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1865. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Persistance de la froideur de la salle, prête à devenir ricanante pour la pièce, et qui applaudit à tout rompre la musique. […] Est-ce que je vais devenir, sur mes tout vieux jours, un amoureux de la maîtresse rousse de Barbey d’Aurevilly ? […] Il fait donc son droit à Caen, où étant devenu l’amant d’une femme, son père exige qu’il fasse un choix entre lui et la femme. […] Trôler dans l’immense bâtiment, s’asseoir sur la chaise au pied du lit des fillettes de son âge et causer avec elles, aller jeter de l’eau bénite sur le corps d’une morte : c’est devenu une vie presque distrayante pour elle. […] Plus tard je suis devenu amoureux exclusif de la réalité et du d’après nature.

1866. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Ici ils devinrent hommes. […] Puisque vous voulez me venir en aide, ainsi que je l’apprends, l’affaire deviendra très-périlleuse pour ces guerriers. […] « S’il se développe en raison de son origine, il deviendra un homme hardi, puissant et très-noble, fort et bien fait. […] « Élevez-le dans des idées d’honneur, jusqu’à ce qu’il devienne homme. […] Ils lancèrent leurs piques dans son bouclier, qui en devint si lourd, qu’il dut le laisser tomber de son bras.

1867. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Devenus en quelque manière compatriotes, ils en adoptent les passions, parce qu’ils en ont les intérêts ; l’extrême supériorité ne peut entièrement étouffer la voix de l’envie ; et il faut attendre qu’on ne soit plus, pour recevoir sa récompense de cette postérité réelle, devant laquelle la jalousie s’éclipse, et tous les petits objets disparaissent. […] Lucien avait commencé par être philosophe : la réputation de ses ouvrages le fit rechercher ; elle n’aurait dû servir qu’à rendre sa retraite plus sévère ; car la philosophie est comme la dévotion, c’est reculer que de n’y pas faire des progrès : il se livra à l’empressement qu’on eut pour lui, devint homme du monde sans s’en apercevoir, et finit par être courtisan. […] Peut-être deviendra-t-il enfin si ridicule, que nos auteurs se trouveront plus ridicules encore de l’avoir adopté, et qu’ils en reviendront au vrai et au simple. […] Par là les hommes seront remis plus à leur place, les grâces devenues moins faciles à obtenir ne seront plus disputées que par ceux qui pourront les mériter ; et les écrivains, les philosophes, les artistes célèbres, trouveront d’ailleurs dans l’estime de leur nation un prix assez flatteur pour attendre patiemment d’autres récompenses, ou pour faire rougir ceux qui les en priveraient. […] Cette lettre, qui fait pour le moins autant d’honneur au prince qu’au philosophe, doit immortaliser Philippe aux yeux des sages, bien plus que l’habileté dangereuse avec laquelle il prépara les chaînes de la Grèce ; il y a longtemps que les philosophes ne reçoivent plus de pareilles lettres, je ne dis pas des princes, mais de ceux même qui n’ont aucune espérance de le devenir.

1868. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

L’intelligence de cette langue devint une science, sous les noms de divination, théologie mystique, mythologie, muse. Peu à peu tous les phénomènes de la nature, tous les rapports de la nature à l’homme, ou des hommes entre eux devinrent autant de divinités. […] Prenons Homère, et voyons comment toutes les invraisemblances de sa vie et de son caractère deviennent, par cette interprétation, des convenances, des nécessités. […] Le peuple corrompu était esclave de ses passions effrénées ; il devient esclave d’une nation meilleure qui le soumet par les armes, et le sauve en le soumettant. […] Un autre devint par sa mauvaise conduite la honte de sa famille, et Vico fut obligé de demander qu’il fût enfermé.

