Mais les schèmes qu’il construit ainsi ne correspondent à rien dans le réel ; ils ne peuvent même pas être pensés en tant que tels, mais seulement à l’aide des mots. […] D’où il suit que non seulement le réel est intelligible, mais encore que cela seul est réel qui est pleinement intelligible, c’est-à-dire de même nature que l’entendement. […] Le sensible, avec son infinie diversité, n’est pas pour lui une apparence ; c’est le réel, tout le réel.
Il faut donc admettre « que les objets imaginaires, lorsqu’ils absorbent l’attention, produisent, pendant ce temps-là, la persuasion de leur existence réelle ». […] Toutes les fois que je jetais les yeux sur la chaise, je voyais l’homme. » Il est clair que, pendant plusieurs minutes de suite, il prenait la figure imaginaire pour une figure réelle. […] « Peu à peu, dit-il, je commençai à perdre la distinction de la figure imaginaire et de la figure réelle, et quelquefois je soutenais aux modèles qu’ils avaient déjà posé la veille. […] C’est ainsi que le plus souvent l’erreur fugitive, attachée pour un instant à la présence de l’image, disparaît presque au même instant et sans intervalle appréciable par le choc antagoniste de la sensation réelle […] Les yeux étaient encore fermés, mais probablement, à la suite de quelque sensation de froid ou de mouvement réel, la conscience ordinaire renaissait, quoique faiblement.
Tous ces maîtres ont prouvé que la peinture pouvait, avec un égal bonheur, être descriptive de sensations réelles, ou suggestive de réelles émotions. […] Fini le doux exil au bon réel du rêve. […] La nature avec ses chatoyantes féeries, le spectacle rapide et coloré des nuages, et les sociétés humaines effarées, ce sont rêves de l’âme : réels, mais tous rêves ne sont-ils point réels ? […] Ces lointains héroïsmes passionnés, d’instinct il les conçoit réels. […] Une joie, cela est positif, réel, apodictique.
Ainsi, le dénouement du drame comique me montre le triomphe réel de la personne humaine dans sa destruction apparente, et le dénouement du drame tragique m’avait montré le triomphe réel aussi du Divin dans sa destruction également apparente. […] Il cherche à retenir cette froide jouissance par la privation de toute satisfaction réelle. […] Un homme parmi les hommes est Dieu, et Dieu est un homme réel. […] La satire, qui retrace avec d’énergiques couleurs le tableau du monde réel dans son opposition avec la vertu, nous en donne une preuve manifeste. […] La présence réelle du principe substantiel a disparu.
Le plus petit élément de durée consciente n’est pas un présent réel, mais un présent apparent, d’un certain nombre de fractions de seconde, ayant déjà un passé. […] Le présent, pour la conscience, c’est l’actuel, c’est-à-dire, en somme, le réel. […] Nous disons l’illusion, car, en réalité, s’il n’y avait absolument rien de réel, il n’y aurait rien, pas plus de temps qu’autre chose. […] Je puis, il est vrai, prendre un souvenir de temps elle comparer avec un temps réel, mais l’étalon, ici, n’a rien de fixe et la comparaison rien de scientifique. […] Comment donc a lieu cette harmonie entre noire sensibilité et les choses réelles ?
Vous savez que je n’ai jamais approuvé le mélange des êtres réels et des êtres allégoriques ; et le tableau qui a pour sujet la publication de la paix en 1749 ne m’a pas fait changer d’avis. Les êtres réels perdent de leur vérité à côté des êtres allégoriques, et ceux-ci jettent toujours quelque obscurité dans la composition. […] Toutes les figures allégoriques sont d’un côté ; et tous les personnages réels de l’autre.
Ils ont préféré leur idéal mystique à l’immense variété de la réelle nature. […] Ruskin prêchait, il est vrai, un retour sincère et réel à la nature et à la vérité ; et les peintres dont il se fit le champion passèrent pour mettre en pratique sa théorie toute entière. […] D’où l’absence de toute couleur réellement vivante chez presque tous les maîtres anciens, qui toujours rendaient un ton réel par un ton faux, quand ils n’en atténuaient pas purement et simplement l’éclat véritable, considéré comme contraire à l’art. […] Cette fidèle observation des couleurs réelles de la nature l’a conduit à les traduire sur la toile dans leur authentique et intégrale valeur, à les prendre pour ce qu’elles sont. […] Aussi lorsque nous comparons sa renommée bruyante et sa valeur réelle vis-à-vis du présent et surtout de l’avenir, nous ne pouvons nous empêcher de répéter qu’elle a fait banqueroute.
Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles Quand les passions réelles et veritables qui procurent à l’ame ses sensations les plus vives ont des retours si facheux, parce que les momens heureux dont elles font joüir sont suivis de journées si tristes, l’art ne pourroit-il pas trouver le moïen de separer les mauvaises suites de la plûpart des passions d’avec ce qu’elles ont d’agréable ? […] Ne pourroit-il pas produire des objets qui excitassent en nous des passions artificielles capables de nous occuper dans le moment que nous les sentons, et incapables de nous causer dans la suite des peines réelles et des afflictions veritables ? […] C’est en vertu du pouvoir qu’il tient de la nature même que l’objet réel agit sur nous.
. — Les seuls éléments réels de notre être sont nos événements. […] Mais ces événements et ces états sont supposés et non donnés ; ils ne font partie que de mon être possible, ils ne font pas partie de mon être réel. […] En fait d’éléments réels et de matériaux positifs, je ne trouve donc, pour constituer mon être, que mes événements et mes états, futurs, présents, passés. […] Elles contractent ainsi, l’une par rapport à l’autre, un ordre apparent qui correspond à l’ordre réel des sensations dont elles sont le reliquat. […] Mais, telle qu’elle s’ourdit dans les conditions ordinaires, la toile est bonne, et ses fils, par leur présence, par leurs diversités, par leurs dates apparentes, par leurs attaches, correspondent à la présence, aux diversités, aux dates réelles, aux attaches des faits réels ; c’est que les faits réels eux-mêmes les ont tissés.
Cela signifie, comme dans les exemples précédents, qu’entre la présence réelle d’une tête de mort et la perception affirmative il y a un groupe d’intermédiaires, dont le dernier est telle sensation visuelle des centres nerveux. D’ordinaire, cette sensation a pour antécédents un certain ébranlement des nerfs optiques, un certain rejaillissement de rayons lumineux, enfin la présence d’une tête de mort réelle. […] L’halluciné qui voit à trois pas de lui une tête de mort éprouve en ce moment-là une sensation visuelle interne exactement semblable à celle qu’il éprouverait si ses yeux ouverts recevaient au même moment les rayons lumineux qui partiraient d’une tête de mort réelle. Il n’y a pas devant lui de tête de mort réelle ; il n’y a point de rayons gris et jaunâtres qui en partent ; il n’y a point d’impression faite par ces rayons sur sa rétine ni transmise par ses nerfs optiques aux centres sensitifs. […] Cette action des centres sensitifs, en d’autres termes cette sensation visuelle spontanée, suffit pour évoquer en lui une tête de mort apparente, apparemment située à trois pas de lui, douée en apparence de relief et de solidité, fantôme interne, mais si semblable à un objet externe et réel que le malade pousse un cri d’horreur. — Telle est l’efficacité de la sensation visuelle proprement dite ; elle la possède si bien qu’elle la manifeste même en l’absence de ses antécédents normaux.
S’il s’agit d’un personnage réel, vous l’étudierez dans ce qu’on a écrit sur lui et dans ce qu’il a pu écrire lui-même. […] Si le personnage est imaginaire, vous devrez avant tout l’imaginer, c’est-à-dire vous en former une image individuelle et particulière comme d’un être réel. […] Aussi quand venait le moment pour lui d’entrer en scène, il se présentait à l’auteur avec la netteté d’un personnage réel dont tout un ensemble de faits moraux antérieurs nécessite la conduite et le langage. […] Les sujets historiques, que la tradition offre généralement à traiter dans les compositions de collège, poussent forcément à l’invention romanesque : on ignore trop le détail particulier des événements réels, les ressorts cachés, les causes secrètes, les passions individuelles, les accidents insignifiants, mais gros de conséquences ; et dans la brume vague, dans le recul majestueux, où les hommes de l’histoire apparaissent comme de grands fantômes sans consistance, on n’ose rien soupçonner de médiocre ou d’ordinaire : on ne veut rien que de grand, de surprenant : du sublime et de l’horreur. […] Il faut voir dans Corneille comment, dans les âmes des héros, pour produire les révolutions soudaines des nations, parmi les grands intérêts des États et les raisons de la plus sublime philosophie, peuvent trouver place et prendre rang de causes efficaces les incidents familiers de la vie réelle, les relations sociales, les affections de famille, les situations communes que créent à tous les hommes les croyances et les institutions communes de l’humanité.
De la dédicace et de la préface il résulte que l’auteur a reçu force compliments et cartes de visite pour sa pièce : avant la représentation, c’était le suffrage (je copie textuellement) des hommes les plus éminents dans le monde littéraire, dam le monde politique et dans le monde social ; depuis la représentation et pour contrecarrer les impertinences qu’en ont dites des critiques mal placés, « les juges réels de la pièce, ceux qui vivent parmi les choses et qui les voient, viennent tour à tour, auprès de l’auteur, s’inscrire en témoignage et lui apporter leur formelle adhésion. » Le moyen, maintenant, de refuser cette adhésion formelle et de prétendre à passer pour un juge ! […] Le plus ou moins de vrai et de réel dans le détail, que lui importe ? […] Mais il ne s’agit pas de savoir si Dampré et la duchesse, et chacun des personnages pris un à un, et trait pour trait, peuvent être plus ou moins des copies d’un certain monde réel ; il s’agit de savoir si tout cet ensemble est comique, intéressant, saisissant. […] De cette objection générale sur le peu de vérité scénique, si l’on passait à la vérité réelle, et, pour ainsi dire, biographique des personnages, il y aurait beaucoup à dire.
Celui-là sera le principe propre du réel. […] Pour Descartes, le problème était de relier le réel à l’universel ; pour Bacon, ce sera de relier l’universel au réel. […] La séparation de la matière et de la forme n’est que logique, elle ne saurait être réelle. […] En fait, la science du réel fit peu de progrès tant qu’elle resta placée à ce point de vue. […] En un mot, le mouvement, à lui seul, ne renferme pas le principe d’unité dont il a besoin pour être réel.
Ce n’est pas en présence des objets réels que cette illusion tend à se produire. […] Mais on sait aussi combien cet idéal est opposé aux réelles tendances de l’art dramatique. […] Nous sortirions de la poésie, pour rentrer dans la vie réelle. […] On ne le peut nier : il y a des sentiments imaginaires, ou des images de sentiments, qui psychiquement diffèrent d’un sentiment réel autant que la simple représentation d’un objet diffère de sa réelle vision. […] Elle décolore la vie réelle et en éloigne.
Cependant, quelque réels que soient ces progrès, il est incontestable que les méprises et les confusions passées ne sont pas encore tout entières dissipées. […] Traiter des faits d’un certain ordre comme des choses, ce n’est donc pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel ; c’est observer vis-à-vis d’eux une certaine attitude mentale. […] En même temps qu’on a trouvé notre définition trop étroite, on l’a accusée d’être trop large et de comprendre presque tout le réel. […] Cette similitude vient simplement de ce que les uns et les autres sont des choses réelles. Car tout ce qui est réel a une nature définie qui s’impose, avec laquelle il faut compter et qui, alors même qu’on parvient à la neutraliser, n’est jamais complètement vaincue.
Lois qui concernent les choses réelles. […] Rien ne prouve que notre combinaison mentale ait ou même puisse avoir sa contrepartie dans les combinaisons réelles. […] Dans l’un sont inclus tous les événements réels, dans l’autre tous les corps réels. Si longue que soit une série d’événements réels, par exemple la suite des changements arrivés depuis la formation de notre système solaire, si vaste que soit un groupe de corps réels, par exemple l’assemblage de tous les systèmes stellaires auxquels nos télescopes peuvent atteindre, le réceptacle déborde au-delà ; nous aurions beau accroître la série ou le groupe, il déborderait toujours, et la raison en est qu’il n’a pas de bords. […] Dans l’espacé réel, chaque dimension est influente.
Le raisonnement procure une espèce de vision imaginaire qui remplit les lacunes de la vision réelle. […] Seulement, dans ces cas maladifs, la vision idéale surpasse en intensité la vision réelle. […] Elle refait un autre monde dans la pensée et, par là, nous permet d’abord de comprendre, puis de modifier à notre usage les forces du monde réel. Au lieu d’associer arbitrairement ses représentations, comme dans le rêve et la rêverie, l’imagination peut s’efforcer de reproduire les associations réelles des choses, les lois et les phénomènes réels de l’univers. […] Mais cette infériorité de la représentation par rapport au réel crée aussi une supériorité : elle rend possible le monde des idées, qui n’est pas une pure copie du monde réel, mais un prolongement de la réalité dans la pensée, et où la réalité même prend une direction nouvelle : le monde des idées est ainsi, sous tous les rapports, un monde de forces.
S’il est vrai que le théâtre soit un grossissement et une simplification de la vie, la comédie pourra nous fournir, sur ce point particulier de notre sujet, plus d’instruction que la vie réelle. […] Il nous suffira alors de passer aux caractères opposés pour obtenir la formule abstraite, cette fois générale et complète, des procédés de comédie réels et possibles. […] Ainsi s’explique le vaudeville qui est à la vie réelle ce que le pantin articulé est à l’homme qui marche, une exagération très artificielle d’une certaine raideur naturelle des choses. Le fil qui le relie à la vie réelle est bien fragile. […] La plus générale de ces oppositions serait peut-être celle du réel à l’idéal, de ce qui est à ce qui devrait être.
Car si S est en repos absolu, et tous autres systèmes en mouvement absolu, la théorie de la Relativité impliquera effectivement l’existence de Temps multiples, tous sur le même plan et tous réels. Que si, au contraire, on se place dans l’hypothèse d’Einstein, les Temps multiples subsisteront, mais il n’y en aura jamais qu’un seul de réel, comme nous nous proposons de le démontrer : les autres seront des fictions mathématiques. […] De ceux-là seulement il peut garantir que ce sont des actes réels, des mouvements absolus. […] Les couleurs nous apparaîtraient sans doute différemment si notre œil et notre conscience étaient autrement conformés — il n’y en aurait pas moins, toujours, quelque chose d’inébranlablement réel que la physique continuerait à résoudre en vibrations élémentaires. […] Et elle peut avoir de grands avantages pour le philosophe, qui cherchera par exemple dans quelle mesure les Temps d’Einstein sont des Temps réels, et qui sera obligé pour cela de poster des observateurs en chair et en os, des êtres conscients, en tous les points du système de référence où il y a des « horloges ».
Il faut observer, dans le choix des détails qui exprimeront l’action et les caractères, que tout ce qui est réel et vrai n’est pas à recevoir. […] Pareillement, quand vous faites parler vos personnages dans une narration, ou que vous avez choisi ou reçu la forme du dialogue, il ne s’agit pas de copier aussi exactement que possible l’allure et le ton d’une conversation réelle. […] À peine trois ou quatre points brillants sur un fond monotone et terne ; le reste n’est que monotonie et confusion. » L’écrivain, dans le dialogue qu’il compose, à l’imitation de la conversation réelle, ne garde que ces points brillants et fait abstraction du reste. […] Le problème à résoudre, délicat, s’il en fut, est de choisir dans le dialogue réel les mots expressifs, de les achever au besoin, et de se servir ainsi de la réalité sensible épurée et modifiée sans violence, pour atteindre et manifester le vrai intime et invisible. […] On pourra, selon les matières, se décider pour la forme inductive ou la forme déductive : prouver par l’expérience des faits réels, ou par les conséquences des principes évidents.
Sortir du réel, c’est en même temps sortir du vrai. […] On découvre à nouveau, avec un plaisir infini, le monde réel. […] L’aptitude à inventer n’exclut pas le sens du réel. […] Cette exagération des dimensions est d’une réelle valeur d’art. […] La dimension réelle des figures est médiocre.
Mill, qui n’ignore pas que la plupart des gens courent vite aux conséquences réelles ou présumées d’une doctrine pour la juger, nous propose de les examiner. […] Supposez que je considère l’Esprit divin simplement comme la série des pensées divines prolongée pendant l’éternité, ce serait assurément considérer l’existence de Dieu comme aussi réelle que la mienne ; ce serait faire ce qu’au fond on fait toujours, c’est-à-dire se fonder sur la nature humaine pour en inférer la nature divine. […] « Qu’il y ait quelque chose de réel dans ce lien, dit-il en concluant, réel comme les sensations elles-mêmes, et que ce ne soit pas un simple produit des lois de la pensée, sans rien qui y corresponde, c’est ce que je tiens pour indubitable. […] Comme tel, je reconnais au Moi, — à mon propre esprit, — une réalité différente de cette existence réelle comme possibilité permanente, qui est la seule que je reconnaisse à la matière. » Il serait injuste, après avoir lu ce qui précède, de confondre cette doctrine avec celle de Hume.
Bornons-nous à dire que nous en acceptons le principe . nous croyons que la fausse reconnaissance implique l’existence réelle, dans la conscience, de deux images, dont l’une est la reproduction de l’autre. […] Nous verrous alors en même temps notre existence réelle et son image virtuelle, l’objet d’un côté et le reflet de l’autre. […] C’est un dédoublement plutôt virtuel que réel. […] Nous tenons l’objet réel : que ferions-nous de l’image virtuelle ? […] Elle ne fait plus corps avec la vie réelle.
. — Moi actuel et moi futur ; moi réel et moi idéal. […] Il n’en est pas moins vrai que la nature réalise le mouvement, comme elle réalise la conscience : des deux côtés, c’est une réelle continuité ; seulement, dans la conscience, les positions successives du mobile vivant laissent une trace. […] L’être conscient veut se plaire à lui-même : dès qu’il a le sentiment de son moi réel, il conçoit une sorte de moi idéal qu’il veut réaliser et dont la réalisation lui paraît le bonheur. […] Réelle ou illusoire, l’idée du moi est pour nous nécessaire : elle est le moyen de ne pas être submergés par les vagues désordonnées des impressions qui, du dehors, comme un océan tumultueux, nous enveloppent et nous envahissent. […] Et plus l’être se croira un, simple, indivisible, intangible, plus il s’érigera en atome spirituel, insécable et inviolable, plus il accroîtra sa force réelle, plus il se rapprochera en fait de cet idéal qu’il prend dès à présent pour une réalité.
Il y a donc des faits intérieurs et non sensibles aussi réels que des faits extérieurs et sensibles. […] Elle a un objet réel. […] Le lecteur voit que le pouvoir personnel n’est que la force prédominante d’une idée ; que bien loin d’être une chose distincte et une personne réelle, il n’est que la qualité périssable d’une idée périssable ; que si M. […] Par un raisonnement semblable, vous avez distingué ces facultés des faits, et vous les avez changées en choses réelles, forces actives attachées autour de la substance, invisibles créatrices des faits visibles. […] On découvre une vérité importante, singulière même, en apprenant que les arbres, les maisons, tous les objets sensibles, sont des fantômes de notre cerveau, lesquels correspondent ordinairement à des objets réels.
