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1328. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Un jeune talent qui veut exercer de l’influence et être connu cherche à renchérir sur ses prédécesseurs… Dans cette chasse à l’effet extérieur, toute étude profonde, tout développement intime et régulier de l’homme est oublié. […] Vous, me connaissez depuis des années, et vous savez tout ce qu’il en est. […] « Je ne connais aucun livre plus riche en leçons que ces Mémoires ; par eux notre regard pénètre profondément dans les recoins les plus cachés de l’époque, et Mirabeau, ce miracle, devient un être naturel ; mais le héros ne perd rien cependant de sa grandeur. […] Il les associait encore dans une lettre écrite à Zelter vers le même temps : « Si tu ne les connais pas déjà, je te conseille de lire le théâtre de Clara Gazul et les Poésies de Béranger.

1329. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Toutes ces circonstances de l’histoire de Jésus, tous ces personnages si connus de nom et montrés aux yeux, semblables aux gens d’à présent, devaient toucher les simples, les ignorants, qui étaient alors le grand nombre, et devenaient un enseignement vivant, parlant à tous. […] C’est déjà le vers connu : Tous les autres plaisirs ne valent pas ses peines. […] Je laisse de côté le reste de l’histoire connue. […] Les voilà bien ces dieux antiques qui ne connaissaient que la félicité et qui fuyaient la douleur.

1330. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Petit-fils par sa mère de l’ingénieur Métezeau, qui proposa et fit exécuter la digue de La Rochelle dans ce fameux siège, il avait pour père un protégé de Colbert et de Pussort, successivement greffier de la Chambre des comptes, de la Chambre de justice chargée de juger bouquet, et enfin secrétaire du Conseil d’État, homme chagrin redouté dans famille, estimé dans sa profession d’un mérite spécial pour rédiger les procès-verbaux, pour dresser les édits, et qui « travaillait toute l’a journée en robe de chambre. » C’était alors une grande singularité, à tel point que le père du président Hénault, qui connaissait Molière, lui donnai la robe de chambre et le bonnet de nuit de M.  […] Il faut voir dans Saint-Simon toutes les aventures, les impertinences, les frasques, et, pour tout dire, les friponneries de ce fils de Foucault, connu d’abord sous le nom de M. de Carcassonne, et finalement décrié sous celui de Magny. […] Comme il convient de se bien définir à soi-même les termes, même les plus courants et les plus connus, on appelait proprement dragonnades l’opération, en apparence très-simple, qui consistait à faire arriver dans un pays des dragons ou tout autre corps de cavalerie, à les loger chez des bourgeois, métayers ou fermiers protestants, ou même des nobles, et à les ruiner par ces logements prolongés qui, dans l’état encore très-neuf de la discipline militaire d’alors, et surtout quand on voulait bien y donner les mains et fermer les yeux, étaient accompagnés de quantités d’exactions, vexations, coups, viols, sévices et parfois meurtres ; on exemptait qui l’on voulait de ces logements, et on écrasait les autres. […] « Heureux, est-on tenté de s’écrier quand on lit ces choses, heureux qui réussit à passer sa vie sans être dans ces alternatives de faveur et de disgrâce ; que les nécessités d’une carrière, l’aiguillon d’un continuel avancement ne commandent pas ; qui n’a pas soif de pouvoirs et d’honneurs ; qui n’est pas ballotté entre Colbert et Louvois, au risque d’oublier entre les deux sa conscience, d’étouffer ses scrupules et d’y perdre même le sentiment d’humanité ; qui n’est ni persécuteur ni victime, ni hypocrite, ni dupe, ni écrasant ni écrasé ; qui, après avoir connu sans doute quelques traverses de la vie et avoir essuyé quelques amertumes inévitables (sans quoi il ne serait pas homme), s’échappe le plus tôt qu’il peut, retire son âme de la foule et de la presse (comme dit Montaigne), passe le restant de ses jours « entre cour et jardin », ne voyant qu’autant qu’il faut et n’étant pas vu ; aussi loin de l’ovation que de l’insulte ; qui se soustrait en soi-même aux appels et aux tentations de la fortune non moins qu’aux irritations sourdes de l’envie et des comparaisons inégales qu’elle suggère, aux ennuis de toutes sortes, aux iniquités souvent qui s’en engendrent ; qui aime de tout temps quelques-unes de ces choses innocentes et paisibles qu’aimait et cultivait Foucault dans la dernière moitié de sa vie, mais sans en avoir taché comme lui le milieu, sans y avoir imprimé une note brûlante, et en pouvant, d’un bout à l’autre, reparcourir doucement, à son gré, et supporter du moins tous ses souvenirs ! 

1331. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Essayons-en pourtant cette fois envers un confrère et un romancier hors ligne, que j’appréciais sans doute depuis longtemps par bien des côtés, mais que je ne me suis mis à bien connaître tout entier que depuis quelques jours. […] Mais il s’aventure un peu trop, l’habile docteur, quand il exprime l’idée qu’on pourrait donner à la femme le dégoût du mal avant l’entière expérience, lui faire connaître les déboires de la trahison, avant qu’elle soit irréparable ; bref, mettre la femme en goût d’un amant et l’en déprendre avant qu’il soit trop tard : un vrai tour de passe-passe. […] Sans revenir sur des ouvrages si connus, si bien jugés de tous, et dont chacun demanderait une analyse à part, je prendrai pour sujet de quelques-unes de mes remarques la Petite Comtesse, qui est un récit entre les deux, ni trop court, ni trop long, et qui par là même est plus commode. […] Un hasard a fait connaître à celle-ci le jugement si sévère qu’il porte sur elle : piquée au vif, elle prend à tâche de le réfuter.

1332. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

Le vœu des Polonais était connu et avait maintes fois retenti assez haut. […] Le roi de Saxe auprès de qui se traitaient toutes les affaires de Pologne, avait alors pour ministre des Affaires étrangères, et auquel il accordait une confiance presque exclusive pour les affaires du duché, le comte de Senfft, personnage distingué, nature d’élite, que nous avons à faire connaître. […] Mais M. de Senfft est un de ces hommes qu’on ne peut bien connaître sans connaître aussi sa femme ; car il lui était entièrement attaché, dévoué et même jusqu’à un certain point soumis ; il l’était parce qu’il appréciait en elle les plus hautes vertus, les plus tendres délicatesses ; il avait pour elle un vrai culte comme on en aurait pour une femme qu’on n’aurait adorée qu’à distance, comme pour une Laure ou une Béatrix.

1333. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Aujourd’hui, un homme d’esprit bien connu de nos lecteurs252, M.  […] Les femmes du xviiie siècle proprement dit, dont le type primitif s’est transmis sans altération depuis la duchesse du Maine, et à travers ces noms si connus de Mme de Staal-Delaunay, de Mmes de Lambert, du Deffand, de la maréchale de Luxembourg, de Mme Coislin, de Mme de Créquy, jusqu’à Mme de Tessé et à la princesse de Poix, peuvent pourtant se partager elles-mêmes en deux moitiés assez distinctes, celles d’avant Jean-Jacques et celles d’après. Toutes les dernières, les femmes d’après Jean-Jacques, c’est-à-dire qui ont essuyé son influence et se sont enflammées un jour pour lui, ont eu une veine de sentiment que les précédentes n’avaient point cherchée ni connue. […] Grimm, dans sa Correspondance (15 août 1755), louant également ces Mémoires, dit que, « la prose de M. de Voltaire à part, il n’en connaît pas de plus agréable que celle de Mme de Staal. » C’est vrai ; pourtant cette prose, bien que d’une netteté si agréable et si neuve, ne ressemble point à celle de Voltaire, la seule véritablement courante et légère.

1334. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Pendant les siècles, déchirés par les querelles religieuses, on a vu des hommes obscurs, sans aucune idée de gloire, sans aucun espoir d’être connus, employer tous les moyens, braver tous les dangers, pour servir la cause qu’ils avaient adoptée. […] Jamais il ne peut en coûter à l’esprit de parti, d’abandonner des avantages individuels dont on sait la mesure, pour un but tel que cette passion le fait concevoir, pour un but qui n’a jamais rien de réel, de jugé, ni de connu, et que l’imagination revêt de toutes les illusions dont la pensée est susceptible : la démocratie ou la royauté sont le paradis de leurs vrais enthousiastes ; ce qu’elles ont été, ce qu’elles peuvent devenir n’a aucun rapport avec les sensations que leurs partisans éprouvent à leur nom, à lui seul il remue toutes les affections ardentes et crédules dont l’homme est susceptible. […] Un ambitieux peut quelquefois préférer les plaisirs de l’amitié, les avantages de l’estime, à telle ou telle partie du pouvoir ; mais dans l’esprit de parti il n’y a rien que d’absolu, parce qu’il n’y a rien de réel, et que la comparaison se faisant toujours du connu à l’inconnu ; de ce qui a une borne, à ce qui est indéfini, ne permet jamais d’hésiter entre cette incommensurable espérance, et quelque bien temporel que ce puisse être. […] Les Jacobins, les Aristocrates, craignent moins leurs succès réciproques, parce qu’ils les croient passagers, et se connaissent des défauts semblables qui donnent toujours autant d’avantage au vaincu qu’au vainqueur.

1335. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

Il a toujours été les délices de tous les princes qui l’ont connu, et notre invincible monarque ne s’est jamais lassé de lui faire quelque grâce. » Fiurelli donna une extension considérable à son emploi : « En Italie, dit Riccoboni, ce personnage n’avait jamais fait d’autre caractère que celui du capitan ; mais en France il fut tellement goûté qu’on le mit à toutes sauces30. » 17. — Scaramouche. […] Madame était épouvantée, et je vous avoue que, quoique je connusse assez Monsieur pour ne me pas donner avec précipitation des idées si cruelles de ses discours, je ne laissai pas de croire, en effet, qu’il était plus ému qu’à son ordinaire ; car il me dit d’abord : “Eh bien, qu’en dites-vous ? […] À la page 6 de l’imprimé, on lit : « Flore sera représentée par la gentille et jolie Louise-Gabrielle Locatelli, dite Lucile, qui, avec sa vivacité, fera connaître qu’elle est une vraie lumière de l’harmonie. » À la page 7 : « Cette scène sera chantée, et Thétis sera représentée par la signora Giulia Gabrielli, nommée Diane, laquelle à merveille fera connaître sa colère et son amour. » Même page : « Le prologue de cette pièce sera exécuté par la très excellente Marguerite Bertolazzi, dont la voix est si ravissante, que je ne puis la louer assez dignement. » Une scène est suivie de cette note : « Cette scène sera toute sans musique, mais si bien dite qu’elle fera presque oublier l’harmonie passée. » 34.

1336. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Il suit de là que, pour connaître complètement une œuvre littéraire, il faut la soumettre à une double analyse, l’une interne, l’autre externe. […] C’est par la vue que nous constatons d’ordinaire le mouvement, que l’ouïe et le toucher nous font aussi connaître. […] Pour peu qu’un auteur ait vécu longtemps, que son œuvre contienne de nombreux volumes, on risque de voir défiler devant soi presque toutes les idées d’un demi-siècle, des idées sur toutes sortes de choses, sur ce qu’on peut connaître et même sur ce qu’on ne peut pas connaître.

1337. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Despréaux, avec le plus grand nombre des écrivains de son temps. » pp. 307-333

Jamais père n’a moins connu son fils. […] Nous insisterons même fort peu sur chaque article, parce qu’il n’est rien de plus connu que ce qui regarde Despréaux. […] Ceux qui croyoient la mieux connoître firent consister tout le crime du comte dans cette chanson : Que Déodatus est heureux De baiser ce bec amoureux, Qui d’une oreille à l’autre va ! […] Ils étoient connus sur ce mauvais ton, & Despréaux avoit encore plus en aversion les auteurs impies que les médiocres.

1338. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Tout le monde connaît les douze panégyriques prononcés dans différentes villes d’Italie, par des hommes à qui la magnificence de Louis XIV avait prodigué des pensions, et qui, dans un roi étranger, honoraient plus qu’un maître, puisqu’ils honoraient un bienfaiteur. […] Racine le loua indirectement dans ses tragédies et dans quelques pièces détachées ; Molière dans ses comédies aujourd’hui peu connues, qu’il fit pour les fêtes de Versailles. […] Il est peut-être difficile de déterminer à quel point il connut les talents et les hommes. […] On remarque sur les lois, qu’en diminuant l’abus des procédures, et réglant la forme des tribunaux, il laissa subsister le vice de cent législations opposées, et ne fit qu’ébaucher un ouvrage immense, qui, parmi nous, attend encore le zèle d’un grand homme ; sur l’agriculture, qu’il connut peu les vrais principes qui l’encouragent, principes découverts par Sully, employés dans les belles années de Henri IV, oubliés sous le ministère orageux et brillant de Richelieu, retrouvés ensuite par Fénelon, et développés avec succès dans ce siècle, où les grands besoins font chercher les grandes ressources ; sur le commerce, qu’il eut peut-être sur cet objet des vues beaucoup plus vastes que solides ; que ses vues même étant en contradiction avec ses besoins, d’un côté il voulait le favoriser, et de l’autre il le chargeait d’entraves ; sur les manufactures, qu’il les encouragea avec grandeur, mais qu’il fit quelquefois de ces arts utiles le fléau de l’État, en immolant le laboureur à l’artisan ; enfin, sur la partie militaire, que sa perfection même nous donna une gloire éclatante et dangereuse, qu’elle arma la France contre l’Europe, et l’Europe contre la France, et fut récompensée et punie par trente ans de carnage.

1339. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Je connais cette nuit obscure. […] Moi aussi, moi aussi, je connais cette ivresse. […] Je la connais ! Je la connais, la colline ! […] Dites donc, vous devez le taper vigoureusement ce vieillard — ou je ne m’y connais pas ?

1340. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Ni moi ni d’autres n’avons connu l’idée générale qui la devait commander, ni son plan. […] L’Audition colorée, alors peu connue, me requit aussi et, à son propos, le Sonnet d’Arthur Rimbaud. […] C’est que Stéphane Mallarmé, je le connais ! […] About était connu. […] A cette heure, là ne connaissait-il point assez les autres poètes du Symbole, et trop Moréas ?

1341. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVIII » pp. 188-192

Il a fort connu dans sa jeunesse Bernardin de Saint-Pierre, dont il a publié la vie et les écrits, dont il a même épousé la veuve. […] La plupart des écrivains les plus lus, les plus connus du public, ceux que les lecteurs qu’ils ont si souvent charmés ou amusés nommeraient d’emblée et tout naturellement aux honneurs littéraires, manquent par malheur dans leur vie de cette considération et de cette consistance qui font qu’on soit à sa place partout.

1342. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Note »

Je n’avais pas été le premier à le rechercher au début de notre liaison ; lui-même m’avait fait, par Victor Hugo, des avances dès le temps des Consolations ; je l’avais connu prêtre et disant encore la messe, ultramontain et pur romain de doctrine : je l’avais pris avec vivacité et sympathie par tous les points desquels je pouvais me rapprocher et qui m’offraient un moyen de correspondre ; je m’étais efforcé de multiplier ces « points d’attouchement, » comme les appelle Lavater dans son manuel de l’amitié ; je n’avais eu, dès son premier pas dans le libéralisme, que d’excellents et chauds procédés envers lui et lui avais hautement rendu, je puis dire, de bons offices littéraires. […] Je le rencontrai chez l’excellent d’Ortigue qui était resté, bien que catholique, son disciple fidèle ; on me fit diner avec lui ; il m’engagea à le visiter, et je le retrouvai rue Tronchet à son quatrième, tout à fait le même que je l’avais connu autrefois, naturel et affectueux.

