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1282. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

Faits spécialement pour le quart d’heure, que deviennent-ils, le quart d’heure passé ? […] La griffe n’est point en lui, mais des facultés, rondes comme des pattes : le bon sens, mais qui ne devient jamais le grand sens ; la justesse du coup d’œil, qui voit bien ce qu’elle voit, mais qui n’en voit pas long… Esprit honnête, qui a beaucoup mangé, m’a-t-on dit, à la mangeoire du Correspondant. […] Seulement, de cette hauteur, ce livre, si petit par lui-même, devient imperceptible.

1283. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

Quoique ardente d’amitié, elle sent jusque sur le cœur de ses amis cette misère… Elle pèse sur eux ; ils pèsent sur elle… Et sa gaieté mêlée à cette tristesse devient plus triste que la tristesse la plus désolée. […] … « Je me sens devenir bête », s’écrie-t-elle dans les lettres de la fin de sa vie. […] Diderot devenait la coqueluche des impératrices ; elle avoue, elle, qu’elle n’eut jamais d’atomes crochus pour ce Diderot !

1284. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Alors, on ne savait pas qu’elle pût devenir jamais une Religieuse et une Sainte. […] Mademoiselle de Condé ne donna que Dieu pour rival à l’homme qu’elle aimait, mais elle emporta son amour pour cet homme jusque dans le sein de Dieu même… Sa vie, quand elle prit le parti héroïque de ne plus voir l’homme trop aimé qu’elle ne pouvait pas épouser, devint aussi héroïque que le parti qu’elle avait pris. […] Je n’ai à parler que de la sainte de cœur humain que fut cette délicieuse Condé, avant d’être la majestueuse Sainte qu’elle devint devant Dieu et devant l’Église.

1285. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Le geste humain est devenu plus qu’humain, et tout a pris des proportions telles qu’il y a moins loin des contes de Perrault à Shakespeare que de Shakespeare lui-même au plus petit des douze petits prophètes, et des plus épiques personnages de l’Histoire à ces géants des premiers âges du monde, auxquels, dans le nôtre, un peintre à leur taille et de leur taille doit toujours manquer ! […] Ici la difficulté de ne pas se répéter soi-même devient énorme, et s’ajoute à toutes celles qui font de l’interprétation de la Bible intégrale un travail en disproportion avec la force de l’homme. […] Et ceci devient évident quand Doré arrive au Nouveau Testament, bien moins varié que l’Ancien au point de vue dramatique, bien moins fécond en effets extérieurs.

1286. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Auguste Vacquerie  »

On ne peut jamais dire de lui qu’il soit devenu un tempéré, un sobre, un vrai, un naïf ; mais, dans les Premières années de Paris, il est certainement moins fou, moins échevelé et moins charlatanesque en son échevèlement et sa folie que dans Les Contemplations. […] tandis que Vacquerie, dans le cas de ce livre, ne resterait pas l’éponge qui aurait bu Hugo, mais serait devenu Hugo lui-même ! […] — d’avoir obtenu du bon Dieu des poètes la grâce de devenir, le temps d’un livre, Victor Hugo en ses vieux jours.

1287. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Ronsard »

C’est Ronsard, le paterfamilias du Romantisme moderne, qui a été l’homme de l’avenir, devenu le présent à cette heure. […] La langue, grandie et devenue forte comme les petits de la lice, se retourna férocement contre sa poésie et lui prit sa place au soleil, jusqu’au moment impatienté, que j’ai signalé au commencement de ce chapitre, où le poète, malgré la langue qu’il avait parlée, à force de Poésie, ressuscita ! […] Il était devenu sourd, comme depuis nous avons vu sourd Beethoven.

1288. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Janin » pp. 159-171

L’étonnement ne me vient pas de Ninon Janin : il ne me vient pas de ce que cette Ninon est toujours Janin, le Jules Janin du meilleur temps de sa jeunesse, mais bien de ce que, dans le rajeunissement de son être, l’auteur de cette Fin d’un Monde et du Neveu de Rameau fût positivement, littéralement un autre que lui ; c’est, enfin, que fils de Diderot, — tout le monde lui connaissait cette généalogie intellectuelle, — il fût devenu si subitement semblable à son père, qu’on peut dire maintenant de Diderot « Janin Ier », comme on peut dire de M.  […] Si donc, étant ce qu’il est et ce qu’il a toujours été, il est devenu un Diderot, dans le livre où Diderot est le plus lui-même, c’est par un procédé dans lequel l’imitation entre pour beaucoup, je ne le nie pas, mais où elle n’est certainement pas seule. […] Où Diderot est écarlate, il est rouge à blanc, et son feu devient de la lumière.

1289. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Mais nous avons appris tout à coup que MM. de Goncourt devenaient romanciers, et romanciers contemporains, romanciers du dix-neuvième siècle, et qu’ils quittaient leur vieux vestiaire du dix-huitième siècle pour l’observation présente, la vie vivante, la réalité ! […] Comparez Charles Demailly, le nerveux et pâle héros du roman, qui épouse une actrice après un amour à la fenêtre et pour faire des poses de tableautin dans sa chambre à coucher, et puis qui, s’apercevant après son mariage qu’une actrice n’est jamais une femme, mais des bouts de rôle cousus à des grimaces, devient fou de la découverte ; comparez-le à l’ambitieux et superbe Lucien de Rubempré, qui fait presque sauter les carreaux de la Conciergerie en s’y pendant, confessé par Vautrin, le faux prêtre, qui se convertit du vol à l’espionnage sous le coup de la plus monstrueuse des douleurs. […] On a bientôt fait cette analyse : un moraliste, un romancier, une tête d’observateur, qui épouse une actrice comme un Jocrisse amoureux, et qui, fou d’ennui, le devient positivement et physiologiquement, parce qu’un de ses amis en journalisme, traître et voleur, fait autographier les lettres confidentielles qu’il écrivait à sa femme avant de l’épouser, et dans lesquelles il se lâchait de plaisanteries contre les hommes qu’il estimait le plus et pressait le plus sur son cœur, — c’est là tout le roman, étreint en quelques mots, de ces Hommes de Lettres, qu’il vaudrait mieux appeler Les Intimes littéraires.

1290. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Il semble que cette femme conclut la défaite d’un parti devenu mauvais depuis qu’elle le sert. […] Puis on deviendra plus exigeant. […] Chez lui l’homme est tout près de devenir un homme. […] Mais aujourd’hui, cette fièvre d’être un autre pour être quelqu’un devient pitoyable. […] Autrefois on y devenait célèbre.

1291. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Et c’est ici, Élie, que la ressemblance devient surprenante. […] Ils devenaient ambassadeurs, évêques. […] D’enfant, elle est devenue jeune fille. […] Qu’est devenu chez nous le mariage ? […] Qu’est devenue cette étrange personne ?

1292. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

C’est quand Mme de Pompadour devient maîtresse en titre. […] qu’étaient devenus les beaux jours d’autrefois ? […] Bientôt cette poursuite acharnée devient le labeur unique de l’écrivain. […] L’invention devient purement verbale, et les règles deviennent à mesure plus étroites, parce qu’il faut accomplir le tour de force dans des conditions plus difficiles. […] Les façons deviennent familières jusqu’à l’inconvenance et jusqu’à la grossièreté.

1293. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Il s’enhardit et elle devient sa maîtresse. […] Et tout ce qui en est l’objet lui devient par là même sacré. […] À Lourdes, il devient presque épileptique. […] Jaurès deviendra-t-il silencieux et M.  […] Il mourait d’envie de devenir un don Juan.

1294. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

En devenant curieux de grammaire et de politesse, on l’est insensiblement devenu de psychologie. […] Elle s’insinuait rapidement, dans les manières d’abord, qui devenaient à la fois plus élégantes et plus naturelles ; dans le langage, qu’elle achevait d’épurer ; dans les sentiments, qui devenaient plus subtils et plus compliqués. […] L’état français devenait bientôt, de tous les états de l’Europe, le plus riche et le plus populeux. […] S’il n’y a donc point de teint, que deviendront les roses et les lys de nos belles ! […] — Étendue de sa curiosité. — Que sont devenus ses vers sur La Paix de Münster ?

1295. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

L’abbé de Pons avait sur les langues une théorie qu’il développera ailleurs ; il aimait à les concevoir philosophiquement, dans leur annotation finale, abstraite, exacte, dans leur tendance rationnelle à devenir une algèbre ; il oubliait qu’elles avaient été primordialement une musique et une peinture. […] J’ai, connu un bossu, homme d’ailleurs de beaucoup d’esprit, qui n’avait jamais pu se familiariser avec son ombre ; je lui devins à charge, et il m’évita enfin, ne pouvant soutenir la petite guerre que je lui faisais pour lui ôter ce faible : pour moi, j’ose dire que je soutiens galamment ma disgrâce ; j’en atteste mes amis, qui, pour faire honneur à mon courage, ne me font plus apercevoir dans notre commerce cette retenue excessive, cette circonspection humiliante qui n’est due qu’aux faibles. Je déclare donc ici que tout homme qui voudra m’offenser n’y réussira pas en attaquant ma figure ; il y a longtemps que je l’ai abandonnée à son mauvais sort ; il y a longtemps que ses querelles ne sont plus les miennes : mais comme je ne connais point M. l’abbé Couture, que je n’ai pu par conséquent lui faire cette déclaration, il n’a pas dû croire qu’il fût de mon goût que cette liberté devînt le droit de Gacon même. […] On voit l’abbé de Pons, en ces années, devenir un des rédacteurs actifs et des soutiens de ce Nouveau Mercure qui cherchait à se régénérer. […] Ami de la propriété des termes, de l’ordre logique et direct dans le langage, il se disait que l’esprit n’a ses coudées franches et son juste instrument que dans la prose ; « qu’elle seule a droit sur tous genres d’ouvrages indistinctement ; qu'elle a seule l’usage libre de toutes les richesses de l’esprit ; que, n’étant asservie à aucun joug, elle ne trouve jamais d’obstacles à exprimer ce que le génie lui présente ; qu’elle n’est jamais forcée de rejeter les expressions propres et les tours uniques que demandent les idées successives et les sentiments variés que ses sujets embrassent. » Mais, avec les vers, il faut toujours faire quelque concession, quelque sacrifice, tantôt pour la clarté, tantôt pour l’élégance, ces deux qualités dont la prose est toujours comptable : « Quand une pensée se trouve, à quelque chose près, aussi bien exprimée en vers qu’elle pourrait l’être en prose, on applaudit au succès du poète, on lui voue son indulgence, on lui permet de grimacer de temps à autre ; les expressions impropres sont chez lui de légères fautes ; les constructions inusitées deviennent ses privilèges. » Et il en citait des exemples jusque dans Boileau.

1296. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Mais la condition de Henri IV était de conquérir pied à pied son héritage et de le mériter : et c’est à ce prix, on peut le dire, qu’il, se forma peu à peu à son grand caractère et qu’il devint tout à fait lui-même. […] Plus d’un auprès de lui, tel que le vieux Biron, ne voulait pas trop vaincre, de peur de devenir moins nécessaire et d’en être réduit ensuite à retourner planter des choux en son manoir. […] Oh voit ici bien naturellement cette première forme du roi capitaine et guerrier dans Henri IV, tout prêt néanmoins à entendre toutes choses et à devenir un grand roi politique et civil dès qu’il en aura le besoin et l’instant. […] Non, la conscience publique ne s’est point trompée, la reconnaissance nationale et populaire n’a point salué à faux le roi longtemps guerrier qui devint celui des laboureurs et des gens du plat pays, qui les releva de la ruine, réprima les brigandages, permit à tout gentilhomme ou paysan « de demeurer en sûreté publique sous son figuier, cultivant sa terre ». […] Sous Henri IV, l’élément prédominant ou qui tendait à le devenir était le gentilhomme de campagne, bon économe bon ménager de son bien ; Henri IV l’aimait et le favorisait de cette sorte, se piquant de n’être lui-même que le premier gentilhomme de son royaume ; bien différent en cela de Louis XIV, qui attirait tout à sa Cour et n’aimait les grands et les nobles qu’à l’état de courtisans.

1297. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

La circonspection et la prudence nous devenaient de plus en plus indispensables. […] Il est rare, et heureusement il n’est pas nécessaire qu’il faille tant de préparations et d’épreuves pour devenir un bon préfet. […] Ma position devient de pins en plus critique et embarrassante. […] Je ne quitterai point mon poste tant que j’y serai utile, et je redouble chaque jour d’efforts, parce que chaque jour les demandes qu’on me fait s’accumulent et deviennent plus urgentes. […] Autant il serait puéril à un homme qui a concouru au nivellement et à l’abolition des classes privilégiées de rechercher ensuite des titres de distinction honorifique et de noblesse, autant et plus encore il serait puéril à l’homme public qui est en charge et occupé à rendre des services utiles, d’y renoncer et de se désister pour se soustraire à un titre qui devient l’accompagnement presque obligé de la fonction et qui fait comme partie de l’uniforme.

1298. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Rousseau est le plus grand original et qui ne se modèle sur personne, qui ne s’inspire que de lui : aussi deviendra-t-il vite un modèle, et il mordra d’autant plus au vif sur la fibre humaine moderne qu’il est un pur moderne lui-même. […] C’était bon à dire du temps de Paul et Virginie et de Fénelon ; mais qu’en avez-vous fait, vous et les vôtres, ô Girondins turbulents, imprévoyants, vous dont le beau rôle ne commence véritablement que du jour où vous entrez dans la résistance et où vous devenez, à votre tour, vaincus et victimes ? […] Mme Champagneux m’y avait autorisé, en se fiant à moi du soin d’expliquer et de présenter sous leur vrai jour, ou même de passer tout à fait sous silence certaines confidences des Mémoires, qu’elle m’avait d’ailleurs à peine indiquées, désirant ou ne trouvant pas mauvais que j’en eusse connaissance, mais évitant elle-même de s’y arrêter. » Il faut le savoir en effet, et c’est un sujet fort digne de réflexion : la fille de Mme Roland, cette Eudora si cultivée par sa mère et dont elle avait soigné l’éducation jusqu’à l’âge de onze ans avec un zèle éclairé et tendre, Eudora était devenue fort religieuse, — disons le mot, fort dévote avec les années. […] Cette Eudora si souvent nommée et invoquée dans les Mémoires de sa mère, elle était devenue à son tour une des preuves vivantes d’une disposition générale des esprits, un des symptômes du temps. […] En allant à la mort, elle embrassa tous les prisonniers de sa chambrée, qui étaient devenus ses amis ; l’un d’eux, M. 

1299. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Elle était devenue pauvre, et elle ne savait pas vieillir. […] ils ne viennent que trop nous chercher le cœur à travers les portes et les murailles. » Mme Valmore usa de son influence sur Balzac, et surtout de l’influence qu’avait alors sur Balzac une autre personne qu’elle désigne sous le nom de Thisbè , pour obtenir du grand romancier devenu dramaturge, qu’il donnât une de ses pièces à l’Odéon et promît l’un des rôles à Mme Dorval. […] Combien la vie est dure et marâtre puisqu’elle amène des hommes d’un tel mérite à devenir ce que celui-ci devient… et deviendra !

1300. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Mais, si l’ouvrage de Jomini me semble juste et suffisant sur la politique, il devient supérieur dès que l’histoire militaire commence. […] La mise en train des premières campagnes, les tâtonnements et les inexpériences, une opinion motivée sur la valeur de ces premiers généraux improvisés de la République, la mesure exacte et proportionnée de ces hommes tour à tour exaltés ou dépréciés, le compte rendu clair et intelligible de leur marche, de leurs essais, de leurs fautes et de leurs bévues, comme aussi de leurs éclairs de perspicacité stratégique et de talent, toutes ces parties sont rendues dans une narration bien distribuée et lumineuse, sans que le côté militaire devienne jamais trop technique, sans que la considération politique et morale des choses soit oubliée ; car ce tacticien éclairé est le premier à reconnaître que « la guerre est un drame passionné et non une science exacte 60. » Rien de tranché d’ailleurs ni d’absolu dans la pensée ni dans l’expression : la modération et un esprit d’équité président. […] Et en effet, par cela seul que Napoléon était censé parler et se raconter lui-même, le ton général était donné, l’histoire devenait alors forcément indulgente ; elle l’était, sous peine de déroger aux convenances premières. […] La campagne de Waterloo, qui avait été un peu écourtée et brusquée à la fin de ces quatre volumes, devint pour Jomini l’objet d’une publication à part en 1839 ; il reprit cette fois la forme vraiment historique et rejeta tout appareil étranger67. […] Ce fut dans ce but qu’il rédigea son Tableau analytique des principales Combinaisons de la Guerre et de leurs rapports avec la Politique des États, qui est devenu dans les éditions suivantes le Précis de l’Art de la Guerre (2 vol.), un résumé condensé de tous les principes posés et démontrés dans ses divers ouvrages.

1301. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Tant de justice rendue devient quasi une injure. […] Il entra à l’cole normale dans les premiers temps de la fondation, y fut contemporain et condisciple des Cousin, des Viguier, des Patin ; il y devint maître comme eux. […] Outre le journal qu’il rédigeait, de Loy chantait l’impératrice ; il devint (ses amis l’assurent et moi je n’en réponds pas) commandeur de l’ordre du Christ ; il était, ajoute-t-on, gentilhomme de la chambre ; mais laissons-le dire, et faisons-nous à sa manière courante, quelque peu négligée, mais bien facile et mélodieuse : Me voici dans Rio, mon volontaire exil, Rio, fille du Tage et mère du Brésil. […] Et que sont devenus mes hôtes des Açores ? […] Il parlait et écrivait, dit-on, le portugais à merveille ; l’idiome de Camoëns était devenu sa langue favorite, et il lui fallut quelque temps avant de reprendre sa fluidité française.

