/ 1977
1106. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Je dois avouer aussi que la beauté candide, et cependant incomparable, de la jeune fille ou femme qui fut, bien à son insu, l’héroïne de cette histoire, me resta profondément gravée dans les yeux, que mes yeux ne purent jamais l’oublier, et que toutes les fois qu’une apparition céleste de jeune fille ici-bas me frappa depuis, soit en Italie, soit en Grèce, soit en Syrie, je me suis demandé toujours : « Mais est-elle aussi délicate, aussi virginale, aussi impalpable que Fior d’Aliza, de Saltochio ?  […] Elle était debout, les pieds nus, plus blancs et plus délicats que les cailloux qui sortent de la source ; sa robe, à gros plis noirs perpendiculaires, tombait avec majesté sur ses chevilles ; son corset rouge à demi délacé laissait l’enfant sucer le lait et le répandre de sa bouche rieuse, comme un agneau désaltéré qui joue avec le pis de la brebis, ou comme un enfant qui trouble la source avec ses petites mains après avoir bu.

1107. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

S’il a rarement l’espèce de beautés supérieures qui naissent d’un plan fortement conçu et d’un sujet traité en rigueur, ni cette perfection intérieure et secrète de l’ensemble qui se fait sentir par la réflexion, il a une diversité infinie de pensées justes, délicates profondes, qui sont comme des lumières répandues sur tout le domaine de la pensée. […] Le caractère de Montaigne, tel que nous le montrent les Essais, est celui d’un homme nonchalant par humeur, non moins que par la faveur d’une condition qui lui permettait le repos ; irrésolu, tantôt par l’effet des lumières, qui font voir autant de raisons pour s’abstenir que pour agir, tantôt par la fatigue de délibérer, détestant l’embarras des affaires domestiques, et préférant l’inconvénient d’être volé à l’ennui de veiller sur son bien ; ennemi de toute contrainte, jusqu’à regarder comme un gain d’être détaché de certaines personnes par leur ingratitude ; ne donnant prise sur lui à rien ni à personne, ne se mettant au travail qu’alléché par quelque plaisir simple, naïf, vrai avec lui-même et avec les autres ; ayant le droit de parler de sa facilité, de sa foi, de sa conscience, de sa haine pour la dissimulation, dans un temps où toutes ces qualités étaient autant de périls142 ; « ouvert, dit-il, jusqu’à décliner vers l’indiscrétion et l’incivilité » ; délicat à l’observation de ses promesses jusqu’à la superstition, et pour cela prenant soin de les faire en tous sujets incertaines et conditionnelles143 ; franc avec les grands, doux avec les petits ; le même homme que le besoin d’ouverture pouvait rendre incivil ; poussant la civilité jusqu’à être prodigue de bonnetades 144, notamment en été, dit-il, sans doute parce qu’on risque moins en cette saison de s’enrhumer en général, ayant les vertus de l’honnête homme, et sachant, en un cas pressant, en montrer ce qu’il en fallait, mais n’en cherchant pas l’occasion un mélange de naïveté et de finesse, d’ouverture et de prudence, de franchise et de souplesse ; modérant ses vertus comme d’autres modèrent leurs vices ; mettant pour frein à chacune ce grand amour de soi, dont il ne se cache pas et qui formait son état habituel ; enfin, s’il fut vain, ne l’étant guère moins de ses défauts que de ses qualités.

1108. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Car, si beaucoup de ces termes forgés par la science ne se hasardent pas dans le langage ordinaire, beaucoup aussi sont entrés dans l’usage courant avec les choses qu’ils représentent et les plus délicats des puristes n’oseraient affronter le ridicule de s’en passer. […] On verrait, par exemple, comment les théories microbiennes d’un Pasteur, ses recherches sur les infiniment petits des corps ont pour pendant les fines études des romanciers analystes, les subtiles anatomies morales d’un Bourget coupant, comme on l’a dit, un cheveu en quatre, ses tentatives pour pousser ses délicates dissections jusqu’au plus menu détail, son talent à saisir et à rendre visibles les infiniment petits du cœur humain ; on verrait comment cette prédominance de l’esprit d’analyse se marque, dans l’érudition du temps, par des discussions acharnées sur un point ou une virgule, par une foule de travaux minutieux dont les auteurs fouillent à la loupe avec une patience infatigable quelque coin exigu du passé.

1109. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Il avoit l’esprit étendu, varié, délicat et fleuri. […] Le sens caché d’Horace s’entendoit aisément par les romains, et ce détour même rendoit la loüange beaucoup plus délicate, et faisoit une véritable beauté ; mais aujourd’hui il n’y a plus dans les paroles d’Horace que l’apparence d’un contre-tems ; ainsi j’ai cru devoir mettre à la place de l’allusion, les choses qu’elle faisoit penser, afin de rendre ma traduction aussi claire que l’ode pouvoit l’être du tems d’Horace.

