Il y a de ces choses qu’on ne peut pas s’expliquer… En effet !
On peut expliquer, si je ne me trompe, par ce même principe, l’impossibilité presque générale de lire de suite et sans ennui un long ouvrage en vers.
c’est cette Mme de Staël, restituée à la vérité de sa nature par un éditeur qui serait capable de la comprendre et de l’expliquer, que je voudrais voir revenir en pleine lumière, dans quelque splendide édition, où nous trouverions de ces lettres qui, comme plusieurs de celles de Weymar et Coppet, mais en trop petit nombre, éclairent le génie par la vie — comme les neiges tombées éclairent le ciel par en dessous !
L’analyse la plus attentive et la plus patiente se perdrait dans cet enchevêtrement d’incidents que rien n’explique, si ce n’est le train des choses, — ce hasard des circonstances, qui peuvent très bien exister — c’est vrai, — aussi bêtes ou aussi étranges que cela, dans la vie, mais qui, dans une œuvre littéraire, n’ont pas le droit de se montrer dans leur bêtise ou leur étrangeté natives, comme dans la vie, puisque l’art, c’est la vie arrangée, sublimée par l’intelligence, en vue d’obtenir un effet quelconque de puissance, de pathétique et de beauté !
Ce qui explique la durée du règne de Néron, quoiqu’il ait peu duré, c’est sa lyre et sa flûte.
Le vrai et secret motif de ce livre, c’est de constater que le plus beau mouvement de l’esprit humain qui s’est produit en Angleterre (le plus beau, j’en conviens, mais je l’explique autrement !)
Louis Vian, qui croit à Montesquieu plus de génie que moi, a vu l’acuité ; mais a-t-il vu, comme moi, la sécheresse, qui l’explique autant que l’acuité ?
Dès la première ligne de sa préface, l’auteur des Plateaux de la balance explique ce titre, que je n’aime pas, quoique j’aime ce qu’il veut exprimer puisque c’est la Justice, « J’ai eu » — dit-il, de ce ton d’autorité majestueuse qu’il a gardé de sa familiarité avec les Livres Sacrés, réverbérés à chaque instant dans les formes de son langage, — « j’ai eu faim et soif de la Justice.
Lorsqu’on est un homme de réalité supérieure comme Franz de Champagny, c’est trop superficiel, en vérité, que d’expliquer l’avènement de l’Empire et sa durée par les seules questions morales, par la vertu oblitérée des républiques, par une terreur à la Robespierre et une idolâtrie épouvantée du nom de César, — de ce nom devenu, grâce à celui qui le porta le premier, une tête de Méduse d’adoration et de crainte !
Mais cet asservissement explique très bien que, dans le champ si étendu de son sujet, — l’histoire d’Angleterre, — il ait plus exclusivement dévoué sa pensée à tout ce qui fut l’origine, la fondation et le triomphe de son parti.
Moins poétique, moins mystérieux, moins divin que la sainte « Pastoure », incompréhensible si le miracle n’était pas là pour l’expliquer, Jacques Cœur, qui fut, lui, tout positivement et tout bonnement un grand homme, donna à Charles VII pour continuer la guerre tout ce que celui-ci voulut prendre d’une colossale fortune, et il fut payé de son dévouement avec la même ingratitude qui avait soldé le sacrifice de la vierge de Domrémy.
L’inexplicable malheur de René, innocent comme toutes les victimes expiatoires, s’expliquerait alors.
C’est un stérile voué au rabâchage des choses que les autres ont dites, et qui ont été expliquées, réfutées, anéanties cent fois !
Pour ce biographe intelligent, Voltaire n’est pas un dieu tombé dont il veuille expliquer l’empire et le culte abolis.
Ce sont des historiens non plus de derrière les faits, mais du fond des faits ; des historiens qui osent faire penser et écrire l’Histoire par ceux mêmes qui l’ont faite ; qui, par une merveilleuse intuition rétrospective, la prennent à la source humaine dont elle est sortie, — dans la conscience révélée de ceux qui l’ont créée ; qui se mettent enfin, sans façon, sur les épaules, la tête de Sylla ou de Richard III, et parlent par leur bouche comme ils auraient parlé eux-mêmes, s’ils avaient voulu se faire comprendre et expliquer leurs actes à la Postérité… Ah !
La Tour d’Auvergne fait tout pâlir dans le livre de Michelet, Desaix, le Sultan juste, le héros sans phrases, qui, de l’aveu de Michelet (aveu qui l’honore), avait été élevé par des prêtres, — ce qui expliquerait le christianisme de ses vertus ; Hoche le clément, qui ne s’est élevé que par lui-même, s’effacent devant La Tour d’Auvergne… C’est, en art, une faute, selon moi, d’avoir, dans le volume, donné sa Vie la première.
Elle vint romanesquement enivrée, mais s’en retourna triste d’une mystérieuse tristesse que la correspondance n’explique pas, et dans laquelle on peut voir encore de l’amour… Qu’on l’y voie ou qu’on ne l’y voie pas, du reste, il y en a assez dans ces lettres, où elle parle à Stanislas-Auguste comme à Dieu, pour qu’on soit sûr qu’elle a aimé, Madame Geoffrin !