1302. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Avec les années, il deviendra peut-être plus calme, plus reposé, plus mûr ; mais aussi il perdra en naïveté d’expression, et se fera un voile qu’on devra percer pour arriver à lui : la fraîcheur du sentiment intime se sera effacée de son front ; l’âme prendra garde de s’y trahir : une contenance plus étudiée ou du moins plus machinale aura remplacé la première attitude si libre et si vive. […] Pourtant il devint amoureux ; et, sans admettre ici l’anecdote invraisemblable racontée par Fontenelle, et surtout sa conclusion spirituellement ridicule, que c’est à cet amour qu’on doit le grand Corneille, il est certain, de l’aveu même de notre auteur, que cette première passion lui donna l’éveil et lui apprit à rimer. […] L’objet de sa passion était, à ce qu’on rapporte, une demoiselle de Rouen, qui devint madame Du Pont en épousant un maître des comptes de cette ville. […] Il devint de plus en plus chagrin et morose avec les ans. […] Ceci devient malin ; on croirait que c’est du La Fontaine.

1303. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Dès le xiie , la poésie aristocratique devient une chose de plaisir et de luxe : c’est l’âge des romans antiques et bretons. […] Toujours est-il que, dans la France du Nord, en pays champenois, picard et vallon, vers le milieu du xiie  siècle, les gestes de Renart le goupil étaient devenus assez populaires pour qu’un clerc flamand fit une compilation de ces récits en vers latins, l’Ysengrinus. […] C’est toujours la même absence, si complète qu’elle en devient étrange, du sentiment de la nature, en faisant de toute la nature, des bois, des prés, des eaux, la scène multiple et changeante du drame. […] L’ouvrage est devenu ainsi de jour en jour davantage quelque chose de plus que l’épopée de Renart, l’apothéose de renardie : et renardie, c’est l’esprit au service de l’égoïsme, c’est pis encore, c’est l’esprit faisant de la « malfaisance » un art, et se faisant gloire de n’être jamais court d’invention pour procurer le mal d’autrui. […] Car, en passant des bords du Gange aux rives de la Marne ou de la Somme, ils perdaient leur sens religieux, leur haute et ascétique moralité ; les peintures vengeresses et salutaires des tours malicieux de l’éternelle ennemie, de la femme, piège attrayant de perdition, devinrent dans la bouche de nos très positifs bourgeois une licencieuse dérision de leurs joyeuses commères et de la vie conjugale.

1304. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Au moment unique où le romantisme devient naturalisme, Flaubert écrit deux ou trois romans qui sont les plus solides qu’on ait faits en ce siècle905. […] Ces expériences incessamment renouvelées de la bêtise bourgeoise deviennent vite fastidieuses et fatigantes. […] Sa fantaisie effrénée anime toutes les formes inertes ; Paris, une mine, un grand magasin, une locomotive, deviennent des êtres effrayants qui veulent, qui menacent, qui dévorent, qui souffrent ; tout cela danse devant nos yeux comme dans un cauchemar. La pauvreté et la raideur des caractères individuels les inclinent à devenir des expressions symboliques909, et le roman tend à s’organiser en vaste allégorie, où plus ou moins confusément se déchiffre quelque conception philosophique, scientifique ou sociale, de mince valeur à l’ordinaire et de nulle originalité. […] Ailleurs une femme qui devient la Femme, et son vice le Vice universel.

1305. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Et, à les voir s’agiter, il devint, par un retour sur lui-même, de plus en plus modeste, et indulgent. […] La petite femme, devenue princesse russe, reconnaît le bienfait du vieux savant en lui offrant un livre précieux dont il avait envie : et voilà la Bûche  Notre vieux savant s’intéresse à une orpheline dont il a aimé la mère, l’enlève de sa pension, où elle est malheureuse, la marie à un élève de l’École des chartes : et voilà le Crime de Sylvestre Bonnard. […] C’est l’ineffable Télémaque, ancien général nègre, devenu marchand de vin à Courbevoie et qui a de si amusantes extases devant la défroque de sa gloire passée. […] Et le caractère de cet enfant se marque plus clairement par le voisinage d’un autre enfant doué de qualités différentes, mieux armé pour la lutte et pour l’action : le petit Fontanet, « ingénieux comme Ulysse », si malin, si déluré, si débrouillard, qui deviendra « avocat, conseiller général, administrateur de diverses compagnies, député ». […] Voyez ce que devient dans un cerveau d’enfant l’histoire de la dame en blanc dont le mari voyage et qui est aimée d’un autre monsieur.

1306. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Il ne faut pas oublier non plus que l’originalité individuelle, si faible et si rare qu’elle soit et même qu’elle devienne de plus en plus par suite de la complication croissante de la technique scientifique et industrielle, il ne faut pas oublier que cette originalité, même supposée infinitésimale, est la seule source du progrès et que le cerveau de l’inventeur est le point de départ d’une initiative que les travailleurs ne font que recueillir, imiter et propager à travers la société entière. […] que c’est justement le “travailleur” qui est devenu dangereux ! […] Posséder deviendrait un crime comme aujourd’hui, en régime bourgeois, c’est un crime de ne posséder pas. […] Les différentes valeurs, instruction, science, richesse, culture artistique sont devenues des fins en soi, des entités sociales, objet d’un culte métaphysique et laïque. […] La science, estimée jadis comme un moyen de dominer les forces naturelles et considérée à ce titre comme un facteur important de culture est devenue, comme la richesse, une fin en soi.

1307. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre III. La notion d’espace. »

Dans ce continuum, primitivement amorphe, on peut imaginer un réseau de lignes et de surfaces, on peut convenir ensuite de regarder les mailles de ce réseau comme égales entre elles, et c’est seulement après cette convention que ce continuum, devenu mesurable, devient l’espace euclidien ou l’espace non-euclidien. […] Le continu physique est pour ainsi dire une nébuleuse non résolue, les instruments les plus perfectionnés ne pourraient parvenir à la résoudre ; sans doute si on évaluait les poids avec une bonne balance, au lieu de les apprécier à la main, on distinguerait le poids de 11 grammes de ceux de 10 et de 12 grammes et notre formule deviendrait : A < B, B < C, A < C. […] On s’arrêtera d’abord quand on arrivera à un objet qui tombe sous nos sens ou que nous pouvons nous représenter ; la définition deviendra alors inutile, on ne définit pas le mouton à un enfant, on lui dit : voici un mouton. […] Soit maintenant un vase sphérique contenant un liquide bleu qui devient rouge par suite d’une réaction chimique.

1308. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Ce que sont devenus les fameux projets, et comment ils ont amené la ruine du wagnérisme à Paris, maintenant que la chose est claire, au nom du wagnérisme je dois le dire. […] Oh, terrible, terrible vanité des commis devenus ministres, et des professeurs de violon richement arrivés ! […] Ils ont peur de Wagner, parce qu’ils pensent que le jour où la fanfare de l’Épée aura jailli de nos orchestres, où toute une salle aura frémi d’admiration au cantique énamouré d’Iseult, quelques-uns de leurs produits deviendront peut-être d’un placement plus difficile. […] Malgré tout, ces lettres sont furieuses ; mais il ne faut pas oublier, en les lisant, de se reporter au texte original, chaque fois que la phrase française devient suspecte. […] Comment ses étonnantes œuvres, le charme de son être me conquirent, comment nous devînmes amis, amis dans le sens le plus élevé, le plus idéal de ce flot dont on a tant abusé, le monde le sait.

1309. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Laissons aux âmes communes (et madame de Montespan était du nombre, malgré la distinction de son esprit la satisfaction de penser, ou de le dire, que madame de Maintenon mit en œuvre tous les manèges de la coquetterie pour se faire aimer du roi, et elle qui, pouvant devenir sa maîtresse, le ramène à ses devoirs de mari. […] Les années 1680, 1681, 1682 virent Brest, Toulon, Dunkerque, le Havre, Rochefort, devenir des ports immenses, fortifiés, munis d’arsenaux et de magasins. […] L’éloquence de la chaire va s’élever à la plus grande hauteur, devenir la partie éminente de la littérature ; la satire, la comédie se tairont ou baisseront le ton devant elle. […] La tragédie, devenue si tendre par la muse de Racine, devient toute pieuse.

1310. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Un automate, spécialement fabriqué pour les besoins de la cause, serait peut-être capable d’un tel héroïsme ; mais il devient incroyable dès qu’il s’agit d’un homme en chair et en os. […] N’exagérez pas la vertu ; à ce degré d’excentricité, elle devient presque ridicule. […] Sur quoi, Cantagnac, passant à sa chronique inédite, nous apprend qu’elle s’est fait enlever, dans sa dernière fugue, par un faux comte de Moncabré, lequel n’était autre qu’un de ses agents ; que les deux cent mille francs qu’elle rapporte au logis sont le prix de cette équipée, et qu’étant devenue grosse, elle est allée se faire avorter dans une maison borgne dont il lui dit le nom et l’adresse ; cas passible de la cour d’assises. […] Dumas semble ignorer que l’exégèse biblique est devenue, aujourd’hui, une science presque exacte ; que, depuis plus d’un demi-siècle, elle est explorée pas à pas, scrutée, syllabe à syllabe, par des caravanes d’érudits. […] Cette maritorne à peine décrassée, tranchante et bourrue, cordiale et triviale, devient sympathique, dès qu’on la connaît.

1311. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Devenu homme de lettres, Lesage rencontra un protecteur et un conseiller utile dans l’abbé de Lionne, l’un des fils de l’habile ministre. […] Qu’on se représente l’état des esprits au moment où parut Le Diable boiteux, cette vieillesse chagrine, ennuyée, calamiteuse de Louis XIV, cette dévotion de commande qui pesait sur tous, le décorum devenu une gêne et une contrainte. […] Il ne s’agit que de les bien appliquer ; ce qu’il finit par faire : il devient propre à tout, et il mérite en définitive cet éloge que lui donne son ami Fabrice : « Vous avez l’outil universel ». […] Gil Blas, devenu secrétaire et favori de l’archevêque de Grenade, se perd ici, comme il s’était perdu près du vieux fat amoureux, en disant la vérité. […] Quand il est passé à la Cour, et qu’il se voit secrétaire et favori du duc de Lerme, on croit un moment que Gil Blas va s’élever et devenir honnête homme à certains égards ; mais non, il a affaire à des dangers d’une autre sorte, et il y succombe.

1312. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Mais, tandis qu’il ne songeait ainsi, en affichant cette jolie personne, qu’à donner le change au monde et à éblouir d’elle le public, le roi s’éblouit lui-même et devint sérieusement amoureux. […] Le roi fut hors de lui quand on lui dit qu’on ne savait ce qu’était devenue La Vallière ; il fit si bien qu’il apprit pourtant où elle était ; il courut à toute bride, lui quatrième, pour la ramener aussitôt, prêt à commander de brûler le couvent, si on ne la lui rendait. […] On a essayé, dans ces derniers temps, de douter que ce petit écrit fût en effet de Mme de La Vallière44 (1) ; mais ce seul mot de miséricorde, ainsi placé avec une intention manifeste, ne devient-il pas comme une signature ? […] que, par des devoirs indispensables, je reste encore dans le monde, pour y souffrir sur ce même échafaud où je vous ai tant offensé, si vous voulez tirer de mon péché ma punition même, en faisant devenir les bourreaux de mon cœur ceux que j’en avais faits les idoles : « Paratum cor meum, Deus (mon cœur est tout prêt, ô Seigneur !).  […] Mme de La Vallière, devenue sœur Louise de la Miséricorde, reçut solennellement le voile noir des mains de la reine.

1313. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Pendant plus de trente ans encore on lui parlera de ces sortes de projets à l’infini ; elle en parlera sans cesse elle-même, mais en enfant, sans jamais pouvoir se résoudre, et sans s’apercevoir à la fin que cette indécision éternelle devient une fable. […] deviendrait-elle reine d’Angleterre en épousant le prince de Galles, alors en exil, mais qui ne pouvait manquer d’être un jour restauré ? […] Cette idée de mariage, qui jouait toujours en perspective devant ses yeux, lui montrait alors une union possible, soit avec le prince de Condé dans le cas où il deviendrait veuf (elle ne répugnait point à ces sortes de suppositions), soit même avec le roi, si elle se rendait nécessaire et redoutable. […] Il devenait de la plus haute importance que cette ville d’Orléans tînt bon pour la Fronde, sans quoi toute la ligne de la Loire était coupée, et le prince de Condé, qui arrivait de Guyenne, trouvait l’ennemi maître des positions. […] L’homme à bonnes fortunes était devenu tout d’un coup un homme à principes ; il faisait le vertueux et le chaste pour se faire épouser.

1314. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Hégésippe Moreau, né à Paris en avril 1810, était fils d’un homme qui devint professeur au collège de Provins, et il fut conduit, tout enfant, dans cette ville. […] Il l’était trop devenu en effet, mais il ne l’était point d’abord ni aussi essentiellement qu’on le voudrait dire. […] Il allait selon toute probabilité, s’il avait vécu, devenir un maître, mais il ne l’était pas encore. […] Les vautours en deviennent plus méchants de terreur, et s’entrebattent de plus belle. […] Cependant la révolution de Février éclata et vint jeter quelque perturbation dans ces Chants, dont quelques-uns avaient très peu à faire pour devenir brûlants et tout à fait excitants.

1315. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Mariée en 1666 au marquis de Lambert, officier de mérite qui devint plus tard lieutenant-général, et dont le père l’avait été, elle entra dans un monde plus conforme à ses instincts élevés, et elle ne garda de son premier entourage que le goût très vif des choses de l’esprit. […] Fontenelle en fut de très bonne heure ; son influence croissante, combinée à celle de La Motte et des autres amis de Mme de Lambert, contribua à donner à l’Académie française quelque chose de ce caractère philosophique qui allait y devenir très sensible durant le xviiie  siècle, et y relever ce que le rôle grammatical ou purement littéraire aurait eu désormais d’insuffisant. […] Ce même M. de La Rivière, tout humble qu’il est devenu, a grand soin de se souvenir que, du temps que Mme de Lambert écrivait ses Avis à son fils et à sa fille, elle y fut aidée par quelqu’un de ses amis qui n’est autre que lui-même. […] Il lui fallut prendre désormais son parti de la louange et de la critique, et devenir auteur à ses risques et périls, avec tous les honneurs de la guerre. […] Elle est aussi l’un des premiers moralistes qui, au sortir du xviie  siècle, soient revenus à l’idée très peu janséniste que le cœur humain est assez naturellement droit, et que la conscience, si on sait la consulter, est le meilleur témoin et le meilleur juge : « Par le mot conscience, j’entends, dit-elle à son fils, ce sentiment intérieur d’un honneur délicat, qui vous assure que vous n’avez rien à vous reprocher. » Elle donne, à sa manière, le signal que Vauvenargues, à son tour, reprendra, et qui, aux mains de Jean-Jacques, deviendra un instrument de révolution universelle.

1316. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Cette indulgence qui me faisait aimer devint tous les jours plus facile. […] L’homme qui fait des souliers est sûr de son salaire ; l’homme qui fait un livre ou une tragédie n’est jamais sûr de rien. » Marmontel devint donc, en 1753, secrétaire des Bâtiments sous M. de Marigny, frère de Mme de Pompadour ; dès lors il habita Versailles, et durant cinq années il vécut pêle-mêle et tour à tour avec des artistes, avec des intendants des Menus-Plaisirs, travaillant à sa guise, étudiant à ses heures, et voyant toutes sortes de sociétés qu’il nous peint fidèlement, la société des premiers commis comme celle des philosophes, le financier Bouret comme d’Alembert : Oui, j’en conviens, dit-il, tout m’était bon, le plaisir, l’étude, la table, la philosophie ; j’avais du goût pour la sagesse avec les sages, mais je me livrais volontiers à la folie avec les fous. […] C’est assez pour l’honneur de sa mémoire qu’en voyant les hommes devenir tout à coup furieux et méchants, il ait arrêté à temps sa bonhomie, et ne l’ait laissée dégénérer ni en lâcheté ni en sottise. […] Sa morale, il nous l’avoue, se ressentit à l’instant de sa position nouvelle, de ses intérêts nouveaux ; sans devenir rigide, elle cessa aussitôt d’être relâchée : L’opinion, dit-il, l’exemple, les séductions de la vanité, et surtout l’attrait du plaisir, altèrent dans de jeunes âmes la rectitude du sens intime. […] il faut être époux, il faut devenir père, pour juger sainement de ces vices contagieux qui attaquent les mœurs dans leur source, de ces vices doux et perfides qui portent le trouble, la honte, la haine, la désolation, le désespoir dans le sein des familles.

