Selon lui, si les hommes pris en détail dans leur conduite et leur caractère diffèrent entre eux, les siècles pris dans leur ensemble ne diffèrent pas moins les uns des autres ; la plupart des hommes qui y vivent, qui y sont plongés et qui en respirent l’air général, y contractent certaines habitudes, certaine trempe ou teinte à laquelle échappent seuls quelques philosophes, gens plus propres à la contemplation qu’à l’action et à critiquer le monde qu’à le corriger : Il serait à souhaiter cependant que dans chaque siècle il y eût des observateurs désintéressés des manières de faire de leur temps, de leurs changements et de leurs causes ; car on aurait par la une expérience de tous les siècles, dont les hommes d’un esprit supérieur pourraient profiter. […] Pour moi, par une longue et triste expérience, De cette illusion j’ai reconnu l’abus ; Je sais, sans me flatter d’une vaine apparence, Que c’est à mes défauts que je dois mes vertus.
Cette dernière expérience paraît avoir été pour lui décisive, et après quelques saisons de convalescence morale en Alsace, dans les Vosges, entre deux montagnes, il comprit qu’il était temps de prendre ses quartiers de vieillesse et d’indépendance. […] Une maison d’hiver à Lausanne, les Délices ou ce qu’il appelait sa guinguette près de Genève, les châteaux de Ferney et de Tourney pour les étés, voilà tous les gîtes d’agrément et de précaution qu’une expérience chèrement payée lui conseilla de se ménager, et que sa grande fortune lui permit d’acquérir.
J’entends d’ici la petite-fille qui dit : La grand-maman a raison, il semble qu’elle ait mon expérience ! […] Fiez-vous à lui, mes très chers frères ; il vous guidera mieux, quand il s’agira de sentiment, que les grands raisonnements des philosophes, que la trompeuse expérience du monde, et que les sophismes dangereux de votre raison. » Ce bon frère continua, et je m’en allai parce qu’il commençait à m’ennuyer, et que mon instinct ne peut supporter l’ennui ; cependant j’ai entrevu dans son discours quelques vérités applicables à la petite fille… Ainsi traitait-on cette vieille enfant malade et qui avait tant abusé et mésusé dans sa jeunesse de la faculté d’aimer, qu’elle n’en avait plus la force ni la foi dans ses derniers jours : c’était du moins quelque chose, et mieux que rien, d’en avoir gardé, à ce point, l’inquiétude et le tourment.
Et je vous proteste qu’il ne s’y peut rien ajouter, et que si l’ouvrage réussit un peu long, ce n’est pas par la négligence des ouvriers, mais par la nature de la matière qui, comme vous le savez par expérience, est épineuse et de grande discussion pour la bien traiter. […] Son livre de Remarques résume l’expérience acquise par cette triple voie, et peut, jusqu’à un certain point, la communiquer.
Les affaires se tiennent par des liaisons qui les mettent dans une dépendance nécessaire les unes des autres, et ce n’est que par la combinaison de toutes les parties qu’on doit se décider sur ce qu’il est le plus avantageux de faire pour chacune d’elles en particulier. » Le maréchal de Noailles est âgé de soixante-quatre ans à cette date ; il représente une longue expérience acquise, il est un des rares demeurants du dernier règne ; il peut dire au roi avec autorité sur presque chaque sujet : « Le feu roi, votre auguste bisaïeul, pensait… le feu roi, votre auguste bisaïeul, disait… » Il s’offre pour ce genre de conseil avec un dévouement passionné, qui n’est pas sans dignité jusque dans son expansion : « Jusqu’à ce qu’il plaise à Votre Majesté de me faire connaître ses intentions et sa volonté, me bornant uniquement à ce qui regarde la frontière dont elle m’a donné le commandement, je parlerai avec franchise et liberté sur l’objet qui est confié à mes soins, et je me tairai sur tout le reste, toujours prêt, cependant, à vous exposer, Sire, lorsque vous le voudrez, etc., etc. […] Je connais par expérience tous les avantages qu’on peut en tirer !
La Comtesse de Fargy se compose de deux parties entremêlées, la partie d’observation, d’obstacle et d’expérience, menée par Mme de Nançay et par son vieil ami M. d’Entrague, et l’histoire sentimentale du marquis de Fargy et de son père. […] Hier enfant, ce fils est devenu un homme ; il veut être libre, se croit son maître, prétend aller seul dans le monde… Jusqu’à ce qu’il ait acheté son expérience, vos yeux ne trouveront plus le sommeil, que vous ne l’ayez entendu revenir !
Bientôt aussi reparaîtra Vigny dans les saisissants symboles de ses œuvres posthumes (1864), qui enseignent à effacer le moi et la particularité de l’expérience intime. […] Quelles sont les expériences intimes qui donnent un tel accent de sincérité à cette poésie raffinée ?