Mais le présent réel, concret, vécu, celui dont je parle quand je parle de ma perception présente, celui-là occupe nécessairement une durée. […] D’où résulterait que cela seul lui appartient en droit qu’elle possède en fait, et que, dans le domaine de la conscience, tout réel est actuel. […] Réunies, ces deux conditions assurent à chacun des états psychologiques passés une existence réelle, quoique inconsciente. […] Au contraire, plus nous nous détachons de l’action réelle ou possible, plus l’association par contiguïté tend à reproduire purement et simplement les images consécutives de notre vie passée. […] Dans le premier, aucun souvenir ne sera distrait, mais tous les souvenirs seront moins lestés, moins solidement orientés vers le réel, d’où une rupture véritable de l’équilibre mental.
Courbet) est un système de peinture qui consiste à exalter et à outrer un des côtés réels de la nature, je parle de la matière, au détriment d’un autre non moins réel, qui est l’esprit. […] Allégorie réelle, telle est la qualification que le peintre réaliste donne à son œuvre. Allégorie réelle, voilà encore un mot que, sans doute, on n’est pas tenu de comprendre, car M. […] L’ennui qu’il éprouve est trop bien peint pour n’être pas réel. […] Partout enfin, dans la mesure du talent des artistes, l’art aspire à vivre de notre vie réelle, à revêtir nos costumes et nos passions réels, à se mettre, en un mot, à l’unisson des pulsations réelles de notre cœur.
Il est au contraire réel, croyons-nous, avec toute autre manière de philosopher. […] Ici les lois sont intérieures aux faits et relatives aux lignes qu’on a suivies pour découper le réel en faits distincts. […] Or, sur les moments réels de la durée réelle l’intelligence trouve sans doute prise après coup, en reconstituant le nouvel état avec une série de vues prises du dehors sur lui et qui ressemblent autant que possible au déjà connu : en ce sens, l’état contient de l’intellectualité « en puissance », pour ainsi dire. […] Au fond, tout ce qu’il y a de réel, de perçu et même de conçu dans cette absence de l’un des deux ordres, c’est la présence de l’autre. […] De là, comme nous le montrerons dans le prochain chapitre, une philosophie qui méconnaît la fonction et la portée réelles de l’intelligence.
Naît un sens du possible et du réel, à travers lequel, désormais, doit être créée la vie. […] Nous avons le besoin, pour concevoir réelle la vie de l’art, de ce qu’entre elle et nous rien ne se place appartenant à une réalité différente. […] Il est des âmes plus complexes qui veulent avoir la vie de l’art recréée sur un théâtre, d’autres qui, impuissants déjà à concevoir réels des faits surnaturels, cherchent l’illusion de lavis dans les romans d’actions et d’aventures ; leur sens du réel est trop subtil pour reconstituer des prodiges, pas assez encore pour avoir besoin de faits pleinement ordinaires. […] Il enfante les images, toujours réelles et magnifiques, d’âmes harmonieuses : il recrée leurs actes et leurs visions : il éprouve les angoisses et les joies de leurs émotions. […] Une difficulté en résulte à concevoir réelles ces vies qui paraissent, s’effacent, reparaissent.
En d’autres termes, nos moyens de sentir et de connaître ne sont peut-être pas tous les moyens de connaître réels ; la science même met en suspicion la valeur objective de nos sens, et la critique met en suspicion la valeur objective de nos catégories ou formes de pensée. […] La pensée crée de toutes pièces la notion d’absolu en niant ses propres conditions, et en supposant que quelque chose est encore possible ou réel en dehors de ces conditions, en dehors même de toute condition et de toute relation. […] Kant lui-même considérait les figures géométriques comme des synthèses a priori que l’expérience ne peut fournir, mais qui pourtant ne répondent pas, comme le croyait Platon, à des objets réels. — Il est bien vrai, peut-on répondre à Platon et à Kant, que nous construisons par la pensée des figures d’une exactitude parfaite dont l’expérience ne nous montre jamais une complète réalisation, comme une ligne exactement droite ou exactement circulaire ; mais nous n’avons besoin pour cela que de l’abstraction. […] Au fond, toutes ces notions de figures parfaites sont des notions incomplètes, tenant à l’imperfection même de notre vue, qui n’aperçoit pas les réelles sinuosités d’une ligne droite ou d’un cercle, ni les vagues montantes et descendantes de la mer lointaine. […] Là, c’est au sens physique : la force motrice, la somme des forces potentielles et des énergies actuelles ; ici, c’est au sens métaphysique : la force absolue (ce qui est inintelligible), le noumène inconnaissable et cependant connu comme éternellement réel !
Créer, c’est savoir être à la fois subtil comme la pensée et réel comme la vie. […] Ni dans l’art ni dans la vie réelle la beauté n’est une pure question de sensation et de forme. […] Peu à peu l’art prend pour lui le pas sur la vie réelle ; toutes les fois qu’il est ému, il rapporte son émotion à cette fin pratique, l’intérêt de son art ; il ne sent plus pour sentir, mais pour utiliser sa sensation et la traduire. […] Parce que ce ne sont que des fragments détachés du réel qui n’ont rien de symbolique, qui ne sont pas l’expression vivante de quelque idée générale et par là même d’une réalité plus ample. […] Les personnages créés par Shakespeare sont symboliques en même temps que réels ; plus d’un même, comme Hamlet, est surtout symbolique, et Hamlet renferme pourtant encore assez de réalité humaine pour que chacun de nous puisse y retrouver quelque chose de soi.
., ce poëme auquel on ne peut refuser élévation et imagination, réunit en lui toutes les difficultés conjurées de l’idée, de la langue et du rhythme, tous les mélanges de l’individuel et du social, du réel, du mythique et du prophétique ; c’est comme une cuve ardente où bouillonnent, coupés par morceaux, tous les membres d’Éson. […] Du reste, dans cette épopée, la partie d’imagination populaire serait remise à sa place ; elle pourrait se faire jour par endroits, ou circuler dans le tout avec art, mais sans masquer jamais les événements réels et les situations historiques. […] Quinet quelques-unes des théories sur lesquelles il s’est fondé dans la composition de son poëme, avant d’en venir aux beautés réelles et d’un ordre supérieur que j’aurai à signaler en plus d’un point de l’exécution. […] Le désordre des assonances dans l’ode de Malherbe convient au trouble réel de la poésie lyrique ; mais le vers épique doit avoir une tout autre constitution ; il doit pouvoir atteindre à tous les effets du dithyrambe sans se permettre aucun trouble apparent ; il faut qu’il ressemble à ces héros qui ne portent jamais sur leurs visages la marque des combats intérieurs. » La distinction est bien ingénieusement exprimée ; mais il m’est impossible de voir dans l’ode de Malherbe autre chose qu’un ordre majestueux et harmonieux, un concours d’avance réglé de justes consonnances. […] Entre ces trois reflets comme entre trois arcs-en-ciel radieux et pluvieux, entre Charlemagne ou Siegfrid, Bounaberdi et le peuple fait homme, le Napoléon réel, vivant, qu’on a vu, qu’ont connu et admiré ceux de l’Institut d’Égypte, ceux du Conseil d’État et de l’État-major, ce Napoléon-là disparaît trop.
Sur ce pied elle vaut 73 583 livres, dont il faut défalquer un capital de 12 359 livres pour les charges réelles ; elle rapporte net par an 3 140 livres, et vaut net 61 224 livres. […] Le haut, justicier, selon l’acte de notoriété donné au Châtelet, le 29 avril 1702, « connaît de toutes les matières réelles et personnelles, civiles et criminelles, même des actions des nobles et ecclésiastiques, des scellés et inventaires de meubles et effets, des tutelles, curatelles, administration des biens de mineurs, des domaines, droits et revenus usuels de la seigneurie, etc. » 2° Droit de gruerie, édit de 1707. […] 4° Taille personnelle et réelle. […] Différence du revenu réel et du revenu nominal des dignitéset bénéfices ecclésiastiques. […] Voici des faits qui pourront montrer l’écart des chiffres officiels et des chiffres réels : 1° Dans l’Almanach Royal, l’évêché de Troyes est évalué 14 000 livres ; dans la France ecclésiastique de 1788, 50 000.
Fascinants et durs récits, sans cesse le fantastique et le réel mêlés se pénétrent de plausibilité et se saturent d’épouvante. […] Cet homme connaît le réel ; certaines de ses observations, celle par exemple sur la façon dont les femmes boivent le vin, sont aussi précises et oiseuses que certaines constatations détaillées des réalistes français. […] Ici encore le réel exact et complet, bien qu’il ait montré pouvoir exceller à le rendre, ne l’attire pas. […] Par un alliage aussi surprenant que celui, dans son art, du fantastique et du réel, en ses personnages il étudie à la fois, comme un virtuose variant un thème, les développements possibles de certains cas de fièvre spirituelle ; et, en même temps, il devine avec un réalisme génial toutes les forces insconscientes, ataviques et bestiales qui remuent le fond obscur des âmes balbutiantes. […] Ces âmes mêmes seront non pas observées, car les sens seuls apprennent peu de chose en psychologie réelle, mais imaginées, et imaginées à l’image de leur auteur.
Il ne paraît pas avoir remarqué que la durée réelle se compose de moments intérieurs les uns aux autres, et que lorsqu’elle revêt la forme d’un tout homogène, c’est qu’elle s’exprime en espace. […] Il l’éleva donc à la hauteur des noumènes ; et comme il avait confondu la durée avec l’espace, il fit de ce moi réel et libre, qui est en effet étranger à l’espace, un moi également extérieur à la durée, inaccessible par conséquent à notre faculté de connaître. […] Mais au lieu d’en conclure que la durée réelle est hétérogène, ce qui, en éclaircissant cette seconde difficulté, eût appelé son attention sur la première, Kant a mieux aimé placer la liberté en dehors du temps, et élever une barrière infranchissable entre le monde des phénomènes, qu’il livre tout entier à notre entendement, et celui des choses en soi, dont il nous interdit l’entrée. […] Car si, par hasard, les moments de la durée réelle, aperçus par une conscience attentive, se pénétraient au lieu de se juxtaposer, et si ces moments formaient par rapport les uns aux autres une hétérogénéité au sein de laquelle l’idée de détermination nécessaire perdît toute espèce de signification, alors le moi saisi par la conscience serait une cause libre, nous nous connaîtrions absolument nous-mêmes, et d’autre part, précisément parce que cet absolu se mêle sans cesse aux phénomènes et, en s’imprégnant d’eux, les pénètre, ces phénomènes ne seraient pas aussi accessibles qu’on le prétend au raisonnement mathématique. […] Nous verrions que si ces états passés ne peuvent s’exprimer adéquatement par des paroles ni se reconstituer artificiellement par une juxtaposition d’états plus simples, c’est parce qu’ils représentent, dans leur unité dynamique et dans leur multiplicité, toute qualitative, des phases de notre durée réelle et concrète, de la durée hétérogène, de la durée vivante.
Voulez-vous dire simplement que le même objet, non réel dans l’hallucination, est réel dans la perception ? […] Qu’il n’y a rien de réel que le phénomène, que le commencement de toute science est la sensation. […] Dans le système de Hegel, l’extérieur n’est que le symbole de l’intérieur, le réel de l’idéal. […] Tout ce qui est réel est imparfait. […] La métaphysique a un objet réel, la théorie un objet idéal.
Ce qui coulera dans l’intervalle, c’est-à-dire le temps réel, ne compte pas et ne peut pas entrer dans le calcul. […] Mais est-ce le mécanisme des parties artificiellement isolables dans le tout de l’univers, ou celui du tout réel ? […] La durée réelle est celle qui mord sur les choses et qui y laisse l’empreinte de sa dent. […] Nous ne pensons pas le temps réel. […] Nous estimons au contraire que, dans le domaine de la vie, les éléments n’ont pas d’existence réelle et séparée.
» La réalité devient une occasion de poser des problèmes techniques, problèmes d’une action sur la matière, soit matière réelle, soit matière inventée. […] Le réel du discours c’est encore la raison raisonnante et les raisons raisonnées. […] Mais en renversant le point de vue, ce faire peut être dit le seul réel, le corps, le présent, étant du fait. […] Un mouvement qui crée la substance poétique avec l’absence de la substance réelle. […] Le monde des écrivains est à la critique ce que le monde des personnages de la vie réelle est au romancier.
L’idée réelle de Lélia, avons-nous dit, est l’impuissance d’aimer et de croire, la stérilité précoce d’un cœur qui s’est usé dans les déceptions et dans les rêves. […] Comme la donnée première de Lélia est tout à fait réelle et a ses analogues dans la société où nous vivons, j’ai eu peine à ne pas regretter, malgré l’éclat prestigieux de cette forme nouvelle, que l’auteur ne se fût pas renfermé dans les limites du roman vraisemblable. […] Ce mélange de réel et d’impossible, qui était presque inévitable dans un roman-poëme, déconcerte un peu et nuit à la suite de l’émotion. […] L’auteur, nous l’espérons, reviendra au roman de la vie réelle, comme Indiana et Valentinel’ont posé ; mais il y reviendra avec toute la force acquise dans une excursion supérieure.
Ainsi les mancipations (capere manu) se firent d’abord verâ manu, c’est-à-dire, avec une force réelle. […] Cette mancipation réelle n’est autre que l’occupation, source naturelle de tous les domaines. […] Les mœurs devenant moins farouches avec le temps, les violences particulières commençant à être réprimées par les lois judiciaires, enfin la réunion des forces particulières ayant formé la force publique, les premiers peuples, par un effet de l’instinct poétique que leur avait donné la nature, durent imiter cette force réelle par laquelle ils avaient auparavant défendu leurs droits. […] Ces emblèmes propres aux familles étaient, si je puis le dire, des noms réels, antérieurs à l’usage des langues vulgaires.
S’il n’est pas psychologue profond et original, il est du moins observateur attentif des effets réels de la vie morale ; par là il est homme du xviie siècle plutôt que du xviiie . […] Lesage n’est pas de ceux que la vision du réel oppresse. […] Et ainsi, jusque dans la conception morale que semble exprimer la dernière partie du roman, Lesage ne dépasse pas le possible et le réel : on ne saurait dire que Gil Blas soit un idéal ; il arrive à être à peu près la moyenne d’un honnête homme, après avoir été un peu au-dessous. […] Ces deux existences, la dernière surtout, répondent mieux que celle de Gil Blas aux conditions de la vie réelle, et par conséquent à celles du roman réaliste. […] Autour du couple, mettons les convoitises des hommes qui ont de l’argent, la cupidité brutale d’un soldat ivrogne, joueur, escroc, frère de Manon, qui s’en fait l’exploiteur : nous aurons ce roman réel plutôt que réaliste, pathétique sans déclamation, expressif sans dessein pittoresque, et qui, malgré le sujet, malgré les héros, malgré les milieux, reste chaste ; l’auteur n’a eu aucune pensée brutale ou polissonne : il n’a vu que la puissance de la passion qu’il voulait peindre.
Je distingue dans un poëme deux sortes de mérite, qu’on me pardonne cette expression, un mérite réel et un mérite de comparaison. Le mérite réel consiste à plaire et à toucher. […] Les contemporains jugent très-bien du mérite réel d’un ouvrage, mais ils sont sujets à se tromper quand ils jugent de son mérite de comparaison, ou quand ils veulent décider sur le rang qui lui est dû.
Est-ce à dire que nous devions nier, par là même, toute espèce de distinction réelle entre les hommes ? […] Réclamer l’égalité des facultés juridiques, n’est pas proclamer l’égalité des facultés réelles. […] Dès à présent, on peut les reconnaître : elles sont pour nous des idées pratiques, postulant la valeur de l’humanité et celle de l’individualité, — comme telles tenant compte des différences des hommes en même temps que de leurs ressemblances, — leur reconnaissant par suite, non les mêmes facultés réelles, mais les mêmes droits, — et réclamant enfin qu’à leurs actions diverses des sanctions soient distribuées, non uniformes, mais proportionnelles.
Ce qui est vrai d’une quantité réelle, disait Poncelet, doit l’être d’une quantité imaginaire ; ce qui est vrai de l’hyperbole dont les asymptotes sont réelles, doit donc être vrai de l’ellipse dont les asymptotes sont imaginaires. […] disent les philosophes, il reste encore à montrer que l’objet qui répond à cette définition est bien le même que l’intuition vous a fait connaître ; ou bien encore que tel objet réel et concret dont vous croyiez reconnaître immédiatement la conformité avec votre idée intuitive, répond bien à votre définition nouvelle. […] L’expérience seule peut nous apprendre que tel objet réel et concret répond ou ne répond pas à telle définition abstraite. […] Non, notre distinction correspond à quelque chose de réel.
Je sais que les sauvages relèvent à de certains indices les traces des animaux qu’ils poursuivent à la chasse, voici une notion : mais si quelque explorateur cite devant moi quelque fait de ce genre, l’image notion qu’il me transmettra avec les mots du récit sera bien loin d’éveiller dans mon intelligence une image réelle aussi précise et aussi riche que celle qui naîtrait dans l’intelligence d’un sauvage. […] Son cerveau est désormais peuplé d’une quantité d’images-notions dont il est impuissant à vérifier le contenu, qui ne deviendront jamais pour lui des images réelles, et qu’il lui faudra accepter par un acte de foi. […] Si une image réelle emporte avec elle la certitude de son objet, il n’en est pas de même en effet des notions. Celles-ci, par les éléments abstraits qui entrent en leur formation, par la complexité de leur contenu où se confondent — transformées par un apprêt dialectique — des images réelles en nombre souvent considérable, celles-ci sont toujours sujettes à caution.
Elle voltige au-dessus du monde réel, et glisse, sans jamais s’y abattre, sur nos misères et nos passions. […] Ce qui caractérise vraiment la première comédie des Grecs, ce n’est pas l’introduction de personnages réels sur la scène. […] , mais plus réelle dans cette farce vraiment assez gaie que dans aucun des grands drames sérieux du même auteur. […] Hans Sachs, afin que l’idole mystique de je ne sais quel culte superstitieux devienne l’objet réel d’une admiration tempérée ? […] Je sais bien que tous ces gens-là s’appellent Harpagon ; mais Harpagon n’est qu’une abstraction, car un avare réel ne saurait être tous ces gens-là87.
Il est donc donné dans une expérience, réelle ou possible. […] Direz-vous que toute la question est là, et qu’il s’agit précisément de savoir si un certain Être ne se distinguerait pas de tous les autres en ce qu’il serait inaccessible à notre expérience et pourtant aussi réel qu’eux ? […] Il ira chercher l’émotion simple, forme qui voudrait créer sa matière, et se portera avec elle à la rencontre des idées déjà faites, des mots déjà existants, enfin des découpures sociales du réel. […] N’en serait-il pas de même de l’idée de « tout », si l’on prétend désigner par ce mot non seulement l’ensemble du réel, mais encore l’ensemble du possible ? […] Et comment les problèmes relatifs à une âme réelle, à son origine réelle, à sa destinée réelle, pourraient-ils être résolus selon la réalité, ou même posés en termes de réalité, alors qu’on a simplement spéculé sur une conception peut-être vide de l’esprit ou, en mettant les choses au mieux, précisé conventionnellement le sens du mot que la société a inscrit sur une découpure du réel pratiquée pour la commodité de la conversation ?