1317. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

— Rappelons-nous d’abord que nos sensations, nouvelles au moment où elles se produisent, ne demeurent point détachées dans la conscience : elles y deviennent aussitôt parties d’une seule sensation totale et en quelque sorte massive, répondant à l’état total de notre organisme. […] Les modernes partisans de la sensation transformée profitent de ce que les sensations superficielles des cinq sens, ou du moins celles de la vue, de l’ouïe et du toucher, sont devenues aujourd’hui presque indifférentes, presque des sensations pures et en apparence passives, tandis que les sensations organiques et celles mêmes du goût ou de l’odorat enveloppent clairement émotion et réaction ; ils brouillent le tout et supposent des sensations isolément passives et indifférentes, qui, combinées, produiraient : 1° l’apparence de l’activité ou de la volonté, 2° la réalité du plaisir ou de la douleur. […] Si c’est là ce qu’on entend par sensation, on pourra en effet tout expliquer par la sensation ; mais si, comme on le doit, on réserve le nom de sensation pure à la modification passive de la cœnesthésie, premier moment du processus psychique, il deviendra impossible de ne pas tenir compte de la cœnesthésie entière qui est modifiée, du caractère agréable ou pénible de cette modification d’ensemble, enfin de la réaction immédiate qui en résulte aussi sûrement que, dans le monde physique, la réaction résulte de l’action. […] Mais que devient alors l’appétition, que deviennent même le plaisir et la peine ?

1318. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Il y a, de jadis, un opuscule grotesque, maintes fois réimprimé et encore colporté ; c’est un Sermon en proverbes ordonné pour satiriser soit les gens qui évoquent trop, par la sagesse des nations, leur propre niaiserie, soit les prédicateurs qui répétaient toujours les mêmes exhortations vaines comme le vent qui égrène l’herbe des cimetières ; le pauvre auteur enfile donc avec un certain soin les proverbes les plus connus, jusqu’à faire quatre pages dont le sens est fort bien suivi et que l’on comprend, pourvu qu’on ne soit pas devenu hébété dès la première : « Prenez garde, n’éveillez pas le chat qui dort ; l’occasion fait le larron, mais les battus paieront l’amende ; fin contre fin ne vaut rien pour doublure ; ce qui est doux à la bouche est amer au cœur, et à la chandeleur sont les grandes douleurs. […] L’imitation est la souillure inévitable et terrible qui guette les livres trop heureux : ce qui était original et frais semble une collection ridicule d’oiseaux empaillés ; les images nouvelles sont devenues des clichés. […] Voici la fameuse grotte tapissée de vigne, de cette vigne devenue vierge au cours des années ; voici les mille fleurs naissantes qui émaillent toujours les vertes prairies ; voici le doux nectar, la vie lâche et efféminée, la jeunesse présomptueuse ; voici « le serpent sous les fleurs ». […] C’est parce que les images de Télémaque sont devenues des clichés que nous ne pouvons plus les aimer ; mais si elles étaient restées en leur état original, nous ne les comprendrions peut-être plus et nous n’aurions même pas l’idée d’entr’ouvrir le livre pour nous réjouir à des visions énigmatiques. […] Trois ou quatre émotions particulièrement chères à l’homme se peuvent dire avec les mots les plus simples, les plus frustes, avec des locutions qui, proférées une fois, sont devenues définitives et comme pareilles à ces roses fées qu’on n’effeuillait pas sans punition.

1319. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Comment se fait-il donc que ce même examen, s’il tourne contre vous, devienne tout à coup une méthode criminelle et folle, née de l’orgueil, ennemie de la société et de la morale ? […] Grâce à cette spécieuse précaution, ils ont résolu le problème que les catholiques eux-mêmes ont eu tant de peine à résoudre : ils sont devenus infaillibles. En philosophie comme en politique, la liberté réclamée n’est souvent qu’un ingénieux moyen de devenir le maître. […] Comment la méthode qui a été bonne et légitime jusque-là devient-elle tout à coup essentiellement mauvaise ? Comment serait-il bon de se servir de la raison pour interpréter le texte dabo tibi claves… , et deviendrait-il tout à coup mauvais de s’en servir pour établir autre chose ?

1320. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Quand il n’y a ni beautés, ni défauts dans une œuvre, qu’au lieu de médiocre, elle est nulle, quand l’artiste n’a pas su lutter avec les difficultés de son sujet et qu’il a été accablé et anéanti par elles, la critique refait à sa manière… elle devient inventive, elle crée15… » Notre époque, où manquent trop les esprits d’ensemble, dans le mépris où l’on tient les idées générales, nous donne, chaque jour, une définition nouvelle de la critique. […] Dès lors, moins précise, moins complète, la critique est devenue moins intéressante pour le public d’élite. […] Dans les revues, elle est devenue un refuge, c’est le seul genre d’articles qu’on accepte d’un débutant — qui peut ainsi y apprendre des faits, y gagner des idées, en un mot, y faire un apprentissage utile et s’y dresser aux méthodes. […] L’idée latine devenue par infiltration, après la défaite méridionale du xiiie  siècle et par la Renaissance et par suite aussi de l’influence royale, l’idée française de la force, de la tradition et de la clarté n’a pas trouvé de champion plus fidèle que M.  […] Devenue le génie sauveur de la cité, l’intelligence se sera sauvée elle-même de l’abîme où descend notre art déconsidéré.

1321. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Si je mets le pere avant le verbe quand il est à l’accusatif, ma phrase devient un galimatias. […] Cependant les phrases françoises auroient encore plus de besoin de l’inversion pour devenir harmonieuses que les phrases latines n’en avoient besoin. […] L’on a remarqué depuis long-tems que toute prononciation pénible pour la bouche de celui qui parle, devient pénible pour l’oreille de celui qui l’écoute. […] Mais la rime seule devient par l’asservissement des phrases françoises à l’ordre naturel des mots, une chaîne aussi gênante pour un poete sensé, que toutes les regles de la poesie latine. […] Ce vers prononcé en supprimant les syllabes qui font élision, et en faisant sonner l’ u comme les romains le faisoient sonner, devient pour ainsi parler un vers monstrueux.

1322. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Eh bien, il y a aussi des capucins de la Libre pensée, et Philarète Chasles en est devenu un ! […] Arlequin caméléon est devenu Pierrot, — un Pierrot qui déjà n’est plus blanc et serait peut-être allé au rouge, s’il n’était pas mort. […] Ils ont des jours où ils rencontrent juste, par le fait d’un organisme heureux : Chasles, sensible comme il l’était à la beauté littéraire, a eu de ces jours où il l’a bien vue et bien analysée, et où il nous l’a montrée resplendissante… Mais, devenu utilitaire sur son déclin, philanthrope, prédicateur, charitable, larmoyant et quaker, — car il est tout cela, et, chose plaisante ! […] Dans cette société haineuse, et dont la haine (nous raconte-t-il) l’empêcha d’entrer à l’Académie, il aurait pu devenir un tigre, comme Eugène Sue, mais (il s’attendrissait déjà !) […] voilà ce qu’il aura gagné à devenir vertueux si tard !

1323. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Tel qui l’avait autrefois effleuré d’une épigramme légère ou d’un éloge équivoque, se trouvait non point pardonné, mais recherché, mais distingué par lui, et devenait, s’il le méritait d’ailleurs, l’objet de ses procédés les plus favorables. […] Lebrun a été l’éloge de Béranger et cette espèce d’adoption académique posthume, si bien placée dans la bouche d’un ami qui l’avait tant de fois pressé de devenir un confrère.

1324. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LX » pp. 231-236

Dans la deuxième le ton s’élève, l’enthousiasme se montre ; aussi les erreurs deviennent plus graves ; c’est là qu’on trouve des phrases éloquentes, à l’occasion d’une croix grecque gravée sur la pierre qui recouvrait la boîte. […] La noble et touchante figure d’Antigone devient ainsi un pendant d’Og et de Magog !

1325. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire »

Alors, les dames aux abois, et n’ayant pour servant d’amour que l’Ennui, ne savent plus que devenir : « Autant vaudrait être cloîtrée ! […] si parfois une femme, Pensive, en les lisant, à la fuite du jour, Sent son œil qui se mouille et son cœur qui s’enflamme   A tes récits d’amour ; Si, parmi les amis qu’a chéris ton enfance, Un seul peut-être, un seul qui t’aurait oublié, Y trouve avec bonheur quelque ressouvenance   D’une ancienne amitié ; Ou, si d’enfants chéris une troupe rieuse Qu’amusent tes récits, que charment tes accents, En t’écoutant, devient meilleure et plus joyeuse,   Et t’aime pour tes chants : Ce rêve est assez beau pour enivrer ton âme !

1326. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Que personne à l’avance ne redoute assez le malheur. »

Il faut être dégoûté de soi, et se sentir lié à son être, comme si l’on était deux, fatigué l’un de l’autre ; il faut être devenu incapable de toutes les jouissances, de toutes les distractions, pour ne sentir qu’une douleur ; il faut, enfin, que quelque chose de sombre, desséchant l’émotion, ne laisse dans l’âme qu’une seule impression inquiète et brûlante. La souffrance est alors le centre de toutes les pensées, elle devient le principe unique de la vie, on ne se reconnaît que par sa douleur.

1327. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIII. Beau trio » pp. 164-169

Il lui suffit du bavardage d’un doux idiot et d’une heure de chapelle pour devenir une femme du cœur le plus tendre et le plus délicat. — Richard Fénigan a seize ans et habite la campagne avec sa mère. […] Elle se fait enlever par un petit prince de dix-huit ans ; puis sa belle-mère la reprend et c’est elle qui devient « femme d’intérieur », femme à « sentimentales confidences, coupées de détails ménagers, de haltes et de marchandages chez les fournisseurs ». — Et le petit prince don-juanesque, celui-là même qui a appris toutes les ficelles de la courtisanerie à Stanislas, en piochant ce que vous savez ; d’où tient-il ses roueries si subtiles que l’auteur s’écrie, enthousiaste : « Mais il n’a pas dix-huit ans, il a cent ans ! 

1328. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

Denis a beau s’armer des terreurs de la tyrannie, ses Ouvrages n’en deviennent pas meilleurs ; & Philoxene, après les avoir lus, dira, plutôt que de les approuver, qu’on me remene aux Carrieres. […] On voit, d’un côté, ces Apôtres de la tolérance ne prêcher dans leurs Ouvrages que la modération & la paix : de l’autre, on les voit, oubliant leurs préceptes, s’intriguer dans les sociétés, se rendre les ministres d’une persécution injuste, & devenir les Familiers du S.

1329. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 92-99

Plein de chaleur & d’intérêt, il sait donner la vie à tout ce qu’il peint, & la Nature même devient plus intéressante par les charmes que son pinceau répand sur tous les objets. […] Quelque heureusement qu’on soit né, l’étude de soi-même, celle des hommes, l’attention à se former sur de bons modeles, sont absolument nécessaires pour se mettre en état de devenir un modele à son tour.

1330. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Louise Labbé, et Clémence de Bourges. » pp. 157-164

Elles devinrent ennemies mortelles. […] Sur ce portrait, Louise Labbé devient éperdument amoureuse.

1331. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

La lumière devient obscure, et la vapeur devient lumineuse.

1332. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 36, de la rime » pp. 340-346

Mais la plûpart de ces peuples rimeurs sont barbares, et les peuples rimeurs qui ne le sont plus, et qui sont devenus des nations polies, étoient barbares et presque sans lettres lorsque leur poësie s’est formée. […] Il est vrai que les nations européennes dont je parle, sont devenues dans la suite sçavantes et lettrées.

1333. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Si on bannissait de telles locutions, la littérature deviendrait une algèbre qu’il ne serait plus possible de comprendre qu’après de longues opérations analytiques ; si on les récuse parce qu’elles ont trop souvent servi, il faudrait se priver encore de tous les mots usuels et de tous ceux qui ne contiennent pas un mystère. […] Mais ce dernier cliché s’est formé à un moment où le mot comble était très vivant et tout à fait concret ; c’est parce qu’il contient encore un résidu d’image sensible que son alliance avec vœux nous contrarie » Dans le précédent, le mot colorer est devenu abstrait, puisque le verbe concret de cette idée est colorier, et il s’allie très mal avec rougeur et avec joues. 

1334. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Songez au pauvre matériel causal dont elle disposait et imaginez ce qu’elle peut devenir au moment où Freud lui ouvre l’immense réservoir des causes immergées. […] Et s’il n’est pas directement agent d’hypocrisie, il le devient dans la mesure où il ne triomphe pas. […] Ce qu’il fallait c’est que notre goût pour lui devînt exclusif. […] Son appétit se transforme et sans devenir moins intense, se fait plus modeste. […] Et ils prennent ainsi une sorte de vérité qui les dépasse ; ils deviennent un moment de l’âme humaine, une forme générale du sentiment.

1335. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici ; il est question de savoir comment l’assassin de Clytemnestre a pu devenir amoureux d’Hermione sa cousine ; car le cousin était en horreur à la famille de la cousine ; il n’y était point reçu. […] Une déclaration en style de Racine vaut beaucoup mieux pour le lecteur que les fureurs d’un héros forcené qui extravague en vers lâches, décousus et bouffis : en général, ces déclarations sont devenues froides au théâtre, depuis la décadence de la galanterie et des anciens romans. […] Qu’eût-il dit s’il avait pu voir cette compagnie, après avoir depuis longtemps perdu le goût, se précipiter dans les derniers excès de la démence, et devenir le foyer d’une conspiration contre le gouvernement alors établi pour le maintien de la société ? […] Achille, dans l’espace de neuf ans de combats, non seulement n’était pas encore devenu dieu, mais n’avait pas même pu triompher d’une ville assez médiocre, quoiqu’il fût secondé par une armée nombreuse et par une foule de héros tels qu’Ajax, Diomède, Patrocle, etc., etc. […] Si le roi d’Égypte n’avait pas à sa cour quelque virtuose capable d’expliquer ces subtilités, et de satisfaire à ces demandes, le roi d’Égypte était vaincu, et devenait tributaire du roi de Lydie.

1336. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Cette fable si pathétique devint entre ses mains un tissu de conversations brillantes et sublimes, où il prodigua les sentiments héroïques. […] Écoutons-le raconter comment il devint amoureux de la Chinoise Idamé. […] Biais voici bien une bien autre fête : le flatteur manque de mémoire ; les juges, plus éclairés que ceux d’Athènes, deviennent tout à coup des badauds très faciles à se laisser surprendre. […] Seize ans après, il parvint à faire supporter de plus grandes folies dans Sémiramis, ce qui prouve que les spectateurs étaient devenus beaucoup moins sages ; aujourd’hui on est familiarisé avec ce salmis tragique. […] Il est question d’une de ces filles-mères dont la fécondité précoce, grâce à la philosophie, est devenue la source la plus ordinaire de l’intérêt théâtral.

1337. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Car enfin, la cuisine est devenue très libérale depuis le docteur Aristote. […] Elle est devenue trop banale. […] À mesure qu’il les frottait, l’argent disparaissait se changeant en cuivre, et notre mineur en devenait plus fier et plus joyeux, les trouvant de plus en plus brillantes ainsi, et plus semblables à l’or. […] Sans parler des littératures anciennes et étrangères qui sont devenues moins absurdes à leurs yeux, ils ont fait des progrès dans l’intelligence de Igor propre littérature. […] Enfin, la séparation entre l’idée et la forme, entre l’esprit et le corps, devenait à mes yeux de plus en plus sensible dans la sculpture sentimentale de notre époque.

1338. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

À une condition cependant, qui est qu’une règle plus haute que celle de la nature devienne la guide et comme la loi de cette observation de nous-mêmes. […] Nous ne sommes pas faits pour nous, mais pour les autres hommes, et même, ce que nous pouvons être, nous ne le devenons que par l’usage des autres hommes. […] Puisque nous avons tous un continuel besoin les uns des autres, établissons entre nous les bases d’une « honnête amitié » qui, d’un secours ou d’une aide, nous deviendra tôt ou tard une jouissance. […] L’inspiration épique dans les Hymnes de Ronsard ; — et qu’à force de vivre dans la familiarité des anciens il est lui-même devenu l’un d’eux ; — [Cf.  […] Leclerc, 5 vol. in-8, Paris, 1826, Lefèvre. — C’est cette édition qui est devenue la « vulgate » du texte de Montaigne.

1339. (1925) Comment on devient écrivain

Près de mourir devient prêt à mourir, chose très différente. […] Il n’y a point de recette pour devenir grand écrivain. […] On devient amoureux des œuvres d’art. […] Le monde intellectuel est devenu la proie de l’incompétence. […] Il est devenu une profession.‌

1340. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

Appliqué aux affirmations des documents, le doute méthodique devient la défiance méthodique. […] La sincérité devient alors probable. […] Les épisodes de la vie d’un homme deviennent alors des faits importants. […] L’événement qui a produit la formation ou un changement de l’habitude devient le commencement ou la fin d’une période. […] C’est la première étape, initiative individuelle, imitation et acceptation volontaire par la masse. — L’usage, devenu traditionnel, se transforme en coutume ou règle obligatoire ; le personnel, devenu permanent, se transforme en personnel investi d’un pouvoir de contrainte morale ou matérielle.

1341. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Les transformations du gland qui devient chêne sont racontées avec une richesse, un éclat de couleur qui étonnent et ravissent. […] Le gland devenu chêne nous élève à Dieu en nous montrant toute l’impuissance de nos spéculations ; la jeune fille devenue femme nous offre l’image du bonheur et nous conduit au pied de l’autel pour remercier le Créateur, qui nous a fait un tel présent. […] L’indulgence est difficile, la sévérité devient nécessaire. […] Ruy Blas nous dit lui-même qu’il est devenu laquais par oisiveté. […] Ce qui d’abord n’est qu’abondance et richesse devient bientôt éblouissant et monotone.

1342. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Je ne sais pas ce qu’il deviendra. […] Que devient-il ? […] Tout cela devint une abominable frénésie. […] Est-ce que nous allons devenir des apôtres ? […] Le cantique de captivité devient un hymne de libération.

