Celui-là ne s’attarde pas à ses seules émotions. […] Et puis les mobiles d’émotions se sont multipliés. […] Par ainsi, telles émotions que l’une sera impuissante à traduire, l’autre les rendra dans leur intégralité. […] Et les mots faussent en la précisant l’émotion qui nous suggéra ces tableaux. […] Or on ne décrit bien que les émotions qu’on éprouva et non celles qu’on éprouve encore.
Il suit leurs émotions, il refait leurs raisonnements, il s’attendrit, il s’égaye, il prend part à leurs sentiments. […] Nous savons bien, en leur prêtant ainsi des pensées et des émotions, que nous mettons notre âme dans leur être, et que notre discours n’est qu’image. […] Nous glissons ainsi sur un courant d’émotions fugitives et demi-formées. […] Ici comme ailleurs l’émotion morale ne fait qu’exprimer un aspect physique, et le poëte songe aux attitudes en développant des sentiments. […] Il a vu les attitudes, le regard, le poil, l’habitation, la forme d’un renard ou d’une belette, et l’émotion produite par le concours de tous ces détails sensibles engendre en lui un personnage moral avec toutes les parties de ses facultés et de ses penchants.
Casimir Delavigne, poëte, sut être toujours à l’unisson, au niveau du sentiment public ; il partagea les goûts, les émotions, les enthousiasmes du grand nombre en ce qu’il y eut d’honnête, de légitime, de généreux ; il en fut l’organe clair, ingénieux, élégant, sensible. […] Il exprime ses pensées, ses émotions, qui sont volontiers les leurs, du mieux qu’elles-mêmes le pourraient désirer, et avec les couleurs qu’il leur plairait le plus de choisir. […] Quand les deux grands acteurs, interprètes incomparables de la pensée du poëte, s’unissaient pour la faire valoir, l’émotion allait au comble. […] Car ç’a été le caractère manifeste du public en ses derniers retours, après tant d’épreuves éclatantes et contradictoires, de se montrer ouvert, accueillant, de puiser l’émotion où il la trouve, de reconnaître la beauté si elle se rencontre, et de subordonner en tout les questions des genres à celle du talent.
Ce qui manque, c’est du calme et de la fraîcheur, c’est quelque belle eau pure qui guérisse nos palais échauffés. » Cette qualité de fraîcheur et de délicatesse, cette limpidité dans l’émotion, cette sobriété dans la parole, ces nuances adoucies et reposées, en disparaissant presque partout de la vie actuelle et des œuvres d’imagination qui s’y produisent, deviennent d’autant plus précieuses là où on les rencontre en arrière, et dans les ouvrages aimables qui en sont les derniers reflets. […] Avec une situation fondamentale qui est la nôtre, situation qu’on déguise, qu’on dépayse légèrement dans les accessoires, il y a moyen de s’intéresser à peindre comme pour des mémoires confidentiels et d’intéresser à notre émotion les autres. […] Je n’ai jamais lu sans émotion une page que je demande la permission de citer pour la faire ressortir. […] L’auteur de Cinq-Mars a su seul de nos jours concilier (bien qu’imparfaitement encore) la vérité des peintures d’une époque avec l’émotion d’un sentiment romanesque.
Des hommes qui ont une telle portée et un tel lendemain ne doivent pas être jugés selon les émotions et les réactions d’un jour. […] Mais c’est là un défaut qu’on lui passe, tant il est parvenu à en triompher en des pages heureuses, tant, à force de travail et d’émotion, il a assoupli son organe et a su donner à ce style savant et difficile la mollesse et le semblant d’un premier jet ! […] si Fénelon vivait, s’écria Rousseau tout en larmes, je chercherais à être son laquais pour mériter d’être son valet de chambre. » On saisit le manque de goût jusque dans l’émotion. […] Cet enfant de métier, qui va jouer avec ses camarades après le prêche, ou rêver seul s’il le peut, ce petit adolescent à la taille bien prise, à l’œil vif, à la physionomie fine, et qui accuse toutes choses plus qu’on ne voudrait, il a plus de réalité que l’autre et plus de vie ; il a de la bonhomie, il a des émotions et des entrailles.
trop souvent, la femme d’esprit se mêle à la femme de cœur, en ces lettres aussi spirituelles — et c’est leur défaut — qu’elles sont palpitantes d’émotion, l’esprit, du moins, n’y empêche jamais l’émotion de naître. L’émotion est toujours plus forte que l’esprit en elles, et c’est là même ce qui fait douter du roman.