Albert Brandenburg est un très jeune poète, et son Euphorion a de réelles qualités de lyrisme. […] Anonyme En un temps où, assoupli, préparé par l’admirable usage qu’en ont fait nos derniers grands poètes, le vers français régulier est devenu si facilement beau, il est difficile de juger de la réelle valeur des poèmes de M.
Ce qui fait l’originalité réelle de M. […] Il me semble qu’il est psychologiquement faux de prétendre qu’une poétique, quelle qu’elle soit, fût-elle aussi prodigieusement riche que celle de Victor Hugo, puisse épuiser le Réel. […] Fixer le réel, le devenir, la durée, la vie qui s’écoule. […] La poésie est donc pour moi dans le rythme au sens le plus profond du mot, non pas ce que l’on désigne souvent par ce terme, la cadence des vers, mais dans ce rythme spontané et réel qui est la vie même. […] Ce qui doit sembler surtout désirable, c’est de chercher à établir des concordances évocatrices et de découvrir des rapports réels que nous ignorons encore.
En un temps où on est las de toutes les sensations et où il semble qu’on ait épuisé les manières les plus ordinaires de peindre et d’émouvoir, en un temps où les larges sentiers de la nature et de la vie sont battus, et où les troupeaux d’imitateurs qui se précipitent sur les traces des maîtres ne savent que soulever des flots de poussière suffocante, lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu, dans lequel il nous a appris à discerner des reflets particuliers de la lumière d’ici-bas, des ombres étranges projetées et des rouages subtils, et tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines auxquelles nous étions le plus accoutumés. […] C’est dans ce mélange habile, dans cette mesure discrète de merveilleux et de réel que consiste une grande partie du secret d’Hoffmann pour ébranler et émouvoir ; je l’aime bien mieux et le trouve bien plus original en ces sortes de compositions, dont la Cour d’Artus est le chef-d’œuvre, que dans les égarements capricieux d’un fantastique effréné, et les rêveries incohérentes d’une demi-ivresse. […] Plus d’une fois, au milieu de joyeux compagnons, et autour du punch bleuâtre, il lui est revenu d’amères pensées, des regrets du cloître et de la vie des vieux temps, et comme il l’a dit lui-même, un amour inouï, un désir effréné pour un objet qu’il n’aurait pu définir ; plus d’une fois son cœur a battu d’une émotion douloureuse en voyant à l’horizon des cités germaniques planer ces magnifiques monuments qui racontent comme des langues éloquentes l’éclat, la pieuse persévérance, et la grandeur réelle des âges passés.
En effet, l’idée d’un mouvement est ce mouvement commencé et, par conséquent, l’idée intense et exclusive d’un mouvement entraîne le mouvement réel. […] Il y a ainsi supériorité de la représentation sur le mouvement réel. […] Nous sommes certains de notre existence non comme d’une existence abstraite et générale, mais comme d’une existence réelle qui est présente à tous nos états successifs ; et pourtant, nous ne pouvons nous représenter ce qu’est être. […] Ce qui est vrai, c’est que la notion abstraite et générale d’activité n’exprime point une faculté réelle et distincte de ses actes concrets, une entité métaphysique. Mais ce qui est en question, ce n’est pas l’existence d’une activité comme faculté, c’est l’existence de l’action même, de l’action réelle, de l’agir ; or, c’est cette action dont, nous avons perpétuellement conscience dans tous nos états, quoique nous ne puissions, encore une fois, nous la représenter, c’est-à-dire l’imaginer sous la forme passive d’une sensation affaiblie.
Dans les phases de cette carrière, ce passage successif de cette contemplation passionnée de la vie à ce détachement attristé, à cette fuite dans la simplicité, l’abêtissement, l’humilité grossement affectueuse d’une religion populaire, se marque, il semblera, l’évolution préétablie d’une âme qui contint toujours virtuellement et la compréhension, et l’amour, et la haine du réel. […] Quand ils ont vaincu cette surprise qui les inquiète, c’est l’énigme même de cette âme maîtresse du réel, devine des âmes, égale au vaste domaine du monde moderne chargée d’énergies créatrices, et que n’enthousiasment ni ces dons, ni les objets sur lesquels ils s’exercent, ni le spectacle de leur œuvre, ni le spectacle du réel auquel elle équivaut, ni cette humanité qu’il aime pourtant, dont il ressent les affections, les crises, les deuils et toutes les joies. […] L’homme le plus près d’accomplir cet acte d’adhésion à tout le réel, qui est le principe de tout grand poète et de tout grand penseur, est aujourd’hui le plus loin de cette soumission : il n’a souci que de réformer l’homme et la société, mettant en balance nos innombrables siècles de souffrances, de leçons, de règles lentement acquises, chimériques inspirations dont s’est consolée son âme inquiète. […] Si l’artiste ou le penseur réalistes, exposés à percevoir tout le réel, ne peuvent mettre leur esprit et leur œuvre en correspondance avec cet immuable non moi, ni s’astreindre à reconnaître la juste nécessité des choses et qu’un péril de l’actuel conditionné par tout le passé, conditionne tout le futur, ils sont, entre leur science et leurs désirs, eu un trouble douloureux. […] Il ne pouvait non plus détacher son esprit du réel et se consoler du spectacle du monde par un espoir idéal de félicité hors de temps et l’espace, par le dogme spiritualiste et chrétien de l’immortalité de l’âme et des récompenses futures.
L’utilité réelle ou apparente qu’ils peuvent retirer d’un tel commerce se prévoit assez, et les inconvénients au contraire ne peuvent être connus que par l’usage de ce commerce même. […] Le sage n’oublie point surtout que s’il est un respect extérieur que les talents doivent aux titres, il en est un autre plus réel que les titres doivent aux talents. […] Leur familiarité n’a rien de suspect, parce qu’elle est le fruit de l’estime qu’ils ont pour les talents, et du plaisir réel qu’ils trouvent dans la société des gens de lettres. […] Dans les pays où la presse n’est pas libre, a licence d’insulter les gens de lettres par des satires n’est qu’une preuve du peu de considération réelle qu’on a pour eux, lu plaisir même qu’on prend à les voir insultés. […] Mais ce que les grands ne doivent point oublier quand ils veulent faire du bien aux lettres, c’est que la considération personnelle est la récompense la plus réelle des talents, celle qui met le prix à toutes les autres ou même qui en tient lieu.
D’ailleurs les fautes réelles qui sont dans un tableau comme une figure trop courte, un bras estropié, ou un personnage qui nous présente une grimace au lieu de l’expression naturelle, sont toujours à côté de ses beautez. […] Il n’en est pas de même d’un poëme, ses fautes réelles comme une scene qui sort de la vrai-semblance, ou des sentimens qui ne conviennent point à la situation dans laquelle un personnage est supposé, ne nous dégoutent que de la partie d’un bon poëme où elles se trouvent.
Zola emprunte ces éléments à la vie réelle, et les reproduit tels que sa mémoire et ses sens et les ont perçus et emmagasinés. […] Zola dénature le réel et le grossit. […] Ayant ainsi délaissé le réel pour l’idéal, M. […] Cesser tout à coup de penser les choses réelles, en détacher un caractère extrêmement compréhensible et ne plus concevoir les individus qu’en tant qu’ils participent de cet attribut métaphysique est le fait soit d’une intelligence spéculative et savante, soit parfois d’un styliste émérite, d’un homme au tour d’esprit verbal qui emploie inconsciemment la synthèse que les mots ont faits de nos idées générales. […] Zola à créer de gigantesques abstractions, contrôlé et contrarié par son exacte vision de réaliste, se retourne en un absolu mépris pour les malades, les vicieux, les médiocres, les êtres mixtes et faibles, c’est-à-dire pour toutes choses et pour tous les hommes réels.
Paul de Lilienfeld, dont la formule nous paraît des plus satisfaisantes, « la société humaine est, comme les organismes naturels, un être réel… elle est un prolongement de la nature… elle est simplement une expression plus haute des forces qui servent de base aux phénomènes naturels46 ». […] De même que le sens réel de l’individualisme, scruté depuis les temps historiques, apparaît presque toujours faussé, la notion de solidarité nouvellement découverte et formulée, a été trahie par ceux-là même qui en firent la fortune. […] Je crois que ces conceptions artificielles trouveront de plus en plus difficilement crédit et qu’une plus réelle interprétation des lois de la vie permettra de formuler une solution plus juste de ce débat sans fin. […] Si l’on a pénétré, en le réduisant à son unité réelle, l’apparent dualisme de la vie individuelle, l’application de la solution moniste aux deux faces correspondantes de la vie nationale, étant donnée l’hypothèse organiciste s’ensuit inévitablement. […] Paul de Lilienfeld, La Société humaine comme organisme réel, 1873.
Ce qui revient à dire que, pour l’observateur immobile, le point M où l’on a marqué le zéro définitif est de équation trop près du zéro provisoire, et que, si l’on veut le laisser où il est, on devrait, pour avoir une simultanéité réelle entre les zéros définitifs des deux horloges, reculer de équation le zéro définitif de l’horloge en A. […] Mais il savait déjà que, vu le ralentissement du temps par l’effet du mouvement, chacune de ces secondes apparentes vaut, en secondes réelles, équation . […] Maintenant que S′ s’est détaché de S par l’effet du dédoublement, le personnage intérieur à S′, qui ne se sait pas en mouvement, laisse ses horloges Hₒ′, H₁′, H₂′…, etc., comme elles étaient ; il croit à des simultanéités réelles quand les aiguilles indiquent le même chiffre du cadran. […] De réelle, la simultanéité est devenue nominale. […] Bref, la « fixation du zéro » devra être entendue dans ce qui va suivre comme l’opération réelle ou idéale, effectuée ou simplement pensée, par laquelle auront été marqués respectivement, sur les deux dispositifs, deux points dénotant une première simultanéité.
Or, les esprits qui jugent de la sorte, ont un rôle à jouer dans l’effort commun ; ils ont à exciter ceux qui doutent d’une issue, à tempérer, à ne pas suivre ceux qui voient à chaque pas un labarum ; ils ont à multiplier les points de vue de l’histoire, les documents de l’érudition, les variétés réelles, innombrables, qui déconcertent les unités étroites et factices ; ils ont aussi à rappeler, d’autres fois, le but futur, la grande unité sociale, vague encore, complexe, et inégale toujours, où évidemment le siècle s’achemine. […] Nous notons ceci comme un fait : nous n’adressons aucun reproche ; nous serions tenté plutôt de féliciter, si nous l’osions ; deux ou trois carnavals comme le dernier feront plus, à coup sûr, pour l’émancipation réelle de la femme, que quatre ou cinq religions ex professo. […] Mais la lenteur du préambule, le grand nombre de personnages trop mollement dessinés, et une teinte romanesque à la Montolieu répandue sur l’ensemble, empêchent l’effet d’être vif et réel, bien que la facilité, la grâce et une certaine onction ne manquent pas. […] On aurait tort pourtant : il y a dans Champavert un fonds réel, beaucoup d’esprit, de l’observation mordante, du style ; je renvoie les sceptiques à Passereau qui est un plaisant conte, bien que les soubrettes y sachent le grec et l’art poétique, les cochers de cabriolet l’espagnol, les officiers de carabiniers le moyen âge, bien qu’on y dise la garde bourgeoise au lieu de la garde nationale ; oui, malgré tout cela, Passereau est un joli conte.
Nous supposons les conditions du monde réel tout autres qu’elles ne sont ; nous représentons un libérateur moral brisant sans armes les fers du nègre, améliorant la condition du prolétaire, délivrant les nations opprimées. […] Mais c’est un idéaliste accompli, la matière n’étant pour lui que le signe de l’idée, et le réel l’expression vivante de ce qui ne paraît pas. […] Mais le récit maigre et concis de Marc, qui représente ici évidemment la rédaction primitive, suppose un fait réel, qui plus tard a fourni le thème de développements légendaires. […] Voir surtout le chapitre XVII de saint Jean, exprimant, sinon un discours réel tenu par Jésus, du moins un sentiment qui était très profond chez ses disciples et qui sûrement venait de lui.
Chaque institution doit être examinée dans ses rapports, non point avec un idéal abstrait ou supposé réel, mais avec le peuple qui la possède. […] On verra peut-être ainsi jusqu’à quel point une morale, théorique ou réalisée, correspond aux besoins réels d’un peuple, jusqu’à quel point elle repose sur une fausse conception de l’état social. […] Seulement elle change ses rêves après en avoir tiré quelque plaisir d’imagination et sans doute aussi quelque profit pratique et réel. […] Mais si aucun rêve ne se soumet le réel, il n’en est point qui n’y laisse sa trace, obscure ou brillante. […] Les conflits de l’individu et de la société sont réels.
On seroit d’abord tenté de croire que sa réputation est plutôt l’effet du caprice de l’esprit humain, que celui d’un mérite réel. […] Il est donc à propos de chercher ailleurs que dans le mérite réel de ses Ouvrages, le principe du cours prodigieux qu’ils ont eu.
. — Une substance réelle n’est qu’une série distincte d’événements. — Une force n’est que la propriété pour un de ces événements d’être suivi par un autre de la même série ou d’une autre série. — Idée de la nature. […] Trompés par le langage et par l’habitude, nous admettons qu’il y a là une chose réelle, et, réfléchissant à faux, nous agrandissons à chaque pas notre erreur. — En premier lieu, l’être en question étant un pur néant, nous ne pouvons rien y trouver que le vide ; c’est pourquoi, par une illusion dont nous avons déjà vu des exemples163, nous en faisons une pure essence, inétendue, incorporelle, bref spirituelle164 […] « À un crochet peint sur le mur, dit un philosophe anglais, on ne peut suspendre qu’une chaîne peinte sur le mur. » Laissons là les mots, étudions les événements, seuls réels, leurs conditions, leurs dépendances, et certainement, en reprenant le sentier ouvert par Condillac, rouvert par James Mill et ses successeurs anglais, nous arriverons par degrés à faire une science de choses et de faits. […] Par-delà la région accessible des faits et de leurs lois, ils posent une région inaccessible, celle des substances, choses réelles et dont la science serait certainement très précieuse, mais vers lesquelles nulle recherche ne doit s’égarer, parce que l’expérience atteste la vanité de toute recherche à cet endroit. […] La notion de fait ou événement correspond seule à des choses réelles.
La substance n’est donc pas quelque chose de réel, distinct et différent de ses qualités ; c’est par illusion qu’on se la représente comme une sorte de siège et d’appui sur lequel les qualités viennent se poser. […] De plus, nous le concevons comme n’étant ni un être réel, ni la qualité d’un être réel, ce qui signifie qu’il est une grandeur abstraite ; d’où l’on voit pourquoi il est nécessaire, et pourquoi on ne peut le supposer détruit. […] L’espace est donc l’étendue abstraite séparée du corps, non réelle, purement possible, et portée à l’infini. […] Vous avez employé l’expérience des sens ou de la conscience pour former l’idée d’un objet réel étendu.
Ne se fait-il pas tantôt un devoir, tantôt un jeu de montrer le réel ? […] Est-ce pour cela qu’aucun d’eux n’a borné son effort à la reproduction du réel ? […] Porte-t-il les lettres et les arts vers le réel ou vers l’idéal ? […] Tout ce surnaturel devient en quelque sorte réel pour un peuple très croyant. […] Mais leurs vices sont réels aussi, parce qu’ils ne dépassent pas les forces d’une âme commune.
Tout ce qui est réel est mélangé et imparfait. Toute beauté réelle, quelle qu’elle soit, pâlit devant l’idéal de beauté qu’elle nous révèle. […] Voici deux objets réels, et qui n’ont rien d’abstrait, deux quantités concrètes ; et en voici deux autres. […] On prend donc un élément réel ; mais cet élément, tout réel qu’il est, n’est qu’un élément particulier ; il rend compte d’une multitude de phénomènes de l’histoire, il ne les comprend pas tous. […] Une histoire pareille, en effet, vous met en possession de l’entier développement d’un élément réel et particulier.
Ce n’est plus le lion, ni le loup, ni le goupil, l’animal en soi, résidu incolore de multiples sensations qui se sont compensées et neutralisées en se superposant : c’est Noble, c’est Ysengrin, c’est Renart, des individus, des héros d’épopée, aussi réels, aussi vivants que les Roland et les Guillaume. […] Une seule branche de Renart est provenue directement de ce fonds classique et clérical, qui pourtant n’a pas laissé d’exercer une réelle influence sur la formation de certaines parties du roman. […] Il n’y a rien non plus dans les mœurs réelles de l’aristocratie féodale, dans ses habitudes extérieures, dans ses façons de penser et d’agir, qui ne soit livré à la dérision. […] Il y en eut même certainement qui naquirent en France, et n’ont pu naître que là, utilisant tantôt des aventures réelles, tantôt et surtout des particularités locales de mœurs et de langue. […] Pas une émotion n’altère l’ironique sérénité des conteurs, tandis qu’ils nous défilent cet interminable chapelet de ruses souvent brutales, et même meurtrières : ils n’ont d’applaudissement que pour la force, force du corps ou force de l’esprit : de réelle sympathie, ils n’en ont pour personne.
Quant à moi, j’y saisis l’expression la plus complète, la plus précise et la plus raffinée de cet état spécial a quelques-uns de nos jeunes artistes, que je qualifierais de terreur du réel ou d’onanisme mental. […] L’adolescent vierge est sans réel contact avec le monde extérieur. […] La pureté n’est pas le produit de l’absorption en soi : la réelle pureté jaillit du mélange et de l’étreinte. […] S’il parle de choses pratiques d’importance vulgaire, il saura employer de telles périphrases qu’il vous est impossible, après l’avoir quitté, de répéter un seul mot de son langage, d’une imprécision tellement esthétique, que l’homme le mieux doué ne pourrait en saisir le sens réel. […] L’existence réelle est une symphonie, où l’unité jaillit de la juste combinaison des accords.
Or, les sensations provoquées par une lumière réelle sont à l’origine de beaucoup de nos rêves. […] Pour que nous entendions des sons en rêve, il faut généralement qu’il y ait des bruits réels perçus. […] Ce n’en est pas moins avec de la sensation réelle que nous fabriquons du rêve. […] Nos songes s’élaborent à peu près comme notre vision du monde réel. […] C’est cette espèce d’hallucination, insérée dans un cadre réel, que nous nous donnons quand nous voyons la chose.
La première distinction entre la simple image et la perception réelle est fondée sur la force intrinsèque des représentations. […] Parfois nous ne pouvons nous rappeler où nous avons vu un visage, où nous avons lu une phrase, et cependant nous sentons que ce visage n’est pas nouveau, que cette phrase nous est déjà familière, à un degré aussi faible que possible, mais réel. […] Voilà pourquoi leur différence réelle est en même temps une différence sentie, que je pourrai ensuite dégager et abstraire ; voilà pourquoi aussi je puis me souvenir du plaisir au sein de la douleur. […] C’est ce qui établit entre l’image mnémonique du plaisir et la réalité du plaisir une différence, et cette différence est appréciable pour la conscience par son caractère même de discontinuité, de contraste : elle enveloppe un sentiment de contrariété, parce que le réel résiste à notre désir et ne s’y adapte plus. […] Ribot explique ces cas curieux en disant que le mécanisme de la mémoire « fonctionne à rebours » : on prend l’image vive du souvenir pour la sensation réelle, et la sensation réelle, déjà affaiblie, pour un souvenir.