1343. (1875) Premiers lundis. Tome III « Lafon-Labatut : Poésies »

Je ne connais pas une de mes pièces, où j’aie jamais fait le moindre changement notable, si ce n’est à l’inverse du précepte de Boileau, en ajoutant quelques strophes ou quelques vers par intervalle. […] La douleur est ma muse, elle a tous mes secrets ; Aussi, je l’avouerai, n’est-ce pas sans regrets, Sans cette pudeur fière, aux malheureux connue, Que je livre aux regards mon âme toute nue.

1344. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Théâtre français. » pp. 30-34

Mais celui-ci, pour n’être pas obligé de les secourir, feint de ne les pas connaître, et les fait chasser de la maison. […] On le mène chez le curé, qui, instruit de sa conduite envers ses père et mère, trouve le cas trop grave pour en connaître, et le renvoie à l’évêque.

1345. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Mais connue on voit des hommes qui pratiquent la justice, la bienfaisance, la vertu, par le seul intérêt bien entendu, par l’esprit et le goût de l’ordre, sans en éprouver le délice et la volupté, il peut y avoir aussi du goût sans sensibilité, de même que de la sensibilité sans goût. […] Les hommes froids, sévères et tranquilles observateurs de la nature, connaissent souvent mieux les cordes délicates qu’il faut pincer.

1346. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 20, de la difference des moeurs et des inclinations du même peuple en des siecles differens » pp. 313-319

En effet, de grands seigneurs qui ne sçavoient pas signer leur nom, ou qui l’écrivoient sans connoître la valeur des caracteres dont il étoit composé, mais en le dessignant d’après l’exemple qu’on leur avoit enseigné à imiter, étoient une chose très-commune. […] Je conclus donc, en me servant des paroles de Tacite, que le monde est sujet à des changemens et à des vicissitudes dont le période ne nous est pas connu, mais dont la révolution ramene successivement la politesse et la barbarie, les talens de l’esprit comme la force du corps, et par-consequent les progrez des arts et des sciences, leur langueur et leur déperissement, ainsi que la révolution du soleil ramene les saisons tour à tour.

1347. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 28, du temps où les poëmes et les tableaux sont apprétiez à leur juste valeur » pp. 389-394

Si l’on me demande quel temps il faut au public pour bien connoître un ouvrage et pour former son jugement sur le mérite de l’artisan, je répondrai que la durée de ce temps d’incertitude dépend de deux choses. […] Un peintre qui peint des coupoles et des voûtes d’église, ou qui fait de grands tableaux destinez pour être placez dans tous les lieux où les hommes ont coutume de se rassembler, est plûtôt connu pour ce qu’il est, que le peintre qui travaille à des tableaux de chevalet destinez pour être renfermez dans les appartemens des particuliers.

1348. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Les livres que voici (livres de high life, s’il en fut jamais), quoique à l’adresse, par leur sujet et par le titre, d’un public d’élite et de choix, étendront, nous n’en doutons pas, une renommée qui avait commencé déjà, mais comme le jour commence, — en n’atteignant que les points les plus élevés de l’horizon, Jusqu’ici connu seulement des hommes de pensée et d’art, qui savaient ce qu’il en cachait et ce qu’il en faisait voir sous les formes gracieuses de l’homme du monde, Eugène Chapus ne s’était pas révélé au public véritable, à ce public qui, comme le Dauphin de la fable, porte parfois bien des singes sur son dos en croyant porter des hommes, mais qui est, en définitive, le soutien et le véhicule des talents sincères. Cette masse du public ne connaissait pas le nom de l’auteur du Turf et des Chasses royales.

1349. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Saint-Marc Girardin »

Il reste donc acquis à l’histoire de ce temps-ci que la scène de la publicité sérieuse n’est occupée que par des individualités déjà connues, par des talents mûris ; mais la maturité est un point bien vite dépassé dans la rapidité de la durée ! […] Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’une époque dont la littérature défaille se rejette aux œuvres connues ?

1350. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Celui qui affronte un jugement public doit se laisser connaître tout entier. […] Ce qu’il nous importe surtout d’en connaître, c’est le rôle qu’il joue comme agent du perfectionnement moral. […] Il doit connaître toutes les passions qui agitent le cœur, toutes les fins auxquelles aspire la volonté. […] La Grèce a connu la miséricorde et le prix du sang humain. […] Mais apprécier le style, c’est encore une manière de connaître le fond de l’âme de l’écrivain.

1351. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

On connaît la prédilection des mères pour les derniers venus à la vie. […] On ne la connaissait pas. […] Delphine ne connut jamais cette conspiration de cour, fondée sur ses charmes. […] Rome, qui me connaît, a peur de son amour… J’ai hâte de le voir… Oh ! […] Ceux qui ne la connaissaient que de nom la pleurèrent ; ceux qui l’aimaient ne se consoleront jamais.

1352. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

(1) Pour expliquer convenablement la véritable nature et le caractère propre de la philosophie positive, il est indispensable de jeter d’abord un coup d’œil général sur la marche progressive de l’esprit humain, envisagée dans son ensemble : car une conception quelconque ne peut être bien connue que par son histoire. […] De telles explications, qui font sourire quand on prétend à connaître la nature intime des choses et le mode de génération des phénomènes, sont cependant tout ce que nous pouvons obtenir de plus satisfaisant, en nous montrant comme identiques deux ordres de phénomènes qui ont été si longtemps regardés comme n’ayant aucun rapport entre eux. […] Encore même que chacun ait eu occasion de faire sur lui de telles remarques, elles ne sauraient évidemment avoir jamais une grande importance scientifique, et le meilleur moyen de connaître les passions sera-t-il toujours de les observer en dehors ; car tout état de passion très prononcé, c’est-à-dire précisément celui qu’il serait le plus essentiel d’examiner, est nécessairement incompatible avec l’état d’observation. […] Lorsqu’on a bien établi, en thèse logique, que toutes nos connaissances doivent être fondées sur l’observation, que nous devons procéder tantôt des faits aux principes, et tantôt des principes aux faits, et quelques autres aphorismes semblables, on connaît beaucoup moins nettement la méthode que celui qui a étudié, d’une manière un peu approfondie, une seule science positive, même sans intention philosophique. […] Car, si on pouvait espérer d’y parvenir, ce ne pourrait être, suivant moi, qu’en rattachant tous les phénomènes naturels à la loi positive la plus générale que nous connaissions, la loi de la gravitation, qui lie déjà tous les phénomènes astronomiques à une partie de ceux de la physique terrestre.

1353. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Qui ne le connaît pas ? […] Les deux quartiers de cet homme, ainsi fendu par une blessure si longue et si béante, sont debout, quoique séparés, et son cœur, jaillissant de sa poitrine, saute, fusée sanglante, sur les genoux de sa maîtresse évanouie, comme s’il la connaissait encore ! […] Mais je connais les éditeurs… Il y a dans les magasins des Lévy de certains Mémoires sur la comtesse d’Albany, où l’éditeur nous promettait aussi, et même sur la couverture du livre, en très beaux caractères, des lettres de madame de Staël, de cette grande et faible femme qui n’était pas un homme, comme des niais ont dit qu’elle en était un, croyant par là lui faire honneur, les imbéciles ! […] S’il ne s’agit plus impérieusement, à ce qu’il semble, de Balzac, dont l’œuvre est faite, — et connue, — il s’agit de vous, messieurs les éditeurs, dont l’édition n’est que commencée, qui faites des dérangements dans l’œuvre connue, et qui nous promettez de superbes arrangements à côté ! […] Nous avons eu le Balzac en pantoufles de cet admirable et adorable Gozlan, le seul homme que j’aie connu qui eût l’enthousiasme, ce mouvement toujours un peu dadais de la pensée, tout à la fois sincère et spirituel.

1354. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

L’antiquité ignore l’homme, elle ignore l’individu, elle ne veut pas le connaître, elle le méprise. […] Weill, par l’urbanité bien connue qu’il apporte dans ses relations, s’est chargé de la rendre irréfutable. […] non, Monsieur, me répondit le libraire qui, paraît-il, s’y connaît ; mais il est de M.  […] Ceci n’a rien qui doive surprendre, et cette tactique. nous est connue. […] Vous connaissez Mangin, n’est-ce pas ?

1355. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

La petite troupe des mortels en connaît le chemin. […] Celle de l’antithèse est trop connue. […] Tout le monde connaît la peur. […] Lui ne connaît point la cendre, car il a peu connu la flamme. […] Il connaît les raisons de tout.

1356. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Voulez-vous en connaître l’étendue ? […] Chateaubriand a fait connaître au monde une nouvelle manière de sentir. […] Le plus connu, c’est l’emploi du merveilleux. […] L’œuvre de l’univers n’est que de le connaître. […] Ce secret suprême, si bien connu de La Fontaine, Victor Hugo ne l’as pas ignoré.

1357. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Aussi je ne connais personne qui songe à nier les qualités de peintre de M.  […] Je ne connais d’elle que son génie, et je suis on ne peut plus surpris, je l’avoue, que M.  […] Si on ne les a pas connus, on sent qu’on peut les connaître. […] (Connu ! […] Même en Alsace, à ce qu’on m’assure, il n’est guère de paysans qui ne connaissent sur le pouce leurs écrits.

1358. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

La Cour se connaissait plus en soie, et Paris plus en serge. […] Malherbe, qui a si bien montré dans ses vers « le pouvoir d’un mot mis en sa place », n’a pas le même soin dans sa prose, et il n’a jamais connu la netteté du style, soit pour la situation des mots, soit pour la forme et la mesure des périodes. […] Nous connaissons à Paris de ces escaliers trop hauts où l’on met du moins des chaises sur le palier à chaque étage, pour permettre de s’asseoir et de respirer un peu. […] On peut vérifier et suivre ce goût général d’amusements et de récréations philologiques, ce goût à la Vaugelas, jusque dans ces derniers temps, jusqu’à Charles Nodier si connu et presque populaire à ce titre. […] Chacun connaît Génin, qui n’a même eu qu’en ces sortes de matières grammaticales tout son mérite et son agrément.

1359. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

S’il n’y a pas une seule ligne de son livre unique qui, depuis le premier instant de la publication, ne soit venue et restée en lumière, il n’y a pas, en revanche, un détail particulier de l’auteur qui soit bien connu. […] Quoi qu’il en soit, il venait d’acheter une charge de trésorier de France à Caen lorsque Bossuet, qu’il connaissait on ne sait d’où, l’appela près de M. le Duc pour lui enseigner l’histoire. […] Je l’avois assez connu pour le regretter et les ouvrages que son âge et sa santé pouvoient faire espérer de lui. » Boileau se montrait un peu plus difficile en fait de ton et de manières que le duc de Saint-Simon, quand il écrivait à Racine, 19 mai 1687 : « Maximilien (pourquoi ce sobriquet de Maximilien ?) […] Les imitateurs qui lui survinrent de tous côtés, les abbés de Villiers, les abbés de Bellegarde, en attendant les Brillon, Alléaume et autres, qu’il ne connut pas et que les Hollandais ne surent jamais bien distinguer de lui144, ces auteurs nés copistes qui s’attachent à tout succès comme les mouches aux mets délicats, ces Trublets d’alors, durent par moments lui causer de l’impatience : on a cru que son conseil à un auteur né copiste (chap. […] Telle fut la dot imprévue de sa fille, qui fit dans la suite le mariage le plus avantageux et que M. de Maupertuis avait connue. » On sait le nom du mari ; M. 

1360. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Timocrate est le parlait amant, qui ne connaît pas de loi, de devoir, de gloire, hors l’amour. […] S’il est beau de se vaincre, il est doux d’être heureux… L’éclat de deux beaux yeux adoucit bien un crime : Aux regards des amants tout paraît légitime… Je ne me connais plus et ne suis plus qu’amant ; Tout mon devoir s’oublie aux yeux de ce que j’aime. […] Il lut donc Saint Thomas et les Pères : mais le monde le garda ; les beaux esprits du lieu, les dames avaient bien reçu ce jeune poète qui avait l’air de Paris et connaissait Chapelain ; ses amis parisiens l’entretenaient aussi de pensées profanes. […] Il y retrouva La Fontaine, il y connut Boileau et Molière : avec eux, il hanta le Mouton blanc et la Croix de Lorraine ; et il apprit à rire de Chapelain. […] Songez quelle hardiesse c’était de mettre un enfant dans une tragédie : le xviie  siècle n’a pas connu, n’a pas aimé les enfants.

1361. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

— On connaît trop ses manières charmantes, dit un habitué du café de Floupette en parlant du diable. […] Ceux-ci étaient plus connus sous les noms de décadents et de déliquescents. […] Quant à Comynes et à Rabelais, je crois les connaître un peu l’un et l’autre. […] On connaît Rabelais ; il a un grand nombre d’admirateurs et même quelques lecteurs. […] Un art que vous connaissez bien, car il est la gloire du pays adorable dont vous êtes originaire, la sculpture grecque n’a pas trop souffert de cet esprit d’imitation qui inspirait ses écoles.

1362. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Il connaît nos plus secrets, nos plus immuables instincts ; il sait ce que nous pouvons porter de joie et de peine. Sans nous rudoyer jamais, il nous avertit ; s’il nous gourmande, c’est du ton de notre conscience, dont il connaît tous les ménagements pour nous. […] La Fontaine n’a pas seulement connu notre fond, il a su de quelle manière et dans quelle mesure nous sommes attentifs. […] Si sa morale nous plaît si fort, c’est qu’elle ne se croit pas toujours efficace, et qu’elle avoue ne pas connaître autant de remèdes qu’il y a de maladies. […] Or, dans laquelle de ses plus petites pièces, les plus humbles, les moins connues, rondeaux, sonnets, quittances en vers à Fouquet pour le quartier de sa pension, dizains, chansons, odes même, quoiqu’il y soit encore plus maladroit que Boileau, dans quelle pièce enfin n’est-il pas, au moins un peu ?

1363. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Il avait dix-huit ans, et déjà l’esprit philosophique, l’ardeur concentrée, la passion du vrai, la sagacité d’invention, qui plus tard devaient rendre son nom célèbre, étaient visibles pour ceux qui le connaissaient ; je veux parler de M.  […] Ma chambre était contiguë à la sienne, et dès le jour où nous nous connûmes, nous fûmes pris d’une vive amitié l’un pour l’autre. […] Berthelot me fit connaître son père, un de ces caractères de médecins accomplis comme Paris sait les produire. […] C’était la vraie civilité française, je veux dire celle qui s’exerce, non seulement envers les personnes que l’on connaît, mais envers tout le monde sans exception 25. […] Je connais des ministres protestants, très larges d’idées, qui sauvent tout par leur cravate blanche irréprochable.

1364. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Nous ne pouvons entrer dans une analyse détaillée de l’œuvre, que nous devons supposer connue. […] Ici, point de grandes passions, tout est à un diapason modéré, et tout, très naturellement, vient se grouper autour de la femme, c’est la créature faible qui, quoiqu’énigmatique, se ressemble toujours, et que tous connaissent. […] Lorsque nous avons commencé la Revue Wagnérienne en février nous avons voulu réaliser une double tâche : expliquer au public l’œuvre lyrique de Richard Wagner, et à ceux qui déjà connaissaient et aimaient cette œuvre expliquer le génie entier du Maître. […] Pour cette propagande, nous avons demandé la collaboration de ceux de nos écrivains que le public connaît, aime et admire comme défenseurs de la cause Wagnérienne. […] Le premier but de la Revue, pendant cette année 1885, était d’expliquer l’œuvre de Wagner à ceux qui ne la connaissaient pas, et à ceux qui la connaissaient, le « génie entier » du compositeur.