Plus d’une fois, au milieu de joyeux compagnons, et autour du punch bleuâtre, il lui est revenu d’amères pensées, des regrets du cloître et de la vie des vieux temps, et comme il l’a dit lui-même, un amour inouï, un désir effréné pour un objet qu’il n’aurait pu définir ; plus d’une fois son cœur a battu d’une émotion douloureuse en voyant à l’horizon des cités germaniques planer ces magnifiques monuments qui racontent comme des langues éloquentes l’éclat, la pieuse persévérance, et la grandeur réelle des âges passés. Aussi, dès qu’il se borne à peindre l’art et les artistes dans ce moyen âge, où il y avait du moins harmonie et stabilité pour les âmes, quelque chose de calme, de doré et de solennel succède aux délirantes émotions qu’il tirait des désordres du présent ; depuis l’atelier de maître Martin le tonnelier, qui est un artiste, jusqu’à la cour du digne landgrave de Thuringe, où se réunissent autour de la jeune comtesse Mathilde, luth et harpe en main, les sept grands maîtres du chant, partout dans cet ordre établi, on sent que le talent n’est plus égaré au hasard, et que l’œuvre de chacun s’accomplit paisiblement ; s’il y a lutte encore par instants dans l’âme de l’artiste, le bon et pieux génie finit du moins par triompher, et celui qui a reçu un don en naissant ne demeure pas inévitablement en proie au tumulte de son cœur.
Quelque opinion qu’on garde après la lecture du livre sur la réalité de ces divisions qu’une philosophie plus forte trouverait sans doute moyen de simplifier et de réduire, ce qu’il faut reconnaître, c’est l’agréable et instructif chemin par lequel le philosophe nous a menés ; c’est cette multitude de remarques fines, judicieuses et ingénieuses, tempérées, qu’il a semées sous nos pas ; c’est ce jour si indulgent et si doux qu’il sait jeter sur la nature humaine en y pénétrant ; c’est l’émotion honnête qu’il excite en nous, tout en nous apprenant à décomposer et à observer ; ce sont les heureuses applications morales et pratiques, le choix et l’atticisme des exemples, et les fleurs d’une littérature si délicatement cultivée à travers les recherches de la philosophie. […] Un coloris vif, une naïveté mêlée de sensibilité, une mélodie heureusement d’accord avec l’émotion, recommandent ces courtes pièces.
Nous avons suivi Jacques Simple en poète ; avec lui, nous avons rencontré le Sphynx, Jésus-Christ, les Salamandres, la Vieille Fée, le Barbare, les Thaumaturges, les Rois ; et la Forêt, qui symbolise l’erreur, une fois franchie, nous avons abordé en Arcadie, où chante la joie définitive ; or, nous avons écouté, sans plus, l’émotion verbale de ses chansons. […] Les substances prennent les traits de son visage et de son émotion, elles se groupent dans son organisme, elles s’ordonnent dans son sang’, elles trouvent une bouche pour y chanter.
Si les personnages de ses drames sont des souffrants, c’est qu’il était, aussi, le contemporain affiné de nos pessimisme* ; il a, joyeusement, créé le monde nouveau de l’émotion artistique ; et il a créé l’émotion douloureuse, parce qu’il la trouvait plus réelle, et vivait, la créant, plus joyeux. […] Sa musique était à exprimer, pleinement, une action entière, pénétrée de noble émotion et de hautes douleurs. […] Ce qui, dans le drame, nous apparut, immédiatement, au travers de l’action vivante, nous le saisissons ici, et comme le fond très-intime de cette action : et les émotions sont également précises que nous produisent, dans le drame, la force naturelle des caractères, ici, les motifs du musicien recréant l’être profond agissant en ces caractères. […] Baudelaire décrit en images ses impressions musicales et établit une relation entre l’intensité de la couleur et celle de ses émotions. […] Il s’agit d’accéder à une émotion essentielle, éternelle et non liée à une période historique particulière.
