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943. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

En parcourant l’histoire des empires et des arts, je vois partout quelques hommes sur des hauteurs, et en bas, le troupeau du genre humain qui suit de loin et à pas lents. […] Ainsi nous suivrons de siècle en siècle les révolutions de l’éloquence et des arts, nous marquerons leur décadence ou leurs progrès. […] Il serait d’ailleurs injuste (quoique cette injustice ne soit que trop commune) de vouloir donner à son art les limites de son talent.

944. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IX. »

Plus tard, dans ce bel âge de poésie que commencera Pindare, nous retrouverons encore l’accent lyrique se mêlant à la philosophie chez un peuple amoureux des arts. […] L’immortalité littéraire tient à l’art bien plus qu’aux sujets dont il s’occupe. […] S’il passe une partie de sa longue vie à la cour des tyrans de Syracuse, maîtres bons ou mauvais, généreux ou cruels, mais toujours amis des arts, s’il n’a rien du caractère héroïque d’un Eschyle, que nous voyons cependant aller aussi chercher asile à Syracuse, Simonide, du moins, avait senti en poëte cette gloire des armes qu’il ne partageait pas.

945. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Un ensemble de procédés, c’est ce qu’on appelle un art, et Victor Hugo, justement, a fait rentrer dans la poésie le sentiment de l’art, ce sentiment que Lamartine avait trop dédaigné, Lamartine qui s’appelait lui-même un amateur en poésie. […] Il ne peut pas le trouver dans le sentiment de son art, puisque son art, il le fait consister justement à exprimer ce qui est en lui. […] La théorie de l’art pour l’art, voici à peu près ce que cela veut dire. […] Mais alors, vous vous demandez : dans cet art où on ne met rien de ce qui préoccupe les autres hommes, qu’est-ce qu’on met ? Dans la théorie de l’art pour l’art, on arrive, en effet, à faire le vide en art, et à prendre pour ce qui est l’art ce qui en est seulement la forme extérieure, l’apparence.

946. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Politien, son ami, le décrit comme un homme d’une beauté accomplie : taille élevée, constitution solide et souple, force à la lutte, habileté à manier les coursiers, bravoure modèle, goût de tous les arts, passion pour la poésie, grâce pour les femmes, discrétion dans ses amours, tel fut son éloge ratifié par son temps. […] La paix qu’il venait de rapporter à son pays lui laissait le loisir de se livrer aux arts et aux lettres. […] « Ne pensez pas, écrivait Politien à un de ses amis, qu’aucun des savants qui composent notre société, même ceux qui ont consacré leur vie tout entière à l’étude, puisse prétendre à quelque supériorité sur Laurent de Médicis, dans tout ce qui tient à la subtilité de la discussion et à la solidité du jugement, ou dans l’art d’exprimer ses pensées avec autant de facilité que d’élégance. […] Les arts les suivirent ; les plus grands noms dans la sculpture, la peinture, la gravure des pierres précieuses, l’architecture faisaient de Florence, de Rome, de Venise l’atelier de l’Europe. […] La nature elle-même est, sans doute, toujours supérieure à ces imitations ; cependant on est excusable d’admirer un art qui sait donner à la matière morte tant de vie et d’expression, qu’il semble qu’il ne faudrait que le souffle pour l’animer.

947. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Son dessein était de « prouver que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout ; … qu’il n’y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte ; … qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain, et des moules parfaits à l’artiste649…. » Ce vaste dessein d’apologie se développait à travers quatre parties : Dogmes et doctrines, Poétique, Beaux-Arts et Littérature, Culte. […] Tout ce qui a été fait depuis Jésus-Christ dans la littérature et les arts est chrétien, œuvre du principe chrétien, et preuve de la vérité chrétienne. […] Tirer la conclusion définitive de la querelle des anciens et des modernes, montrer qu’à l’art moderne il faut une inspiration moderne (Chateaubriand disait chrétienne), ne pas mépriser l’antiquité, mais, en dehors d’elle, reconnaître les beautés des littératures italienne, anglaise, allemande, écarter les anciennes règles qui ne sont plus que mécanisme et chicane, et juger des œuvres par la vérité de l’expression et l’intensité de l’impression, mettre le christianisme à sa place comme une riche source de poésie et de pittoresque, et détruire le préjugé classique que Boileau a consacré avec le christianisme, rétablir le moyen âge. l’art gothique, l’histoire de France, classer la Bible parmi les chefs-d’œuvre littéraires de l’humanité, rejeter la mythologie comme rapetissant la nature, et découvrir une nature plus grande, plus pathétique, plus belle, dans cette immensité débarrassée des petites personnes divines qui y allaient, venaient, et tracassaient, faire de la représentation de cette nature un des principaux objets de l’art, et l’autre de l’expression des plus intimes émotions de l’âme, ramener partout le travail littéraire à la création artistique, et lui assigner toujours pour fin la manifestation ou l’invention du beau, ouvrir en passant toutes les sources du lyrisme comme du naturalisme, et mettre d’un coup la littérature dans la voie dont elle n’atteindra pas le bout en un siècle : voilà, pêle-mêle et sommairement, quelques-unes des divinations supérieures qui placent ce livre à côté de l’étude de Mme de Staël sur l’Allemagne. C’était en deux mots la poésie et l’art que Chateaubriand ramenait à la place de la rhétorique et de l’idéologie : c’était le sentiment de la nature et l’inquiétude de la destinée qu’il offrait comme thèmes d’inspiration, pour remplacer la description des mœurs de salon et la mise en vers de toutes les notions techniques. […] Avec les motifs d’inspiration, il a révélé la forme : il a rétabli l’art et la beauté, comme objets essentiels de l’œuvre littéraire.

948. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XX » pp. 84-86

» Ceci est assez bien dit, sauf l’emphase ; mais que penser, lorsque venant à parler de l’art chrétien, de l’art gothique, de la cathédrale où Goëthe vit surtout une morte imitation de la nature, une cristallisation infinie, et où Hugo vit surtout le lai]d et le diable, Michelet ajoute : « L'un et l’autre regarda le dehors plus que le dedans, tel résultat plus que la cause.

949. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rebell, Hugues (1867-1905) »

Quelques-unes des pages où l’auteur oublie tout à fait les préoccupations étrangères à l’art ont l’exquise fraîcheur d’un bouquet de violettes qu’une amoureuse aurait tressé, et cela lui fait pardonner sa violence envers « les hommes » qu’on a élevés « pour la mélancolie et qui ont arboré le chagrin avec orgueil ». [L’Art littéraire (nov.

950. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 163-165

Sa Collection dramatique n’en est pas moins une des plus intéressantes qu’on ait publiées de notre temps, où l’on a perdu totalement de vue les grands modeles qui regardoient le style, le dialogue & le naturel, comme les premieres parties de l’art théatral. […] Malheur aux François modernes que ces sortes de peintures ne toucheroient pas, & qui préféreroient l’art froid de raisonner à cette noble sensibilité, seule capable de former des Héros & des Sages !

951. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Qu’est-ce donc que ce Paris, ce public, ce goût qui façonne notre art contemporain ? Et quels, sont les traits marquants de cet art ? […] Il n’y avait qu’un goût et qu’un art, il y en a vingt et de divers étages. […] Mais il y a plusieurs formes de l’art, et l’art de George Sand, fondé sur un principe contraire, est aussi d’espèce supérieure. […] Placées en un tel endroit, chez un patron si renommé de tous les arts, sur le passage qui conduisait à la galerie préparée pour M. 

952. (1903) La pensée et le mouvant

Science et art nous introduisent ainsi dans l’intimité d’une matière que l’une pense et que l’autre manipule. […] On a tort de le traiter en art d’agrément. […] où serait la différence entre le grand art et la pure fantaisie ? […] Ravaisson avait manifesté des dispositions pour les arts en général, pour la peinture en particulier. […] Ravaisson dérive de cette idée que l’art est une métaphysique figurée, que la métaphysique est une réflexion sur l’art, et que c’est la même intuition, diversement utilisée, qui fait le philosophe profond et le grand artiste.

953. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Quand l’art ou la main-d’œuvre se perfectionne, on est déjà en décadence ou en déclin pour l’inspiration et le choix des sujets. […] Le duel d’Olivier et de Roland dans l’île du Rhône est un autre admirable épisode, qu’il faut détacher d’un poème (Girard de Viane) où manque l’art comme dans presque tous les poèmes de ce temps. […] Ce n’est point en présence des grands monuments de l’art qu’on s’amuse à se baisser pour cueillir des fleurs. […] Ce ne sont pas seulement les plus grands qui ont excellé dans quelques-unes de tes parties les plus hautes et les plus heureusement renouvelées, ce sont des poètes moindres, mais poètes encore par le cœur, par la fantaisie, par l’art, par une vocation sincère ! […] Il en est résulté que les novices et les inexperts se mettant à l’œuvre sans se douter de la difficulté de l’art, toutes les manières ont été imitées presque à la fois et bien souvent confondues.

954. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

« la forme la plus actuelle de l’art, par conséquent l’appropriation des sujets anciens aux publics modernes, l’adaptation des faits d’autrefois aux croyances et aux sentiments présents »52. […] Il ne serait pas impossible, avec un peu d’art, de soutenir ce badinage. […] Ce qui est toujours suffisamment « sympathique » en art, c’est la manifestation éclatante d’une passion ou d’une énergie humaine. […] La tragédie (comme l’art en général) ne fait qu’accentuer les traits ; elle ne fait qu’exagérer parfois la distance entre ces deux hommes qui sont en nous. […] Il est possible que ces solutions de continuité et ces trous, bien ménagés, donnent plus exactement l’impression de la réalité énigmatique ; mais on peut croire que ce n’est point un art inférieur que celui qui cherche à rendre la réalité plus claire et plus logique.

955. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Avec un art plus élémentaire, Poe élague de ses personnages ce qui est humain, commun et subordonné : il désigne ta faculté excessive ou défectueuse en laquelle ils s’individualisent, les montre déséquilibrés en acte et poussant à ses conséquences extrêmes la conduite commandée par leur état mental. […] Devant l’art parfait de la main-d’œuvre, ces mérites sont négligés par le lecteur qui admire la dépendance précise des parties et leur progression déduite des données initiales à l’hymne terminal. […] Toute l’œuvre conçue par un art infaillible et savant, calculée en ses parties, son mouvement, sa direction et sa masse, revêt l’aspect glacial d’un objet géométriquement parfait. […] Cette seconde supposition est plus probable ; car tout l’art de Poe porte la marque d’une clarté, d’une volonté, d’une pleine conscience qui en constitue le troisième élément primitif. […] Adoptées et pratiquées, elles feraient de l’art une discipline aussi impersonnelle, scientifique et efficace que la médecine.

956. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

En étudiant Dieu, l’art le prouve. […] Platon vantait la gymnastique comme l’art des formes par excellence. […] La peinture, la musique, l’art de la statuaire et la poésie sont soumis, comme les choses elles-mêmes, aux nécessités mécaniques de la nature. […] L’exactitude des cadences, la justesse des expressions, l’ordre et la noblesse des rapports, l’inflexible innocence des lignes, la riche vitalité des formes sont les résultats, en art, de l’obéissance aux principes du monde.

957. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Je ne vous citerai point en ma faveur la multitude des bas-reliefs antiques ; je suis de bonne foi ; et je persiste à croire que, si l’on y remarque un dessin si pur, un art si avancé et si peu d’action, c’est que ces ouvrages sont autant d’articles du catéchisme payen. […] Mais voici ce qu’a fait le Poussin ; il a tâché d’ennoblir les caractères ; il s’est assujetti selon les convenances de l’âge, aux proportions de l’antique ; il a fondu avec un tel art la bible avec le paganisme, les dieux de la fable antique avec les personnages de la mythologie moderne, qu’il n’y a que les yeux savans et expérimentés qui s’en aperçoivent, et que le reste en est satisfait. […] Prononcer que la superstition régnante soit aussi ingrate pour l’art que Webb le prétend, c’est ignorer l’art et l’histoire de la religion ; c’est n’avoir jamais vu la ste Thérèse du Bernin, c’est n’avoir jamais vu cette vierge, le sein découvert, à qui son petit tout nu sur ses genoux pince en se jouant le bout du téton.

958. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

Il est évident que, sauf ce précepte général de lire avec attention et réflexion continuelles, l’art de lire ne peut pas être le même pour ces différents genres d’écrits. Il y a un art de lire pour chacun. L’art de lire les livres d’idées me semble être celui-ci. C’est un art de comparaison et de rapprochement continuel.

959. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Un autre, fendant la terre couverte d’arbres, est asservi pour l’année au maître des charrues recourbées ; un autre, avec l’art de Minerve et de l’inventif Vulcain, de ses deux mains durcies au travail, gagne sa vie ; un autre, instruit par les dons des muses olympiennes, sait la juste mesure de l’aimable sagesse. […] Le poëte, le législateur, n’en fut pas moins dans la suite vaincu par Pisistrate, ami des vers aussi, puisqu’il recueillit pour Athènes les chants homériques, mais habile surtout dans cet art ancien et toujours applicable de fonder le pouvoir absolu par la démocratie. […] Son exemple dut recommander d’autant plus l’art nouveau dont il s’était servi avant qu’Hérodote, cet Homère de la prose, vînt charmer les Hellènes par sa grâce ionienne et la peinture de leurs exploits. […] C’est, dans les formes de l’art, l’image de cette marche régulière et terrible dont les Crétois abordaient lentement, au son de la flute et de la lyre, les bataillons ennemis.

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