1365. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Des choses autour de moi, que je connais, que j’ai vues et revues cent fois, me vient une insupportable sensation d’insipidité. […] Ils me disent des mots que je leur connais. […] Personne même n’est mort parmi les gens que je connais. […] Il a connu une femme qui lui écrivait, tous les jours, sept pages de bêtises. […] … » Et longtemps, longtemps, il berce et amuse les côtés aventureux de votre âme par l’invraisemblance d’incidents qui vous mèneront à connaître des « étrangères puissamment riches et merveilleusement belles, dans une ville où il y aura des ruines ».

1366. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

» * * * — Un prêtre que je connais à travers des gens de notre intimité, disait dernièrement à une femme, dont le mari commence à se refroidir auprès d’elle : « Il faut, voyez-vous, ma chère enfant, qu’une femme honnête ait un petit parfum de lorette !  […] * * * — Un original que j’ai connu, se trouve faire une visite au printemps, dans un château, à une toute jeune femme qui lui dit : « Vous aimez la campagne au printemps, Monsieur ? […] — Mais, Monsieur, vous me demandez… — Vois-tu, j’ai connu une personne qui m’a donné tous les détails ! […] 28 octobre M. de Vailly, qui ne nous connaît pas plus que nous ne le connaissons, dans une étude sur nos livres publiée ces jours-ci par L’Illustration, a fait sur nous une prédiction qui pourrait peut-être se réaliser. […] s’écrie l’original catholique, je ne connais rien de beau comme une grande fête dans Saint-Pierre, les cardinaux qui lisent leurs bréviaires, dans ces poses insolemment renversées des pendentifs, avez-vous vu, avez-vous vu ?

1367. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

L’idée de cochon pour nommer le cloporte a eu à lutter avec l’idée d’âne, qui n’est pas plus explicable par les logiques ordinaires : l’oniscus latin est l’[mot en caractères grecs] (petit âne), mais les paysans romains connaissaient aussi le mot asellus, et l’allemand assel doit sans doute être rapproché de esel (âne). […] Je n’ai pu retrouver dans les langues européennes de formesanalogues, comme pour brochet163, mais le procédé est connu, logique, et très ancien, puisqu’en sanscrit le lion est proprement le chevelu et l’éléphant le dentu. […] La renoncule, connue sous le nom de bouton d’or, a reçu dans les langues et les dialectes d’Europe179 deux séries de noms ; les uns la désignent d’après la forme de sa feuille, les autres d’après la couleur de sa fleur. […] L’hépatique ne semble pas avoir189 de nom français, et on ne connaît pas son nom populaire latin. […] La formation de métaphores, durables ou passagères, est dominée par un ensemble de lois psychologiques que nous ne pouvons connaître que par la trace qu’elles laissent dans les combinaisons verbales.

1368. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Homère, que nous ne connaîtrions peut-être pas sans Virgile, car l’Énéide a fait lire l’Iliade à tout ce qui n’était pas grec, Homère n’a pas été le modèle de Virgile. […] Nous avons dit que l’Énéide avait appris l’Iliade à tout ce qui n’était pas grec, mais ce n’est pas là assez dire : l’Énéide a fait de Rome le foyer du testament grec, et nous pouvons affirmer, nous autres modernes, que nous ne connaissons l’Archipel, qui ne fut rien, que par le Capitole, qui fut tout ! […] Mais, s’il n’est pas critique, ce qu’il est bien, ce qu’il est comme personne ne le fut avant lui, c’est un individu parfaitement de son temps, car avant son temps nous ne connaissions pas ce genre d’homme et de talent sans nom spécial auquel je me risque à donner celui-ci : un articlier. […] , n’est plus le même Sainte-Beuve d’esprit et de talent que nous avons connu de son vivant ou dans ses écrits. […] Après cela, il est bien certain, pour qui connaît la loi spéciale qui gouverne chaque esprit, que qui dit à brûle-pourpoint : « Madame, aimez-vous les vers ? 

1369. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Après tout, on est bien aise de connaître sur quel pilotis est bâti l’esprit d’un homme qui a fait une minute dans le monde le bruit qu’y a fait M.  […] Renan, dont une femme d’esprit disait : « Dieu s’est vengé de lui par avance, en lui donnant sa figure », mais, comme les pages, il porte les queues… Cette fois, c’est celle de Platon, dans la forme extérieure de son livre, en attendant qu’il porte celle de bien d’autres dans le courant de ce même livre, répétition d’idées connues, mais qu’il renouvelle, çà et là, par une hardiesse d’absurdité ineffablement supérieure. […] Ils ne connaissaient pas l’esprit scientifique ! […] Ils connaissent l’insenséisme des choses intenses, mais celui des choses lâches qui supprime l’artiste, ils ne le connaissent pas. […] Renan, qui le connaît, lui, et qui en fait une théorie, ne peut jamais être ni un grand peintre, ni un grand écrivain !

1370. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

D’ailleurs, aussi supérieure que charmante, digne, à la voir de près, de toutes les admirations et de tous les hommages : écoutez les meilleurs témoins ; relisez Ségur, relisez, ou, si vous ne le connaissez pas, cherchez et lisez le portrait qu’a tracé d’elle le prince de Ligne ; c’est le plus agréable et le plus caractéristique de tous ceux que j’ai vus. […] Sa plus grande dissimulation en causant était de ne pas dire tout ce qu’elle pensait et ce qu’elle savait, mais elle ne s’abaissait jamais au mensonge ; elle aimait par goût la vérité, et « à s’approcher d’elle le plus qu’elle pouvait toujours. » Sa littérature nous est connue ; elle nous a dit elle-même ses lectures ; elle était devenue plus difficile avec les années : « Elle aimait (c’est le prince de Ligne qui parle) les romans de Le Sage, Molière et Corneille. — “Racine n’est pas mon homme, disait-elle, excepté dans Mithridate.” […] Mais ce n’est pas à vous qu’il faut parler sur cette matière : vous connaissez trop les hommes pour vous étonner des contradictions et des extravagances dont ils sont capables. »

1371. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

Elle ne savait ce que c’était que bataille, et ne connaissait la guerre que par ouï-dire. […] Les yeux lui roulaient étrangement dans la tête ; il ne connaissait personne, et ne disait mot. […] Michelet réduit toute la question au bulletin de leur santé : cause véritable, je le veux bien, mais non pas cause unique ni même cause dominante. — L’eau, pour le poisson, est une condition de l’existence : ce n’est pas la cause. — La biche que tue Ascagne au VIIe livre de l’Énéide est l’occasion, non la cause de la guerre entre les Troyens et les Rutules. — Enfin on connaît les abus fameux qu’on a faits des causes finales : Pourquoi l’homme a-t-il un nez ?

1372. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre V, la Perse et la Grèce »

. — Je te donnerai les trésors de l’obscurité, les richesses profondément enfouies, afin que tu saches que c’est moi qui t’ai appelé, avant que tu ne m’aies connu. » Le roi de cet énorme empire s’appelait par excellence le « Grand Roi ». « Longue-Main » était aussi un de ses surnoms, parce que sa droite se déployait sur la terre, et qu’aucun peuple n’était hors de son atteinte. […] Le peuple ne le connaissait que par les taureaux ailés à face humaine, dressés aux portes de son palais, symboles de sa force et de sa puissance. […] Les juges répondirent qu’ils ne savaient aucune loi qui autorisât le mariage entre frère et sœur, mais qu’ils en connaissaient une permettant au roi de Perse de faire tout ce qu’il voudrait. — Tout ordre sorti de sa bouche était fatal et irrévocable.

1373. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La diplomatie au xviie  siècle »

Il eut cette rare chance d’être deviné et apprécié par trois grands hommes d’État qui se connaissaient en hommes : — Richelieu, Mazarin, Louis XIV, — le Dieu en trois personnes de la Monarchie absolue ! […] Mais qu’à deux siècles de distance un homme qui n’a pas le génie absolu qui devine, là où les autres sont obligés de chercher, puisse nous donner le dessous de cartes d’une négociation qu’il ne connaît que par une correspondance officielle, franchement, je ne crois pas à un tel homme… et, dans tous les cas, ce ne serait pas Valfrey, écrivain exsangue, tête sans aperçu, et qui ne conçoit l’histoire de la diplomatie que comme le vil dépouillement d’un carton… IV Elle est autre chose, cependant. […] En l’acceptant comme elle est écrite, on se demande si la diplomatie est plus qu’une alchimie de riens, — ou quelque obstiné travail d’insecte, quelque tissage de fils d’araignée, interrompu et recommencé dans des circumflexions, sur place, infinies, — et on se sent pris, pour ces petits travailleurs en grandes affaires, du mépris qu’avait pour la médiocrité des meneurs du monde le grand chancelier Oxenstiern, qui s’y connaissait !

1374. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

Et le dernier, de l’œil sévère, mais adouci cette fois, de ce Boileau qu’on a appelé, dans une langue que ne connaissait pas Villon, le législateur du Parnasse. […] Villon, qui ne connaissait pas ce genre de société, en a, pour sa part, empoché deux. […] Il chantera plus ou moins connue Charles d’Orléans, qui était un prince de ce temps-là.

1375. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

On connaissait les Pensées et maximes du moraliste du xviiie  siècle, — ce petit livre qui tiendrait sur quelques cartes à jouer, — et ce que Gilbert ajoute à cette œuvre mince n’est pas de nature, et dans aucun sens, à beaucoup l’augmenter. […] Ceci est particulièrement intéressant, instructif, excellent et nécessaire à connaître pour juger d’un talent que Voltaire s’est amusé à grandir outre mesure, et d’une moralité que ses éloges ont rendue suspecte. […] Quand tout ce qui était littéraire se faisait philosophe, Vauvenargues était philosophe comme les autres, puisqu’il avait la rage d’être littéraire ; mais il n’était ni athée comme d’Holbach ou La Mettrie, ni ennemi de Jésus-Christ comme Voltaire, ni matérialiste comme Diderot, ni déiste raccourci et bourgeois comme Jean-Jacques, et il ne parvenait qu’à être sceptique, dans un temps qui ne connaissait que le dogme de toutes les erreurs et leur affirmation la plus véhémente.

1376. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

Déjà plusieurs éditions, à diverses dates, avaient été faites des lettres de Madame Du Deffand, et toutes plus ou moins incorrectes, mais toutes excitant la curiosité et ne la lassant pas ; car Madame Du Deffand n’est pas un esprit dont on puisse se blaser jamais, quoique ce soit l’esprit le plus blasé qui se soit jamais dégoûté jusque de lui-même, dans un corps qui ait plus vécu… Cette Sévigné du xviiie  siècle, qui ne prenait goût à presque rien, quand celle du xviie trouvait un goût si vif à presque tout, est la réfutation la plus éloquente que je connaisse de la maxime proverbiale qui dit que « les gens les plus ennuyés sont aussi les plus ennuyeux ». […] Une des reines du xviiie  siècle, douée de tous les dons aimables par lesquels on était reine alors, une Titus femelle, les délices du genre humain, comme disait d’elle une de ses amies, une des plus éblouissantes soupeuses de cette époque où le souper était « une des quatre fins de l’homme et où l’on oubliait les trois autres », un des esprits les plus teintés de ce rouge audacieux que les femmes mettaient sur leurs joues pour qu’on vint l’essuyer, se plaint, à travers les rires de tout le monde et même des siens, d’un ennui que ne connaît personne, de cet inexorable ennui dont parle quelque part Bossuet, que certainement elle ne lisait pas ! […] pour ma part, je ne connais pas de livre ascétique qui donne plus le mépris du monde que ces lettres d’une femme du monde qui eut, durant ses quatre-vingts ans, le monde à ses pieds, et qui, en mourant, lui disait : « Raca ! 

1377. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

On connaissait les Pensées et Maximes du moraliste du dix-huitième siècle, — ce petit livre qui tiendrait sur quelques cartes à jouer, — et ce que M.  […] Ceci est particulièrement intéressant, instructif, excellent et nécessaire à connaître pour juger d’un talent, que Voltaire s’est amusé à grandir outre mesure, et d’une moralité que ses éloges ont rendue suspecte. […] Quand tout ce qui était littéraire se faisait philosophe, Vauvenargues était philosophe comme les autres, puisqu’il avait la rage d’être littéraire ; mais il n’était ni athée comme d’Holbach ou La Mettrie, ni ennemi de Jésus-Christ comme Voltaire, ni matérialiste comme Diderot, ni déiste raccourci et bourgeois comme Jean-Jacques, et il ne parvenait qu’à être sceptique, dans un temps qui ne connaissait que le dogme de toutes les erreurs et leur affirmation la plus véhémente.

1378. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

chercha toujours dans le xviie  siècle, en digne philosophe, ce qui n’y était pas, a écrit, en style oraculaire, cette phrase, qui, comme tous les oracles, ne signifie pas grand’chose : « Alceste est resté le secret du génie de Molière », et cette phrase, lancée par ce vaste et gesticulant étourdi de Cousin, et dont Gérard du Boulan a fait l’épigraphe de son livre, a probablement donné à cet écrivain, que je ne crois pas très connu encore, l’envie de deviner le secret — qui n’existe pas ! […] … Il y a la manie de ce misérable temps, qui d’à ni le sentiment du simple ni le sentiment du grand, et qui, s’il les rencontre dans une œuvre ou un homme de génie, ne se connaît plus qu’une visée, c’est de travailler là-dessus et de diminuer l’un et l’autre en les expliquant. […] c’est le fils de l’occasion et d’un de ces hasards de la vie qui pouvaient n’être pas, et qui, alors, auraient supprimé le génie… Pascal, par exemple, le prodigieux Pascal, le divinateur d’Euclide, qui, sans avoir appris les mathématiques, trouva, en maniant des jetons dans le grenier de son père, les trois premiers livres de la géométrie ; Pascal, qui dans l’ordre des idées a une profondeur qui donne le vertige et qui même le lui a donné, ne serait plus, selon ces théories interprétatrices, le Pascal connu, le grand Pascal, s’il n’avait pas été janséniste !

1379. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Auguste Vacquerie  »

ce n’est pas Vacquerie, que tout le monde connaît pour l’imitateur, le plus pieux imitateur de Victor Hugo, qui voudrait cracher comme Hugo, qui se mouche comme Hugo, qui voudrait faire… tout ce qui est humainement possible comme Hugo ; ce n’est pas Vacquerie qui aurait pu jamais écrire qu’on n’imitait Hugo qu’en ne l’imitant pas ! […] Eh bien, n’est-ce pas le Hugo complet que nous connaissons tous, cette voix-là ? […] C’est à faire croire que toute cette poésie de Hugo n’est pas si géniale qu’on le dit, ni si spontanée d’inspiration qu’elle se donne, et qu’elle pourrait bien n’être, au fond, que de la poésie à procédé, une clef difficile peut-être à faire jouer dans la serrure, une manivelle ou un ressort dont il faut connaître le sens.