1343. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Chapelle devint aussi l’ami d’études de Poquelin et lui procura la connaissance et les leçons de Gassendi, son précepteur. […] Un autre compagnon qui s’immisça à ces leçons philosophiques fut Cyrano de Bergerac, devenu suspect à son tour d’impiété par quelques vers d’Agrippine, mais surtout convaincu de mauvais goût. […] Elle devint troupe du Roi en 1665 ; et plus tard, à la mort de Molière, réunie à la troupe du Marais d’abord, et sept ans après (1680) à celle de l’hôtel de Bourgogne, elle forma le Théâtre-Français. […] Shakspeare, jeune, inconnu encore, attendait dans la chambre d’une auberge l’arrivée de lord Southampton, qui allait devenir son protecteur et son ami. […] Dix mois avant sa mort, Molière, par la médiation d’amis communs, s’était rapproché de sa femme qu’il aimait encore, et il était même devenu père d’un enfant qui ne vécut pas.

1344. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

D’où il suit que, passé une certaine période, le gaz, dont les molécules sont suffisamment rapprochées, doit devenir liquide, et que la vapeur d’eau doit devenir eau. […] Ainsi, du tracé et de l’ellipse provisoires, qui, étant trop simples, n’étaient qu’approximatifs, l’esprit passe peu à peu à l’ellipse et au tracé définitifs, qui, en se compliquant, deviennent exacts. […] Ce déterminisme devient ainsi la base de tout progrès et de toute critique scientifique. […] Il était d’abord indéterminé et vague ; peu à peu, il devient limité et précis ; à la fin, il ne comprend plus qu’un fragment défini de conditions expresses. […] De cette façon, le raisonnement devient une analyse et non un jeu logique comme le syllogisme ordinaire.

1345. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Et le pansant et le soignant comme un soldat blessé, il le sauvait, et le bulletin de la santé du cheval devenait un sujet de conversation pendant toute la campagne, et même lors de l’entrevue de Villafranca. […] Dès ce temps, elle mettait en moi l’amour des vocables choisis, techniques, imagés, des vocables lumineux, pareils, selon la belle expression de Joubert, « à des miroirs où sont visibles nos pensées », — amour qui, plus tard, devenait l’amour de la chose bien écrite. […] C’est l’histoire de Gavarni, ça devient la mienne. […] Voilà trois attaques de ces abominables coliques hépatiques, en trois mois : ça devient inquiétant, avec à l’horizon Vichy, qui a déjà tué mon frère. […] Cette soirée me semble devoir annoncer un grand succès, qui cependant par ce rien du quatrième acte, peut devenir un four.

1346. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Son drame — non pas toujours, mais quelquefois — évite la vivacité de l’action, s’attarde à de longs récits, s’étale en de vastes développements de caractères ou de passions, s’idéalise par la recherche des symboles jusqu’à devenir irréel, et n’en est pas moins poignant au point de vue du peuple pour lequel il a été conçu, n’en doit pas paraître moins admirable au critique loyal qui fait la part des nationalités. […] Quand le rideau de la scène s’ouvre, la salle devient obscure27. […] Et l’œuvre prodigieuse de Bach devint à Beethoven la Bible de sa foi. […] Ce que, seul, l’œil du génie Allemand avait pu voir, ce que, seule, son oreille pouvait comprendre ; ce qui a conduit notre race, par la défensive la plus intime, jusque la plus irrésistible protestation contre toute domination extérieure, Beethoven lut tout cela, clair et significatif, en ce Livre Allemand, le plus sacré de tous ; et, lui-même, il devint un Mage sacré. […] Sur les scènes soumises à l’influence de la mode, le théâtre était devenu une affaire de pure spéculation. « L’héritage classique » était dissipé ; la musique seule semblait prospérer ; mais dans l’opéra moderne, Rossini triomphait sur Beethoven, et Meyerbeer sur Weber.

1347. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Jusqu’au moment où les peuples septentrionaux deviennent conquérans à leur tour, et quelque temps même après la conquête, ils ont une civilisation, une forme de gouvernement, une religion, une poésie qui leur est propre. […] Quand l’unité du saint-empire eut péri, et que le titre d’empereur fut devenu un titre vain qui n’était plus en réalité que celui d’empereur d’Autriche, les électeurs et les princes, rendus à l’indépendance, devinrent peu à peu des monarques absolus, et au despotisme régulier d’un seul succéda une foule de despotismes particuliers. […] Le sensualisme était devenu la forme philosophique de l’Angleterre et celle de la France. […] Mais la philosophie présida à tous ses travaux et finit par absorber tous ses goûts : elle devint sa vraie vocation et sa principale gloire. […] Cette ignorance devient plus manifeste, si on fait l’expérience sur de plus grands nombres.

1348. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

L’on me disait : « Ne deviens pas boudeur !  […] En peu de mots, il devint cambrioleur. […] Que deviendra-t-elle ? […] Alors, que deviendrons-nous ? […] … » L’amusement devient un hymne.

1349. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Le président avait raison d’écrire en cette occasion au secrétaire d’État M. de Villeroi : « Monsieur, les affaires ont des saisons, et sont quelquefois pleines de difficultés, puis tout à coup deviennent faciles. » Cependant l’affaire générale de la paix n’avançait pas et la saison évidemment n’en était pas venue. […] Chaque difficulté était reportée aux États-Généraux ou au jugement particulier des provinces, et devenait matière à discussion publique. […] Et ce même panégyriste ajoute avec assez de délicatesse que le sage vieillard, en recevant modestement ces marques publiques d’affection, ne laissait pas de témoigner par quelques signes de joie « qu’il était devenu sensible à cette seule vanité, de se voir aimé des hommes ». […] La fille unique du président, sur laquelle il reporta toutes ses tendresses, avait épousé M. de Castille, qui avait commencé par le commerce, et qui devint un personnage, ambassadeur, intendant des finances, homme de faste et de grand luxe.

1350. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Il y revient en toute occasion, et toujours avec jubilation et délices ; il l’appelle en un endroit une « espèce de personnage en détrempe » : « C’était un grand homme, fort bien fait, devenu gros avec l’âge, ayant toujours le visage agréable, mais qui promettait ce qu’il tenait, une fadeur à faire vomir. » Lui reconnaissant des qualités mondaines, des manières, de la douceur, de la probité même et de l’honneur, il cite de nouveau et commente ce mot de Mme de Montespan sur lui, qu’on ne pouvait s’empêcher de l’aimer ni de s’en moquer : Saint-Simon aimait donc assez Dangeau, mais quelle manière d’aimer ! […] Dangeau est trop circonspect et trop poli pour le dire, il vous laisse le plaisir de le deviner. — Quelques jours après, les choses se dessinent ; il devient moins sûr que jamais qu’elle soit du voyage, et on lit à la date du samedi 25 mai : « Mme de Montespan, chez qui le roi était allé au sortir de la messe comme à son ordinaire, s’en alla le soir toute seule à Rambouillet ; elle n’a voulu prendre congé du roi ni de personne. » On aura d’autres nouvelles encore de Mme de Montespan, mais seulement au fur et à mesure et au jour la journée. […] il devient sensible que Monseigneur, même les jours où il chasse, chasse moins longtemps ; il se promène plus volontiers à pied dans les jardins : « Jeudi 2 (mai 1686), à Versailles. — Monseigneur alla courre le loup dans la forêt de Livry, d’où il vint d’assez bonne heure pour se promener avec les dames. — Mme la Dauphine passa l’après-dînée chez Mlle Bezzola. » Et le samedi 4, deux jours après : « Mme la Dauphine se devait embarquer sur le canal avec Monseigneur, qui lui avait fait préparer une grande collation à la ménagerie ; la pluie rompit cette promenade-là ; Monseigneur ne laissa pas d’y aller avec Mme la princesse de Conti. » Et toujours le refrain de chaque jour : « Mme la Dauphine passa l’après-dînée chez Mlle Bezzola. » Eh bien, tout cela veut dire : Monseigneur, qui n’était jusqu’alors qu’un farouche Hippolyte et un chasseur de bêtes sauvages, s’est apprivoisé ; il y a auprès de la princesse de Conti et dans sa suite quelque beauté qui a opéré le miracle ; la Dauphine, qui est maussade, et qui vit trop seule, enfermée avec sa Mlle Bezzola, a contribué peut-être à cet éloignement, et, comme elle en est triste, elle va en parler plus que jamais avec cette même Mlle Bezzola. Dangeau, qui est menin de Monseigneur d’une part, et qui, de l’autre, est chevalier d’honneur de Mme la Dauphine, se garde bien d’écrire de ces crudités-là, il n’écrit que ce que tout le monde a vu et peut lire : mais son narré même, en ces endroits, devient malin à force de réticence et de fidélité, et cette phrase qui termine tant de journées comme une ritournelle : « Mme la Dauphine passa l’après-dînée chez Mlle Bezzola », pourrait sembler un refrain de couplet satirique.

1351. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Cette lecture de Dante, comme l’objet même de son poème, est un labyrinthe : il y faut un guide ; on en trouve plus d’un au seuil, on en essaye, on s’en dégage bientôt ; on aspire à en devenir un à son tour : Toute version, dit M.  […] Il avait été traduit dès la fin du xvie  siècle (1596), et traduit en vers, par Grangier ; mais il n’en était pas devenu plus clair ni plus habituellement lu. […] Fauriel, l’ancien ami et l’admirateur de Cabanis, devint pourtant le maître et l’un des guides exacts d’Ozanam : c’est que l’amour de la science et d’une science vraie, cette autre religion sincère, les unissait et les rapprochait étroitement par l’inspiration comme dans les résultats. […] Cet amour, dont les principaux accidents et les aventures se bornèrent à quelques saluts, à quelques regards échangés et à quelques sourires, tout au plus à de rares paroles, et qui ne devait empêcher aucune des deux personnes qui s’en entretenaient ainsi, de s’engager un peu plus tôt ou un peu plus tard dans les liens positifs du mariage ; cet amour qui semblait d’ailleurs à jamais rompu par la mort prématurée de Béatrix vers l’âge de vingt-six ans, devint et continua d’être la pensée profonde, supérieure, le ressort le plus élevé de la conduite et des entreprises de Dante.

1352. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Bussy âgé de quarante-deux ans, lieutenant général et mestre de camp général de cavalerie légère, ayant vingt-six ans de bons et beaux services, aspirant au cordon bleu et à devenir maréchal de France, est amoureux de Mme de Montglat, et, pendant un mois d’absence, il se met, pour la divertir, à coucher par écrit les histoires de mesdames telles et telles, qu’elle lui avait demandées. […] Dans le temps qu’il tyrannise Mme de Châtillon, un des amis de celle-ci, Vineuil, écrit à la dame pour lui faire hontep : « Vous êtes devenue le sujet continuel de toutes les conversations. […] il ne peut faire longtemps ce rôle : « Tout cela ne m’empêcha pas de me bien divertir en Italie, tant c’est belle chose que jeunesse. » Le père de Tallemant aurait voulu faire de lui un conseiller au Parlement de Paris ; le jeune homme ne se sentait pas de vocation à devenir un magistrat. […] Il acheta la terre du Plessis-Rideau en Touraine vers 1650, et obtint d’en changer le nom en celui de des Rêaux, qui devint désormais le sien.

1353. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

ii, p. 119), une lettre ou dissertation sur un vers de Catulle dans la pièce de La Chevelure de Bérénice, laquelle chevelure, coupée des mains de la belle reine en manière d’ex-voto pour son époux, était censée avoir été enlevée au ciel pour y devenir une constellation. […] La chevelure est portée au ciel par le cheval ailé d’Arsinoé, ou, ce qui revient au même, de Vénus, Arsinoé depuis sa déification étant devenue la même chose que Vénus. […] C’est une loi en effet : chez les nations qui n’avaient pas l’imprimerie, sous les gouvernements qui n’avaient pas leur Moniteur, il arrivait très vite que les personnages glorieux qui avaient frappé l’imagination des peuples et remué le monde, livrés au courant de la tradition et au hasard des récits sans fin, se dénaturaient et devenaient des types purement poétiques. […] Ses amis, devenus ministres après 1830, le nommèrent professeur ; on put d’abord regretter que ces fonctions nouvelles le détournassent des grands travaux historiques qu’il poursuivait depuis des années : en y songeant mieux pourtant, je ne sais s’ils ne lui rendirent pas service, à lui et à nous, dans tous les sens.

1354. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Il y a un moment très difficile à fixer avec précision où, dans ces luttes du héros nouveau, de ce grand diable d’homme (comme il l’appelle) contre les souverains des vieilles races, le fer insensiblement se transmute et acquiert de l’or : laissons les figures ; il y a un moment où le fait devient droit, où l'utilité publique, la grandeur nationale, l’immensité des services rendus et à rendre, le prestige qui rayonne et ne se raisonne pas, se confondent pour sacrer un homme nécessaire et une race qui fait souche à son tour. […] Que devient le geste d’Isaïe dans un salon ? […] Le Piémont est un tout compacte qui ne peut être appauvri, tout comme il ne peut être augmenté sans devenir une simple province. […] À propos de ces conversions qu’on lui reprochait d’avoir favorisées, et dont l’une, celle de Mme Swetchine, est devenue littérairement un fait éclatant, il a de singulières paroles, et qui marquent bien l’esprit et l’accent d’aristocratie qu’il portait en tout.

1355. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

L’auteur y parle de sa jeunesse, de sa première éducation, de son entrée dans le monde, de ses débuts littéraires, sitôt suivis de ses débuts politiques en 1814 ; de ce voyage à Gand, qui lui fut tant reproché, et qui n’était pas un tort, mais qui devint un embarras ; de sa carrière durant la seconde Restauration, carrière de publiciste, d’historien, de professeur, toujours à côté et en vue de la politique. […] Les principaux chefs victorieux étaient résolus à ne pas devenir des révolutionnaires, même en ayant fait bel et bien une révolution. […] La tête de la société alors ne l’entendit pas ainsi ; la bourgeoisie (sauf des exceptions) pensait comme la tête et était devenue cette tête elle-même. […] On vit par lui, et à son cri d’alarme qui était aussi un cri de colère, les bourgeois devenus tout d’un coup comme des lions.

1356. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Il est vrai que l’impression croissante et totale, la conclusion irrésistible résultant de la quantité de détails accumulés chemin faisant, est qu’il était impossible que Pierre III régnât, et bien difficile que Catherine, au contraire, ne devint point Impératrice de son chef ; ce qui avait été sa première pensée en mettant le pied en Russie et n’avait cessé d’être son secret désir. […] Cependant le jour solennel qui doit la faire grande-duchesse n’est pas éloigné ; l’Impératrice l’a fixé au 21 août (1er septembre 1745) : « A mesure que ce jour s’approchait, je devenais plus mélancolique. […] J’avais au fond de mon cœur un je ne sais quoi qui ne m’a jamais laissé douter un seul moment que tôt ou tard je parviendrais à devenir Impératrice souveraine de Russie, de mon chef. » Elle aimait plus tard à le répéter, et son orgueil se vengeait et, pour ainsi dire, se justifiait ainsi de tant de longues humiliations subies et dévorées en silence : « En entrant en Russie, je m’étais dit : Je régnerai seule ici. […] Il paraît bien cependant que des années se passèrent (sept ans environ), avant que cette charmante jeune fille devînt femme et pût espérer de donner un héritier au trône.

1357. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

C’est ce lien des esprits et de toutes les Muses qu’il sentait si bien, et dont il eut la satisfaction d’exprimer plus d’une fois la douceur quand il fut devenu l’organe aimable et sympathique de son Académie. […] Le souvenir même de ces séances, racontés par des témoins judicieux et délicats, deviennent infidèles et se transforment, se dénaturent, tellement qu’on ne retrouve plus dans la notice lue ce que les auditeurs croient y avoir entendu d’excessif et presque de ridicule. […] si l’on est d’un art particulier, tout en restant le confrère et l’ami des artistes, savoir s’élever cependant peu à peu jusqu’à devenir un juge ; si l’on a commencé, au contraire, par être un théoricien pur, un critique, un esthéticien, comme ils disent là-bas, de l’autre côté du Rhin, et si l’on n’est l’homme d’aucun art en particulier, arriver pourtant à comprendre tous les arts dont on est devenu l’organe, non-seulement dans leur lien et leur ensemble, mais de près, un à un, les toucher, les manier jusque dans leurs procédés et leurs moyens, les pratiquer même, en amateur du moins, tellement qu’on semble ensuite par l’intelligence et la sympathie un vrai confrère ; en un mot, conquérir l’autorité sur ses égaux, si l’on a commencé par être confrère et camarade ; ou bien justifier cette autorité, si l’on vient de loin, en montrant bientôt dans le juge un connaisseur initié et familier ; — tout en restant l’homme de la tradition et des grands principes posés dans les œuvres premières des maîtres immortels, tenir compte des changements de mœurs et d’habitudes sociales qui influent profondément sur les formes de l’art lui-même ; unir l’élévation et la souplesse ; avoir en soi la haute mesure et le type toujours présent du grand et du beau, sans prétendre l’immobiliser ; graduer la bienveillance dans l’éloge ; ne pas surfaire, ne jamais laisser indécise la portée vraie et la juste limite des talents ; ne pas seulement écouter et suivre son Académie, la devancer quelquefois (ceci est plus délicat, mais les artistes arrivés aux honneurs académiques et au sommet de leurs vœux, tout occupés qu’ils sont d’ailleurs, et penchés tout le long du jour sur leur toile ou autour de leur marbre, ont besoin parfois d’être avertis) ; être donc l’un des premiers à sentir venir l’air du dehors ; deviner l’innovation féconde, celle qui sera demain le fait avoué et’reconnu ; ne pas chercher à lui complaire avant le temps et avant l’épreuve, mais se bien garder, du haut du pupitre, de lui lancer annuellement l’anathème ; ne pas adorer l’antique jusqu’à repousser le moderne ; admettre ce dernier dans toutes ses variétés, si elles ont leur raison d’être et leur motif légitime ; se tenir dans un rapport continuel avec le vivant, qui monte, s’agite et se renouvelle sans cesse en regard des augustes, mais un peu froides images ; et sans faire fléchir le haut style ni abaisser les colonnes du temple, savoir reconnaître, goûter, nommer au besoin en public tout ce qui est dans le vestibule ou sur les degrés, les genres même et les hommes que l’Académie n’adoptera peut-être jamais pour siens, mais qu’elle n’a pas le droit d’ignorer et qu’elle peut même encourager utilement ou surveiller au dehors ; enfin, si l’on part invariablement des grands dieux, de Phidias et d’Apelle et de Beethoven, ne jamais s’arrêter et s’enchaîner à ce qui y ressemble le moins, qui est le faux noble et le convenu, et savoir atteindre, s’il le faut, sans croire descendre, jusqu’aux genres et aux talents les plus légers et les plus contemporains, pourvu qu’ils soient vrais et qu’un souffle sincère les anime.