1869. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Mais, ce qui est plus grave encore, que ne tenterait-il pas, devenu roi ou empereur, pour devenir roi des rois, chef d’une dynastie de monarques relevant de son trône nouveau ! […] « Si donc, à notre avis du moins, l’institution du consulat à vie avait été un acte sage et politique, le complément indispensable d’une dictature devenue nécessaire, le rétablissement de la monarchie sur la tête de Napoléon Bonaparte, était non pas une usurpation (mot emprunté à la langue de l’émigration), mais un acte de vanité de la part de celui qui s’y prêtait avec trop d’ardeur, et d’imprudente avidité de la part des nouveaux convertis, pressés de dévorer ce règne d’un moment. […] Thiers s’en console en disant : « Mais ces institutions (les cours) étaient loin de mériter le mépris qu’on a souvent affiché pour elles ; elles composaient une république aristocratique détournée de son but par une main puissante, convertie temporairement en monarchie absolue, et destinée plus tard à redevenir monarchie constitutionnelle, fortement aristocratique, il est vrai, mais fondée sur la base de l’égalité. » Comprenne qui pourra cette république devenue en même temps monarchie absolue, cette monarchie absolue destinée à redevenir monarchie constitutionnelle, cette aristocratie et cette égalité se démentant par leurs seuls noms l’une et l’autre ! […] Thiers donne à ce procès l’intérêt d’un grand drame ; il y est aussi juste qu’éloquent : juste envers Bonaparte, qui avait le droit de sévir contre un rival devenu un conjuré ; juste envers Moreau, qui avait failli à la patrie, à la reconnaissance et à lui-même ; juste envers la magistrature du pays, qui montre dans ce jugement des caractères dignes de Rome. […] “Oui, lui disait-on, vous avez repoussé la proposition de replacer les Bourbons sur le trône, mais vous avez consenti à vous servir de Pichegru et de Georges pour le renversement du gouvernement consulaire, et dans l’espérance de recevoir la dictature de leurs mains. — On me prête là, répondait Moreau, un projet ridicule, celui de me servir des royalistes pour devenir dictateur, et de croire que s’ils étaient victorieux, ils me remettraient le pouvoir.

1870. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Sa jeune amie, devenue lady Élisabeth Forster, vivait en tiers avec elle dans le palais du duc ; l’épouse complaisante favorisa les amours de son mari et de son amie ; elle feignit d’accoucher d’un fils ; ce fils supposé passait pour être le fruit du commerce concerté d’Élisabeth Forster avec le duc de Devonshire. […] Sa vraie mère, Élisa Forster, devenue duchesse douairière de Devonshire, jouissait d’un douaire immense ; sa beauté, dont on voyait les vestiges, se lisait encore dans la délicatesse transparente de ses traits ; son esprit était tourné aux grandes choses, politique, arts, littérature ; sa fortune, toute consacrée aux artistes, lui donnait le rôle d’un Mécène européen à Londres, à Paris, à Rome. […] C’était un spectacle touchant et triste à la fois que cette beauté célèbre devenue sœur de charité d’une vanité vieillie et malade, et allant quêter de groupe en groupe une fausse monnaie de gloire auprès de toutes les plumes qui dispensent les renommées d’une soirée. […] De ce nombre était un banquier devenu depuis célèbre et déjà aventureux, nommé Récamier. […] XXXII Jusqu’à son mariage elle n’avait été qu’entrevue ; devenue femme quoique encore enfant, maîtresse adorée de la maison alors la plus opulente de Paris, elle commença à éblouir, non pas les salons d’une capitale (la Terreur et la Mort les avaient tous fermés jusqu’au 9 thermidor), mais la foule, qui se pressait sur ses pas dans les lieux publics.

1871. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Sous le Consulat, le bonhomme Grandet devint maire, administra sagement, vendangea mieux encore ; sous l’Empire, il fut M.  […] Depuis le classement de ses différents clos, ses vignes, grâce à des soins constants, étaient devenues la tête du pays, mot technique en usage pour indiquer les vignobles qui produisent la première qualité de vin. […] Grandet obtint alors le nouveau titre de noblesse que notre manie d’égalité n’effacera jamais : il devint le plus imposé de l’arrondissement. […] « Eugénie, devenue aussi rusée par amour que son père l’était par avarice, réitéra le même signe de tête. […] Le bouquet présenté jadis à Eugénie au jour de sa fête par le président était devenu périodique.

1872. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Depuis, il revint plusieurs fois à Marseille, s’informa et ne put jamais savoir ce qu’étaient devenues ces trois femmes. […] Il regarde, il cherche, il s’aperçoit que c’est devenu un bazar de jouets, et que le premier est occupé par un coiffeur. […] Car tout va aujourd’hui à Paris : les cerveaux comme les fruits ; et Paris est en train de devenir une ville colossale et absorbante, une cité — polype, une Rome au temps d’Aurélien. […] La vie menace de devenir publique. […] Depuis, le monde est devenu vieux et douloureux.

