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1651. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il y a pourtant d’assez belles scènes et très vraies d’observation et d’analyse quand ce jeune homme, à qui l’on a caché sa naissance, paraît pour la première fois dans la maison de sa bienfaitrice, et que celle-ci l’observe avec amour, jalousie et honte, tandis que le père, debout et respectueux, placé derrière, le regarde avec fierté. […] Par penchant et par habitude, il était encore plus homme de presse qu’il ne l’avait été de consultation et de cabinet : « Comme écrivain, disait-il, entre m’adresser au public ou à un souverain, fût-il dix fois plus élevé que la colonne de la place Vendôme, je n’hésiterai jamais à préférer le public ; c’est lui qui est notre véritable maître. » En laissant dans l’ombre les côtés faibles et ce qui n’est pas du domaine du souvenir, et à le considérer dans son ensemble et sa forme d’esprit, je le trouve ainsi défini par moi-même dans une note écrite il n’y a pas moins de quinze ans : Fiévée, publiciste, moraliste, observateur, écrivain froid, aiguisé et mordant, très distingué ; une Pauline de Meulan en homme (moins la valeur morale) ; sans fraîcheur d’imagination, mais avec une sorte de grâce quelquefois à force d’esprit fin ; — de ces hommes secondaires qui ont de l’influence, conseillers nés mêlés à bien des choses, à trop de choses, meilleurs que leur réputation, échappant au mal trop grand et à la corruption extrême par l’amour de l’indépendance, une certaine modération relative de désirs, et de la paresse ; — travaillant aux journaux plutôt par goût que par besoin, aimant à avoir action sur l’opinion, même sans qu’on le sache ; — Machiavels modérés, dignes de ce nom pourtant par leur vue froide, ferme et fine ; assez libéraux dans leurs résultats plutôt que généreux dans leurs principes ; — sentant à merveille la société moderne, l’éducation moderne par la société, non par les livres ; n’ayant rien des anciens, ni les études classiques, ni le goût de la forme, de la beauté dans le style, ni la morale grandiose, ni le souci de la gloire, rien de cela, mais l’entente des choses, la vue nette, précise, positive, l’observation sensée, utile et piquante, le tour d’idées spirituel et applicable ; non l’amour du vrai, mais une certaine justesse et un plaisir à voir les choses comme elles sont et à en faire part ; un coup d’œil prompt et sûr à saisir en toute conjoncture la mesure du possible ; une facilité désintéressée à entrer dans l’esprit d’une situation et à en indiquer les inconvénients et les ressources ; gens précieux, avec qui tout gouvernement devrait aimer causer ou correspondre pour entendre leur avis après ou avant chaque crise.

1652. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il manque à cette nature saine, droite, habile, frugale et laborieuse de Franklin un idéal, une fleur d’enthousiasme, d’amour, de tendresse, de sacrifice, tout ce qui est la chimère et aussi le charme et l’honneur des poétiques natures. […] Prenons-le en amour. […] C’est par ces degrés de sagacité morale, de sagesse de conduite, de rectitude et d’adresse, d’amour du bien public et de bonne entente de toutes choses, que Franklin se préparait peu à peu, et sans le savoir, au rôle considérable que lui réservaient les événements.

1653. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Il y avait dans son tempérament un fond de méditation inactive, de calme supérieur et de paresse, dont il ne triomphait qu’à l’aide des mobiles les plus élevés, et par l’amour passionné qu’il nourrissait pour la noble louange. […] Necker, l’amour excessif de la louange, le culte de l’opinion qu’il ne songeait alors qu’à suivre et à satisfaire, sans paraître soupçonner à quel point elle était vaine et mobile. […] Il faudrait se regarder à distance et se juger sans amour, sans aigreur, et comme une simple connaissance.