Le souci que le poète philosophe montre toujours de rendre sa pensée avec une absolue exactitude, laquelle précisément communique à tant de ses pièces l’émotion et la beauté du vrai, se retourne, hélas ! […] La note musicale n’est que le prolongement des vibrations de la voix émue et ne trouve sa raison que dans l’émotion même. […] Mais, à force de « panthéisme » et d’« objectivité », le poète a fini par perdre ce don de l’émotion sympathique qui fait le fond même de la poésie. […] Louis Ménard, poète distingué lui-même, pour disculper son ami du reproche de froideur, cite la pièce des Spectres comme exemple « d’émotion profonde et contenue ». […] Les émotions humaines ne sont-elles pas un des mouvements de la Nature ?
Dans les pages de ses Mémoires qu’elle y consacre, les émotions, vives encore, sont adoucies par la distance et fondues avec les jugements de date subséquente qui y interviennent : ici elle agit et pense jour par jour. […] Elle aime à associer les noms de l’amitié aux émotions publiques qui envahissent son âme et la transportent : « C’est ajouter, » dit-elle en un style plein de nombre et dont le tour accompli rappelle le parler de Mme de Wolmar, « c’est ajouter au grand intérêt d’une superbe histoire l’intérêt touchant d’un sentiment particulier ; c’est réunir au patriotisme qui généralise, élève les affections, le charme de l’amitié qui les embellit toutes et les perfectionne encore. » Les lettres du 24 et du 26 janvier 91 à Bancal, alors à Londres, par lesquelles elle essaie de le consoler de la mort d’un père, méritent une place à côté des plus élevées et des plus éloquentes effusions d’une philosophie forte, mais sensible. […] L’émotion, au reste, que trahit cette lettre, n’était l’indice que d’un sentiment et non d’une passion. […] Elle aussi se sentait faite pour un rôle actif, influent, multiplié, pour cette scène principale où l’on rencontre à chaque pas l’aliment de l’intelligence et l’émotion de la gloire ; elle aussi, loin de Paris, exilée à son tour de l’existence agrandie et supérieure qu’elle avait goûtée, elle aurait redemandé, mais tout bas, le ruisseau de sa rue de la Harpe. […] Mme de Staël, à la barre des mêmes assemblées, aurait probablement parlé avec moins de calme et de contenu, elle eût été vite à l’émotion, à l’éclat.
Observations sur la tragédie romantique Depuis dix ans, quelques Français et beaucoup d’étrangers ont entrepris d’abolir parmi nous un système dramatique où, s’il faut les en croire, il ne reste aux auteurs rien à inventer ; aux spectateurs, aucune émotion nouvelle à recevoir. « À quoi bon, disent-ils aux premiers, vous traîner sur les traces de Corneille ? […] en reproduisant sur la scène une passion à jamais féconde en situations tragiques, et toujours sûre d’exciter les émotions les plus vives. […] On leur avait donc permis, ordonné même d’arranger ce qui précède la catastrophe, de manière à produire l’illusion la plus complète, l’émotion la plus vive. […] Par hasard resterait-il dans l’esprit des spectateurs romantiques assez de traces de ces superstitions surannées, pour que le drame diabolique de Faust et ceux qui lui ressemblent, produisent encore de véritables émotions ? […] D’une part, l’enfance de l’art ; de l’autre, la maturité du génie : ici, des spectateurs incultes, amateurs de prestiges et disposés aux émotions fortes ; là, des juges difficiles, accoutumés à des plaisirs délicats, qu’il faut séduire et non pas corrompre, entraîner et non éblouir : chez les premiers, point de spectacle sans machine ; chez les seconds, point de drame sans illusion.
Et voilà encore par où Boileau se sépare de certains naturalistes, pour qui l’émotion, l’intérêt, l’agrément sont d’indignes concessions à la frivolité, à la stupidité des bourgeois. […] De la plus horrible réalité, l’imitation tragique tire une émotion agréable. […] Viennent ensuite la clarté, sans laquelle ni la vérité ne se fait sentir, ni l’émotion ne se dégage — et la précision, par laquelle on ne reconnaît pas vaguement, en gros, la nature de l’objet, mais on le voit dans un degré particulier de force et de beauté, tel qu’il est en effet, mais revêtu par votre expression, d’après votre sensation, d’un caractère unique. […] Boileau ne semble pas s’apercevoir qu’il y a là deux principes très différents de classification des genres, et que des poèmes à forme fixe tels que la ballade et le sonnet, qu’on est obligé de caractériser à la mode antique, par leur forme métrique, et qui peuvent recevoir toutes les idées et tous les sentiments de tout ordre, ne sont pas du tout des genres comparables à l’élégie ou à la tragédie, ni à tous les autres, où, sous-entendant les conditions particulières de versification et de disposition métrique, il détermine surtout la nature du modèle à imiter et la qualité de l’émotion à produire. […] Plus portés à considérer les relations des choses qu’à en fouiller la structure intime, il est naturel que nous admettions, dans la comédie par exemple, une variété d’émotions que nos pères n’auraient pas tolérée autrefois.