Tout ce qui s’offre directement aux sens ou à la conscience, tout ce qui est objet d’expérience, soit extérieure soit interne, doit être tenu pour réel tant qu’on n’a pas démontré que c’est une simple apparence. […] Remarquez que la pensée réelle, concrète, vivante, est chose dont les psychologues nous ont fort peu parlé jusqu’ici, parce qu’elle offre malaisément prise à l’observation intérieure. […] En d’autres termes, la pensée est orientée vers l’action ; et, quand elle n’aboutit pas à une action réelle, elle esquisse une ou plusieurs actions virtuelles, simplement possibles. Ces actions réelles ou virtuelles, qui sont la projection diminuée et simplifiée de la pensée dans l’espace et qui en marquent les articulations motrices, sont ce qui en est dessiné dans la substance cérébrale. […] C’est cette mimique réelle ou virtuelle, effectuée ou esquissée, que le mécanisme cérébral doit assurer.
L’explication des faits, réduite alors à ses termes réels, n’est plus désormais que la liaison établie entre les divers phénomènes particuliers et quelques faits généraux dont les progrès de la science tendent de plus en plus à diminuer le nombre. […] Tous les bons esprits répètent, depuis Bacon, qu’il n’y a de connaissances réelles que celles qui reposent sur des faits observés. […] Telle est la destination naturelle des conceptions métaphysiques : elles n’ont pas d’autre utilité réelle. […] Tout ce qu’on en peut dire de réel, quand on l’envisage abstraitement, se réduit à des généralités tellement vagues, qu’elles ne sauraient avoir aucune influence sur le régime intellectuel. […] Personne n’est plus profondément convaincu que moi de l’insuffisance de mes forces intellectuelles, fussent-elles même très supérieures à leur valeur réelle, pour répondre à une tâche aussi vaste et aussi élevée.
La pensée jouit d’une liberté illimitée dans l’abstrait et dans le général, toutes les intempérances, toutes les aventures lui sont permises : dès qu’elle touche au réel, au concret, à la vie, elle reçoit forme et couleur des préjugés impérieux du siècle. […] Nul ne peut dire aujourd’hui ce qui sortira de ce mouvement : il n’y a rien pour ainsi dire dans les doctrines de la nouvelle école, autant qu’on peut les comprendre, qui ne soit un démenti donné au naturalisme, comme à l’Art poétique, à tous les préceptes tendant à l’expression d’un objet réel dans une forme fixe et finie. […] Nous ne regardons pas bien haut ni bien loin : nous sommes plus positivistes que mystiques et métaphysiciens ; nos pensées ne quittent pas la terre, et vont à l’action, aux effets réels, sensibles, et que l’analyse atteint. […] Une littérature, enfin, psychologique et morale, claire, précise, régulière, intéressante, appuyée sur le réel et délassant du réel, joie des esprits légers et nourriture des intelligences actives, voilà ce que réclame le goût français ; et voilà pourquoi il y aura longtemps encore quelque chose de Boileau, et quelque chose d’essentiel, dans toutes les œuvres qui réussiront chez nous.
Inversement, une ivresse réelle peut être dissipée par suggestion. […] Inversement, des sensations réelles peuvent être abolies par la seule idée qu’elles n’existent pas. […] C’est donc bien ici une idée qui s’est réalisée, une forme de rougeur représentée qui est devenue une rougeur réelle. […] On conçoit aussi que, sous une excitation demi-hypnotique, des souvenirs réels surgissent, en forme d’apparition, des profondeurs de la mémoire. […] Cette oscillation du pendule intérieur n’implique point une réelle division de la conscience en deux moi, le moi du sous-sol et le moi du premier étage.
L’œil ne nous donne que la figure, la position et la grandeur apparentes : le toucher seul nous donne la figure, la position et la grandeur réelles. Mais comme les différences dans la réalité sont aussi communément accompagnées de différences dans les apparences, l’esprit induit le réel en se fondant sur l’apparent. […] Pour ma part, je n’en vois aucune et il ne peut y en avoir, si tous deux sont des faits réels.
Je cherche à savoir si Zola a montré un sens du réel plus évident, s’il s’est fait du monde une conception vive, si son œuvre a plus de vertu et d’innocence. […] Zola a le sens du réel. […] J’y ai vu ce que peu de livres laissent transparaître : le souci de l’avenir des races, l’intérêt de leur ordre et de leur force, la passion d’un art plus humain et plus réel, le solennel amour de la vie harmonieuse, la pitié et la charité à toutes les pages.
De ce point de vue, on définirait la conscience de l’être vivant une différence arithmétique entre l’activité virtuelle et l’activité réelle. […] Mais il nous est avant tout nécessaire, pour la manipulation présente, de tenir l’objet réel auquel nous avons affaire, ou les éléments réels en lesquels nous l’avons résolu, pour provisoirement définitifs et de les traiter comme autant d’unités. […] Ce qui est perçu, c’est l’étendue colorée, résistante, divisée selon les lignes que dessinent les contours des corps réels ou de leurs parties réelles élémentaires. […] Elle nous donnera, à défaut d’une analyse réelle de l’objet, une traduction de cet objet en termes d’intelligence. […] Le dédoublement de la conscience tiendrait ainsi à la double forme du réel, et la théorie de la connaissance devrait se suspendre à la métaphysique.
Ce n’est pas un sentiment : c’est un poids réel, une douleur causée par un je ne sais quoi de caché, d’invisible, mais que l’on doit pouvoir arracher de la plaie comme un trait de la blessure… Aussi le remords pour Caïn prend-il la forme d’un œil qui brille au fond des cieux, et qui demeure fixé sur le meurtrier. […] Il faut une réelle puissance aujourd’hui et une admirable conscience artistique pour tenter un drame qui n’a rien de commun avec les drames à la mode, qui n’est ni « populaire » ni « sentimental », et dont l’intérêt a pour mobiles les sentiments les plus nobles et les plus élevés.
Quand j’aurai à peu près épuisé la matière, j’irai au Muséum rêvasser devant les monstres réels, et puis les recherches pour le bon saint Antoine seront finies. » Enfin, M. […] Cet effrayant tableau de la vie qui, après en avoir décrit les duretés réelles, évalue à l’inanité de consolations, tracé avec une impassibilité qui le corobore, par une méthode strictement réaliste où des faits ruinent les illusions, n’est point tout entier aussi rigoureusement hautain. […] Détestant la réalité de toute la haine d’un idéaliste qui se trouve contraint de la voir, il s’est enfui du monde moderne en un monde antique embelli ; et non content de cette évasion vers le splendide, il a sans cesse tendu et parfois réussi à échapper radicalement au réel, en substituant aux individus les types, à un récit de faits particuliers, un récit de faits allégoriques. […] En cette œuvre se reflète toute l’âme de Flaubert, cet esprit contradictoire et déchiré, que le réel sollicitait et repoussait, que la beauté attirait mais qui ne parvint à l’imaginer qu’antique et documentaire, qui sentit la séduction du mystère et fut le plus explicite des stylistes, qui conçut la synthèse du particulier dans le général et cependant disséqua des âmes particulières, écrivit en phrases analytiques et discrètes, et s’abstint de toute généralisation. […] Il lui appartient d’avoir introduit définitivement l’étude du réel et l’érudition dans la littérature, d’avoir écrit les plus beaux livres de prose qui soient en français ; il lui est dû encore d’avoir fait resplendir un certain idéal de beauté énergique et fière, d’avoir produit en la Tentation de saint Antoine le plus beau poème allégorique qui soit après le Faust.
D’Urfé fait pis : il veut du réel, et il épaissit, il alourdit le rêve. […] Ces mots font sourire à propos de l’Astrée : c’était quelque chose pourtant de situer l’action dans un temps, dans un lieu précis, de la lier à des faits vrais comme à un paysage réel. […] Enfin l’esprit castillan s’est offert à nos courtisans dans une idée que dégageaient, non plus les fictions des livres, mais les vies réelles ou légendaires de quelques individus comme Villamerliana : idée de politesse héroïque et de gravité hautaine même dans la facétie. […] Le paganisme est un amas de fictions impossibles à croire, dont les cuistres farcissent leurs cervelles : le vrai, le réel (on ne dit pas le beau), c’est le christianisme. […] Mais pour les faits, on savait bien ce qui était réel : on ne voulait plus de bergers et de druides ; on voulait du réel, de l’historique, ou prétendu tel.
Ses amis savaient de lui mille choses dont nous ne nous doutons qu’à peine aujourd’hui ; ils avaient une impression réelle et vraie de sa personne et de son esprit, au lieu de tous ces types, un peu fantastiques, que chacun de nous s’est formés de lui d’après sa propre imagination. […] Ce point de vue vaudrait la peine d’être développé peut-être ; mais nous rentrons ici plus que jamais dans les types, et l’homme réel doit s’interroger de plus près. […] Que si on s’en tient aux récits contemporains et à ses œuvres mêmes, on arrive à quelque chose de plus suivi et de plus cohérent, à quelqu’un de plus réel. […] Se prévaloir contre la foi de Pascal de certain mode d’argumentation qu’il emploie hardiment et qui impliquerait le scepticisme absolu au défaut de la foi, c’est supposer ce qu’il s’agit précisément de démontrer, c’est oublier combien cette foi faisait peu défaut en lui, combien elle était pour lui chose réelle, pratique, sensible et vivante. […] Certes il eût été sceptique sans sa croyance en Jésus-Christ, et cela vous semble peu de chose, parce que, si nous n’y prenons garde, nous devenons sujets, tous tant que nous sommes, en parlant beaucoup de christianisme, à ne plus bien savoir ce que c’est que Jésus-Christ au sens réel et vivant où il le prenait.
Il efface la brutalité et la polissonnerie, qui sont le fond des mœurs réelles ; il les purifie, il n’en conserve que les apparences de souveraine élégance, l’exquise finesse des manières et du ton ; et c’est à son insu que le monde charmant qu’il nous présente révèle sa nature intime par un indéfinissable parfum de sensualité. […] Dorante se fait passer pour un domestique, et Silvia pour une soubrette ; un homme et une femme se rencontrent, qui ont juré chacun de leur côté de né jamais aimer ; une fée s’éprend d’Arlequin balourd et niais : ces données ne représentent rien, ou pas grand chose, de réel. […] On appelle de ce nom au xviiie siècle la réflexion de l’intelligence sur les émotions, réelles ou possibles, de la sensibilité : c’est moins le sentiment que la conscience et surtout la notion du sentiment. […] Il vise évidemment à nous donner l’illusion de l’action réelle. […] Au lieu des « caractères » abstraits et généraux, il faut, dit-il, montrer des « conditions », c’est-à-dire des caractères encore, mais particularisés, localisés, modifiés par les circonstances de la vie réelle, dont la plus considérable est l’attache professionnelle.
Mais c’est que pour ce brave Sandoz, la psychologie est je ne sais quoi d’absurde, de suranné, de ridicule, de gothique, de tout à fait en dehors du monde réel. […] Et on est tenté parfois de trouver cette étude du réel invisible aussi attachante que celle du visible réel. […] C’est vraiment une tragédie à trois personnages, celui qui s’étale sur la toile vivant d’une vie aussi réelle que les deux autres. […] Dans une histoire à peu près aussi réelle que celle de Peau d’Ane ou de Cendrillon !
Désormais, c’est à la vie réelle, à la vie moderne, qu’il demandera ses inspirations. […] Il cherchait la vérité générale, non l’exception, et, au milieu des fantaisies d’une brillante imagination, son esprit fixait un type réel. […] Je me contenterai de dire que j’avais la plus réelle admiration pour son talent. […] C’était un grand cœur et un réel caractère. […] La nouvelle formule grandissait avec lui : l’observation exacte, la vie réelle mise à la scène, la peinture de notre société, en une langue sobre et correcte.
On se laisse tromper à l’apparence ; on prend pour réel ce qui ne l’est pas, comme dans l’histoire de la dont d’or, et l’on donne la raison de ce qui n’existe pas. […] Taine, et j’ajoute sans perdre un instant de vue la réalité et les faits) à une conception de l’art de plus en plus élevée, partant de plus en plus exacte… Aucune de ces définitions ne détruit la précédente, mais chacune d’elles corrige et précise la précédente, et nous pouvons, en les réunissant toutes et en subordonnant les inférieures aux précédentes, résumer ainsi qu’il suit tout notre travail : L’œuvre d’art a pour but de manifester quelque caractère essentiel ou saillant, partant quelque idée importante, plus clairement et plus complètement que ne font les objets réels. […] Dans les trois arts d’imitation, sculpture, peinture et poésie, ces ensembles correspondent à des objets réels. […] On met dans la conclusion ce qui n’est pas dans le principe ; car cette égalité réelle ne peut être la conséquence logique et nécessaire de l’égalité essentielle de tous les hommes que si celle-ci implique l’égalité de bonté, d’intelligence, de travail, de mérite : ce qui n’est pas.
Nos sens, dit-il, aperçoivent un ciel apparent, un ciel phénoménal ; les astronomes nous décrivent un ciel réel, un ciel nouménal : ces deux ciels ne se ressemblent pas, et cependant on peut conclure de l’un à l’autre. […] L’atomisme épicurien est le vrai et le seul matérialisme rigoureux, parce qu’il se représente les derniers éléments des corps sur le modèle des corps réels : ce sont pour lui comme de petits cailloux insécables qui composent toutes choses. […] Si au contraire on prétend que c’est, non pas l’étendue réelle qui est en Dieu, mais ce qu’il y a d’essentiel, d’intelligible, d’idéal dans l’étendue corporelle, on est amené par la même considération à avancer que c’est non pas l’intelligence elle-même qui est en Dieu, mais ce qu’il y a d’essentiel et d’absolu dans l’intelligence. On arrive ainsi à s’écrier avec Fénelon : « Dieu n’est pas plus esprit que corps ; il est tout ce qu’il y a de réel et d’effectif dans les corps et dans les esprits. » Dieu ainsi entendu n’est plus que l’être, l’être tout court, dit Malebranche, l’être sans rien ajouter, dit Fénelon.
Son entêtement aux prises avec les circonstances eut un piteux résultat : ne pouvant faire que la noblesse eût un pouvoir réel, il se rabattit sur des apparences, des formes vides : il défendit les prérogatives extérieures, les privilèges de vanité, toutes les distinctions qui mettaient une barrière entre les nobles et les bourgeois, entre les nobles d’épée et les robins, entre les pairs et tout le monde. […] Ce qui est pour l’esprit est souvent faux : mais ce qui est pour la sensation est toujours réel. Il y a dans ces Mémoires une abondance, une variété de silhouettes, de croquis, de charges, de portraits en pied, de vastes tableaux, qui font vivre devant nous, comme réels et tangibles, les contemporains du grand roi, ses courtisans, sa famille et lui-même.
L’écrivain, pour ne point donner une impression plus faible que le fait réel, est astreint à la reproduction des circonstances, accidents, qui entourent et déterminent le fait ; il est poussé vers le réalisme extérieur. Et enfin, il lui faut égaler la violence de ses effets à la violence des événements réels. […] André Chénier écrivit au Journal de Paris des articles vigoureux, où l’on voit qu’à ses dons de poète il unissait une réelle puissance oratoire.
Perrichon (1860) ; tantôt derrière les gestes, les attitudes, les propos des plus grotesques bonshommes, on aperçoit nettement les mouvements des pantins réels que la caricature amplifie comme dans Célimare le bien-aimé (1863), et tantôt — ce qui est le mieux — la charge s’amortit, s’affine en un joli tableau de mœurs, comme dans cette soirée sous la lampe, en province, qui fait le premier acte de la Cagnotte (1864). […] Et je n’en veux pour preuve que le jugement porté par l’auteur sur les actes de ses personnages : il s’en faut que nous en estimions comme lui la valeur morale ; l’écart est précisément d’autant plus grand que nous les prenons davantage comme individus réels, astreints aux infirmités, aux incertitudes, aux délicatesses des réelles consciences.
On peut comparer les ensembles réels et voir par quelles parties ils se ressemblent de façon à les classifier suivant leurs ressemblances réelles. […] Il serait illégitime d’étendre à cette analyse intellectuelle d’impressions subjectives les règles de l’analyse réelle d’objets réels. […] Au sens réel tout fait est unique. […] et leurs moyens d’action réels ? […] Par contre elles n’atteignent que des faits superficiels et conventionnels, non les actes réels ou les pensées réelles : dans la langue les mots écrits, non la prononciation réelle, dans la religion les dogmes et les rites officiels, non les croyances réelles de la masse du public ; dans la morale les préceptes avoués, non la conception réelle ; dans les institutions les règles officielles, non la pratique réelle.
Coupez cette attache, l’image passée n’est peut-être pas détruite, mais vous lui enlevez tout moyen d’agir sur le réel, et par conséquent, comme nous le montrerons, de se réaliser. […] Si la propagation de ce mouvement à d’autres centres corticaux avait pour réel effet d’y faire surgir des images, on pourrait soutenir, à la rigueur, que la mémoire n’est qu’une fonction du cerveau. […] Ainsi la théorie se compliquait de plus en plus, sans arriver pourtant à étreindre la complexité du réel. […] Ils ne sont pas plus dépositaires des souvenirs purs, c’est-à-dire des objets virtuels, que les organes des sens ne sont dépositaires des objets réels. […] Mais ces sensations virtuelles elles-mêmes, pour devenir réelles, doivent tendre à faire agir le corps, à lui imprimer les mouvements et attitudes dont elles sont l’antécédent habituel.
