Cela est bien singulier, oui, quand on connaît la biographie de La Fontaine, et non seulement sa biographie, mais son caractère général et ce qu’il était à l’ordinaire. […] Il y a une histoire de lieutenante générale de Château-Thierry, il y en a une autre d’une certaine abbesse, il y en a d’autres encore sur les châtelaines du voisinage, il y a La Fontaine — premier trait de distraction — sortant, au milieu de la nuit, en bottes blanches et une lanterne allumée par un clair de lune magnifique, pour aller à un rendez-vous nocturne. […] Parce que Jannart était substitut de Fouquet en sa qualité de procureur général. Fouquet, qui cumulait beaucoup de charges, avait celle de procureur général, et Jannart a été son substitut. […] On a dit, depuis qu’on s’acharne à la faire, cette biographie des hommes illustres, dans tous les détails, et dans des détails quelquefois désobligeants, on a dit que c’était dans l’intérêt de l’histoire, dans l’intérêt de la grande psychologie des hommes de génie et, par conséquent, dans l’intérêt de la grande psychologie générale.
Il est un peu comme ces généraux qui n’emportent la moindre position qu’en prodiguant le sang des troupes (c’est l’encre seulement qu’il prodigue) et qu’en perdant énormément de monde. […] Il ne faudrait pour cela que des suppressions en lieu opportun, quelques allégements de descriptions, diminuer un peu vers la fin l’or du père Grandet, et les millions qu’il déplace et remue dans la liquidation des affaires de son frère ; quand ce désastre de famille l’appauvrirait un peu, la vraisemblance générale ne ferait qu’y gagner. […] On s’impatiente de l’entendre louer pour son génie ; on le traite de fou délirant ; on accuse la faiblesse de ses proches qui ne l’ont pas fait enfermer déjà : on tremble quand on voit sa fille aînée lui obtenir, pour l’arracher à son laboratoire, une caisse de recette générale au fond de la Bretagne ; on froisse la page sous sa main, mais on y revient ; on est ému enfin, entraîné, on se penche malgré soi vers ce gouffre inassouvi. […] Quoi qu’il en soit, c’est un besoin pour moi d’indiquer que, vers l’époque de sa mort, j’ai parlé de lui (Constitutionnel du 2 septembre 1852) sous un point de vue plus général et en embrassant de mon mieux l’ensemble de son œuvre, que je ne suis point cependant arrivé à admirer autant que je le voudrais.
Ses romans, en effet, avaient un cours prodigieux ; on les contrefaisait de toutes parts ; quelquefois on les continuait sous son nom, ce qui est arrivé pour le Cléveland ; les libraires demandaient du l’abbé Prévost, comme précédemment du Saint-Évremond ; lui-même, il ne les laissait guère en souffrance, et ses œuvres, y compris le Pour et Contre et l’Histoire générale des Voyages, vont beaucoup au-delà de cent volumes. […] Le général de la congrégation tenta bien une démarche amicale pour lui rouvrir les portes ; mais Prévost, déjà parti, n’en fut pas informé. […] Comme ceci n’est pas un inventaire exact, ni même un jugement général des nombreux écrits de notre auteur, nous ne nous arrêterons qu’à ceux qui nous aideront à le peindre. […] A son retour, il reprit sa place chez le prince de Conti, qui l’occupa aux matériaux de l’histoire de sa maison ; et le chancelier Daguesseau, de son côté, le chargea de rédiger l’Histoire générale des Voyages 102.
Elle était ennuyée de toutes les affaires dont son odieux favori voulait qu’elle se mêlât, et n’avait de plaisir qu’à gaspiller en robes et en bijoux les millions que la bassesse du contrôleur général lui fournissait avec profusion ; soit crainte, soit goût, soit faiblesse, elle était entièrement livrée aux volontés despotiques de M. […] Ils nous avaient frappés en les entendant ; ils firent le même effet sur tous ceux qui les apprirent, et le sentiment général fut de conclure qu’une troisième saignée prouverait au roi qu’il était bien malade, et le déterminerait au renvoi de Mme Dubarry. […] Quoique ce sentiment fût le même à Versailles, l’air d’inquiétude y était plus général ; c’est d’abord le pays du déguisement, et si le déguisement est permis dans un cas, c’est bien dans celui où quand on peut, sans blesser l’honneur, cacher ce qu’on pense, on ne peut pas le faire paraître sans étourderie et sans courir le risque à peu près sûr d’une Bastille éternelle. […] Celui-ci était instruit de son côté par Lorry, et plus encore par M. d’Aumont, de l’état du roi, des inquiétudes de la nuit et de l’opinion générale.