1358. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Le jeune Étienne va-t-il devenir amoureux de sa belle camarade ? […] Après l’état des lieux, on a le dénombrement et le signalement, des élèves dont aucun, à ce moment-là, si, l’on excepte Granet, n’était destiné à devenir un grand peintre ; le temps des Gérard, Gros, Girodet, était passé : celui d’Ingres ne devait venir qu’un peu après. […] David fait le tour de l’atelier et dit à chacun son mot ; le défaut ou la qualité qu’il remarque chez l’élève, dans l’ouvrage commencé qu’il a sous les yeux, lui devient un sujet de réflexions plus générales. […] Delécluze raconter cette scène au naturel : « La première fois, Maurice ne dit rien, seulement sa physionomie devint sévère ; mais lorsque le conteur eut répété de nouveau le nom sacré, alors les yeux du chef de la secte des penseurs s’enflammèrent, et Maurice fit taire le mauvais plaisant en lui imposant impérieusement silence.

1359. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Sachons bien que nous devenons, à la longue, des coopérateurs et des demi-créateurs dans ces types consacrés qui, une fois livrés à l’admiration, se traduisent et se transforment incessamment. […] Don Quichotte a eu le sort du petit nombre de ces livres privilégiés qui, par une singulière fortune, par un accord et un tempérament unique de la réalité individuelle et de la vérité générale, sont devenus le patrimoine du genre humain. Ç’a été un livre d’à-propos, et c’est devenu un livre d’humanité ; c’est entré pour jamais dans l’imagination de tous. […] Béatrix est devenue Dulcinée.

1360. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

L’auteur, on le sent, est fait pour devenir le descendant par adoption de cette antique famille littéraire que Racine, le premier, a introduite et naturalisée parmi nous. […] Là où d’autres ne sont que plats copistes, il saura être original, comme il l’a déjà été ; peut-être même il le deviendrait difficilement dans tout autre genre que celui-là. […] Ce qui dure à une certaine hauteur, ce qui se soutient ou se perfectionne a, par cela même, son caractère ; et s’il entre dans ce ménagement du talent bon sens et prudence, c’est une part morale, après tout, dont on n’a pas à rougir, et qui, parmi tant de profusions et d’écarts, devient une distinction de plus. […] Mais, en se tournant de bonne heure vers le théâtre, l’auteur des Vêpres siciliennes et des Comédiens s’est fait une route qui est bientôt devenue pour lui la principale, une carrière où, invité plutôt qu’entraîné par beaucoup des qualités et des habitudes littéraires de son esprit, il a su constamment les combiner, les diriger à bien sans jamais faire un faux pas ; où il a suivi d’assez près, bien qu’à distance convenable, les exigences variées du public, et n’a cessé de lui plaire, sans jamais forcer la mesure de la concession.

1361. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

On perd en soi-même toute émulation, et les plaisirs de la volupté deviennent le seul intérêt d’une existence sans gloire, sans honneur et sans morale ; tel on nous peint l’état des hommes du Midi sous les chefs du Bas-Empire. […] Quand les opinions que l’on professe sur un ordre d’idées quelconque, deviennent la cause et les armes des partis, la haine, la fureur, la jalousie parcourent tous les rapports, saisissent tous les côtés des objets en discussion, agitent toutes les questions qui en dépendent ; et lorsque les passions se retirent, la raison va recueillir, au milieu du champ de bataille, quelques débris utiles à la recherche de la vérité. Toute institution bonne relativement à tel danger du moment, et non à la raison éternelle, devient un abus insupportable, après avoir corrigé des abus plus grands. […] La jurisprudence romaine, qu’il était trop heureux de faire recevoir à des peuples qui ne connaissaient que le droit des armes, devint une étude astucieuse et pédantesque, et absorba la plupart des savants échappés à la théologie.

1362. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Il faut donc que ce que le poète a inventé arbitrairement pour amener ces beautés, devienne pour les spectateurs le fondement nécessaire dont elles naissent. […] C’est Alvarès qui a obtenu la liberté des prisonniers, parmi lesquels se trouvera son libérateur, qui deviendra le meurtrier de son fils. […] Il est donc bien essentiel, en crayonnant son dessin, de ménager les situations de manière qu’elles deviennent toujours plus frappantes, plus intéressantes, plus terribles. […] Dans les fables à double révolution, il faut éviter de faire entrer deux principaux personnages de même qualité, car si, de ces deux hommes également bons ou mauvais, ou mêlés de vices et de vertus, l’un devient heureux et l’autre malheureux, l’impression de deux événements opposés se contrarie et se détruit.

1363. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

» N’est-ce pas là une touche excellente, et, quoique la bonhomie n’y soit pas encore, la bonhomie, cette fleur tardive qui ne croit dans le talent qu’à travers les expériences et quand la vie nous a simplifiés, ne peut-on prévoir que Babou l’aura un jour et qu’il deviendra le peintre complet qu’il n’est que fragmentairement aujourd’hui ?… V Du reste, il ne le deviendrait jamais qu’il n’en serait pas moins, aujourd’hui même, un écrivain très spirituel, une imagination très cultivée et un homme de lettres (ajoutons ceci) qui porte très noblement, comme son dom Bazin eût porté la mitre, ce titre d’homme de lettres dont on ne sait plus assez être fier. […] … Qu’on lui ôte sa tendance très exprimée, mais très vague, au spiritualisme qu’avait aussi le sceptique Voltaire ; qu’on lui ôte ces attractions encyclopédiques qui allaient jusqu’à devenir des facultés chez Voltaire l’universel, et que restera-t-il à Babou, le satirique et non le critique ? […] Ici, la Moquerie, si jolie qu’elle fût, n’avait le droit de siffler qu’après une preuve faite contre des preuves faites ; mais elle n’était plus la Moquerie, elle était devenue l’Injure.

1364. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

J’aurais voulu, par exemple, un La Mennais devenu catholique et libéral, comme au lendemain de l’Avenir, mais ayant la force de demeurer tel sous le coup même des encycliques et malgré l’appel et l’attrait de la démocratie : je l’aurais désiré s’enfermant pendant quelque temps dans un religieux silence, et n’en sortant depuis qu’à de rares intervalles par des écrits de réflexion et d’éloquence où il aurait tout concilié, tout maintenu du moins, où il n’aurait rien sacrifié, où il serait resté opiniâtrément le prêtre de la tradition antique et des espérances nouvelles : en s’attachant à un tel rôle bien difficile sans doute, mais si fait pour imposer à tous le respect et l’estime, il aurait fini, sans la chercher, par retrouver son heure d’action et d’influence, et il n’aurait pas eu à l’acheter au prix de la considération. […] Cette ambition, en tant qu’elle se proposait une forme un peu précise, se bornait sans doute à rêver un premier ministère à côté de la duchesse d’Orléans régente ; mais au moment décisif, avec cette divination de la pensée publique qu’ont les poètes et que n’eurent jamais les doctrinaires, il sentit que la duchesse d’Orléans devenait impossible, et il fut le premier à franchir le pas et à le faire franchir aux autres. »  « — L’ambition de Lamartine était vaste et flottante comme toutes les grandes ambitions. »  « — Lamartine, en 1829 et durant les premiers mois de 1830, sollicitait du prince de Polignac l’ambassade de Grèce, et je l’ai vu revenir enchanté de l’audience du prince. […] Arthur de La Bourdonnaye. — Il fit peu après sa brochure de la Politique rationnelledédiée à Cazalès, très-raisonnable et noble manifeste. — Puis il alla en Orient mettre une page blanche entre son passé et son avenir. — Il entra à la Chambre, et fut d’abord à peu près seul du parti social, s’exerçant à manier la parole. — Il devint conservateur en défendant le ministère Molé contre la coalition. — Peu après il eut l’idée un peu brusque d’être président de la Chambre, et, n’y ayant pas réussi, il reprit son vol et passa à gauche, et par delà la gauche.

1365. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

Émus de tant de scènes funèbres, Loirvet, Legendre, Fréron, demandèrent le renvoi à leurs juges naturels des députés traduits devant la commission ; mais Rovère, ancien terroriste devenu royaliste fongueux, Bourdon de l’Oise, implacable comme un homme qui avait eu peur, insistèrent pour le décret, et le firent maintenir. […] Si, dans l’enivrement de l’âge et du patriotisme, leur imagination s’exagéra les périls et se méprit sur les remèdes, le temps et l’expérience auraient fini par tempérer cette fougue généreuse, et la Révolution eût conservé en eux des vertus civiques d’autant plus utiles qu’elles allaient devenir plus rares, et qu’on touchait à une époque de tiédeur et de corruption. […] Les noms de Ruhl, de Romme, de Goujon, de Bourbotte et de Soubrany ne font pas honte à ceux de Camille Desmoulins, de Roland, de Valazé, de Barba-roux, et pour devenir aussi célèbres il ne leur a manqué peut-être que des amis pieux qui recueillissent leurs cendres et relevassent leur mémoire.

1366. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Conclusion La perfectibilité de l’espèce humaine est devenue l’objet des sourires indulgents et moqueurs de tous ceux qui regardent les occupations intellectuelles comme une sorte d’imbécillité de l’esprit, et ne considèrent que les facultés qui s’appliquent instantanément aux intérêts de la vie. […] La valeur guerrière, cette qualité qui produit toujours un enthousiasme nouveau, cette qualité qui réunit tout ce qui peut frapper l’imagination, enivrer l’âme, la valeur guerrière que vous appelez à l’aide du despotisme, inspire l’amour de la gloire, et l’amour de la gloire devient bientôt le plus terrible ennemi de ce despotisme. […] Quand le cercle des relations s’agrandit, la moralité devient du talent, puis du génie, puis le sublime du caractère et de la raison.

1367. (1890) L’avenir de la science « VI »

Le département de la science et des recherches sérieuses devient ainsi celui de l’instruction publique, comme si ces choses n’avaient de valeur qu’en tant qu’elles servent à l’enseignement. […] Nous sommes si timides contre le ridicule que tout ce qui peut y prêter nous devient suspect ; or les meilleures choses, en changeant de nom et de nuances, peuvent être prises par ce côté. Le nom de pédantisme, qui, si on ne le définit nettement, peut être si mal appliqué, et qui pour les esprits légers est à peu près synonyme de toute recherche sérieuse et savante, est ainsi devenu un épouvantail pour les esprits fins et délicats, qui ont souvent mieux aimé rester superficiels que de donner prise à cette attaque, la plus sensible pour nous.

1368. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

Si vous faites quelque chose de plus, vous confondez les genres, vous cessez d’être poëte, vous devenez peintre ou sculpteur. […] Je dirai donc aux poëtes : ma tête, mon imagination ne peuvent embrasser qu’une certaine étendue, au-delà de laquelle l’objet se déforme et m’échappe. épuisez donc toute leur force sur une partie, en la déterminant par un module énorme, et soyez sûr que le tout en deviendra incommensurable, infini. […] Au pied d’un trône, un temps les ailes arrachées, la faux brisée et chargé de chaînes ; sur le dos de ce temps, une table d’airain où on lit : amor invenit, veritas sculpsit. et puis des femmes, des génies d’arts qui parent de fleurs un autel, y jettent de l’encens, une Renommée qui prend son vol, un tapage à étourdir, une allégorie enragée à faire devenir fous les sphynxs et les Oedipes avec son noir et son jaunâtre.

1369. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

On peut même penser que les écrits des grands hommes de notre nation, promettent à notre langue la destinée de la langue grecque litterale et de la langue latine, c’est-à-dire, de devenir une langue sçavante, si jamais elle devient une langue morte. Mais, dira-t-on, ne pourra-t-il pas arriver que les critiques à venir fassent remarquer dans les écrits que vous admirez des fautes si grossieres, que ces écrits deviennent des ouvrages méprisez par la posterité ?

1370. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Il y en a toujours assez, de conscrits, en littérature, et qui ne deviennent jamais maréchaux. […] Bélise de cette maison, mais qui n’a pas vieilli fille, comme l’autre Bélise, elle est devenue une madame Philaminte de haut parage qui a dégourdi son mari Chrysale, lui a appris Villemain, l’a voué à la littérature et l’a fait académicien, en attendant qu’elle devienne académicienne à son tour !

1371. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire de la Révolution »

L’Histoire de la Révolution est la narration ou l’amplification obligée de tous les rhétoriciens de politique qui aspirent à devenir plus tard des hommes de gouvernement. […] Comme les paladins du poème de l’Arioste, toute cette assemblée devient folle. […] Il s’est fait historien de la Révolution française pour devenir homme d’État, et peut-être restera-t-il écrivain.

1372. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Vous les retrouveriez, trait pour trait et presque mot pour mot, dans cette Histoire de la Révolution française maintenant terminée, si vous vouliez les y chercher… et telle est la première sensation désagréable que nous cause ce livre, fait avec un autre livre, dans lequel la pensée, devenue inféconde, se reprend à couver la coquille vidée d’un œuf éclos. […] S’il n’y avait de dangereux que les chefs-d’œuvre, la Critique pourrait devenir sans inconvénient une bonne fille et le nouveau livre de Michelet rester bien tranquille dans sa primitive innocence. […] Ainsi encore, après Théroigne de Méricourt, une figure moins terrible, une sainte plus douce, mademoiselle Kéralio, madame Robert, une fille noble, mal mariée, devenue ambitieuse, et tombée, à force d’abjection et de folie, dans le mépris de madame Roland, et si bas que Michelet, ému jusqu’aux entrailles dans la personne de cette petite madame Robert, se risque à protester contre le portrait déshonorant qu’en fait madame Roland dans ses Mémoires : « Ce qui prouve — ajoute-t-il mélancoliquement — que les plus grands caractères ont leurs misères et leurs faiblesses ! 

1373. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Le journalisme, cet ogre qui aime la chair fraîche littéraire et qui mange les littérateurs en bas âge, a dévoré l’homme de lettres que Pelletan aurait pu devenir. […] Il est devenu la borne de ses idées. […] Devenu superficiel par le fait de ce journalisme qui diminue les facultés des hommes, quand il ne les tue pas après les avoir dépravées, Pelletan, qui n’a plus rien de sérieux dans la pensée, ne s’en est pas moins donné la peine du diable qu’est obligé de se donner tout journaliste pour enlever son publie, tout en l’amusant.

1374. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

Ce sont quatre-vingts lettres à peu près d’une grande dame du siècle dernier, — de cette fameuse marquise de Créqui dont le nom historique est devenu littérairement si célèbre, grâce à des Mémoires qui furent toujours contestés et que Sainte-Beuve traita hardiment d’apocryphes. […] Et il devint pour longtemps — pour toujours peut-être — une question littéraire. […] Au sein de cette génération qui avait du sang de Faublas dans les veines, ç’avait été une femme pure devenue très franchement une dévote.

1375. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

Nous sortons des Œuvres inédites pour entrer dans la Correspondance, qui est le fond réel et sérieux de cette publication, et nous n’avons plus devant nous que le Tocqueville connu, et qui n’est pas couleur de rose, le Montesquieu du xixe  siècle pour la vieillesse de Royer-Collard, devenue indulgente ; car c’est un singulier Montesquieu, il faut le reconnaître, qu’un Montesquieu fluide et pâlot, sans épigrammes et sans facettes ! […] Qu’avait-il donc qui pût s’imposer à la vue devenue incertaine de Royer-Collard déclinant ? […] Vers 1833, cette Correspondance devient uniquement la garde-robe des idées du livre qu’il méditait alors sur l’Ancien Régime et la Révolution, mais elles sont là toutes chiffonnées, pêle-mêle, accrochées au porte-manteau, attendant la toilette du livre qui leur donnera tout ce qu’elles peuvent avoir de valeur.

1376. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Honteux d’être obligé de rétrograder jusque-là, car il a un bon sens qui se révolte probablement contre les conclusions de sa philosophie, l’historien de l’intelligence essaie de s’abriter sous l’opinion (d’ailleurs rétractée) de saint Augustin, dont le génie, comme on le sait, élevé dans les écoles, oscilla plus d’une fois aux souffles de son temps, avant de devenir la ferme lumière qui a brillé dans le monde catholique, phare immobile à travers les siècles ! […] L’un veut deviner comment l’œil voit, et il se crève un œil ; l’autre comment l’épi devient tel, et il ne sème pas. […] Il a la prudence des serpents d’alors, qui étaient forts plats ; il ne déduit pas longtemps ses idées, il les ombrage quand elles deviennent trop claires, et les brise dans cette plaisanterie, qui est une ressource, mais on n’en voit pas moins passer la lueur.