Il existe une sorte de douceur sévère et très-profitable pour l’âme à être méconnu : ama nesciri ; c’est le contraire du digito monstrari, et dicier Hic est ; c’est quelque chose d’aussi réel et de plus profond, de moins poétique, de moins oratoire et de plus sage, un sentiment continu, une mesure intérieure et silencieusement présente du poids des circonstances, de la difficulté des choses, de l’aide infidèle des hommes, et de notre propre énergie au sein de tant d’infirmité, une appréciation déterminée, durable, réduite à elle-même, dégagée des échos imaginaires et des lueurs de l’ivresse, et qui nous inculque dans sa monotonie de rares et mémorables pensées. […] Tout dévoués au réel, à l’effectif, au vrai, ils ne sont pas privés pour cela d’une manière de beauté et de bonheur ; beauté nue, rigide, sentencieuse, expressive sans mobilité, assez pareille au front vénérable qui réunit les traits sereins du calme et les traits profonds des souffrances ; bonheur rudement gagné, composé d’élévation et d’abstinence, inviolable à l’opinion, inaccessible aux penchants, porté longtemps comme un fardeau, pratiqué assidûment comme un devoir, et tenant presque en entier dans l’origine à cette âpre et douloureuse circoncision du cœur, dont on reste blessé pour la vie. […] Si l’on cherche la raison de cet oubli bizarre, de cette inadvertance ironique de la renommée, on la trouvera en partie dans le caractère des débuts de M. de Sénancour, dans cette pensée trop continue à celle du xviiie siècle, quand tout poussait à une brusque réaction, dans ce style trop franc, trop réel, d’un pittoresque simple et prématuré, à une époque encore académique de descriptions et de périphrases ; de sorte que, pour le fond comme pour la forme, la mode et lui ne se rencontrèrent jamais ; — on la trouvera dans la censure impériale qui étouffa dès lors sa parole indépendante et suspecte d’idéologie, dans l’absence d’un public jeune, viril, enthousiaste ; ce public était occupé sur les champs de bataille, et, en fait de jeunesse, il n’y avait que les valétudinaires réformés, ou les fils de famille à quatre remplaçants, qui vécussent de régime littéraire. […] Cette rencontre, si elle est réelle, comme on a tout lieu de le penser, dut faire une impression très-forte sur l’âme résolue de l’élève de Jean-Jacques, et l’enfoncer plus que jamais dans ses projets. […] Mais jugeant que la raison et la foi sont chez l’homme inconciliables et sans rapport réel, lisant dans l’histoire que la tradition révélée anathématise le reste, il oppose d’ordinaire une aversion un peu rancuneuse à la foi et à la tradition.
En un livre, tout écrivain se propose de susciter chez ses lecteurs des émotions factices égales, et la plupart du temps supérieures à celles provoquées par de réels incidents. […] Par métier encore, la déformation qu’il s’accoutume à faire subir au réel, le porte à le mépriser, à concevoir d’abstraction en abstraction quelque chose d’idéal, de plus grand et de plus transportant, à vivre dans nue sphère astrale, loin de ce globe en terre, devenu, par comparaison, imparfait et détesté. […] Le mépris des choses réelles ne les détourne pas de chercher à atteindre l’impossible destinée qu’ils ambitionnent dans une société hostile. […] Pour l’artiste, cet homme qui vient de le juger est à la fois une brute abhorrée pour qui la vie réelle a plus d’intérêt que les images qu’il lui en présente, — et un protecteur nécessaire qui applaudit et qui paie. […] Enfin ces athlètes intellectuels jouissent d’assez larges cerveaux, pour que l’idéal n’y trouble point la calme et joyeuse contemplation du spectacle réel.
Le besoin de produire une œuvre n’est pas moins réel chez un artiste que celui de manger chez n’importe quel homme. […] Elle ne prépare pas la satisfaction réelle, elle la remplace, elle se substitue à elle. […] D’autre part il ne serait pas juste de méconnaître dans le développement d’une invention, à côté d’une part réelle de contingence (très réelle au point de vue de la logique et de la finalité, mais non sans doute de la causalité, et compatible par là avec le plus rigoureux déterminisme) une part incontestable de nécessité. […] Quoique cette différence n’ait rien d’absolu et permette les transitions, elle n’est pas moins réelle. […] Cette transformation n’en est pas moins fort réelle.
D’ailleurs, j’ai remarqué que, dès qu’on peignait les choses réelles, celles qu’on voyait, on peignait mieux. […] Donc le réalisme qui fait des monographies fait réel, mais non vrai, et par conséquent est insignifiant et étroit, le vrai étant supérieur au réel. — Amen. […] « Il faut de l’agréable et du réel, mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai. […] Ce dessus réel qui est vrai et qui recouvre un dessous idéal non vrai mais plus vrai, ayant une apparence distincte ; ce dessus réel qui est vrai mais qui est méprisable, étant matériel ; ce dessous idéal qui n’est pas vrai, mais qui doit dominer, effacer ce dessus réel, me semble un sens dessus dessous complet de toute intelligence. […] Et dès qu’elle avait une valeur réelle, précise, tout le monde devait sentir en quoi elle consistait.
J’appelle réel tout ce qui tombe sous l’observation. […] Réel et déterminé sont synonymes. […] Tout ce qui est réel est imparfait. […] A-t-il été trop humain, trop réel, trop nu ? […] Une saine philosophie tient pour sa loi première de recueillir tous les faits réels et de respecter les différences réelles aussi qui les distinguent.
Serait-ce que la vie semble d’autant plus réelle que toutes les illusions disparaissent, comme la cime des rochers se dessine mieux dans l’horizon lorsque les nuages se dissipent ? […] Mais s’il y a quelque abus d’un côté, de l’autre dans Adolphe il y a aussi trop d’impuissance à peindre, à saisir et à fixer le rapport réel des sensations aux sentiments. […] Ce n’est pas que du temps d’Adolphe on ne fût aussi sensualiste, aussi sensible aux choses réelles et palpables, aussi sujet aux choses de la bile et du sang, qu’on peut l’être aujourd’hui ; l’Adolphe véritable, si je me l’imagine bien, ne s’en faisait pas faute. […] C’est une autre question qu’on ne peut s’empêcher de se poser d’abord après avoir lu Fanny, et qui tient surtout à la manière réelle, poignante et saignante, dont toutes choses y sont présentées. — À cette question, les réponses ne sont pas unanimes.
III Cette réalité psychologique que l’on vient de montrer conditionnée par la loi d’un Bovarysme essentielest, ainsi qu’on l’a dit, la source de laquelle s’élèvent toutes les autres formes du réel. […] Si toutefois le fait du mouvement conditionne le réel, il ne saurait le constituer à lui seul.
Quelle différence y a-t-il entre une tête de fantaisie et une tête réelle ? Comment dit-on d’une tête réelle qu’elle est bien dessinée, tandis qu’un des coins de la bouche relève tandis que l’autre tombe, qu’un des yeux est plus petit et plus bas que l’autre, et que toutes les règles conventionnelles du dessin y sont enfreintes dans la position, les longueurs, la forme et la proportion des parties ?
Ainsi se forma, dans l’effroi de ce père farouche, dans l’ennui de cette vie vide, dans l’amitié de cette sœur mal équilibrée, ainsi se forma le Chateaubriand qui séduisit le monde : incapable de choisir une action limitée, mais aspirant à tous les modes de l’action en vue d’obtenir tous les modes de la sensation, fuyant le réel mesquin ou blessant pour s’enchanter de rêves grandioses et doucement amers, évitant surtout d’approfondir, d’analyser, ne demandant à la nature que des apparences où il pût loger ses fantaisies, timide, orgueilleux, mélancolique, éternellement inassouvi et las. […] Le père, sensément, substitua à ces vagues élans un très réel brevet de sous-lieutenant au régiment de Navarre. […] Il acheva sa vie dans une noble attitude, en grand homme désabusé : la fière douceur d’un universel renoncement consolait un peu son lourd ennui ; il lui restait une réelle amie, Mme Récamier, qui réunissait autour de lui, pour lui, dans son appartement de l’Abbaye au Bois, les gens les plus distingués ; il recevait de ce monde choisi par les soins d’une adroite femme le culte discret, lointain, fervent, qui convient aux grandeurs désolées. […] Services, fidélité, présence au jour du danger, absence au jour des récompenses, toute cette réelle noblesse de sa conduite, il ne la donne pas à la légitimité, pour aider au triomphe de la justice, il se la donne à soi-même, pour agrandir sa personnalité. […] De cette intelligence résultait un libéralisme, relatif et limité, mais réel.
Ses théories sont que l’idéal est le réel, que la légende l’emporte sur l’histoire, que le passé est le vrai domaine du poète et du romancier. […] Dans un sujet moderne, l’idéal n’est plus le réel, et cet idéal devient un singulier embarras. Pour obtenir du réel, il faut surtout avoir du réel plein les mains. […] … Cette longue scène, mouvementée, émouvante, pleine de surprises et de péripéties qui se passent dans la pensée et n’en sont que plus réelles (car rien de matériel n’est vrai), est une élégie tragique de la plus grande beauté, écrite d’un style précis dans l’idéal et dans le raffinement, et qui, à elle seule, accueillie comme elle l’a été par mille bravos enthousiastes, eût suffi à établir la réputation d’un écrivain. […] Mendès, qui a traduit les emportements et les désolations de l’enchanteresse légendaire en une langue poétique d’une réelle puissance et d’une richesse d’images infinie.
Chacun de nous représente une société à laquelle il s’adapterait mieux qu’à la société réelle. […] Celle-ci peut-être d’ailleurs inférieure ou supérieure à la société réelle. […] Mais elle ne fait point disparaître le désaccord réel. Elle le cache sous cette double enveloppe du désaccord superficiel qu’elle proclame et de l’accord réel qu’elle suggère volontairement. […] Et l’âme individuelle répondra en invoquant l’hostilité forcée de tous contre chacun, l’isolement réel de chaque moi.
Mais avant tout respectueux de la « morale » et du bon ton, jamais nous n’emploierons notre talent à l’expression réelle de la vie. […] Nous n’admettons pas que l’homme seul existe et que seul il importe, persuadés au contraire qu’il est un simple résultat, et que pour avoir le drame humain réel et complet, il faut le demander à tout ce qui est. »9. […] A part les progrès considérables qu’elle a fait accomplir au langage et la mise en honneur par elle de penseurs et d’artistes réels, l’apport de ce groupe éphémère est plus que médiocre. […] La conception moniste, esquissée par quelques intuitifs de génie, approfondie par des savants de large envergure, est l’une de celles qui nous permettent le plus d’espoir pour une interprétation nouvelle, à la fois plus large et plus réelle de la vie. […] La question est alors de savoir si la soif de vie inassouvie peut valoir en fécondité réelle pour l’artiste, cette même soif assouvie, et si l’esprit qui regarde de l’extérieur vibrer la matière vaut l’être qui la sent intérieurement vibrer en lui-même.
Élevé, par les uns, pour des qualités très réelles et dont quelques-unes furent brillantes, et abaissé, par les autres, pour des vices tout aussi réels et une inconsistance peut-être pire encore, Gustave III attend toujours sa gloire. […] Ainsi, il vendit des biens d’Église, et devint distillateur et marchand d’eau-de-vie dans les proportions d’un monopole immense, pour faire vivre dans leur luxe effréné ceux-là que Léouzon-Leduc appelle hardiment ses mignons… L’un des plus comiques de ces spectacles fut sa coquetterie avec les Francs-Maçons et le prétendant d’Angleterre, qui était grand-maître de l’Ordre, auquel, dans des vues de conquête politique, il voulut succéder ; et surtout ce fut sa réclamation, comme Maçon, de la Livonie, qui avait jadis, comme on sait, appartenu aux Templiers… Extravagant, mais d’une extravagance qui passait comme un coup de vent, il rêva tour à tour qu’il prendrait la Norvège, qu’il confisquerait le Danemark, qu’il entamerait la Russie ; et il intrigua, brouilla, remua, mais stérilement, dans le sens de tous ces rêves, lesquels n’eurent de réel qu’une superbe bataille navale qu’il gagna lui-même en personne, — belle inutilité de plus !
Prise au sens psychologique, l’expression est empreinte d’une réelle signification. […] Simplement énoncée, sans l’indispensable développement qu’elle comporte, cette idée ne put alors être comprise dans sa portée réelle. […] Et, vaincu, il ne tente aucun effort réel pour recouvrer sa liberté : bien plus il se réjouit et s’enorgueillit de sa dépendance. […] Et c’est également ce dernier qui, en fin de compte, recèle le plus de large et réelle beauté. […] Des rêves d’enfant… Rien de réel ni de pratique ne fut vraiment tenté sur ce terrain.
Si maintenant Corneille a souvent besoin de prendre plus que la formule des doctes n’accorde, s’il n’arrive guère à faire coïncider dans le temps et l’espace l’action réelle et la représentation de l’action, tandis que Racine n’a jamais subi la gêne des règles, la raison principale en est que les passions se manifestent tout entières par des impulsions instantanées, tandis que la volonté se reconnaît surtout à la constance des effets, et il n’y a pas de constance sans une certaine durée. […] Mais le jugement d’Horace, mais la cour d’Auguste, et le caractère d’Auguste, et le caractère de Nicomède, et la chronologie d’Héraclius, et ce chimérique Flaminius si dextrement substitué au réel Flamininus pour amener une belle riposte, est-ce de l’histoire tout cela ? […] En son temps surtout, c’était la vérité : il y a une harmonie admirable entre l’invention psychologique de Corneille, et l’histoire réelle des âmes de ce temps-là : même les femmes sont peu féminines ; leur vie intérieure est plus intellectuelle que sentimentale. […] Ce que l’on aime, on l’aime pour la perfection qu’on y voit : d’où, quand cette perfection est réelle, la bonté de l’amour, vertu et non faiblesse. […] Dans sa fin, comme dans sa vie, presque tout ce qu’on raconte est légendaire : il n’y a de réel que son courage et son dévouement en face du danger.Édition : Viollet-le-Duc, 5 vol. in-8, 1820-22. — A consulter : Jarry,Essai sur les œuvres dramatiques de Jean Rotrou, in-8, 1868.
Le réel mérite des poètes parnassiens lui fut moins visible que leurs défauts. […] C’était dans son souverain pouvoir de créer un monde imaginaire que Villiers prenait le droit de mépriser le monde réel. […] Remy de Gourmont, « l’exorciste du Réel et le portier de l’Idéal », Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine furent, pour les jeunes gens de 1885, les initiateurs d’un art nouveau. […] Tels furent donc un certain byzantinisme et un excès de subtilité, les principaux défauts des Poètes qu’on appelait Décadents, défauts plus apparents que réels et plus passagers que durables et que rachetait amplement, un ardent désir de nouveauté, l’espoir d’étendre le domaine de la poésie et de cultiver à l’ombre de la Tour d’Ivoire des fleurs singulières, rares et parfumées. […] Toutes témoignaient d’une réelle vitalité littéraire.
Que ce soit impérieusement que l’on opère cette substitution d’une personne à une autre, par la crainte de châtiments ou de privations, que ce soit par amour, par l’abandon instinctif d’un cire en celui qu’il se préfère, que ce soit enfin, et le plus efficacement, parce que l’un, le héros et l’artiste, est le même que ce peuple qu’il s’agrège, est son type plus parfait et pénètre en lui parce qu’ils sont identiques, — la suggestion, la pénétration d’un homme dans un autre est réelle au même degré. […] L’émotion qu’elle procure ne se traduit pas en actes, immédiatement, et par ce point les sentiments esthétiques se distinguent des sentiments réels violents. […] La mise en jeu fréquente de tout un groupe de sentiments par un spectacle fictif, par des idées irréelles, par des causes qui ne peuvent pousser ces sentiments jusqu’à fade ou à la volition, affaiblit très probablement, par la désuétude de cette transition, la tendance des émotions réelles à se transformer de la sorte ; et les sentiments esthétiques étant dénués, à proprement parler, de souffrance, étant agréables et pouvant être provoqués à volonté quand on a appris à en jouir, on ne désire plus en ressentir d’autres ; le rêve dispense de faction. […] L’esthopsychologie, la science des œuvres d’art considérées comme signes, accompagnée de la synthèse biographique et historique que nous venons d’esquisser, dépeint des hommes réels, des hommes de fortune médiocre ou élevée, ayant vraiment vécu dans un entourage véritable, ayant coudoyé d’autres hommes en chair et en os, étant enfin des créatures humaines, avec, pour parler comme Shylock, des yeux, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections., des passions, tout comme les vivants que l’on rencontre aujourd’hui sous nos yeux. […] Même, en vertu de la substitution qui peut s’opérer entre une émotion réelle et une émotion esthétique, en vertu de l’affaiblissement de force active que cause chez un individu ou un peuple la prévalence des sentiments esthétiques, nous pourrons, par l’analyse, arriver à connaître et l’intensité et la nature de la volonté, dans un ensemble social possédant un art.
Il s’agit plus que jamais en effet d’établir nettement pour quels motifs il y a incompatibilité absolue entre la vie sacerdotale et la vie réelle, à quel titre la prétendue supériorité du prêtre sur l’homme n’est qu’une totale infériorité, pourquoi, en un mot, le prêtre n’a plus de raison d’être. […] Pour exercer sur les hommes une action bienfaisante, il faut être homme soi-même, avant tout ; il faut avoir vécu pour connaître la vie, et mille Sommes de Thomas d’Aquin ne sauraient remplacer une heure d’existence réelle. […] Il faut que nous ayons rendu à la nature et à l’humanité leur valeur réelle, que nous ayons cessé de diviser l’être en deux substances, que nous ayons proclamé à nouveau la loi, tombée en désuétude depuis les Grecs, de l’équilibre vital. Dans notre conception moderne, tout ce qui est sans base réelle ne peut s’élever, tout ce qui s’efforce contre les lois de nature est sans force ; le sur-humain n’est que l’humain à la suprême puissance, le divin n’est que l’« âme » du naturel. […] » Nous pourrions encore mieux servir les intérêts du jeune homme promis à la prêtrise, en répétant ces paroles d’un noble esprit : « Il faut qu’il prenne conscience avec nous du seul dieu réel et méconnu qui a créé à sont image tous les dieux évanouis, du dieu futur, l’Homme.
Mais, si ce sont là les anxiétés réelles de plus d’un personnage universitaire éminent qui craint, comme on dit vulgairement, pour le pot-au-feu, il est impossible qu’à la tribune la question ne s’élève pas au-dessus de toutes ces considérations mesquines. […] Je crois qu’il serait injuste d’imputer le scepticisme réel aux principaux éclectiques de l’école : ils ont sur deux ou trois points des convictions, des principes ; ils ont foi intellectuellement à la liberté humaine et au spiritualisme de l’âme ; mais, à part ces quelques points, le reste est court et le symbole intérieur pourrait sembler bien flottant.
Que faut-il donc faire, devant cet inconnaissable qui est précisément le réel ? […] Non, Renonce à fatiguer le réel de tes songes116. […] On pourrait renverser l’ordre d’affirmation : l’idéal avant le réel. […] » Mais l’idéal infini que l’homme conçoit a-t-il une existence réelle, en dehors de notre esprit ? […] ce n’est pas réel parce que c’est lointain !
La science positive et expérimentale, en donnant à l’homme le sentiment de la vie réelle, peut seule détruire le supernaturalisme. […] L’homme cultivé, dont la vie a un prix réel, en fait trop d’estime pour la jouer au hasard 48. […] C’est là une contradiction réelle, qui, comme d’autres, ne peut se lever qu’en reconnaissant que l’humanité est bien loin de son état normal. […] Les critiques ont raison ; qu’ils soient ou non les plus forts, cela ne les empêche pas d’avoir raison, et, s’ils succombent, cela prouve simplement que l’état actuel de l’humanité est loin d’être celui où la justice et la raison seront les seules forces réelles comme elles sont les seules légitimes. […] On trouverait que ce prix a toujours été estimé sur sa valeur réelle, c’est-à-dire qu’on a beaucoup plus respecté la vie humaine aux époques où elle a réellement le plus de valeur.