1873. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

il devint ivrogne par misère de cœur, comme Sheridan, le pauvre Brinsley ! […] L’ivrognerie de ce malheureux était devenue le vice de sa solitude. […] Sans aucun doute, dans ce jeu bizarre où l’auteur devient de bonne foi, et, comme l’acteur, se fascine soi-même, il y a (et la Critique doit l’y voir) un naturel de poète dramatique qui, tiré de toutes ces données, sujets habituels des Contes d’Edgar Poe : le somnambulisme, le magnétisme, la métempsycose, — le déplacement et la transposition de la vie, — aurait pu être formidable. […] Edgar Poe est arrivé, en quelques années, à cette renommée posthume qui venge de la vie… Cet écrivain, d’une originalité si sombrement étrange et si cruelle, a mordu avec une telle force sur l’imagination contemporaine, blasée de tout et devenue impuissante, qu’elle en est actuellement timbrée dans les deux sens du mot, et qu’on retrouve sur elle, plus ou moins appuyée, l’empreinte de ce cachet de Poe, sinistre et funèbre. […] » car il était né dans cette galère, qui devint pour lui un si affreux ponton.

1874. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Il répara vite ce désaccord, j’oserai dire cette belle ignorance, plus regrettable, à mon sens, qu’on ne croit : en écrivant Cinq-Mars, un peu au hasard d’abord, il s’accoutuma vite à cette autre forme de développement qui, à partir de Stello, est devenue pour lui un art, un rhythme, un tissu mi-parti d’analyse et de poésie, mais dans lequel beaucoup trop de cette précédente et pure poésie a passé. […] Sans nous constituer juge ici entre les idées dramatiques des deux amis devenus rivaux, notons que c’est à dater de ce jour que M. de Vigny, de nouveau refoulé, dessina de plus en plus distinctement sa position, et entra dans cette seconde phase de son talent qui aboutit à Stello, à Chatterton, et qui le rapproche de Sterne et d’Hoffmann, comme la première l’avait rapproché de Klopstock. Le poëte méconnu, étouffé, ulcéré, que les gouvernements haïssent ou dédaignent, et que la foule ne couronne pas, devint pour M. de Vigny un héros favori, dont il revendiqua les douleurs et dont il vengea l’angoisse. […] Aussi, tandis que M. de Lamartine, avec sa noble négligence, demeure, en public et sous le soleil, le prince aisé des poëtes, l’auteur de Chatterton, dans son cercle à part et du fond de ce sanctuaire à demi voilé, en est devenu le patron réel, le discret consolateur par son élégante et riche parole, attentif qu’on l’a vu, et dévoué et compatissant à toute poésie. […] Ratisbonne, devenu l’évangéliste posthume de De Vigny et son vengeur, a tiré des cahiers intimes qui lui avaient été légués la page que voici, et qu’il m’est imposé aujourd’hui de discuter : « Sainte-Beuve fait un long article sur moi.

1875. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

A mesure qu’on avance dans le dix-huitième siècle, les règles se rétrécissent, la langue se raffine, le joli remplace le beau ; l’étiquette définit plus minutieusement toutes les démarches et toutes les paroles ; il y a un code établi qui enseigne la bonne façon de s’asseoir et de s’habiller, de faire une tragédie et un discours, de se battre et d’aimer, de mourir et de vivre : si bien que la littérature devient une machine à phrases, et l’homme une poupée à révérences. […] Il n’y a point pour lui de règle morale qui dégrade ses ruses ; il quête des épluchures d’assiette sans pour cela devenir bas, il n’est pas avili par la servitude. […] A mesure que l’on descend d’un degré, l’être devient plus libre. […] Les bois deviennent alors silencieux et mornes, une pluie fine et froide ruisselle sur les feuillages qui vont se flétrir ; enveloppés dans l’air brumeux, comme dans un linceul, ils semblent pleurer ceux qui sont morts. […] Il devient « vizir. » Le chat est l’hypocrite de religion, comme le renard est l’hypocrite de cour.