La religion vise au réel, l’art se contente du possible ; il n’en superpose pas moins, comme la religion, un monde nouveau au monde connu, et, de même que la religion, il nous met en rapport d’émotion et de sympathie avec ce monde ; par conséquent, il en fait un monde d’êtres animés plus ou moins analogues à l’homme ; par conséquent enfin, il en fait une société nouvelle ajoutée par l’imagination à la société où nous vivons réellement. […] D’une part, tous les sont génies subjectifs : le propre du génie est même de mêler son : individualité à la nature, de traduire non pas des perceptions banales, mais des émotions personnelles, contagieuses : par leur intensité même et leur subjectivité. […] Ainsi, ayant nous-même admis que l’émotion esthétique supérieure est une émotion sociale, nous accorderons volontiers que l’expression supérieure de la société est la caractéristique de l’œuvre supérieure, mais à la condition qu’il ne s’agisse pas seulement, comme pour M. […] Dès lors, dans le monde particulier de l’art comme dans le monde social tout entier, il y a deux classes d’hommes à considérer : les novateurs et les répétiteurs, c’est-à-dire les génies et le public, qui répète en lui-même par sympathie les états d’esprit, sentiments, émotions, pensées, que le génie a le premier inventés ou auxquels il a donné une forme nouvelle.
Il les divise d’abord en feelings qui viennent du centre (émotions) et feelings qui viennent de la périphérie (sensations). […] Bref, nous arrivons à cette classification fondée sur la structure : émotions, sensations externes, sensations internes ; ou, comme s’exprime l’auteur, états de conscience centraux, épipériphériques, entopériphériques. […] Le rapport intime du sentiment et de la raison est depuis longtemps établi : toute émotion impliquant une connaissance, et la connaissance une émotion quelconque. […] S’il est plus âgé, il pourra éprouver une émotion agréable, en contemplant une rue, un champ, sa maison, son jardin. […] C’est de ces émotions, les unes actuelles, la plupart naissantes, que résulte l’émotion qu’un beau paysage produit en nous. » De là, il faut conclure que les émotions seront d’autant plus fortes qu’elles renfermeront un plus grand nombre de sensations actuelles ou naissantes.
Lebrun et de Latouche, l’un dans ses poëmes, l’autre dans ses trop rares élégies, réfléchissent aussi, avec une fidélité diverse, l’émotion et la teinte poétique de ce moment d’initiation, auquel M. […] Ainsi, d’élans en élans, d’émotion en impiété, tout nous mène à la volupté enivrante de la nuit, au meurtre de l’époux, à la volupté encore, sur cette mer de Venise, où reparaissent voguant, pleins d’oubli, le meurtrier aimé et la belle adultère : Peut-être que le seuil du vieux palais Luigi Du pur sang de son maître était encor rougi ; Que tous les serviteurs, sur les draps funéraires, N’avaient pas achevé leurs dernières prières ; Peut-être qu’à l’entour des sinistres apprêts, Les prieurs, s’agitant comme de noirs cyprès, Et mêlant leurs soupirs aux cantiques des vierges, N’avaient pas sur la tombe encore éteint les cierges, Peut-être de la veille avait-on retrouvé Le cadavre perdu, le front sous un pavé ; Son chien pleurait sans doute et le cherchait encore : Mais, quand Dalti parla, Portia prit sa mandore, Mêlant sa douce voix, que la brise écartait, Au murmure moqueur du flot qui l’emportait… Les deux autres drames de ce volume, Don Paez et la Camargo, renfermaient des beautés du même ordre, mais moins soutenues, moins enchaînées, et dans un style trop bigarré d’enjambements, de trivialités et d’archaïsmes. […] Nous ferons l’office de la vigie, et notre cri de découverte sera toujours mêlé d’émotion et de joie. […] Mais Marlow se décide à admirer ; c’est par là qu’il se sauve de la souffrance ; cette première émotion, qui pouvait rentrer en envie, déborde en louange.