triste par lui-même, car il dégoûte l’imagination comme il indigne le caractère, et difficile à toucher, même au génie. […] Richepin, qui a pu rêver et nous donner pour une réalité cette fée, cette divinité, cette incomparable amoureuse, ce génie ; car elle finit par le génie, madame André, toujours au profit de son amant, à qui elle fait ses livres comme elle lui fait ses chemises. Elle finit par le génie, comme M. […] On peut s’arrêter en le buvant… Il n’exerce pas sur nous la tyrannie littéraire du génie, qui est toujours un despote, lui !
Pour toucher à ce genre de littérature, il faudra vraiment du génie. Fané par tant d’imaginations plus ou moins puissantes ou vulgaires, qui y touchent comme si, de talent, elles en avaient le droit, ce ne sera pas trop que du génie, — et beaucoup de génie, — pour raviver cette forme déjà usée et flétrie, sur laquelle des talents sans mâle invention et sans fécondité viennent passer leurs petites ardeurs. […] Mais si le Don Quichotte, malgré le génie de Cervantès et les épisodes qui sont la plus belle partie de son livre, est un livre monotone, d’une gaieté de muletiers, ayant toujours le même goût d’ail et de proverbe, que dire de la grosse plaisanterie du Docteur Mathéus, bien moins acre et bien moins renouvelée ? […] Avoir fait d’Hoffmann et d’Edgar Poë une combinaison honnête, avoir fait d’Hoffmann, l’halluciné de fumée de pipe, le nerveux suraigu, le labes dorsal qui vécut des années avec une moelle épinière à feu, et d’Edgar Poë, plus étonnant encore, d’Edgar Poë, l’ivresse la plus noire et la plus rouge qui se soit allumée jamais dans une tête humaine sans la faire éclater, le mangeur d’opium arrosé d’eau-de-vie, le delirium tremens devenu homme jusqu’à ce que l’homme fût entièrement tué par le delirium tremens, faire de ces deux puissants génies malades une petite créature qui ne se porte pas trop mal, et qui nous trempe l’esprit comme une mouillette dans une mixture… sans inconvénient, n’est-ce pas un début magnifique ?
Ou ville libre et neutralisée, ou capitale d’un État grec, ou conquête disputée entre de grandes puissances, Constantinople, si près de Malte et de Marseille, dans la vitesse actuelle des forces civilisées, ne peut longtemps appartenir à un autre monde, à un autre génie que l’Europe chrétienne. […] Disons-le même : à cet emploi de sa force, à cette extension graduelle du christianisme et de la civilisation vers nos confins orientaux d’Asie et d’Afrique, est attaché le véritable équilibre du monde, la prédominance glorieuse et durable du génie de l’Europe devant cet immense continent américain qu’elle a découvert et peuplé. […] Comme le souffle de la liberté commune anima tous ces âpres égoïsmes, et comme le génie naissant de la jeune Amérique accueillit rudement sur ses rivages l’attaque, injuste alors, d’étrangers envahisseurs ! […] Quand un idiome a vieilli sur son sol natal, ou que, défiguré dans son passage sous un ciel nouveau, il a perdu l’instinct délicat de sa forme première, sa grâce ou son énergie ; qu’il n’est plus en rapport avec le monde troublé et nouveau dont il est entouré, il n’importe : l’éclair de l’esprit, l’émotion de l’âme se fait jour par toute voie laissée à l’intelligence ; et le génie de l’architecte brille encore dans l’imperfection des matériaux mutilés ou à peine dégrossis qu’il emploie. […] Mais, dans le génie comme dans la foi, il y a toujours des élus de Dieu : et tant que l’enthousiasme du beau moral ne sera pas banni de tous les cœurs, tant qu’il aura pour soutiens toutes les passions honnêtes de l’âme, il suscitera par moments l’éclair de la pensée poétique ; il éveillera ce qu’avaient senti les prophètes hébreux aux jours de l’oppression ou de la délivrance, ce que sentait ce roi de Sparte, lorsqu’à la veille d’une mort cherchée pour la patrie, il offrait, la tête couronnée de fleurs, un sacrifice aux Muses.
