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226. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Il s’est donné pour but de déshonorer le fondateur de l’éclectisme comme philosophe en l’honorant comme écrivain, comme orateur, comme… — il faut bien dire la chose puisqu’elle est, — comme le plus prestigieux comédien intellectuel qui se soit joué des comédies à soi-même, et, pour le déshonorer mieux, il l’honore trop. […] C’est ainsi que tous les arts et même la musique font arabesque autour du livre majestueux qu’ils ornent et qu’ils parachèvent… Il n’y a certainement rien de supérieur à l’encyclopédisme de cette publication, mais ce n’est pas là, pour nous, le plus grand mérite de l’ouvrage, qui est mieux que complet par les renseignements puisqu’il est vrai par l’aperçu… La vérité, qui est toujours le but de l’Histoire, est, dans l’histoire de Jeanne d’Arc, plus difficile à atteindre que dans une histoire moins sublime et moins merveilleuse… L’histoire de Jeanne d’Arc est plus qu’humaine.

227. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre III. Trois espèces de jurisprudences, d’autorités, de raisons ; corollaires relatifs à la politique et au droit des Romains » pp. 299-308

C’est la sagesse d’Ulysse qui dans Homère approprie si bien son langage au but qu’il se propose, qu’il ne manque point de l’atteindre. […] Bien loin que ces pratiques aient eu aucun but d’imposture, c’étaient des usages sortis de la nature même des hommes de l’époque ; une telle nature devait produire de tels usages, et de tels usages devaient entraîner nécessairement de telles pratiques.

228. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Ce but supérieur à la grossière satisfaction en commun des besoins physiques, cette dignité de plus, cette moralité de plus, ce spiritualisme social de plus, c’est l’âme de l’humanité cultivée par la civilisation, résultant de cette société. […] Ce but de la société politique ainsi défini, marqué, dignifié, sanctifié, et, pour ainsi dire, divinisé, je me demande : Qu’est-ce que le premier législateur ? […] L’une a pour but de bien brouter la terre, en tirant chacun à soi la plus large part de la nappe terrestre ; l’autre a pour but de nourrir le corps, sans doute, par la loi impérieuse du travail, mais elle a un but supérieur : élever l’âme du peuple par la pensée de Dieu, par la piété envers Dieu, par le dévouement envers ses semblables, jusqu’à la dignité de créature intelligente et morale, jusqu’à la glorification du Créateur par sa créature ; en un mot, diviniser la société mortelle autant que possible sur cette terre, pour la préparer au culte de son éternelle divinisation dans un autre séjour. […] Et, de plus, les partisans irréfléchis de cette utopie de l’égalité des biens n’ont-ils pas assez d’intelligence pour comprendre que leur égalité serait la destruction du plan divin sur la terre ; que Dieu a voulu l’activité humaine dans son plan ; que le désir d’acquérir est le seul moteur moral de cette activité ; que l’inégalité des biens est le but, le prix, le salaire de cette activité, et que la suppression de cette inégalité supprimant en même temps tout travail, l’égalité des socialistes produirait immédiatement la cessation de tout mouvement dans les hommes et dans les choses ?

229. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Sans rien de ce qu’on appelle maintenant pédagogie, ils pratiquaient la première règle de l’éducation, qui est de ne pas trop faciliter des exercices dont le but est la difficulté vaincue. […] Cette vérité, vous la faisiez trop matérielle, trop concrète ; au fond, cependant, vous aviez raison, et je vous remercie d’avoir imprimé en moi comme une seconde nature ce principe, funeste à la réussite mondaine, mais fécond pour le bonheur, que le but d’une vie noble doit être une poursuite idéale et désintéressée. […] Mais sa violence même nous attachait ; car nous sentions que nous étions son but unique. […] Autant le sérieux de ma foi religieuse avait été atteint en trouvant sous les mêmes noms des choses si différentes, autant mon esprit but avidement le breuvage nouveau qui lui était offert. […] Ces études leur paraissaient quelque chose de tout à fait bas, comparées aux exercices littéraires qu’on leur présentait comme le but suprême de l’esprit humain.

230. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Son point de vue, son but, ses méthodes, en font une science autonome et indépendante ; c’est pourquoi elle doit avoir des moyens propres de culture et de développement. […] Peu à peu le problème physiologique s’est dégagé de la question anatomique, et les deux sciences ont dû se séparer définitivement, parce que chacune d’elles poursuit un but spécial. […] Oui, nous commencerons comme eux, mais dans le but bien différent de prouver que la tentative est chimérique, étrangère et inutile à la science. […] Notre science devra tendre, comme but pratique, à fixer les conditions et les circonstances de ces deux ordres de phénomènes. […] Le but de toute science de la nature, en un mot, est de fixer le déterminisme des phénomènes.

231. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Mais certains faits semblent contredire à cette assertion : les preuves que donnent le moulage, la photographie et la sténographie, la comparaison de certaines œuvres d’art, comme les portraits de Denner et ceux de Van Dyck, le parti pris d’inexactitude qu’on remarque dans l’art souvent le plus élevé, la comparaison de la prose et de la poésie, des deux Iphigénies de Gœthe où la beauté est en proportion inverse de l’exactitude, tout cela témoigne que le but de l’art n’est pas l’imitation rigoureuse et absolue. […] Et l’on découvre, par l’étude des chefs-d’œuvre de Michel-Ange et de Rubens, deux artistes d’inspiration si différente, que cette altération a pour but de rendre sensible un caractère essentiel. […] Taine, et j’ajoute sans perdre un instant de vue la réalité et les faits) à une conception de l’art de plus en plus élevée, partant de plus en plus exacte… Aucune de ces définitions ne détruit la précédente, mais chacune d’elles corrige et précise la précédente, et nous pouvons, en les réunissant toutes et en subordonnant les inférieures aux précédentes, résumer ainsi qu’il suit tout notre travail : L’œuvre d’art a pour but de manifester quelque caractère essentiel ou saillant, partant quelque idée importante, plus clairement et plus complètement que ne font les objets réels.

232. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

L’Analyse pure met à notre disposition une foule de procédés dont elle nous garantit l’infaillibilité ; elle nous ouvre mille chemins différents où nous pouvons nous engager en toute confiance ; nous sommes assurés de n’y pas rencontrer d’obstacles ; mais, de tous ces chemins, quel est celui qui nous mènera le plus promptement au but ? […] Il nous faut une faculté qui nous fasse voir le but de loin, et, cette faculté, c’est l’intuition. […] Croira-t-on, d’autre part, qu’ils ont toujours marché pas à pas sans avoir la vision du but qu’ils voulaient atteindre ?

233. (1890) L’avenir de la science « XXI »

Il y a des trouées dans cet horizon, par lesquelles l’œil perce l’infini ; il y a des vues qui vont comme un trait au-delà du but. […] L’agitation semble une regrettable transition ; le repos semble le but ; et le repos ne vient jamais, et s’il venait, ce serait le dernier malheur. […] Le but de l’humanité n’est pas le repos ; c’est la perfection intellectuelle et morale.

234. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

On fait trop d’honneur à un but si commun et à des moyens si vulgaires, en leur attribuant cette prodigieuse élévation : c’est aussi méconnaître le pouvoir d’un excellent esprit, d’une âme parfaite, jointe aux charmes de la figure. […] Toutefois l’une et l’autre vous donnent des espérances indéfinies ; c’est à peu près comme si et les donnaient infinies ; et c’est ce qui fait qu’on les ambitionne non seulement comme moyen, mais comme but. […] Il offre tant de sympathies diverses à satisfaire, il soumet les sympathies physiques à tant de sympathies morales et intellectuelles, il présente tant de points de défense et d’attaque en même temps, il fait naître tant désirs au-delà du désir même, il offre tant à conquérir au-delà de la dernière conquête, il donne tant de jeu aux craintes, aux espérances, il arrête les progrès si près du but et y rappelle si puissamment par l’effort même qui en éloigne, enfin il y a tant de distance entre les voluptés que l’art le plus exercé ou le naturel le plus aimable peuvent donner à l’abandon et le charme de cette retenue mystérieuse qui arrête les mouvements d’un cœur passionné, que rien n’est impossible à une grande passion dans le cœur d’une telle femme.

235. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

Elle voulait voir le roi, elle voulait recevoir sa mission de la bouche du roi, et apprendre, dans une nouvelle entrevue, le prix qu’elle pouvait espérer d’un heureux accomplissement de cette mission ; tous ses doutes étaient simulés pour arriver à ce but. […] Une telle passion ne perd jamais de vue le but qu’elle veut atteindre, elle marche toujours ; sans se presser, mais sans se détourner ; elle sait attendre, mais ne néglige rien ; elle n’avance pas toujours d’un pas égal, mais ne recule jamais. […] Non, rien de vulgaire ne convient à un esprit de cette distinction, à l’honnêteté de ce caractère, à la grandeur et à la noblesse du but qu’il s’est proposé.

236. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

De là, dit Plutarque, il arriva que la tragédie fut détournée de son but, et passa des honneurs rendus à Bacchus, à des fables et à des représentations passionnées. […] L’on me dira peut-être qu’il n’est pas croyable que toutes ces réflexions aient passé par l’esprit d’Homère et d’Eschyle quand ils se sont mis à composer, l’un son Iliade et l’autre ses tragédies ; que ces idées paraissent postiches et venues après coup ; qu’Aristote, charmé d’avoir démêlé dans leurs ouvrages de quoi fonder le but et l’art de l’épopée et de la tragédie, a mis sur le compte de ces auteurs des choses auxquelles, selon les apparences, ils n’ont pas songé ; qu’enfin je m’efforce vainement moi-même de leur prêter des vues qu’ils n’avaient pas. […] Je vais encore plus loin, et je suppose qu’Eschyle n’ait pas connu tout d’un coup que le but de la tragédie était de corriger la crainte et la pitié par leurs propres effets : du moins on doit convenir que, puisqu’il a tâché de les exciter dans ses pièces, il a eu en vue de réjouir ses spectateurs par l’imitation de la crainte et de la pitié, et que par conséquent il a senti le prix de ces passions mises en œuvre.

237. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Aux heures d’inspiration, les mots et les vers se pressent, se heurtent, s’amoncellent— une véritable tempête ; — quoi d’étonnant à ce que les limites, le but visé soient parfois dépassés ou même disparaissent au regard ? […] On cherche des buts, et on n’en trouve point. […] Ce rayonnement éclaire à son tour la nature entière, lui donne un sens, un but, la rend belle et bonne, à la fois intelligible et aimable :                 … Comprendre, c’est aimer. […] L’idéal rend « les esprits fermes », parce qu’il leur montre un but et leur donne une loi ; il rend « les cœurs grands » parce qu’il leur communique la force de l’espérance. […] La forme même de la strophe exprime les deux choses : quand un premier vers vous a soulevé comme dans un enlèvement aérien, le second, plus court, vous donne le sentiment d’un but touché.

238. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Le but du député libéral est, dit-il, d’empêcher que cette somme ne serve à soudoyer quelque pamphlétaire ministériel6 ». […] Est-ce la faute à ce pauvre homme, si pour faire fortune, le but sérieux de la vie bourgeoise, il dut mettre à son chapeau toutes ces cocardes ? […] En accumulant les colères sur les individus, sur Napoléon et ses acolytes, il détourne l’attention populaire de la recherche des causes de la misère sociale, qui sont l’accaparement des richesses sociales par la classe capitaliste ; il détourne l’action populaire de son but révolutionnaire, qui est l’expropriation de la classe capitaliste et la socialisation des moyens de production. — Peu de livres ont été plus utiles à la classe possédante que Napoléon le Petit et Les Châtiments. […] Tout y est pesé, prévu ; depuis le char du pauvre dans le but d’exagérer sa grandeur par cette simplicité et de gagner la sympathie de la foule toujours gobeuse, jusqu’aux cancans sur le million qu’il léguait pour un hôpital, sur les 50 mille francs pour ceci, et les 20 mille pour cela, dans le but de pousser le gouvernement à la générosité et d’obtenir des funérailles triomphales sans bourse délier. […] L’Événement du 23 août commentait ainsi l’acte : « qu’il nous soit permis de faire observer à M. de Musset que sa détermination ne remplit nullement le but du legs fait par M. le comte de Latour-Landry.

239. (1903) La renaissance classique pp. -

Au moment de nous mettre en marche vers l’avenir, peut-être n’est-il pas mauvais de rallier vers un but commun les volontés hésitantes, en définissant plus nettement l’objet de nos efforts. […] Nous repousserons les philtres de la sirène étrangère, et nous n’imiterons plus l’imprudent Ulysse, qui but dans la coupe de l’enchanteresse l’oubli de la patrie et du foyer domestique. […] On eût dit qu’il n’avait d’autre but que de torturer son lecteur, de blesser en lui non seulement les libres les plus délicates, mais les facultés les plus vitales. […] Notre but secret, notre but principal, pour ne pas dire l’unique, c’est de « plaire ». […] Quant à nous Français, si le but, hélas !

240. (1885) L’Art romantique

Mais le dandy ne vise pas à l’amour comme but spécial. […] Le Vrai sert de base et de but aux sciences ; il invoque surtout l’intellect pur. […] Le Bien est la base et le but des recherches morales. Le Beau est l’unique ambition, le but exclusif du Goût. […] Il s’était évidemment assigné un but qu’il croit d’une nature beaucoup plus noble et plus haute.

241. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Il est l’un des premiers en France qui aient à ce point voyagé dans un simple but de littérature et pour aller étudier sur place, sous toutes les zones, les diverses productions de la pensée. N’y allait-il d’abord que dans ce but d’information curieuse ? […] Béranger d’abord ne se croyait pas fait pour la chanson ; il cherchait la grande poésie dans les genres réputés nobles ; s’il s’essayait dans le refrain, c’était sans but et par délassement. […] Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer la forme et le but des travaux entrepris par ses doctes prédécesseurs.

242. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Car le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires ; il retire cette force à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières. […] Le syndicalisme avoue son but qui est d’absorber l’individu dans le groupement professionnel. […] L’individualiste aristocrate admet que la société n’ayant d’autre but que de produire des hommes supérieurs, il est naturel et légitime qu’une armée d’esclaves et d’ouvriers sacrifie sa vie et son idéal de bien-être démocratique au confortable et au luxe des privilégiés. […] On a remarqué avec raison84 que dans notre civilisation, toutes les valeurs tendaient à se dépersonnaliser, à s’éloigner de l’individu, à s’ériger en fins eu soi, en buts généraux et impersonnels, au lieu d’être regardés comme des facteurs composants ou des moyens d’une personnalité saine, forte, complète et harmonieuse.

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