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723. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

La vie ne peut pas être à la surface des œuvres de l’esprit et n’être pas dans le fond ; la beauté du langage n’est pas un fard mensonger, c’est la couleur inaltérable de la vie. […] Il supprima ce portrait, et il fit bien ; car, ainsi que les traits en sont forcés, les couleurs en sont fausses.

724. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

on pouvait craindre que Babou, qui est à lui seul tous ces hommes-là, ne les montrât un peu trop dans un sujet imprégné profondément de paganisme, et qu’il n’en fonçât outrageusement la couleur. […] Dans sa Gloriette, dans son Curé de Minerve, dans son Hercule chrétien et dans son Histoire de Pierre Azam, ce qui le préoccupe, c’est la couleur locale et morale, et les personnages de ses récits presque légendaires ne sont guères que des figures, pour la plupart, connues, et parfois d’une physionomie fatiguée.

725. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Voyez, dans une même patrie, les gens de la plaine et ceux de la montagne, ceux qui communiquent, par tout leur être, avec le sol rocheux, l’air sec, avec les bruyères, avec les grands flamboiements de soleil sur des surfaces arides ; regardez à côté et étudiez ceux que la vie enferme dans l’ombre moite des forêts ; observez le visage des mêmes travailleurs qui change avec les saisons, la couleur de leurs paroles ou de leurs yeux qui varie plus d’une fois en un jour, et dites si nous ne sommes pas un peu les sujets de ce monde que nous dominons par la pensée ? […] Le peintre et le romancier verront le même paysage ou le même décor d’appartement ; ils le verront peut-être avec des yeux également fouilleurs, sensibles aux moindres nuances de couleur et aux harmonies des formes ; mais, si leur vision est la même, ils la rendront par des procédés et dans un but bien différents.

726. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XVI » pp. 64-69

Nous (la Revue suisse) n’avons pas à le juger politiquement ; mais, à entendre dans cette bouche éloquente ce torrent de magnifiques paroles en sens tout contraire au courant d’hier, nous nous sommes rappelé involontairement ces vers d’Homère (Hiade, XX, c’est Énée qui parle) : « La langue des hommes est flexible, et elle a toutes sortes de discours — de toutes les couleurs, — et le pâturage des paroles s’étend çà et là. » Le noble Pégase a déjà parcouru en bien des sens le pâturage immense, tant sur la rive droite que sur la rive gauche, depuis le jour où d’un coup de son ongle sonore il faisait jaillir au début l’ode sur le duc de Bordeaux : Il est né l’Enfant du miracle.

727. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PAUL HUET, Diorama Montesquieu. » pp. 243-248

L’homme ne joue guère de rôle dans cette manière d’envisager les lieux et de les reproduire : le groupe d’usage n’y est pas ; la pastorale et l’élégie y sont sacrifiées ; point de ronde arcadienne autour d’un tombeau ; point de couples épars et de nymphes folâires et d’amours rebondis ; point de kermesse rustique, de concert en plein air ou de dîner sur l’herbette ; pas même de romance touchante, ni de chien du pauvre, ni de veuve du soldat : c’est la nature que le peintre embrasse et saisit ; c’est le symbole confus de ces arbres déjà rouillés par l’automne, de ces marais verdâtres et dormants, de ces collines qui froncent leurs plis à l’horizon, de ce ciel déchiré et nuageux, c’est l’harmonie de toutes ces couleurs et le sens flottant de cette pensée universelle qu’il interroge et qu’il traduit par son pinceau.

728. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Ponsard, François (1814-1867) »

Charlotte Corday : Ce n’est pas seulement la beauté des vers qu’il convient d’admirer dans le drame de Charlotte Corday, c’est aussi, et surtout, l’intelligence d’une époque, le sens intime et profond de la couleur historique.

729. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Guarini, et Jason de Nores. » pp. 130-138

Quel langage hors de nature que celui de cette bergère, occupée à se parer de fleurs, & qui les approche de sa joue, afin de faire comparaison avec elles pour la couleur, & de les couvrir de honte, en l’emportant sur leur éclat* !

730. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre II. Des Époux. — Ulysse et Pénélope. »

L’art d’écrire semble avoir suivi l’art de la peinture : la palette du poète moderne se couvre d’une variété infinie de teintes et de nuances ; le poète antique compose ses tableaux avec les trois couleurs de Polygnote.

731. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Nicole, Bourdaloue, Fénelon »

Nicole a la rigidité, la couleur, le poids d’un caillou qu’on aurait lavé et frotté, — car il est correct, — mais c’est un caillou dont on peut défier de faire jamais un camée.

732. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

En effet les hommes durent se représenter la terre comme un grand dragon couvert d’écailles, c’est-à-dire d’épines ; comme une hydre sortie des eaux (du déluge), et dont les têtes, dont les forêts renaissent à mesure qu’elles sont coupées ; la peau changeante de cette hydre passe du noir au vert, et prend ensuite la couleur de l’or.

733. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Et qui eût empêché d’y mêler, pour varier les couleurs et les lignes, les personnages de la comédie antique avec leurs tuniques, leurs chlamydes et leurs voiles : l’esclave rusé, le parasite jovial, le leno, le miles gloriosus et les belles esclaves grecques aimées des fils de famille ? […] que la « couleur locale » est chose maussade à côté de ces inventions ! […] On dit que les classiques étudient surtout l’homme en général, l’homme de tous les temps, et qu’ils sont fort peu soucieux de « couleur locale ». Or, cette couleur-là est radicalement absente de la pièce de M.  […] Ils auront toujours la force d’appliquer, bien ou mal, des couleurs sur de la toile ou de façonner de la terre mouillée.

734. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Si tout cela n’est point assez pour lui arranger un paysage agréable, il peut faire des espèces de fleurs nouvelles, aux parfums plus riches, aux couleurs plus puissantes que toutes celles qui croissent dans les jardins de la nature. […] Elles ne sont plus élues dans les clubs quand on nomme les belles dont on boit la santé ; elles sont obligées par leurs principes de se coller une mouche sur le côté du front où cela va le plus mal ; elles se condamnent à perdre les toilettes du jour de naissance ; il ne leur sert de rien qu’il y ait une armée et tant de jeunes gens porteurs de chapeaux à plumes ; elles sont forcées de vivre à la campagne et de nourrir leurs poulets, juste dans le temps où elles auraient pu se montrer à la cour et étaler une robe de brocart, si elles voulaient se bien conduire… Un homme est choqué de voir un beau sein soulevé par une rage politique qui est déplaisante même dans un sexe plus rude et plus âpre… Et cependant nous avons souvent le chagrin de voir un corset près d’être rompu par l’effort d’une colère séditieuse, et d’entendre les passions les plus viriles exprimées par les plus douces voix… » Mais, heureusement, ce chagrin est rare ; « là où croissent un grand nombre de fleurs, la terre de loin en semble couverte ; on est obligé d’avancer et d’entrer, avant de distinguer le petit nombre de mauvaises herbes qui ont poussé dans ce bel assemblage de couleurs. » Cette galanterie est trop posée ; on est un peu choqué de voir une femme touchée de si près par des mains si réfléchies. […] On dit, à la vérité, qu’un jour il lui fit une déchirure dans son pourpoint couleur de chair, mais c’était seulement pour se procurer de l’ouvrage et en sa qualité particulière de tailleur… Le lion qui joue à présent est, à ce que j’apprends, un gentleman de province qui fait cela pour son amusement, mais souhaite que son nom reste caché. […] On sent qu’il se plaît dans ce monde magnifique et fantastique ; c’est une sorte d’opéra qu’il se donne ; ses yeux ont besoin de contempler des couleurs. […] Le peu qu’on pouvait voir de sa figure était fardé, et, ce qui me parut fort singulier, on y démêlait des sortes de rides artificielles… Sa coiffure s’élevait fort haut par trois étages ou degrés distincts ; ses vêtements étaient bigarrés de mille couleurs et brodés de croix en or, en argent, en soie.

735. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Jamais esprit, je crois, ne s’est figuré avec un détail plus exact et une plus grande énergie toutes les parties et toutes les couleurs d’un tableau. […] Les objets, chez Dickens, prennent la couleur des pensées de ses personnages. […] Dickens a la passion et la patience des peintres de sa nation : il compte un à un les détails, il note les couleurs différentes des vieux troncs d’arbres ; il voit le tonneau fendu, les dalles verdies et cassées, les crevasses des murs humides ; il distingue les singulières odeurs qui en sortent ; il marque la grosseur des taches de mousse, il lit les noms d’écoliers inscrits sur la porte et s’appesantit sur la forme des lettres. […] S’il décrit une maison, il la dessinera avec une netteté de géomètre ; il en mettra toutes les couleurs en relief, il découvrira une physionomie et une pensée dans les contrevents et dans les gouttières, il fera de la maison une sorte d’être humain, grimaçant et énergique, qui saisira le regard et qu’on n’oubliera plus ; mais il ne verra pas la noblesse des longues lignes monumentales, la calme majesté des grandes ombres largement découpées par les crépis blancs, la joie de la lumière qui les couvre, et devient palpable dans les noirs enfoncements où elle plonge, comme pour se reposer et s’endormir. […] Il se perdra, comme les peintres de son pays, dans l’observation minutieuse et passionnée des petites choses ; il n’aura point l’amour des belles formes et des belles couleurs.

736. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Homère, en véritable poète, ne se contente pas de raconter ; il décrit tous ces apprêts et présente à l’imagination tous ces détails pittoresques du sacrifice, du feu, du repas, détails qui sont la vie des tableaux ; puis, quand les matelots se rembarquent avec Ulysse, il peint cette autre scène de mer des mêmes couleurs que la scène du débarquement. […] Et si on ajoute à cette admiration que cet interprète si intelligent, si fidèle et si éloquent, décrit, parle et chante dans une langue aussi divine et aussi harmonieuse que sa pensée ; si on ajoute que cette langue cadencée et transparente comme les vagues et comme l’éther dont il est entouré dans ses paroles rythmées, l’ordre logique des idées, le nœud puissant et serré du verbe qui relie en faisceau la phrase, la clarté du plein jour sous un soleil d’Orient, la force de l’expression, la délicatesse des nuances, la saillie du marbre, la vivacité des couleurs, la sonorité des armures d’airain dans le combat, des vagues de la mer dans les cavernes du rivage, le sifflement de la tempête dans les vergues et dans les voiles, le susurrement du zéphire dans les brins d’herbe ou dans les feuilles des forêts, enfin jusqu’aux plus imperceptibles palpitations du cœur dans la poitrine des hommes, on reste confondu, en présence d’un tel prodige d’expression, de tout ce que les sens perçoivent, de tout ce que l’âme sent et pense, et l’on se demande par quel étrange phénomène le plus ancien des poètes en est en même temps le plus parfait, par quel contresens apparent le génie poétique de la Grèce sort des ténèbres le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre à la main ; et on ne peut s’empêcher de se récrier sur le blasphème ou sur la cécité de ceux qui préconisent notre vieille jeunesse au détriment de cette jeune antiquité. […] Diomède dormait aussi sur la peau d’un bœuf sauvage, et sous sa tête était enroulé un tapis aux couleurs éclatantes !  […] D’abord elle place devant eux une table éclatante, polie avec soin, et dont les pieds sont teints de couleur d’azur ; puis elle sert dans un plat d’airain l’oignon qui irrite la soif, le miel fraîchement écoulé de la ruche et les pains pétris de la farine du froment sacré. […] « Mais tels, disent-ils, que des abeilles ou des guêpes à corsage de diverses couleurs, qui, ayant construit leurs ruches sur les bords d’un chemin rocailleux, n’abandonnent point leurs creuses demeures, et, résistant à leurs ennemis, défendent leur race avec héroïsme, tels ces deux guerriers, quoique seuls, ne veulent pas déserter les portes, etc., etc. » La victoire est indécise, quand un prodige, où le naturel des animaux est décrit comme par Pline ou par Audubon, attire et suspend l’attention des deux armées.

737. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Un salon garni de meubles en damas rouge, aux bois dorés, aux lourdes formes vénitiennes ; de vieux tableaux de l’école italienne avec de belles parties de chairs jaunes ; au-dessus de la cheminée, une glace sans tain, historiée d’arabesques de couleur et de caractères persans, genre café turc : une somptuosité pauvre et de raccroc faisant comme un intérieur de vieille actrice retirée, qui n’aurait touché que des tableaux à la faillite d’un directeur italien. […] Alors nous voyons un peu de sa figure, bonne, douce, calme, les couleurs éteintes, mais les traits encore délicatement dessinés dans un teint pâli et pacifié, dans un teint couleur d’ambre. […] Il a trouvé un dessin carré, un contour fruste qui rend ce corps-paquet, où il n’y a plus rien des rondeurs provocantes de la forme féminine, ce corps que le travail et la misère ont aplati comme avec un rouleau, n’y laissant ni gorge ni hanches, et qui ont fait de cette femme un ouvrier sans sexe, habillé d’un casaquin et d’une jupe, dont les couleurs ne semblent que la déteinte des deux éléments entre lesquels ce corps vit, — en haut bleu comme le ciel, en bas brun comme la terre. […] En revenant sur la route de Versailles, par une belle nuit froide, Sainte-Beuve, en son paletot gris déboutonné et son gilet chamois, — il affectionne les couleurs claires, jeunettes, printanières, — Sainte-Beuve marchant d’un pas nerveux, presque rageur, nous entretient de l’Académie qui n’est pas, dit-il, ce qu’on pense.

738. (1925) La fin de l’art

La momie servait aussi à fabriquer pour les peintres un beau noir qui, paraît-il, n’aurait pas été remplacé, ce qui n’a plus d’importance, toute la peinture étant désormais couleur jus d’herbe et sirop de groseille. […] on a trouvé plus simple, plus propre aussi de l’acheter par petites bouteilles chez le marchand qui nous en fournit de toutes les couleurs, et fort bonnes, du moins pour ce que nous voulons en faire. […] Et ce calembour, il devait le répéter toute sa vie en le variant de couleur, non de forme. […] Le pain blanc De temps en temps, des gens difficiles trouvent que le pain blanc est trop blanc, que c’est mauvais signe, que cette couleur est suspecte et dénote un lymphatisme étrange. […] Goncourt ne trouva-t-il pas muet un monsieur à qui il demanda : « Quelle est la couleur du papier de votre chambre à coucher ? 

739. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Il y a diverses sortes d’images : celles qui précisent les contours extérieurs de l’objet, qui en dessinent la forme et la couleur, et qui ainsi produisent des perceptions nettes. […] L’ivresse des couleurs et la paix des contours280 ! […] Nos yeux ont la couleur et l’éclat du ciel ; Nos cheveux sont si beaux que tes Romaines nous les empruntent pour en ombrager leurs têtes. […] Sur les montagnes, de grandes fleurs pleines de parfums qui fument, se balancent comme d’éternels encensoirs ; dans les citronniers plus hauts que des cèdres, des serpents couleur de lait font avec les diamants de leur gueule tomber les fruits sur le gazon ; 3. […] Sur le sommet de la galerie la plus élevée, Plus haut que la rosace centrale, Il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, Une grande flamme désordonnée et furieuse Dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée293 Dans la Mare au diable, lisez le portrait de la petite Marie : Elle n’a pas beaucoup de couleur, Mais elle a un petit visage frais Comme une rose des buissons !

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