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689. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VI. Architecture. — Hôtel des Invalides. »

Un paysage paraît-il nu, triste, désert, placez-y un clocher champêtre : à l’instant tout va s’animer : les douces idées de pasteur et de troupeau, d’asile pour le voyageur, d’aumône pour le pèlerin, d’hospitalité et de fraternité chrétienne, vont naître de toutes parts. […] quelle beauté dans cette cour, qui n’est pourtant qu’un cloître militaire où l’art a mêlé les idées guerrières aux idées religieuses, et marié l’image d’un camp de vieux soldats, aux souvenirs attendrissants d’un hospice ! […] Dans les avant-cours, tout retrace l’idée des combats : fossés, glacis, remparts, canons, tentes, sentinelles.

690. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Avec quelle énergie l’idée se démène ! […] A l’adoration de l’idée succède le culte du fait. […] S’il était possible que le lecteur ne s’aperçût point qu’il y a des mots entre vos idées et lui, et ne vît que les idées, votre style serait parfait. […] A mon avis, en musique comme en littérature, l’idée vaut mieux que la sonorité, et le sentiment vaut mieux que l’idée. […] quelle étroitesse d’idées !

691. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Il cache son tempérament intime, les mouvements de sa sensibilité, s’il en a : il ne doit offrir à la société que ce qu’il a de commun avec elle, et de communicable, sa raison, ses idées. […] La cour enfonce dans les esprits l’idée qu’un dévot est un habile homme : sinon, il ne serait qu’un niais. […] L’idée de la fonction sociale de la royauté s’efface : on ne voit plus que l’exploitation de tous par un seul, le sacrifice de tous les intérêts aux passions d’un seul. […] On élimina partout le réel et le concret, et l’on n’opéra que sur des idées. […] Elle voit dans toute l’Europe ses idées, sa langue, ses œuvres répandues, admirées, imitées : la culture aristocratique est la même chez tous les peuples civilisés, et cette culture est française.

692. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Il se moquait de la malencontreuse idée que la Comédie eut un jour de mettre en action le dénouement d’Iphigénie. […] Le malheur de Voltaire fut de n’avoir pas assez de génie pour exécuter ses idées. […] Il a l’idée de ce que rendront en scène chaque fait, chaque état moral : la douleur chrétienne de Lusignan, par exemple. […] En dépit des inventions de Voltaire, elle se vidait d’idées. Il sentit plus ou moins obscurément le danger : il jeta dans le moule tragique ses idées philosophiques, et toutes les formules analytiques de la pensée abstraite.

693. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre III. Éducation de Jésus. »

Il n’eut aucune idée précise de la puissance romaine ; le nom de « César » seul parvint jusqu’à lui. […] La négation du miracle, cette idée que tout se produit dans le monde par des lois où l’intervention personnelle d’êtres supérieurs n’a aucune part, était de droit commun dans les grandes écoles de tous les pays qui avaient reçu la science grecque. […] L’homme étranger à toute idée de physique, qui croit qu’en priant il change la marche des nuages, arrête la maladie et la mort même, ne trouve dans le miracle rien d’extraordinaire, puisque le cours entier des choses est pour lui le résultat de volontés libres de la divinité. […] Jésus, comme tous les hommes exclusivement préoccupés d’une idée, arrivait à tenir peu de compte des liens du sang. […] » Bientôt, dans sa hardie révolte contre la nature, il devait aller plus loin encore, et nous le verrons foulant aux pieds tout ce qui est de l’homme, le sang, l’amour, la patrie, ne garder d’âme et de cœur que pour l’idée qui se présentait à lui comme la forme absolue du bien et du vrai.

694. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Les faits y sont, mais j’aurais voulu plus d’idées. […] Je ne crois pas que depuis que la sagesse d’un temps profondément matérialiste, et qui, par-dessus le marché, se donne les grands airs d’être athée, a supprimé d’un trait cette capucinade de l’enfer chrétien qui fut la terreur de tout le Moyen Âge, il y ait dans la conscience humaine une idée plus féconde en terreur, une idée pareille à celle d’être enterré vivant ! […] Le pauvre Edgar Poe l’a poussé comme Pascal ; Edgar Poe, organisé comme Pascal, mais dans un milieu différent, qui eut horreur de cet enfer du matérialisme d’être enterré vivant, comme Pascal avait horreur de l’autre enfer ; Edgar Poe, qui eut le cerveau timbré de cette terrible idée, qui en timbra ses œuvres, qui en timbra sa vie, et qui en mourut fou plus encore que du delirium, tremens ! […] Le docteur Favrot, qui ne trouve pas que ce soit tout à fait assez que cela, lance, vers la fin de son ouvrage, l’idée des chambres mortuaires de l’Allemagne ; mais il ne nous les décrit pas, ne les examine point, et n’ajoute rien à cette idée de chambres mortuaires, avec leur système plus ou moins ingénieux de sonnettes, correspondant, comme on le sait sans le docteur Favrot, aux doigts du mort, et mises en vibration au moindre mouvement qui s’éveillerait dans le cadavre. […] pas une idée au compte du docteur Favrot, pas une initiative de cet esprit vif et allègre qui aime d’ordinaire à grimper à la difficulté et qui n’en craint pas l’escarpement !

695. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Celui qui fait les premiers pas est libre ; il n’obéit qu’à son talent, et au cours de ses idées qui l’entraînent. […] On peut appliquer une partie de ces idées aux orateurs qui, sous Louis XIV, après Fléchier et Bossuet, composèrent des éloges funèbres, et qui, avec de grands talents, n’ont cependant obtenu dans ce genre que la seconde place. […] Toutes les expressions de l’un sont des tableaux ; l’autre, sans coloris, donne trop peu d’éclat à ses idées. […] On ne peut lire plusieurs morceaux de ce discours, et la fin surtout, sans attendrissement ; mais, ce qu’on ne croirait pas, c’est que dans un éloge funèbre du duc de Bourgogne, il se trouve à peine un mot qui rappelle l’idée de Fénelon. […] Le plus souvent il jette et abandonne ses idées sans s’en apercevoir, et l’expression naît d’elle-même.

696. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Rousseau, et c’est ce que soutient déjà La Fontaine, et je ne vois pas trop qui a présenté cette idée avant lui. Vous me direz que mon information est bornée, j’en conviens, mais enfin, en tout cas, ce n’est pas un grand esprit qui a mis cette idée en lumière. […] Si c’est l’idée de J. […] Ceci c’est, comme vous le savez, une idée chère à nos hommes de 1630, une idée antérieure, par conséquent, à La Fontaine, une idée qui n’est pas tout à fait de son temps, qui peut paraître surannée même, un peu, à l’époque où il l’exprime ; mais enfin il l’a exprimée et cela est intéressant précisément au point de vue des filiations et des péripéties de l’histoire littéraire. […] C’est une boutade de La Fontaine ; mais au point de vue de l’histoire littéraire et des idées poétiques, ou même des idées philosophiques dans l’histoire littéraire, le passage est assez curieux.

697. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

La Fayette n’a cessé de croire et à l’excellence de certaines idées et à leur triomphe ; il n’a, en aucun moment, pris le deuil de ses principes ; il n’a jamais désespéré. […] Il en est de même de certaines idées si ancrées qu’elles semblent moins tenir à l’intelligence qu’au caractère. […] aurait-on pu répliquer ; mais n’est-ce pas que, lorsqu’ils ne se présentent point, on aime à croire que c’est que les choses et les idées n’étaient pas encore mûres ? […] Ses idées se tournèrent alors vers l’Asie, dont l’ignorante servitude, comme il l’a souvent dit depuis, flattait son ambition. […] Sieyès, si haut placé qu’il fût dans sa propre idée et dans celle des autres, n’a pas toujours fait de la sorte.

698. (1887) Essais sur l’école romantique

Avec cette idée de la poésie, comment y mêler celle d’un froid et stérile calcul ? […] Ce sont pourtant les mêmes idées qu’il remue dans l’ode nouvelle. […] Le lendemain, vous le rencontrez. « Eh bien, votre idée ? […] Oui, on s’en prend à la langue du peu de sympathie qu’on a pour les idées. […] Il n’est jamais à la tête, mais toujours à la suite ; jamais créateur et maître d’une idée, mais toujours serviteur et héraut des idées du moment.

699. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Dans les œuvres, à qui une idée d’art ne donne pas naissance, et qui usent de la prose, les conséquences du fait capital que j’ai déjà signalé continuent de se développer : les gens se distinguent, les esprits se spécialisent, et le domaine de la littérature se précise en se restreignant. […] Une idée seulement de Ramus le rattache à notre sujet : sa Dialectique, opposée à la Logique d’Aristote, fonde le raisonnement oratoire, qui se forme moins par l’exacte application de règles rigoureuses, que par le commerce et l’imitation des chefs-d’œuvre antiques, par le contact en quelque sorte des réalités concrètes où s’est manifestée la faculté discursive de l’esprit humain. […] Il y a dans cet inventeur des rustiques figulines un philosophe qui jette des vues profondes auxquelles nul ne fait attention, et que la postérité s’étonnera de rencontrer chez lui, quand le progrès de la science y aura lentement ramené les hommes : ainsi cette grande idée, liée à tout un système de la nature, en même temps qu’elle est la base de l’agriculture scientifique, cette idée que, les plantes empruntant au sol les aliments qui les accroissent, pour entretenir la fécondité de la terre, il faut lui rendre l’équivalent de ce que les récoltes lui enlèvent. […] Enfin, sans y penser, sans y prétendre, Palissy est un écrivain : il y a dans son style si net et si spontané, une force d’imagination qui fait jaillir l’expression non seulement adéquate à l’idée, mais représentative de la vie. […] C’est le peintre de l’individualisme du siècle, étranger à toute grande idée, à tout sentiment universel, notant avec une égale sympathie, une égale chaleur de style les fortunes amoureuses des dames, et les hautaines entreprises des hommes de guerre ; rien ne le touche que la vie.

700. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

Il serait temps d’aviser. » On se met en marche, les gardes lâchent les chiens… Bianchon demandait une inspiration au Seigneur… Tout à coup, une idée providentielle traverse son front, et je le vois introduire sournoisement — avant de charger son fusil — un grain de plomb dans la cheminée. […] Une idée hardie, une forme originale les fâcherait, les déconcerterait, les bouleverserait. […] C’est de ce contact perpétuel des intelligences réunies, de cet échange incessant des idées — de la main à la main — que sort la vie ! […] Les idées tassées en famille se reproduisent, comme les êtres ; elles ont une postérité : deux idées mises en rapport en procréent une troisième. […] Il faut que les idées et les mots vivent, que leur pouls batte fort — pour qu’on le sente battre seulement un peu.

701. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Dans le matérialisme qui s’alourdit tous les jours sur nos têtes, dans ce réalisme, bêtise et boue, qui nous monte d’en bas et peut ensevelir du soir au matin une littérature, les poètes de la forme auront le sort des poètes de l’idée, parce que la forme, le travail de la forme, quand il est exquis ou puissant, est une spiritualisation de la matière. […] Seulement, si un conte répété deux fois est assez ennuyeux pour que Shakespeare en ait fait la comparaison de la vie, nous demandons quelle impression doit causer, à vingt ans de distance, une imitation malheureusement trop réussie puisqu’elle ne nous donne ni une idée ni une sensation de plus que le poète dont elle est l’écho. […] Il est froid parce que sa poésie ne vient jamais d’une idée qui lui appartienne, d’un sentiment qui lui soit profondément personnel. Banville n’a jamais l’idée poétique, le sentiment poétique, la sensation poétique que de son école, — et le compte de cela est bientôt fait ! […] Voulez-vous savoir à quel point un poète très loin, et avec raison, de l’école du bon sens et des idées bourgeoises dans les arts, peut devenir vulgaire aux yeux des lettrés et des illettrés, et même nul ?

702. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

La bonne idée, hein ? […] Toute idée étroite se tait devant lui. […] Vraiment, je ne sais pas encore quelle forme donnera mes idées. […] Quelle étonnante variété de genres pour y communiquer leurs idées. […] Je ne puis constater que le développement régulier et naturel des idées.

703. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Cette philosophie peut se résumer en ces mots : L’intelligence humaine n’est que le reflet de l’intelligence divine ; nos idées ont leur source et leur type en Dieu, idée et type suprême de tout ce qui est dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel. Les idées de Dieu sont le moule et le modèle de tout, la raison efficiente de toute beauté et de toute bonté dans les choses. Ces idées ne nous sont point données par les sens ; les sens, étant matière, ne peuvent pas penser, ni par conséquent produire les idées. Les idées sont nées avec notre âme, et ne font que s’appliquer, pendant notre existence terrestre, aux phénomènes qui sont sous notre perception. […] « — À merveille, Socrate : voilà ton bouquet des idées ! 

704. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Il n’y avait pas une idée en Europe qui ne fût foulée sous son talon, pas une bouche qui ne fût bâillonnée par sa main de plomb. […] C’est à la fois sentiment et sensation, esprit et matière, et voilà pourquoi c’est la langue complète, la langue par excellence qui saisit l’homme par son humanité tout entière, idée pour l’esprit, sentiment pour l’âme, image pour l’imagination, et musique pour l’oreille ! […] La prose ne s’adresse qu’à l’idée ; le vers parle à l’idée et à la sensation tout à la fois. […] C’est le symbole vague et confus de mes sentiments et de mes idées à mesure que les vicissitudes de l’existence et le spectacle de la nature et de la société les faisaient surgir dans mon cœur ou les jetaient dans ma pensée ; ces sentiments et ces idées ont varié avec ma vie même, tantôt sereines et heureuses comme le matin du cœur, tantôt ardentes et profondes comme les passions de trente ans, tantôt désespérées comme la mort et sceptiques comme le silence du sépulcre, quelquefois rêveuses comme l’espérance, pieuses comme la foi, enflammées comme cet amour divin qui est l’âme cachée de toute la nature. […] La poésie, c’est l’idée ; la politique, c’est le fait ; autant l’idée est au-dessus du fait, autant la poésie est au-dessus de la politique.

705. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Victor Wilder avait commencé une série de six grandes études sur l’œuvre Wagnérienne, une sorte de vulgarisation, précise et spirituelle à la fois, des idées de Richard Wagner. […] De l’aveu même de Richard Wagner, Tristan et Iseult est l’expression la plus fidèle et la plus vivante de ses idées théoriques. […] Il a uniquement traduit— avec un génie incomparable — une idée générale, l’amour ; une situation assez commune : un rendez-vous nocturne entre amants. […] Heureusement qu’il n’y a pas réussi, et qu’à force de vouloir pousser son idée à l’extrême, il s’est heurté à l’impossible. […] Nietzsche avait déjà exprimé cette idée avec nettement moins d’humour.

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