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1823. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Si vous prenez les périodes présentes pour autant d’objets séparés, c’est simplement parce que vous avez l’habitude de trancher le temps continu en parties de passé, présent et futur, et cela dans un but pratique ; après avoir fait cette division factice, vous êtes obligé de recourir à des hypothèses plus ou moins transcendantes pour expliquer comment ce qui est ainsi divisé peut ensuite être réuni par la conscience.

1824. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

On est fait aux dégoûts, et aux rebuts, et on ne pense plus qu’à mettre à profit la malheureuse habitude qu’on a prise de les dévorer.

1825. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

C’est encore Saint-Simon qui en témoigne : « Bossuet tenait au Roi par l’habitude et l’estime, et par être entré en évêque des premiers temps dans la confiance la plus intime du Roi, et la plus secrète, dans le temps de ses désordres. » Lorsque Louis XIV fut las de ses maîtresses, ce fut Bossuet qui, aidé du confesseur La Chaise, le poussa à la dévotion et au repentir de ses désordres.

1826. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Non, il livre la pensée à la merci de la morale pratique, autrement dit à l’usage des peuples, aux préjugés, aux habitudes, enfin, à ce qu’on appelle les principes. […] Encore est-ce trop humilier la pensée humaine que de l’attacher à des habitudes qui n’étaient point hier et qui demain ne seront plus. […] En descendant l’escalier du quai Voltaire, la jeune Irlandaise, qui avait beaucoup sacrifié à la patrie et à la liberté, murmura ces paroles : « Les habitudes de sa vie ne lui permirent de prendre les armes pour aucune cause. » Elle avait touché le défaut de cette existence heureuse26. […] Ce dédain des soins imposés par la nature même des choses, ce détachement des formes les plus augustes et les plus simples du devoir, ne sont que trop, aujourd’hui, dans les habitudes de la jeune littérature.

1827. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Ponsard, l’Académie pouvait alléguer pour excuse l’habitude invariablement prise par elle de donner le pas, sur un poète, à quelque gloire parlementaire en demi-solde mais entre deux nourrissons du Pinde, prendre le plus étique, en vérité, ceci n’est plus l’acte, mais le ramollissement du suffrage académique ! […] Le public, qui n’est point la dupe des audacieuses contre-vérités qu’on vient de lire, a trop souvent pour habitude d’en rendre solidaire quiconque tient une plume, enveloppant la presse tout entière dans un dédain immérité.

1828. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Mon premier feu jeté, — car c’est là une des habitudes de la littérature facile de dire tout d’abord ce qu’elle a sur le cœur, sauf à déduire ses raisonnements ensuite, — vous verrez, j’espère, que, si la littérature facile manque de génie, elle ne manque pas de logique, ce grand apanage de la littérature difficile, qui a si peu besoin d’esprit. […] Le grand roi avait l’habitude d’écrire sur ces feuillets épars la chose qui le frappait au moment même et dont il voulait se souvenir. […] Il aimait le village, il aimait principalement le village de Cély ; il en savait les mœurs, les habitudes, les fêtes, les travaux, les plaisirs.

1829. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

On convint de cette vérité, & l’on crut en trouver la raison, premiérement dans les efforts qu’ils ne font que trop souvent pour montrer plus d’esprit, secondement dans une espece d’originalité qu’ils affectent, à dessein de se donner du relief, troisiémement dans l’habitude qu’ils contractent de vivre isolés. […] On prétendit que nos manufactures alloient tomber, & que par la mauvaise habitude que les marchands français avoient depuis nombre d’années, de ne vendre que des marchandises anglaises, ou du moins réputées telles, on ne voudroit plus en acheter d’autres. […] Il résulta de notre entretien, qu’on ne crioit contre les médecins que par habitude, qu’on ne les croyoit point aussi homicides qu’on se plaît à le répéter, puisque s’ils tuoient réellement, ils auroient plus de panégyristes que de détracteurs ; les héritages qu’ils ouvriroient de toutes parts, rendant bien des personnages contens.

1830. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Il y avait d’ailleurs en Feuillet un goût inné de la distinction, et, quoiqu’il n’eût pas été bercé « sur les genoux d’une duchesse », il y avait une habitude naturelle d’esprit, si je puis ainsi dire, déjà trop aristocratique, pour qu’il pût s’accommoder de ce que les ennemis du romantisme, en ce temps-là, mêlaient à leur solide et louable bon sens, d’inélégance, de lourdeur, et même de vulgarité. […] Sainte-Beuve l’avait assez bien démêlé, qu’une part au moins de son « romanesque », l’auteur de la Petite Comtesse et des Scènes et Proverbes la tenait « de l’éducation première qu’il avait reçue, de son milieu d’enfance et de jeunesse, de l’ensemble de ses habitudes et de ses mœurs ». […] … Vous n’avez pas voulu sacrifier un seul de vos goûts, une seule de vos habitudes, une seule de vos soirées pour faire de cette enfant qui vous adorait une femme qui vous comprît… Et vous me reprochez ma nullité qui est votre ouvrage ! […] Mais, plus tard, — à l’âge où nos habitudes obtiennent de nous tant de concessions, — ce ne fut assurément pas sans tristesse que, pour ne pas s’associer à une politique qui n’était plus la sienne il sortit de cette grande maison du Journal des Débats.

