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722. (1924) Critiques et romanciers

D’un certain réalisme ; de ce faux réalisme qui, dans la réalité, choisit la seule ordure ou qui, moins répugnant, refuse de voir la beauté. […] Ils adoraient la beauté ; la laideur, au contraire, leur semblait impie… » La beauté, dans la littérature, est surtout une qualité de la pensée. Et la pensée tient sa beauté des qualités qui rendent beaux les paysages, les horizons, le ciel : c’est la sérénité, c’est la clarté pure et limpide. […] Il la voulait jolie, en outre élégante : il lui voulait une beauté qui ne vînt pas de faux ornements, une beauté vraie. […] Il ne montre pas l’une sans l’autre ; il permet que l’on voie que la beauté lui est bien chère.

723. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Ces pages n’ont pas été écrites à l’intention des bibliophiles : mais elles unissent la beauté littéraire au souci de l’utilité publique. C’est une beauté grave et nue, qui ne se pare point d’ornements romantiques et ne doit rien qu’à la force de l’expression et à la grandeur du sujet. […] Renan répliquera que la beauté vaut la vertu. […] Sa tristesse romantique et sa septentriomanie ne l’empêchent pas d’être sensible à la beauté des formes. […] La beauté ne se conserve qu’intacte.

724. (1925) Dissociations

Certes, la femelle de l’homme est généralement, dans sa jeunesse du moins, plus présentable que le mâle, mais outre que cela est bien fugitif, il ne faut pas douter que cette beauté ne soit en grande partie la créature de notre désir, tandis que la beauté de certains animaux frappe directement notre sens esthétique. […] Je dédie ce raisonnement, dont je n’ai découvert que la beauté, non le secret, au Spectateur, organe philosophique qui s’est fait un jeu de démontrer les mécanismes les plus complexes de la pensée. […] La beauté de Paris est tout à fait indépendante d’un fil de fer. […] Nulle différence de beauté entre le tué et le tueur et j’ai vu prendre l’un pour l’autre. […] Cet homme borgne, dit un conseiller municipal, ne s’harmonise pas avec la beauté de ces moellons sculptés et superposés en forme de cages à bipèdes.

725. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Le cynisme, à mes yeux, était alors et est encore l’impiété de la nature envers Dieu et envers soi-même, la raillerie grossière de ce qu’il y a de plus respectable et de plus saint dans la création : la beauté et la douleur. — Un coup de sifflet à la Divinité partout où elle se montre ! […] Il y a des pièces, en effet (et ce sont les plus parfaites), où la beauté est dans le tout. […] Qui n’y reconnaîtra le génie et la beauté de la première Consolation ? […] De bonne heure il conçut l’idée de naturaliser dans la littérature et la poésie romaine certaines grâces et beautés de la poésie grecque, qui n’avaient pas encore reçu en latin tout leur agrément et tout leur poli, même après Catulle et après Lucrèce. […] n’avais-je pas ouï dire (c’est l’un des bergers qui parle) que depuis l’endroit où les collines commencent à s’incliner en douce pente, jusqu’au bord de la rivière et jusqu’à ces vieux hêtres dont le faîte est rompu, votre Ménalque, grâce à la beauté de ses chansons, avait su conserver tout ce domaine ? 

726. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Talent mûri, éprouvé, simplifié, serrant son expression autour de sa pensée, comme on tend la voile pour aller plus vite, pour augmenter cette rapidité du récit qui est une beauté et une puissance, Μ. de Cassagnac a voulu rester chaste dans une histoire qui ne l’est pas. […] ce n’est pas à la France de ce temps que nous pourrions appliquer les vers de Byron sur la beauté de la Grèce morte ; car, moralement et physiquement, elle était, hélas ! […] Voilà la beauté d’égorgée que le Directoire allait profaner tout en essayant de la faire revivre ! […] En 1797, le trait principal de la figure de Bonaparte, qui se détache, dans sa jeune beauté de tête de Méduse, sur le bouclier de la Victoire, c’est le silence et l’impénétrabilité. […] C’est la pureté de la main qui l’écrit qui fait la beauté de l’histoire, et voilà pourquoi on l’essuie.

727. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Nous aimerions mieux rêver, imaginer et croire que l’homme fut plus doué et plus accompli dans sa jeunesse que dans sa caducité ; nous aimerions mieux rêver, imaginer et croire que l’homme, encore tout chaud sorti de la main de Dieu d’où il venait de tomber, encore tout imprégné des rayons de son aurore, instruit par la révélation de ses instincts intellectuels, pourvu d’une science innée plus nécessaire et plus vaste, d’un langage plus expressif du vrai sens des choses, vivait dans la plénitude de vie, de beauté, de vertu, de bonheur, Apollon de la nature devant lequel toute autre créature s’inclinait d’admiration et d’amour. […] Cela est si vrai que, quand nous voulons parler d’une chose supérieure en sagesse, en vertu, en force, en beauté matérielle ou morale, nous disons : Cela est antique. […] En second lieu, nous croyons que Dieu a donné cet instinct de perfectionnement indéfini à l’homme comme une impulsion au dévouement méritoire que nous devons tous à notre race, à notre famille humaine, à nos frères en bien et en mal, à notre patrie, à l’humanité : s’intéresser au sort commun de sa race, travailler avec désintéressement au sort futur de cette race que l’on ne verra pas, c’est le dévouement, c’est le concours méritoire, c’est le sacrifice de la partie au tout, de l’être à l’espèce, du citoyen à la patrie, de l’homme au genre humain ; c’est le devoir, c’est la vertu, c’est le sacrifice, c’est la beauté morale. […] La philosophie de la douleur sanctifiée par l’acceptation et consolée par l’espérance, c’est la philosophie des Indes, de Brahma, de Bouddha, de Confucius, de Platon, du christianisme ; c’est celle qui nous a toujours paru, dès notre première dégustation de la vie, contenir le plus de vérité, de réalité, de beauté, de révélation, de force, de grandeur, de vertu, d’espérance, d’encouragement à vivre, à aimer, à espérer, à agir. […] J’ai noté ce fragment de charité universelle, et je le citerai bientôt dans ces archives des beautés de l’esprit humain.

728. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Le voyageur, sur le seuil de huttes à demi ruinées, à travers quelque chemin défoncé de la Morée, reconnaissait parfois, dans de pauvres jeunes femmes asservies à quelque tâche grossière, la stature et la beauté de ces filles de la Grèce retracées sur les bas-reliefs antiques, telles qu’elles avaient paré les fêtes des dieux. […] ces refrains religieux de l’univers chrétien conservent un éclat, une force de beauté, dont semble parfois s’étonner la langue grecque, et qui lui vient comme une grâce nouvelle, étrange et un peu sauvage. […] par qui viennent les hymnes, par qui l’adoration, par qui les chœurs des anges, par qui l’infinie durée des siècles, par qui resplendit le soleil, et s’accomplit le décours de la lune, et reluit la grande beauté des astres, par qui l’homme ennobli a reçu le privilège de connaître le divin, en étant lui-même un être raisonnable. […] toi du milieu de qui ma parole jaillissait comme une étincelle illuminant toutes les Églises, quel est aujourd’hui le possesseur de la beauté et de mon trône ? […] Dans la source divine demeure encore ce qui en est sorti, la sagesse du Père, la splendeur de la beauté suprême ; mais à toi qu’il enfante le Père a donné d’enfanter : tu es du Père même la puissance génératrice et cachée ; car il t’a donné pour créateur au monde, en te chargeant de tirer des types intellectuels les formes des corps : c’est toi qui diriges le cercle intelligent des deux, toi qui es le pasteur du troupeau des astres !

729. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

On s’étonna, on s’empara, comme de beautés nouvelles, de ces situations plus ou moins simples ou convenues, mais que revêtait habituellement la noblesse, l’élégance du langage. […] Je n’excepte qu’à peine ce petit nombre de chefs-d’œuvre qui furent comme doués du souffle immortel, revêtus de l’enchantement du style et marqués au front des signes de l’impérissable beauté : ……… Lumenque juventæ Purpureum et lætos oculis afflarat honores. […] A la lecture, il y transpire quelque chose des douces et graves beautés d’Homère. […] Mais dès qu’Ulysse a vu l’arc, cet arc voulu par l’oracle et que seul il peut armer, le sentiment de vengeance éclate en lui avec toute l’antique beauté. […] Il visita ces sites vénérés que la beauté décore, qu’a nommés la Muse, et parmi lesquels Ithaque, la pierreuse Ithaque, l’attirait plus tendrement par le souvenir d’Ulysse, et comme eût fait une patrie.

730. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Dès lors toute beauté, toute vie, toute noblesse étaient reportées sur l’âme humaine ; la nature vide et dégradée n’était plus qu’un amas de poulies et de ressorts, aussi vulgaire qu’une manufacture, indigne d’intérêt, sinon par ses produits utiles, et curieuses tout au plus pour le moraliste qui peut en tirer des discours d’édification et l’éloge du constructeur. […] Quel courtisan parfumé en manchettes de dentelles pourra découvrir une apparence de beauté dans cette boue ? […] En effet, ce sont des enfants qui, arrêtés dans leur croissance, ont gardé la simplicité, l’indépendance et la beauté du premier âge. […] C’est pour cela encore qu’elle est aujourd’hui le dernier refuge de la beauté. […] Il a tout senti, même l’humble beauté d’un potager rustique et l’agrément d’un jardin propret, bien entretenu, plein de plantes utiles « avec le clos attenant », avec la haie vive et verte, avec la bordure de serpolet et les fleurs bourgeoises, qui feront un bouquet à la ménagère.

731. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

En comparaison de ce feuillage d’une beauté et d’une variété incomparables, de ces vives couleurs, de la richesse, de l’exubérance qui éclatent partout, le plus splendide paysage forestier du nord de l’Europe n’est plus qu’un désert stérile. […] Bates, c’est penser comme les enfants, que de supposer que la beauté des oiseaux, des insectes et des autres créatures leur est donnée pour charmer nos yeux. […] Je suis persuadé que la beauté du plumage et du chant, comme toutes leurs autres qualités spécifiques, leur sont dévolues pour leur propre plaisir et pour leur avantage. […] ” » IV « Tels sont donc, en résumé, les grands traits, les caractères de la forêt vierge par excellence : elle est impénétrable, impropre à la demeure de l’homme ; la végétation est en guerre contre elle-même ; les plantes et les animaux grimpent ; il y a peu d’insectes et point de moustiques ; les bas-fonds marécageux contrastent avec les terrains boisés du haut pays ; des arbres d’une taille colossale s’appuient sur des racines arc-boutées et supportent des plantes pendantes aériennes, comme une seconde forêt par-dessus la première ; pêle-mêle de taillis et de lianes parasites ; absence de fleurs ; retour invariable des mêmes phénomènes dans leur cycle annuel, mensuel et diurne ; ombrages silencieux troublés par des bruits mystérieux et inexplicables ; enfin, source inépuisable d’intérêt, qui provient de la beauté et de la variété, de la richesse, de l’exubérance et de l’intensité de la vie chez tous les êtres organiques. […] Douze cents pieds d’espace ouvrent à l’œil la vue nécessaire pour embrasser la masse et la beauté de l’église.

732. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

L’amour de la lecture et la passion du Théâtre (j’insiste à dessein sur cette majuscule) sont égaux en beauté et en enrichissement, et la culture de la sensibilité et du goût implique une dilection simultanée de tous les arts. […] celui-là est au-dessus de tout ; car c’est la seule forme littéraire qui réunisse les Beaux-Arts aux Belles-Lettres, et où la beauté plastique et la beauté vocale servent incomparablement la beauté verbale. […] Edmond Pilon 1º L’extérieur de la scène, des coulisses, du décor l’emportant, dans chaque genre, sur la beauté, le sentiment, l’attrait intime de l’œuvre représentée, voilà le spectacle plaisant auquel nous assistons chaque jour, en plus de celui que jouent les acteurs.

733. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il n’en est pas de même des beautés poétiques qui appartiennent uniquement à l’imagination. […] La littérature ne puise ses beautés durables que dans la morale la plus délicate. […] Le goût se forme sans doute par la lecture de tous les chefs-d’œuvre déjà connus dans notre littérature ; mais nous nous y accoutumons dès l’enfance ; chacun de nous est frappé de leurs beautés à des époques différentes, et reçoit isolément l’impression qu’elles doivent produire. […] J’essaierai de montrer le caractère que telle ou telle forme de gouvernement donne à l’éloquence, les idées de morale que telle ou telle croyance religieuse développe dans l’esprit humain, les effets d’imagination qui sont produits par la crédulité des peuples, les beautés poétiques qui appartiennent au climat, le degré de civilisation le plus favorable à la force ou à la perfection de la littérature, les différents changements qui se sont introduits dans les écrits comme dans les mœurs, par le mode d’existence des femmes avant et depuis l’établissement de la religion chrétienne ; enfin le progrès universel des lumières par le simple effet de la succession des temps ; tel est le sujet de la première partie.

734. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Tout nous froisse et nous rebute dans ces inconscientes mascarades, où toute la beauté de l’art antique comme toute la vérité de la nature antique sont si cruellement détruites. […] Les géants ou le dragon que Tristan combat, le bateau sans voile et sans rames dans lequel il se couche, blessé, pour aborder en Irlande où vit la reine, qui seule peut le guérir, cette fantastique broderie ne distrait pas le regard de la passion des deux amants : passion fatale que rien n’explique, qui n’est pas née d’une qualité de l’objet où elle s’adresse, qui ne va pas à la valeur de Tristan, à la beauté d’Yseult, mais à Tristan, mais à Yseult : passion si irraisonnée, si mystérieuse en ses causes, que seul un philtre magique en provoque et figure le foudroyant éclat. […] Peut-être amusèrent-ils le public plus qu’ils ne l’édifièrent, et y regarda-t-on les aventures plutôt que la morale : cette proscription de l’amour n’avait aucune chance de succès, et il faut peut-être venir à notre siècle incrédule et curieux pour que cette conception mystique soit pleinement comprise en son étrange et déraisonnable beauté. […] Si les chefs-d’œuvre y sont bien rares, si la beauté presque toujours y manque, il faut songer à tout ce qui en est sorti.

735. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Enfin la nature même, comme de toute raison, de tout droit, de tout bien, est l’unique principe de toute beauté : Jean de Meung n’est pas grand esthéticien, n’entre pas en long propos sur le beau. Cependant d’un mot il a indiqué la nature comme « la fontaine » Toujours courante et toujours pleine De qui toute beauté dérive. […] Les plus apparentes et vulgaires beautés de l’art font défaut à son œuvre : il n’a ni souci ni science de la composition, des proportions, des convenances. […] Ce bouillonnement d’idées et de raisonnements qui se dégorgent incessamment pendant dix-huit mille vers, sans un arrêt, sans un repos, cette verve et cet éclat de style, net, incisif, efficace, souvent définitif, cette précision des démonstrations, des expositions les plus compliquées et subtiles, cette allégresse robuste avec laquelle le poète porte un énorme fardeau de faits et d’arguments, le mouvement qui, malgré d’inévitables langueurs, précipite en somme la masse confuse et féconde des éruditions scolastiques et des inventions hardiment originales, tout cela donne à l’œuvre un caractère de force un peu vulgaire, qui n’est pas sans beauté.

736. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

L’exemple en est donné par le plus grand des rois, Et par la beauté la plus sage. Ainsi la jeune Pompadour fit son entrée à Versailles à titre de beauté sage, dont le cœur s’était senti pris uniquement pour un héros fidèle. […] Mais c’est la personne même qui est de tout point merveilleuse de finesse, de dignité suave et d’exquise beauté. […] La beauté brille dans tout son éclat et dans sa fleur épanouie.

737. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

C’est le même corps, animé pour les uns, à demi-mort pour les autres, mais conservant encore pour ces derniers des traits frappants de proportion et de beauté. […] Ils sont certainement nos modèles à beaucoup d’égards, ils ont des beautés que nous sentons parfaitement ; mais ils en ont beaucoup plus qui nous échappent, que leurs contemporains savaient apprécier, et sur lesquelles leurs admirateurs modernes se récrient sans aucune connaissance de cause. Un philosophe, homme de goût, rira donc souvent des admirateurs, sans respecter moins réellement l’objet de leur admiration, soit par les beautés qu’il y voit réellement, soit par celles qu’il y suppose d’après le témoignage unanime des contemporains. […] Depuis qu’on a mis en français l’Éloge de la Folie par Érasme, je ne connais personne qui ne trouve cet ouvrage fort insipide ; dans la nouveauté cependant il eut un grand succès, par la beauté prétendue de la latinité, dont tout le monde croyait être juge, quoique personne ne le pût être.

738. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Et ce n’est qu’ainsi qu’on s’explique aussitôt et pleinement, dit-il, pourquoi « l’on voit si souvent le paysagiste, qui est donc au fond un chercheur de choses à exprimer bien plus qu’il n’est un chercheur de choses à copier, dépasser tantôt une roche magnifique, tantôt un majestueux bouquet de chênes sains, touffus, splendides, pour aller se planter devant un bout de sentier que bordent quelques arbustes étriqués ; devant une trace d’ornières qui vont se perdre dans les fanges d’un marécage ; devant une flaque d’eau noire où s’inclinent les gaulis d’un saule tronqué, percé, vermoulu… C’est que ces vermoulures, ces fanges, ces roseaux, ce sentier, qui, envisagés comme objets à regarder, sont ou laids ou dépourvus de beauté, envisagés au contraire comme signes de pensées, comme emblème des choses de la nature ou de l’homme, comme expression d’un sens plus étendu et plus élevé qu’eux-mêmes, ont réellement ou peuvent avoir en effet tout l’avantage sur des chênes qui ne seraient que beaux, que touffus, que splendides ». […] Au xviie  siècle donc, il y eut la grande et originale école de paysagistes qui rendirent tour à tour la beauté italienne dans ses splendeurs et son élégante majesté, et la nature rustique du Nord dans ses tranquilles verdures, ses rangées d’arbres le long d’un canal, ses chaumines à l’entrée d’un bois, en un mot dans la variété de ses grâces paisibles, agrestes et touchantes. […] Cette seconde région, qui est propre à la Suisse, est plus sobre, plus austère, plus difficile ; elle est souvent dénudée ; la végétation variée de la région inférieure y expire ; mais les sapins, les mélèzes, à son milieu, envahissent les pentes, revêtent les ravins, bordent les torrents ; la chaumière n’y est plus riante et richement assise comme dans le bas, elle y est conquise sur la sécheresse des terrains et la roideur des pentes : ce n’est plus le charme agreste, c’est le règne sauvage qui a sa beauté.

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