Beaucoup de choses me soutiennent et me consolent ; le concours de ceux qui pleurent avec nous notre perte, la douleur générale qui se manifeste dans toute la ville, le deuil public, et beaucoup d’autres considérations de cette nature, propres à adoucir en grande partie notre chagrin : mais ce qui me console le plus, c’est de t’avoir ; c’est d’avoir un frère en qui j’ai plus de confiance et d’espoir que je ne le saurais dire. […] C’était une illusion, si vous voulez, mais de temps en temps l’humanité est saisie d’une de ces manies générales qui deviennent la passion du moment ; la plus populaire est celle qui la sert le mieux. […] Avec sa prévoyance, il comprit son état et n’eut rien de plus à cœur que d’appeler le médecin de l’âme, pour lui faire, en vrai chrétien, la confession générale des manquements et des fautes de toute sa vie. […] Ce qui nous console dans ce grand deuil général, ce sont ses enfants, si éminemment dignes de leur père, et Pierre, l’un d’eux, leur aîné, qui, à peine dans sa vingt et unième année, soutient le poids des affaires de toute la république avec une gravité, une sagesse et une autorité telles, qu’il fait croire à une vie nouvelle du père dans son fils.
D’autres fois les préceptes de courtoisie et de belle morale se grefferont sur les commandements de la morale chrétienne, comme dans ce curieux Châtiement des dames de Robert de Blois, que je ne nommerais pas, si l’on n’y voyait comment peu à peu, dans la comparaison inévitable du fait et de la règle, le moyen âge a fait à la longue son éducation psychologique, comment aussi, dans ce temps d’abstractions et de formules, l’observation précise de la vie s’inscrit en préceptes généraux. […] Il avait ainsi la forme générale de son poème : Macrobe, Ovide, Chrétien de Troyes l’aidèrent à en développer toute la matière. […] Il y a là un art d’individualiser par l’extérieur les caractères généraux, qui est au fond identique à l’art de La Bruyère. […] De ce fatras se dégage immédiatement avec évidence un esprit général qui est tout contraire à l’aristocratique délicatesse de Guillaumede Lorris : et ce n’est pas la moindre singularité de l’ouvrage que cette absolue incompatibilité des deux intelligences qui l’ont faite.
Parmi tous les mystères indépendants où un événement particulier, une destinée individuelle sont exposés, trois compositions d’un caractère plus général se détachent : le Mystère du Vieil Testament, qui, en près de 50 000 vers, nous mène du Paradis terrestre jusqu’au temps d’Auguste ; le Mystère de la Passion, qui, en près de 35 000 vers dans l’œuvre de Gréban. embrasse tous les récits des Évangiles, et le Mystère des Actes des Apôtres, qui, en plus de 60 000 vers, expose la diffusion de la religion nouvelle et le martyre des premiers serviteurs du Christ. […] Le Procureur général, en 1542, ne les maltraitait pas moins comme mauvais acteurs de pièces mal faites que comme offensant la morale et la religion. […] La grande basoche de Paris, dès le début du xvie siècle, était un corps considérable, ayant ses armes, son roi, son chancelier, jugeant ses membres, frappant monnaie, tenant ses réunions générales deux ou trois fois l’an, et surtout vers le mois de juin ou juillet, faisant sa montre solennelle où elle défilait devant son roi, donnait aubades et sérénades aux présidents et conseillers du parlement, à grand fracas de tambours, hautbois et timbales. […] La moralité allégorique et la sottie sont des efforts pour dégager les qualités générales, l’essence des caractères et des conditions.
