/ 1766
505. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Bègue, de son côté, n’est pas une idéale figure, loyal, ayant la justice dans le cœur, prêt à vivre en paix, dès que lui-même ou un des siens est attaqué, le voilà fou de combats, forcené, téméraire, féroce, et je ne sais si, dans cette sanglante geste ni dans aucune autre, acte plus cruel se rencontre que celui de ce bon et brave baron : quand il a vaincu en duel Isoré, irrité qu’il est de je ne sais quelle outrageante raillerie d’un Bordelais, il arrache le cœur du vaincu et en fouette le visage de l’insulteur. […] Elles en expriment les rêves avec la vie, l’idéal avec la réalité, comme la fiction du théâtre de Scribe est le plus fidèle portrait qu’on puisse trouver de la bourgeoisie française aux environs de 1840. […] Il n’y a point de milieu : ou la femme est l’ange de pureté, l’idéale et rarement vivante Geneviève de Brabant, stéréotypée dans sa douloureuse fidélité, banale réplique d’une des plus primitives traditions ; ou bien, et plus souvent, plus vivante aussi parfois, c’est l’impudente, la sensuelle, fille ou femme, qui d’un regard s’enflamme, et qui donnera pour être aimée, s’il le faut, la tête d’un père37. […] Ici Charlemagne, le grand empereur à la barbe fleurie, idéal exemplaire de la royauté chrétienne, à qui Dieu envoie son esprit et ses anges, Charlemagne s’associe à un voleur, et s’en va couper les bourses avec lui ; ailleurs le sage empereur devient un « vieillard qui est tout assotté »47.

506. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Elle s’en confesse à son vieux mari loyalement, Wangel lui dit : « Je te rends ta liberté ; suis l’Étranger, si tu veux. » Mais, du moment qu’Ellida est libre, le charme est rompu. « Jamais, dit-elle à son mari je ne te quitterai après ce que tu as fait. » Wangel s’étonne : « Mais cet idéal, cet inconnu qui t’attirait ?  […] C’est enfin la conformité de la vie à l’Idéal  un idéal qu’Ibsen ne définit guère expressément, où l’on distingue un peu de naturalisme antique et beaucoup d’évangile, mais d’un évangile orgueilleux et raisonneur, des velléités de socialisme et, presque dans le même temps, la superbe d’un dilettantisme aristocratique et, sur le tout, une couche de pessimisme. […] De cette rencontre date une révolution morale dans l’âme de Pierre Bézouchof : le noble, le civilisé, le savant, se met à l’école de cette créature primitive ; il a trouvé enfin son idéal de vie, son explication rationnelle du monde dans ce simple d’esprit.

507. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Cependant on peut avoir la notion idéale d’un son indépendamment de la durée, comme d’un Rythme indépendamment de l’étendue. […] L’Anarchie, en politique comme en littérature, est l’idéal, je le crois, mais comme tous les idéals il est à l’infini, et l’on doit tendre vers lui sans espérer encore l’atteindre. […] Il semble que pour les Grecs aussi, l’heure n’était pas venue ; elle aurait dû, une fois née à la vie, se prolonger éternellement, car l’idéal ne suppose point de décadence ; — au contraire leurs sculpteurs furent asservis au canon rigoureux, précis, despotique, comme leurs cités connurent l’orteil du roi de Macédoine.

508. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Le distingué qui est dans l’auteur du Jack au même degré que le sensible, l’artiste fait pour nous donner les plus nobles spectacles, les choses les plus aristocratiques et les plus idéales, s’est détourné de toute cette poésie pour nous peindre les réalités les plus basses. […] il est autre chose encore, et que ne voient pas assez ces statisticiens et ces nosographes du roman, allant, de réflexion et de préférence, à tout ce qui est laid, odieux, ignoble, comme à des curiosités bonnes à peindre, — infatigablement et sans les tacher jamais de la lumière du moindre idéal ! […] Alphonse Daudet avait des liaisons littéraires dangereuses, qui devaient produire la camaraderie des idées… Dans son roman de Jack, il tendait, sans en avoir, je crois, le sentiment bien net, vers cette corruption du Réalisme contemporain, si tentant, non pour lui, mais pour les imaginations sans idéal et les talents sans invention et sans noblesse. […] il en faut une déjà pour oser seulement manier cette réalité historique, et s’efforcer de la monter jusqu’à son idéal le plus sublime ou de la creuser jusqu’à sa dernière profondeur.

509. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

., Montesquieu est un philosophe politique supérieur, en ce qu’il est souverainement indifférent et calme, se plaçant dès l’origine au vrai point de vue de la nécessité et de la réalité des choses, s’y conformant selon les lieux, les climats, les races, sans y apporter en travers un idéal préconçu qui pourrait bien être une idole. […] Dans ses lettres à M. de Kergorlay on le voit de bonne heure tracer le plan de sa vie, s’assigner un but élevé et se confirmer dans la voie dont il n’a jamais dévié : « À mesure que j’avance dans la vie, écrivait-il (6 juillet 1835) âgé de trente ans, je l’aperçois de plus en plus sous le point de vue que je croyais tenir à l’enthousiasme de la première jeunesse : une chose de médiocre valeur, qui ne vaut qu’autant qu’on l’emploie à faire son devoir, à servir les hommes et prendre rang parmi eux. » Il est déjà en plein dans l’œuvre politique, au moins comme observateur et comme écrivain, et malgré tout, en présence du monde réel, il maintient son monde idéal ; il se réserve quelque part un monde à la Platon, « où le désintéressement, le courage, la vertu, en un mot, puissent respirer à l’aise. » Il faut pour cela un effort, et on le sent dans cette suite de lettres un peu tendues, un peu solennelles.

510. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Disons-nous bien que toutes les opérations, qui pour la science des laboratoires sont réelles, ne peuvent être dans l’histoire littéraire que métaphoriques ou idéales, que l’analyse du génie poétique n’a rien de commun que le nom avec l’analyse du sucre, et se passe tout entière dans la tête qui la fait, que l’identification du genre littéraire qui se maintient par imitation, avec l’espèce vivante qui se perpétue par génération, est purement verbale, et qu’enfin tout ce qui est méthode dans les sciences de la nature, si on le transporte dans notre domaine, devient système. […] Sans renoncer à aucun idéal personnel, on se comprend, on s’entend, on coopère : cela mène à l’estime et à la sympathie réciproques.

511. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Voici les pièces qui m’ont le plus frappé : le sonnet XVIII, la Beauté ; c’est pour moi une œuvre de la plus haute valeur, et puis les pièces suivantes : l’Idéal, la Géante (que je connaissais déjà) ; la pièce XXV : Avec ses vêtements ondoyants et nacrés…. […] Les tortures de la passion, les férocités et les lâchetés sociales, les âpres sanglots du désespoir, l’ironie et le dédain, tout se mêle avec force et harmonie dans ce cauchemar dantesque troué çà et là de lumineuses issues par où l’esprit s’envole vers la paix et la joie idéales.

512. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

La légende idéale d’Adam en ce dernier livre est aussi précise que symbolique2. […] Au degré près, c’est l’état d’âme des vendeuses du Bazar de la Charité, c’est celui du Bock Idéal qui nous réjouit tant l’autre année à cause du sérieux qu’apportait à le déguster le vicomte Melchior de Vogüé.

513. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Évidemment l’idéal de la psychologie, ce serait de pouvoir expliquer tous les sentiments par une double méthode d’analyse et de synthèse ; d’être en état de ramener une émotion très complexe à une émotion plus simple, et de remonter ainsi graduellement jusqu’à un fait irréductible ; ou bien au contraire de partir des phénomènes affectifs les plus simples, et de montrer comment, par addition, se forment des agrégats d’émotions de plus en plus complexes, et de reconstituer ainsi théoriquement la réalité. Mais nous sommes encore bien loin de cet idéal.

514. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

On pourrait ajouter : et plus son idéal s’élèvera. […] L’idéal humain recule toujours, recule dans l’infini, mais dans l’infini, aujourd’hui, nous pouvons jeter beaucoup plus de lumières !

515. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

En eux seuls l’on sent cet idéal supérieur, ce besoin impérieux qui les unit malgré toutes les dissemblances de manière, malgré les rivalités individuelles et les pousse à une action commune et presque inconsciente pour constituer et imposer un Art grandiose et nouveau. […] Il veut représenter l’idéal méditerranéen avec plus de souci de pensée que d’action dramatique !

516. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre IV : Règles relatives à la constitution des types sociaux »

Mais on échappe à cette alternative une fois qu’on a reconnu qu’entre la multitude confuse des sociétés historiques et le concept unique, mais idéal, de l’humanité, il y a des intermédiaires : ce sont les espèces sociales. […] Le développement historique perd ainsi l’unité idéale et simpliste qu’on lui attribuait ; il se fragmente, pour ainsi dire, en une multitude de tronçons qui, parce qu’ils diffèrent spécifiquement les uns des autres, ne sauraient se relier d’une manière continue.

517. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Il est évident, en effet, que, pour la Critique comme pour l’Histoire, les plus grands esprits sont ceux qui se rapprochent le plus de Dieu, idéal de toute intelligence, par conséquent qui conçoivent le mieux les choses religieuses, et qui ont par éclairs — puisque l’homme n’est qu’un fragment dans un monde fragmenté — l’intuition du Surnaturel et de ses nécessités, si mystérieusement impérieuses. […] Homme d’esprit comme il était artiste, sans bonhomie, sans naïveté, sans abandon, mais intensément, avec une ardeur fulgurante, fiévreuse et concentrée, il eut un idéal d’esprit vers lequel il tendit infatigablement.

518. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

Elle n’a rien de ces idéales puretés et de ces aurores. […] « As-tu remarqué — écrit-elle à l’homme qu’elle aime — que les hommes ont la poésie de l’idéal et les femmes de la réalité ?

519. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Le cinquième aspect est une histoire idéale éternelle dans laquelle tournent les histoires réelles de toutes les nations. […] Je veux dire qu’ils supposent d’abord un état de civilisation où les hommes seraient déjà éclairés par une raison développée, état dans lequel les nations ont produit les philosophes qui se sont élevés jusqu’à l’idéal de la justice.

520. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

L’imprudent Jean-Jacques, abrité contre le réel, s’est fait un idéal. […] L’une conduit-il un idéal social et politique de nivellement éternel ; l’autre à une espèce d’oligarchie théocratique ou il l’autocratie religieuse. […] D’autres, pervertis au même idéal d’impossible jouissance, le poursuivront par l’abus des passions et ravageront toutes choses autour d’eux. […] Certes Senancour ne voudrait pas donner un nom, une limite à l’idéal objet des jouissances capables de l’apaiser. […] Elles n’en ont pas moins l’authenticité humaine, parce que les idéaux qu’elles personnifient, abnégation chrétienne, discipline militaire, sont eux-mêmes créateurs.

521. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Ackermann, Louise (1813-1890) »

Ils sont taillés dans un marbre radieux de blancheur idéale, avec une vigueur et une sûreté de main qui indiquent que l’artiste, ici, est son propre maître, et sans excuse, comme Lucifer, qui ne tomba que parce qu’il voulut tomber.

/ 1766