1380. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Ronsard »

Mais tous, tous, tant qu’ils aient été et quoi qu’ils soient, ont été plus ou moins trempés dans ce cuvier de couleur vermeille qui est la couleur de la vie et de la poésie de Ronsard, et dont ceux-ci sont ressortis écarlates, ceux-là pourprés ou seulement roses, mais tous érubescents, tous teints de cette ardente couleur de la vie que les xviie et xviiie  siècles, voués à l’incolore, avaient effacé partout et fini par ne connaître plus ! […] Prosper Blanchemain nous a donné à connaître dans son ensemble et en détail le magnifique poète dont tout le monde ne connaissait que des fragments.

1381. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Milton »

par aucun libraire, avait-il donc fait quelque découverte qui montre, dans le Milton que l’on connaît, un Milton qu’on ne connaissait pas, comme lorsque Thomas Carlyle découvrit les fameuses lettres inédites de Cromwell, qui éclairèrent d’un jour si profond l’individualité complexe de l’homme (… un homme s’est rencontré…) que n’avait pas compris Bossuet, ce Maître en Histoire ? […] Le futur peintre d’Ève, la céleste et fragile mère du genre humain dans sa fleur, ce Corrège de suavité amoureuse, rigidifié et durci par le puritanisme, on ne lui connut jamais d’amour.

1382. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Je connais les deux éléments dont il est fait. […] L’incolore Hippolyte est-il connu de toi ? […] Alors, Julio ne se connaît plus.

1383. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Humanisons-la donc, revêtons-la d’un manteau de chair, incarnons-la dans des formes imaginables et connues. […] On connaît assez le poème presque symboliste de Hugo, le Satyre. […] Mithouard ne connaîtra que relativement tard les romantiques, Hello, Mallarmé, Verlaine. […] Ce poème est un des plus beaux symboles réalisés que je connaisse. […] La définition consiste à faire connaître une idée par l’énumération des éléments constitutifs.

1384. (1888) Poètes et romanciers

Connaissiez-vous Schinderhannes ? […] Un révélateur doit connaître Dieu. […] Lui aussi, il connut ce drame secret d’où l’Âme sort renouvelée. […] Sa vie publique, qui commence vers 1814, est bien connue par ses chansons. […] Le Parc n’est que la frêle ébauche d’une idée connue.

1385. (1913) Poètes et critiques

Ce n’est pas la mer de Michelet que Richepin pouvait chanter, car ce n’est pas la même mer qu’il a connue. […] Qui ne connaît aujourd’hui ces chants devenus populaires ? […] Il a pris un chemin déserté et où l’herbe poussait, celui qu’avait connu et pratiqué jadis le sérieux, l’original Vinet. […] Je ne connais guère de livre de voyage plus attrayant et, par places, plus révélateur. […] Mais d’autres l’ont connu jeune, vaillant, et à l’époque où cette foi faisait chaque jour des miracles.

1386. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Ce qui est plus curieux pour nous, et ce qui d’ailleurs répond bien à l’idée qu’on doit se faire du philosophe et du solitaire de Segrès, c’est cette page qui est tout à fait d’un disciple de l’abbé de Saint-Pierre : Je ne connais aujourd’hui qu’un bon roi en Europe et un bon gouverneur en France, c’est le roi Stanislas, comme souverain de la Lorraine, et mon ami et voisin M. de Vertillac, gouverneur de la petite ville de Dourdan. […] Les jugements et témoignages de d’Argenson sur les écrivains qu’il a connus et les livres d’eux qu’il a lus sont plus sûrs et ont beaucoup de prix à nos yeux. […] D’Argenson a connu et lu Montesquieu. […] Il reproche aux modernes de ne connaître que la politique pratique et de n’avoir pas même l’idée de la philosophie politique, de cette science « qui a pour principal objet de subordonner les hommes les uns aux autres pour les policer et les rendre heureux ». Le seul maître qu’il connaisse de cette science politique est l’abbé de Saint-Pierre, qu’il admire sans réserve, sauf la forme, et dont, selon lui, le seul malheur a été de ne pas être agréablement éloquent : « Quelques termes bizarrement placés, quelques idées de minuties qui l’occupent sur le chemin du grand, lui donnent du ridicule, et le ridicule dégoûte trop du bon en notre jolie patrie. » Mais au fond il lui accorde que « ses projets sont tous bons.

1387. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Je connais bien des gens qui allient comme vous, monsieur, à un goût sûr une raison libre de tout esprit de parti. […] J’ai, connu un bossu, homme d’ailleurs de beaucoup d’esprit, qui n’avait jamais pu se familiariser avec son ombre ; je lui devins à charge, et il m’évita enfin, ne pouvant soutenir la petite guerre que je lui faisais pour lui ôter ce faible : pour moi, j’ose dire que je soutiens galamment ma disgrâce ; j’en atteste mes amis, qui, pour faire honneur à mon courage, ne me font plus apercevoir dans notre commerce cette retenue excessive, cette circonspection humiliante qui n’est due qu’aux faibles. Je déclare donc ici que tout homme qui voudra m’offenser n’y réussira pas en attaquant ma figure ; il y a longtemps que je l’ai abandonnée à son mauvais sort ; il y a longtemps que ses querelles ne sont plus les miennes : mais comme je ne connais point M. l’abbé Couture, que je n’ai pu par conséquent lui faire cette déclaration, il n’a pas dû croire qu’il fût de mon goût que cette liberté devînt le droit de Gacon même. […] Qu’on relise seulement à haute voix ce passage connu des Martyrs, dans la visite que Cymodocée et son père sont allés faire à la famille d’Eudore en Arcadie : Comme Lasthénès achevait de prononcer ces paroles, le soleil descendit sur les sommets du Pholoë, vers l’horizon éclatant d’Olympie ; l’astre agrandi parut un moment immobile, suspendu au-dessus de la montagne comme un large bouclier d’or… Les bois de l’Alphée et du Ladon, les neiges lointaines du Telphusse et du Lycée se couvrirent de roses ; les vents tombèrent, et les vallées de l’Arcadie demeurèrent dans un repos universel… D’où vient que l’enchantement produit par des sons amène une larme ? […] Mais l’abbé de Pons, perdu dans son lointain et tombé à l’écart, était si peu connu !

1388. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Charles-Quint, en passant à Valladolid, y vit pour la première fois ce petit-fils qu’il ne connaissait pas encore et qui devenait l’héritier présomptif d’une moitié de son empire ; don Carlos avait onze ans. […] Il ne connaît pas de frein à sa volonté ; pourtant sa raison n’est pas assez développée pour lui faire discerner le bon du mauvais, le nuisible de l’avantageux, ce qui est convenable de ce qui peut ne pas l’être. » Et le 29 juin suivant, après l’avoir vu : « Le prince se porte maintenant assez bien. […] Dans ses fureurs il ne connaissait personne. […] Passe encore quand ce sont des femmes comme Marie Stuart que vous mettez en scène, il y a place jusqu’à un certain point au roman ; mais les hommes d’État, mais les caractères connus, définis, ceux dont on a pu lire dans la matinée quelque parole ou acte mémorable, quelque dépêche mâle et simple, peut-on raisonnablement les entendre déclamer, rêver, rimer, métaphoriser, même en beaux vers, le soir ? […] Que si les types connus et répétés vous ennuient, rien n’est épuisé ; l’imagination et l’observation sont deux sources ; ayez vos types tout neufs, ayez-les à vous, et, par votre talent, faites-les aussitôt vulgaires ; opérez le miracle du poète et dites-leur : Vivez et marchez !

1389. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

C’est une dette que je me reprochais de n’avoir pas encore payée à l’un de nos confrères les plus distingués en art et en poésie, connu et aimé de tous, pas assez connu et apprécié, ce me semble, dans quelques-unes de ses branches les plus rares et les plus perfectionnées. […] Gautier n’avait pas attendu jusqu’alors pour le connaître. […] C’était comme peintre et comme élève d’atelier que Gautier figurait alors, non comme littérateur : il n’était pas connu à ce dernier titre, et il hésitait encore entre les deux carrières. […] Une jeune fille noble, de vingt ans environ, d’un esprit hardi, d’un caractère entreprenant, poussée aussi par le vague instinct d’une nature moins uniquement féminine chez elle qu’elle ne l’est d’ordinaire chez ses semblables, s’est souvent dit que les jeunes filles, les femmes du monde ne connaissaient pas les hommes et ne les voyaient qu’à l’état d’acteurs et de comédiens ; elle a désiré savoir ce qu’ils se disent quand ils sont entre eux et qu’ils ont jeté le masque.

1390. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Cornélie, Porcie, Arrie, ces nobles dames transportées dans la situation, les eussent pu écrire à quelques égards ; elles sont d’un stoïcisme légèrement attendri, et la Française non plus, la républicaine un peu étonnée de l’être, n’y est pas absente ; le ton une fois admis, il y respire un sentiment vrai et comme de la douceur : « Puisse cette lettre te parvenir bientôt, te porter un nouveau témoignage de mes sentiments inaltérables, te communiquer la tranquillité que je goûte, et joindre à tout ce que tu peux éprouver et faire de généreux et d’utile le charme inexprimable des affections que les tyrans ne connurent jamais, des affections qui servent à la fois d’épreuves et de récompenses ‘a la vertu, des affections qui donnent du prix à la vie et rendent supérieur à tous les maux !  […] Faugère le désir qu’il en fît usage pour rétablir la vérité et montrer que la part de gloire qui revenait légitimement à Mme Roland était assez grande sans qu’il fût besoin d’y rien ajouter aux dépens de son mari : « J’acceptai cette mission avec empressement, nous dit le nouvel éditeur, et je m’occupai dès lors à compléter les éléments d’un ouvrage qui sera consacré à faire connaître plus intimement Roland de La Platière, en même temps que la femme supérieure qui ne fut pas tout dans sa destinée, mais qui, en s’unissant à lui, a contribué à donner à son nom un éclat que son seul mérite n’aurait point produit. » Oserai-je dire à M.  […] Cet homme estimable, intègre, instruit, laborieux, mais sec, épineux et désagréable, est connu, jugé ; il l’est par sa femme même qui, en le louant beaucoup, lui refuse le tact avec lequel on manie les hommes : elle le voulait Caton, et Caton l’Ancien ; il le fut, et avec tous les inconvénients d’un rôle transposé. […] Mais, quand on a connu M.  […] Je connais et j’ai présentes en ce moment à la pensée un certain nombre de femmes instruites, méritantes, éprouvées, natures vaillantes et probes, qui, sorties du peuple ou presque du peuple, ont conquis l’éducation, les lettres, les sciences, les arts même, — quelques-unes la poésie ; — qui pensent et s’expriment avec fermeté, avec nombre et non sans grâce ; qui comptent dans leur intérieur à tous les titres ; qui doublent et affermissent l’intelligence du frère ou de l’époux, le secondent dans sa carrière, l’aident modestement dans ses travaux, et, à défaut d’une certaine fleur peut-être, font goûter les fruits les plus sûrs et ce qu’il y a de meilleur dans le trésor domestique.

1391. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Je vous ai appelé près de moi parce que vous avez écrit les campagnes de Frédéric le Grand, que vous connaissez son armée, et que vous avez bien étudié le théâtre de la guerre. […] vous voilà, monsieur le diplomate, je vous connaissais bien comme un bon militaire, mais je ne savais pas que vous fussiez un mauvais politique. » Jomini ne laissa pas de rester toute cette campagne dans la confiance du maître. […] Je ne connaissais pas les chemins, et il n’y avait pas moyen de trouver un guide. […] Un officier avait toujours un cheval excellent, il connaissait le pays, il n’était pas pris, il n’éprouvait pas d’accidents, il arrivait rapidement à sa destination, et l’on en doutait si peu que l’on n’en envoyait pas toujours un second : je savais tout cela. […] M. de Canouville, un homme de la société, que les gens de mon âge ont connu, et qui avait été attaché à la cour du premier Empire, racontait l’anecdote suivante.

1392. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Qu’on veuille bien se figurer ce que pouvait être un ami de Racine ou de Fénelon, un M. de Tréville, un M. de Valincour, un de ces honnêtes gens qui ne visaient point à être auteurs, mais qui se bornaient à lire, à connaître de près les belles choses, et à s’en nourrir en exquis amateurs, en humanistes accomplis. […] On supposait les textes connus, et l’on marchait sur un terrain établi. […] Il cite encore l’invention de l’artillerie ; il aurait dû ajouter la découverte du Nouveau Monde et Christophe Colomb : il n’était pas tenu de connaître déjà Copernic. […] Virgile, qui connaissait si bien les héros grecs homériques, ne connaissait pas moins les Curius, les Fabricius, les triomphateurs pris à la charrue, et qui, même au temps du Capitole, habitaient encore sous le chaume d’Évandre.

1393. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

Depuis Vespasien et son nouveau Capitole, on connaît mieux la vérité, et le patriciat déchu ne défend plus de la dire. » Ainsi on consulta plus librement alors les vieux titres, les inscriptions sur bronze, et selon M. […] Cette quantité de détails sur le clergé, les couvents, les parlements, les charges de cour, qui formaient la trame sociale, et qui étaient un reste de la vie du moyen âge, on ne les connaît plus. […] On a trop fait avec ces deux siècles comme le touriste de qualité qui, dans un voyage en Suisse, va droit au Mont-Blanc, puis dans l’Oberland, puis au Righi, et qui ne décrit et ne veut connaître le pays que par ces glorieux sommets. […] Le Mercure, le plus connu, n’en représente guère que la partie la plus fade et la moins originale195. […] Savez-vous qu’on était fort en train de connaître l’Allemagne en France avant 89 ?

1394. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Si le bien qu’on aimait est connu pour faux, ou si on reçoit la notion d’un bien supérieur, l’âme déplacera son amour du moins parfait au plus parfait. […] Lorsqu’il connaissait mal Dieu, Pauline était tout pour lui : l’œuvre de la grâce achevée, son amour est tout à Dieu, et ne retombe sur la créature que renvoyé sous forme de charité par l’amour même de Dieu. Même aventure arrive à Pauline : Sévère longtemps a été tout ce qu’elle connaissait de meilleur ; elle l’aimait donc plus que tout. […] Il ne les saisit guère dans l’état de passion, dont il ne connaît pas bien la particulière essence ni le mécanisme spécial. […] Chardon, la Vie de Rotrou mieux connue, in-8, Paris, 1885.

1395. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

Il est bon de connoître la source des plaisirs dont le goût est la mesure : la connoissance des plaisirs naturels & acquis pourra nous servir à rectifier notre goût naturel & notre goût acquis. Il faut partir de l’état où est notre être, & connoître quels sont ses plaisirs pour parvenir à mesurer ses plaisirs, & même quelquefois à sentir ses plaisirs. Si notre ame n’avoit point été unie au corps, elle auroit connu, mais il y a apparence qu’elle auroit aimé ce qu’elle auroit connu : à-présent nous n’aimons presque que ce que nous ne connoissons pas. […] On croit d’abord qu’il suffiroit de connoître les diverses sources de nos plaisirs, pour avoir le goût, & que quand on a lu ce que la Philosophie nous dit là-dessus, on a du goût, & que l’on peut hardiment juger des ouvrages.