1377. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Mais il est visiblement embarrassé de ce qu’il deviendra et surtout de ce qu’il vaut. […] En effet, je ne sais guère, — pas plus que M. de Montalembert, — ce que deviendra son histoire ici présente, mais je crois savoir ce qu’elle vaut, et je veux même essayer, s’il veut bien me le permettre, de le lui montrer. […] Or, pour peu qu’on ait rafraîchi ou brûlé son front aux sublimes choses que le christianisme a fait jaillir de l’âme humaine, en y débordant, pour peu qu’on ait lu la Vie des Saints, les Pères du Désert, la Chronique des monastères, devenue en ces derniers temps de l’histoire sans laquelle il n’y a plus d’histoire d’aucune espèce, dans l’Europe désorientée, l’histoire des Moines d’Occident, de M. de Montalembert, ne paraîtra plus que ce qu’elle est, c’est-à-dire : plusieurs grands et puissants livres, diminués en un seul.

1378. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

Il ne pouvait pas être uniquement le pur imagier des temps convaincus, et il a écrit son histoire comme on écrit l’histoire en nos époques de critique et de décadence, où la grandeur religieuse devient de plus en plus incompréhensible. […] Ils ont bien d’autres affaires vraiment que de s’occuper des pauvres curés qui, de vertus humbles en vertus humbles, deviennent des saints ; et c’est pour cela que l’abbé Monnin a dédié spécialement à ceux-là, qui ne connaissaient pas le curé d’Ars, l’histoire qui le leur apprendra. […] IV Tel il m’apparaît dans le livre de l’abbé Monnin et tel il fut peut-être dans les desseins de Dieu, ce Curé d’Ars qui n’est pas seulement au ciel un Saint de plus, mais qui devait être sur la terre le type le plus accompli du grand confesseur, peut-être pour refaire aimer la confession à l’orgueil, devenu muet, des hommes !

1379. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

Zola fait éruption dans la célébrité, que voulez-vous que devienne, à son antipode, le spiritualiste, le religieux, le mystique Hello ? […] L’homme est confisqué au profit de Dieu, qui devient en revanche le profit de l’homme… Le livre de Hello, dit-il encore dans sa préface, commence et finit par le nom de Dieu. […] C’est le crime intellectuel, qui ne s’est jamais accompli qu’au fond de la conscience, et qui sort du fond de ses enfoncements et de ses ténèbres pour devenir extérieurement, par le remords, une réalité, une épouvantante et visible réalité !

1380. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

La couleur, cette chose moderne qui est devenue une exigence, était rare dans la littérature historique d’autrefois, plus grave et plus nerveuse que colorée. […] Le peintre est devenu l’homme foule de ce peuple qu’il ramène sous une poussée de traits pressants et de coups de pinceaux acharnés, dans l’orbe visuel de la Postérité. […] Il lui faut, à ce peintre de masses, à ce maître de la fresque qui procède toujours par de magnifiques accumulations de détails, et qui, pour les entasser, a besoin d’espace, il lui faut, pour jouer dans sa force, le pourtour d’un peuple, l’hémicycle d’une société ou d’une époque, et je ne connais guères que Macaulay, dans plusieurs de ses beaux Essais historiques, publiés dans La Revue d’Edimbourg, qui ait cette étendue et cette largeur d’embrasse ; mais Macaulay, bien plus littéraire que plastique, n’a pas la couleur de José-Maria de Heredia, quoique Macaulay, comme Heredia, ait été un poète avant de devenir un prosateur !

1381. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

Il est devenu un érudit de volonté, mais quand il écrivait son livre intitulé : La Fontaine et ses Fables, qui fut, je crois, sa Thèse pour le Doctorat, et qu’il a reprise et parachevée (1875), il débutait dans les lettres et il avait alors la fraîcheur et la vie d’un esprit jeune qu’il a trop sacrifié depuis à toutes les disgrâces de l’érudition. […] Infusée partout et dans tout, cette bonhomie devient créatrice. […] Il le dit lui-même : « Je suis chose légère. » Les femmes qui l’aimèrent, l’aimèrent surtout comme de belles marraines qui lui firent chanter sa romance à Madame jusqu’à sa dernière heure, à ce Chérubin attardé qui devint une barbe grise avant de cesser d’être un enfant, mais qui finit, tout en la chantant, par rire de sa romance.

1382. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Il est vrai que cette gloire, qui, vu l’esprit de l’époque, tendrait un peu à devenir momie, Hugo et Lamartine, pour la raviver et pour la rajeunir, l’ont plongée, comme le vieil Éson, dans la cuve bouillante de la politique, tandis qu’Auguste Barbier, qui est sorti de cette cuve-là comme le bronze de la fournaise, n’y est pas rentré, et s’est — comme les morts — froidi à l’écart. […] Ailleurs, ce terrible dévoré d’envies non contentées, devenu plus calme et moins plaintif, se prend à chanter sur un flageolet plus guilleret : Merci ! […] Eh bien, Auguste Barbier est un grand artiste d’élan qui ne sait pas son métier, et qui ne le sait pas à une époque où le métier est devenu plus obligatoire que jamais pour l’artiste, puisqu’il est la seule chose dans l’artiste que le temps puisse perfectionner !

1383. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Une fois marié avec cette Picot, et brouillé, à cause de ce mariage, avec un oncle, moitié bourgeois, moitié manant, qui le déshérite, il est devenu un médecin de campagne très-réussissant et très-heureux, avec une femme qui me semble à moi la vraie femme d’un homme d’action et de pensée, mais que M.  […] une surprise qu’on ne peut pardonner, même à la bête humaine, car elle devient un arrangement et le plus honteux des esclavages entre ce mâle et cette femelle que l’on nous donne pour un homme mûr et pour une jeune fille ! […] Par exemple, quand il introduit le jeune Paul dans sa maison et qu’il le fait vivre avec Rosette, il n’est pas seulement un être stupide, mais il devient un être impossible.

1384. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Douanier d’abord, il a fait la contrebande et il a été chassé de son poste ; et de douanier contrebandier, il est devenu acheteur d’âmes mortes. […] Au lieu de s’abattre de haut et de gauler fort et ferme sur tout ce qui fait que la Russie est la Russie, Gogol, dans la seconde partie des Ames mortes, rabat sa manche, pédantise, devient utilitaire, et le satirique disparaît derrière l’utopiste. L’auteur devient effroyablement ennuyeux.

1385. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Constantin, enfin, unissant les usages de l’ancienne Rome à ceux de l’église, et les droits de l’autel à ceux du trône, devenu chrétien, fut tout à la fois empereur et orateur sacré. […] Ce maître devient le tyran de sa pensée et le législateur de son goût ; ce maître lui dicte ses opinions, et jusqu’aux mots dont il doit se servir. […] Il ne reste alors que ces traits distinctifs, que la renommée saisit quand il y en a ; quand il n’y en a point, il ne reste plus rien ; et que deviennent alors les panégyriques ?

1386. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Au sein de l’Italie même, et dans les climats les plus riants, la terre devint stérile et sauvage. […] L’homme, dans cet état, fut condamné à l’ignorance et à la barbarie ; il devint sauvage comme le globe qu’il habitait. […] Peu à peu ses sons se polirent, mais il ne devint une langue harmonieuse, précise et forte, que sur la fin du règne de Louis XIII.

1387. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Elle ne dure qu’à condition de paraître devenir un État civilisé analogue, dans ses usages nouveaux, à la pratique de ses hauts protecteurs. […] La tête tourne de songer ce que deviendrait ce pays, travaillé par nos machines, et sous les eaux et les feux dont nous disposons. […] Ce puritanisme qui avait renversé dans le sang les distinctions et les pouvoirs de la vieille société anglaise, est devenu de bonne heure le ciment et le lien de l’égalité américaine.

1388. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

s’écrie le feuilletoniste… Mentschikoff la trouva si belle, qu’elle devint sa maîtresse le czar Pierre Ier la trouva si superbe, qu’elle devint sa femme (voici l’endroit où bifurque la plume de l’écrivain). […] Fou dans le monde des faits et de la vie active, il devenait un sage dans les régions purement spiritualistes. […] Mais ont-ils gagné au change, depuis que, devenus pour la plupart avoués ou juges de paix, au fond de leur province, ils font leur société de trois idiots d’une sous-préfecture ? […] Ponroy a en Portefeuille pas mal de tragédies dont le placement est devenu difficile. […] Que sont devenus ces feuilletons ?

1389. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVIII » pp. 158-163

Les ambitions littéraires sont vivement excitées par ces deux vacances à l’Académie dont les fauteuils deviennent de plus en plus recherchés. […] j’ai là mon armée derrière moi, et il me faut marcher. » — Les brigues auxquelles il est presque nécessaire de se livrer pour quiconque aspire au fauteuil académique, paraissent devenir de plus en plus exigeantes et onéreuses à mesure que les habitudes politiques et parlementaires pénètrent jusque dans la littérature.

1390. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Donec eris felix… »

« On ignore ce que devint le général après son échauffourée. […] Car, à moins qu’il ne soit devenu un grand sage pour avoir vu les hommes de près ou qu’il n’ait été secouru par une heureuse frivolité de caractère, cet homme si rudement tombé, et de si haut, doit, à l’heure qu’il est, souffrir infiniment.

1391. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Introduction »

Elle les attribue à une lente sélection où les mieux réussies l’emportent, subsistent, s’impriment dans l’organisme et deviennent enfin héréditaires. […] Ainsi pourront se réconcilier, en ce qu’ils ont de plus essentiel, l’idéalisme et le naturalisme : les idées deviendront des formes supérieures de la vie et de la volonté, par cela même des idées-forces, au lieu de demeurer inactives dans un monde de reflets et de fantômes.

1392. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre II »

Les mots primitifs d’origine germanique sont encore dans le vocabulaire au nombre de plus de quatre cents  ; on compte dans la même couche ancienne, mais tout à fait à la surface, une vingtaine de mots grecs importés par les Croisés, au xiiie  siècle ; la langue française ayant à ce moment un grand pouvoir d’assimilation, leur origine est méconnaissable ; radicalement francisés, ils sont devenus chaland, chicane, gouffre, accabler, avanie. […] La filiation d’un mot, même du latin au français, n’est presque jamais immédiatement perceptible ; très souvent le mot français a une signification tout à fait différente de celle qu’il supportait en latin ; bien plus, à quelques siècles, et même à quelque cinquante ans de distance, un mot français change de sens, devient contradictoire à son étymologie, sans que nous nous en apercevions, sans que cela nous gêne dans l’expression de nos idées ; d’identiques sonorités expriment des objets entièrement différents, soit qu’elles aient une origine divergente, soit qu’un mot ait assumé à lui seul la représentetation d’images ou d’actes disparates10.

1393. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Clément Marot, et deux poëtes décriés, Sagon & La Huéterie. » pp. 105-113

Cette idée de poëte champestre devint un fonds de plaisanterie ; & le rondeau suivant parut : Qu’on meine aux champs ce coquardeau, Lequel gaste, quand il compose, Raison, mesure, texte & glose, Soit en ballade ou en rondeau. […] La guerre sur le Parnasse devint générale.

1394. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 5, que Platon ne bannit les poëtes de sa republique, qu’à cause de l’impression trop grande que leurs imitations peuvent faire » pp. 43-50

Selon lui les loüanges des dieux et celles des heros mises en vers en deviennent plus capables de plaire et de se faire retenir. […] On pourroit répondre à Platon qu’un art necessaire et même simplement utile dans la societé, n’en doit pas être banni, parce qu’il peut devenir un art nuisible entre les mains de ceux qui en abuseroient.

1395. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Charles Barbara » pp. 183-188

Eh bien, voici un écrivain qui ne rabâche pas les idées ou les descriptions de ses maîtres, et qui pourrait bien devenir un jour un grand romancier : Charles Barbara, — un jeune homme qui s’est battu avec la vie et peut-être avec son talent, pour le faire sortir ! […] De mourant de faim devenu riche, il cache sa richesse, et ce qu’il en montre, il l’établit, il le justifie par des comptes, par un à-jour de ses travaux et de ses salaires dont il poursuit les yeux les plus indifférents.

1396. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Donnez-leur l’histoire du cœur humain dans les grandes conditions, cela devient pour eux un objet important. […] Ce sculpteur deviendra fou. […] Balzac enfant célèbre n’aurait pu devenir homme célèbre, ou n’aurait pu l’être à la façon dont il l’a été. […] Je suis devenu son ami, parce que toutes ces qualités m’ont attiré. […] Tout le monde devint alors empoisonneur, et les honnêtes gens ne purent jamais rétablir l’ancien mot et la vérité.

1397. (1901) Figures et caractères

Les mots deviennent des êtres ; le poète les aime pour eux-mêmes. […] Il est secrétaire du Roi et devient gentilhomme. […] Depuis, il est devenu une sorte de barde national. […] Ce qui n’était qu’un trait individuel est devenu un fait national. […] De vocale, si l’on peut dire, elle devient musicale.

1398. (1802) Études sur Molière pp. -355

Oui, mais sans ses mauvais procédés il devenait époux comme son frère. […] Il a même fallu tout l’art de Molière pour qu’elle ne devînt pas intéressante. […] Que deviendrait le pompeux étalage de toute sa garde-robe ? […] , ces vers, si pleins de sentiment, ne deviennent-ils pas niais et ridicules ? […] Convenez, va-t-on me dire, qu’une pareille moralité est devenue inutile dans un siècle philosophique.

1399. (1927) Approximations. Deuxième série

Or la finesse dans la vision peut devenir insistance indiscrète ! […] La vision se formait depuis plusieurs lignes déjà sous la phrase, mais elle ne devient précise, d’une précision aiguë et subite, que lorsque le nom du peintre nous monte aux lèvres. […] Par sa nature même, le talent des Goncourt les désignait pour devenir de ce jeu du sort des victimes qu’ils auraient qualifiées d’« exquises ». […] « Ils deviennent des almanachs de l’autre année ». […] Tout ce bruit en train de devenir une parole, c’est peut-être intéressant après tout.

1400. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Ses genoux, me disait ma mère, étaient devenus mon berceau. […] Je fus d’abord contrarié de cette violence d’amitié, puis touché, puis vaincu, et cette maison devint la mienne. […] Il m’amena lui-même dans ma retraite devenue foule, le prince de Léon, ce jeune duc de Rohan que la dévotion enlevait déjà au monde, mais qui goûtait encore dans la poésie et dans l’amitié les dernières et les plus pures illusions de la vie. […] C’est là que je connus M. de Cazes, qui allait devenir son gendre, favori spirituel, beau et séduisant, de Louis XVIII, qui ne demandait qu’à être un nouveau Mécène d’un nouvel Auguste, si les Horace et les Virgile avaient surgi au gré du prince et du ministre. […] J’ai du sang-froid et je les mène à un port quelconque, peu m’importe le port, pourvu qu’il abrite ; que deviendrait l’équipage, si tout le monde se noyait avec le pilote ?

1401. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Sancy, Fæneste par instants, deviennent des types ; et d’Aubigné fait revivre, avec une verve merveilleuse, ici les raffinés piaffeurs et faméliques de la régence, là les politiques souples et bas du règne de Henri IV. […] La poésie de forme lyrique, qui était devenue une poésie de cour ou de ruelle, n’ayant guère ailleurs d’emploi, fut la première gagnée, et les enseignements de Malherbe en furent corrompus. […] Il y a beaucoup de sens et d’esprit dans ces conversations un peu longues, qui, publiées à part, devinrent comme le manuel de la bonne société. […] Les gens de lettres aidèrent les dames à parfaire leur œuvre : la condition des uns et des autres en devenait meilleure. […] Charlemagne, 42 chants, 1664 ; Carel de Sainte-Garde, Childebrand, 16 livres, 1666 (devenu en 1679 Charles Martel) ; ajoutez Saint-Amaut.

1402. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Nos comédies deviendront toutes des romans dialogués : on abandonnera l’ancien goût, par la facilité & l’abondance du nouveau. […] Dans sa Dissertation sur l’origine & le caractère de la parodie, il assure qu’en leurs mains, elle devient le flambeau dont on éclaire les défauts d’un auteur qui avoit surpris l’admiration . […] Les droits communs à tous les hommes devroient-ils être refusés à des hommes entretenus par le roi, dévoués à l’amusement, à l’instruction, à la gloire de la nation & devenus même, par le luxe des riches, une ressource pour les pauvres ? […] C’est qu’on n’y puise que le persifflage, la dissipation & la licence ; que les hommes apprennent à y devenir des sybarites ou des scélérats, & les femmes de petites maitresses ou des mégères. […] « Seroit-ce que pour devenir tempérant & sage ; il faut commencer par être furieux & fou. » Il voit plutôt le contraire : il voit que la peinture qu’on fait d’elles les rend préférables à la vertu ; que les plus grands scélérats jouent sur le théâtre le plus beau rôle ; qu’ils y paroissent avec tous les avantages & tout le coloris des exploits des héros ; que les Mahomet y éclipsent les Zopire, & les Catilina les Cicéron ; que de semblables portraits ne sont propres qu’à faire revivre les originaux.