— Mais, pour que l’on touche Tristan, ayons un théâtre où soient des acteurs jouant en comédiens le drame réel et réaliste, capables de prononcer les mots selon les valeurs musicales notées, des comédiens déclamant lyriquement ; où chacun, directeurs, musiciens, interprètes, soient persuadés du caractère spécial à l’œuvre représentée ; où le public, libre de faux préjugés, écoute un drame. […] — Le Moi créateur est le moi réel, individuel, non l’Absolu Noumêne du grand poète Kantien. — Non Fichte, mais Platon, identifiant le νοῦς à l’Idée créatrice. […] Si les personnages de ses drames sont des souffrants, c’est qu’il était, aussi, le contemporain affiné de nos pessimisme* ; il a, joyeusement, créé le monde nouveau de l’émotion artistique ; et il a créé l’émotion douloureuse, parce qu’il la trouvait plus réelle, et vivait, la créant, plus joyeux. […] Ceci ne nous empêche nullement de reconnaître que Sigurd a déjà parcouru une brillante carrière, et nous admettons même volontiers que c’est là un ouvrage de réel mérite. […] Wagner expose la Théorie du Rêve ; il compare Shakespeare au Voyeur de Fantômes : mais Beethoven au Somnambule clairvoyant, qui, perçoit, sous les fantômes, le fond réel les produisant.
Alors le discours d’affaires peut devenir une œuvre qui vaut et qui dure, même après que son utilité réelle et directe est épuisée. […] Aux fantaisies historiques d’Hotman sur la royauté élective et la souveraineté des Etats, il opposa la théorie de la monarchie française, héréditaire, absolue, responsable envers Dieu du bonheur public ; avec une nette vue de l’état réel des choses, il vit dans l’Etat la famille agrandie, et dans l’absolutisme royal l’image amplifiée de la puissance paternelle. […] Cet immortel pamphlet n’eut pas d’action réelle : la Ligue était vaincue quand il parut. […] Ce sont d’abord les deux charlatans, espagnol et lorrain, qui débitent le précieux Catholicon : symbole expressif des ambitions qui entretenaient la guerre civile ; puis le pittoresque tohu-bohu de la procession ligueuse, charge plaisante de la réelle procession de 1590, mais en même temps véridique peinture de toutes les mascarades révolutionnaires : enfin les États, et cette fameuse suite de discours où, par un spirituel emploi de procédé satirique, chacun des meneurs vient se déshabiller lui-même devant le public, et livrer le secret de son égoïsme, jusqu’à ce que, dans la bouche de D’Aubray, la voix de la saine et honnête bourgeoisie française, tour à tour indignée, ironique ou piteuse, se fasse entendre.
Findlater conclut que si cette analyse du verbe est correcte, l’affirmation de l’existence ne trouva pas d’expression dans les premières périodes du langage : la copule réelle liant le sujet avec le prédicat était la préposition contenue dans le cas oblique de l’affixe pronominal. […] Les divers cas de croyance peuvent se classer sous trois titres : croyance aux événements ou aux existences réelles ; croyance au témoignage ; croyance à la vérité des propositions. La croyance aux événements ou existences réelles peut avoir pour objet le présent, le passé, le futur. […] Mon idée de Périclès ou d’une personne existante que je n’ai jamais vue, correspond à un objet réel existant ou ayant été existant dans le monde de la sensation : cependant, comme mon idée est dérivée non de l’objet, mais des paroles d’une autre personne, mon idée n’est pas une copie de l’original, mais une copie de la copie d’un autre : c’est une idée d’idée.
Sitôt que l’esprit, en proie à cette prévention, entre en contact avec l’intuition, celle-ci, qui est infaillible et exprime le rapport direct de l’esprit avec le réel, fait apparaître la contradiction ou le désaccord qu’il y a entre l’objet tel qu’il était conçu et l’objet tel qu’il est. […] Celui-ci ne s’en tient pas aux gestes qui imitent l’extériorité du modèle : il exige que des actes réels lui témoignent de son identité avec ce modèle dont il diffère, il entreprend les tâches où celui-ci triomphait. […] En faisant appel à ses propres souvenirs chacun peut se représenter combien est pauvre à cet âge le pouvoir sur l’esprit de la réalité, combien grand, au contraire, le pouvoir de déformation de l’esprit à l’égard du réel. […] En même temps que l’enfant, sous l’empire de l’enthousiasme qu’excitent en lui les images, risque de s’attribuer des pouvoirs qu’il n’a pas, de s’appliquer à des exercices et à des études auxquels il est impropre et de négliger ses aptitudes réelles, l’avidité dont il témoigne à l’égard de la notion, le dispose mieux que quiconque à s’assimiler toute la part de mensonge et d’erreur que comporte la science humaine.
Mais, s’il n’y a pas de supériorité réelle et de tous les moments à montrer, sur place, dans la correspondance d’un auteur qui, comme auteur, a eu sa fortune, il ne faut pas exposer cette fortune à ce qu’on revienne de l’homme à l’auteur et de la correspondance aux livres, pour commencer une réaction à laquelle personne ne pensait ! […] Nous sortons des Œuvres inédites pour entrer dans la Correspondance, qui est le fond réel et sérieux de cette publication, et nous n’avons plus devant nous que le Tocqueville connu, et qui n’est pas couleur de rose, le Montesquieu du xixe siècle pour la vieillesse de Royer-Collard, devenue indulgente ; car c’est un singulier Montesquieu, il faut le reconnaître, qu’un Montesquieu fluide et pâlot, sans épigrammes et sans facettes ! […] Les meilleures lettres qu’on ait de lui ne peuvent valoir, par le détail de l’observation (son seul mérite réel), les livres qu’elles rappellent par leur langage raisonnable, tranquille et d’une pâle élégance, quand il est le mieux réussi.
Selon cette hypothèse le monde réel, tout achevé à l’avance, n’a plus, comme dit encore Schopenhauer, « qu’à entrer tout bonnement dans la tête à travers les sens et les ouvertures de leurs organes ». Le monde « existerait là, dehors, tout réel objectivement et sans notre concours ; puis il arriverait à pénétrer, par une simple impression sur les sens, dans notre tête, où, comme là dehors, il se mettrait à exister une seconde fois ».
L’artiste s’élève sur l’aile du génie jusqu’à la sphère supérieure où les objets réels apparaissent dans leurs types, plus complets et plus beaux. […] Et ne croyez pas que de telles considérations soient de vaines arguties d’école, indifférentes aux destinées réelles de l’art et de la poésie. […] « L’art trop humain, trop réel reste en deçà de son but. […] De là le mélange systématique du bouffon et du sublime, qui en effet se coudoient dans le monde réel. […] Les images des objets réels ne sont pour vous que des moyens : la nature vous fournit la couleur : c’est à vous de conduire la brosse.
Nobles, bourgeois, ou vilains, il n’y a guère de différence entre les classes ; l’égalité intellectuelle est aussi réelle que l’inégalité sociale ; savoir le latin, savoir écrire, savoir lire, sont choses rares, et qui trahissent quelque relation ou caractère clérical. […] Quand les laïcs diront en français ce que disputent les clercs en latin, et quand ils commenceront à se demander pourquoi le réel n’est pas conforme à l’idée, c’en sera fait du moyen âge.
. — Imposer à des camarades des souffrances réelles et de réelles humiliations, les contraindre à de stupides et pénibles corvées, les priver de nourriture et de sommeil, — et y trouver plaisir, tranchons le mot : cela est odieux.
Fini le doux exil au bon réel nouveau ; le chant d’angoisse qui l’a interrompu est seulement plus cruel. […] A l’art furent donnés quelques maîtres admirables, qui créèrent sagement, par les procédés spéciaux de leurs temps et de leurs arts, une réelle vie bienheureuse : Platon, et le Vinci, et Rubens, et Bach, et Racine, et Stendhal, et Franz Hals qui sut comprendre le secret de la sensation. […] Recréer exactement des émotions réelles au moyen d’une langue musicale instituée, ce fut l’objet de Lulli. […] Ils tentèrent recréer des émotions non réelles dans la vie coutumière, impuissantes donc à produire une supérieure vie. […] Schumann fut un inquiet : ses romans, d’une prétentieuse simpletterie, occupent les doigts et les larynx, des pâles jeunes femmes ; mais point davantage en ses œuvres sérieuses il n’a exprimé une émotion réelle.
Il n’y a point de pensées toutes faites dans le cerveau, pas d’images réelles, mais seulement des images virtuelles qui n’attendent qu’une excitation pour passer à l’acte. […] L’idée nous semble précisément le compte rendu qu’on se fait de tel état mental en rapport avec tel objet : pour être une idée réelle et non pas seulement possible, elle implique une aperception à quelque degré, et cette aperception, à son tour, implique toujours un processus appétitif dont elle est la conscience finale. […] En second lieu, l’excitation violente du premier instant manque au souvenir de la douleur, car ce souvenir n’est qu’une excitation produite par une image et non plus par un objet réel : aucune représentation d’un mal de dents ne peut faire vibrer les nerfs dentaires aussi vivement que le mal même. […] Dans une expérience que je viens de faire, j’ai provoqué un réel mal de dents dans une molaire qui y est d’ailleurs sujette. […] Au reste, de même que le souvenir d’un sentiment, comme tel, en est la production réelle, mais incomplète, de même tous les autres souvenirs sont des renouvellements partiels.
On a pu dire que l’art consistait dans l’altération des rapports réels des choses6. […] Il y a une métaphysique du positivisme, et cette métaphysique ne se surajoute pas du dehors à l’édifice de la doctrine, mais on dirait plutôt, il faut même dire qu’elle en sort, si le positivisme, en fait, et par les moyens que nous venons d’indiquer, ne l’a pas tirée d’ailleurs que de la théorie de la « relativité de la connaissance. » Il en a également tiré la théorie de l’« Inconnaissable », et c’est le moment de rappeler les paroles si souvent citées d’Herbert Spencer : « De la nécessité de penser eu relation, il s’ensuit que le relatif est lui-même inconcevable, à moins d’être rapporté à un non relatif réel. Si nous ne postulons pas un non relatif réel, un absolu, le relatif lui-même devient absolu, ce qui est une contradiction. […] S’il n’existait pas un « inconnaissable » dont les corps, solides ou fluides, ne sont que des manifestations phénoménales, appropriées, si l’on veut, ou adaptées à nos sens, nous ne pourrions nous former aucune idée, même conventionnelle, d’un fluide ou d’un solide, et c’est ainsi que, de la « nécessité même de penser en relations », se conclut la nécessité d’un « non relatif réel. » Que pouvons-nous cependant savoir de ce « non relatif » ou connaître de cet Inconnaissable ? […] Mais il est vrai que de très grandes écoles, panai lesquelles on peut citer celle de Michel-Ange en peinture, et chez nous, au théâtre, l’école de Corneille, ont fait d’une altération systématique et convenue des rapports réels des choses le principe de leur esthétique.
D’autre part, leur aptitude à l’éducation et à la discipline, leur perfectibilité réelle n’offre aucun caractère moral, en ce sens qu’en se corrigeant et en se perfectionnant, ils n’obéissent à aucune idée de loi et de devoir. […] Tout au contraire, la notion sous laquelle l’esprit ou le sens commun conçoit toujours nécessairement l’existence de quelque cause ou force productrice qui fait commencer les phénomènes, s’éloigne, s’obscurcit et se dénature de plus en plus par les procédés mêmes qui tendent à dissimuler son titre et sa valeur réelle. […] Malgré tous les efforts de la logique, cette notion réelle de cause ne saurait jamais se confondre avec aucune idée de succession expérimentale ou de liaison quelconque des phénomènes. » Voilà pourquoi Maine de Biran répétait si souvent et avec tant d’énergie que la méthode de Bacon égare et fausse la véritable science de l’homme22. […] Pour arriver à comprendre ces mots dans leur réelle et significative acception, il faut avoir pénétré, avec Maine de Biran, Leibniz et leur école, dans les enseignements de cette expérience intime qu’on nomme la conscience. […] Nous voyons, nous touchons, nous possédons la vérité sur nos facultés et nos capacités, sur la spontanéité réelle de notre volonté, sur le secret mécanisme de notre vie morale, sur la nature même de notre être.
Rigal, les causes réelles qui ont imposé à notre tragédie sa forme originale. […] Dieu n’est qu’un nom commode pour désigner la dissociation du fait et du droit, l’écart entre le rationnel et le réel dans les événements humains. […] Les situations de la vie réelle chassent de la scène l’intrigue accidentée et folle, à l’italienne. Puis l’extravagance déréglée des caricatures se réduit au grossissement grotesque, mais exactement proportionné, des caractères réels. […] Ce dessous, les mémoires, les lettres, les romans nous le découvrent assez ; c’est le siècle de Richelieu, de Lauzun, et de Faublas aussi réel qu’eux.
Il suit de là que le sentiment du vrai et du réel s’altère, qu’on adopte un monde de convention et qu’on ne s’adresse qu’à lui. […] Qu’on ne s’y trompe pas : les douleurs célébrées avec harmonie sont déjà des blessures à peu près cicatrisées, et la part de l’art s’étend bien avant jusque dans les plus réelles effusions d’un cœur qui chante. […] Rêver plus, vouloir au-delà, imaginer une réunion complète de ceux qu’on admire, souhaiter les embrasser d’un seul regard et les entendre sans cesse et à la fois, voilà ce que chaque poëte adolescent a dû croire possible ; mais, du moment que ce n’est là qu’une scène d’Arcadie, un épisode futur des Champs-Elysées, les parodies imparfaites que la société réelle offre en échange ne sont pas dignes qu’on s’y arrête et qu’on sacrifie à leur vanité.
Et ceux qui ont inventé les imaginaires ne se doutaient guère du parti qu’on en tirerait pour l’étude du monde réel ; le nom qu’ils leur ont donné le prouve suffisamment. […] Le troisième exemple va nous montrer comment nous pouvons apercevoir des analogies mathématiques entre des phénomènes qui n’ont physiquement aucun rapport ni apparent, ni réel, de telle sorte que les lois de l’un de ces phénomènes nous aident à deviner celles de l’autre. […] Ces analystes se sont ainsi aventurés dans des régions où règne l’abstraction la plus pure et se sont éloignés autant qu’il est possible du monde réel.
Mais ne cherchons point ici l’analogie que d’autres ont cru trouver : les rapports qui peuvent exister entre les temps où s’établit le christianisme, et les temps où nous vivons, ne sont que des rapports d’apparences grossières : nous aurons plus d’une fois occasion de remarquer les différences réelles et intimes. […] Enfin, l’intervention de la Providence divine a été plus visible que jamais, parce que la raison humaine a marché dans des voies plus visibles que jamais ; et c’est, en dernier résultat, le seul prodige réel qui préside toujours à la naissance des sociétés. […] Oui, j’en suis persuadé, la résistance à la révolution n’a commencé que lorsqu’on a voulu aller au-delà de ce qui était dans les mœurs, dans l’état des lumières, dans nos besoins réels.
. — Le sentiment du réel et le sentiment du sublime. […] Deux barrières tout anglaises ont contenu et dirigé celui-ci : le sentiment du réel, qui est l’esprit positif, et le sentiment du sublime, qui fait l’esprit religieux ; l’un l’a appliqué aux choses réelles, l’autre lui a fourni l’interprétation des choses réelles ; au lieu d’être malade et visionnaire, il s’est trouvé philosophe et historien. IV Il faut lire son histoire de Cromwell pour comprendre jusqu’à quel degré ce sentiment du réel le pénètre, de quelles lumières ce sentiment du réel le munit ; comme il rectifie les dates et les textes, comme il vérifie les traditions et les généalogies ; comme il visite les lieux, examine les arbres, regarde les ruisseaux, sait les cultures, les prix, toute l’économie domestique et rurale, toutes les circonstances politiques et littéraires ; avec quelle minutie, quelle précision et quelle véhémence il reconstruit devant ses yeux et devant nos yeux le tableau extérieur des objets et des affaires, le tableau intérieur des idées et des émotions ! […] Il a besoin de donner aux abstractions un corps et une âme ; il est mal à son aise dans les conceptions pures, et veut toucher un être réel. […] Past and Present, p. 323. « L’Europe demande une aristocratie réelle, un clergé réel, ou bien elle ne peut continuer à exister. »
Rêver ce qui pourrait être devient un jeu enfantin, quand on peut peindre ce qui est ; et, je le dis encore, le réel ne saurait être ni vulgaire ni honteux, car c’est le réel qui a fait le monde. […] Nous sommes emportés malgré nous vers la passion du vrai et du réel. […] Nous sommes partis de l’idée que le théâtre ne doit avoir rien de commun avec la vie réelle. […] Mais je m’adresse à lui, parce qu’il a une réelle puissance sur le public. […] Pour obtenir du réel, il faut avoir surtout du réel plein les mains.
Dans ce chef-d’œuvre, une ironie amère, une vertueuse indignation, les plus hautes qualités de poésie, ressortent du cadre étroit et des circonstances les plus minutieusement décrites de la vie réelle. […] Il ne croyait point, par exemple, qu’on pût, dans une même élégie, débuter dans le ton de Regnier, monter par degrés, passer par nuances à l’accent de la douleur plaintive ou de la méditation amère, pour se reprendre ensuite à la vie réelle et aux choses d’alentour. […] — puis, revenu à terre et rentré dans la vie réelle, qu’il eût buriné en traits d’une empreinte ineffaçable ces grands qui l’écrasaient et croyaient l’honorer de leurs insolentes faveurs ; et, cela fait, l’heure de sortir arrivée, qu’il eût fini par son coup d’œil d’espoir vers l’avenir, et son forsan et hæc olim ? […] Pourtant, et sans vouloir ériger notre opinion en précepte, il nous semble que comme en ce bas monde, même pour les rêveries les plus idéales, les plus fraîches et les plus dorées, toujours le point de départ est sur terre, comme, quoi qu’on fasse et où qu’on aille, la vie réelle est toujours là, avec ses entraves et ses misères, qui nous enveloppe, nous importune, nous excite à mieux, nous ramène à elle, ou nous refoule ailleurs, il est bon de ne pas l’omettre tout à fait, et de lui donner quelque trace en nos œuvres comme elle a trace en nos âmes.
Ces derniers sont réels en ce que les sensations qu’ils nous font éprouver nous apparaissent comme unies entre elles par je ne sais quel ciment indestructible et non par un hasard d’un jour. De même la science nous révèle entre les phénomènes d’autres liens plus ténus mais non moins solides ; ce sont des fils si déliés qu’ils sont restés longtemps inaperçus mais dès qu’on les a remarqués, il n’y a plus moyen de ne pas les voir ; ils ne sont donc pas moins réels que ceux qui donnent leur réalité aux objets extérieurs ; peu importe qu’ils soient plus récemment connus puisque les uns ne doivent pas périr avant les autres. […] J’emploie ici le mot réel comme synonyme d’objectif ; je me conforme ainsi à l’usage commun ; j’ai peut-être tort, nos rêves sont réels, mais ils ne sont pas objectifs.