1396. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Le débat de Clitandre et de Trissotin, dans les Femmes Savantes, nous permet de prendre sur le fait la lutte de ce qui était alors l’esprit nouveau contre la tradition mourante du xvie  siècle : Permettez-moi, monsieur Trissotin, de vous dire, Avec tout le respect que votre nom m’inspire, Que vous feriez fort bien, vos confrères et vous, De parler de la cour d’un ton un peu plus doux ; Qu’à le bien prendre, au fond, elle n’est pas si bête Que, vous autres, messieurs, vous vous mettez en tête ; Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ; Que chez elle on sa peut former quelque bon goût, Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie, Tout le savoir obscur de la pédanterie. […] Ils créent des dilettantes qui parlent de tout sans rien connaître à fond. […] Est-il en guerre avec le beau sexe ; il ne connaît qu’une façon de le combattre : c’est de le fuir. […] Je pourrais citer mille travestissements du même genre ; je n’en rappellerai qu’un Legouvé (le père), dans sa tragédie La mort de Henri IV, rencontra sur sa route le mot si connu : « Je voudrais que chaque paysan pût mettre la poule au pot le dimanche. » Une poule ! […] Tout cela est connu, mais prouve avec quel soin il faut étudier, sous les deux faces qu’ils présentent, les résultats de l’influence mondaine.

1397. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Il va se marier à une riche veuve, et ce mariage serait rompu, si le secret de cet enfant lui était connu. […] Le marin méprise un peu, sans trop le connaître, cet être équivoque ; mais il accueille sa requête, en se souvenant de son père. […] Cette maritorne à peine décrassée, tranchante et bourrue, cordiale et triviale, devient sympathique, dès qu’on la connaît. […] Les gens de Rueil ont parlé ; elle sait que la mère vit encore : à tout prix, elle veut la connaître. C’est à l’enfant, d’abord, quelle s’adresse ; mais la petite joue son rôle connue une comédienne qui aurait dix années de planches.

1398. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

En un mot, on ne connaît jamais mieux un esprit, un talent, un caractère ou un amour-propre, que quand on l’a vu quelque temps à ce jeu-là. […] Le jeune enfant fut élevé par les soins de sa mère (née de Rosen), qui se remaria à M. d’Argenson, si connu sous la Restauration par la netteté et la précision radicale de son libéralisme26. […] Qui est-ce qui ose entrer dans une salle de spectacle, quand il ne connaît la pièce que de nom ? […] Il ne compte pas assez avec la légèreté française, cette légèreté que son père et tout le xviiie  siècle connaissaient si bien, et que le xixe n’a pas encore tout à fait oubliée. […] Quiconque a eu de près affaire à la vie, soit dans l’ordre public, soit même dans l’ordre privé, a connu ce jour-là.

1399. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

» La Bruyère présageait et voyait déjà quelque chose de ce changement profond qui a éclaté depuis, quand il disait : Pendant que les grands négligent de rien connaître, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires ; qu’ils ignorent l’économie et la science d’un père de famille, et qu’ils se louent eux-mêmes de cette ignorance…, des citoyens s’instruisent du dedans et du dehors d’un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, savent le fort et le faible de tout un État, songent à se mieux placer, se placent, s’élèvent, deviennent puissants, soulagent le prince d’une partie des soins publics. […] Il avait eu un accessit et un prix de vers à l’Académie française en 1671 et en 1673 ; cela le fit connaître. […] Bref, il connut M. de Malezieu, qui le goûta, l’utilisa, et en fit son compère dans ses jeux et ses divertissements poétiques de société. […] Nous pouvons parler de Mme du Maine à fond et comme si nous l’avions connue, car nous avons sur son compte le témoignage le plus direct, le plus intime et le plus sûr. […] Un parvenu le lendemain d’une révolution, nous connaissons, pour l’avoir vu, cet être et ce monstre caractéristique de la société moderne.

1400. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Un homme tel que celui-là est toujours conduit par d’autres qui ne le valent pas… Tous ceux qui ont connu, ou même qui n’ont fait qu’entrevoir le cardinal de Rohan, savent à quel point ces quelques traits sont fidèles. […] On s’explique déjà quel est ce genre d’esprit vif, badin, curieux, étourdi, plein de grâce, et se faisant beaucoup pardonner quand on rapproche une fois et qu’on le connaît. […] Car enfin, nous le connaissons ; il parlait comme un autre dans les conférences au séminaire ; il avait même quelque peine à s’expliquer. […] à connaître un peu le caractère, la légèreté et aussi l’esprit gracieux de l’abbé de Choisy, et peut-être à lui pardonner. […] Mais c’est assez l’avoir fait connaître par ses traits principaux et par ses meilleurs côtés.

1401. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Et moi je dirai, et tous ceux qui ont connu et habité ce pays diront : Oui, cherchez-y sinon des Julie et des Saint-Preux, du moins des femmes du genre de Claire ; j’entends par là un certain tour d’esprit mêlé de sérieux et de gaieté, naturel et travaillé à la fois, très capable de raisonnement, d’étude, de dialectique même, vif pourtant, assez imprévu, et non du tout dénué d’agrément et de charme. […] Ayant perdu vers ce temps son père vénéré, et restant seule avec sa mère sans fortune, elle intéressa vivement toutes les personnes qui la connaissaient ; et comme, dans ce pays de la Suisse française, il règne un grand goût pour l’enseignement et l’éducation, on imagina de lui faire donner quelques leçons sur les langues et les choses savantes qu’elle avait apprises dans le presbytère paternel. […] Un peu plus loin, je lis cette autre pensée : Je connais quelques esprits métaphysiques auxquels je ne parlerai jamais des beautés de la nature ; ils ont franchi depuis longtemps les idées intermédiaires qui lient les sensations avec les pensées, et leur esprit s’occupe trop d’abstractions pour qu’on puisse leur faire partager les jouissances qui supposent toujours les rapports de l’âme avec des objets réels et extérieurs. […] Tout en sentant d’abord ce qui lui manquait à Paris, elle en jugeait pourtant très bien le séjour en ce qu’il a bientôt d’indispensable pour ceux qui en ont une fois goûté : « Il est certain, écrit-elle, qu’on peut et qu’on doit être plus heureux ailleurs, mais il faut pour cela ne pas connaître un enchantement qui, sans faire le bonheur, empoisonne à jamais tous les autres genres de vie. » En écrivant ces paroles, elle était encore à demi sous le charme (1773). […] La plus haute de ces amitiés, et qui était pareille elle-même à un culte, fut celle qui l’attacha à M. de Buffon, qu’elle peut contribuer mieux que personne à nous faire connaître et apprécier par les côtés intimes et encore élevés, car elle n’est pas femme à entrer jamais dans rien de familier avec ce qu’elle admire.

1402. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Il faut que M. de La Harpe ait un secret particulier pour se faire plus d’ennemis qu’un autre. » En tête de sa seconde tragédie, Timoléon, lorsqu’il l’imprima, La Harpe se crut obligé de mettre une justification expresse sur les couplets de collège qui lui étaient imputés à crime, et il ajouta quelques réflexions sensées qui nous peignent très bien le moment où il parut : La mode dominante, disait-il, est aujourd’hui d’avoir de l’esprit… Tandis qu’un petit nombre d’écrivains illustres honore et éclaire la nation, un bien plus grand nombre d’écrivains obscurs, possédés de la manie d’être littérateurs, sans titres et sans études, ont fait une espèce de ligue pour se venger du public qui les oublie, et des véritables gens de lettres qui ne les connaissent pas. […] alors Le Brun, qui était de la lignée de Malherbe, se sentait saisi d’indignation, et il faisait justice de l’irrévérence dans cette épigramme, l’une des plus belles que je connaisse : Sur La Harpe, Qui venait de parler du grand Corneille, avec irrévérence. […] Mais une fois jeté en prison (avril 1794), détenu au Luxembourg, La Harpe, avec cette âpre personnalité qu’on lui connaît, s’étonna plus qu’un autre d’avoir été atteint ; l’idée de la mort lui apparut, son imagination lui fit tableau ; il fut en proie à un grand tumulte, et, dans ce bouleversement de tout son être, il sentit une révolution s’opérer en lui : il eut le coup de foudre, ce qu’on appelle le coup de la grâce, qui le renversa et le retourna. […] Plein de ces désolantes idées, mon cœur était abattu et s’adressait tout bas à Dieu que je venais de retrouver, et qu’à peine connaissais-je encore. […] … Mais, je vous en conjure, seulement un doigt de liqueur (vous en avez des Îles)… Je prie Dieu de leur donner tous les jours la même patience qu’à moi : elle est devenue bien rare pour supporter tant de tribulations… De la crème des Barbades, si vous voulez bien… J’en connais de bien respectables… — Au reste, la vie du chrétien n’est que tribulation, et je ne dois pas murmurer contre la volonté du ciel : je vous suis. » La scène est bonne ; elle est chargée : mais qu’importe ?

1403. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

Cet agréable épisode des Mémoires de Choisy était connu dès le milieu du xviiie  siècle, et je conçois que, sur cet aperçu, on ait eu envie de lire les vrais Mémoires de Cosnac. […] À l’époque où Cosnac le connut d’abord, Mme de Longueville disposait de son frère à sa volonté ; elle excitait ou apaisait d’un mot sa colère et réveillait son affection, qui n’était pas celle d’un frère pour une sœur, mais bien d’un amant jaloux et soumis pour une impérieuse maîtresse. […] Pour devenir général, il ne s’agissait pour le prince que d’une chose, faire ce qui était le plus agréable à Mazarin, épouser une nièce ; cette première idée, dont Sarasin lui jeta la semence, ne manqua pas de lever en peu de temps : « Ce prince, ajoute Cosnac qui le connaît jusque dans le fond de l’âme, était homme d’extrémités, à qui il était facile d’inspirer les choses, pourvu qu’elles flattassent sa passion, que l’exécution en fût prompte, et qu’elle ne dépendît pas de son application et de ses soins. » Bien qu’il fallût ici beaucoup de suite et de négociations, le prince de Conti s’en remet sur ses domestiques du soin de mener à bien cette affaire ; et en attendant qu’il épouse une nièce et devienne général, en attendant même que, pour s’illustrer dans cette nouvelle carrière par un coup d’éclat, il appelle en duel le duc d’York (autre idée des plus bizarres qui lui était venue), il ne songe qu’à s’amuser à Pézenas où il a fait venir sa maîtresse de Bordeaux, Mme de Calvimont. […] Le rôle de Cosnac dans cette petite cour et ses relations avec Madame sont trop honorables et trop particulières pour être ainsi étranglées ; je me réserve d’y revenir en m’arrêtant sur ce gracieux et séduisant personnage de Madame, dont il nous fait connaître les pensées et nombre de lettres intimes. […] Ses Mémoires feront prévaloir désormais cette partie sérieuse de sa vie, et l’on connaîtra en somme un personnage et un caractère de plus dans ce siècle où il y en eut tant d’originaux.

1404. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Il faut voir, ces jours-là, comme il a renoncé philosophiquement à tout privilège du seigneur : Plus je connais cette terre, et plus je vois qu’il ne faut songer qu’au rural et très peu au seigneurial. […] Voltaire écrit lettre sur lettre au maréchal de Richelieu, qui le favorise également : « Vous ne le connaissez point du tout, et moi je le connais pour m’avoir trompé, pour m’avoir ennuyé, et pour m’avoir voulu dénoncer. » Trouvant de la résistance à son vœu d’exclusion, Voltaire autorise enfin d’Alembert à dire de sa part tout ce qu’il voudra ; il lui donne carte blanche et procuration pour fulminer au besoin, en son nom, tous les anathèmes : « Je passe le Rubicon pour chasser le nasillonneur délateur et persécuteur ; et je déclare que je serai obligé de renoncer à ma place, si on lui en donne une . […] Quant à Voltaire, il est impossible, lorsqu’on le connaît bien et qu’on l’a vu en ses divers accès, de le prendre pour autre chose que pour un démon de grâce, d’esprit, et bien souvent aussi (il faut le dire) de bon sens et de raison, pour un élément aveugle et brillant, souvent lumineux, un météore qui ne se conduit pas, plutôt que pour une personne humaine et morale. […] [NdA] Depuis que ceci est écrit, lisant la correspondance du grand Frédéric avec Darget (tome XX des Œuvres de Frédéric le Grand, Berlin, 1852), j’y trouve des jugements d’une précision définitive et terrible : Voltaire s’est conduit ici en faquin et en fourbe consommé ; je lui ai dit son fait comme il mérite… Voltaire est le plus méchant fou que j’aie connu de ma vie, il n’est bon qu’à lire… Je suis indigné que tant d’esprit et de connaissances ne rendent pas les hommes meilleurs… Son caractère me console des regrets que j’ai de son esprit… Croiriez-vous bien que Voltaire, après tous les tours qu’il m’a joués, a fait des démarches pour revenir ?

1405. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Il faut avouer que ses compliments sont à peu près dans ce goût : « Autrefois, je ne vous connaissais pas, je ne vous lisais pas, je ne rencontrais que des gens qui me disaient du mal de vos romans… Maintenant tout est changé… alors je vous lis, je vous lis avec un grand plaisir… et vous trouve vraiment beaucoup de talent… Mais au fait, on dit que vous avez aussi publié des livres d’histoire très curieux… moi je n’y croyais pas, quand j’ai commencé à lire vos romans… je les ai trouvés si bien, que ça me mettait en défiance contre vos autres livres… Je me disais : ils sont trop romanciers pour être des historiens… » * * * — Voltaire n’a que l’esprit, tout l’esprit d’une vieille femme du xviiie  siècle ; mais jamais de son esprit ne jaillit une pensée, ayant la moindre parenté avec une pensée de Pascal, avec une pensée de Bacon, avec n’importe quelle pensée d’une grande cervelle philosophique. […] Thiers, et répétée, ce soir, à notre dîner par Bardoux : « Celui qui n’a pas vécu, pendant les vingt années qui ont précédé la révolution, n’a pas connu la douceur de vivre !  […] Mardi 31 mai … Messieurs, dit un ancien ministre, vous connaissez la ceinture de chasteté, qui est au musée de Cluny, et peut-être n’êtes-vous pas sans savoir que la fabrication de ces ceintures continue, mais ce que vous ne savez pas, c’est qu’il s’en fabrique pour hommes. […] Je connais cet homme et je l’ai même plaisanté à ce sujet. […] Mercredi 17 août Une femme de ma connaissance disait à un de mes amis, que la jeune fille épousant un homme, qu’elle ne connaissait pas du tout, en avait quelquefois, soudainement, la devinaille morale, dans le moment où, en chemise, il se dirigeait vers son lit.

1406. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent que l’expression qu’il cherchait depuis longtemps sans la connaître, et qu’il a enfin trouvée, est celle qui était la plus simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter d’abord et sans effort. […] Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l’effet que d’un long travail et d’une pénible recherche ; elles sont heureuses dans le choix des termes, qu’elles placent si juste, que tout connus qu’ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, semblent être faits seulement pour l’usage où elles les mettent ; il n’appartient qu’à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate ; elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n’est lié que par le sens. […] Ils ont tous deux connu la nature, avec cette différence que le premier d’un style plein et uniforme, montre tout à la fois ce qu’elle a de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple ; il en fait la peinture ou l’histoire. […] Ces passions encore favorites des anciens, que les tragiques aimaient à exciter sur les théâtres, et qu’on nomme la terreur et la pitié, ont été connues de ces deux poètes : Oreste, dans l’Andromaque de Racine, et Phèdre du même auteur, comme l’Œdipe et les Horaces de Corneille, en sont la preuve. […] L’hyperbole exprime au-delà de la vérité pour ramener l’esprit à la mieux connaître.

