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1230. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Les classiques s’émeuvent, et s’effarent un peu ils craignent l’influence de cette maîtrise qui se révolte. […] je le crains — de ne supprimer que la rime et laisse à sa strophe l’allure binaire qui tant la monotonise. […] Je m’aperçois, monsieur, que cette Ode, tronquée de la sorte, perd, tout intérêt et je crains que, pour avoir voulu vous plaire, je ne fournisse de nouvelles armes à nos nombreux détracteurs : les symbolistes et autres soi-disant novateurs, les Parnassiens et la queue de cette École, louant Racine et La Fontaine, mais beaucoup plus de la bouche que du cœur. […] C’est pourquoi, tout en souhaitant de grand cœur bonne chance aux audacieux, quels qu’ils soient, je crains de voir ce nouvel essai ne réussir qu’à longue échéance.

1231. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Mais il est si éloigné de craindre que Vinet — le plus discret des hommes — ne veuille pénétrer de force dans sa vie intime, qu’au contraire c’est lui qui s’offre et qui se livre. […] J’ai trouvé que, dans ma première façon, le blâme était trop mitigé ; et je crains d’autant moins à cette heure de l’accentuer un peu mieux, que je viens de communiquer à M.  […] Nous craignons que ces détails ne paraissent subtils ; cependant nous sommes sûrs de rendre une impression réelle. […] Personnellement rapprochés les uns des autres, ils eussent eu pourtant, je le crains, quelque peine à sympathiser. […] Que vous craindrez de vous jouer des idées éternelles !

1232. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

J’ai connu la sœur d’un poète, qu’il est préférable de ne pas nommer, car cette omission permettra à plusieurs de se retrouver en son exemple : elle ne le quittait presque jamais et l’accompagnait dans ses démarches extérieures ; ses yeux tendres et voilés, constamment fixés sur lui, disaient l’admiration, le dévouement du chien fidèle, et seuls faisaient écho à sa parole, car elle eût craint d’affaiblir d’un seul mot ce qu’elle jugeait définitif, étant tombé de ses lèvres à lui. […] Un philosophe, prévenu sans doute par excès de misanthropie, mais auquel un perpétuel repliement sur lui-même suscita d’étranges lueurs, n’a pas craint de formuler cette loi primordiale de psychologie amoureuse : « La Femme veut être prise, acceptée comme propriété. […] toutes les femmes la comprendront, toutes les femmes se retrouveront dans ses poèmes, qui douées du pouvoir redoutable d’analyser leurs sensations, n’auront pas craint de suivre en leur miroir la progression des flétrissures dont le temps stigmatise leur beauté… celles-là surtout qui, seulement amantes, n’imaginent pas, les malheureuses, d’autre raison de vivre ! […] Elle n’a pas craint de nous révéler les troubles de l’adolescence. […] Je n’y veux voir, pour ma part, que la sincérité d’une plume obéissant aux vives impulsions d’une amoureuse, laquelle, de tempérament réaliste, ne craint pas l’image physique et parfois même semble la chercher.

1233. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Le nom me fait horreur par sa terminaison pédantesque ; je crains les écoles comme le choléra, et ma plus grande joie est de rencontrer des individualités nettement tranchées. […] Courbet les premiers ; mais je ne crains pas de me ranger momentanément avec eux, en expliquant ma pensée. […] En lisant le titre, vous craignez de vous attendrir ; bon ! dès le premier coup d’œil, vous ne craignez plus que de vous désopiler la rate. […] Une sorte d’humour à la Charles Dickens et un sentiment du comique ou plutôt d’un certain comique que vous ne sauriez rencontrer autre part, ajoute un entrain particulier à ces peintures d’un ton cru, qui, loin de craindre la pleine lumière, la recherchent.

1234. (1932) Le clavecin de Diderot

Lénine, qui ne craint pas d’apporter ses preuves, met à ample contribution L’Entretien avec d’Alembert. […] Or, à peine avais-je interrompu la série des mertre, mertre, mertre, mertre, dont la quasi-uniformité (j’ose même dire l’uniformité pour une oreille de non-initié) semblait, de leurs répétitions, avoir saoulé celui dont la bouche les proférait, que je craignis un malheur. […] Le piano jouait un rôle restrictif qui ne me plaisait guère, et d’autant moins que notre piano était un piano crapaud, un piano eunuque, un piano sans queue, dont ma mère qui passait de longues heures en sa compagnie, n’avait certes pas à craindre qu’il la violât. […] Ainsi, des êtres spoliés, par leur faute ou non, de ce qui leur eût été naturel, sont en quête de surnaturel et ne craignent pas d’expliquer, de très consolante et compensatoire manière, cette répercussion intime des infinitésimaux dont le monde extérieur ne cesse d’émouvoir leur engourdissement. […] Dont la conclusion pratique ne saurait être que le statu quo, puisque si Dieu = l’Homme, l’Homme = Dieu, donc l’homme s’y retrouve, sans rien avoir à craindre de Dieu.