1876. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Entre tant d’écrivains qui, depuis Herder, Ottfried Muller et Gœthe, ont continué et rectifié incessamment ce grand effort, que le lecteur considère seulement deux historiens et deux œuvres, l’une le commentaire sur Cromwell de Carlyle, l’autre le Port-Royal de Sainte-Beuve ; il verra avec quelle justesse, quelle sûreté, quelle profondeur, on peut découvrir une âme sous ses actions et sous ses œuvres ; comment, sous le vieux général, au lieu d’un ambitieux vulgairement hypocrite, on retrouve un homme travaillé par les rêveries troubles d’une imagination mélancolique, mais positif d’instinct et de facultés, anglais jusqu’au fond, étrange et incompréhensible pour quiconque n’a pas étudié le climat et la race ; comment avec une centaine de lettres éparses et une vingtaine de discours mutilés, on peut le suivre depuis sa ferme et ses attelages jusqu’à sa tente de général et à son trône de protecteur, dans sa transformation et dans son développement, dans les inquiétudes de sa conscience et dans ses résolutions d’homme d’État, tellement que le mécanisme de sa pensée et de ses actions devient visible, et que la tragédie intime, perpétuellement renouvelée et changeante, qui a labouré cette grande âme ténébreuse, passe, comme celles de Shakspeare, dans l’âme des assistants. […] Si la conception générale à laquelle elle aboutit est une simple notation sèche, à la façon chinoise, la langue devient une sorte d’algèbre, la religion et la poésie s’atténuent, la philosophie se réduit à une sorte de bon sens moral et pratique, la science à un recueil de recettes, de classifications, de mnémotechnies utilitaires, l’esprit tout entier prend un tour positiviste. Si, au contraire, la conception générale à laquelle la représentation aboutit est une création poétique et figurative, un symbole vivant, comme chez les races aryennes, la langue devient une sorte d’épopée nuancée et colorée où chaque mot est un personnage, la poésie et la religion prennent une ampleur magnifique et inépuisable, la métaphysique se développe largement et subtilement, sans souci des applications positives ; l’esprit tout entier, à travers les déviations et les défaillances inévitables de son effort, s’éprend du beau et du sublime et conçoit un modèle idéal capable, par sa noblesse et son harmonie, de rallier autour de soi les tendresses et les enthousiasmes du genre humain. […] Que le lecteur considère quelques-unes de ces grandes créations de l’esprit dans l’Inde, en Scandinavie, en Perse, à Rome, en Grèce, et il verra que partout l’art est une sorte de philosophie devenue sensible, la religion une sorte de poëme tenu pour vrai, la philosophie une sorte d’art et de religion, desséchée et réduite aux idées pures. […] J’ai tâché de définir ces ressorts primitifs, d’en montrer les effets graduels, d’expliquer comment ils ont fini par soulever jusqu’à la lumière les grandes œuvres politiques, religieuses, littéraires, et de développer le mécanisme intérieur par lequel le Saxon barbare est devenu l’Anglais que nous voyons aujourd’hui.

1877. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Les feuilles, si humides et si fraîches à l’aube, deviennent flasques et pendantes ; les fleurs perdent leurs pétales. […] La brise de mer, qui s’est levée vers dix heures et qui a fraîchi à mesure que le soleil devenait plus fort, tombe et meurt. La chaleur et la tension électrique de l’atmosphère deviennent presque insupportables. […] Après Totila, cet édifice devint comme une carrière publique, où, pendant dix siècles, les riches Romains faisaient prendre des pierres pour bâtir leurs maisons, qui, au moyen âge, étaient des forteresses. […] « Introduisez votre doctrine dans la loi, interdisez aux juges la recherche du principe des actes, et à l’instant même où l’intention s’évanouit, où il ne reste plus que l’organisme du fait, toute moralité s’évanouit avec elle, et l’homicide par imprudence devient l’égal du meurtre avec préméditation.

1878. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

La noblesse féodale fournira des mérites, des dévouements individuels : mais, à la prendre en corps, son rôle bienfaisant est fini ; elle fait décidément banqueroute à l’intérêt public ; elle devient l’obstacle, l’ennemie, et réunit contre elle la bourgeoisie et le roi, rendant dès lors inévitables ces deux étapes du développement national : la monarchie absolue et la Révolution. […] Et la royauté, sauf d’intermittents accès de frénésie chevaleresque, voit où elle va, ce qu’elle peut, par qui elle dure et gagne : elle devient bourgeoise et savante ; elle utilise les forces encore neuves que contiennent et l’âme du tiers état, et la science des docteurs. […] Rendre l’idée par l’expression la plus éloignée de l’idée, la moins nécessaire et la moins attendue, voilà le résumé de toutes les règles, et c’est pour cela que l’allégorie triomphe et s’étale insolemment, ennuyeusement, dans les écrits du xive  siècle : elle est devenue surtout classique et obligatoire depuis le Roman de la Rose. […] Un traité de politique devient un Songe du Vergier ; un livre de tactique s’intitule l’Arbre des batailles 98 ; et qui se douterait que ce pédantesque titre, le roi Modus et la reine Racio, cache un manuel de vénerie ? […] Pour le Français, routier ou prince, depuis Talebard Talebardon jusqu’au roi Jean, les deniers ne sont pas méprisables, sans doute, mais deviennent après autre chose : et cette autre chose, c’est l’aventure, la recherche du hasard périlleux qui met en jeu toutes les énergies du corps et de l’esprit.