Sauf la forme des vers et le ton général de la composition, Pouchkine n’a rien dérobé à lord Byron. […] Un général qui a pris bien des places, par amour de la diversité, se plaît à soutenir un siège. […] Au milieu de ses longs voyages, Onéguine a perdu la mémoire de toutes les demoiselles qui promettaient de son temps, et il s’adresse à un vieux général, son parent, aimé et considéré de tout le monde. — « Quoi ! […] Le général n’est pas jaloux, il est plein de confiance dans sa femme ; mais celle-ci est prudente, et sa science du monde, nouvellement acquise, elle s’en sert pour éviter le danger, sans paraître le craindre ou même le soupçonner.
Pour qui connaît les grands écrivains du dix-septième siècle, ce qui reste dans l’esprit comme dernier souvenir, c’est comme un portrait général de l’homme, auquel tous ces grands peintres ont travaillé. […] La morale de l’Esprit des lois ne l’oblige qu’à des vœux généraux d’humanité, de justice, de liberté pour tous, qui l’acquittent de toute obligation particulière. […] Les erreurs de l’Esprit des lois sont : ou des faits invraisemblables que Montesquieu tient pour vrais et explique comme tels, ou des faits certains dont il ne donne pas l’explication vraie, ou des maximes générales qu’on pourrait appeler des erreurs en grand, par exemple la théorie de l’influence du climat. […] Oserai-je dire que ce qui importe, ce n’est pas de compter les fautes de Montesquieu, mais de rechercher par quelle cause générale il se trompe ?
La pratique du gouvernement représentatif, où tous les ressorts d’une grande société sont mis au jour, nous a persuadé que nous sommes très bons juges de la politique, que nous n’ignorons pas la guerre, que nous nous entendons en finances et en administration, que rien ne nous échappe des rapports de la fortune publique avec l’esprit général du gouvernement. […] Ce que nous demandons à l’historien, pour en garder une impression durable, ce sont les causes de la guerre exposées et jugées, la situation des deux peuples qui vont en venir aux mains, leurs chefs, les préparatifs de la lutte, les batailles, et, dans les récits de ces batailles, les traits qui caractérisent le commandement chez les généraux et la manière de se battre chez les soldats ; enfin, la justice rendue à tous, avec un peu d’inclination pour tout ce qui peut honorer notre nation à ses propres yeux, et entretenir parmi nous la tradition de la discipline et du courage. […] C’est un certain ordre où les gens comme lui ont toutes leurs aises, y compris, j’en conviens, un besoin de justice générale satisfait. […] Le promoteur de la première croisade, Pierre l’Ermite, c’est « Coucoupètre ou Cucupiètre, ce Picard qui marche à la tête de l’armée, en sandales et ceint d’une corde, nouveau genre de vanité. » L’éloquence de saint Bernard lui vaut quelque justice ; mais Voltaire s’en rachète bien vite aux yeux de Frédéric, par un portrait de saint Bernard « refusant l’emploi de général pour se contenter de celui de prophète, prêchant partout en français à des Allemands, et prédisant des victoires à des armées qui sont battues. » Pour saint Louis, auquel il n’a pas nui, aux yeux de Voltaire, d’avoir tenu tête à Rome, il l’admire sincèrement ; mais Saladin lui est plus cher.
