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47. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Il suffit que leur hétérogénéité soit assez diluée, en quelque sorte, pour devenir, de notre point de vue, pratiquement négligeable. […] La forme visuelle, le relief visuel, la distance visuelle deviennent alors les symboles de perceptions tactiles. […] Rejetée dans la conscience, la qualité sensible devient impuissante à reconquérir l’étendue. […] Mais la relation du corps à l’esprit en devient-elle plus claire ? […] Oui sans doute, la distinction subsiste, mais l’union devient possible, puisqu’elle serait donnée, sous la forme radicale de la coïncidence partielle, dans la perception pure.

48. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Quand elle fut entrée au Palais-Royal comme l’une des dames de la duchesse de Chartres (mère de Louis-Philippe), elle y réussit beaucoup, y excita de l’admiration et de l’envie, et y devint une manière de centre. […] Elle allait pouvoir élever comme elle l’entendait, non seulement de jeunes filles, mais de jeunes hommes et des princes, dont l’un est devenu roi. […] Imaginez qu’à cette époque, et par une sorte d’attrait qui rapprochait la fleur des pédants de la fleur des pédantes, La Harpe devint amoureux d’elle : c’est à croire à l’influence des étoiles. […] Ajoutez qu’elle y devient de plus en plus une Mère de l’Église, et qu’elle s’y pose en adversaire à mort de Voltaire. […] Il serait inutile d’appuyer sur un jugement qui est devenu peu à peu celui de tout le monde.

49. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

On m’a dit que j’en étais devenu de vingt ans plus jeune, et que j’avais l’air tout à fait galant. […] En envoyant ce portrait à ses amis d’Amérique, il faisait remarquer, par manière d’excuse, ce caractère propre à la nation française, de pousser l’éloge à l’extrême, tellement que la louange ordinaire, toute simple, devient presque une censure, et que la louange extrême finit, à son tour, par devenir insignifiante. […] Sur la mort, il n’avait jamais varié depuis des années, et son espérance devint plus vive et plus sensible à mesure qu’il approchait du terme. […] [NdA] Veut-on savoir, par exemple, ce que les idées de tolérance civile et religieuse de Franklin devenaient en passant par l’imagination gâtée et enfiévrée de Chamfort ? […] L’idée saine de Franklin, inoculée dans le sang âcre de Chamfort, est devenue empestée et corrosive.

50. (1900) La culture des idées

Devenu le Justin de tous les Trogue-Pompées, M.  […] Vitus, devenu S. […] Mais elle ne peut pas plus devenir protestante qu’elle ne peut devenir anglaise ou turque. […] Paris est devenu le cerveau de la France. […] Genre qui a dégénéré jusqu’à devenir la complainte.

51. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

L’impression que l’organisme reçoit de chaque objet devient de plus en plus hétérogène. […] Voyons comment l’instinct devient mémoire. […] Nous opérons non plus sur des quantités, mais sur des qualités : le raisonnement est devenu qualitatif. […] — C’est par un procédé compliqué, quoiqu’il soit devenu simple par la répétition et l’habitude. […] De même, une route qu’on fait pour la première fois, nous paraît plus longue que quand elle nous est devenue familière.

52. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre III »

Ainsi le langage devient plus clair, plus maniable, plus sûr ; il donne, avec le moindre effort, le rendement le plus haut. […] Selon cet idiome, un empailleur devient un taxidermiste et un vitrier un vitrologue ; le papier-cuir devient du papier skytogène 23 et toute pommade est philocome 24 comme tout élixir odontalgique 25. […] L’ortie de mer est devenue l’acalèphe ; le chardon, une acanthe, et l’épine-vinette, une oxyachante ; l’âne qui broute en remuant les oreilles reçoit la qualification pompeuse d’acanthophage. […] La formation de l’impératif a donné une quantité de surnoms devenus des noms propres, dont Boileau, Boivin sont les types. […] Nodier disait déjà, en 1828 : « La langue des sciences est devenue une espèce d’argot moitié grec, moitié latin… Il faut prendre garde de l’introduire dans la littérature pure et simple… « Le mal est fait.

53. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

Rappelez-vous, par exemple, les lettres insignifiantes de la comtesse d’Albany, bien placée pour en écrire de très intéressantes si elle n’eût pas été une sotte, puisqu’elle avait été la femme du dernier des Stuarts, le Prétendant, et qu’elle devint celle d’Alfieri. […] Elle aima Boufflers, ce polisson de petit abbé à bénéfices de Boufflers, qui devint le chevalier de Boufflers, un chevalier de Malte comme ceux dont parle Guy Patin, « cadets de bonne maison qui voulaient bien ne rien savoir et ne rien valoir, mais qui voulaient tout avoir ». […] Elle aima ce fou gai, avec une folie sérieuse qui devint bientôt une folie triste. […] Ce qui est plus grave, c’est qu’il voulut lui apprendre le latin, et qu’elle l’apprit, et qu’elle faillit ainsi devenir un bas-bleu, la tendre femme ! […] Le xviiie  siècle ne se doutait pas de la perle qui vivait ensevelie — car les perles vivent — sous la mer de fange et de chairs souillées qui allait devenir une mer de sang.

54. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Que deviendra M.  […] … Qui peut dire ce qu’il deviendra ? mais, à coup sûr, ce ne sera pas ce qu’un homme de talent consciencieux, profond et sévère, deviendrait jamais. […] Que n’est-il pas devenu déjà… ? […] Et ce n’est pas le hasard seul, devenu bon enfant par exception à son usage, qui a poussé et protégé M. 

55. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VIII »

Mais c’est en étudiant l’anglais dans le français que l’on comprendra le mieux les dommages que peut causer à une langue devenue respectueuse, un vocabulaire étranger. […] D’autres avaient été jadis donnés à l’Angleterre par la France ; ils ont repris assez facilement une forme française ; ainsi trousse, substantif verbal de trousser (tortiare), est devenu en anglais truss et nous est revenu drosse (terme de marine). […] Ces mots sont d’ailleurs sur la limite et on ne sait encore ce qu’ils deviendront : tramway semble s’acheminer vers tramoué plutôt que vers tranvé 75, quant à meeting, le peuple prononce résolument métingue, entraîné par l’analogie. […] Jadis il serait devenu aussitôt beauvindeau 76 ; sa lourdeur aurait pu choquer, mais non sa forme. […] Tous les jeux, tous les sports sont devenus d’une inélégance verbale qui doit les faire entièrement mépriser de quiconque aime la langue française.

56. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

Il est inutile d’insister beaucoup sur un principe devenu maintenant aussi familier à tous ceux qui ont fait une étude un peu approfondie des sciences d’observation. […] Il est urgent de s’en occuper sérieusement ; car ces inconvénients, qui, par leur nature, tendent à s’accroître sans cesse, commencent à devenir très sensibles. […] Hâtons-nous de remédier au mal, avant qu’il soit devenu plus grave. […] Ce n’est qu’ainsi que l’enseignement des sciences peut devenir, parmi nous, la base d’une nouvelle éducation générale vraiment rationnelle. […] Mettons-la enfin en état de prendre un rôle actif, sans nous inquiéter plus longtemps de débats devenus inutiles.

57. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Un demi-tyran serait indigne d’être regardé ; mais l’ambition, la cruauté, la perfidie, poussées à leur plus haut point, deviennent de plus grands objets. […] La terreur réfléchie se joint à la terreur directe, et elle devient plus morale et plus fructueuse pour le spectateur. […] Dès-lors, dans une action simple, tout devient magique et surnaturel. […] Rien ne serait plus faux, que de les voir discuter en chantant, ou dialoguer par couplets, en sorte qu’un couplet devint la réponse de l’autre. […] Il y a même cette différence essentielle entre le lyrique et le poète tragique, qu’à mesure que celui-ci devient éloquent et verbeux, l’autre doit devenir précis et avare de paroles, parce que l’éloquence des moments passionnés appartient toute entière au musicien.

58. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VI. L’antinomie religieuse » pp. 131-133

Institution sociale d’abord, elle est devenue par la suite un simple fait de conscience individuelle ; un état d’âme, une idée et un sentiment intérieurs ; elle s’est individualisée de plus en plus57. […] En même temps qu’elle devenait plus intérieure, plus individuelle, la religion devenait plus différenciée, plus raffinée, plus compliquée, plus riche en nuances ; plus scrupuleuse aussi ; plus exigeante vis-à-vis d’elle-même, plus sublimée sentimentalement et intellectuellement, par suite plus critique, plus encline à l’analyse, à l’association, au doute et à l’hérésie. […] Car l’hérésie tend elle-même à se socialiser, à dépouiller sa nature originellement individuelle pour devenir à son tour une orthodoxie ; cette dernière n’étant jamais qu’une hérésie qui a réussi.

59. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Ce n’est pas que le fond des mœurs devienne différent ; elles restent aussi mondaines, aussi dissipées jusqu’au bout. […] » Et Paméla, défaisant ses cheveux, s’agenouille, les yeux au ciel, d’un air inspiré, aux applaudissements de l’assistance309. — La sensibilité devient une institution. […] Toute créature qui perd l’art et l’énergie de se défendre devient une proie d’autant plus sûre que son éclat, son imprudence et même sa gentillesse la livrent d’avance aux rudes appétits qui rôdent à l’entour. […] Enfermés dans leurs châteaux et leurs hôtels, ils n’y voient que les gens de leur monde, ils n’entendent que l’écho de leurs propres idées, ils n’imaginent rien au-delà ; deux cents personnes leur semblent le public  D’ailleurs, dans un salon, les vérités désagréables ne sont point admises, surtout quand elles sont personnelles, et une chimère y devient un dogme parce qu’elle y devient une convention. […] Trait suprême du savoir-vivre qui, érigé en devoir unique et devenu pour cette aristocratie une seconde nature, se retrouve dans ses vertus comme dans ses vices, dans ses facultés comme dans ses impuissances, dans sa prospérité comme dans sa chute, et la pare jusque dans la mort où il la conduit.

60. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

L’homme ne doit-il pas quitter son père et sa mère pour devenir chef d’une famille ? […] La société est la condition nécessaire à l’homme pour qu’il devienne père. […] Mais rassurons-nous sur les suites d’une pareille monstruosité : l’homme ne deviendra jamais père dans l’état de nature, il n’aura jamais des enfants ingrats. […] Croyez-vous que les flots de l’Adriatique respecteraient longtemps les pointes de rochers où furent d’abord assises de misérables huttes de pêcheurs, et qui devinrent la superbe Venise ? […] De ce que la société a été imposée à l’homme il résulte que l’homme qui veut se soustraire à la société devient rebelle à la volonté de Dieu, refuse une des conditions auxquelles il a reçu l’existence.

61. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Il se destinait donc et on le destinait, ainsi fait par goût et par nature, à devenir ministre. […] Or, qui deviendrait chancelier de France avec des connaissances d’affaires de l’État pourrait, dans l’âge et les circonstances du règne, devenir premier ministre par la primauté que donne ce ministère. […] Le cardinal de Fleury, depuis la disgrâce de M. de Chauvelin, n’était plus aussi bien disposé pour M. d’Argenson, et il lui était même devenu ennemi. […] Enfin, M. d’Argenson devint ministre des Affaires étrangères en novembre 1744 ; son frère l’était déjà de la guerre. […] On court à l’esprit, on le cultive, on devient tout spirituel.

62. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Les grands qui les dédaignaient, les révèrent, heureux s’ils deviennent leurs gendres. […] La description qu’a faite de ce premier séjour l’un des collègues de Malezieu, l’abbé Genest, et qu’il a adressée à Mlle de Scudéry, est assez piquante et nous montre l’origine de ce long jeu de bergerie qui va devenir l’existence même de la duchesse. […] Les grands, à force de s’étendre, deviennent si minces, qu’on voit le jour au travers : c’est une belle étude de les contempler ; je ne sais rien qui ramène plus à la philosophie. […] Les décisions de ceux qui l’ont élevée sont devenues des principes et des règles pour elle, sur lesquelles son esprit n’a jamais formé le moindre doute ; elle s’est soumise une fois pour toutes. […] Il semblait que Mme du Maine ne pouvait se passer de cette duchesse, qui était devenue l’intendante de ses plaisirs, le Malezieu des dernières années.

63. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

Ainsi, on y voit parmi les anciens, Alexandre, Pyrrhus, Annibal et Scipion ; parmi les destructeurs de l’empire, Attila et Totila ; parmi ses vengeurs, Narsès qui, né esclave, devint général, et qui eunuque, fut un grand homme. […] Paul Jove a fait l’éloge ou le portrait de tous ces hommes, la plupart plus courageux que saints ; mais dans cette foule de noms, on aime à retrouver à Florence, les Médicis ; à Milan, ces fameux Sforces, dont l’un simple paysan, devint un grand homme ; et l’autre, bâtard de ce paysan, devint souverain ; à Rome, les Colonnes, presque tous politiques ou guerriers ; à Venise plusieurs doges et quelques généraux ; à Gênes, ce célèbre André Doria, qui vainquit tour à tour et fit vaincre Charles-Quint, redoutable à François Ier et à Soliman, mais grand surtout pour avoir rendu la liberté à sa patrie, dont il pouvait être le maître. Si vous portez vos regards plus loin, vous trouverez en Hongrie ce fameux Jean Hunniade qui combattit les Turcs, et simple général d’un peuple libre, fut plus absolu que vingt rois ; et ce Mathias Corvin son fils, le seul exemple peut-être d’un grand homme fils d’un grand homme ; en Épire, Scanderberg, grand prince dans un petit État ; et parmi les Orientaux, ce Saladin, aussi poli que fier, ennemi généreux et conquérant humain ; Tamerlan, un de ces Tartares qui ont bouleversé le monde ; Bajazet qui commença comme Alexandre, et finit comme Darius : d’abord le plus terrible des hommes, et ensuite le plus malheureux ; Amurat II, le seul prince turc qui ait été philosophe, qui abdiqua deux fois le trône, et y remonta deux fois pour vaincre ; Mahomet II, qui conquit avec tant de rapidité, et récompensa les arts avec tant de magnificence ; Sélim, qui subjugua l’Égypte et détruisit cette aristocratie guerrière établie depuis trois cents ans aux bords du Nil, par des soldats tartares ; Soliman, vainqueur de l’Euphrate au Danube, qui prit Babylone et assiégea Vienne ; le fameux Barberousse Chérédin, son amiral, qui de pirate devint roi ; et cet Ismaël Sophi, qui au commencement du seizième siècle, prêcha les armes à la main, et en dogmatisant conquit la Perse, comme Mahomet avait conquis l’Arabie. […] Je remarquerai ensuite qu’il a fait l’éloge de plusieurs princes qui étaient encore vivants, et dans ces articles il change tout à coup de ton ; il ne raconte plus, il loue, et l’historien devient déclamateur. […] Enfin, pour connaître l’esprit de ce temps-là, il ne sera pas inutile d’observer que Paul Jove loue avec transport ce Pic de La Mirandole, l’homme de l’Europe, et peut-être du monde, qui à son âge eût entassé dans sa tête le plus de mots et le moins d’idées ; qu’il n’ose point blâmer ouvertement ce Jérôme Savonarole, enthousiaste et fourbe, qui déclamant en chaire contre les Médicis, faisait des prophéties et des cabales, et voulait, dans Florence, jouer à la fois le rôle de Brutus et d’un homme inspiré ; qu’enfin il loue Machiavel de très bonne foi, et ne pense pas même à s’étonner de ses principes : car le machiavélisme qui n’existe plus sans doute, et qu’une politique éclairée et sage a dû bannir pour jamais, né dans ces siècles orageux, du choc de mille intérêts et de l’excès de toutes les ambitions joint à la faiblesse de chaque pouvoir, fait uniquement pour des âmes qui suppléaient à la force par la ruse, et aux talents par les crimes, était, pendant quelque temps, devenu en Europe la maladie des meilleurs esprits, à peu près comme certaines pestes qui, nées dans un climat, ont fait le tour du monde, et n’ont disparu qu’après avoir ravagé le globe.

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