1407. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Sous prétexte de traduire les Anglais et de les connaître, il avait parfois de l’humour. […] Il y a du bas-bleu… Et les bas-bleus, qui s’y connaissent, qui savent toutes les nuances que peut avoir l’indigo, ne s’y trompent point ! […] pour Chasles et les libres-penseurs, qu’il mécontentera avec son livre, il valait mieux cent fois laisser tranquille la grosse chose connue, le mélodrame du cachot, la bourde séculaire, avalée et ravalée à chaque génération sans aucune douleur. […] pas de ce Chasles que nous avons connu et aimé, avec qui nous avons tant de fois croisé l’épigramme et le paradoxe, et dont l’esprit, au contact d’un autre esprit, partait en fusées et s’épanouissait en gerbes brillantes. […] Ce n’est pas Chasles qui a inventé le voyant, le sorcier dans Balzac, l’évocateur qui fausse les réalités ; tout cela était connu depuis des éternités, jonchait les journaux et les livres.

1408. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Connu déjà pour d’autres poésies, couronné plusieurs fois par l’Institut, malgré le talent le moins académique, ayant abordé vaillamment la satire politique, le seul genre de poésie qui rende vite un nom populaire, — après la poésie dramatique toutefois, — M.  […] Pommier n’a pris que les grandes faces connues, nécessaires et impossibles à supprimer de l’idée féconde qu’il devait interroger et dévoiler sous toutes ses faces et dans toutes ses profondeurs. […] Or, nous l’avons dite d’un seul mot, elle est surtout dans un sérieux dont on connaît l’accent, l’inoubliable accent, retrouvé sous cette masse (peut-on dire masse de choses si légères ?) […] Seulement ici l’accent connu, l’accent profond ne vibre pas longtemps. […] Amédée Pommier, qui fut toujours un esprit outré, comme disent les esprits modestes, qui ont de bonnes raisons pour l’être, le rappelle en des vers excellents, dans son ancienne manière connue, d’une bonhomie comique et mordante : … Les philistins, les pédants et les cuistres, Qui m’ont en mal déjà noté sur leurs registres Pour avoir cultivé, rimeur émancipé, Le genre mors aux dents ou cheval échappé, Trouvant que de nouveau je prêche et prévarique, Élèveront encore leur voix charivarique, Et se scandalisant de ma ténacité, Crieront au mauvais goût, — à l’excentricité.

1409. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Je viens de citer un rêve bien connu. […] Je ne rappellerai que le plus connu de tous. […] Mais lisez attentivement le chapitre : vous verrez que l’auteur a connu, pendant une certaine partie de sa vie, un état psychologique où il lui était difficile de savoir s’il dormait ou s’il veillait. […] Vous connaissez l’observation d’Alfred Maury 10 : elle est restée classique, et, quoi qu’on en ait dit dans ces derniers temps, je la tiens pour vraisemblable, car j’ai trouvé des récits analogues dans la littérature du rêve. […] Encore ne portent-elles que sur les rêves que nous connaissons aujourd’hui, sur ceux dont on se souvient et qui appartiennent plutôt au sommeil léger.

1410. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

Il ne connaissait pas tout ce qu’il avait de génie et d’élévation, et, sur la fin de ses jours, il s’était fait l’habitude de les resserrer encore et de les méconnaître. […] Ainsi Scudéry, dans Cyrus, me fait connaître le ton des hôtels de Longueville et de Rambouillet, lieux que j’affectionne et où j’aurais voulu vivre.

1411. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

C’est à l’homme que vous vous adressez dans la tragédie ; mais c’est une telle époque, c’est un tel peuple, ce sont de telles mœurs, qu’il faut connaître pour obtenir dans la comédie un succès populaire : les pleurs sont pris dans la nature, et la plaisanterie dans les habitudes. […] À Athènes on pouvait se faire connaître, et se justifier sur la place publique au milieu de la nation entière ; mais, dans nos associations nombreuses, on ne pourrait opposer que la lumière lente des écrits au ridicule animé du théâtre.

1412. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

Nous ne saurions trop le répéter ; il est avantageux, & même nécessaire au maintien de la République des Lettres, qu’il s’éleve de temps en temps des esprits assez éclairés pour connoître les regles du bon goût, assez habiles pour démêler les usurpations du mauvais, & assez fermes pour en arrêter les progrès. […] Au mérite de bien analyser un Ouvrage, d’en faire connoître les défauts, de donner d’excellens préceptes de goût, tous fondés sur la nature & la raison, M.

1413. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ils connaissaient les heures du jour par l’ombre des arbres ; les saisons, par le temps où elles donnent leurs fleurs ou leurs fruits, et les années, par le nombre de leurs récoltes. […] Ils ne connaissaient d’autres époques historiques que celles de la vie de leurs mères, d’autre chronologie que celle de leurs vergers, et d’autre philosophie que de faire du bien à tout le monde et de se résigner à la volonté de Dieu… …………………………………………………………………………………………… Quelquefois, seul avec elle (Virginie), il (Paul) lui disait au retour de ses travaux : « Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse.

1414. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre III. Partie historique de la Poésie descriptive chez les Modernes. »

La nature cessa de se faire entendre par l’organe mensonger des idoles ; on connut ses fins, on sut qu’elle avait été faite premièrement pour Dieu, et ensuite pour l’homme. […] Ainsi, repoussée en France, la Muse des champs se réfugia en Angleterre, où Spencer, Waller et Milton l’avaient déjà fait connaître.

1415. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Carle Vanloo » pp. 183-186

Les brunes piquantes, comme nous en connaissons, ont les chairs fermes et blanches, mais d’une blancheur sans transparence et sans éclat. […] Le peintre n’a pas connu ces beautés.

1416. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 31, de la disposition du plan. Qu’il faut diviser l’ordonnance des tableaux en composition poëtique et en composition pittoresque » pp. 266-272

Monsieur De Piles grand amateur de la peinture, et qui lui-même manioit le pinceau, nous a laissé plusieurs écrits touchant cet art, qui meritent d’être connus de tout le monde ; mais un de ces écrits merite toutes les loüanges qui sont dûës aux livres originaux : c’est sa balance des peintres. […] Ce galand homme dont la memoire sera toujours en veneration à ceux qui l’ont connu, nonobstant tout ce qu’il peut avoir écrit sur l’antiquité, étoit aussi capable de faire une bonne comparaison de l’ouvrage de Paul Veronése et de celui de Le Brun, que M. 

1417. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — Deuxième journée. Les conspirateurs » pp. 225-233

je partage votre généreuse ardeur, mais je vous prie de la modérer quelques instants encore… Je n’ai pas l’habitude des harangues, et, nourri loin de l’Académie, je n’en connais pas les périphrases… Et pourtant je vous dois un discours bien senti avant de vous faire faire le pas décisif dans cette route glorieuse, mais semée d’écueils, où je vous ai engagés… C’est un devoir, je saurai le remplir… (Il rougit.) […] J’ai beaucoup connu dans le temps, à Paris, un lieutenant de la garde qui vous ressemblait — comme deux gouttes de ténédos.

1418. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Et vous, ombres chères, ombres si connues, vous qui m’entourez ici dans cette morne solitude, pourquoi êtes-vous vous-mêmes si tristement et si profondément silencieuses ? […] Nous autres Polékas, nous connaissons bien la forêt depuis notre enfance ; mais aucun de nous ne peut se comparer à lui. […] Son mérite, comme exécutant, se réduisait à bien peu de chose ; mais il connaissait à fond son art. […] La magie de cette nuit d’été s’était emparée de lui : tout lui semblait nouveau, en même temps que tout lui semblait connu et aimé de longue date. […] … Lavretzky se souleva… Une forme connue lui apparut : Lise était au salon.

1419. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Avant tout, il est Frédéri, le grand Frédéri, mais Frédéri et les vieux l’ont connu « tant pichounet !  […] bien, connais pas ! […] Qui ne connaît l’ardente personnalité de M.  […] Il suffit de n’avoir pas l’air de les connaître : — éclairer sa lanterne n’est plus d’un artiste. […] Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore M. 

1420. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Et pourtant on connaît aujourd’hui, grâce aux recherches de M.  […] « Y seraient-ils restés jusqu’à présent, disait encore Beffara, sans que personne les fît connaître ?  […] Il faut du temps pour les bien connaître. […] Que de personnages s’agitent entre ces deux pièces, tous si vivants qu’on les connaît mieux que des personnages de chair et d’os ! […] On doit absolument consulter, si l’on veut connaître à fond toutes ces querelles, l’excellent ouvrage de M. 

1421. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Mais on ne connaissait pas M. Marcel Dupont : lui-même se connaissait-il ? […] Et l’on s’y connaissait alors, en fait de chagrin. […] On ne le connaît pas ; on devine qu’il est campagnard et qu’il a du bien. […] Il lui fallait, pour cette belle exhibition, connaître tous nos écrivains et les connaître, comme il dit, « d’original ».

1422. (1927) André Gide pp. 8-126

Narcisse sent que son âme est adorable, mais voudrait en connaître la figure sensible et cherche un miroir. […] Il a pour voisin Amédée qu’il ne connaissait pas. […] L’ouvrage qui ne ressemblerait à rien serait un monstre (et encore le monstre n’est-il qu’un assemblage hétéroclite d’éléments connus). […] Déjà il avait connu Pierre Louÿs à l’Ecole alsacienne. […] (Je l’ai connu plus tard et beaucoup moins : il m’avait paru très doux, mais peut-être ne se déboutonnait-il qu’entre intimes.)

1423. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Flaubert, en 1849, avait connu la joie, l’ivresse du verbe ; pendant le reste de sa carrière il devait, comme il disait lui-même, en connaître surtout les affres. […] C’est un document qui nous le fait mieux connaître et mieux aimer. […] On n’en connaît pas de supérieures à celles de M.  […] Il a voulu tout connaître, tout comprendre, tout expérimenter. […] Maurice, ayant expié, connaîtra enfin la paix et le bonheur.

1424. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Ce M. de Neufvillenaine se connaissait en procédés. […] Je serais peut-être de ce dernier avis, sauf les conclusions trop générales qu’en tire le poëte régulateur : Étudiez la cour et connoissez la ville ; L’une et l’autre est toujours en modèles fertile. […] que la différence est connue aisément De toutes ces faveurs qu’on fait avec étude, A celles où du cœur fait pencher l’habitude ! […] N’est-ce pas là le dernier point de folie, et n’admirez-vous pas que tout ce que j’ai de raison ne sert qu’à me faire connoître ma foiblesse, sans en pouvoir triompher12 ?   […] Le grand nombre superficiel salue au passage un trait de sa connaissance et s’écrie : « C’est le portrait de tel homme. » On attache pour plus de commodité une étiquette connue à un personnage nouveau.

1425. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Auger ni moi ne sommes connus ; tant pis pour ce pamphlet. […] Auger dont je ne connaissais pas une ligne il y a quatre jours avant de chercher à le réfuter, c’est qu’il a quarante voix éloquentes et considérables dans le monde pour vanter son ouvrage. […] Je connais encore moins les Académiciens dont les noms pâlissent à côté des leurs. […] Peu d’hommes, surtout à dix-huit ans, connaissent assez bien les passions pour s’écrier : Voilà le mot propre que vous négligez. […] Par exemple : Connais-tu la main de Rutile ?

1426. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

On connaît la pensée de M.  […] On connaît, au reste, son influence sur de juvéniles intelligences. […] L’excellent fut qu’il eut le bonheur de se connaître. […] Aussi use-t-il de l’ironie en gentilhomme de lettres, qui en connaît toutes les passes et les parades. […] Il ne faut point trop les connaître, de peur de détériorer leur aspect.

1427. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Les faits que nous connaissons de l’histoire politique, sociale et religieuse, sont souvent difficiles à interpréter, d’abord à cause de leurs propres lacunes, et ensuite parce que notre information est d’origine presque exclusivement cléricale. […] C’est maintenant la grande floraison ; il est superflu de détailler les titres, les cycles ; l’épopée nationale, une des gloires de la littérature française, est suffisamment connue dans ses traits essentiels. […] Plusieurs ont dit : « Le moyen âge n’a pas connu le souci de l’art. » Erreur profonde, que l’architecture, la poésie des Provençaux, Chrétien de Troyes, Dante, suffisent à réfuter. […] En bien comme en mal, c’est le même procédé, la même force que nous manions ou subissons sans en connaître exactement la formule. […] Il ne s’agit, je le répète, que d’une esquisse sommaire, rappelant des œuvres connues ; la nouveauté est dans le groupement.

1428. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Nodier y connut beaucoup Benjamin Constant, qui avait à Dôle une partie de sa famille : leurs esprits souples et brillants, leurs sensibilités promptes et à demi brisées devaient du premier coup s’enlacer et se convenir. […] Il ne connut longtemps de la littérature allemande que ce qui nous en arrivait par madame de Staël après Bonneville ; mais l’esprit lui en arrivait surtout : la ballade de Lénore, le Roi des Aulnes, la Fiancée de Corinthe, le Songe de Jean-Paul, faisaient le plus vibrer ses fibres secrètes de fantaisie et de terreur. […] Il avait connu et aimé Millevoye faiblissant ; il enhardissait De Latouche, éditeur d’André Chénier ; il n’eut qu’un cri d’admiration et de tendresse pour le chant inouï de Lamartine. Il connut Victor Hugo de bonne heure, à la suite d’un article qui n’était pas sans réserve, si je ne me trompe, sur Han d’Islande ; il découvrit vite, au langage vibrant du jeune lyrique, les dons les plus royaux du rhythme et de la couleur. […] Voici une pièce de lui peu connue, et qui n’a pas été insérée dans son volume de vers : c’est une petite Poétique, telle, ce me semble, qu’à deux ou trois mots près l’aurait pu signer La Fontaine.

1429. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Grandet, il ne connaît pas lui-même sa fortune ! […] Peu de personnes connaissent l’importance d’une salle dans les petites villes de l’Anjou, de la Touraine et du Berry. […] Enfin, souhaitant, pour la première fois de sa vie, de paraître à son avantage, elle connut le bonheur d’avoir une robe fraîche, bien faite, et qui la rendait attrayante. […] « À trente ans, Eugénie ne connaissait encore aucune des félicités de la vie. […] Sa piété vraie était connue.

1430. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Ce banquet, ce banquet contre l’Institut, donné à Ribot, se trouve aussi un peu donné à moi ; et dans les coins, où je me blottis, des jeunes dont je connais vaguement le nom, se font, à tout moment, présenter à moi, et veulent bien saluer dans le vieux Goncourt : le grand littérateur indépendant. […] Et ce rose derrière, sur un oreiller à grandes dents festonnées, fut jusqu’au jour, où je connus Mme Charles, le doux et excitant spectacle que j’avais le soir, avant de m’endormir, sous mes paupières fermées. […] Il me connaît très peu, et c’est le seul homme du dîner de Brébant, qui me cause de mon livre, récemment publié. […] Son frère, qui se trouvait là, citait cette phrase, à lui dite par une de ces femmes, à brûle-pourpoint et sans invite à la chose : « Connaissez-vous le jeu de frotte-nombril ?  […] La femme soutient que, lorsque son mari lit les Essais, il n’est plus le Daudet qu’elle connaît, il n’est plus père, c’est un Daudet racorni.

1431. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

L’homme divinisé, perfectionné indéfiniment, immortalisé ici-bas dans la félicité et dans la vie, est un contresens à tout ce que nous connaissons et à tout ce que nous constatons de la constitution physique de l’homme. […] Il ne connaît l’éternité, l’espace, le temps, la science, le bonheur que de nom. […] Je ne te connais pas, je ne t’ai jamais offensé. […] Je suis le seul saint digne d’être connu. […] « Celui qui me connaît ainsi par ce que je suis entre dans ma nature et s’y divinise.