1110. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Bien des gens sont encore charmés des stances de Polieucte : tant il est vrai que nous ne sommes pas si délicats sur les convenances, et que la coutume donne souvent autant de force aux fausses beautés, que la nature en peut donner aux véritables ! […] Les autres peuvent aussi blesser la nature de plusieurs manières : 1º En ne répondant pas juste, sans qu’il y ait une raison, prise de la situation et du caractère, pour éluder les discours qu’on leur adresse ; ce qui serait alors une justesse véritable, et même plus délicate que la justesse prise dans un sens plus étroit ; 2º En ne répondant pas tout ce qu’ils devraient répondre ; 3º En n’interrompant pas où ils devraient interrompre.

1111. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Le succès qu’obtint à la Comédie-Française cette jolie chose poétique prouva qu’il y avait lieu encore, dans le public, à de l’émotion littéraire délicate quand on la savait éveiller.

1112. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Voilà pourquoi il est toujours très délicat à un critique qui a des procédés et des habitudes marquées de venir se prononcer sur la valeur absolue du procédé d’un autre critique, son contemporain et son confrère, si ce dernier a de son côté, une vue ferme, complexe mais arrêtée, et qui, s’appliquant à chaque point d’un vaste sujet, l’embrasse, le serre, le transpose même au besoin, et prétend à en tirer non seulement une impression et une image, mais une preuve et une conclusion.

1113. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Et quand la princesse veut lui envoyer un millier de louis pour prix de ses travaux historiques, quelle manière délicate et fine de repousser les bienfaits sous cette forme déjà surannée, sous cette forme qui n’est déjà plus française à cette date !

1114. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

le coquin a du talent » ; après Catherine, on pourra dire : « mais il a de l’esprit. » — Les défauts, quoique moindres, sont encore ceux des précédentes études, et je donnerai derechef pour conseil général à l’auteur : éteindre des tons trop bruyants, détendre çà et là des roideurs, assouplir, alléger sa langue dans les intervalles où le pittoresque continu n’est aucunement nécessaire ni même naturel ; se pacifier par places sans se refroidir au cœur ; garder tout son art en écrivant et s’affranchir de tout système ; — ne jamais perdre de vue que, parmi les lecteurs prévenus et à convertir, il y a aussi des malins et des délicats, et ne pas aller donner comme par un fait exprès sur les écueils qu’ils ont notés de l’œil à l’avance et où ils vous attendent.

1115. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Joubert : l’amateur littéraire le plus délicat, le consultant le plus fin, le plus exquis et le plus sûr.

1116. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Il n’aurait pu manifester hautement, l’eût-il possédé, le sens littéraire délicat et hardi d’un Cobet.

1117. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Bug aussitôt devint ému et radieux sous sa royale beauté d’ébène ; le mélancolique d’Auverney rougit d’une délicate nuance ; les jardins se fleurirent, les mornes verdoyants embaumèrent, tout s’anima.

1118. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Cela s’est déjà passé de la sorte aux autres époques de civilisation raffinée ; et du moment que la poésie, cessant d’être la voix naïve des races errantes, l’oracle de la jeunesse des peuples, a formé un art ingénieux et difficile, dont un goût particulier, un tour délicat et senti, une inspiration mêlée d’étude, ont fait quelque chose d’entièrement distinct, il a été bien naturel et presque inévitable que les hommes voués à ce rare et précieux métier se recherchassent, voulussent s’essayer entre eux et se dédommager d’avance d’une popularité lointaine, désormais fort douteuse à obtenir, par une appréciation réciproque, attentive et complaisante.

1119. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Damiron un champ d’observations intimes et délicates.

1120. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Cabanis, assez semblable à Louvet, allait plus avant que le médecin mécanicien, et descendait jusqu’aux rouages délicats de l’organisation.

1121. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Jouffroy a pris soin, en mainte occasion, de déterminer et de circonscrire avec une clarté remarquable la sphère psychologique au centre de laquelle il observe ; il est encore revenu dans ses deux dernières leçons sur sa distinction du moi et du non-moi ; il a poursuivi et tracé avec une prétention de rigueur scientifique cette distinction délicate jusqu’au sein de l’homme même, et il a déclaré que l’homme était double, qu’il y avait en lui force pensante et force vitale, esprit et matière, âme et corps ; il a professé que ce nom d’homme n’appartient légitimement qu’au moi, à la force pensante, à l’esprit ; et que le reste, force vitale, matière et corps, ne constitue réellement que l’animal.

1122. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Ils ont enfin à ne pas laisser dépérir, dans ces routes pénibles, les facultés délicates, brillantes ou tendres, oublieuses d’ici-bas, l’imagination, l’âme, l’art et toutes les cultures qu’il suggère.

/ 1977