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334. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

Ayant à faire la part de Marolles dans le mémoire sur les gens de lettres dressé en 1662 par ordre de M.  […] Le Tourneux, on n’avait jamais trouvé à redire à la traduction du même bréviaire faite autrefois par Marolles ; mais la raison en était simple, c’est que le travail de celui-ci n’avait pas mérité qu’on s’y arrêtât : « Car il faut l’avouer à la honte de ce siècle, disait Arnauld, quand les livres ne sont pas assez bien faits pour exciter la jalousie de certaines gens, ils sont hors d’atteinte à la censure. » De ce côté aussi, avec plus de modération dans les termes, nous rencontrons le même fonds de mésestime. […] Selon cette chronique dont il se porte garant, les deux personnes qui passaient pour être filles de l’intendant et fidèle domestique de Marolles auraient tenu de plus près à ce dernier ; les gens soi-disant bien informés prétendaient qu’il était le vrai père. […] — Marolles vérifie, à la lettre, ce qu’Horace a dit, à la fin de son Art poétique, et que des critiques, gens de goût, ont trouvé un peu, exagéré : Ut mala quem scabies, aut morbus regius urget, Aut fanaticus error et iracunda Diana, Vesanum tetigisse timent fugiuntque poetam Qui sapiunt… Il en est le vivant commentaire, avec cette seule différence qu’il n’est pas un fou furieux qui poursuit de ses vers les passants dans la rue, mais un fou débile, atteint d’une des variétés du delirium senile, opiniâtre de politesse, qui désole et afflige les gens de ses envois et cadeaux à domicile.

335. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Une maladie qui le défigura, et qui fit de lui le plus laid des gens d’esprit, l’obligea de quitter le barreau et l’action publique. […] Et, par exemple, sous Richelieu, et dès l’origine, elle se trouva composée d’abord et tout naturellement, sauf quelques exceptions, de ce qu’il y avait de mieux et de plus considérable parmi tous les gens de lettres, Balzac en tête et Chapelain. […] Déjà Voiture était comme cela : homme du monde et de Cour, délicat à l’excès et dégoûté, un peu dédaigneux des gens de lettres, il craignait apparemment de s’ennuyer parmi eux ou de retomber en bourgeoisie, et il restait dans ses belles et fines sociétés. […] Il y a des gens qui parlent d’un grand siècle littéraire de saint Louis, comme s’ils le voyaient aussi clairement que le siècle de Louis XIV. […] Elle n’aura pas grand-peine à surpasser en mérite celle de Paris, qui n’est maintenant composée, à deux ou trois hommes près, que de gens du plus vulgaire mérite, et qui ne sont grands que dans leur propre imagination.

336. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Il est impossible que, procédant de la sorte et avec cette brusquerie, il n’ouvre pas bien des brèches qui nous font voir clair au-dedans des choses et des gens. […] La justesse de mes systèmes se ferait, s’il plaisait à Dieu, goûter de tels esprits ; et, si leur persuasion n’y concourait pas d’abord, je l’y réduirais bien par plusieurs voies, sans les dégoûter pour cela, ni les contraindre à quitter ; car on prend mieux les gens d’honneur par leurs bons faibles que les vilains par leurs vices multipliés et inextricables. […] Ses propres espérances, selon qu’elles montent ou qu’elles baissent, lui font voir en beau ou en laid certaines gens qui lui semblent favorables ou contraires. […] Celle qui ne devrait avoir que des gens de premier ordre à sa tête… Que faisons-nous à cela, je le demande, quelles mesures, quel plan ? […] D’Argenson a écrit quelque part, dans cette supposition favorite de son futur ministère : « Si j’étais premier ministre et le maître, certainement j’établirais une académie politique dans le goût de celle de M. de Torcy. » Et voilà à quoi, certainement, il était le plus propre : établir une Académie des sciences morales et politiques, faire une société de l’Entresol en grand et au premier étage, y lire, en compagnie de gens de savoir et de mérite, des mémoires nourris, instructifs, à vues nombreuses et touffues, à projets drus et vifs, et dans lesquels d’autres que lui verraient ensuite ce qui est à prendre ou à laisser, ce qui est pratique ou ce qui ne l’est pas.

337. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

« Ayant imaginé, Monsieur, qu’après avoir demeuré quelque temps où vous êtes, vous seriez peut-être bien aise de voir l’Angleterre et même de vous y établir, j’ai écrit à des gens propres à vous en rendre le séjour agréable, et particulièrement à M.  […] Voulez-vous persuader à toute l’Europe, qui a les yeux sur vous, que, dans le nombre des gens qui vous aiment, il n’y en a pas un seul que vous jugiez digne de vous servir ? […] Rousseau passe chez la plupart dès gens en ce pays pour un homme singulier. […] Vous eussiez évité un éclat qui scandalise, qui divise les esprits, qui flatte la malignité, qui amuse, aux dépens de tous deux, les gens oisifs et inconsidérés, qui fait faire des réflexions injurieuses et renouvelle les clameurs contre les philosophes et la philosophie. […] Les gens de lettres sont pour M. 

338. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Il parlait avec tant de grâce, tant de feu, tant de majesté, souvent une heure durant, il s’énonçait en si beaux termes, tantôt latins, tantôt français, et disait de si belles choses, si curieuses, si recherchées, que les gens qui n’étaient venus qu’à dessein de le critiquer (ils étaient sans doute en grand nombre) ne pouvaient s’empêcher d’admirer son érudition et de se récrier comme les autres sur sa mémoire. […] Ces vives, ces générales, ces sincères acclamations firent taire pour longtemps ses ennemis, ses jaloux et ces atrabilaires qui, souvent sans savoir pourquoi, ou croyant se faire valoir, crient sans cesse contre les gens en place et trouvent plus ou moins à mordre en tout ce qui excelle. » Cette page, que j’ai tenu à donner dans toute son étendue, est le revers de la Pyramide de tout à l’heure. […] Dans l’Assemblée du Clergé de 1682, le prélat avait également déployé avec une supériorité incomparable toutes ses qualités de président, et il avait mérité d’être ainsi défini dans ce dernier rôle par un des évêques témoins et admirateurs, M. de Cosnac, lequel savait d’ailleurs saisir le fort et le faible des gens : « Sa civilité et sa conversation étaient charmantes et auraient été pourtant mieux reçues, si elles n’eussent pas été également répandues à tous ceux qui le voyaient. […] Mme de Bretonvilliers demeurait dans l’île Notre-Dame (c’est-à-dire Saint-Louis), et les gens du peuple l’appelaient la Cathédrale. […] Feuillet lui répondit qu’il n’en savait rien, mais que depuis peu il avait dit sur ce sujet à Monsieur (et l’on sait de quelle nature étaient les mœurs de ce prince) qu’il n’avait point besoin de confesseur en menant la vie qu’il mène à la Cour, et qu’il lui conseillait d’épargner les 6,000 livres qu’il donne à son confesseur qui ne sert qu’à le tromper, et qu’il valait bien mieux pour lui de les donner aux pauvres, afin de fléchir pour leurs prières la miséricorde de Dieu sur sa personne : après quoi, si Jésus-Christ lui donnait quelque sentiment de pénitence pour se convertir, il choisirait lui-même un homme de bien pour régler ses mœurs et la conduite de sa vie. — Ce discours, que la plupart des gens prendraient pour quelque chose de bien grave et de bien sérieux, parut à M. de Paris si agréable et si divertissant qu’il fut plus d’un bon demi-quart d’heure à en rire de tout son cœur. » 54.

339. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Mais la fumée littéraire si subtile lui a évidemment monté au cerveau et l’a légèrement enivré ; bien traité et plus que poliment par des critiques en renom, il s’est dit qu’il était un critique littéraire lui-même, et voici en quels termes il parle ou fait parler de lui dans un Prospectus, destiné, dit-il, à la province, mais que les gens de Paris ont pu lire au passage : « M.  […] Et, sans aller si loin chercher des exemples, vous tous qui avez connu des gens gais qui ne sont plus, vous le savez bien, que le plus vif et le plus fin de la gaîté ne se transmet pas et s’évapore : comment donner idée de Désaugiers à ceux qui ne l’ont qu’entrevu ? […] Il y a des gens qu’on peut appeler gais, parce qu’ils participent du meilleur de leur cœur à la gaîté des autres, sans la produire par eux-mêmes : il y en a, au contraire, qui font naître la gaîté autour d’eux sans en éprouver le sentiment. […] Nous autres critiques, qui parlons des gens longtemps après leur mort, nous devrions bien nous mettre dans l’esprit qu’il n’y a qu’une manière de les retrouver avec quelque vraisemblance : c’est dans leurs livres d’abord et aussi dans le témoignage des contemporains dignes de foi. […] Le bonhomme a toujours manqué d’une élévation d’âme, même commune ; pour peu qu’il en eût eu, il aurait été le plus malheureux des hommes. » Collé donc, à la différence de Panard, avait de l’élévation d’âme : il voyait les grands, les gens riches, les amusait, leur plaisait, mais ne se donnait pas ; il restait lui ; il se défendait de leur trop de familiarité par le respect ; il gardait de sa dignité hors de sa gaîté ; il savait que, si bon prince qu’on fût avec lui, on ne l’était pas autant à Villers-Cotterets qu’à Bagnolet ; assez chatouilleux de sa nature, il allait au-devant des dégoûts par sa discrétion, et se tenait sur une sorte de réserve, même quand il avait l’air de s’abandonner : quand il sortait ces jours-là de sa maison bourgeoise, il disait qu’il allait s’enducailler, comme d’autres auraient dit s’encanailler ; puis, son rôle joué, sa partie faite, il revenait ayant observé, noté les ridicules, et connaissant mieux son monde, plus maître et plus content à son coin du feu que le meunier Michau en son logis.

340. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Elle était alors dans une veine d’amertume et de misanthropie sociale, à la veille de rompre un lien déjà ancien, dans un véritable isolement moral, et se demandant quels amis et quel ami elle se pourrait choisir parmi tous ces visages nouveaux de gens à réputations diverses qu’elle affrontait pour la première fois. […] Vous savez comme on est gêné par la figure des gens,… et juger n’est pas mon état. […] Vous me dites de lui des choses qui s’accordent fort bien avec l’idée que j’en ai, et qui me confirment dans une opinion que j’ai de tous les hommes, c’est qu’il n’y a pas de confiance entière possible à réaliser : les gens qu’on estime, on les craint, et on risque d’en être abandonné et méprisé en se montrant à eux tel qu’on est ; les gens qu’on n’estime pas comprendraient mieux, mais ils trahissent. […] — Vous vous êtes dit : Il y a peut-être des gens qui se demandent si l’on peut manger de la chair humaine. — Et M.

341. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Fillars, méchante gazette de l’endroit, homme envieux, « qui va tout doucement, et qui n’a pas de plus grand plaisir que quand il voit tomber ceux qui voulaient courir plus vite que lui » ; qui est au courant de tout ce qui fait le mal d’autrui, et qui, s’il rencontre des gens heureux, se dit : Je les attends, ce caractère est parfaitement dessiné et mis en jeu. […] Ce secret était le mot même du proverbe (par exemple, Selon les gens l’encens, ou bien Il ne faut pas jeter le manche après la cognée, ou bien Les battus paient l’amende, etc.), mot qui était enveloppé dans l’action, et qu’il s’agissait de deviner : « de manière, dit Carmontelle (le grand créateur du genre), que si les spectateurs ne le devinent pas, il faut, lorsqu’on le leur dit, qu’ils s’écrient : Ah ! […] Elle n’en est que plus agréable et plus chère aux gens d’esprit, à ceux qui aiment véritablement à jouir du spectacle dans leur fauteuil. […] Ce genre de tour plaît surtout aux gens d’esprit dans la conversation : mais, au théâtre, beaucoup de ces mots, qui sont comme des épigrammes, courraient risque de s’évanouir. […] Théodore Leclercq a très bien peint sa douce paresse et son humeur peu ambitieuse, qui laissait à son observation tout son jeu et toute sa lucidité : « Assez bon observateur, dit-il, positivement parce que je reste en dehors des prétentions actives, je regarde faire, et j’écris sans remonter plus haut que le ridicule, qui est mon domaine, laissant des plumes plus fortes que la mienne combattre ce qui est odieux. » Là où il est le plus charmant et le plus naturellement dans son domaine, c’est quand il peint les légers ridicules dont il ne s’irrite point, mais dont il sourit et dont il jouit, les ridicules des gens qu’on voit et qu’on aime à voir, avec qui l’on joue la comédie sans qu’ils se doutent qu’ils la jouent doublement eux-mêmes.

342. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Ne jugeant encore les gens de lettres et les philosophes français que de loin et sur leurs seuls écrits, Mallet du Pan montrait qu’il ne serait pas homme à s’en laisser éblouir de près. […] Notez que tant qu’avait duré l’Ancien Régime, Mallet, rédacteur politique, avait été aussi indépendant qu’on le pouvait être avec trois censeurs ; souvent averti, réprimandé par le ministre, jamais il n’avait reçu pension ni faveur, à la différence de tant de gens de lettres pensionnés et rémunérés par Calonne ou par la Cour, et qui vont se faire républicains. […] On croit qu’il va se limiter lui-même ; mais ce genre de raisonnement, qui peut être vrai pour une période historique de quelque étendue, est tout à fait trompeur et décevant pour les courtes périodes d’années qui sont si essentielles dans la vie d’une génération : Tandis que cette foule de gens d’esprit, dit-il, pour qui la Révolution est encore une émeute de séditieux, attendent, comme le paysan d’Horace, l’écoulement du ruisseau ; tandis que les déclamateurs phrasent sur la chute des arts et de l’industrie, peu de gens observent que, par sa nature destructive, la Révolution amène nécessairement la République militaire. […] On voit que Mallet connaissait son monde de l’émigration : c’étaient bien en 1793 les mêmes gens qu’on a vus rentrer en 1814, pour retomber en 1830.

343. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Le murmure éclatait de toutes parts ; mais le ministre sort et tout se tait : Lorsqu’il monta en carrosse pour s’en aller, toute la cour du Palais-Royal était pleine de cordons bleus, de grands seigneurs, de gens de cette qualité, qui, par leur empressement, paraissaient s’estimer trop heureux de l’avoir pu regarder de loin. […] c’est sa maxime quand il ne se croit pas sûr des gens : Comme il ne connaissait pas mes intentions, et qu’il jugeait de moi sur l’opinion qu’il avait de la corruption universelle du monde, il ne pouvait s’empêcher de me soupçonner de me mêler de beaucoup de choses contraires à ses intérêts. […] Marquant avec une vigoureuse justesse l’illusion des gens du Parlement et leur insatiable exigence qui les faisait résister à toutes les offres premières d’accommodement et de conciliation, elle en conclut hardiment « que la corruption des hommes est telle, que, pour les faire vivre selon la raison, il ne faut pas les traiter raisonnablement, et que, pour les rendre justes, il faut les traiter injustement ». Elle montre les gens de bien, par leur obstination à créer contre les impôts et ceux qui en abusent, venant en aide aux turbulents et leur prêtant main-forte comme il arrive si souvent : Les gens de bien, sans considérer que c’est un mal quelquefois nécessaire, et que tous les temps à cet égard ont été quasi égaux28, espéraient par le désordre quelque plus grand ordre ; et ce mot de réformation leur plaisait autant par un bon principe, qu’il était agréable à ceux qui souhaitaient le mal par l’excès de leur folie et de leur ambition.

344. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Ceci devait mourir dans le même lieu qui l’a fait naître ; mais ceux qui vivent dans une société ont des devoirs à remplir ; nous devons compte à la nôtre de nos moindres amusements. » Il semble même qu’en terminant ce mémoire, Montesquieu s’attache trop à diminuer le mérite de l’observateur, lequel a souvent besoin de toute sa subtilité d’esprit et de son invention ingénieuse pour amener le fait sous son regard : Il ne faut pas avoir beaucoup d’esprit, disait Montesquieu, pour avoir vu le Panthéon, le Colisée, des Pyramides ; il n’en faut pas davantage pour voir un ciron dans le microscope ou une étoile par le moyen des grandes lunettes ; et c’est en cela que la physique est si admirable : grands génies, esprits étroits, gens médiocres, tout y joue son personnage. […] Je suis presque aussi content avec des sots qu’avec des gens d’esprit… etc. […] Le Casuiste veut montrer qu’un homme de son état est nécessaire à certaines gens, qui, sans viser à la perfection, tiennent à faire leur salut : « Comme ils n’ont point d’ambition, dit-il, ils ne se soucient pas des premières places ; aussi entrent-ils en paradis le plus juste qu’ils peuvent. Pourvu qu’ils y soient, cela leur suffit. » Ailleurs, parlant de ces gens dont la conversation n’est qu’un miroir où ils montrent sans cesse leur impertinente figure : « Oh ! […] Avant d’y arriver, voyageant sur le continent avec un Anglais, lord Waldegrave, il disait déjà « qu’il n’y avait gens de vrai bon sens que ceux qui étaient nés en Angleterre ».

345. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Facile aux liaisons, camarade de bien des gens de lettres et de beaucoup de militaires, il dut à l’amitié du général Leclerc de faire son premier voyage d’Italie et d’être présenté à Bonaparte, général en chef, à Milan, au printemps de 1797. […] Est-il téméraire de conjecturer d’après cela que Bonaparte, tout en comptant désormais avec raison Arnault parmi les gens de lettres qui lui étaient dévoués et qu’il préférait, ne lui reconnut point cette ardeur et cette trempe qu’il voulait dans les grands instruments de son Empire, et qu’il rencontra en d’autres hommes qui avaient également débuté par les lettres, dans les Maret, dans les Daru ? […] Vous le voyez, général, le secret transpire. » — « Ces Anciens sont gens timorés ; ils demandent encore vingt-quatre heures de réflexion. » — « Et vous les leur avez accordées !  […] Il lui arriva alors ce qui est arrivé à bien d’autres gens de talent : ce genre, qu’il n’adopta d’abord que comme diversion et comme un simple délassement sans importance, lui devint peu à peu essentiel et lui procura ses plus naturelles inspirations ; il mit en œuvre et comme en jolie monnaie ses trésors de raison, d’expérience, de malice et de gaieté ; et, si l’on voulait aujourd’hui prouver à quelque incrédule, à quelqu’un de ceux qui nient absolument la littérature de l’Empire, qu’Arnault était un homme de beaucoup d’esprit et un homme de talent, il faudrait laisser ses grands ouvrages et dire simplement : Prenez ses fables. […] L’inconvénient de ce genre facile est, pour les gens d’esprit, de les trop livrer à leur penchant et de trop marquer leur humeur : le talent demande à être plus gêné et plus contrarié que cela.

346. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Avec le sérieux implacable, le sérieux presque cruel de tous les comiques du dix-neuvième siècle, le dit Labiche lâche des mots drôles, des mots faisant rire les gens qui ont le rire facile. […] Un dîner de gens de talent qui s’estiment, et que nous voudrions faire mensuel, les hivers suivants. […] La tapisserie, on peut le déclarer à la stupéfaction de bon nombre de gens, la tapisserie est un art perdu. […] Eh bien, en vivant tous les jours avec ces gens, il est devenu démocrate. […] Il n’y a pas plus de cohésion entre les messieurs disparates qui les composent actuellement, qu’entre des gens descendant de diligence pour dîner à table d’hôte.

347. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Et il parle des gens de finance, à éclipse dans les prisons, nous en citant un, sans le nommer, qu’il faisait mettre à Mazas, et qu’il retrouvait, quelque temps après, à un dîner du ministère, à la droite du ministre, et de là lui envoyant un petit signe bienveillant de protection ; nous citant un autre, qui, dans ses passages à travers deux ou trois prisons, avait fait décorer de décorations étrangères, tous les directeurs et gros employés. […] Elle ne comprend pas, que c’est une carrière de faire des femmes à peu près distinguées, et que les gens qui travaillent, et qui ne sont pas mariés, ne trouvent pas le temps de se procurer cet à peu près. […] Et pourquoi, aux yeux de certaines gens, Edmond de Goncourt, est un gentleman, un amateur, un aristocrate qui fait joujou avec la littérature, et pourquoi Guy de Maupassant, lui, est-il un véritable homme de lettres ? […] Ce soir, chez la princesse, le capitaine Riffaut, qui a vu fusiller beaucoup de gens de toutes les nations, soutenait que les hommes montrant le plus stupéfiant dédain de la vie, devant le peloton d’exécution, étaient les Mexicains. […] C’est particulier comme les étrangers, ainsi que les provinciaux, sont intimidés par ce don tout parisien, et comme ils sont volontiers pris d’antipathie pour les gens, dont la parole recèle pour eux, de secrètes et mystérieuses moqueries, dont ils n’ont pas la clef.

348. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Considérés comme habitants d’une si grande planète qu’il est nécessaire qu’il y ait différents peuples, ils ont des lois dans le rapport que ces peuples ont entre eux ; et c’est le droit des gens. […] De ce principe et du précédent doivent dériver toutes les lois qui forment le droit des gens. « Toutes les nations ont un droit des gens. […] Ils envoient et reçoivent des ambassades ; ils connaissent des droits de la guerre et de la paix ; le mal est que ce droit des gens n’est pas fondé sur les vrais principes. « Outre le droit des gens, qui regarde toutes les sociétés, il y a un droit politique pour chacune.

349. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Et ainsi, lorsque la prédication de Jésus commençait, lorsque après l’avoir vu, au retour du désert et de sa tentation triomphante, quitter de nouveau sa mère, Marie triste et résignée, on le suivait le long de la mer de Galilée allant recruter des pêcheurs pour disciples ; lorsque dans des scènes très plates et d’un langage délayé, mais assez naïves, on assistait à ces conversations, puis à ces conversions de pêcheurs, de gens de métier, chacun ayant sa physionomie et gardant assez bien son caractère ; lorsque le cortège des Douze se complétait ainsi à vue d’œil, avec sa variété, — parmi eux un seul noble, Barthélemy « en habit de prince », les autres dans leurs habits mécaniques ou de travail, saint Thomas en habit de charpentier, ayant jeté seulement ses outils, et Matthieu le publicain, à son tour, assis d’abord devant sa table, avec ses sacs d’argent rangés dessus, et cependant offrant dans sa maison un repas à Jésus qui l’accepte, — il y avait certainement, à cette suite de scènes familières, un intérêt que l’on conçoit encore très-bien aujourd’hui, et qui consistait dans l’extrême détail, dans le naturel minutieux du développement, dans l’imitation et la copie de la vie. Toutes ces circonstances de l’histoire de Jésus, tous ces personnages si connus de nom et montrés aux yeux, semblables aux gens d’à présent, devaient toucher les simples, les ignorants, qui étaient alors le grand nombre, et devenaient un enseignement vivant, parlant à tous. […] Je ne ferai plus qu’une remarque : c’est que Madeleine, lorsqu’elle entend parler de Jésus-Christ et de ses miracles par des gens qui viennent d’en être témoins, les questionne sur un ton léger qui est bien dans son premier rôle. […] Guessard et de Certain sont des gens d’esprit, d’un bon esprit, autant que des hommes d’un savoir précis et rigoureux.

350. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

Il est vrai qu’il reproche au « darwinisme anglais 8 » je ne sais quelle « odeur de petites gens, misérablement à l’étroit ». […] Il ne voit guère qu’une recommandation à faire à l’artiste : « Il faut obéir à son génie. » Et il dit à tous : « On n’agit décemment qu’en conformité avec sa propre nature ; les gens qui veulent agir ou ne pas agir d’après les ordres d’une morale extérieure à leur vérité personnelle finissent, Dieu aidant, dans les compromis les plus saugrenus. » Décidément cet homme ne respecte rien : morale extérieure, lois, science aux prétentions « législatives », il raille toutes les beautés rectilignes qui émeuvent les braves gens de la « règle » et du « droit chemin ». […] Si Apollon dédaigne trop la mode, il y aura des gens pour le trouver laid.

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