Dans une lettre à sa mère, du 16 janvier 1812, il disait avec une naïveté parfaite et en livrant le fond de son cœur : « Genève est devenue chaque année plus triste et plus déserte pour Mme de Staël ; elle en a de l’humeur ; elle juge avec une extrême sévérité, et elle ne met presque rien de son cru pour réparer tout cela : il m’arrive très souvent de m’ennuyer chez elle, et cela arrivait aussi l’année passée, et cependant elle parle de l’ennui des autres d’une manière qui me met souvent en hostilité avec elle. […] Et Byron lui-même, le moins dupe des hommes et le moins sujet aux engouements, accueilli en 1816 par la châtelaine de Coppet si près de sa fin, et annonçant à ses amis qu’il avait trouvé Madame aussi brillante que jamais, écrivait ensuite pour lui dans son Memorandum : « Elle était la bonté même, et personne au fond n’était plus spirituel et plus aimable qu’elle ; mais elle était gâtée par son désir d’être… elle ne savait quoi.
. — Au fond, on n’a jamais été content de moi, et on m’a toujours voulu autre qu’il a plu à Dieu de me faire. […] Mais au fond elle n’a été que peine et travail, et je puis affirmer que, pendant mes soixante et quinze ans, je n’ai pas eu quatre semaines de vrai bien-être.
La critique des artistes et poètes est sans doute en certains cas la plus vive, la plus pénétrante, celle qui va le plus au fond ; mais elle est, de sa nature, tranchante et exclusive. […] En gagnant le fond de la gorge, la végétation va s’épaississant et forme un fourré impénétrable à travers lequel on voit par places luire l’eau diamantée du torrent… « La Sierra-Morena franchie, l’aspect du pays change totalement ; c’est comme si l’on, passait tout à coup de l’Europe à l’Afrique : les vipères, regagnant leur trou, rayent de traînées obliques le sable fin de la route ; les aloès commencent à brandir leurs grands sabrés épineux au bord des fossés.
Tel est le plan gigantesque que l’implacable fortune, et non pas, comme on l’a dit, un misérable orgueil dynastique, l’a contraint d’adopter, et dont nous le verrons poursuivre l’exécution pendant sept années avec une vigueur d’esprit et de caractère incomparable. « Je sentais mon isolement, a-t-il dit à Sainte-Hélène ; je jetais de tous côtés des ancres de salut au fond de la mer. […] » Il est permis de croire que la forme de son génie s’accommodait fort bien de cette nécessité et qu’au fond il en était bien aise.
Dans un post-scriptum essentiel il s’empresse d’ajouter que les frères Paris (Montmartel et Du Verney) l’ont fort aidé dans toute cette affaire, à la fois comme amis de la favorite et comme ayant tout pouvoir sur l’esprit de la reine, dont eux-mêmes dans le temps ils ont fait le mariage : « Ce sont, dit le maréchal, deux personnages qui ne veulent point paraître et qui, dans le fond, sont fort considérables dans ce pays-ci, parce qu’ils font mouvoir toute la machine. […] Quand il voudra que je marche, il faudra bien marcher ; mais dans le fond qu’ai-je à espérer ?
Ainsi l’on a, à l’origine, les Constituants, et, sans tenir compte des nuances, je comprends sous ce nom tous ceux qui ont voulu sincèrement, à un certain jour, l’alliance de la royauté et de la liberté : Malouet tout le premier et ses amis, beaucoup de leurs adversaires au début, adversaires déclarés en apparence et qui ne l’étaient au fond qu’à demi, depuis Mirabeau lui-même jusqu’au Barnave de la fin. — Sont venus ensuite les Girondins, et j’appelle ainsi tous les hommes du second moment, ceux d’après la fuite de Varennes, la plupart provinciaux, s’échauffant et s’enflammant à mEsure que les premiers se refroidissaient, et qui sont entrés dans l’arène politique avec des pensées républicaines honnêtes, avec la conviction arrêtée de l’incompatibilité de Louis xvi et de la Révolution, apportant d’ailleurs dans la discussion et la conduite des affaires plus d’ardeur et de générosité ou d’utopie que de réflexion et de prudence, depuis Brissot, Roland et sa noble femme, jusqu’à Condorcet. — Puis les Montagnards : ceux-ci violents, exaspérés, partant d’un principe extrême, s’inspirant d’une passion outrée, mais bon nombre également sincères, patriotes, d’une intégrité exemplaire, ne songeant dans l’établissement de leur terrible dictature temporaire qu’à la défense du territoire et au salut de la Révolution : Carnot, Cambon, Robert Lindet, Jean-Bon Saint-André, d’autres moins en vue comme Levasseur, Baudot… Pour les juger avec équité, il faut faire la part du feu, la part de la fièvre, et sacrifier sans doute beaucoup des idées applicables aux temps ordinaires ; mais, historiquement, à leur égard, ce n’est que justice. — Puis, la Terreur passée, il y a eu les hommes fermes, modérés, honorables, qui ont essayé de fonder l’ordre et le régime républicain en dépit des réactions, les hommes de l’an iii, Thibaudeau, Daunou, La Revellière-Lépeaux… — Je compterai ensuite une autre génération d’hommes politiques, ceux de 1797, de la veille de Fructidor, très honnêtes gens d’intention, un peu prématurés d’action et d’initiative, qui voulaient bien peut-être du régime légalement institué, mais qui le voulaient avec une justice de plus en plus étendue et sans les lois d’exception : les Barbé-Marbois, les Portalis, les Camille Jordan. — Enfin il y eut, à la dernière heure du Directoire, les hommes qui en étaient las avec toute la France, qui avaient soif d’en sortir et qui entrèrent avec patriotisme dans la pensée et l’accomplissement du 18 brumaire : Rœderer, Volney, Cabanis… Je crois que je n’ai rien omis, que tous les moments essentiels de la Révolution sont représentés, et que chacun de ces principaux courants d’opinion vient, en effet, livrer à son tour au jugement de l’histoire des chefs de file en renom, des hommes sui generis qui ont le droit d’être jugés selon leurs convictions, selon leur formule, et eu égard aux graves et périlleuses circonstances où ils intervinrent. […] Aussi le fait de cette imitation ou de cette réminiscence, fût-il un instant admis, reste au fond assez indifférent.