D’après leurs prédications, l’Univers reconnoît un seul Maître : le monde n’est plus qu’une figure qui passe, ses biens qu’une vapeur qui se dissipe ; la vie qu’un passage à un autre plus durable, & dont l’usage de la premiere fixera le sort : l’Homme, cet être auparavant si foible, triomphe de ce que le monde a de plus flatteur & de plus redoutable : les combats qu’il est contraint de livrer à ses passions, sont la source de son repos & de celui de ses semblables ; le mariage est rappelé à son institution primitive : les Loix qui n’arrêtoient que la main, agissent sur le cœur : la bienséance devient un devoir général, même à l’égard des ennemis : le disciple d’Epicure embrasse cette morale mortifiante & austere : on ne reconnoît plus l’Homme dans l’Homme, comme l’a dit Bossuet ; mais dans cette étonnante révolution, on reconnoît le doigt de Dieu. […] Ce n’est pas un sentiment passager qui produit la bienfaisance du Chrétien, ce n’est pas la vue seule de l’objet qui excite sa compassion ; c’est la prévoyance, c’est le désir du bonheur général, c’est un amour profond de l’Humanité entiere. […] Fût-elle plus austere que nos Philosophes le prétendent, son joug n'est-il pas infiniment avantageux, puisqu'elle ne tend qu'à diminuer le nombre des vices, qu'à multiplier les vertus, qu'à établir le bonheur général, en mortifiant les intérêts particuliers ? […] Comme l’ordre de la Société exige pour son propre soutien de la subordination, de la dépendance, de la fatigue ; comme la corruption de l’humanité répand sur le général & sur les particuliers, des afflictions, des peines, des travaux, des oppressions, des injustices : quel homme pourroit se soumettre aux rigueurs d’un partage si cruel à la Nature, sans une lumiere qui lui apprît à supporter les amertumes de son sort ; sans un contrepoids qui réprimât les soulévemens d’une sensibilité trop souvent juste ; sans une loi de soumission qui lui fît accepter, par des vûes sur-humaines, tout ce qui peut blesser son esprit & révolter son cœur ?
Mais on s’attachera aussi à montrer son universalité, et ce caractère général du phénomène contraindra l’esprit à reconnaître son utilité, sa nécessité, à préciser son rôle comme cause et moyen essentiel de révolution dans l’Humanité. […] Il est aisé de distinguer dans l’œuvre de Flaubert un Bovarysme sentimental dont Mme Bovary et Frédéric Moreau sont, avec des différences d’intensité, les prototypes, un Bovarysme intellectuel dont le même Frédéric Moreau nous présente le cas sous son aspect le plus général, un Bovarysme de la volonté que l’on découvrirait à l’analyse chez Deslauriers. […] Lorsqu’il a composé avec La Tentation de saint Antoine, avec Bouvard et Pécuchet, des œuvres d’une portée plus générale, une même nécessité de sa vision d’artiste a été cause qu’il a animé ce champ nouveau et plus vaste du jeu de ce même pouvoir. […] Ils nous montrent cette disproportion aggravée encore à notre époque sous l’influence du développement soudain de l’instruction, du machinisme des formules, d’une façon générale, et pour emprunter à Carlyle une remarque excellente, des moyens innombrables mis à la disposition de l’individu pour obtenir des résultats qu’il n’a pas eu la peine d’inventer, et qui peuvent être efficaces entre ses mains sans qu’il lui soit nécessaire d’en comprendre le mécanisme intime.
Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son œuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; c’est cette suprême fin de non-recevoir, abhorrescere a sanguine , construite à tout jamais en avant de tous les procès criminels ; c’est la sombre et fatale question qui palpite obscurément au fond de toutes les causes capitales sous les triples épaisseurs de pathos dont l’enveloppe la rhétorique sanglante des gens du roi ; c’est la question de vie et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée où il faut qu’on la voie, où il faut qu’elle soit, où elle est réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l’échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau. […] Tel vieux procureur général, blanchi dans la robe rouge, qui avait mangé toute sa vie le pain trempé de sang des réquisitoires, se composa tout à coup un air piteux et attesta les dieux qu’il était indigné de la guillotine. […] Immédiatement après la fameuse séance, ordre avait été donné aux procureurs généraux, par un garde des sceaux honnête homme, de suspendre indéfiniment toutes exécutions capitales. […] Qu’au fond vous êtes ébranlés, interdits, inquiets, peu certains d’avoir raison, gagnés par le doute général, coupant des têtes par routine et sans trop savoir ce que vous faites ?
