Les écoles politiques du xixe siècle ont ce caractère général d’être plutôt des partis que des écoles : nées des événements et mêlées aux événements, elles n’ont guère cette impartialité abstraite qui caractérise la science ; et par la même raison, elles ont laissé ou laisseront peu de ces ouvrages mémorables et éternels, qui survivent aux passions d’un temps. […] Le pouvoir illimité d’un seul appuyé sur deux ordres privilégiés, l’un chargé de la défense, l’autre de l’éducation de la société, lui paraît le principe essentiel et éternel de tout ordre politique.
Les points de vue sont déplacés, et la poésie éternelle a besoin de nouveaux modes d’expression. […] Tout poème qui se réalise ne tend qu’à résoudre une part du problème éternel de l’individuation.
On y parlait, au début, de Platon et des siens, et le pauvre rédacteur, épris d’antiquité, disait élégamment : « Lorsque les brises de la mer Égée parfumaient l’atmosphère de l’Attique, quelques hommes, préoccupés de l’éternel mystère, venaient, dans les jardins d’Acadème, se suspendre aux lèvres de Platon, etc. » Buloz prit peur de cette phrase comme de la plus audacieuse hardiesse, et de sa patte dictatoriale et effarée il supprima le tout et mit à sa place ; « Il y eut aussi dans la Grèce des sociétés savantes. » Une autre fois, dans une étude sur la mystique chrétienne, on disait : « L’amour de la vérité cherche celle-ci dans les solitudes intérieures de l’âme » ; mais Buloz, qui ne connaît pas les solitudes intérieures de l’âme, traduisit d’autorité : « Les esprits curieux fuient les embarras des villes », qu’il connaît ! […] Qui n’a pas entendu parler dans la littérature des démêlés éternels d’Émile Montégut avec Buloz, — avec Buloz vieillissant, devenant de plus en plus morose, de plus en plus sourd, et, comme on dit avec une énergie familière, de plus en plus mauvais coucheur ?
Lamartine a posé sur les siennes son époque tout entière, pour lui faire passer le fleuve de poésie fausse dans laquelle elle pataugeait et se noyait, et, d’une seule haleine, il l’a portée dans l’enivrante et haute atmosphère de la Poésie vraie, — de la Poésie éternelle, qu’en France, lorsqu’il vint, on ne connaissait plus ! […] Avec une expression incomparable, Lamartine ne s’adressait qu’à l’âme humaine, dans ses sentiments primitifs et éternels.
II Certes, quand on parcourt toutes ces histoires où la Ligue est en jeu, on a le droit de s’étonner de l’éternel oubli qui devrait pourtant être impossible, de l’organisation populaire telle que le catholicisme l’avait créée, de cette gloire du Moyen Âge à laquelle le monde moderne, qui l’insulte, n’a rien encore à opposer, des confréries dans les églises, des spécialités d’états, des corporations des arts et métiers et de leurs luttes, dès les premiers jours du Protestantisme, contre l’industrie protestante. […] Et d’ailleurs, pourquoi tout ce scandale à propos de la Ligue, pourquoi toute cette dureté contre elle, si la haine éternelle des ennemis de l’Église, en d’autres termes, si le voltairianisme ne s’y cachait pas ?
Non pas celui de Luther ou de Calvin ou de personne, ni même l’apostolique du comte de Gasparin, — cette pointillerie, comme aurait dit Bossuet, dans le dédain de son bon sens, cette pointillerie à examiner, travail de Pénélope toujours repris par qui a la fantaisie de le reprendre, — mais le protestantisme primitif, éternel, qui date du paradis terrestre, disait Lacordaire, et qui naquit le jour où Satan dressa contre Dieu le pourquoi de toutes les révoltes… Le chez soi du comte de Gasparin, c’est l’individualisme sans limites, c’est le plein vent de la liberté, c’est le radicalisme absolu ! […] C’est toujours la séparation de Jésus-Christ et de son Église, malgré les paroles divines de Jésus-Christ, auquel croit pourtant le comte de Gasparin, sur leur identification éternelle. « Si Jésus-Christ ne ment pas, l’Église ne peut errer », disait ce saltimbanque de Luther, qui, par là, se condamnait lui-même… C’était assez, à ce qu’il semblait, pour l’hérésie, que ce mensonge de Jésus-Christ, mais l’historien d’Innocent III a cru devoir ajouter aux raisons connues, et réfutées tant de fois par les théologiens catholiques, d’être et de rester protestant, une conception nouvelle, qui ne fausse pas que l’idée chrétienne, mais la nature des choses elle-même, et c’est cette conception, qui n’est qu’une chimère, qui donne à la publication intitulée Innocent III le peu qu’elle a de triste originalité.
Qu’elle soit ignorante ou cultivée, passionnée ou vertueuse, la femme, chez lui, ce n’est jamais que l’éternelle candeur allemande, — cette candeur qui nous plaît, à nous autres Français, parce qu’elle nous change et contraste avec nos faiseuses d’addition et de soustraction en amour ! La femme allemande, dans sa simplicité, dans son éternelle facilité à croire, la femme allemande, née plus séduite que les autres femmes, et qui se rencontre aussi bien dans les ridicules romans d’Auguste Lafontaine que dans les romans et les drames du grand Goethe, voilà en une seule toutes les femmes de Goethe, dont Paul de Saint-Victor a fait, lui, des femmes différentes, en exécutant sur le motif monotone de Goethe de ces prodigieuses variations à faire prendre le change aux plus habiles et leur faire croire que Goethe a mis dans ses femmes ce que lui, Saint-Victor, seul, y a vu !