et quelle est, je vous le demande, la vraie charité, ou celle qui jetterait du haut de son char une poignée de louis au nez du pauvre, ou celle qui s’approche de lui, passe et repasse deux fois, le considère et lui met dans le fond de la main un louis, un seul louis d’or, qu’elle y renferme avec étreinte, le laissant immobile et pénétré ? […] Le fâcheux de l’innovation n’est pas seulement aujourd’hui dans ces mots singuliers et ces crudités matérielles qui jurent pour le fond avec la région épurée du poète spiritualiste ; le ton général est de plus changé, et la dureté de l’accent devient habituelle.
Le triangle est une figure fermée par trois lignes qui se coupent deux à deux, et non cette image indécise sur fond noirâtre ou blanchâtre, aux pointes plus ou moins aiguës, qui tour à tour, à la moindre insistance, se trouve scalène, isocèle ou rectangle. […] Le lecteur a sans doute visité des galeries de tableaux rangés par écoles ; après deux heures de promenade parmi des peintures de Titien, de Tintoret, de Bonifazio et de Véronèse, si l’on sort et si l’on s’assied sur un banc, les yeux fermés, on a d’abord des souvenirs ; on revoit intérieurement telle rose et blonde figure demi-penchée, tel grand vieillard majestueusement drapé dans sa simarre de soie, des colliers de perles sur des bras nus, des cheveux roux crêpelés sur une nuque de neige, des colonnades de marbre veiné qui montent dans un ciel ouvert, çà et là une mine gaie de petite fille, un beau sourire de déesse, une ample rondeur d’épaule satinée, la pourpre d’une étoffe rouge sur un fond vert, bref cent résurrections partielles et désordonnées de l’expérience récente.
Au fond, le culte des anciens n’est plus qu’un formalisme frivole : l’éducation classique range un homme dans la bonne société. […] Depuis deux siècles, dans notre littérature, ce qui s’est trouvé sain, solide et durable, ce qui s’est sauvé de l’oubli et de la flétrissure du temps, ce sont les parties conformes au fond à la doctrine de l’Art poétique : et les vices intimes ou les difformités apparentes qui ont fait échouer ou périr les écoles ou les œuvres, c’est en général ce qui était condamné implicitement ou expressément par Boileau.
Il a des appétits, des passions physiques ; il a des facultés oratoires, le don de brider et de passionner : mais nulle sensibilité de l’âme, au fond ; toujours de sang-froid, maître de lui, l’esprit net, agile, subtil, un esprit à la Montesquieu, comme l’a très bien vu M. […] Et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi. » Le fond est ce qu’il faut qu’il soit : des idées nettes, simples, immédiatement accessibles, des sentiments communs, réels, immédiatement évocables ; l’honneur, la gloire, l’intérêt ; de vigoureux résumés des succès et des résultats obtenus, de rapides indications des résultats et des succès à poursuivre, des communications parfois qui semblent associer l’armée à la pensée du général et la flattent du sentiment d’être traitée en instrument intelligent : toutes les paroles qui peuvent toucher les ressorts de l’énergie morale, sont là, et sont seules là.
Si on entend par religion un ensemble de doctrines léguées traditionnellement, revêtant une forme mythique, exclusive et sectaire, il faut dire, sans hésiter, que les religions auront signalé un âge de l’humanité, mais qu’elles ne tiennent pas au fond même de la nature humaine 60 et qu’elles disparaîtront un jour. […] Cosmas Indicopleuste imagine le monde comme un coffre oblong ; la terre forme le fond ; aux quatre côtés s’élèvent de fortes murailles, et le ciel forme le couvercle cintré.