1831. (1927) Approximations. Deuxième série

J’eusse préféré inscrire votre nom en tête de quelque longue étude, mieux encore d’un livre véritable ; mais je connais trop à cet égard ma périlleuse habitude des sursis, et un sentiment à la fois impérieux et réfléchi m’interdit au contraire de surseoir lorsqu’il s’agit d’offrir un témoignage à l’amitié qui nous unit. […] La réaction était d’ailleurs à ce point dépourvue de nuances qu’elle apparaissait proprement inique ; fille légitime, elle, de cette inintelligence même que l’on jugeait bon de reprocher à des hommes en leurs limites entièrement originaux ; qui ont retrouvé, ressuscité l’art de tout un siècle, et de ce siècle à la seule mention duquel certains détracteurs des Goncourt entrent en état d’abjection ; qui annexèrent le Japon à notre culture, et qui ont soumis nos habitudes visuelles à des exercices d’assouplissement et de précision singulièrement profitables. […] Ce qu’il a fait ressemble essentiellement à ce que je veux faire : l’expérience de Dieu, la constatation directe de ses habitudes, de ses préférences, de ses moyens, en un mot de ses voies.

1832. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Le port de la tête est hardi ; chaque muscle de la face remue et joue ; la double fossette, creusée par l’habitude du sourire, est légèrement indiquée ; la lèvre est parlante, comme impatiente, et ne cesse de railler ; les yeux sont petits et ne regardent pas ; la peau du cou pend et flotte sans maigreur, sans mollesse, et dans la réalité de la vie ; les draperies sont largement jetées.

1833. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Tel un coursier, largement nourri dans une étable, brisant ses entraves et galopant par bonds dans la plaine, s’élance vers le fleuve rapide où, superbe, il a l’habitude de se plonger ; il dresse, en la secouant, sa tête, fait ondoyer sur son encolure une crinière touffue, et, fier de sa beauté, ses membres souples le portent sans fatigue vers les prairies connues où paissent les jeunes cavales ! 

1834. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

S’il parvenait à les surmonter, et si, au sortir de là, comme on le lui faisait entendre, un patronage honorable et bienveillant l’introduisait dans le monde, sa destinée était sauve désormais ; des habitudes nouvelles commençaient pour lui et l’enchaînaient dans un cercle que son imagination était impuissante à franchir ; une vie toute de devoir et d’activité, en le saisissant à chaque point du temps, en l’étreignant de mille liens à la fois, étouffait en son âme jusqu’aux velléités de rêveries oisives ; l’âge arrivait d’ailleurs pour l’en guérir, et peut-être un jour, parvenu à une vieillesse pleine d’honneur, entouré d’une postérité nombreuse et de la considération universelle, peut-être il se serait rappelé avec charme ces mêmes années si sombres ; et, les renvoyant dans sa mémoire à travers un nuage d’oubli, les retrouvant humbles, obscures et vides d’événements, il en aurait parlé à sa jeune famille attentive, comme des années les plus heureuses de sa vie.

1835. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

On a tant appris à les connaître et à les chérir, on a tant pris pour habitude de les confondre dans un même et puissant amour qu’on se fait presque un scrupule de placer l’un d’eux avant tous.

1836. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

et tandis qu’une habitude s’établissait de ne parler des « ruelles » du siècle précédent, qu’avec les plaisanteries et sur le ton de Molière dans ses Précieuses ridicules ou dans ses Femmes savantes, nous n’avons encore aujourd’hui même qu’indulgence et que complaisance pour tant d’aimables personnes qui surent, comme les Tencin et comme les d’Épinay, si bien allier ensemble le désordre des mœurs et le pédantisme de la philosophie. […] Ces dispositions s’étendent et s’affermissent… mais contraintes par nos habitudes, elles s’altèrent plus ou moins.

1837. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Tel on a vu, dit-on, plus d’un Législateur Des loix qu’il établit tempérer la rigueur ; Se prêter au climat, au tems, à l’habitude ; Du peuple à réformer faire une sage étude ; Et, s’épargnant, enfin, des efforts superflus, Pour établir ses loix, tolérer des abus. […] L’Histoire Ancienne était éclaircie & développée, autant qu’elle pouvait l’être, par l’éloquent Rolin : mais on regrettait que l’habitude de parler à des jeunes gens lui eût fait souvent oublier qu’il fallait écrire pour des hommes. […] L’habitude de voir ces Pieces a fait disparaître ce défaut qui n’est pas, d’ailleurs, celui d’un homme ordinaire.

1838. (1774) Correspondance générale

Ce qui nous trompe, c’est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l’habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. […] Je parle, vous le voyez, comme si j’étais réellement près de vous, juste comme j’avais l’habitude de le faire, tandis que vous vous teniez debout, le coude appuyé sur le chambranle de la cheminée, et examinant ma physionomie pour découvrir si j’étais sincère ou à quel point je l’étais. […] J’ai tout juste la fortune qu’il me faut tant que j’aurai des yeux pour me passer de bougie, et ma femme pour monter et descendre d’un quatrième étage ; mes amis ont pour moi et j’ai pour eux une tendresse que trente ans d’habitude ont laissée dans toute sa fraîcheur.

1839. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Fuite sublime vers des mondes inconnus, vous devenez l’habitude invincible de son âme !

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