1403. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VIII : Hybridité »

À ce point de vue, les espèces originales devraient avoir produit tout d’abord des hybrides parfaitement féconds, ou tout au moins ils devraient l’être devenus par suite de la domestication pendant les générations suivantes. […] Quelque chose d’analogue s’observe à l’égard de la greffe : car Thouin a constaté que trois espèces de Robinia (Acacia) qui donnaient des graines en abondance sur leur propre tige pouvaient se greffer assez facilement surfine autre espèce, mais qu’alors elles devenaient stériles. […] Dans l’un et l’autre cas, la tendance à la stérilité semble jusqu’à certain point en connexion avec les affinités systématiques ; car des groupes entiers d’animaux ou de plantes deviennent impuissants à se reproduire sous les mêmes conditions de vie contre nature, comme des groupes entiers d’espèces ont une disposition innée à produire des hybrides stériles. […] Je ne prétends pas non plus que les quelques remarques que j’ai rassemblées ici aillent jusqu’au fond de la question : rien ne peut nous expliquer pourquoi un organisme placé sous des conditions de vie contre nature devient stérile. […] Il semble donc que, d’un côté, de légers changements dans les conditions de vie soient avantageux aux êtres organisés, et que, d’autre part, quelques croisements entre les mâles et les femelles de la même espèce, qui ont varié et sont devenus légèrement différents les uns des autres, donnent à la fois vigueur et fécondité à la race.

1404. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Pourquoi est-il devenu le malheureux « animal politique ?  […] La civilisation devient un cruel : Marche ! […] Les plus avisés, (que devient décidément l’imbécillité orginelle ?) […] Le débat de son être devient le drame de l’humanité. […] Il devient ou est violemment sollicité à devenir (car un tel résultat est le contradictoire, l’impossible) système, programme, centre de ralliement des esprits.

1405. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Mon ambition était de devenir un caleçon rouge. […] De délicat j’étais devenu très-vigoureux. […] Saturée lentement de sucs vénéneux, elle est devenue elle-même un poison vivant qui neutralise tous les toxiques. […] » Maintenant Paul de Kock est devenu un auteur historique. […] Peu à peu les figures changent, l’une s’allonge, l’autre s’élargit, une autre devient rouge, une autre devient verte.

1406. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

C’est pourquoi le titre de « papa » est devenu un peu ridicule. […] Allais-je par hasard devenir amoureux de ma femme, moi, don Juan Tenorio ? […] En même temps, de hardi qu’il était, il est devenu timide. […] Le gouvernement, jadis patriarcal, devint une bureaucratie. […] Les chroniqueurs ne savent pas au juste ce qu’elle devint.

1407. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Don Cristoval (c’est le nom de l’heureux vaurien), devenu le père de la Croix, est le don Quichotte de l’ascétisme : il donne tout dans ce troc sublime, les mérites de ses prières, de ses macérations, de ses jeûnes, pour devenir l’acquéreur d’infirmités repoussantes. […] Ces peines et ces chagrins, qui nous mordaient le cœur comme des lutins malicieux, deviennent nos bons anges. […] Voilà l’aimable grisette devenue classique par la force de son désir ! […] Elle a créé en lui un état d’âme qui est devenu constant et sans lequel le malheureux ne pourrait plus vivre. […] D’ailleurs cet ennui si funeste avait fini par lui devenir nécessaire, il était devenu une habitude comme l’opium et le tabac.

1408. (1888) Portraits de maîtres

Sa figure s’animait, sa parole devenait prompte et son geste extrêmement vif. […] La nature devenait l’amie et la confidente de la fugitive Psyché, cette amante d’Éros. […] Ce beau livre, simple recueil des impressions du père de famille, est devenu classique à juste droit. […] Tout devient plus touchant, plus solennel. […] Quinet y avait mis toute sa longue tendresse pour la fiancée qui, un an après, devint sa femme.

1409. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Calmann, devenu, par la mort de son frère aîné, le chef unique de la maison. […] Sous Napoléon III, les allures devinrent plus libres et les physionomies plus vulgaires. […] Il a raison ; quand ils n’ont plus de prêtres, les dieux deviennent très faciles à vivre. […] Sa chanson était devenue une chanson populaire. […] Saint Hubert devint après elle le patron de la forêt.

1410. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Ces snobs devenus plus nombreux, cela forme le public. […] Deviens ta propre fleur. […] Rimbaud devenait ainsi une sorte d’Arvers, à rebours. […] C’est cette préoccupation « que deviendra Paris, que sera la ville future ?  […] En tout cas, ne comptez pas que mon humeur deviendrait moins vagabonde.

1411. (1911) Nos directions

Bonnet est-il devenu ministre ? […] Le ballet aussi devient drame. […] Son luxe aura vaincu ici une naïveté factice… Mais que devient dans tout cela l’esprit chrétien ? […] Qu’il le soit devenu depuis, il ne me suffit pas, pour y croire, de l’entendre dire. […] Une forme neuve est d’abord difficile, pour devenir facile — et trop facile un jour.

1412. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Dès qu’ils sont isolés, ils perdent tout intérêt ou même deviennent pénibles. […] On y voit que c’est le songeur lui-même qui est le plus surpris quand son rêve devient réalité. […] Et quand l’art est artificiel, il devient monotone. […] « Il devient familier avec la beauté de la solitude. […] Il est si éloquent que tout ce qu’il touche devient irréel.

1413. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Un avancement lent n’était pourtant pas interdit encore au mérite obscur : un officier de fortune pouvait, à force de valeur, et sur la fia de sa vie, aspirer à la place de major ou de lieutenant colonel, et devenir le mentor en titre du colonel étourdi, non moins impatient de conseil qu’incapable de commandement. […] L’infortune est d’elle-même chose vénérable et sacrée : faut-il qu’elle s’abaisse à devenir persécutrice et scandaleuse !

1414. (1874) Premiers lundis. Tome I « Bonaparte et les Grecs, par Madame Louise SW.-Belloc. »

Bonaparte était général en chef de l’armée d’Italie ; vainqueur de Venise, il ajoutait aux possessions françaises, par le traité de Campo-Formio, Corfou, Zante, Céphalonie, Sainte-Maure, Cérigo, avec les villes et ports de l’Albanie ; les Grecs devenaient ainsi nos alliés et nos voisins. […] Mais, à son retour, il ne trouva plus Bonaparte à Milan, et c’est à Paris que ce vieillard, devenu presque aveugle dans le voyage, parvint, non sans beaucoup de peines et de démarches, à remettre au général divers mémoires qui répondaient à ses questions.

1415. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemercier, Népomucène Louis (1771-1840) »

Mais quelle misère que, Napoléon devenu maître du monde, Lemercier voie toutes les amertumes empoisonner sa vie ; qu’incrédule envers l’empereur, il doive marcher de revers en revers, comme l’empereur de triomphes en triomphes ; qu’il finisse par être attaqué jusque dans les débris de sa fortune ! […] Déjà placé trop haut pour descendre aux exclusions de partis, de plain-pied avec tout ce qui était supérieur, il devint en même temps l’ami de David, qui avait jugé le roi, et de Delille, qui l’avait pleuré.

1416. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Introduction » pp. 2-6

Et ce combat d’opinions ne cesse pas : il se renouvelle avec chaque génération ; l’histoire devient ainsi un perpétuel recommencement. […] L’une doit rester en majeure partie subjective ; l’autre travaille à devenir aussi objective que possible.

1417. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Mais la Révolution est proche ; les caractères deviennent plus virils, les tragédies plus austères, témoin les œuvres de Marie-Joseph Chénier ; aussitôt Corneille remonte dans l’opinion générale, pendant que Racine, considéré comme trop courtisan et trop délicat, y descend. […] Toute société, avant d’être réalisée, existe à l’état de rêve, de conception, de désir ; et cela devient de plus en plus vrai à mesure que les peuples prennent d’eux-mêmes et de leurs besoins une conscience plus claire.

1418. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Sophocle, et Euripide. » pp. 12-19

C’est ainsi que tant d’écrivains & d’artistes, blanchis dans l’art, & enivrés des plus grands succès, en usent à l’égard des jeunes gens qui s’élèvent jusqu’à devenir leurs rivaux. […] La jalousie des deux célèbres tragiques Grecs eut son terme ; elle devint une noble émulation.

1419. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Cet auteur est devenu, de siecle en siecle, un objet important de la vanité et de la curiosité humaine. […] Ainsi le parti de l’erreur se grossit tous les jours de ceux mêmes qui l’ont reconnuë ; tout désabusés qu’ils sont, ils tiennent le même langage que ceux qui sont encore trompés ; et ils deviennent eux-mêmes une nouvelle autorité pour en abuser d’autres. […] Il y a pourtant bien des gens de ce caractere, et je pourrois décéler ici plusieurs complices de mes sentimens, qui, faute de courage, en deviendront peut-être les censeurs. […] Il entre d’ordinaire dans un trop grand détail, et ses peintures, à force de minuties, deviennent froides et languissantes. […] Je réponds à cela que je ne sçaurois lui porter d’atteinte qu’autant qu’elle seroit injuste, et que les erreurs accréditées n’en deviennent pas plus respectables.

1420. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Qu’on le veuille ou non, on change, on s’instruit, on devient responsable de ses actions. […] (j’ai oublié le reste de son nom) devint en deux ou trois jours une autre personne : une personne, je ne comprenais pas alors ce que cela voulait dire ; à présent je le comprends. […] Que devenir ? […] Les premières mesures vont bien ; mais je ne sais par quelle magie les airs si lents finissent toujours par devenir des prestissimo. […] Gaullieur, possesseur des papiers de Mme de Charrière, a publié d’elle dans la Revue Suisse de l’année 1856 ; j’y recommande aux bibliographes la page 692 où se trouvent toutes les indications désirables pour qui veut se compléter sur son compte, ce qui devient difficile.

1421. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Tantôt c’est un vice choisi dans les catalogues de la philosophie morale, la sensualité acharnée après l’or ; cette double inclination perverse devient un personnage, sir Épicure Mammon ; devant l’alchimiste, devant le famulus, devant son ami, devant sa maîtresse, en public ou seul, toutes ses paroles expriment la convoitise du plaisir et de l’or, et n’expriment rien de plus121. Tantôt c’est une manie extraite des sophistes anciens, le bavardage avec horreur du bruit ; cette formule de pathologie mentale devient un personnage, Morose ; le poëte a l’air d’un médecin qui aurait pris à tâche de noter exactement toutes les envies de parler, tous les besoins de silence, et de ne point noter autre chose. […] » — « Cependant on offre de les prouver, et les dénonciateurs y engagent leur vie133. » Sur ce mot, la lettre devient menaçante. […] Excité par sa propre douleur secrète, il devient furieux146. […] Puis quand il a bu l’eau de la fontaine, devenu tout à coup impertinent, téméraire, il propose à tous venants un tournoi de belles manières.

1422. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Ascanio, lui disait-elle, qu’as-tu donc fait pour devenir si beau garçon ? […] Don Diego, sans me répondre, alla rapporter mes paroles à Francesco, qui en eut tant de peine qu’il ne savait que devenir. […] Le duc devint furieux de cette estimation ; et, lorsque j’en eus connaissance, je dis que je ne voulais rien de ce qui venait de Bandinello. […] Le duc rejeta bien loin cette requête, et continua ses commandes et ses bienfaits dans certaines limites, et Benvenuto devint, après Michel-Ange, le plus grand sculpteur d’Italie. […] Cette servante, appelée Piera, devint sa femme, et il en eut plusieurs enfants.

1423. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Oui, je peux le dire, si pour peindre le monde j’avais attendu que je le connusse, ma peinture serait devenue un persiflage. » C’est ainsi que Goethe disait de Byron que le monde était pour lui transparent, et qu’il pouvait le peindre par pressentiment. […] « Puis arrivent, en grand nombre encore, ceux qui sont devenus mes adversaires parce qu’ils n’ont pas réussi eux-mêmes. […] Weimar, sans doute, deviendra une très grande ville, mais il nous faut cependant attendre encore quelques siècles pour que le peuple de Weimar compose une masse telle, qu’il ait son théâtre et le soutienne. » On avait attelé ; nous partîmes pour le jardin de sa maison de campagne. […] » Les nuages devenaient plus menaçants, on entendait un sourd tonnerre, quelques gouttes tombèrent, et Goethe pensa qu’il était sage de retourner à la ville. […] une des fauvettes, devenue déjà grosse, se mit à donner la becquée aux oiseaux plus petits qu’elle ; cela, il est vrai, un peu par jeu et en enfant, mais cependant avec le désir et le penchant bien marqué d’imiter l’excellente mère.

1424. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Les uns devinrent conseillers d’État, sous-secrétaires d’État, en attendant d’être ministres ; les autres voulurent être et furent conseillers d’université, pairs de France : il y eut une légère curée dans les hauts rangs. […] Magnin, le but, le terme dernier et prochain de son ambition était tout indiqué : c’était de devenir un des conservateurs de la Bibliothèque du roi, où il était employé depuis dix-sept ans et où il avait passé par tous les degrés de la hiérarchie. […] Ce n’est que sur les matières de théâtre qu’il commence à devenir tout à fait lui et un maître à sa manière. […] Sa santé, de tout temps délicate, était devenue déplorable. […] Magnin, toujours tolérant pour les autres, était devenu sévère et mortifié pour lui-même.

1425. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Victorin Fabre se trompa ; les convictions enracinées, le besoin d’approfondir, toutes ces choses honorables lui devinrent funestes. […] Lorsqu’il fut devenu aide de camp de l’Empereur, M. de Narbonne voulut lui être un protecteur actif. […] Villemain sortit des affaires avec son patron et donna des preuves alors de cette honorable fidélité à des amitiés politiques, qui est devenue bientôt de la fidélité à des principes115. […] Et là où il faut se souvenir, sa mémoire vaste, distincte, actuelle, et qui a un certain tour d’invention, devient un nouvel étonnement. […] Jay des articles pour le Journal de Paris : ces articles, à mesure qu’il les écrivait, devinrent peu à peu, sous sa plume fertile, tout un volume, comme cela lui arriva aussi pour Suard ; mais le volume sur Montaigne est, par malheur, resté dans ses papiers.

1426. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Il devint clair, à ceux qui avaient espéré mieux, que ce ne serait pas cette génération si pleine de promesses et tant flattée par elle-même, qui arriverait. […] Le miroir en son sein est devenu plus large, plus net et plus reposé que jamais, d’une sérénité admirable, bien qu’un peu glacée, un beau lac de Nantua dans ses montagnes. […] A partir de 1816, il devint maître de conférences à l’École, et fut en même temps attaché au collège Bourbon jusqu’en 1822, époque où M.  […] Si l’on examine enfin l’allure et le langage du Globe depuis qu’il devint expressément politique, c’est-à-dire sous les ministères Martignac et Polignac, on y trouve une hardiesse, une fermeté de ton qu’aucun organe de l’opposition d’alors n’a surpassées. […] Ces cours privés étaient fort recherchés ; quelques esprits déjà mûrs, des camarades du maître, des médecins depuis célèbres, une élite studieuse des salons, plusieurs représentants de la jeune et future pairie, composaient l’auditoire ordinaire, peu nombreux d’ailleurs, car l’appartement était petit, et une réunion plus apparente serait aisément devenue suspecte avant 1828.

1427. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Joie et larmes deviennent des hymnes dans sa voix. […] Mais je parle des hommes les plus froids, les plus simples, les plus illettrés : ils ont des heures où ils deviennent à leur insu de grands lyriques. […] Le château, malgré sa belle architecture italienne et ses traces d’antique élégance, était devenu ainsi une magnifique ferme. […] Ce Daphnis était un jeune toucheur de bœufs du château, que mon oncle avait pris par charité à une pauvre veuve du village d’Arcey, et qui, de berger de chèvres, était devenu avec l’âge toucheur de bœufs. […] L’art devient saint, la danse héroïque, la musique martiale, la poésie populaire.

1428. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Fils de M. de Bombelles, émigré français rentré avec le roi et devenu, depuis la mort de sa femme, évêque d’Amiens, il était resté au service de l’empereur François. […] Il avait épousé et amené à Florence une jeune et belle Danoise, la fameuse Ida Brown, devenue comtesse de Bombelles, aussi bonne que belle, douée d’une voix et d’un talent musical égaux peut-être aux charmes de madame Malibran, rassemblant presque tous les jours dans son salon les admirateurs passionnés de sa personne et de son art. […] J’y fus souvent invité plus tard et j’y dînai dans la salle magnifique où la célèbre Vénitienne Bianca Capello, devenue grande-duchesse par l’amour, expia par le poison son bonheur et celui de son époux. […] Bientôt ces vallées s’élargissent, et deviennent un bassin de quelques lieues de circonférence, dont la ville de Lucques occupe le centre. […] Les deux enfants dont je devins la seule mère, puisque Fior d’Aliza n’en avait plus, furent nourris du même lait par moi et par la chèvre, et bercés dans le même berceau.

1429. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Ce sont des fondations pieuses en faveur de la langue et de la littérature françaises, lesquelles deviennent tout doucement des choses mortes. […] — Les prix sont aussi, pour la plupart, devenus des aumônes. […] Les écrivains devenus, on ne sait pourquoi, célèbres, comme Georges Ohnet, Rostand, Coppée, Madame de Noailles, ont trente-six réclames qui leur rapportent gloire et pécune et ne leur coûtent rien : ne supprimons donc pas une institution qui peut aider un artiste, c’est-à-dire un homme qui aura presque toujours le public contre lui. […] Je crois, cependant, que ces prix littéraires ont le tort d’orienter trop d’apprentis de la plume dans une voie douloureuse où, pour un élu, deux cents concurrents deviennent ulcérés et déblatérant contre le vainqueur et les juges du tournoi, coupables, naturellement, de tous les méfaits ! […] Car il y a toute chance pour qu’il devienne alors une nourriture empoisonnée et que nous en crevions — en tant qu’artiste véritable, j’entends.

