l’excès, voire jusqu’à la caricature, et l’on ne peut plus compter les exemplaires de la peinture religieuse ramenée aux proportions humaines, qui fait la plus singulière caractéristique des salons annuels. — Voyez en littérature, voyez même au théâtre.

499. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

À un certain point de vue sans doute, c’est un plaidoyer politique ; mais à un autre point de vue, c’est un arrêt buriné par la plume d’un historien inspiré. […] Il a dans la physionomie quelque chose du hiérophante inspiré. […] Son esprit abandonna la politique où il ne pouvait réaliser sa théorie, et où il ne voulait pas devenir l’instrument d’une théorie toute-puissante dont l’origine plaisait peu à son intelligence et dont l’avenir lui inspirait des doutes. […] Mais ils n’ont pu cependant détruire par tant de copies les beautés primitives et inspirées de l’original. […] Cuvier, ce savant illustre, trouvera pour louer le poëte, à son entrée à l’Académie, une âme et une imagination de jeune homme ; M. de Lamartine à son tour s’inspire des leçons de M. 

500. (1913) Poètes et critiques

Depuis cette initiation, quand j’ai bu un noir breuvage, je suis comme inspiré, et de ma bouche muette il sort toute espèce de paroles et de vers. » Je n’ai pas besoin d’insister sur la supériorité de l’imitation. […] Et toutefois, qu’ils le sachent aussi, cette œuvre inspirée est antique. […] Que sa bonté, que sa volonté de faire le bien l’inspiraient heureusement ! […] Elle doit ajouter encore aux sentiments de haute estime, — n’hésitons pas à dire de respect, — qu’inspire, à ceux qui savent lire, toute l’œuvre de Victor Giraud. […] Inspiré par Baudelaire, Verlaine a dû inspirer Richepin.

501. (1893) Alfred de Musset

Que je t’aie inspiré de l’amour ou de l’amitié, que j’aie été heureuse ou malheureuse avec toi, tout cela ne change rien à l’état de mon âme à présent. […] Il devint clameur à l’entrée en scène du complice — bien innocent, le pauvre garçon — du débordement de romantisme inspiré par la place Saint-Marc et l’air fiévreux des lagunes. […] Ce ne fut pas long ; mais le peu que j’avais conservé m’inspira un certain respect. […] En d’autres termes, à s’en tenir à l’essence des choses, « le romantisme, c’est le lyrisme », et la définition a l’air d’avoir été inspirée par Musset, tant elle s’applique exactement à lui. […] Musset a toujours vu les Ninon et les Ninette de la réalité avec les yeux d’un croyant, et elles lui ont inspiré en récompense la partie la plus pure de son œuvre.

502. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

J’offre le Cosmos, qui est une description physique du monde, avec la timidité que m’inspire la juste défiance de mes forces. […] S’il m’était permis d’interroger ici mes plus anciens souvenirs de jeunesse, de signaler l’attrait qui m’inspira de bonne heure l’invincible désir de visiter les régions tropicales, je citerais : les descriptions pittoresques des îles de la mer du Sud, par George Forster ; les tableaux de Hodges représentant les rives du Gange, dans la maison de Warren Hastings, à Londres ; un dragonnier colossal dans une vieille tour du jardin botanique à Berlin. Ces exemples se rattachent aux trois classes signalées plus haut, au genre descriptif inspiré par une contemplation intelligente de la nature, à la peinture de paysage, enfin à l’observation directe des grandes formes du règne végétal. […] Paul et Virginie m’a accompagné dans les contrées dont s’inspira Bernardin de Saint-Pierre ; je l’ai relu pendant bien des années avec mon compagnon et mon ami M. 

503. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Leurs temples sont trois fois hauts comme le tien, ô Eurythmie, et semblables à des forêts ; seulement ils ne sont pas solides ; ils tombent en ruine au bout de cinq ou six cents ans : ce sont des fantaisies de barbares, qui s’imaginent qu’on peut faire quelque chose de bien en dehors des règles que tu as tracées à tes inspirés, ô Raison. […] Législatrice, source des constitutions justes ; Démocratie 6, toi dont le dogme fondamental est que tout bien vient du peuple, et que, partout où il n’y a pas de peuple pour nourrir et inspirer le génie, il n’y a rien, apprends-nous à extraire le diamant des foules impures. […] On le respectait ; mais cette obstination à marcher seul dans sa voie inspirait une certaine crainte ; si bien que le jour où on le trouva mort sur le sol de sa cabane, la terreur fut grande alentour. […] L’orgueil sacerdotal, peut-être le sentiment du devoir, inspira au prêtre une étrange conduite.

504. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Mais, pensai-je alors, tant de délicatesse, tant de grâces, cette peinture si attachante de mœurs qui nous donnent l’idée du peuple le plus poli, le plus moral et le plus spirituel de la terre, et qui nous inspirent l’envie d’aller chercher le bonheur près de lui ; tout cela, pensai-je, est-il bien dans l’original indien ? […] La Bibliothèque du roi possédait bien à la vérité un essai informe de grammaire, un manuscrit composé, à ce que je crois, par quelque missionnaire portugais, mais ne renfermant que le simple paradigme du verbe substantif, le tableau des déclinaisons, une partie du vocabulaire d’Amara, et une liste des dhatous ; le tout fourmillant d’erreurs les plus grossières, et beaucoup plus propre à effrayer qu’à inspirer l’envie de déchiffrer cet horrible fatras, et de chercher la lumière dans cet écrit ténébreux. […] Porté sur un char aussi rapide que l’est dans son vol Souparna, la célèbre monture de Vichnou s’enfonça bientôt sous des ombrages impénétrables à la lumière, séjour où tout inspirait une religieuse terreur. […] Depuis que mes yeux se sont portés sur cet étranger, j’éprouve une émotion tout à fait contraire au calme parfait que devrait seule inspirer cette sainte retraite !

505. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Cette poésie tend aussi à inspirer l’héroïsme, mais un héroïsme qui n’a rien de la fougue, de la brutalité et de la férocité des héros sauvages de la Grèce, de Rome, de la Germanie ; c’est l’héroïsme calme, généreux, supérieur à sa propre colère, protégeant le faible, sorte de chevalerie religieuse et philosophique découverte en germe dans les épopées ou dans les drames de l’Inde primitive. […] — « Voyez cet autre tableau », lui dit Sita ; « il représente l’instant où vous vous revêtez de l’habit de pénitence parmi les saints cénobites. » — « Oui », réplique le héros, « cet état de vie austère que les anciens rois de notre race adoptaient pour se sanctifier quand ils avaient abdiqué l’empire en faveur de leurs enfants, nous l’avons adopté à la fleur de notre âge, nous avons été heureux de languir dans ces ermitages au fond des forêts, pour nous former à la sagesse sous des maîtres inspirés des dieux. […] Affligé à ce triste spectacle, le sage exhala par des mots son indignation, et, inspiré par la déesse de l’éloquence, il exprima sa pensée dans un distique improvisé : « N’espère point, barbare, prolonger tes jours, toi dont la main a pu frapper un coup si cruel, et détruire un innocent oiseau qui a trouvé la mort quand il ne songeait qu’à l’amour. » — Mais, reprend la nymphe, qu’est-il survenu à l’infortunée Sita depuis qu’elle a été conduite dans la forêt ? […] « Pieux solitaire », répond-il, « je n’ai plus qu’une prière à vous adresser : Puissent les chants inspirés qui célèbrent cette histoire charmer et purifier les âmes des spectateurs !

506. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Mais il est une forme d’encouragement à la fois bien noble et plus accueillante, et qui s’inspire de l’esprit de confraternité pour faire appel à tous, — bien réellement à tous, sans acception d’idées, de systèmes, de genres littéraires ; et ne demandant que cette moralité saine qui vient de l’âme, et la marque du talent. […] L’auteur est évidemment de ceux chez qui le goût s’inspire aux sources de l’âme.

507. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Mais si elle se tait volontiers, tous ses amis parlent et viennent tour à tour lui dire ce qu’ils pensent, ce qu’elle inspire, et témoigner de leurs sentiments avec une conformité profonde, avec un accord fondamental sous la variété des tons ; c’est tout un concert autour d’elle. […] Le trait distinctif et caractéristique de Mme Récamier est d’avoir inspiré de l’amour, un amour très vif, à tous ceux qui la virent et la cultivèrent, et, en ne cédant à aucun, de les avoir conservés tous, ou presque tous, sur le pied d’amis. « Il n’y a guère que vous dans le royaume, écrivait Bussy à sa charmante cousine, qui puissiez réduire un amant à se contenter d’amitié. » Mme Récamier, plus belle, et d’une beauté plus irrésistible, que Mme de Sévigné, peut-être aussi un peu plus coquette et plus irritante au temps de ses élégances, eut bien plus à faire qu’elle pour réduire ensuite au devoir et à la douceur d’un commerce uni ceux qu’elle enflammait.

508. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Il faut paraître confiant quand on est inquiet, dur envers le soldat, quand souvent il n’inspire que de la pitié ; il faut enfin avoir un visage qui ne soit point le miroir de son cœur. […] Autre vertu : sentiment touchant de confraternité d’armes, sainte amitié des camps, qu’il ressent vivement et qu’il a inspirée.

509. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

J’ai sous les yeux de jolies vignettes sorties du facile et spirituel crayon de Tony Johannot ; c’est le côté comique et gai, uniquement, qui est rendu, mais la dignité du héros, ce sentiment de respect sympathique qu’il inspire jusque dans sa folie, cette imagination hautaine qui n’était que hors de propos, qui eût trouvé sans doute son emploi héroïque en d’autres âges, et, comme on l’a très-bien nommée, « cette grandesse de son esprit et cette chevalerie de son cœur », qu’il sut conserver à travers ses plus malencontreuses aventures et qu’il rapporta intactes jusque sur son lit de mort, cela manque tout à fait dans cette suite agréable où l’on n’a l’idée que d’une triste et piteuse figure, et c’est au contraire ce que M.  […] Quoi qu’il en soit de ce dernier projet qu’on lui a prêté et par où il eût renouvelé Spartacus, il fit preuve, durant cette longue captivité, des plus hautes qualités viriles qui imprimèrent une admiration reconnaissante au cœur de ses compagnons et qui inspirèrent du respect à ses maîtres.

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