1654. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Que ce soit maintenant une grande difficulté de réunir toutes ces parcelles de vérité, d’en faire un faisceau, de les lier, et de se donner ainsi un credo absolu avec tous ses avantages et tous ses inconvénients, je le reconnais ; mais en revanche n’est-ce donc rien que cet amour de la vérité qui ne nous permet pas de la méconnaître partout où elle se manifeste à quelque degré ? N’est-ce pas quelque chose que cet amour de la liberté qui permet à chacun d’exposer son propre point de vue, parce que dans tout point de vue il y a quelque chose de bon ? N’est-ce rien enfin que cet amour de l’humanité, cette fraternité en esprit qui nous inspire cette croyance que nul homme ne se trompe d’une manière absolue ?

1655. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Elle tombe ici en pleine civilisation turbulente, débordante et méphitique, elle, tout imprégnée des pures et riches senteurs de l’Inde ; elle se rattache à l’humanité par la famille et par l’amour, par sa mère et par son amant, son Paul, angélique comme elle, et dont le sexe ne se distingue pour ainsi dire pas du sien dans les ardeurs inassouvies d’un amour qui s’ignore. […] Pierrot passe devant une femme qui lave le carreau de sa porte : après lui avoir dévalisé les poches, il veut faire passer dans les siennes l’éponge, le balai, le baquet et l’eau elle-même. — Quant à la manière dont il essayait de lui exprimer son amour, chacun peut se le figurer par les souvenirs qu’il a gardés de la contemplation des mœurs phanérogamiques des singes, dans la célèbre cage du Jardin-des-Plantes.

1656. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Tous ces brillants couplets et ces jets de verve que leur succès même a usés depuis, mais qui dans la poésie française étaient alors si nouveaux : Amour, fléau du monde, exécrable folie, etc.  […] Des proverbes d’une délicatesse exquise, de beaux vers toujours, des vers légers et qui sentaient une aisance supérieure, qui portaient un bon sens spirituel mêlé à d’aimables négligences, puis des accents soudains qui se relevaient avec chant et rappelaient les sons mélodieux d’autrefois : Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux !

1657. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

« Je me suis convaincu depuis longtemps », m’écrivait à ce sujet un étranger qui sait à merveille notre littérature, « que, pour presque tout le monde, la vérité dans la critique a quelque chose de fort déplaisant ; elle leur paraît ironique et désobligeante ; on veut une vérité accommodée aux vues et aux passions des partis et des coteries. » Et, pour me consoler, cet étranger, qui est Anglais, ajoutait qu’une telle disposition à se révolter contre une entière vérité et sincérité de critique appliquée à de certains hommes et à de certains noms consacrés, était poussée plus loin encore en Angleterre qu’en France, où l’amour des choses de l’esprit est plus vif et fait pardonner en définitive plus de hardiesse et de nouveauté, quand on y sait mettre quelque façon. […] Ajoutez à cela quelques manies de grand seigneur, l’amour de ce qui est cher, le dédain de l’épargne, l’inattention à ses dépenses, l’indifférence aux maux qu’elles peuvent causer, même aux malheureux ; l’impuissance de résister à ses fantaisies, fortifiée par l’insouciance des suites qu’elles peuvent avoir ; en un mot, l’inconduite des jeunes gens très généreux, dans un âge où elle n’est plus pardonnable, et avec un caractère qui ne l’excuse pas assez ; car, né prodigue, il n’est point du tout né généreux.

1658. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Ce Guillaume Colletet, singulièrement enclin, selon l’expression de Ménage, aux amours ancillaires, avait épousé, l’une après l’autre, trois de ses servantes, et en était, pour le moment, à sa troisième et dernière, appelée Claudine, dont la beauté, jointe à la réputation d’esprit que lui faisait son mari débonnaire, attirait chez elle une foule d’adorateurs. Comme on y causait beaucoup littérature, et que Colletet avait une connaissance particulière et un amour ardent de nos vieux poëtes197, La Fontaine ne dut pas moins retirer d’instruction auprès de l’époux que d’agrément auprès de la dame.

