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783. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Son art éclatant, mais non sans faux goût, n’arrêtait pas une décadence que précipitait, dans le cours du dix-huitième siècle, le génie même qui la rendait si piquante et si populaire. […] C’était un ministre protestant qui avait l’âme de Fénelon, et ce même goût d’antiquité, ce même attrait de culture élégante et d’imagination émue. […] Ce beau caractère de prosélytisme, allié dans Réginald Héber à toute l’étendue du savoir, à toute la délicatesse du goût le plus exquis, ne pouvait que l’inspirer heureusement pour la poésie comme pour l’éloquence. […] Comme chez Fénelon, il y avait dans Réginald Héber, à côté du charme des lettres, de la persuasion habile et gracieuse, de la prévoyance et de la sagacité mondaine, le don naturel de l’enthousiasme, le goût de l’élévation spéculative, l’amour de Dieu et de l’humanité, et par là le génie du poëte dans son plus noble essor.

784. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Il comparait spontanément les écrivains des diverses nations, il les rapprochait d’une manière inattendue et avec une sorte de recherche ingénieuse qui chez lui était naïve ; ce qui aurait pu sembler de la subtilité n’était que la fleur suprême du goût. […] Jusque dans la dernière crise, il s’est montré courageux et résigné avec simplicité ; et, si je ne craignais d’altérer la tristesse de cette impression, j’ajouterais à l’appui d’une de vos remarques que, jusque dans les suprêmes douleurs, je l’ai vu sensible à l’impropriété de quelques mots qui blessaient la pureté de la langue. » — L’homme de goût fut le dernier à mourir en lui. […] Toutefois, si j’avais beaucoup l’occasion de vous voir, indépendamment du goût que j’aurais à causer après la pièce de ce que j’aime mieux penser comme vérité, — je m’attacherais dans votre intérêt au point de vue de la prudence qui, sans exiger de vous le sacrifice de vos opinions, doit vous conseiller beaucoup de mesure, en proportion même des applaudissements que recevez.

785. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

Je sais bien qu’après tout la manière dont les fruits naissent en poésie ne fait rien à l’affaire ;l’essentiel est ce qu’ils sont et ce qu’ils paraissent au goût : mais le mal serait que le goût y découvrît quelque chose du procédé factice, artificiel, qu’un redoublement d’art eût peut-être recouvert, fondu, dissimulé. […] Il nous semble, si le souvenir ne nous abuse pas, que les Feuilles d’Automne en contenaient moins et annonçaient un travail d’élaboration que les Chants du Crépuscule ne réalisent qu’en partie ; ou peut-être ces fautes ne nous choquent-elles ici davantage que par le caractère plus élégiaque des morceaux qui les entourent et les font ressortir, et aussi par la susceptibilité d’un goût malheureusement plus difficile et plus rebuté avec l’âge.

786. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

Une foule de superbes tombeaux, d’un goût original, s’élevaient vers le même temps aux environs de Jérusalem 597. […] Le goût des anciens habitants de la Phénicie et de la Palestine pour les monuments monolithes taillés sur la roche vive, semblait revivre en ces singuliers tombeaux découpés dans le rocher, et où les ordres grecs sont si bizarrement appliqués à une architecture de troglodytes. […] 598 Son spiritualisme absolu et son opinion arrêtée que la figure du vieux monde allait passer ne lui laissaient de goût que pour les choses du cœur.

787. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Elle est matière à recherches scientifiques : car il s’agit, non pas d’apprécier d’après notre goût personnel la valeur des qualités dont nous avons pu reconnaître l’existence, mais d’en découvrir l’origine. […] Logique passionnée, effusions lyriques, style oratoire, apostrophes à la nature et à l’Etre suprême, exclamations perpétuelles qui choquaient tant Buffon, goût du roman sentimental, incapacité d’écrire sauf sous le coup d’une émotion violente, irritabilité nerveuse aboutissant à la manie de la persécution, tout cela nous apparaît désormais comme une série de faits unis entre eux par une dépendance mutuelle. […] On a eu raison d’interroger les portraits et l’écriture d’un auteur, de le suivre pas à pas dans son voyage à travers la vie, de pénétrer dans sa maison et dans les milieux divers qu’il a traversés, de relever son tempérament, ses habitudes, ses goûts, ses amitiés, ses lectures favorites, sa façon de travailler, etc.

788. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Étrange dissolvant que portent avec eux l’abus des facultés de l’esprit, le goût de la révolte et du désordre, le mépris de toute foi et de toute loi ! […] Décidez-vous donc : si vous avez le goût du mal, ayez-en l’audace ; si vous avez le goût du bien, ayez-en le courage : mais non, vous ne vous déciderez pas ; vous ne le pouvez pas ; votre neutralité a un nom que lui ont décerné à l’envi tous vos contemporains : elle s’appelle l’impuissance. […] Personne ne nous le conteste ; mais il y a là une nuance, un trait caractéristique qu’il n’est pas inutile d’indiquer ; car il explique certaines parties obscures ou ignobles de cette littérature, et se résume dans un défaut absolu de goût : le goût, cette conscience de l’esprit ! […] C’est avec ces patriciennes déchues ou révoltées que M. de Balzac, par position ou par goût, s’est naturellement rencontré. […] On voit où conduit cette méthode, et nous n’en sommes pourtant encore qu’à la question de goût.

789. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

La pièce lue soutient son mérite ; ç'a été une preuve de goût de n’y pas mettre une seule ligne de Préface. […] Cet Adolphe Dumas n’est pas sans feu ni sans talent ; mais pas un grain de goût.

790. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIII » pp. 133-140

Patin a recueilli, avec goût et jugement, tout ce qu’on sait et tout ce qu’on peut désirer pour le moment sur ces trois maîtres immortels, Eschyle, Sophocle, Euripide. […] De très-bonne heure il s’est posé comme un conseiller railleur, familier, de sang froid, vif et même hardi d’expression et de franc parler, et frondant les goûts et les ferveurs alors en vogue dans les jeunes générations.

791. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Ce recueil, composé avec le soin et le goût qui distinguent le spirituel érudit, est un agréable bouquet de nos plus vieilles romances, dont la fraîcheur et la délicatesse se révèlent pour la première fois depuis des siècles. […] Nous attendons avec intérêt la suite de ces publications auxquelles nous désirons, non pas plus de goût ni de soin, mais des considérations parfois plus étendues et des points de vue éclairés par une littérature plus générale.

792. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

On veut paraître transporté, on singe l’enthousiasme ou l’horreur, cela dispense de donner les raisons de son goût. […] Plus tard cette facilité s’accompagne volontiers du goût pour les puérilités et les niaiseries, et l’on remplit les pages qu’on envoie à ses amis de riens insipides, de menus faits et de plates réflexions où le cœur ni l’esprit n’ont aucune part.

793. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Virgile, et Bavius, Mœvius, Bathille, &c. &c. » pp. 53-62

Croiroit-on, après cela, qu’adoré dans la capitale du monde par tous les gens de goût, il dût s’y voir insulté par un tas d’écrivains misérables ? […] On lui prêta des goûts infâmes, ainsi qu’à Socrate, à Platon, à Muret, à Desfontaine, &c.

794. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Leur goût est un goût dépravé, mais séduisant, fait pour plaire aux femmes, aux jeunes gens, à tous les lecteurs superficiels.

795. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

Nous voulons faire autrement que ceux qui nous ont précédés dans l’histoire : voilà l’origine et le principe agissant des changements du goût comme des révolutions littéraires ; il n’a rien de métaphysique. […] Je dis : mathématiquement, parce que nos goûts personnels, en pareille affaire, n’ont rien encore à voir ; et on n’écrit point une Histoire de la Littérature française pour y exprimer des opinions à soi, mais, et à peu près comme on dresse la carte d’un grand pays, pour y donner une juste idée du relief, des relations, et des proportions des parties Et, — toujours afin que le livre fut plus utile, d’un secours plus efficace et plus constant, — j’ai donné à la Bibliographie une attention toute particulière.

796. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

On peut mettre en quelque façon Teniers au nombre des peintres dont je parle, quoiqu’il fût né en Brabant, parce que son génie l’a déterminé à travailler plûtôt dans le goût des peintres hollandois que dans le goût de Rubens et de Vandick ses compatriotes, et même ses contemporains.

797. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Mais il se distingua surtout dans cette partie de l’esprit philosophique, utile lors même qu’il se trompe, qui analyse les principes du goût, n’admire rien sur parole, et avant d’adopter une opinion, même de deux mille ans, cherche toujours à s’en rendre compte. […] Enfin ceux qui sentent tout le prix des talents, et qui ont le goût des arts, voient avec intérêt, à la suite des princes, des généraux et des ministres, les noms des artistes célèbres ; de Lully, de Mansart, de Le Brun ; de ce Claude Perrault, qu’on essaya de tourner en ridicule, et qui était un grand homme ; de la Quintinie, qui commença par plaider avec éloquence, et qui finit par instruire l’Europe sur le jardinage ; de Mignard, dont ses parents voulurent faire un médecin, et dont la nature fit un peintre ; du Poussin, qui, las des intrigues et des petites cabales de Paris, retourna à Rome vivre tranquille et pauvre ; de Le Sueur qui mérita que l’envie allât défigurer ses tableaux ; de Sarrazin, qui, comme Michel-Ange, fut à la fois sculpteur et peintre, et eut la gloire de créer les deux Marsis et Girardon ; de Varin, qui perfectionna en homme de génie l’art des médailles ; enfin du célèbre et immortel Callot, qui eut l’audace, quoique noble, de préférer l’art de graver, à l’oisiveté d’un gentilhomme, et qui imprima à tous ses ouvrages le caractère de l’imagination et du talent.

798. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

C’est de Voltaire, à mon avis, qu’il tient le goût de la clarté. […] Il n’y a rien dans cette pièce que le goût le plus sévère puisse réprouver. […] Pourquoi faut-il qu’ici encore le goût soit blessé par un détail étrange ? […] Il y a çà et là des taches qui blessent le goût. […] Hugo ait jamais adressé au bon sens et au goût de son auditoire.

799. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

C’est le goût de connaître les secrets du monde pour les connaître. […] Petites filles du peuple, mais ayant du goût, sans quoi elles ne seraient pas ici. […] Le critique est un homme de goût et de savoir à qui son savoir sert à avoir du goût. L’historien littéraire est un homme de goût, de savoir et d’intelligence synthétique, à qui son savoir sert à avoir du goût d’abord et des idées générales ensuite. […] Ce n’est pas tout à fait dans le goût du jour.

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