1432. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Quant aux autres, elle doit les taire, d’abord parce qu’elles ne sont pas connues, plus tard parce qu’elles sont trop connues ; de sorte que la presse, dont le métier est de parler, avait un devoir bien nouveau pour elle, celui de garder le silence. […] je connais ces deux hommes-là !  […] Je me demande si je dois un jour la connaître. » Plus tard, il lui écrit à elle-même d’une manière plus pathétique encore47 : « Parmi toutes les idées qui me déchirent, celle de ne pas te connaître, celle de ne te connaître peut-être jamais, est la plus cruelle. […] Je ne te connais pas ; mais je t’aime comme si je te connaissais. […] Mais MM. de Vigny, Ancelot, Guiraud, Briffaut, Chénedollé, sont déjà connus ou se font presque aussitôt connaître.

1433. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

L’auteur fait allusion à la mort connue de l’abbé Prévost qui, étant tombé frappé d’apoplexie dans la forêt de Chantilly, fut transporté dans un village voisin, où un chirurgien ignorant procéda incontinent, dit-on, à l’ouverture, ce qui détermina en effet la mort ; je cite de souvenir après une simple lecture, mais assez fidèlement, je crois :     Pleurez ! […] Les débuts, les inconstances de l’abbé Prévost, ses allées et venues de la vie monastique à la vie mondaine, sont si connus et ont été si souvent racontés que je n’y reviendrai pas ; j’ai publié autrefois moi-même des lettres intéressantes qu’il écrivit au moment de sa fuite de chez les Bénédictins et quelque temps après. […] Quiconque a, dans sa jeunesse, conçu un idéal romanesque et tendre, et l’a vu se flétrir devant soi et se briser sous ses pieds en avançant ; quiconque a plus ou moins connu, en tout genre, les écarts, les engagements téméraires et les difficultés sans issue, et n’a pas cherché à se faire de ses fautes une théorie ni un trône d’orgueil ; quiconque (et le nombre en est grand) a connu les assujettissements pénibles de la vie littéraire et le poids des corvées même honorablement laborieuses, au lieu du joug léger des muses ; ceux-là auront pour l’abbé Prévost un culte particulier comme envers un ancêtre et un patron indulgent.

1434. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Mais le goût lui en reviendra : c’est pour se reposer qu’il s’écarte ; il reprend haleine, il court après une nouveauté, et j’en redeviendrai une pour lui plus piquante que jamais : il me reverra, pour ainsi dire, sous une figure qu’il ne connaît pas encore… Ce ne sera plus la même Marianne. […] Le vieil officier cherche à le détromper : il lui montre la différence qu’il y a entre un homme peu scrupuleux qui, dans la réalité, dans la conversation, se laisse animer et accepte les choses les plus fortes, et ce même homme, devenu tranquille, qui les apprécie en les lisant : « Il est vrai, dit-il, que ce lecteur est homme aussi : mais c’est alors un homme en repos qui a du goût, qui est délicat, qui s’attend qu’on fera rire son esprit, qui veut pourtant bien qu’on le débauche, mais honnêtement, avec des façons et avec de la décence. » C’est un éloge à donner à Marivaux que, venu à une époque si licencieuse, et lui qui a si bien connu le côté malin et coquin du cœur, il n’a, dans l’expression de ses tableaux, jamais dépassé les bornes. […] Tous ceux qui ont vu et connu Mme Balletti, dite au théâtre et dans la société Silvia, ont parlé d’elle comme parlent de Mlle Mars ceux qui l’ont vue à quinze ans : « Action, voix, esprit, physionomie, maintien, et une grande connaissance du cœur humain », Silvia possédait tout cela. […] La Double Inconstance est une de ses pièces qu’il préférait, et aussi l’une de celles où il a le mieux fait jouer tous les ressorts, à lui connus, de coquetterie, de rivalité piquée au jeu, de perfidie et de câlinerie féminine.

1435. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Le Catalogue ou Inventaire de Bailly, très connu sous ce nom des amateurs de tableaux, et auquel on se réfère souvent, a été dressé par le grand-père de Bailly, peintre et graveur. […] Dans ses Époques de la nature, qui parurent en 1778, Buffon, ayant exposé sa théorie d’une terre originairement plus chaude qu’elle ne l’est aujourd’hui, plaçait le premier berceau de la civilisation chez un peuple primitif et antérieur à toute histoire connue, qui aurait habité le centre du continent de l’Asie. […] Après avoir plus ou moins établi qu’il se rencontre chez les anciens peuples connus de l’Asie des ressemblances d’idées, d’institutions, et particulièrement de notions ou mesures astronomiques qui sont d’une singularité frappante, Bailly se demande d’où peut provenir une telle similitude, et il ne voit pour l’expliquer qu’un de ces trois moyens : ou une communication libre et facile de ces anciens peuples entre eux ; ou une invention spontanée et directe, dérivant essentiellement de la nature humaine en chacun, ou enfin une origine, une parenté supérieure et commune à tous : et il discute ces trois suppositions. […] Je l’ai connu chez le président de Ménières, et sa modestie, comme son embarras, étaient tels qu’on aurait eu peine à lire dans sa physionomie et sa conversation le nom de l’auteur des très spirituelles Lettres sur l’Atlantide, adressées par lui à M. de Voltaire.

1436. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Et Garat, « qui s’est fait député du Tiers, et qui va être de l’Académie : c’est un pauvre mérite que ce Garat » ; — et le Chamfort, quelle force bel et bien de rétracter une de ses atrocités sur une pauvre morte qui n’est plus là pour se défendre ; — et le Raynal, dont elle se prive très volontiers à la lecture : « Je ne connais que sa conversation, très fatigante, et ses prétentions, très satisfaites : mon âme est naturellement chrétienne, et tout ce qui me ferait perdre ce sentiment, si cela était possible, il m’est facile de m’en abstenir » ; — et Cérutti, qui avait alors son instant de lueur et jetait sa première et dernière étincelle : L’administrateur Cérutti vient d’achever sa rhétorique : il promettait beaucoup, il y a vingt ans ; il n’a pas fait un pas depuis ce temps-là. […] Il est à regretter qu’elle n’ait pas également laissé son opinion sur Rousseau qu’elle avait si bien connu, et que ce qu’elle en disait ne soit point arrivé jusqu’à nous. […] Après tout, ne soyons point exclusifs et négatifs en aucun genre ; ne prenons jamais le dégoût pour le goût, l’exemption pour la qualité ; et, de quelque prix qu’il soit à qui l’a su connaître, périsse l’atticisme lui-même si on ne peut absolument le conserver que par le manque de vie, par une stagnation qui mène insensiblement et bientôt à la sécheresse ! […] On lit le journal, le regard tombe sur un discours (du temps qu’il y avait des discours) ou sur un rapport concernant les chemins de fer ou tout autre matière d’intérêt public ; on en connaît l’auteur, on essaie de le lire, et il en reste quelque expression de style administratif et positif, qui ensuite se glisse par mégarde sous la plume aux endroits les plus gracieux.

1437. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Ceux qui l’ont bien connu prétendent pourtant que, malgré sa conversion, il restait du patricien en lui. […] Il est bien de connaître, de partager les nobles fièvres de son temps, car ce sont souvent des fièvres de croissance pour l’humanité, cette éternelle enfant qui n’a jamais fini de grandir. […] Je crois qu’on m’excusera de donner ici dans tout son détail cette page aussi agréable que peu connue : Dix-huit ans avant mon séjour à Nyon, j’avais passé quelques mois à Cambridge avec le célèbre poète Gray, presque dans la même intimité qu’avec Matthisson, mais avec cette différence que Gray avait trente ans de plus que moi et Matthisson seize de moins. […] Au moment du départ de son jeune ami pour la France, il écrit à leur ami commun Nicholls : C’est pour le coup que mes soirées solitaires vont me paraître moins légères à passer qu’avant de l’avoir connu.

1438. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Bons catholiques ou non, nous n’avons pas le goût protestant en littérature : quoi qu’il en soit, il convient, au moins à quelques-uns, de bien connaître ce monde à part, cette province littéraire non soumise qui a son fond et sa forme d’indépendance et d’originalité. Les écrivains de Port-Royal font une tribu distincte dans la littérature française et au cœur du grand siècle : Pascal seul a éclaté pour tous ; si l’on veut bien connaître les autres, il faut y regarder de très près et les suivre longtemps dans leur monotonie apparente, dans leur demi-obscurité. […] J’en connais un, un seul, j’en conviens ; mais c’est beaucoup encore, et pour comble de bonheur, c’est dans mon pays qu’il existe… Savant et modeste Abauzit ! […] Il s’était appliqué à se bien connaître lui-même, et il savait aussi le train du monde, le cours des idées, le fin des choses.

1439. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Je n’ai le plaisir de connaître l’homme que par ses écrits ; c’est quelque chose ; mais ceux qui le connaissent encore mieux, et qui l’ont vu de près, me parlent de lui comme d’un esprit qui était de bonne heure des plus faits. […] La cause libérale, comme elle s’intitule, avait eu à subir depuis 1848 bien des affronts, des échecs et des désagréments ; mais je ne crois pas que, dans la personne de quelques-uns de ses chefs, tels que je les connais, elle dût éprouver d’humiliation plus sensible que celle de voir un ancien secrétaire du Château, l’ancien avocat des dotations princières, le chroniqueur des voyages officiels d’où il écrivait au débotté : « Le prince a fort réussi » ; un homme de collège à la cour et un homme de cour au collège, M.  […] J’avais connu mes anciens amis plus dégoûtés.

1440. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Quand on ne l’a connu que vieux, on ne se figure guère M.  […] ce savant éclairé, de plus de sagesse et d’étendue que de vigueur, manque aussi d’invention dans le style et de nouveauté dans le discours ; là non plus il n’est pas créateur ; il n’a pas le génie ni même le talent de l’expression ; il n’en a que la clarté, la netteté et l’élégance connue et prévue. […] Après avoir bien causé de lui avec ceux qui l’ont le mieux connu, je me hasarderai à en parler encore, sans trop d’ordre et comme à bâtons rompus. […] Biot, répétant les vers connus : Hoc erat in votis… et tecto vicinus jugis aquæ fons, y mêlait son petit commentaire, et il laissa voir imprudemment qu’il prenait jugis pour des sommets de colline.

1441. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Il connaissait sa carte de France « comme le parc de Versailles. » Tout cela, avec bien d’autres particularités que j’omets, est fait pour intéresser, et prouve qu’on a affaire ici à un enfant précoce, à un enfant célèbre. […] Dans ce court espace, les projets politiques, les plans de réformé de l’État abondèrent autour de lui ; il les avait depuis longtemps provoqués, par des questions adressées en son nom à tous les intendants du royaume pour connaître par eux le détail de leurs généralités et s’en former un tableau de toute la France. […] « Il y avait longtemps qu’il travaillait en secret à connaître les maux de ce beau royaume et les remèdes qui les pouvaient guérir, lorsqu’il ne vit plus rien entre le trône et lui que ce qui restait de vie à un aïeul plus que septuagénaire. […] On essaya de tous les moyens connus alors, des plus durs même (la croix de fer) ; mais rien n’y fit.

1442. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

L’esprit d’Hésiode, on le connaît peut-être moins que les deux autres, et c’est pourquoi j’y veux insister. […] L’esprit de Lucrèce, on le connaît aussi : c’est le génie de la nature puisé à sa source, embrassé dans toute sa grandeur et dans sa puissance, et aussi adoré dans sa fleur et sa vénusté. […] Voici le portrait du taureau, du mezenc pur-sang, et qui rappelle les portraits d’animaux au livre III des Géorgiques ( optima torvæ forma bovis… ) : Portant haut, bien campé sur un jarret d’acier, Trapu, tout près de terre, encore un peu grossier ; Groupe longtemps étroite, et déjà suffisante ; Le rein large et suivi, l’encolure puissante, Le garrot s’évasant en un large plateau, L’épaule nette, — et forte à porter un château ; La poitrine, en sa cage, ample et si bien à l’aise Qu’il faudrait l’admirer dans une bête anglaise ; Sobre et fort, patient et dur, bon travailleur, À ce point qu’un salers à peine fût meilleur, Lent à croître, mais apte à la graisse à tout âge, Tel est le pur mezenc, taureau demi-sauvage ; Et tel voici Gaillard, roi de mes basses-cours, Sultan de mon troupeau, connu dans les concours, Lauréat de renom, vainqueur en deux batailles, Et qui n’est pas plus fier ayant eu deux médailles. […] Ce n’est pas tant d’avoir évité de nommer les oiseaux qu’il décrit, d’avoir dit : L’oiseau sur qui Junon sema les yeux d’Argus, pour le paon, ou L’aquatique animal, sauveur du Capitole, pour l’oie ; ce n’est pas tant de n’avoir osé nommer la cage que comme un toit d’osier où pénètre le jour , et de ne s’être point résigné à appeler un chat un chat, mais L’animal traître et doux, des souris destructeur ; ce n’est pas tant de ces travers de détail et de tous ces méfaits de fausse élégance que je le blâme ; c’est surtout d’avoir mal observé et connu son sujet.

1443. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Viollet-Le-Duc était, de tous les professeurs nouvellement nommés, celui dont le Cours était le plus attendu parce que l’Histoire de l’Architecture qui en fait le sujet est d’un intérêt plus général, et que le professeur représente un esprit connu, un esprit nouveau dans l’enseignement. […] Viollet-Le-Duc qui ne sont pas trop spéciaux, j’ai pensé qu’il y avait lieu de profiter d’une circonstance qui le met tout d’un coup en vue et en contact avec le public pour expliquer à ceux qui le connaissent moins, quel il est, et l’ordre d’idées qu’il représente dans l’art, dans l’histoire et l’érudition littéraire. […] Il ne s’agissait plus de s’enflammer à tout bout de champ pour le gothique, de le préconiser avec esprit et avec feu, mais de le bien connaître et de s’en rendre compte dès sa naissance, dans ses progrès, ses transformations et ses différents âges. […] Il n’a certainement pas pris la peine de regarder autour de lui, de faire quelques pas, soit dans l’Acropole, soit dans la ville, avant de porter un jugement sur un édifice dont il ne connaît ni la destination sacrée, ni la place.

1444. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

D’un côté en effet, c’est bien la folie vraiment folle, qui échappe, qui court les champs à l’aventure et avec laquelle on va de surprise en surprise : de l’autre, c’est la folie connue à l’avance, et dont on a le signalement, une folie mystifiée et surveillée. […] Il a traduit en français cette continuation6, déjà connue par une traduction plus libre de Le Sage, et il s’est attaché à montrer qu’elle n’est ni si mauvaise qu’on l’a dit et répété, ni si indigne de la première partie du Don Quichotte à laquelle elle prétendait s’adjoindre et succéder. […] Soldat, aventurier, esclave algérien, employé de finance, prisonnier, romancier, c’est un Gil Blas, mais un Gil Blas assombri, et qui n’est pas destiné à s’écrier comme l’autre dans sa jolie maison de Lirias : Inveni portum… » C’est étrangement rabaisser Cervantes (toujours d’après notre auteur), que de soutenir qu’il a employé la fleur de son génie à combattre l’influence de quelques romans de mauvais goût, dont le succès retardait sur les mœurs du siècle et n’avait plus aucune racine dans la société d’alors : « Ce que je crois plutôt, s’écrie le nouveau commentateur, qui a lu son Don Quichotte comme d’autres leur Bible ou leur Homère, et qui y a tout vu, c’est que le chevaleresque Cervantes, qui s’était précipité dans ce qui, à la fin du xvie  siècle, restait de mouvement héroïque, dut se sentir abattre par le désenchantement d’un croyant plein de ferveur qui n’a pas trouvé à fournir carrière pleine, qui dans l’exagération de son idéal s’est heurté et blessé contre les réalités, et qui, après avoir été contraint d’abdiquer l’action, s’est condamné à une retraite douloureuse, s’est réfugié dans ses rêves, et en dernier lieu, dans un testament immortel, lance à son siècle une satire qui n’était pas destinée à être comprise de ce siècle et dont l’avenir seul était chargé de trouver la clé. » Et nous adjurant à la fin dans un sentiment de tendre admiration, essayant de nous entraîner dans son vœu d’une réhabilitation désirée, l’écrivain, que je regrette de ne pas connaître, élève son paradoxe jusqu’aux accents de l’éloquence : « Ah ! […] La religion et les matières d’État sont absentes de son livre, et tel qu’on le connaît, dans l’habitude de la vie, il ne s’en occupait pas.