1879. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

* * * — Aujourd’hui, au dîner Brébant, devenu une espèce d’antichambre de ministère, c’est autour de moi un susurrement à voix basse de gens qui se demandent et se promettent des places pour les amis. […] On me disait que Georges, l’ancien garçon à la mémoire extraordinaire, était devenu le sacristain d’une chapelle protestante de la rue Royale. […] Mercredi 17 juillet Aujourd’hui, j’ai eu à déjeuner le ménage Daudet, à la première sortie de relevailles de Mme Daudet, et les Charpentier, et Burty, dont le ventre devient bedonnant et le dos montagneux. […] Mardi 19 novembre L’on causait de l’industrialisme du monde des lettres sans humanités, de ces littérateurs appelés peut-être à devenir les éducateurs des générations, commençant à épeler. […] C’est ce Polonais étrange qui, après s’être manqué d’un coup de pistolet dans la bouche, est devenu peintre de Sa Hautesse, dans le palais duquel il a passé une fois cinq cents jours de suite, sans en pouvoir sortir une minute, occupé de l’éternelle et colossale mise en peinture des batailles, hantant la cervelle du Sultan : pauvre peintre qu’on faisait, lorsqu’il était malade, traverser les cours à cheval, en lui tenant les genoux, de peur qu’il ne tombât, qu’on asseyait sur une chaise, et qui devait quelquefois travailler douze heures sans manger.

1880. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Baudelaire ce que deviendrait la poésie en passant par une tête organisée, par exemple, comme celle de Caligula ou d’Héliogabale, et les Fleurs du mal, — ces monstrueuses, — se sont épanouies pour l’instruction et l’humiliation de nous tous ; car il n’est pas inutile, allez ! […] Je ne prétends pas, — ce qu’on ne manquerait pas de me faire dire si je ne revenais sur mon assertion, — que la poésie doive devenir un art purement plastique. […] La poésie à grandes proportions, la poésie épique, est celle des peuples, non pas barbares, mais peu liseurs, ou qui ne savent pas encore lire et qui sont naturellement plus saisissables par la passion que par la réflexion ; c’est la poésie des époques héroïques ; c’est aussi la poésie des peuples opprimés ou asservis, et c’est pour cela peut-être que la France n’a pas de poème épique. — Le poème didactique est un jeu de rhétoricien qui ne peut être poétique qu’épisodiquement. — Quant au poème démonstratif ou persuasif, à la poésie de propagande, au poème-sermon, au poème-pamphlet, ne sont-ils pas devenus ridicules aujourd’hui qu’un article de journal ou une simple brochure renseigne plus vite et plus nettement ? […] Elle devient, non pas individuelle, suivant la prédiction un peu hasardeuse de l’auteur de Jocelyn, mais personnelle, si nous sous-entendons que l’âme du poète est nécessairement une âme collective, une corde sensible et toujours tendue que font vibrer les passions et les douleurs de ses semblables. […] Mais il était écrit là-haut sans doute que tout ce qui désigne ce sexe deviendrait une injure ; et ce sont les femmes elles-mêmes qui se sont calomniées en rejetant comme indécents tous les mots qui avaient ce caractère.

1881. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Depuis les victoires de Bonaparte en Italie, il était évident, en effet, que les généraux et leurs troupes, au lieu de dépendre du gouvernement central qui les soldait, devenaient au contraire, par les contributions levées en pays conquis, les trésoriers de la nation et les percepteurs à main armée du gouvernement. […] Roederer mérita d’être complètement du secret et de devenir l’agent le plus actif peut-être de ce qu’il se plaisait à appeler une généreuse et patriotique conspiration. […] Les négociations de Volney avaient dû porter plus particulièrement auprès des membres des Conseils, de ces républicains d’Auteuil qui furent brumairiens un jour et qui devinrent vite mécontents, tels que Cabanis et autres. […] Il a discuté les opinions opposées à la sienne, discuté la sienne propre, et ces conversations ont été de véritables Conseils d’État. — Il ne peut avoir devant lui des hommes publics sans être homme d’État, et tout devient pour lui Conseil d’État. 

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