Eh bien, au cas où la question contre les jésuites, qui n’est que la question contre Rome, et la question contre Rome, qui n’est que la question contre les gouvernements, serait encore une fois posée par les éternels ennemis des gouvernements et de Rome, ces derniers, dont nous connaissons la tactique, ne manqueraient point certainement, soit pour prévenir l’Opinion, soit pour persuader la Faiblesse, soit pour couper court aux hésitations, de s’appuyer sur le livre du P. […] Calomnie ou vérité, est-ce que le fait éternel, implacable, ineffaçable, qui s’exprime avec un seul mot : « Clément XIV a aboli les jésuites » peut être changé ou diminué par personne ?
Ouvrez au hasard ce charmant petit livre, à l’encre rouge, et voyez si à toute page vous ne trouvez pas cet amour sensuel de la forme, cette exagération violente du pittoresque, ce mépris du bourgeois qui appartient à Gautier comme le mépris du philistin appartient à Heine, ce mutisme religieux, cette sombre et voluptueuse étreinte des choses finies, cette conception brute et blême de l’amour sans idéal et de la mort sans immortalité, et enfin, pour parachever le tout, l’éternelle assomption des Clorindes du bal Mabille et de la Maison-d’Or, qui meurent, dit le poète (dans Les Vignes du Seigneur) : L’estomac ruiné de champagne Et le cœur abîmé d’amour ! […] Il pensait, ce grand homme ignoré, que le nombre des âmes créées était fixe, et que les divers personnages qui se succèdent dans ce carnaval de Venise du genre humain et de l’histoire étaient toujours remplis par les mêmes acteurs, lesquels, leur rôlet fini, allaient changer de costume dans la loge de leurs tombes, et en ressortaient, avec d’autres oripeaux et d’autres masques, pour recommencer sur nouveaux frais leur éternel personnage, avec ses modifications variées de temps et de lieu.
Mais (pour nommer les plus acceptés et les plus célèbres) Sainte-Beuve, par exemple, ce sondeur, qui avait gardé pour la littérature son ancienne sonde de carabin ; — mais Gustave Planche, cet esprit difficile et dégoûté ; — mais le bon Janin, qui, dans ses plus jolies gaîtés, avait à l’œil, perlant de son eau bête, la larme éternelle d’un Prudhomme attendri sur les honnêtes gens et la littérature honnête ! […] Mais le vieux diable d’abbé, qui s’est fait à lui-même deux préfaces, et qui se sent un peu gêné dans sa soutane quand elle s’accroche par trop au jupon de Manon Lescaut, se débat et n’entend pas être si candide que le prétend son panégyriste, et n’en est pas moins lié par lui, pour notre édification éternelle, à ce pilori de candeur.
La nature, il est vrai, ne nous donne que peu d’instants pour vivre, mais le souvenir d’une mort illustre est éternel : et si la gloire n’avait que la durée rapide et passagère de la vie, quel serait l’homme assez insensé pour l’acheter aux dépens de tant de périls et de travaux ? […] C’est vous qui avez détourné de nos murs l’ennemi et l’oppresseur de la patrie : c’est vous qui l’avez repoussé ; nous élèverons donc à vos cendres un magnifique mausolée ; nous y graverons une inscription, éternel témoignage de votre valeur.
l’éternel paresseux dont les journées s’écoulent à dormir, à fumer ou à jouer avec ses chats favoris ? […] Il se résume en une phrase : malgré la destruction universellement inévitable, quelque chose de divin dans nos amours restera immuable et éternel. […] Il connut les grands sommets aux neiges presque éternelles d’où descendaient les eaux des torrents, et, à côté, les cratères élevés, aux gueules béantes, éclairant les nuits de leurs incessantes éruptions. […] Plus tard, pour racheter sa faute primitive et lui permettre de participer aux béatitudes éternelles, une des hypostases de la trinité divine s’est incarnée en lui, s’est offerte comme holocauste, a pleuré et s’est immolée sur la croix. […] Peut-être en un mot a-t-il un peu vécu en dehors de son temps, et alors même qu’il chante des généralités éternelles, comme la beauté, le plaisir, l’amour, la nature, lui a-t-il manqué de savoir se mettre au diapason de ses contemporains les plus raffinés ?
Il place la raison au-dessus de tout et lui accorde le privilège de pouvoir seule contempler les Idées éternelles. […] Elle a la jeunesse éternelle de Raphaël lui-même. […] Paul Valéry sur la pensée fameuse : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraye ». […] Fortunat Strowski douter que la phrase du silence éternel fût authentique. […] Pour Spinoza, le monde procède nécessairement de la perfection infinie, immuable, éternelle et nécessaire.
C’est par nos sens et par notre cœur, nullement par notre raison, que nous entrons en contact avec la nature éternelle. […] Il nous engage à reprendre, sans cesse, activement, l’œuvre de création intérieure qui est notre tâche éternelle. […] Volontairement le poète se conçoit enfanté du rêve, fils de cet éternel pouvoir qui gît au fond de son âme. […] … Tu n’es que ce que tu penses : pense-toi donc éternel ! […] Décidément la science avait saisi là un mauvais reflet : et la nature éternelle restait inexplorée.
L'auteur a cru rajeunir l’éternel don Juan, le maréchal de Richelieu, le Valmont des Liaisons dangereuses, le roué de la Régence, en le transportant sous cette latitude.
Il a voulu seulement sur ce fond constant, éternel, et qui pourra servir bien souvent encore, tracer quelques caractères intéressants et jeter quelques beaux discours d’une brillante facture et d’une langue riche… Je serais donc content des « beaux discours », n’était qu’il y en a de trop et qu’ils sont trop longs.
Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels ; Par eux, plus d’un remords nous afflige & nous ronge ; Nous voulons les garder & les rendre éternels, Sans penser qu’eux & nous passeront comme un songe.