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657. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Celle d’un écoulement ou d’un passage, mais d’un écoulement et d’un passage qui se suffisent à eux-mêmes, l’écoulement n’impliquant pas une chose qui coule et le passage ne présupposant pas des états par lesquels on passe : la chose et l’état ne sont que des instantanés artificiellement pris sur la transition ; et cette transition, seule naturellement expérimentée, est la durée même. […] Nous percevons le monde matériel, et cette perception nous paraît, à tort ou à raison, être à la fois en nous et hors de nous : par un côté, c’est un état de conscience ; par un autre, c’est une pellicule superficielle de matière où coïncideraient le sentant et le senti. […] La rapidité de déroulement de ce Temps extérieur et mathématique pourrait devenir infinie, tous les états passés, présents et à venir de l’univers pourraient se trouver donnés d’un seul coup, à la place du déroulement il pourrait n’y avoir que du déroulé : le mouvement représentatif du Temps serait devenu une ligne ; à chacune des divisions de cette ligne correspondrait la même partie de l’univers déroulé qui y correspondait tout à l’heure dans l’univers se déroulant ; rien ne serait changé aux yeux de la science.

658. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Et en particulier, les hommes remarquables, guerriers, prélats, savants, hommes de lettres, qui sont sortis avec éclat de la terre natale, y rentrent à l’état de personnages historiques après des années ou après des siècles, et y obtiennent d’un commun suffrage des bustes, des statues. […] Duchange, adopter l’opinion commune et la tradition sur la mort de l’abbé Prévost, attribuée à la promptitude d’un chirurgien ignorant ; d’autre part, dans le discours qu’il a prononcé, M. le docteur Danvin a dit : Il existe, sur la fin de l’abbé Prévost, une histoire lugubre que l’on rencontre reproduite partout : on rapporte que, trouvé sur un grand chemin dans un état de mort apparente, il aurait été, de son vivant, soumis à l’autopsie, et aurait pu rouvrir les yeux pour voir le misérable état où il était.

659. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Ce paysan, ce fils de fermier, arrivé de son village, beau garçon de dix-neuf ans, entré comme domestique chez son seigneur, une espèce d’enrichi ; puis rencontré sur le Pont-Neuf par la dévote Mlle Habert, beauté de plus de quarante-cinq ans, dont il devient le mari après quatre ou cinq jours, passe presque aussitôt à l’état d’homme comme il faut, à qui il ne reste qu’un peu de gaucherie et de rouille provinciale ; et encore la secoue-t-il bien lestement. […] On parle du livre que celui-ci vient de faire paraître ; il en demande son avis à l’officier, qui lui répond d’abord : « Je ne suis guère en état d’en juger ; ce n’est pas un livre fait pour moi, je suis trop vieux », donnant à entendre qu’en vieillissant, le goût, comme le palais, devient plus difficile. […] Ce sont deux personnes, la marquise et Ergaste, qui font état avant tout de parler franc et d’être sincères.

660. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

Un homme estimable et savant, qui a récemment travaillé sur les Évangiles, et qui n’a porté dans cet examen, quoi qu’on en ait dit, aucune idée maligne de négation, aucune arrière-pensée de destruction, qui les a étudiés de bonne foi, d’une manière que je n’ai pas qualité pour juger, mais certainement avec « une science amoureuse de la vérité », a qualifié heureusement en ces termes la mission et le caractère de Jésus, de la personne unique en qui s’est accomplie la conciliation la plus harmonieuse de l’humanité avec Dieu : « Celui qui a dit : Soyez parfaits comme Dieu, et qui l’a dit non pas comme le résultat abstrait d’une recherche métaphysique, mais comme l’expression pure et simple de son état intérieur, comme la leçon que donnent le soleil et la pluie : celui qui a parlé de la sainteté supérieure qu’il exigeait des siens comme d’un “fardeau doux et léger” ; celui qui, révélant à nos yeux une pureté sans tache, a dit que “par elle on voyait Dieu…”, celui qui, enfin, renonçant à la perspective du trône du monde, a senti qu’il y avait plus de bonheur à souffrir en faisant la volonté de Dieu qu’à jouir en s’en séparant… celui-là, c’est Jésus de Nazareth. » Lui seul, et pas un autre au monde42 ! […] Une telle histoire, si elle est jamais possible pour les premiers siècles, est encore à l’état d’étude critique et de préparation. […] Quant à revenir aux Catacombes, ce serait prendre un grand parti et certainement se rapprocher de Jésus ; mais l’idée d’un tel art est encore à l’état archéologique, et l’Imprimerie Impériale, dont l’objet essentiel est la typographie, et pour qui l’ornementation n’est que l’accessoire, ne pouvait ni ne devait, quand elle en aurait eu le temps, hasarder une telle nouveauté.

661. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Ce serait bien peu connaître les hommes de son état que de ne pas voir que toutes ces confidences et ces conversations mystérieuses sont dans leur caractère et ne sont que des ruses. » Le refus formel que fit le Pape d’adhérer au pacte fédératif et à la ligue italienne mit fin à la mission de M.  […] Je n’ai pas non plus trouvé qu’il ressemblât au portrait que vous avez chez vous : le peintre lui a fait le front trop levé, ce qui met ses yeux et son air dans un état d’exaltation qu’il n’a pas ; enfin, il est mieux que son portrait. […] Il faisait comme un général habile et prudent qui, se sentant coupé ou débordé par des forces supérieures et hors d’état pour le moment de tenir campagne, occupe les points essentiels, quelques places fortes, et abandonne le reste du pays, sauf à rejoindre plus tard ses garnisons et à rétablir ses communications dès qu’il le pourra.

662. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Je vous aime et vous respecte de tout mon cœur. » Quand l’armée dut évacuer Neuss, ce qui eut lieu le surlendemain de la défaite, il était hors d’état d’être transporté. […] Mais enfin, dans une Relation de la mort de Voltaire, adressée à l’impératrice Catherine par son ambassadeur à Paris, le prince Bariatinsky (juin 1778), et qui a été publiée pour la première fois dans le Journal des Débats du 30 janvier 1809, on lit : « Dès que le bruit de sa maladie et le danger de son état se répandirent dans Paris, la haine sacerdotale qui ne pardonne point se déploya dans toute son activité. […] Dans une lettre du 18 juin à son père, cinq jours avant la bataille de Crefeld, M. de Gisors écrivait : « Je n’ai pu jusqu’ici vous parler à cœur ouvert ; vous verrez avec amertume que, si les choses demeurent dans l’état où elles sont, il n’y a pas le moindre succès à se promettre ; les plus grands malheurs sont à craindre, au contraire M. le comte de Clermont, dépourvu de toute connaissance du pays, incapable de former aucun projet par lui-même, ne veut être constamment gouverné par personne, et cependant se rend toujours l’avis du dernier.

663. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

On perd en soi-même toute émulation, et les plaisirs de la volupté deviennent le seul intérêt d’une existence sans gloire, sans honneur et sans morale ; tel on nous peint l’état des hommes du Midi sous les chefs du Bas-Empire. […] Certes, je ne veux pas affaiblir l’indignation qu’inspirent aujourd’hui les crimes et les folies de la superstition ; mais je considère chaque grande époque de l’histoire philosophique de la pensée, relativement à l’état de l’esprit humain dans cette époque même ; et la religion chrétienne, lorsqu’elle a été fondée, était, ce me semble, nécessaire aux progrès de la raison. […] Néanmoins, de même que le savant observe le travail secret par lequel la nature combine ses développements, le moraliste aperçoit la réunion des causes qui ont préparé, pendant quatorze cents ans, l’état actuel des sciences et de la philosophie.

664. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Dans les monarchies aristocratiquement constituées, la multitude se plaît quelquefois, par un esprit dominateur, à relever celui que le hasard a délaissé ; mais ce même esprit ne lui permet pas d’abandonner ses droits sur l’existence qu’elle a créée, le peuple regarde cette existence comme l’œuvre de ses mains ; et si le sort, la superstition, la magie, une puissance, enfin, indépendante des hommes, n’entre pas dans la destinée de celui, qui dans un état monarchique doit son élévation à l’opinion du peuple, il ne conservera pas longtemps une gloire que les suffrages seuls récompensent et créent, qui puise à la même source son existence et son éclat ; le peuple ne soutiendra pas son ouvrage, et ne se prosternera pas devant une force dont il se sent le principal appui. […] La plupart de ces considérations ne peuvent s’appliquer aux succès militaires, la guerre ne laisse à l’homme, de sa nature, que ses facultés physiques ; pendant que cet état dure, il se soumet à la valeur, à l’audace, au talent qui fait vaincre, comme les corps les plus faibles suivent l’impulsion des plus forts. […] La passion de la gloire excite le sentiment et la pensée au-delà de leurs propres forces ; mais loin que le retour à l’état naturel soit une jouissance, c’est une sensation d’abattement et de mort : les plaisirs de la vie commune, ont été usé sans avoir été sentis, on ne peut même les retrouver dans ses souvenirs ; ce n’est point par la raison ou la mélancolie qu’on est ramené vers eux ; mais par la nécessité, funeste puissance, qui brise tout ce qu’elle courbe !

665. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

On n’obéit pas longtemps aux lois trop sévères ; mais l’état qui les maintient, sans pouvoir les faire exécuter, a tous les inconvénients de la rigueur et de la faiblesse. […] C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens.

666. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Ce qui lui fera comprendre Rousseau, ce seront les Allemands : elle deviendra, dix ans avant sa mort, une chrétienne fervente, hors de toute église et de toute confession : le duc de Broglie définira son état « un latitudinarisme piétiste », c’est-à-dire un protestantisme libéral, très indépendant, très peu théologique, plutôt mystique ; cette religion est à la fois très rationnelle et très sentimentale. […] Mais, en femme qu’elle reste toujours, l’impératif catégorique ne peut rester en elle à l’état de commandement intérieur, abstrait et formel : il faut qu’il se réalise ; et du devoir, Mme de Staël passe à Dieu. […] Elle pose ainsi les principes d’un goût nouveau, conforme aux nouveaux états de sensibilité dont nous avons parlé.

667. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Le fait moral le plus considérable que je voie est un état assez confus des âmes, qu’il faut essayer d’analyser. […] Barrès, insupportable parfois dans la culture de son moi, mais si original, lorsqu’il veut, en ses analyses d’états moraux, et si exquis en ses impressions de paysages969. […] Scribe et le genre Sardou ; puis à faire aimer les idées au théâtre, idées de psychologie, de morale, de philosophie, traduites dramatiquement, c’est-à-dire en états concrets de conscience, en résonances de la sensibilité, en tensions de la volonté.

668. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Il n’a pas voulu voir la vérité dans Pascal, parce que cette vérité, marquée de l’esprit du christianisme, n’est que la mise en état de suspicion de la raison, à laquelle Voltaire avait donné l’infaillibilité. […] faut seulement distinguer, parmi ces vérités, celles qui sont d’une pratique constante et universelle, de celles dont l’application est plus particulière à certaines sociétés ; les vérités qui nous servent d’armes offensives et défensives dans la conduite de la vie, de celles qui demeurent au fond de notre intelligence à l’état de notions spéculatives, et qui nous aident à juger les hommes et les choses. […] « Ce que contiennent les Maximes, dit-il, n’est autre chose que l’abrégé d’une morale conforme aux pensées de plusieurs Pères de l’Église, et l’auteur a pensé qu’il lui était permis de parler de l’homme comme les Pères en ont parlé. » Et il ajoute : « L’auteur de ces réflexions n’a considéré les hommes que dans cet état déplorable de la nature corrompue par le péché. » Il n’y a pas, en effet, dans les Maximes, un soupçon ni une insinuation contre la nature humaine qu’on ne trouve non seulement dans les Pères, mais dans les grands prédicateurs du temps.

669. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Le spectateur, au contraire, part de ce qu’il voit et de ce qu’il entend d’abord ; et il passe de là aux progrès et au dénouement de l’action, comme à des suites naturelles du premier état où on lui a exposé les choses. […] Dans le premier cas, s’il n’y a qu’un personnage principal, il est vertueux, ou méchant, ou mixte ; et il passe d’un état heureux à un état malheureux, ou au contraire.

670. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Dans un état monarchique c’est autre chose ; il n’y a que Dieu et le roi. […] Un portrait peut avoir l’air triste, sombre, mélancolique, serein, parce que ces états sont permanents ; mais un portrait qui rit est sans noblesse, sans caractère, souvent même sans vérité et par conséquent une sottise. […] On rit par occasion ; mais on n’est pas rieur par état.

671. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Je parle surtout du théâtre, plus asservi que tous les genres proprement littéraires à toutes les modes, à tous les états passagers de l’opinion. […] Voici un second et plus grave effet de la même cause : le journal périodique, quotidien surtout, a singulièrement développé la légèreté, la curiosité du public ; il l’entretient dans un état d’excitation, de fièvre ; en lui présentant toujours du nouveau, il le rend plus avide de nouveauté.

672. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

C’est là — et là seulement — qu’il peut espérer quelques années d’existence à l’état d’école. […] Laurent Tailhade plaisantait, ne retenant de l’état de poète lyrique que la facilité d’un beau mariage, et Joseph Caraguel ne voyait dans la poésie que « l’art de dire excentriquement des banalités ».

673. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Le prêtre, par état, pousse toujours au sacrifice public, dont il est le ministre obligé ; il détourne de la prière privée, qui est un moyen de se passer de lui. […] L’affiliation au judaïsme avait beaucoup de degrés ; mais les prosélytes restaient toujours dans un état d’infériorité à l’égard du juif de naissance.

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