1235. (1927) Des romantiques à nous

Je crains que ces défauts ne nuisent au succès d’une œuvre chargée de substance, et n’en bornent peut-être l’essor aux limites du monde universitaire, qui se contente à la rigueur d’être instruit, et n’exige pas, comme le grand public, d’être aussi séduit. […] Je crains que M.  […] Il aurait plutôt craint le contraire. […] Benda à Mélisande qu’il faut peut-être craindre que Mélisande, instruite par lui, recommence à faire exprès des raisonnements faux pour la joie exquise de s’entendre encore une fois expliquer la règle, avec ces jolies façons, dans ce style d’or. […] Et je rêve aux signes qui nous font craindre que l’époque humaine où une telle génération spirituelle était possible soit révolue, que l’arbre qui engendra cette végétation ensorcelante et tardive soit à la veille de s’affaisser.

1236. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Brisant le moule des apparences, les essences se révèlent… Mais il ne faut pas craindre : la vie est belle et vaut d’être vécue. […] Alors, devinant, d’après mes anciennes souffrances, quel destin farouche les maintenait ignares et malheureux dans l’ombre et les poussait à me détester et à me craindre, je me réjouis d’avoir fait le désert autour de moi ; plein d’orgueil, je me glorifiai de ma solitude. […] La volonté de voir doit seule tendre les forces de ton être… D’ailleurs tu n’as rien à craindre pourvu que tu restes à côté de moi. […] Tu peux être assuré qu’autrement je ne mettrais pas les pieds chez vous, — non que vous me fassiez peur : je vous ai infligé assez de raclées pour ne pas craindre vos malices, seulement l’intérieur de votre ménagerie est tellement monotone à fréquenter — je ne crains pas ton démenti sur ce point — que je ne m’y risque jamais qu’appelé… (Il lui tend un papier.) […] Je crains, en effet, que vous n’obteniez pas la première place.

1237. (1940) Quatre études pp. -154

Et dès lors il ne craignait plus rien, pas même la mort. […] Un Burns ne craint pas d’appeler par leur nom toute une série d’oiseaux, dans une énumération où un poète français aurait soin de choisir, pour ne prendre que le plus caractéristique et le plus brillant. […] On ne craint plus de faire rimer mer avec amer, et, dernière honte, rose avec éclose. […] On dit que les pilotes craignent au dernier point ces mers pacifiques où l’on ne peut naviguer, et qu’ils veulent du vent, au hasard d’avoir des tempêtes. […] Il nous dira que Locke est le premier qui ait remarqué que l’inquiétude causée par la privation d’un objet est le principe de nos déterminations ; mais qu’il a le tort de faire naître l’inquiétude du désir, tandis qu’en réalité le désir naît de l’inquiétude ; que d’ailleurs, Locke a mis entre le désir et la volonté plus de différence qu’il n’y en a en effet ; qu’il restait donc à démontrer que cette inquiétude est le premier principe qui nous donne les habitudes de toucher, de voir, d’entendre, de sentir, de goûter, de comparer, de juger, de réfléchir, de désirer, d’aimer, de haïr, de craindre, d’espérer, de vouloir ; que c’est par elle, en un mot, que naissent toutes les habitudes de l’âme et du corps.

1238. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Doit-on craindre que cette exploration indiscrète ne retire à la poésie quelque chose de son charme ? […] Je ne voulais pas le craindre et, à cet effet, je souhaitais qu’il eût quelques-unes de nos erreurs et de nos faiblesses. […] Je vois seulement quelques poètes, quelques écrivains qui ont affecté l’impassibilité, d’ordinaire avec une exagération voulue, comme s’ils craignaient qu’on ne s’y trompât. […] Ils ne craignent pas d’appeler les choses par leur nom. […] Pour le vrai poète, la poésie n’est pas un jeu, mais une chose sérieuse ; il ne craint pas de lui confier ses sentiments les plus chers.