Cet homme n’est le second de personne ; il est le premier des naïfs, et la naïveté dans le sublime est le plus naturel des génies, car c’est le génie qui s’ignore, l’innocence baptismale du talent. […] C’est le fils qui connaît le mieux le père ; la piété filiale est le génie d’un biographe. […] Son génie oratoire et inquiet froissait la routine et la médiocrité de la cour de Cagliari. […] Il avait trop lu la Bible ; le ton d’oracle avait vicié en lui l’accent modeste de ce grain de poussière pensant qu’on appelle un homme de génie. […] On ne croirait pas, avant d’avoir lu, que la confiance dans la toute-puissance de son propre génie eût porté si loin un homme de tant de sens.
Par quoi remplacerons-nous ce siècle de vrai génie littéraire ? […] On ne peut mesurer la valeur exacte des génies précisément à cause de leur originalité. […] Ce qui s’est passé pour Stendhal peut se passer demain pour un génie méconnu jusqu’ici. […] Le soin de la suprématie française, du génie français les inquiète surtout. […] À certains moments, le génie littéraire de notre race absorbe l’Europe.
Le génie de la France septentrionale a pris le dessus. […] Si, au contraire, l’idéal de la poésie française est dans le mélange du génie national et du génie ancien, le Roman de la Rose, qui est un faible pas de la poésie française vers cet idéal, doit être regardé comme un progrès. […] Quoique le savoir ne soit pas le génie, il y a des temps où le génie est le savoir. […] A moins donc de prétendre que la Renaissance n’a été pour les modernes qu’une confiscation du génie national, et qu’il eût été plus glorieux que, séparée du passé, enfermée dans son, territoire chaque nation recommençât pour ainsi dire tout l’esprit humain, comment ne vouloir pas qu’un poème qui rattachait par quelques fils, même grossiers, le génie français au génie antique, ait plus mérité de vivre que tant d’écrits oubliés par la France, pour n’avoir su que l’amuser ? […] Aucun événement publie ni personnel, ne le fit descendre en lui-même jusqu’à la source des accents virils et des expressions de génie.
Ceux de Tolstoï le déterminèrent à abandonner l’observation d’un monde qui le froissait sans cesse et perdirent ainsi, artistiquement, un des plus puissants génie de ce temps. […] Dans la maussade hostilité des hommes et des choses, dans la sourde inimitié d’une société qu’il objurgue de réclamations et qu’il sèvre de services, il distingue le complot d’une basse majorité d’êtres haineux, contre l’essor d’un génie supérieur. […] L’on est embarrassé, par contre, de trouver chez les peuples tristes, des littérateurs de quelque nom, dont le génie n’ait rien d’amer ou de mélancolique. […] Il me semble que l’explication de cette anomalie est dans la grandeur même des génies qui la montrent : Le génie le plus haut, dit Edgar Poe dans ses Marginalia le génie que tous les hommes reconnaissent à l’instant, qui s’impose aux individus et aux niasses par une sorte de magnétisme incompréhensible mais irrésistible et irrésisté, le génie qui se révèle par le geste le plus simple, par rien, qui parle sans voix, qui brille dans les yeux avant qu’ils ne regardent, résulte d’une puissance mentale également répartie, disposée en un état de proportion absolue, de façon qu’aucune faculté n’ait de prédominance illégitime. […] Balzac a échappé par l’énormité de son génie à cette prise de parti mais Michelet et d’autres avaient porté la sensibilité dans l’histoire et dans la chaire ; Sainte-Beuve et M.
Mais le Génie, l’exceptionnel Génie qui, créé pour le vrai, se joue puissamment dans le faux, parce que, s’il est grand, il est plus fort que ses atmosphères, n’aurait pas arrêté un critique en possession de sa pleine vigueur. […] Il l’a montré passé la ceinture, — de la tête aux pieds, de cette tête orgueilleuse de génie jusqu’à ces pieds de bête impure qui relevaient cyniquement sa robe de docteur ! […] car chez Luther, le sycophante et le menteur ont également dégradé l’homme de cœur et l’homme de génie. […] Ce n’est pas un homme de génie ; mais la vérité absolue du point de vue catholique dispense de cette terrible nécessité d’avoir du génie, et ce n’en est pas moins un maître. […] Figure de premier plan et nécessaire que cette fausse Vierge, mensonge de vertu et presque de génie, qui pensait par la tête de Burleigh et coagulait en vice froid les passions bouillantes de son père !