Sans doute les impatientes investigations de l’observateur, les chiffres qu’accumule l’astronome, les longues énumérations du naturaliste ne sont guère propres à réveiller le sentiment du beau : le beau n’est pas dans l’analyse ; mais le beau réel, celui qui ne repose pas sur les fictions de la fantaisie humaine, est caché dans les résultats de l’analyse. […] Et pourtant on était libre alors de créer des merveilles ; on taillait en pleine étoffe, si j’ose le dire ; l’observation ne venait pas gêner la fantaisie ; mais c’était à la méthode expérimentale, que plusieurs se plaisent à représenter comme étroite et sans idéal, qu’il était réservé de nous révéler non pas cet infini métaphysique dont l’idée est la base même de la raison de l’homme, mais cet infini réel, que jamais il n’atteint dans les plus hardies excursions de sa fantaisie. […] Il est trop clair d’abord que la seule conscience d’avoir reculé devant la saine méthode et le sentiment permanent d’une objection non réelle jetteraient sur toute la vie ultérieure un scepticisme plus désolant que la négation même. […] Oui, je verrais toutes les vérités qui constituent ce qu’on appelle la religion naturelle, Dieu personnel, providence, prière, anthropomorphisme, immortalité personnelle, etc., je verrais toutes ces vérités, sans lesquelles il n’y a pas de vie heureuse, s’abîmer sous le légitime effort de l’examen critique, que je battrais des mains sur leur ruine, bien assuré que le système réel des choses, que je puis encore ignorer, mais vers lequel cette négation est un acheminement, dépasse de l’infini les pauvres imaginations sans lesquelles nous ne concevions pas la beauté de l’univers.
Toute classification qui n’est point fondée sur des rapports réels, peut contenir beaucoup de vérités ; elle est utile au début d’une science, mais elle ne peut être que provisoire. […] Nous avons bien pour nos poids et mesures un étalon indépendant auquel on peut les comparer ; pour régler nos montres nous avons nos observations astronomiques, et c’est l’Observatoire de Greenwich qui est notre régulateur ; mais, en morale, il n’y a pas de critérium réel de cette espèce. […] il faut répondre : « Les lois promulguées de la société existante, lesquelles dérivent d’un homme qui fut investi en son temps de l’autorité d’un législateur moral. » A l’appui de cette doctrine, on peut invoquer le mode de promulgation des lois morales : elles sont imposées par un pouvoir réel, par un individu dont la puissance est quelquefois dictatoriale. […] Il croit d’ailleurs que les dissentiments sont plus apparents que réels et conclut la discussion en ces termes : « Il a semblé que j’ai donné une classification aussi concordante avec celle de M.
Mais celle que je vous recommande est tout autre chose : elle est formée d’un sens très-vif du réel, qui n’est pas simple, et du possible, qui est limité, et de l’habitude de considérer les aspects divers et contraires des questions ; elle est le produit naturel de l’esprit critique. […] Ce lien, elle l’a si profondément senti, que ce sentiment l’a faite capable d’actions héroïques ; que, par là, elle a révélé ce lien à beaucoup d’hommes de son siècle et l’a rendu plus réel qu’il n’était auparavant.
Une imprudente et légèrement ridicule idolâtrie a faussé, noyé, affadi les traits réels de sa physionomie. […] Molière use de même du temps : le temps est réel dans le Misanthrope ; Alceste est pris en un état de crise qui ne doit pas durer, et une journée de la vie mondaine peut suffire aux affaires de la comédie. Mais dans Don Juan, le temps est de convention, au moins pour certaines scènes : afin d’en avoir l’équivalent réel, il faut diluer la brièveté rapide de l’action dans un temps plus long. […] Tout cela est fantaisie : il n’y a de réel que la ressemblance des individus au type. […] Il engage ses caractères dans leurs relations réelles ; et il les étudie dans leur milieu, modifiés par lui et le modifiant.
Il y faudrait des situations vraies et des caractères vrais, réels même, se groupant autour d’un type destiné à résumer le sentiment ou l’idée principale du livre. […] Ce ne sont des personnages ni complètement réels, ni complètement allégoriques. […] Mais on se tromperait fort en croyant qu’elle observât médiocrement la vie réelle et qu’elle ne s’en inspirât que rarement. […] Il importe peu que ce soit un chapitre de psychologie intime, où les personnages réels du drame de sa vie peuvent se reconnaître eux-mêmes sous des noms nouveaux. […] Quelle singulière manie, dès qu’on écrit, de vouloir être un autre homme que l’être réel, d’être celui qui doit disparaître, celui qui s’annihile, celui qui n’est pas !
Si du monde idéal il passe au monde réel, il y déroule d’intarissables parodies de l’humanité. […] L’ode vit de l’idéal, l’épopée du grandiose, le drame du réel. […] La poésie née du christianisme, la poésie de notre temps est donc le drame ; le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création. […] Les deux types, ainsi isolés et livrés à eux-mêmes, s’en iront chacun de leur côté, laissant entre eux le réel, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. […] Cela est faux. — Il n’y a aucune raison pour qu’il n’exige pas ensuite qu’on substitue le soleil à cette rampe, des arbres réels, des maisons réelles à ces menteuses coulisses.
Les simples prennent la chose au sérieux, à peu près comme si ces pantins étaient des personnes réelles ; les habiles s’en amusent, lors même qu’ils verraient un peu le fil ; car, après tout, ils savent fort bien qu’il y en a un. […] Docteurs noirs et scolastiques, soigneux seulement de votre Incarnation et de votre Présence réelle, le temps est venu où l’on n’adorera le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem, mais en esprit et en vérité 205. […] Supposé même que, nous autres philosophes, nous préférassions un autre mot, raison par exemple, outre que ces mots sont trop abstraits et n’expriment pas assez la réelle existence, il y aurait un immense inconvénient à nous couper ainsi toutes les sources poétiques du passé et à nous séparer par notre langage des simples qui adorent si bien à leur manière. […] Quel charme de voir dans des chaumières ou dans des maisons vulgaires, où tout semble écrasé sous la préoccupation de l’utile, des images ne représentant rien de réel, des saints, des anges ! […] J’imagine qu’un dialogue de Platon nous représente réellement une conversation d’Athènes, bien différent des compositions analogues de Cicéron, de Lucien et de tant d’autres, qui ne prennent le dialogue que comme une forme factice pour revêtir leurs idées, sans aspirer à rendre aucune scène de la vie réelle.
Faire mouvoir des personnages réels dans un milieu réel, donner au lecteur un lambeau de la vie humaine, tout le roman naturaliste est là. […] C’est là un premier cas, un manque partiel du sens du réel. […] Mais, heureusement, Balzac avait en outre le sens du réel, et le sens du réel le plus développé que l’on ait encore vu. […] C’est le monde réel et c’est même davantage, c’est le monde réel vécu par un écrivain d’une originalité exquise et intense à la fois. […] Rien ne remplace le sens du réel et l’expression personnelle.
A force de vouloir tout ramener à la relativité, on oublie les termes réels de toute relation, on intellectualise toute chose ou, ce qui revient au même, on ramène tout au mécanique en même temps qu’au logique. Des changements, des mouvements, des relations mécaniques ou intellectuelles ne suffiront jamais à expliquer le réel et le concret de la douleur, l’aiguillon poignant de la souffrance. […] Le point d’indifférence, nous l’avons vu, n’est qu’un moment idéal de transition, une limite commune entre le plaisir et la douleur, limite où il est impossible de se tenir, comme il est impossible à un cône réel de réaliser son équilibre idéal sur la pointe ; en un mot, l’indifférence est une neutralisation approximative de qualités en elles-mêmes agréables ou pénibles ; elle est un état dérivé et une composition d’états non indifférents. […] Si, en tant qu’états de conscience, ils n’étaient que des épiphénomènes et des aspects-surajoutés, on ne comprendrait pas leur développement, qui en fait de véritables fonctions de protection et de progrès, et qui suppose que, par leur nature mentale, non pas seulement physique, ils sont des facteurs réels de révolution.
L’éclat de nos armes rajeuni ; la bonne foi de nos négociations attestée par nos juges les plus prévenus ; la France replacée, parmi les autres nations, au rang qui lui appartient ; le trône à jamais raffermi sur un sol qu’aucune secousse n’ébranlera plus ; et le crédit public s’élevant à un degré de prospérité inouï parmi nous : voilà des faits réels, constants, irrécusables, qui ont ouvert bien des yeux et changé bien des cœurs. […] Si toute idée réelle, vraie ou fausse, doit pouvoir être exprimée clairement, et comprise par la bonne foi intelligente, ne serait-on pas autorisé à soupçonner qu’une prétendue doctrine, qui échappe à l’analyse et se refuse à la définition, est quelque chose de fantastique, dont l’apparence déçoit ceux qui l’attaquent, comme ceux qui la défendent ? […] Mais ils ne veulent pas d’un idéal qui n’ait aucun fondement réel, d’un vague qui ne soit qu’un pur néant, et d’un mystérieux sous lequel il n’y ait rien de caché. […] Le romantisme n’est donc rien comme système de composition littéraire ; ou plutôt le romantisme n’existe pas, n’a pas une vie réelle.
Ces trois endroits, d’une effrayante vigueur, accusent dans l’écrivain de vingt-cinq ans75 une observation désespérément profonde ; malgré la crudité de l’exposition, les aveux y sont si réels et si sérieux que je n’y blâmerai pas le cynisme, comme en d’autres passages où l’auteur ne l’a pas évité. […] C’est la différence, dans une même image, de la poésie lyrique au roman réel. […] Au fond il est bien clair aujourd’hui que cette Confession n’est que le récit, un peu voilé et dépaysé, du roman réel qui a fourni depuis le sujet de ces autres romans, à peine voilés et déguisés, Elle et Lui par George Sand, Lui et Elle par M.
Le siècle présent n’apparaît jamais qu’à travers un nuage de poussière soulevé par le tumulte de la vie réelle ; on a peine à distinguer dans ce tourbillon les formes belles et pures de l’idéal. […] On ne peut nier que le christianisme, en présentant la vie actuelle comme indifférente et détournant par conséquent les hommes de songer à l’améliorer, n’ait fait un tort réel à l’humanité. […] Le Moyen Âge, qui assurément entendait moins bien que nous la vie réelle, comprenait mieux à quelques égards la vie suprasensible.
Quoique le caractère poétique soit moins marqué dans ce dernier roman, il y a eu de la part de l’auteur une grande habileté à fondre les éléments réels qui font la matière de son récit, avec les circonstances romanesques qui composent ou achèvent la physionomie de ses personnages. […] L’auteur a choisi dans deux histoires réelles ; il a combiné, transposé, interverti à certains égards les situations et les rôles, mais pour mieux traduire les sentiments.
Une définition nominale est simple, presque inutile, mais une définition réelle n’est pas possible, parce que la chose n’existe pas. […] On constaterait, en, second lieu, que, au même titre que l’économie politique ou la psychologie, l’histoire et la critique sont des sciences, posant les faits et cherchant les lois des manifestations réelles ou fictives de l’activité des hommes.
L’absence de toute spontanéité dans l’inspiration, de toute émotion réelle, en est la preuve irrécusable. […] La représentation de l’homme réel, la peinture de la vie sociale, ne sont pas même entrevues. […] Je ne connais pas de drame d’un intérêt plus réel et plus poignant que la Dame aux camélias. […] Je voudrais bien savoir si les espaces réels sont moins vastes que les espaces imaginaires. […] Maxime Du Camp a su faire vibrer avec une réelle puissance les cordes les plus émues de l’âme humaine.
Son Napoléon est beau en son genre, mais simplifié comme un mécanisme construit de main d’homme, où tout le mouvement est produit par un seul rouage central : ce n’est là ni la complexité de la vie réelle ni celle du grand art. […] Dans la vie réelle, le hasard amène des événements : une situation est constituée, aux caractères de la dénouer ; ainsi doit-il en être dans le roman. […] Le héros romantique, égaré en pleine fantaisie, retombe sur terre de tout le poids des faits observés : il se précise, il cherche à personnifier l’homme réel, non plus le rêve du poète dans une heure d’enthousiasme. […] Bien autrement difficile serait d’accorder à nombre de héros réalistes la valeur de types de l’homme réel. […] Après avoir promis de nous peindre la vie réelle, nos réalistes ne nous peignent presque que des monstruosités, c’est-à-dire, en somme, des exceptions.
L’inspiration divine correspondait chez Homère à fait psychique réel ; chez les imitateurs, elle n’est plus qu’une figure poétique ; Virgile, assurément, n’a pas connu par lui-même ces élans sauvages de l’âme vers une action irréfléchie. […] n’est-ce pas aussi parce qu’elle ne correspond plus à rien de réel chez les esprits auxquels s’adresse l’éloquence contemporaine ? […] On ne peut en dire autant des apartés ; presque toujours nécessaires à la clarté du drame, souvent comiques, rarement vraisemblables, ils sont, à tout le moins, beaucoup plus fréquents sur la scène que dans la vie réelle ; leur usage, sinon leur essence, en fait une véritable machine dramatique, une convention. […] Cet éclat fait retourner quelques têtes, mais n’éveille aucun sourire ; l’homme passionné n’est pas ridicule224 ; c’est qu’à la différence de l’imaginaire il vit dans un monde réel. […] Egger ne veut pas citer cette parole comme parole intérieure morale à proprement parler, parce qu’elle surgit dans une voix réelle d’enfant — même si ce chant est un peu insolite — qui prend pour Augustin une signification providentielle à cause de ses réflexions du moment (XII, 28 : « Je jetais des cris pitoyables : ‘Dans combien de temps ?
Chacun de nous a en effet le sentiment immédiat, réel ou illusoire, de sa libre spontanéité, sans que l’idée d’inertie entre pour quoi que ce soit dans cette représentation. […] À en juger par les propriétés de plus en plus nombreuses dont il a fallu l’enrichir, nous serions assez porté à voir dans l’atome, non pas une chose réelle, mais le résidu matérialisé des explications mécaniques. […] Comme nous n’avons point coutume de nous observer directement nous-mêmes, mais que nous nous apercevons à travers des formes empruntées au monde extérieur, nous finissons par croire que la durée réelle, la durée vécue par la conscience, est la même que cette durée qui glisse sur les atomes inertes sans y rien changer. […] Même, ces inclinations opposées ont seules une existence réelle, et X et Y sont deux symboles par lesquels je représente, à leurs points d’arrivée pour ainsi dire, deux tendances différentes de ma personne à des moments successifs de la durée. […] Et ce qui facilite sans doute cette identification, c’est que, dans une multitude de cas, nous avons le droit d’opérer sur la durée réelle comme sur le temps astronomique.
Le savant Mauryfeuilletait un livre dans sa mémoire et le lisait avec autant de certitude qu’un livre réel. […] La réalité n’a aucun sens ; tout détail est inutile, qui n’est que réel. […] Comme on l’a déjà dit, il n’est pas nécessaire qu’un vers ait douze syllabes réelles, il faut qu’il paraisse les avoir. […] Ce pot orfévré s’orne de pavots trop réels ; mais comment styliser le pavot ? […] Matérielle, réelle.
Fénelon, presque seul, trop séductible par l’imagination et par le cœur, popularisa dans son Télémaque ces idées impraticables de Platon et de Morus ; il fit innocemment beaucoup de mal en ôtant aux Français le sentiment du réel en politique, et en les jetant dans les vagues rêveries de l’impraticabilité. […] Un hasard de société le lance de plein saut dans le cercle le plus aristocratique de Paris, au milieu de femmes de cour et d’hommes de lettres ; il s’y fait remarquer par sa figure, par quelques poésies récitées dans ces salons avec un succès d’étrangeté plus que de talent, et par son goût réel et inspiré pour la musique. […] L’ordre réel eût été, sans doute, que le secrétaire domestique se substituât orgueilleusement dans son rang et dans ses fonctions à l’ambassadeur, et que Rousseau mangeât à la table des rois, tandis que les officiers de l’ambassadeur dîneraient humblement à l’hôtel de l’ambassade de France ? […] Il s’éloigna d’elle, et se réfugia en plein hiver dans une autre maisonnette de Montmorency, où il vécut dans une volontaire indigence, indigence toutefois plus ostentatoire que réelle. […] J’étais bien jeune quand j’écrivis ce vers, devenu proverbe : Le réel est étroit, le possible est immense !
Constitue-t-elle un principe réel de différenciation et jusqu’à quel point ? […] Draghicesco admis, le lecteur ne peut plus affirmer qu’il y a une différence réelle entre le cantonnier et Renan. […] Ces deux aspects de l’intelligence sont réels. […] Plus l’idéal de culture qu’ils ont conçu est haut, plus l’écart est grand entre cet idéal et l’humanité réelle. […] « Il faut considérer les changements brusques qui ne comportent pas de prévisions réelles et contre lesquels nous ne possédons aucune garantie scientifique.
Donc, si nous vivions dans un temps moins soucieux des chronologies et plus amoureux du rêve, — dans un temps tel que le temps où les historiens unissaient à la mort de Lucrèce la naissance de Virgile, — cette vraie légende eût pu être dite, et les hommes, plus tard, sous la différence, apparente et fausse, des années, auraient vu la coïncidence, seule réelle, des jours : Richard Wagner naissant en l’heure même où mourait Victor Hugo, en cette date authentique, deux fois glorieuse, du vingt-deux mai. […] Deux peintures sont ; l’une, immédiate, la peinture dite réaliste, donnant l’image exacte des choses, vues par la vision spéciale du peintre ; l’autre, médiate, comme une Poésie de la peinture, insoucieuse des formes réelles, combinant les contours et les nuances en pure fantaisie, produisant aux âmes, non la vision directe des choses, mais — conséquence de séculaires associations entre les images et les sentiments, — un monde d’émotion vivante et bienheureuse : deux peintures sont, toutes deux également légitimes et sacrées, formes diverses d’un Réalisme supérieur, et que le Wagnériste trouve, toutes deux, sur la voie tracée à l’Art par le Maître vénéré. […] Fantin-Latour nous a consolé de cette misère : celui-là, d’abord, est un Wagnériste conscient, connaît, admire, célèbre le Maître, mais il a, surtout, cette extrême gloire, que seul, aujourd’hui, il a, résolument compris la double tâche possible au peintre : il a, dans ses grands tableaux, dont chacun montre une victoire nouvelle, reproduit, plus exactement que tous et plus entièrement, la vie objective, réelle, totale des formes : et il a, en d’adorables dessins, écrit le poème de l’émotion plastique, communiquant aux âmes des émotions étrangement douces et tièdes, par une combinaison fantaisiste des lignes et des teintes. […] Et, auprès de cette adorable fantaisie, quelle œuvre superbe de vie réelle et puissante : l’Hommage au Musicien ! […] Réelle et vivante est la chambre, réels, vivants, ces hommes, sans qu’un trait de leurs visages ait été modifié ; et, cependant, telle est la psychologique vision du Maître, que tous ces hommes, diversement, avec d’inégales expressions, témoignent l’émotion intime que leur a donnée, à tous, l’extraordinaire musique entendue.
