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847. (1888) Portraits de maîtres

Que ne peut-on espérer de ceux qui sont à cette heure des enfants ? […] Plus d’une fois nous y pourrons démêler le poète et le citoyen dans l’enfant. […] La mère appartint tout entière à son enfant. […] À l’âge où Victor Hugo était déjà l’enfant sublime, Edgar Quinet fut l’enfant héroïque. […] Mais qui peut faire entrer l’homme adulte dans le berceau de l’enfant ?

848. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

C’est une illusion d’enfant. […] « Et plus d’une enfant digne d’amour se tenait aux fenêtres. […] C’était une belle enfant ! […] Vous ne pouvez désirer voir vos amis, les enfants de la noble Uote, plus vivement que moi-même. […] Et si cela ne suffit pas, restez du moins pour votre belle épouse, au lieu d’aller comme un enfant exposer votre vie.

849. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

À des lecteurs enfants, des livres d’enfants conviennent seuls. […] Ajoutez à cela qu’un peuple sur les bancs est un enfant très volontaire qui jette le livre lorsque le sujet devient trop grave, et que l’ennui en sort. […] C’est donc une très grande faute littéraire que d’outrer l’expression ; on risquerait moins peut-être à la tenir au-dessous de la vérité ; aussi lorsque, dans les Confessions d’an Enfant du Siècle, nous voyons toutes les ressources du terrible employées à peindre les pensées et les actes d’un enfant de 19 ans, abandonné par une femme qu’il aime, nous ne pouvons en vérité reconnaître une valeur sérieuse à la composition d’un livre basé sur une donnée aussi peu littéraire. […] Nous l’aimons comme une enfant dont la beauté est plutôt piquante que parfaite et dont les propos ont plus de charme que de profondeur. […] Janin deux facultés entre autres qui lui donnent beaucoup de rapport avec l’esprit des enfants et aussi beaucoup de son charme.

850. (1802) Études sur Molière pp. -355

Fasse le ciel, qu’insensiblement séduit, comme Arnolphe, par les charmes naissants d’une enfant élevée sous ses yeux, il n’ait pas les mêmes raisons que lui pour s’en repentir ! […] Mais un mot, un regard, lui rendent toute sa faiblesse ; plus enfant que celle qui le subjugue, il tombe à ses genoux, il veut, pour lui plaire, se souffleter et s’arracher un côté de cheveux. […] Dès ce moment, Molière regarda Baron comme son enfant, il l’avait sans cesse avec lui, et ne manquait pas une occasion de donner à son élève quelque leçon utile, témoin cette anecdote. […] Orgon, prévenu, entêté pour tout ce qui a rapport à Tartuffe, n’est rien moins qu’imbécile, avec sa femme, ses enfants ; il n’a même pas avec eux un seul instant de faiblesse : tout au contraire ! […] Molière nous a sauvé l’exemple d’un enfant de famille qui vole un étui d’or.

851. (1923) Nouvelles études et autres figures

Les enfants restaient enfants pendant cent années. […] Un homme prudent prendra toujours une servante sans enfants. […] Il a des enfants. […] L’Enfant du Siècle de Musset le confesse. […] Il mourut lorsque son fils était encore enfant.

852. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Le jeune Denis, l’aîné des enfants, fut d’abord destiné à l’état ecclésiastique, pour succéder à un oncle chanoine. […] Diderot eut d’elle jusqu’à quatre enfants, dont un seul, une fille, survécut. […] Diderot dit que c’était une des plus puissantes affections de l’homme : « Un cœur paternel, repris-je ; non, il n’y a que ceux qui ont été pères qui sachent ce que c’est ; c’est un secret heureusement ignoré, même des enfants. » Puis continuant, j’ajoutai : « Les premières années que je passai à Paris avaient été fort peu réglées ; ma conduite suffisait de reste pour irriter mon père, sans qu’il fût besoin de la lui exagérer. […] Comment maltraiter un enfant qui revient de si loin ?  […] Le Roy ; le baron d’Holbach, au ton moqueur et discordant, près de sa moitié au fin sourire ; l’abbé Galiani, trésor dans les jours pluvieux, meuble si indispensable que tout le monde voudrait en avoir un à la campagne, si on en faisait chez les tabletiers ; l’incomparable portrait d’Uranie, de cette belle et auguste madame Legendre, la plus vertueuse des coquettes, la plus désespérante des femmes qui disent : Je vous aime ; — un franc parler sur les personnages célèbres ; Voltaire, ce méchant et extraordinaire enfant des Délices, qui a beau critiquer, railler, se démener, et qui verra toujours au-dessus de lui une douzaine d’hommes de la nation, qui, sans s’élever sur la pointe du pied, le passeront de la tête, car il n’est que le second dans tous les genres ; Rousseau, cet être incohérent, excessif, tournant perpétuellement autour d’une capucinière où il se fourrera un beau matin, et sans cesse ballotté de l’athéisme au baptême des cloches ; — c’en est assez, je crois, pour indiquer que Diderot, homme, moraliste, peintre et critique, se montre à nu dans cette Correspondance, si heureusement conservée, si à propos offerte à l’admiration empressée de nos contemporains.

853. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Je trouve peu intéressant de savoir si Moloch était servi par des prêtres en manteau rouge, s’il était célébré en d’horribles concerts où « grinçaient, sifflaient, tonnaient les scheminith à huit cordes, les kinnor, qui en avaient dix, et les nebal, qui en avaient douze » ; mais je sais, toujours d’après les preuves établies par nos maîtres, que le dieu d’airain, à de certains jours, se nourrissait de la chair des enfants, que les plus puissantes familles étaient obligées de lui apporter leur tribut, que le feu de ses entrailles rugissait sur la place publique, et que le monstre, agitant ses longs bras, précipitait lui-même dans le gouffre ses innocentes victimes. […] Flaubert d’avoir oublié l’humanité de Gélon, tyran de Syracuse, lequel, vainqueur des Carthaginois en Sicile le jour même où Thémistocle détruisait la flotte des Perses à Salamine, avait épargné les vaincus en leur imposant la seule condition de renoncer au sacrifice des enfants ; il est trop certain pourtant que l’horrible culte ne tarda point à reparaître. […] « En Afrique, dit Tertullien, on immolait publiquement des enfants à Saturne jusqu’au proconsulat de Tibère. » Tertullien ajoute que le magistrat romain fit crucifier les sacrificateurs sur les arbres qui protégeaient ce culte infâme, et il s’écrie : « J’en prends à témoins les soldats de mon pays qui exécutèrent les ordres du proconsul. […] Flaubert ajoute ce détail au sujet des ravages que causent les catapultes : « Dans la rue de Kinisdo, une femme qui accouchait fut écrasée par un bloc de marbre, et son enfant avec le lit emporté jusqu’au carrefour de Cinasyn, où l’on retrouva la couverture. » Admirable exactitude ! […] Le caractère de Mâtho, fort simple il est vrai, fait honneur au peintre ; l’éblouissement du Libyen en présence de Salammbô, ce choc soudain qui ébranle tout son être, cette passion tour à tour violente et timide, ces pleurs, ces rugissements, ce désordre farouche qui le livre comme un enfant aux conseils de Spendius, tout cela est étudié avec soin et rendu en traits énergiques.

854. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Carthage en détresse jetait ses enfants au ventre embrasé de Moloch-le-Dévorateur. […] L’homme a laissé les Sept tirant au sort les portes où chacun d’eux conduira sa troupe : — « Choisis donc les meilleurs guerriers, dit-il au jeune roi, et place les promptement aux avenues de la ville. » C’est alors que le Chœur des femmes entonne sa longue plainte par des litanies de dieux protecteurs appelés à l’aide : Arès d’abord, patron de la guerre : — « Antique enfant de cette terre, regarde cette ville que tu as tant aimée autrefois. » — Puis Zeus « Père » universel ». […] C’est maintenant l’horrible spectacle de la cité prise que le chœur évoque : les rues en flammes, le pillage fouillant et renversant les foyers, les femmes traînées par les cheveux « comme des juments par leurs crins », les « vagissements sanglants » des enfants écrasés contre les pavés, l’incendie achevant ce qu’épargnera la tuerie. — Terrible image, répétée, trait pour trait, par l’histoire, à travers les siècles. […] Avant cela, cette ville sera renversée de son faîte, puisque son défenseur a péri, toi qui la protégeais, et ses femmes fidèles et ses petits enfants. » Et elle termine par ce regret d’une spiritualité pénétrante. — « Hector, tu me laisses en proie à d’affreuses douleurs, car en mourant tu ne m’as point tendu les bras de ton lit, et tu ne m’auras point dit quelque sage parole dont je puisse me souvenir, les jours et les nuits, en versant des larmes. » — La vieille Hécube vient ensuite ; plus haineuse et plus sombre dans son désespoir. […] Les entrailles dont nous sommes nés tous deux ont une grande puissance, enfants d’une mère malheureuse, d’un père malheureux.

855. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Il disait du printemps, par exemple, qu’il représentait sous la figure d’un jeune enfant : De ses chiots teints de pourpre, il touche en souriant Le frêle abricotier, l’amandier qui sommeille, Le pêcher frissonnant sous sa robe vermeille. […] Se promenant un jour avec un de ses amis, la veille de la première et de l’unique représentation de sa comédie, La Reine d’Espagne, il disait, en proie à une vive agitation : « Je suis comme une femme enceinte, qui voit le volume de son ventre, et qui ne sait si l’enfant sortira. — Et pourtant, reprenait-il avec énergie et frémissement, il faut bien que ça sorte. » Mais trop souvent, chez lui, les membres du poète ne sortaient qu’en pièces et dispersés. […] Isabey la figure en pied d’un enfant qui porte dans ses deux mains un énorme paquet de roses. […] si j’avais pu la déposer sur le front de mon plus jeune enfant ! […] C’était tantôt sombre comme un feu de forge dans une forêt, tantôt léger, clair, comme un rayon au front d’un enfant.

856. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Elle me fait songer à cette fillette qu’un jour de pluie, sous le toit de chaume qui dégoutte, je voyais s’amuser à recevoir chaque goutte d’eau dans son dé : le vent du ciel chasse au loin les gouttelettes, et l’enfant tend son dé, patiente, et le petit dé n’est pas encore plein. […] On ne peut jamais prévoir si un enfant naîtra viable, et de même si le cerveau d’un poète ou d’un romancier produira un type viable, un être d’art capable de subsister par lui-même. […] Du reste, l’art n’est pas le seul jeu qui, en se compliquant, devienne ainsi un travail ; tout jeu, dès qu’il est raisonné et cherche à produire un résultat donné, constitue lui-même un travail véritable, et c’est assurément un travail très absorbant pour un enfant que le jeu de la toupie, du bilboquet ou de la corde à sauter. […] mais élever laborieusement l’enfant ! […] Nous sommes comme les enfants qui s’amusent aux contes terribles. — « Quel peuple à passions intenses, énormes, irrésistibles et fatales, comme une force de la nature ou comme une idée fixe ! 

857. (1903) Propos de théâtre. Première série

— Enfant, ne parle pas de Zeus. […] Faites peur aux enfants avec Croquemitaine. […] Et remarquez qu’il y a ici deux faits : les enfants égorgés, Sédécie aveuglé. […] Elle vient au temple et se fait montrer l’enfant en qui elle soupçonne un danger. […] Josabeth aime l’enfant qu’elle a sauvé.

858. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Tout, en cette adorable enfant, trahissait l’esprit supérieur. […] Elle souffrait de cette injustice et voulait, la noble enfant, se venger en redoublant d’efforts. […] un enfant, un misérable. […] Vous n’êtes qu’un enfant. […] J’embrasse ta femme et tes enfants.

859. (1888) Études sur le XIXe siècle

Pourquoi trompes-tu tellement tes enfants ?  […] Les dernières paroles de la femme de mon cœur avaient été pour ses enfants qu’elle pressentait de ne plus revoir ! […] Il égare ce portrait, qui, trouvé naturellement par les enfants de l’avocat, amène la réconciliation finale. […] Les ordonnances se dévouent corps et âme à leurs officiers, qui se dévouent à leurs ordonnances et adoptent en commun des enfants égarés. […] « Les troubles politiques qui ont désolé d’Italie ont forcé ses plus nobles enfants à fuir loin d’elle.

860. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

La femme du meilleur air que j’aie encore vue, la plus polie, la mieux mise, a donné un nombre infini de pères à ses enfants ; elle a une fille qui ressemble à mylord…, et qui est belle. […] Sa pension s’éteindra avec lui ; et que sera l’avenir de cette adorable enfant ? […] Je ne suis plus un enfant, cela est vrai ; j’ai presque dit, cela n’est que trop vrai. […] Meyer, qui a rompu depuis des mois avec la pauvre enfant, ne sait rien : c’est Mlle de La Prise qui va le lui apprendre. […] La mère de Cécile écrit régulièrement à une amie et parente du Languedoc ; elle ne lui parle que de cette chère enfant sans fortune, qui a dix-sept ans déjà et qu’il faut penser à marier : rien de plus gracieux que ces propos d’une mère jeune encore.