1659. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre II. Le lyrisme bourgeois »

Nous rencontrons d’abord la pastourelle, qui fait contraste avec la chanson : elle ragaillardissait nos aïeux de sa naturelle et saine grossièreté ; la simple franchise des amours champêtres les délassait de tant de pâles et respectueux amants qui n’osaient pas dire leur désir, ni même désirer. […] Ainsi, les thèmes consacrés de l’amour courtois continuaient d’être traités, et, à l’imitation des concours institués d’abord au Puy-en-Velay en l’honneur de la Vierge, il s’établissait un peu partout, sous le nom de puis, en Picardie, Normandie, Flandre, des concours de poésie par lesquels l’art provençal du xiiie  siècle se transmit en se dégradant aux chambres de rhétorique du xve .

1660. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Alors vécut une personne supérieure qui, par son initiative hardie et par l’amour qu’elle sut inspirer, créa l’objet et posa le point de départ de la foi future de l’humanité. […] Comme l’instinct de l’amour, qui par moments élève l’homme le plus vulgaire au-dessus de lui-même, se change parfois en perversion et en férocité ; ainsi cette divine faculté de la religion put longtemps sembler un chancre qu’il fallait extirper de l’espèce humaine, une cause d’erreurs et de crimes que les sages devaient chercher à supprimer.

1661. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

Bourdaloue fait ici des merveilles ; la duchesse et moi nous le voyons tous les jours. » Cette lettre est un exemple de ces entretiens où madame de Maintenon, sans malice, et peut-être en prenant le change sur elle-même, mue par un double instinct d’amour et d’honnêteté, se joue de l’esprit grossier de son directeur, lui présente comme des griefs contre la cour, l’intérêt qui l’y attache, et comme dépit contre le roi, l’amour qu’il ressent et celui qu’il inspire, et se fait ordonner comme un sacrifice méritoire, de rester à sa cour.

1662. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

* * * — L’humanité a tout trouvé à l’état sauvage : les animaux, les fruits, l’amour. […] Je crois bien que je n’aurai de l’amour dans toute ma vie que de telles bouffées… Je passai la nuit avec cette femme qui me disait en voyant mes regards sur elle : « Es-tu drôle, tu as l’air d’un enfant qui regarde une tartine de beurre ! 

1663. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

L’admiration comme l’amour a besoin d’une sorte de tête-à-tête, de solitude à deux, et elle ne va pas plus que l’amour sans quelque abstraction volontaire des détails trop mesquins, un oubli des petits défauts ; car tout don de soi est aussi une sorte de pardon partiel.

1664. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Outre l’amour invincible de l’auteur d’Akakia pour l’indépendance, il y eut d’autres motifs qui le déterminèrent à travailler à cet ouvrage, unique en son genre. […] Voici les meilleurs qu’on ait de lui : Trompeuse philosophie, Qui veux nous faire espérer Que, des peines de la vie, Tu sçauras nous délivrer, Tu proscris avec audace Les jeux, l’amour & le vin ; Que mets-tu donc à leur place ?

1665. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Consacrée dès sa jeunesse à tous les plaisirs de l’amour, son style se ressent de ses mœurs. […] L’auteur peint l’amour avec des couleurs si fines & si touchantes, qu’il est à craindre que la lecture de ses écrits ne réveille ou n’entretienne cette passion dans les jeunes cœurs.

1666. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

L’amour et le dépit, mais plus encore le dépit que l’amour, se montrent sur son visage.

1667. (1760) Réflexions sur la poésie

Celui qui le premier a peint l’amour sous les traits d’un enfant, avec des ailes, un bandeau, et des flèches, a montré beaucoup d’esprit : il n’y en a point à le répéter. […] Quelques années se passent ; l’amour paternel s’affaiblit, la vanité offensée s’apaise ; ils relisent leur ouvrage de sang-froid, et ils trouvent que leurs juges ont eu raison.

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