En entrant en charge, Montaigne a bien soin de prévenir Messieurs de Bordeaux pour qu’ils ne s’attendent pas à trouver en lui plus qu’il n’y a en effet ; il s’expose à eux sans apprêt : « Je me déchiffrai fidèlement et consciencieusement, dit-il, tout tel que je me sens être ; sans mémoire, sans vigilance, sans expérience et sans vigueur ; sans haine aussi, sans ambition, sans avarice et sans violence. » Il serait bien fâché, tout en prenant en main les affaires de la ville, de les prendre si à cœur qu’il l’a vu faire autrefois à son digne père, lequel y perdit à la fin sa tranquillité et sa santé. […] Son livre est un trésor d’observations morales et d’expérience ; à quelque page qu’on l’ouvre et dans quelque disposition d’esprit, on est assuré d’y trouver quelque pensée sage exprimée d’une manière vive et durable, qui se détache aussitôt et se grave, un beau sens dans un mot plein et frappant, dans une seule ligne forte, familière ou grande.
Cette première remarque, jointe à celle d’une plus longue expérience, m’a convaincue que les femmes sont souvent plus compromises par la froide familiarité de celui qu’elles préfèrent, que par les soins empressés d’un amant passionné. […] » — Dans ma simplicité, remarque Léonie, je croyais alors qu’un homme bien amoureux ne pouvait parler avec chaleur d’aucune autre beauté que de celle de l’objet de son amour ; mais l’expérience m’a prouvé, depuis, que les femmes seules étaient susceptibles d’un sentiment exclusif ; l’amant le plus passionné pour sa maîtresse, n’en est pas moins sensible aux charmes de toutes les jolies femmes, tandis que celle qui aime ne voit que son amant.
La conséquence nécessaire à laquelle on aboutit, et qui est contredite par l’expérience intime, c’est qu’il n’existe plus qu’un seul et même plaisir, plus ou moins intense, combiné avec des perceptions qui sont toutes aussi indifférentes en elles-mêmes les unes que les autres. […] L’expérience nous abandonne, il est vrai, quand nous voulons descendre trop bas dans la série des êtres ; nous ne pouvons donc raisonner que par induction psychologique et métaphysique.
La loi même de similarité, au lieu d’être tout intellectuelle, se confond avec la loi qui veut que l’être sensible tende à son plus grand plaisir, car la similarité, en permettant la plus grande activité avec le moindre effort, produit par cela même du plaisir : le seul fait qu’une nouvelle expérience coïncide avec une expérience ancienne engendre un sentiment agréable.
Par une longue observation, par une expérience consommée, par un tact exquis, par un goût, un instinct, une sorte d’inspiration donnée à quelques rares génies, peut-être par un projet naturel à un idolâtre d’élever l’homme au-dessus de sa condition, et de lui imprimer un caractère divin, un caractère exclusif de toutes les contentions de notre vie chétive, pauvre, mesquine et misérable, ils ont commencé par sentir les grandes altérations, les difformités les plus grossières, les grandes souffrances. […] Quelques conséquences que vous tirerez bien de là sans que je m’en mêle, c’est l’impossibilité confirmée par l’expérience de tous les tems et de tous les peuples, que les beaux-arts aient chez un même peuple, plusieurs beaux siècles ; c’est que ces principes s’étendent également à l’éloquence, à la poésie et peut-être aux langues.
On le consultait parce qu’il était l’expérience heureuse ; on ne le détestait point à cause de sa richesse, parce que ni son train ni son revenu ne dépassaient l’ambition commune et permise à chacun. […] Mais comme il est très jeune, qu’il a bien peu observé et qu’il a plus de lecture que d’expérience, son jugement ne diffère point de ceux qu’on trouve partout.
Ajoutons qu’elle n’y a fait que progresser, et que sur ce point les prophéties de l’auteur de la Démocratie en Amérique, si souvent vérifiées ailleurs, ont été démenties par l’expérience. […] La thèse est démentie et par le raisonnement et par l’expérience.
Vous préparez les expériences de ce médecin, qui, pressant ou lâchant la cervelle saillante d’un trépané, supprimait et ranimait en lui la pensée, à l’instant, d’un coup de pouce, ouvrant et fermant tour à tour l’intelligence aussi sûrement qu’un robinet ! […] L’analyse, le raisonnement, l’expérience, là-dessus tout est d’accord : qu’on me pardonne d’indiquer et d’effleurer ce qu’il faudrait démontrer et établir : — La perception extérieure est précédée d’une sensation ; mais toute sensation, maladive ou saine, spontanée ou forcée, née au dedans ou causée par le dehors11, suscite le simulacre d’un objet extérieur qui paraît réel.
Ses raisons pouvaient sembler d’abord un peu subtiles, un peu pointues et un peu minces ; mais, l’expérience lui venant, il a grossi son fonds, et s’est élevé au moraliste.
Il serait bien plutôt tenté de les considérer comme un poste de transition et de reconnaissance placé à la limite de deux âges, ou encore comme ces fanaux semés sur les hauts lieux, qui servent à lier, à travers les siècles, les divers temps de cette grande expérience incessamment accomplie par l’humanité.