L’extension concrète et réelle se fait percevoir par action du dehors et réaction motrice du dedans : elle a un caractère originairement sensitif, divers selon les divers sens ; ce n’est que par une série de raisonnements qu’on en extrait le cadre infini et homogène de l’espace. […] L’intensité est la révélation subjective de cette force qui se manifeste par la motion et fait le réel du mouvement ; sans l’intensité, le mouvement ne serait plus qu’un changement abstrait de relations abstraites dans l’espace abstrait et le temps abstrait. […] Nous croyons que la notion de coexistence nous est fournie immédiatement par la réelle simultanéité en nous de sensations distinctes, surtout celles du sens de la vie. […] Actuellement, grâce à une longue évolution, nous avons devant l’esprit une grande « carte » de l’espace, comme dit Taine, avec toutes sortes de points de repère ; — cette carte a pris un caractère objectif, tout comme serait une carte réelle en papier, ou encore une bibliothèque à rayons divers et à casiers distincts. […] Le philosophe seul arrive à vider presque entièrement son cerveau de l’espace pour n’y laisser que le temps, à se demander si le monde ne serait pas simplement une coexistence de séries successives pour chaque être sentant, sans espace réel ni réelle étendue, soumises seulement aux lois du nombre et de la logique, du dynamisme et du déterminisme.
Il n’y a rien de réel ni de profondément fouillé dans ces êtres qui sont concentrés chacun dans une seule manifestation spirituelle, aussi monotonement répétée et outrée que les tics physiques, les grimaces et les manières de parler qui la manifestent. […] Dans les livres antérieurs, les tableaux sont plus nettement poussés au grotesque ou au noir et, de la sorte, certains intérieurs poudreux et obscurs où le fantastique se mêle facilement au réel, la maison sinistre et taciturne d’un vieil usurier dans Nicolas Nickleby, le sombre et sordide bureau d’Antoine Chuzzlewitt, saillent avec une étrange vigueur. […] Dans ses descriptions, dans ses personnages, dans ses scènes, l’effort à imiter la nature, à imaginer vrai, à se rappeler de précises observations, est évident ; il est contenu par certaines incapacités natives, par des préjugés acquis, mais le romancier anglais n’en possède pas moins une marque qui le distingue nettement de tous les artistes idéalistes, dans ses préférences pour ces laideurs, ces vulgarités, ces irrégularités du réel, que ceux-ci s’empressent d’effacer, par le travail de sélection qui les caractérise. […] Il doit faire vrai ; la moitié de son mérite — et chez Daumier cela touche au génie — consiste dans la justesse de l’observation, l’exactitude de la silhouette, la précision de la satire, la vie surprise par le dessin sommaire, de façon que le spectateur ne puisse douter un instant qu’on lui montre un être réel, observé dans son aspect, analysé dans son caractère. […] De même que notre conduite réelle résulte silencieusement de la vie même et nous est tracée, sans que nous le sachions, en dépit de nos convictions et de nos professions de foi, par tout ce dont nous sommes inéluctablement circonvenus, la morale des œuvres d’art doit être sous-entendue et évidente, découler, inexprimée et pourtant persuasive, des spectacles même qu’elle nous présente.
Émile Zola s’attachait à démontrer que Gautier ne fut jamais qu’un rhéteur prodigieusement habile, et dont l’œuvre ne renferme ni une pensée ni même un sentiment réels. […] N’était-ce pas, à huis clos, sans souci de l’opinion publique, une sorte de pendant réel à sa fiction de la Charogne ? […] En dehors des Goncourt, aucune création littéraire réelle et durable, aucun grand monument de la pensée humaine ne paraît avoir jamais pu sortir d’une de ces genèses multiples. […] « Les deux types (le tragique et le comique) isolés et livrés à eux-mêmes, s’en iront chacun de leur côté, laissant entre eux le réel, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. […] partout, sans cesse, avec une extraordinaire finesse des sens, il le saisit et le retrouve dans les moindres manifestations de la vie réelle ; il en subit, d’une manière continue, l’influence stérilisante.
Il n’y a pas de contradiction réelle là où ne se trouve aucun point de contact. […] D’autre part, le sens exact du réel n’est pas souvent uni aux grands pouvoirs de l’imagination. […] La seconde, la réelle, n’atteint pas le vif de cet être, arraché à lui-même par la chimère. […] L’action mène l’homme au réel, et le réel finit par le forcer à sentir vraiment. […] Le secret résidait dans cette incapacité de plus en plus grande à saisir un objet réel.
Leur froideur comme leur familiarité, leurs attentions comme leurs inattentions, sont des offenses, et sous ces millions de coups d’épingle, réels ou imaginaires, la poche au fiel s’emplit. […] Le sang bouillonne à la seule idée qu’il fut possible de consacrer légalement à la fin du dix-huitième siècle les abominables fruits de l’abominable féodalité… La caste des nobles est véritablement un peuple à part, mais un faux peuple qui, ne pouvant, faute d’organes utiles, exister par lui-même, s’attache à une nation réelle, comme ces tumeurs végétales qui ne peuvent vivre que de la sève des plantes qu’elles fatiguent et dessèchent. » — Ils sucent tout, il n’y a rien que pour eux. « Toutes les branches du pouvoir exécutif sont tombées dans la caste qui fournit (déjà) l’église, la robe et l’épée. […] Affranchi du despotisme réel, le Tiers s’indigne contre le despotisme possible, et il croirait être esclave s’il consentait à rester sujet. […] Jamais les hommes n’ont perdu à ce point le sens des choses réelles. […] J’y fis ce jour-là même une attention particulière, et, sur le pilastre, je vis pour ornement un bouclier, suspendu à une chaîne mince que le sculpteur avait attachée à un petit mufle de lion, comme on voit à des marteaux de porte ou à des robinets de fontaine ». — Sensations perverties, conceptions délirantes, ce seraient là pour un médecin des symptômes d’aliénation mentale ; et nous ne sommes encore qu’aux premiers mois de 1789 Dans des têtes si excitables et tellement surexcitées, la magie souveraine des mots va créer des fantômes, les uns hideux, l’aristocrate et le tyran, les autres adorables, l’ami du peuple et le patriote incorruptible, figures démesurées et forgées par le rêve, mais qui prendront la place des figures réelles et que l’halluciné va combler de ses hommages ou poursuivre de ses fureurs.
Telles, les pensées qui me revinrent, lorsque j’eus lu l’effarant poème en prose d’Akedysseril, — une histoire simple, très humaine et philosophique, une œuvre de Réel Rêve comme Tristan, — et qu’il faut, ici, saluer, œuvre Wagnérienne, — non que l’auteur ait songé, l’écrivant, un rapport aux poèmes de Wagner, — mais parce que, suivant, consciemment ou inconsciemment, la voie ouverte par notre Maître, — le comte de Villiers de l’Isle-Adam, en cette éblouissante merveille, nous a donné les émotions d’apparitions et de musiques mystiquement idéales, et vraies, par lui vécues. […] ni cette scène, quelque part (l’erreur connexe, décor stable et acteur réel, du Théâtre manquant de la Musique) : est-ce qu’un fait spirituel, l’épanouissement de symboles ou leur préparation, nécessite un lieu, pour s’y développer, autre que le fictif foyer de vision dardé par le regard d’une foule ! […] Mais un vieux conseiller « secret et réel », de je ne sais plus quoi, me montra les visages célèbres : la comtesse de Schleinitz, Ernest Dohm, le spirituel rédacteur du Kladderadatsch, avec ses deux ravissantes filles, Tappert, Davidsohn, à côté duquel je me trouvai assis au théâtre, et Paul Lindau lui-même, avec sa moustache blonde, son teint rose et son chapeau à larges bords sur ses petits cheveux frisés : toutes figures que j’ai retrouvées et reconnues, après six ans, à Bayreuth. […] Et ce Livre, où sa double pensée, pleinement, était signifiée, le Livre, ce tout puissant suggestif de l’Idée, ce Livre qui contenait son Œuvre de Poésie et de Théologie, — Wagner le lisait, l’impérieux créateur, et, seul, dans le calme silence de son rêve, parcourant des yeux les pages multiples, et des yeux suivant les Signes, — la lettre, la note et le trait, — il voyait et il entendait, manifestement suggérés par les Signes, vivre en lui, en le merveilleux et suprême théâtre de son Imagination, le drame réel et symbolique. — Peut être, quelques uns, lisant, lisant les partitions d’orchestre, peuvent voir et entendre le Drame musical, ainsi que, tous, nous voyons et entendons, le lisant seulement, le drame littéraire, ainsi que, tous, par la seule lecture, nous suscitons, en notre esprit, les tableaux que le roman décrit ; or, ces quelques uns aussi, lisant, jouiront dans le Livre, sans obstacle et sans divertissement, des splendeurs, magiquement évoquées, du Théâtre Wagnérien idéal ; et, pure vision non troublée par les étrangères matérialités, impudentes ou hypocrites, des salles théâtrales, — en la complète vérité d’un monde imaginatif, le Sens Religieux leur apparaîtra… Le Livre serait le lieu de Représentation, au Drame métaphysique et naturaliste. […] Dans la salle vaguement aperçue, tout à coup l’obscurité tombe, et un grand silence ; alors, en la nuit des yeux et des oreilles et de l’esprit, en la nuit vibrante des quinze cents âmes stupéfiées, un son naît, une résonnance voilée, une sonorité atténuée, emmêlée, dispersée, un mystique résonnement, — inlocalisable, — une intimement chaude mélodie, qui monte, qui s’enfle, et qui dans l’air invisible flotte, portant la pré-sensation des futurs tressaillements du Drame. — Ainsi le Drame se lève : — un rideau s’entrouvre, et, dans le fond, — saillant d’un cadre lointain, noir, obscur, vague, et indistinct, — un paysage apparaît, que nous attendions, et les hommes y sont, dont la vie, en nous inconsciemment vécue déjà, se va en nous revivre évidemment ; — tandis que, parmi l’angoisse des vivantes passions, des désespoirs, des joies, et des extases qui se poussent et s’appellent, parmi l’inéluctable empoignement des très réelles émotions, peu à peu nous descend, insensiblement et nécessairement, l’Explication, l’Idée, la Loi, le prodigieux troublement de l’Unité dernière, comprise.
La signification réelle et idéale du Trésor des Nibelungs y est traitée à fond ; ensuite, dans un chapitre intitulé « Transformation du contenu idéal de la légende du Trésor des Nibelungs en la légende du Saint Gral », Wagner montre la connexité des deux. […] En 1864, Wagner dit : « l’œuvre de l’art le plus élevé doit se mettre à la place de la vie réelle, elle doit dissoudre cette Réalité dans une illusion, grâce à laquelle ce soit la Réalité elle-même qui ne nous apparaisse plus que comme une illusion … La nullité du monde ! […] Et en 1882, dans l’article daté de Venise, 1er novembre, et consacré au souvenir des représentations de Parsifal qui venaient d’avoir lieu, il écrit : « Oublier dans la contemplation de l’œuvre d’art — rêvée mais vraie — le monde réel du mensonge, c’est la récompense pour la douloureuse véracité qui nous a forcés de reconnaître que ce monde n’est que misère » (X, 395). — Nulle part, dans ce poème de Parsifal, nous ne touchons au monde réel. […] Parsifal, c’est nos désirs, nos vouloirs, nos regrets, nos vouloirs éteints, l’homme réel : et, par le tout divin langage des musiques (à notre faiblesse facilité par le symbole des gestes et des mots), c’est, vécue, la vie qu’il faut vivre, — expliquée, l’explication, — une formule inventée au très vieil idéal. » 32.
Oui, nous avons éprouvé un orgueil réel à voir nos artistes faire pareille figure en cette mémorable soirée, à les voir entrer ainsi de plain-pied dans l’art nouveau ! […] Mais les retards qu’il a subis avant d’être joué en France, les coupures grotesques qu’on lui inflige, les sottes critiques dont il a été longtemps l’objet, démontrent une fois de plus que la cause wagnérienne est intimement liée aux intérêts des musiciens français, car cette cause est celle de la bonne musique, de la poésie expressive, du drame réel ; en un mot, de l’art sincère et vrai. […] A Bayreuth, c’est forcément le contraire qui a lieu ; les personnages, souvent nu-pieds, conservent leur taille naturelle, mais ils nous paraissent vus à une distance plus grande que la distance réelle, et, comme nous les voyons dans leurs dimensions vraies, ils nous semblent plus grands qu’ils ne devraient être. […] Alors, les beautés se succèdent, selon la plus étonnante des progressions : le rêve d’Elsa, l’appel du héraut, deux fois répété dans un mortel silence de l’orchestre et des chœurs, l’invocation fervente de la vierge par tous abandonnée, l’apparition de la nacelle sur les méandres lointains du fleuve, la stupeur, l’allégresse de la foule, traduites en un double ensemble choral d’une animation prodigieusement réelle ; puis l’adieu au cygne, l’interdiction faite à Elsa par Lohengrin, l’ouverture du champ clos, le combat, la victoire. […] Ce n’est pas sans une réelle émotion que nous saluons ici ces jours de Lohengrin, souhaités à tant de reprises, attendus pendant de si nombreuses années.
Cette différence très réelle, et tout à l’avantage de l’Établissement de Henri VIII, entre le protestantisme anglican et les autres protestantismes, est, pour tous ceux qui écrivent l’histoire à la lumière des principes, la raison de la tendance vague qui devait un jour se condenser et jaillir du fond troublé de la société religieuse en Angleterre. […] Le Dr Pusey affirmait la présence réelle ; il disait que les éléments consacrés par le prêtre deviennent réellement le corps et le sang de Jésus-Christ. […] L’Église anglicane a pour principe et pour coutume de permettre la contradiction sur la présence réelle, attendu qu’elle veut, dans un but très politique, il est vrai, mais peu religieux, réunir dans la même communion et ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas6. […] Ils commencent de pratiquer la confession, les jeûnes, les retraites spirituelles ; ils croient en la présence réelle ; ils prient pour les morts, fêtent les saints, ont repris l’usage du signe de la croix, parent l’autel, prêchent en surplis, impriment des bréviaires et ont essayé d’établir des couvents ecclésiastiques7. » Voilà les conquêtes successives que la vérité a été obligée de recommencer sur cette terre évangélisée par le moine Augustin et si longtemps chère au Saint-Siège ; voilà ce qu’elle a repris, pièce par pièce, à l’erreur ! Qu’y a-t-il donc entre l’anglo-catholicisme et le catholicisme réel ?
Un caractère noble, une compréhension profonde du réel, voilà les réceptacles de la muse. […] Sans cesse il revient sur ce sujet, si bien qu’en son esprit l’art finit par s’identifier à la vie, par aspirer tout le réel. […] II. — Le réel et la façon de l’atteindre. — L’intuition et la connaissance lyrique. […] Il a hâte de classer ses idées selon les commodités de l’action et fausse ainsi le réel. […] Cette mentalité, délibérément idéaliste, requiert une poésie plus souple et plus réelle.
Car voilà le mysticisme réel : c’est le rêve de l’infini , — et je crois utile de le rappeler puisque des écrivains de rare valeur l’ont oublié, M. […] Le présent est pour lui un moment de raison et, s’il prenait une réelle consistance, je crois que nous le partagerions entre le souvenir des jours révolus et l’attente de ceux qui ne sont pas encore, entre la crainte ou l’espérance et le regret en pleurs ou souriant. […] Quant au poème dramatique, il apparaît, ici, comme un triomphateur en qui éclate la notion réelle du présent. […] C’est là, certes, un progrès bien réel et qui entraîne des conséquences de sécurité sans lesquelles la désirable fleur de certitude ne saurait trouver l’atmosphère propice à son éclosion. […] Les universités, enlisées dans d’immémoriales traditions, continuent, par la seule impulsion de la force acquise, à enseigner la jeunesse selon des doctrines et des programmes bâtards et dans un but de sanction immédiate qui bannit fatalement des jeunes esprits le sens réel de la vérité.
Aussi, nous qui regrettons personnellement, et regretterons jusqu’au bout, comme y ayant le plus gagné à cet âge de notre meilleure jeunesse, les commencements lyriques où un groupe uni de poëtes se fit jour dans le siècle étonné, — pour nous, qui de l’illusion exagérée de ces orages littéraires, à défaut d’orages plus dévorants, emportions alors au fond du cœur quelque impression presque grandiose et solennelle, comme le jeune Riouffe de sa nuit passée avec les Girondins (car les sentiments réels que l’âme recueille sont moins en raison des choses elles-mêmes qu’en proportion de l’enthousiasme qu’elle y a semé) ; nous donc, qui avons eu surtout à souffrir de l’isolement qui s’est fait en poésie, nous reconnaissons volontiers combien l’entière diffusion d’aujourd’hui est plus favorable au développement ultérieur de chacun, et combien, à certains égards, cette sorte d’anarchie assez pacifique, qui a succédé au groupe militant, exprime avec plus de vérité l’état poétique de l’époque. […] Du moment en effet qu’il s’agissait de fonder, non pas une poésie dans le xixe siècle, mais la poésie du xixe siècle lui-même ; du moment qu’on s’était mis en marche, non pour jeter quelque part une colonie furtive, mais pour faire une révolution réelle dans l’art, la pensée dramatique avait toute raison de prévaloir ; l’épreuve décisive était et elle est encore dans cette arène ; quiconque ne l’y met pas désespère plus ou moins de cette aimantation poétique du siècle en masse, qui a été le rêve des avant-dernières années. […] C’est dans la vie réelle, à travers les passions et les épreuves, que ce cœur de femme, sans autre maître que la voix secrète et la douleur, a dès l’abord modulé ses sanglots. […] Nous qui avons succédé à ce goût, qui en avons d’abord senti les défauts et avons réagi contre, nous commençons à discerner les nôtres ; à force de prétention au vrai et au réel, un certain factice aussi nous a gagnés ; quel effet produiront bientôt nos couleurs, nos rimes, nos images, nos étoffes habituelles ?
Je me suis tellement surveillé, que je ne pense pas m’être écarté de ma ligne naturelle ; mais la seconde fois, si je ne me fusse imposé pendant quinze jours un silence presque absolu, il y aurait eu quelques moments de chaleur où je me serais donné des torts réels et ineffaçables. […] Oui, elle alla à Robespierre diminuée en nombre et en étendue, mais accrue en intensité et portée jusqu’au fanatisme, ce qui la rendit plus réelle et plus redoutable. […] On demeure pourtant dans un réel embarras lorsqu’on entend Barnave, dans la défense qu’il prononça devant le Tribunal révolutionnaire, s’exprimer en ces termes : « J’atteste, sur ma tête, que jamais, absolument jamais, je n’ai eu avec le Château la plus légère correspondance ; que jamais, absolument jamais, je n’ai mis les pieds au Château. » Voilà qui est formel. […] Combien d’esprit dans les individus, combien de courage dans la masse ; mais combien peu de caractère réel, de force calme, et surtout de véritable vertu !
Tout étranger à la littérature active et militante que soit toujours resté M. de Lamartine, quelque réelles et profondes que paissent déjà paraître aujourd’hui les différences qui le séparent des générations poétiques plus jeunes et plus aventureuses, il ne demeure pas moins incontestable qu’il est avec M. de Chateaubriand, et le second par la renommée et par l’âge, à la tête de cette révolution dans l’art qui s’est ouverte avec le siècle. […] Il convient aux hommes qui ont crédit et valeur dans la Compagnie de mettre fin une fois pour toutes à ces sottes prétentions, et de ne pas laisser interrompre cette série de choix graves et glorieux, qui d’abord donnent du lustre à l’Académie, et qui bientôt pourront lui assurer sur notre littérature une influence réelle, active et salutaire.