861. (1813) Réflexions sur le suicide

C’est près de Vous, Monseigneur, que mes peines se sont adoucies ; mes enfants et moi nous avons fait comme ces bergers d’Arabie, qui lorsqu’ils voient venir l’orage, se retirent à l’abri du laurier. […] Quand ils sont en état d’irritation, ils maudissent le destin, comme les enfants battent la table contre laquelle ils se heurtent ; et quand ils sont satisfaits des événements de la vie, ils se les attribuent tout entiers, et se complaisant dans les moyens qu’ils ont employés pour les diriger, ils considèrent ces moyens comme l’unique source de leur félicité. […] Mariez-vous vos enfants ? […] Les devoirs de la paternité consistent dans un dévouement continuel, et dès que les enfants ont atteint l’âge de raison, presque toutes les jouissances qu’ils donnent sont fondées sur les sacrifices qu’on leur fait. […] La mère envoie sa fille au spectacle la veille du jour où elle veut se tuer, comme si la mort d’une mère devait être considérée comme une fête pour son enfant et qu’il fallût déjà faire entrer dans ce jeune cœur les plus fausses idées de l’imagination égarée.

862. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

On observera les enfants, sans oublier que la nature a pourvu aux différences d’âge, et que le naturel enfantin n’est pas nécessairement le naturel humain ; surtout, l’enfant est imitateur, et ce qui nous paraît chez lui spontané est souvent l’effet d’une éducation que nous lui donnons sans y prendre garde. […] On a dit avec raison que les jeux de l’enfant étaient les exercices préparatoires auxquels la nature le convie en vue de la besogne qui incombe à l’homme fait. […] Dans un pays de trop faible natalité comme la France, l’État doit sans doute pousser à l’accroissement de la population : un économiste qui fut pourtant le plus grand ennemi de l’« étatisme » demandait que les familles eussent droit à une prime pour chaque nouvel enfant à partir du troisième. Mais ne pourrait-on pas alors, inversement, dans les pays où la population surabonde, frapper de taxes plus ou moins lourdes l’enfant en excédent ? L’État aurait le droit d’intervenir, de rechercher la paternité, enfin de prendre des mes-ares qui seraient en d’autres cas inquisitoriales, puisque c’est sur lui que l’on compte tacitement pour assurer la subsistance du pays et par conséquent celle de l’enfant qu’on a appelé à la vie.

863. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Cette inconséquence, en deux mots, la voici : c’est que lui, Voltaire, qui considérait volontiers les hommes comme des fous ou comme des enfants, et qui n’avait pas assez de rire pour les railler, il leur mettait en même temps dans les mains des armes toutes chargées, sans s’inquiéter de l’usage qu’ils en pourraient faire. […] Il n’avait pas été long à sentir ce qui manquait à cet enfant qu’il voulait former, et dont il avait fait l’occupation et le but de sa vie : En scrutant à fond votre personne, lui disait-il, je n’ai, Dieu merci, découvert jusqu’ici aucun vice du cœur ni aucune faiblesse de la tête ; mais j’ai découvert de la paresse, de l’inattention et de l’indifférence, défauts qui ne sont pardonnables que dans les personnes âgées, qui, sur le déclin de leur vie, quand la santé et la vivacité tombent, ont une espèce de droit à cette sorte de tranquillité. […] Il est à présent à l’école ; mais comme ici on ne songe pas à former les mœurs ou les manières des jeunes gens, et qu’ils sont presque tous nigauds, gauches et impolis, enfin tels que vous les voyez quand ils viennent à Paris à l’âge de vingt ou vingt et un ans, je ne veux pas que mon garçon reste assez ici pour prendre ce mauvais pli ; c’est pourquoi, quand il aura quatorze ans, je compte de l’envoyer à Paris… Comme j’aime infiniment cet enfant, et que je me pique d’en faire quelque chose de bon, puisque je crois que l’étoffe y est, mon idée est de réunir en sa personne ce que jusqu’ici je n’ai jamais trouvé en la même personne, je veux dire ce qu’il y a de meilleur dans les deux nations. […] Mieux vaut lire un homme que dix livres : « Le monde est un pays que jamais personne n’a connu au moyen des descriptions ; chacun de nous doit le parcourir en personne, pour y être initié. » Voici quelques préceptes ou remarques, qui sont dignes de ces maîtres de la morale humaine : La connaissance la plus essentielle de toutes, je veux dire la connaissance du monde, ne s’acquiert jamais sans une grande attention, et je connais bon nombre de personnes âgées qui, après avoir été fort répandues, ne sont encore que des enfants dans la connaissance du monde.

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