Nous saisissons, dès ce premier écrit de circonstance, la forme et le fond du discours habituel de Portalis, cet enchaînement et cette suite de maximes sages, miséricordieuses, appropriées, où respire comme un souffle du génie de Numa, aphorismes tout de réparation, tout de consolation et de santé, et qui allaient faire la plus salutaire impression sur le corps social si longtemps soumis à ces autres aphorismes de Saint-Just, concentrés et mortels comme le poison. […] Après avoir traité la question dans sa généralité, il arrivait au fond même, et il ne craignait pas de dire le secret des cœurs : « Les prêtres non assermentés sont, dit-on, violemment soupçonnés de n’avoir jamais aimé la Révolution. » Et en ne les justifiant qu’autant qu’il le fallait pour rester dans le vrai, il maintenait que le cours des pensées est libre et doit être ménagé tant qu’il ne se traduit point en actes coupables : « Quand il s’opère une grande révolution dans un État, il n’est pas possible que tous les membres de cet État changent d’habitudes, de mœurs et de manières dans un instant.
En y apportant sa prudence naturelle et la précision propre à la race française, Portalis voyait ces grandes questions de controverse s’évaporer en fumée et ne laisser pas même, au fond du creuset, des cendres : C’est une chose plaisante, disait-il, de voir des écrivains, d’ailleurs distingués, se battre pour des abstractions ou pour des logogriphes ; ce qu’il y a de plus étonnant, c’est de voir le public prendre part à des disputes qu’il n’entend pas. […] La portion supérieure de son ouvrage est celle où il montre la décomposition de la société par les sophistes, espèce destructive si éloignée en tout de ces hommes à grand caractère et à grandes vues positives, qui ont fondé les sociétés et institué les peuples : « Le faux esprit philosophique est une lime sourde qui use tout. » Il distingue entre les diverses sortes de corruption publique : malgré sa bonté morale personnelle, il sait à quoi s’en tenir sur le fond de l’homme ; les passions étant les mêmes en tout temps, les mœurs aussi sont toujours à peu près les mêmes, ce ne sont que les manières qui diffèrent : mais la différence est grande, d’une corruption qui n’est que dans les mœurs, et à laquelle de sages lois peuvent remédier, d’avec cette corruption subtile qu’un faux esprit philosophique a naturalisée dans la morale publique et dans la législation.
Mais il y a tel instant où, du fond de cette vanité, de cet égoïsme, de cette petitesse, de ces misères, de cette boue dont nous sommes faits, sort tout à coup un je ne sais quoi, un cri du cœur, un mouvement instinctif et irréfléchi, quelquefois même une résolution, qui ne se rapporte pas à nous, mais à un autre, mais à une idée, à notre père et à notre mère, à notre ami, à la patrie, à Dieu, à l’humanité malheureuse, et cela seul trahit en nous quelque chose de désintéressé, un reste ou un commencement de grandeur, qui, bien cultivé, peut se répandre dans l’âme et dans la vie tout entière, soutenir ou réparer nos défaillances, et protester du moins contre les vices qui nous entraînent et contre les fautes qui nous échappent. […] Un léger tort, qui tient de près au savoir-faire, c’est, en réimprimant ces morceaux, d’en dissimuler l’origine et la destination première, et de laisser croire que c’est du nouveau pour le public, un fond de portefeuille inédit.
En tout Franklin veut d’abord l’essentiel, le fond, persuadé que ce fond produira ensuite son apparence, et que la considération solide portera ses fruits.
Cette grande permanence dans le fond de nos mœurs a toujours été couverte par une non moins grande mobilité d’imagination, d’imagination, qui a suffi dans tous les temps à l’observateur peu attentif pour motiver l’accusation de légèreté qui nous a été faite si souvent. […] On est parvenu ainsi à développer dans la masse de la nation cet immense besoin de l’égalité, qui couve toujours, quoique souvent inaperçu, dans le fond des peuples.
Il fallait se rappeler encore — et surtout — l’art profond de ce créateur du roman historique qu’il est de mode présentement d’abaisser, mais qui restera immortellement ce qu’il est : le premier des hommes après Shakespeare, et, comme lui, se bien garder de mettre sur le premier plan une histoire connue et sur laquelle la Rêverie, comme la Curiosité, s’est épuisée ; mais la donner pour fond, dans la vapeur féconde des distances et l’adoucissement des lointains, à une autre histoire inventée, celle-là, avec ses séries d’incidents et son cortège de personnages ! […] Maintenant que le Beaumanoir s’est démasqué, après son rude combat contre la vie, on n’a retrouvé au fond du masque que la noirceur du désespoir, et c’est là ce qui fera la physionomie d’Alfred de Vigny supérieure à celle de tous les poètes de son temps, qui n’ont pas souffert d’une blessure si haute et si profonde que lui.