On trouverait de quoi justifier l’une et l’autre de ces opinions, à condition que la première l’emportât en définitive, et que le génie de Bossuet, là comme ailleurs, gardât le plus haut rang. […] Par ces exemples, que je pourrais multiplier, on voit bien la marche et le progrès rapide du génie de Bossuet. […] M. de Bausset a remarqué au contraire, comme une espèce de singularité, qu’il ne vint à l’idée de personne alors de prendre Bossuet et Bourdaloue pour sujet de parallèle, et de balancer leur mérite et leur génie, comme on le faisait si souvent pour Corneille et pour Racine ; ou du moins, si on les compara, ce ne fut que très peu. […] Le siècle dans lequel tous deux vivaient eut le mérite de faire cette distinction, et d’apprécier chacun sans les opposer l’un à l’autre : et aujourd’hui ceux qui triomphent de cette opposition et qui écrasent si aisément Bourdaloue avec Bossuet, l’homme de talent avec l’homme de génie, parce qu’ils croient se sentir eux-mêmes de la famille des génies, oublient trop que cette éloquence chrétienne était faite pour édifier et pour nourrir encore plus que pour plaire ou pour subjuguer. […] Dans l’époque auguste et si définie au sein de laquelle il parlait, Bossuet, sans rien perdre de son étendue ni de ses hardiesses de coup d’œil à distance, trouvait partout autour de lui ce point d’appui, cette sécurité, et cet encouragement ou avertissement insensible dont le talent et le génie lui-même ont besoin.
Il a pu même, grâce à ce génie des vieux temps qu’il avait si bien écouté et deviné, remonter une ou deux fois avec succès jusqu’aux siècles reculés du Moyen-Age. […] Le seul genre de création possible à cette distance, le roman-poème, est toujours lui-même douteux, un peu bâtard : il mène aisément au faux ; beaucoup de talent et le génie même de l’expression n’y sauvent pas de la raideur, du guindé, ou du pastiche, et, partant, d’un certain ennui. […] que les inventions du génie sont plus faciles ! J’appelle génie quelque chose d’heureux, d’aisé, de trouvé. […] le côté politique, le caractère des personnages, le génie du peuple, les aspects par lesquels l’histoire particulière de ce peuple navigateur, et civilisateur à sa manière, regarde l’histoire générale et intéresse le grand courant de la civilisation, sont sacrifiés ici ou entièrement subordonnés au côté descriptif exorbitant, à un dilettantisme qui, ne trouvant à s’appliquer qu’à de rares débris, est forcé de les exagérer.
Il paraît avoir goûté du premier jour ce génie habile, facile et laborieux, ouvert et insinuant, d’une autre nature que le sien, et d’un ordre à quelques égards inférieur, mais qui par cela même ne lui était pas désagréable, et en qui, même à cause des différences, il n’était pas fâché de se désigner un successeur. […] Lui qui connaissait si bien les hommes, il est un point du génie français qui lui a toujours échappé, un point sur lequel il ne fut français ni d’accent, ni de sentiment, ni d’intelligence. […] Mazarin est de la race des ministres comme Robert Walpole, plutôt que de celle des Richelieu ; il est de ceux (et nous en avons connu) qui ne haïssent pas un certain abaissement dans le génie de la nation qu’ils gouvernent, et qui, alors même qu’ils rendent les plus vrais services, n’élèvent pas. […] Les mémoires lui laissent la liberté de se livrer à son génie. […] Ces hommes qui ont le génie d’écrivain ont toujours, sans bien s’en rendre compte, une arrière-pensée secrète et une ressource dernière, qui est d’écrire leur histoire et de se dédommager par là de tout ce qu’ils ont perdu du côté du réel.