1239. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Fénelon, grâce à son optimisme heureux, à son catholicisme indulgent, ne craignit pas non plus de se livrer à cette sensibilité pieuse qui lui faisait adorer la Providence à chaque pas dans la création. […] Terrier de Montciel, précédemment ministre de l’intérieur, s’était réfugié au Jardin-des-Plantes chez Bernardin de Saint-Pierre, qu’il y avait fait nommer, mais qu’il y resta peu de temps, ayant été assez mal accueilli par son protégé, qui craignait de se compromettre.

1240. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

IV Je ne voulus pas prendre la plume et analyser la perte que la littérature classique venait de faire en lui, dans le premier moment de ma douleur : je craignais que le cœur en moi ne faussât le jugement ou n’exagérât l’éloge ; je voulais rester vrai pour être juste. […] La route est sûre aujourd’hui ; vos officiers n’ont plus rien à craindre des Ansariés.

1241. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Et d’abord, il s’occupe de leur éducation sur les genoux des nourrices ; il en exclut les fables qui défigurent les dieux dans l’imagination de ce premier âge ; il prescrit pour cela des règles aux poètes, pour qu’ils n’attribuent aux dieux, dans leurs œuvres, que le bien et jamais le mal ; il leur défend de faire craindre la mort à ces hommes par la déception des enfers ; il n’autorise le mensonge que dans les magistrats, pour l’utilité du peuple, maxime honteuse qui honore dans l’État le crime contre la vérité puni dans le citoyen, sophisme qui rappelle les deux morales de Machiavel, de Mirabeau, de tous les faux politiques, une morale pour la vie privée, une pour la vie publique ; absolution philosophique des crimes d’État. […] Socrate en fut la victime ; mais Platon, ce saint Paul du spiritualisme grec, mêla à la sublime doctrine de son maître tant de sophismes, tant de puérilités, tant de chimères et tant de dépravations d’idées, de lois, de mœurs, que cette pure philosophie socratique en fut viciée presque dans sa source, et qu’en se sanctifiant avec Socrate, on craint toujours de se corrompre avec Platon.

1242. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Reprends tes sens ; encore un pas, et tu n’as plus rien à craindre. […] Un être vertueux, convaincu de ce système, en serait profondément affligé, car il craindrait sans cesse que l’influence toute-puissante des objets extérieurs n’altérât la pureté de son âme et la force de ses résolutions.

1243. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Nous avancions lentement au pas de nos chevaux fatigués, les yeux attachés sur les murs gigantesques, sur les colonnes éblouissantes et colossales qui semblaient s’étendre, grandir, s’allonger, à mesure que nous en approchions ; un profond silence régnait dans toute notre caravane ; chacun aurait craint de perdre une impression de cette scène en communiquant celle qu’il venait d’avoir ; les Arabes même se taisaient et semblaient recevoir aussi une forte et grave pensée de ce spectacle qui nivelle toutes les pensées. […] et peut-être aussi de nos souvenirs et de nos sentiments individuels, Dieu seul le sait, et nos langues n’essayaient pas de le dire ; elles auraient craint de profaner la solennité de cette heure, de cet astre, de ces pensées mêmes ; nous nous taisions.

1244. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Boileau, en mettant bas les armes, craignait d’avoir sacrifié à la civilité quelque chose de plus que son amour-propre ; Lamotte, par l’air galant dont il désarmait devant une femme, faisait encore les affaires de sa vanité. […] Témoin Boileau, si en sûreté du côté de la foi, qui ne craignait pas d’avoir Bayle en très grande estime.

1245. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Ajoutez que les soi-disant défenseurs du sol national, les soldats, sont autant et plus à craindre que les ennemis. […] Cette théorie, qui consiste à donner la première place aux facteurs économiques dans l’évolution humaine, serait fort insuffisante à expliquer en totalité l’évolution littéraire ; mais elle appelle l’attention sur quelques-unes des causes les plus profondes dont la littérature subit l’influence et je n’ai pas craint d’insister sur les rapports étroits qui existent entre des phénomènes qu’on néglige trop souvent de rapprocher les uns des autres.

1246. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

je craindrais d’insister sur ce soudain éclat.) « La phrase d’amour s’élève ». […] En ce qui concerne ces deux artistes hors ligne, on ne vit jamais, paraît-il, une telle identification des acteurs avec leurs personnages : c’était à craindre, ce certains endroits, de les voir succomber à leurs émotions presque surhumaines.

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