Sous cet abri puissant, les lettres sont libres dans leur sphère : les idées générales, immortel héritage du genre humain, se revêtent de la majesté d’un beau et simple langage : toute vérité peut se faire jour, si elle demeure en dehors d’une application immédiate. […] Voilà l’immense, l’universelle église, dont l’établissement n’est pas le projet d’un rêveur, mais un fait constant, aussi bien qu’admirable ; pareille à la victorieuse république que proclamait un de ses généraux, elle n’a pas besoin qu’on la reconnaisse, elle se prouve par son éclat. […] Sans préjudice des cultes particuliers, que ses membres professent ou révèrent, elle a un culte général, commun à tous, comme son dogme, c’est d’établir le règne de Dieu sur la terre comme au ciel , de faire passer dans les faits l’action des lois que l’intelligence a découvertes dans le domaine des idées. […] Laissez-moi faire : je veux arranger cela. » — « Général, reprit Ducis, en apercevant une bande de canards sauvages qui traversaient un nuage au-dessus de sa tête, vous êtes chasseur : voyez-vous cet essaim d’oiseaux qui fend la nue ?
C’est ainsi que nous avons pu assister au phénomène de l’association des idées, et à la naissance des idées générales les plus simples. […] Alors nous comprenons pourquoi les lois de l’association sont la ressemblance et la contiguïté plutôt que d’autres lois, et pourquoi la mémoire choisit, parmi les souvenirs semblables ou contigus, certaines images plutôt que d’autres images, et enfin comment se forment, par le travail combiné du corps et de l’esprit, les premières notions générales. […] Et c’est aussi ce double mouvement de la mémoire entre ses deux limites extrêmes qui dessine, comme nous l’avons montré, les premières notions générales, l’habitude motrice remontant vers les images semblables pour en extraire les similitudes, les images semblables redescendant vers l’habitude motrice pour se confondre, par exemple, dans la prononciation automatique du mot qui les unit. […] Et c’est pourquoi il sera toujours facile à une certaine philosophie, disions-nous, de localiser l’idée générale à une des deux extrémités, de la faire cristalliser en mots ou évaporer en souvenirs, alors qu’elle consiste en réalité dans la marche de l’esprit qui va d’une extrémité à l’autre.
Une seule fois, lui ou du moins son Saint-Preux, il s’est aventuré dans la zone supérieure, dans les montagnes du Valais ; on peut voir dans la première partie de La Nouvelle Héloïse la xxiiie lettre à Julie : « Tantôt d’immenses rochers pendaient en ruines au-dessus de ma tête ; tantôt de hautes et bruyantes cascades m’inondaient de leur épais brouillard ; tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme, etc. » Cette peinture est bien, mais elle n’est qu’une première vue un peu générale, un peu confuse, et sans particularité bien distincte. […] Après avoir décrit en une page d’une large et précise magnificence la physionomie générale du Cervin, par opposition à l’effet de Chamonix, il en vient à s’interroger sur les sources de son émotion : D’où vient donc, se demande-t-il en présence de cette effroyable pyramide du Cervin, d’où vient l’intérêt, le charme puissant avec lequel ceci se contemple ? […] Tout en admirant nos grands écrivains, il ne les imite donc pas le moins du monde : placé hors du cercle régulier et, pour ainsi dire, national, de leur influence, il ne trouve pas qu’il y ait révolte à ne pas les suivre, même dans les formes générales qu’ils ont établies et qui font loi en France ; il n’est pas né leur sujet.
Et qu’on me permette ici une réflexion générale qui s’applique à cette époque et à beaucoup d’autres : il y a, dans les divers états de la société et aux divers degrés de la civilisation, des facultés nécessaires et des talents qui, répandus par la nature sur certains hommes, diffèrent beaucoup moins qu’on ne suppose de ces mêmes talents, développés à des époques en apparence plus favorisées. […] En ce temps-là, le gouvernement de Venise n’était plus ce qu’il avait été autrefois ; le doge ne représentait plus cette espèce de monarque électif visant à l’hérédité, nommant les magistrats, décidant à peu près souverainement de la paix ou de la guerre, et qui, avec un peu d’art, faisait agréer à rassemblée générale du peuple ses résolutions à l’avance arrêtées. […] Le jeune Thibaut, comte de Champagne, le chef désigné, mourut de maladie : on proposa le commandement général au duc de Bourgogne, puis, sur son refus, au comte de Bar-le-Duc qui s’excusa également.