Il est vrai qu’il est assez difficile de dire ce que c’est que le génie de notre race, cette race étant fort composite : on croit voir assez bien pourtant ce qui n’est décidément pas dans l’essence de ce génie. […] Soyons équitables et doux pour tous les hommes de génie, et ne leur appliquons pas une mesure plus sévère qu’à nous-mêmes. […] Les hommes de génie n’ont pas tous été des saints ? […] Le poète ne pouvait donc produire que des œuvres mixtes, d’ordre composite, à peu près comme sont en architecture les édifices de la Renaissance, mi-partis du génie ancien et du génie moderne, au reste n’en ayant peut-être que plus de charme pour les esprits cultivés et subtils, épris, tout à tour ou en même temps, de toutes les modulations de la beauté40. […] On peut se lasser de tout, même du pittoresque, qui change avec le temps, mais le fond du théâtre de Racine est éternel ou, ce qui revient au même, contemporain du génie de notre race dans tout son développement, et la forme est celle qu’a revêtue ce génie à son moment le plus heureux.
Le génie le plus hardi relève à la fois de l’invention et de la tradition, de l’avenir et du passé. […] Quels que soient les changements imposés au génie grec par la France et l’Italie, au génie anglais par l’Allemagne, nous avons la certitude de juger les enfants en jugeant le père. […] Le poète, malgré l’impartialité de son génie, malgré son admirable bon sens, a payé tribut à son temps. […] Or, si le génie anglais et le génie grec ont une majesté de même origine, il est hors de doute que la réforme dramatique, pour être légitime et durable, ne devra pas proclamer l’apothéose d’Hamlet en haine et en mépris d’Œdipe roi. […] La société lui appartient tout entière ; législation, gouvernement, magistrature, tout relève de son génie.
Homère, Virgile, le Tasse, et Milton, n’ont guères obéi à d’autres leçons qu’à celles de leur génie. […] La lutte de César et de Pompée est celle des génies du mal et du bien personnifiés dans ces deux adversaires. […] C’est ce qu’a bien saisi le génie du chantre italien. […] Les règles se déduisent du beau créé par le génie : nous ne risquons rien de convertir en loi l’exemple de l’Arioste. […] Ce poème ne veut pas moins d’art, mais plus de force, de patience et de ressources dans le génie de l’auteur.
On dit volontiers que le génie, étant essentiellement personnel, ne saurait donner, à l’analyse, de formes générales, ou que tout au moins, le génie d’un peintre, par exemple, ne saurait avoir rien de commun, ou presque rien, avec le génie d’un poète ou d’un philosophe. […] L’invention peut aller du génie le plus haut à la plus complète insignifiance. […] De même pour son génie de poète. […] De très grands génies en présentent de fort remarquables. […] Séailles : Le Génie dans l’art (Paris, Félix Alcan).
Le roi, son fils, son petit-fils, la cour entière assistèrent dans la maison de madame de Maintenon, à Saint-Cyr, à la cérémonie où le génie de l’éloquence consacrait le génie de la poésie. […] De cette solitude sortirent des milliers de pages où respirent le génie littéraire de la plus pure antiquité et le génie moderne du christianisme, qui parlent de la divinité avec une admirable puissance d’esprit et de langage, souvent avec le plus tendre enthousiasme. […] » Le génie de ce grand homme ne sert ici qu’à illustrer sa haine ; il l’emporta au tombeau. […] Rien ne reste impuni, même sur la terre, des faiblesses du génie. […] Fénelon aima, ce fut son génie ; il fut aimé, ce sera sa gloire.
Il est peut-être moins difficile aux rares génies de rencontrer le grand et le sublime, que d’éviter toute sorte de fautes. […] Marot et Rabelais sont inexcusables d’avoir semé l’ordure dans leurs écrits : tous deux avaient assez de génie et de naturel pour pouvoir s’en passer, même à l’égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu’à rire dans un auteur. […] Pour le sublime, il n’y a, même entre les grands génies, que les plus élevés qui en soient capables. […] La critique souvent n’est pas une science, c’est un métier, où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie ; si elle vient d’un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu’elle s’exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l’écrivain. […] Un homme né chrétien et Français se trouve contraint dans la satire, les grands sujets lui sont défendus, il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses qu’il relève par la beauté de son génie et de son style.