1430. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

L’instruction que trouve l’enfance dans les collèges, dans les pensionnats et dans l’intérieur des familles est nécessairement élémentaire, et les institutions du collège de France et de l’Université n’ont été fondées que pour donner à la jeunesse une seconde instruction, sans laquelle la première devient bientôt à peu près inutile. […] La jeunesse s’en va, la vieillesse arrive ; nous les retrouvons toujours fidèles ; ils ont été nos guides, ils deviennent nos soutiens, et leur immortalité nous console de la mort et nous aide à mourir. […] Mais ces lettres même sont loin de suffire aux exigences d’une bonne prononciation, car peu de mots se prononcent comme ils s’écrivent ; et les signes de repos sont tellement insuffisants qu’ils sont devenus une des principales causes des vices de la lecture à haute voix. […] Les vices de lecture deviennent des vices de langage. […] Mais l’instruction qui convient aux gens du monde et répand tant de charme sur les relations de société, cette instruction qui fait mieux apprécier les œuvres du génie et devient la source des plus douces jouissances de l’esprit, il faut la chercher dans les livres...

1431. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Ils se servaient dans leurs morceaux religieux, de rythmes, de cadences, d’harmonies dont aujourd’hui quelques-uns nous sont devenus incompréhensibles, tandis que d’autres ont complètement perdu le sens qu’ils avaient pour eux. […] Elle possède, comme je vous le disais, une très-vieille langue musicale, familière à tous les Russes, et qui est devenue avec les âges pour ainsi dire naturelle : cette langue lui est fournie par nos chansons populaires slaves. […] Mais, lui et son contemporain Klopstock, ils étaient arrivés à la limite de ce que les paroles peuvent exprimer ; et, comme leurs formes poétiques ne s’adaptaient pas bien à la musique, ils sont tous deux restés impopulaires ; Platen avoue lui-même que « le poète lyrique qui n’est plus un avec le musicien, a besoin du compositeur pour devenir populaire. » Mais Platen ne connaissait guère la musique comme art, il n’en saisissait que le côté formel et extérieur, et, n’ayant pas en lui-même l’esprit de de la musique, il ne pouvait créer une lyrique qui, malgré les perfections de sa forme, devînt immédiatement compréhensible et vraiment populaire. […] (probablement en contraste au « chatouillement des yeux », qui nous est causé par la lecture de mainte partition de nouveaux opéras allemands) ; mais que même l’amateur de musique allemand enlève les lunettes de ses yeux fatigués et pour une fois se donne sans réserve à la joie d’un beau chant, cela nous montre plus profondément son cœur et nous fait connaître un profond et ardent désir de respirer de nouveau pleinement et fortement pour se faire le cœur libre tout à coup, jeter loin de lui tout le bagage de préjugés et de méchantes pédanteries qui le força si longtemps à être un amateur de musique allemande, et, au lieu de cela, devenir enfin un homme heureux, libre et doué pleinement de cette admirable conception de tout ce qui est beau, sous quelle forme que cela se montre. […] Le mot signifie ; parlé, chanté, chant-parlé ; c’est-à-dire que le chant est une façon plus parfaite du parler ; une langue qui peut chanter devient mélodique, et comme le créateur du Hollandais volant, de Tannhaüser et de Lohengrin le raconte dans sa Communication à mes amis (IV, 396), il apprenait cette mélodie-parlée, ce parlé-mélodique, en entrant toujours plus profondément dans la compréhension de la langue que lui parlaient les héros de son monde idéal. « Le parler était à rendre de façon à ce que, non l’expression mélodique en elle-même, mais le sentiment exprimé impressionnât l’auditeur », il ne restait donc plus au Maître de cette nouvelle mélodie qu’à trouver « l’animation rythmique de la mélodie par sa justification du vers, de la langue » ; et il avait donné la solution de ce dernier problème formel par la réintroduction de la vieille allitération germanique.

1432. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Arthur et il compte sur l’influence de madame Lecoutellier, devenue sa bru, pour faire son entrée au Temple des Lois. […] Or, après cette rupture outrageante et sèche, toute réconciliation entre Louis Guérin et madame Lecoutellier devient impossible. […] Il devient son bouffon, son jouet et sa chose. […] Arthur pourra devenir son amant ; il ne sera jamais sa dupe. […] La scène est parfaite en son genre ; mais supposez la marquise plus hardie dans sa curiosité périlleuse, et cette escarmouche spirituelle pouvait devenir une lutte émouvante.

1433. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Il médite déjà de le sauver du plongeon, et les deux adversaires de tout à l’heure vont devenir deux amis. […] parce qu’il vous a plu de me faire la cour, parce que j’ai été assez confiante pour croire en vous, parce que je vous ai jugé un galant homme, vous deviendriez un obstacle au bonheur de toute ma vie ? […] Le veau d’or a grandi démesurément depuis quelque temps ; il est devenu je ne sais quel monstrueux taureau de Phalaris plein de cris, de tortures et de convulsions intérieures. […] Encore une fois, il intéresse, ce Jean Giraud, il plaît, il amuse, on lui sait gré de la bonne envie qu’il a de se décrasser, et de faire les fonds nécessaires pour devenir un homme comme il faut. […] A partir de là, Jean Giraud devient le veau d’or émissaire de la comédie.

1434. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Nous sommes un atome dans l’univers, et il faut que cet atome devienne le miroir du monde. […] De plus, l’« âme » est par définition un « être simple », et cet être prétendu simple devient par la mémoire une sorte de réceptacle et de magasin, comme celui que saint Augustin décrit éloquemment, ou l’on admet la présence « latente » des idées ; on introduit ainsi dans l’âme une multiplicité indéfinie d’images, on place en elle le pendant de toute la variété qui vient se peindre dans le cerveau : champs, maisons, villes, mers, ciel ; dès lors, à quoi bon surajouter à l’organisme vivant un être nouveau qui n’est que le double de cet organisme ? […] — Parler ainsi, peut-on répondre, c’est oublier que les dimensions des choses sont toutes relatives, et que, par rapport à des vibrations infiniment petites, notre cerveau devient un monde infiniment grand. […] Quand nous passons au point de vue psychologique, nous ne pouvons plus dire avec Maudsley que le visage défiguré par la variole « se souvienne du virus », avec Luys, que la gravure devenue phosphorescente par l’exposition au soleil « se souvienne des rayons solaires » ; nous ne saurions davantage admettre avec Richet qu’une corde pincée qui continue de vibrer à la manière de nos nerfs « se souvienne de l’excitation ». […] Mais que deviennent les images et idées dans la mémoire, lorsqu’on n’y pense pas actuellement ?

1435. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Il est à souhaiter que l’action commence dans un jour illustre ou désiré, remarquable par quelque événement qui tienne lieu d’époque ou qui puisse le devenir. […] Mais ce qui n’avait été qu’un ornement dans la tragédie, en étant devenu la partie principale, on regarde la totalité des épisodes comme ne devant former qu’un seul corps dont les parties soient dépendantes les unes des autres. […] Le poète doit choisir, autant qu’il est possible, des sujets dont le fond lui fournisse les incidents et les obstacles qui doivent concourir à l’action principale ; mais lorsque le sujet n’en suggère point, ou que les incidents ne sont point par eux-mêmes assez importants pour produire les effets qu’on se propose, alors le poète doit employer toutes les ressources de son art à lier tellement l’épisode à son sujet, qu’il y devienne comme absolument nécessaire. […] L’effet en est admirable à la lecture ; mais au théâtre, les scènes en deviennent moins vives, et si l’on y prend garde, moins naturelles, parce qu’en voyant les autres acteurs présents, on les sent souvent embarrassés de leur silence. […] Il y peut entrer par un geste, par un regard, par le seul air de son visage, pourvu que ses mouvements soient aperçus par l’acteur qui parle, et qu’ils lui deviennent une occasion de nouvelles pensées et de nouveaux sentiments.

1436. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Nous devenons des charcutiers ! […] Si ce croquant politique, leur frère, qu’ils métamorphosent en cousin pour cacher sa fuite de Cayenne, avait eu seulement une étincelle de ce feu sacré qui fait les charcutiers et qui cuit le boudin, du coup il devenait charcutier, et nous n’eussions pas eu, pour le bonheur de notre esprit, cette étonnante et forte étude sur la charcuterie qui restera la gloire de M.  […] Toute la scène y est ; mais, moi, je ne veux vous exposer que ces fromages, qui deviennent terribles à leur tour autant que ces commères endiablées… « Elles restaient debout… — dit M.  […] … Le grand homme de La Comédie humaine a créé et fait souvent parler, pour le besoin de ses romans, des Auvergnats, des Allemands, des portiers ; mais sans, pour cela, devenir Auvergnat, Allemand ou portier. […] Devenu boue comme eux… Châtiment mérité d’un talent qui s’est avili !

1437. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Il s’insinue donc dans sa familiarité, et devient son complice et son instrument, guettant l’heure et l’instant propice : mais, en attendant, il a trop vécu, il a trop plongé chaque jour dans la vase immonde, il a trop vu la lie de l’humanité ; il s’est réveillé de ses rêves. […] On connaît trop bien cette histoire, devenue une fable, pour que ce soit une inconvenance de la rappeler en passant ; ce n’est point aux poètes de nos jours, aux enfants du siècle qu’il faut appliquer une discrétion dont ils ont si peu fait usage. […] tout cela semblait présager une saison plus tempérée et le règne durable d’un talent qui était devenu cher à tous, et que le monde le plus choisi, comme la plus fervente jeunesse, avait décidément adopté.

1438. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Molé en avait écrit en ce sens, lui répondit à tête reposée, et sa lettre, qui ne visait qu’à excuser leur ami commun et à chercher à sa conduite des raisons atténuantes, est devenue sous cette plume ingénieuse et subtile le portrait le plus merveilleux, le plus achevé, du moral de Chateaubriand à toutes les époques. […] Il manque à cet égard d’une sincérité qu’on n’a et qu’on ne peut avoir que lorsqu’on vit beaucoup avec soi-même, qu’on se consulte, qu’on s’écoute, et que le sens intime est devenu très-vif par l’exercice qu’on lui donne et l’usage que l’on en fait. […] Un fonds d’ennui, qui semble avoir pour réservoir l’espace immense qui est vacant entre lui-même et ses pensées, exige perpétuellement de lui des distractions qu’aucune occupation, aucune société ne lui fourniront jamais à son gré, et auxquelles aucune fortune ne pourrait suffire s’il ne devenait tôt ou tard sage, et réglé.

1439. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

» À bien lire cet ordre et à tout peser, il était évident que ce qui se faisait aux Quatre-Bras et qui aurait dû être décisif si on s’y était pris de ce côté à temps, ne devenait plus que secondaire ; que l’important était Fleurus, que le succès y dépendait d’une manœuvre, d’une attaque à revers contre les Prussiens, que le sort de la France se décidait là, et qu’il y fallait peser à tout prix. […] Une phrase de moins, et un nom de plus ; et l’ordre devenait clair comme le jour, sans plus prêter à aucune ambiguïté. […] Vandamme était devenu circonspect depuis Kulm, et, même dans son intrépidité habituelle, il regardait désormais à deux fois derrière lui.

1440. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

En Italie, dès le xive  siècle, sous Pétrarque et Boccace, et, plus tard, au xve au xvie , les poëtes se réunirent encore dans des cercles à demi poétiques, à demi galants, et l’usage du sonnet, cet instrument si compliqué à la fois et si portatif, y devint habituel. […] Le bon sens qui succéda, et qui, grâce aux poëtes de génie du xviie  siècle, devint un des traits marquants et populaires de notre littérature, fit justice d’une mode si fatale au goût, ou du moins ne la laissa subsister que dans les rangs subalternes des rimeurs inconnus. […] C’est étonnant devient synonyme de C’est beau ; quand on dit Oh !

1441. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

On y saisit bien à son point de départ et à son origine la moderne école philosophique qui est devenue plus tard l’éclectisme, et qui n’était encore à ce moment que le spiritualisme. […] Ce talent individuel, avec son caractère, devient le fait auquel je m’attache à travers la généralité des choses qu’il embrasse, et où certainement il se réfléchit. […] Aussi, malgré les premiers étonnements et les hauts cris que soulève toute idée nouvelle, l’éclectisme, servi par la belle parole et l’infatigable activité de son promoteur, a fait fortune avec les années, et son nom est devenu celui même de l’école philosophique moderne.

1442. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Ils sont devenus moins graves, plus amusants, à demi gaulois ; il faut bien prendre les façons du pays où l’on se réfugie. […] Il faut bien qu’il devienne le dieu des grenouilles, des souris, de la belette ; le vainqueur des Titans est Jupin, et rien davantage. […] L’Aurore, « au voile de safran, aux doigts de roses », apparaît toujours sur « le thym et la rosée » ; mais c’est le lapin qui lui fait la cour. « Atropos et Neptune » deviennent « péagers » et « recueillent leurs droits » sur les vaisseaux marchands.

1443. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Silvestre ressemble parfois à celle des Védas, et je suis fort tenté de croire que ses vers sont peut-être, dans notre littérature, ce qui se rapproche le plus de ce lyrisme grandiose, éblouissant, vite ennuyeux, débordant d’images toujours les mêmes, où tout l’univers vit d’une vie énorme et confuse, où chaque métaphore, démesurée, est toute prête à devenir un mythe. […] Puis l’auteur, dans chaque récit, proclame avec tant d’insistance, de conviction et un tel luxe d’épithètes plantureuses son goût pour les grosses femmes, qu’il se peut bien que cela devienne amusant à la longue. […] Je pense que cela s’explique par l’association fatale d’images qui dans la réalité sont toutes proches, en sorte que celle qui est ignoble bénéficie du voisinage de l’autre et devient plaisante parce qu’elle la rappelle.

1444. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

C’est là une très grande erreur, qui, si elle devenait dominante, perdrait la civilisation européenne. […] Séparées les unes des autres depuis près de sept cents ans, les deux populations sont devenues non seulement étrangères les unes aux autres, mais tout à fait dissemblables. […] La religion est devenue chose individuelle ; elle regarde la conscience de chacun.

1445. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IX. Les disciples de Jésus. »

Il s’y installa comme un des leurs ; Capharnahum devint « sa ville 419 », et au milieu du petit cercle qui l’adorait, il oublia ses frères sceptiques, l’ingrate Nazareth et sa moqueuse incrédulité. […] Le seul fait de l’avoir approché devenait un avantage décisif, de la même manière qu’après la mort de Mahomet, les femmes et les filles du prophète, qui n’avaient pas eu d’importance de son vivant, furent de grandes autorités. […] Les juifs qui acceptaient de telles fonctions étaient excommuniés et devenaient inhabiles à tester ; leur caisse était maudite, et les casuistes défendaient d’aller y changer de l’argent 470.

1446. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIII, les Atrides. »

. — Serpens non fit Draco, nisi comederit serpentes, disent les Bestiaires du moyen âge : « Le serpent ne devient Dragon que lorsqu’il a mangé des serpents. » De même la Chimère de crimes que représente la race de Pélops s’est formée sans doute par des absorptions de monstruosités oubliées. […] Le matin venu, il rassembla les capitaines et les devins de l’armée et leur raconta la vision funeste. […] Un des devins, Théocritos, saisit l’occasion comme par les crins de l’animal bienvenu. — « Pélopidas !

1447. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

La volupté d’être vous pénètre et vous remplit, et la vie devient comme une poétique jouissance de vivre. […] C’était un dilettante frénétique de musique, parlant de Cimarosa, comparant Rossini à Meyerbeer ; ayant une stalle aux Italiens que Lumley, devenu directeur, lui avait accordée pour ne pas lui avoir réclamé une note de 3 000 francs dans les moments difficiles de sa vie. Gaiffe l’avait séduit par quelques phrases pittoresques sur son orientalisme, et en lui déclarant qu’à ses yeux il était digne en tout point de devenir le souverain des Ottomans.

1448. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

De nos jours, nous l’avons vu, la critique de l’œuvre est devenue par degrés l’histoire et l’étude de l’écrivain. […] Dans ces moments-là, le maître devient, pour ainsi parler, son propre disciple. […] N’est-il pas étrange devoir des critiques qui se font si larges pour comprendre la littérature étrangère devenir tout à coup intolérants dès qu’il s’agit d’un génie français, qui peut ne pas avoir toute la mesure, le bon goût et le bon ton national, ne plus lui pardonner le moindre écart et le condamner au nom de tout ce qu’on excuse chez d’autres !

1449. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

« Plus la civilisation se perfectionne, plus la pensée devient esclave des signes oraux et vocaux, c’est-à-dire de la parole, moins nous avons de pensées sans employer cet ordre de signes : les signes oraux sont tout pour nous ; nous finissons par ne plus évoquer les idées (les rapports rendus concrets et fixés), et par ne plus opérer le rappel des images et des sentiments qu’avec le secours de ces signes. […] Mais à mesure que les mots se créent, que les conjugaisons et les déclinaisons s’établissent, enfin que les formes grammaticales s’organisent, les idées, les pensées (liaisons d’idées), passent dans le domaine de la parole, se fixent dans l’ordre des signes vocaux ; « Et la pensée devient, de plus en plus, dépendante de la parole. […] Le mot quelquefois ne signifie pas la chose, mais la chose oblige le mot à être vrai ; car il est dans sa nature d’être une expression vraie, ou destinée à devenir vraie.

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