1445. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Ceux qui ont connu Jomini dans sa jeunesse nous le dépeignent comme un caractère vif, chaleureux, un peu susceptible, un peu cassant. […] L’Empereur, ayant jeté les yeux sur le rapport du maréchal et sur la lettre de Jomini, lui demanda : « Connaissez-vous l’officier qui m’envoie ce paquet ?  […] Ce sont ces deux écrivains militaires que Jomini, jeune, avait surtout étudiés et qu’il s’appliqua, le premier, à faire connaître à la France, en les résumant, les analysant et les mettant sans cesse aux prises dans son Traité. […] Ayant eu moi-même l’honneur de connaître dans les dernières années le général Jomini, j’ai plus d’une fois entendu de sa bouche le récit des principaux événements qu’il avait à cœur d’éclaircir, et il le faisait presque dans les mêmes termes qu’on retrouve sous la plume du colonel Lecomte.

1446. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Fontanes, connu par des débuts poétiques purs et touchants, s’en retire bientôt, s’endort dans la paresse, et s’éclipse dans les dignités : c’est là une fin non poétique, assez discordante, et que l’imagination n’admet pas. […] Talent naturel et vrai, mais trop docile, il ne s’est pas assez connu lui-même, et a sans cesse accordé aux conseils une grande part dans ses choix. […] Aucune des histoires romanesques, que quelques biographes lui ont attribuées, n’est exacte ; mais il dut en avoir réellement beaucoup qu’on n’a pas connues. […] Il n’était pas encore malade et au lait d’ânesse, et certaines historiettes que des personnes, qui d’ailleurs l’ont connu, se sont plu à broder sur son compte, ne sont, je le répète, que des jeux d’imagination, et comme une sorte de légende romanesque qu’on a essayé de rattacher au nom de l’auteur de la Chute des Feuilles et du Poëte mourant.

1447. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Puis nous causâmes diphtérie, croup, trachéotomie surtout et je vis qu’il connaissait la clinique de Trousseau. Cette conversation pathologique prit fin sur une boutade du jeune homme : “Tout cela, dit-il, est plus ou moins connu et décrit, ce que je voudrais voir, c’est un enragé”. […] ⁂ Jusqu’à présent, nous avons supposé les observateurs partant d’un diagnostic connu et consciemment choisi. […] Trousseau en exprima l’intérêt, même au point de vue médical pur, dans les pages savoureuses qui ouvrent le recueil de ses magistrales cliniques : « Que les nosologies soient utiles à celui qui commence l’étude de la médecine, j’y consens au même titre qu’une clef analytique est assez bonne, au même titre que le système si faux de Linné peut être fort utile à celui qui essaie l’étude de la botanique ; mais, Messieurs, si vous connaissez assez pour pouvoir reconnaître, permettez-moi cette espèce de jeu de mots, hâtez-vous d’oublier la nosologie, restez au lit du malade, cherchant sa maladie comme le naturaliste étudie la plante en elle-même dans tous ses éléments.

1448. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Or, les « maximes et réflexions », c’est un genre connu, qui a ses procédés. […] Mais surtout il faut feuilleter le dictionnaire et avoir dans la tête un certain nombre de tours de phrase ; car ce sont les mots eux-mêmes et les tours de phrase connus qui suggèrent le plus de pensées. […] Ce qui est intéressant, c’est une nouvelle, un roman, une comédie de mœurs, un portrait, une chronique, un article de journal ; mais un recueil de « pensées » n’a de valeur qu’à la condition que toutes se rapportent à un même point de vue, ou reflètent une même philosophie, ou tendent à nous faire connaître la personne même du moraliste : et alors il faut que cette personne ne soit point la première venue. […] J’y mettrais volontiers ce sous-titre, en arrangeant un peu la phrase de Nicole : « Des sentiments qu’il faut avoir et des choses qu’il est bon de connaître pour vivre en paix avec les hommes. » Et j’y ajouterais comme épigraphe, le mot de Mme de Sévigné, qui résume en effet un grand nombre de ces Maximes : « Rien n’est bon que d’avoir une belle et bonne âme. » Quand cette belle et bonne âme a par surcroît autant d’esprit que la comtesse Diane, c’est un délice.

1449. (1914) Enquête : L’Académie française (Les Marges)

Les lettres patentes de 1637 restreignirent dès l’origine l’action de l’Académie française à un double objet en lui enjoignant, ainsi qu’à ses membres, de ne connaître « que de l’ornement, embellissement et augmentation de la langue française, et des livres qui seront faits par eux, et par autres personnes qui le désireront et voudront » ; A. — De la langue. […] Eugène Montfort Depuis que l’objet de cette enquête est connu, j’ai rencontré plus d’un lettré disant : « Mais certainement, à présent, l’Académie s’ouvrirait devant Flaubert et devant Baudelaire… » Le lettré poursuivait : « Peut-être pas, d’ailleurs, devant des auteurs représentant aujourd’hui ce que Flaubert et Baudelaire représentaient de leur temps… » Opinion, à mon avis, mal fondée. […] Tout le monde connaît l’histoire des visites d’Alfred de Vigny. […] D’ailleurs, pourquoi l’Académie française aurait-elle plus d’influence sur les lettres, et les encouragerait-elle mieux que la moderne Académie des Goncourt qui n’a pas voulu connaître Alfred Jarry et Charles-Louis Philippe.

1450. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

La société française connaissait toutes choses ; elle commençait à jouir d’elle-même sous un gouvernement qu’elle croyait dans l’ordre de Dieu, et sous un prince digne de ce gouvernement. […] Un esprit commun, qui n’a qu’une première vue, peut en être choqué, et quelque déclamateur vulgaire y verra des injures contre la nature humaine, mais quiconque sait lire au fond de son cœur, sans crainte d’y apercevoir, sur les indications si sûres de la philosophie chrétienne, ce fond de corruption où sont les tentations et tout le prix de l’innocence, reconnaîtra dans les plus sévères de ces maximes un avertissement menaçant donné par un des penseurs qui ont le mieux connu ce fond. […] Peut-être est-ce une de ces déductions éloignées et obscures de ce que nous connaissons et pratiquons nous-mêmes. […] C’est la première fois que la morale universelle s’exprime en France dans un langage définitif ; car, à l’époque où parurent les Maximes, on ne connaissait pas encore les Pensées de Pascal.

1451. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Eugène, qui se sent d’ailleurs peu de goût pour la basoche, et qui ne connaît pas son père, nous a dès l’abord tout l’air d’être le fils de quelque grand seigneur qui a oublié de le reconnaître, et qui lui a légué de ses instincts. […] Connaissez-vous le Moretum de Virgile ? […] Janin ne connaisse pas son xviiie  siècle, mais il l’aime trop dans quelques parties pour le connaître de sang-froid et pour le peindre à tête reposée.

1452. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Mais les personnes qui l’ont le mieux connue, et qui sont le plus dignes de foi, assurent qu’une telle disposition était bien loin d’être la sienne. […] Elle ne craint pas d’y indiquer quelques-uns des officiers municipaux qui, étant de garde à leur tour, entraient dans les chagrins de la famille royale et les adoucissaient par leurs égards et leur sensibilité : Nous connaissions de suite à qui nous avions affaire, dit-elle, ma mère surtout, qui nous a préservés plusieurs fois de nous livrer à de faux témoignages d’intérêt… Je connais tous ceux qui s’intéressèrent à nous ; je ne les nomme pas, de peur de les compromettre dans l’état où sont les choses, mais leur souvenir est gravé dans mon cœur ; si je ne puis leur en marquer ma reconnaissance, Dieu les récompensera ; mais si un jour je puis les nommer, ils seront aimés et estimés de toutes les personnes vertueuses. […] Elle était aumônière à un degré qu’on ne sait pas, et qu’il est difficile d’approfondir ; ceux qui étaient le plus au fait de ses charités et de ses œuvres en découvrent chaque jour qui sortent de dessous terre, et qu’on n’avait pas connues.

1453. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

En attendant qu’il fût connu, et que ses élégies, confiées à l’amour ou à l’amitié, dussent se répandre après sa mort par la bouche des admirateurs, on avait, à la fin du xviiie  siècle, un goût croissant et plus ou moins bien entendu pour l’antique : c’est ce goût et presque cette mode que le Voyage du jeune Anacharsis est venu servir et accélérer. […] La conclusion à tirer pour moi de cette longue suite d’essais où l’on a été tour à tour dans les extrêmes et où l’on a si rarement atteint le point précis, c’est qu’on ne transporte pas une littérature dans une autre, ni le génie d’une race et d’une langue dans le génie d’un peuple différent ; que, pour bien connaître la Grèce et les Grecs, il faut beaucoup les lire et en très peu parler, si ce n’est avec ceux qui les lisent aussi, et que, pour en tirer quelque chose dans l’usage courant et moderne, le plus sûr encore est d’avoir du talent et de l’imagination en français. […] Dans tous les établissements publics où il s’emploie un certain nombre d’hommes, il s’en trouve toujours un qui, d’ordinaire placé dans les rangs inférieurs, a amassé durant des années en silence des trésors de fiel et d’envie ; et, le jour d’une révolution survenant, cet homme se lève contre les autres qui ne le connaissaient même pas jusque-là, il devient leur ennemi ulcéré et leur dénonciateur. […] Ceux qui l’ont connu ne savent lequel admirer le plus, ou son immortel Anacharsis, ou l’ensemble de sa vie.

1454. (1903) Zola pp. 3-31

Les années d’apprentissage d’Émile Zola sont, non seulement les moins méthodiques, ce qui serait peu grave chez un artiste, mais les plus vides, les plus creuses et les plus nulles de toutes les années d’apprentissage des écrivains connus. […] L’horreur de la vérité apparaît à ceci qu’avec une documentation assez consciencieuse et sérieuse, jamais, non jamais, ni un homme ni une femme ne nous apparaît dans un roman de Zola tel qu’il nous fasse dire : « C’est cela, je le connais. » Jamais d’aucun de ces personnages on ne s’avisera de dire : « Il semble qu’on l’a vu et que c’est un portrait. » Mauvais critérium ? […] Elle dira sans doute : « Il ne fut pas intelligent ; il écrivait mal toutes les fois qu’il ne décrivait pas ; il ne connaissait rien de l’homme qu’il prétendait peindre, qu’il prétendait connaître et que, seulement, il méprisait ; il avait des parties de poète septentrional et un art de composition qui sentait le Latin ; et il savait faire remuer et gesticuler des foules. » Et il est possible aussi qu’elle n’en dise rien.

1455. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

La trame est de tous les jours, la chaîne est éternelle, et Dieu seul la connaît. […] Mais le poète n’avait pu connaître la véritable mission du peuple-roi. […] Elle a jugé à propos, pour l’instruction des hommes de faire connaître une seule fois les moyens qu’elle emploie toujours. […] Celle qu’il n’a point aperçue, ou qu’il a négligée, donnerait ici lieu à d’importantes observations : je m’en abstiendrai aussi, parce que je ne veux point être accusé d’être guidé par un esprit de système ; mais qu’il me soit permis de puiser, dans le peu que nous connaissons de ce génie allégorique, une hypothèse qui pourra servir à faire mieux sentir, par la suite, plusieurs choses qu’il me serait assez difficile d’expliquer.

1456. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Tous tant que nous sommes, nous répudierons avec un sentiment que, par politesse, je veux bien ne qualifier que d’inexprimable, cette affectation de simplesse et de bonhomie ; cette bergerie de l’art pour l’art, cette papelardise de Sainte Nitouche littéraire, et tous, nous poserons cette question à laquelle il est impossible de répondre : Est-ce donc que Mme Sand est dans la cour de Ponce-Pilate pour se renier si bravement ainsi, et pour dire d’elle-même : « Je ne connais pas cette femme-là ?  […] Mme Sand ne connut jamais ce tas d’esprits-là ! […] Mais aujourd’hui je n’en donnerai, pour calmer leur soif de connaître, que quelques exemples, et je vais les prendre dans le livre que j’ai sous les yeux. […] Peut-être un jour, grâce au progrès, en aurons-nous trois, mais présentement je n’en connais que deux, — celui de l’idée et celui de l’image. — Le prudhommisme de l’idée, — tout le monde le sait, — est une niaiserie poussée en avant, solennelle, emphatique et pansue.

1457. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Et en effet, qu’on y songe un peu : pour que le combat entre l’Antiquité et les temps modernes se pût engager dans toute son étendue et sur toute la ligne, il fallait deux conditions essentielles, l’une qu’il y eût une Antiquité bien connue, bien en vue, bien distincte et comme échelonnée sur les hauteurs du passé, l’autre qu’il y eût une époque moderne, bien émancipée, bien brillante et florissante, un grand siècle déjà et qui parût tel aux contemporains. Au Moyen Âge (et je parle des rares époques et des heures riantes, s’il y a eu des heures riantes au Moyen Âge), on ne connaissait pas assez l’Antiquité pour pouvoir se comparer sérieusement à elle et se préférer en s’y opposant. […] On a mieux connu notre globe, sa vraie figure, sa place dans l’univers, son mouvement dans l’espace : il en est résulté des vues certaines que les plus éclairés des anciens n’avaient que par divination et par lueurs.

1458. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

Ces poètes que nous avons connus vivants et que nous avons aimés, ils ont souffert, ils ont eu leurs fautes, leurs faiblesses, des plis à leurs ailes, leurs taches de poussière et leurs ombres ; ils se sont consumés sur le bûcher : il n’y a plus que la flamme qui monte. […] Il y avait en Mme Desbordes-Valmore la mère : comment ceux qui l’ont connue ou qui la lisent pourraient-ils l’oublier ? […] Connais-tu maintenant, me l’ayant emporté, Mon cœur qui bat si triste et pleure à ton côté ?

1459. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Stendhal, son journal, 1801-1814, publié par MM. Casimir Stryienski et François de Nion. »

Tout ce mécanisme est fort connu, et je vous fais là de la psychologie élémentaire. […] Il écrit ses deux romans à cinquante ans passés, et meurt consul à Civita-Vecchia, sans avoir connu la gloire qu’il avait tant désirée. […] Beyle nous dit lui-même : « Je m’arrêtais trop à jouir de ce que je sentais… Je connais si fort le jeu des passions… que je ne suis jamais sûr de rien, à force de voir tous les possibles ».

1460. (1890) L’avenir de la science « VI »

La conquête et la découverte supposent un éveil et amènent une exertion de force que ne peuvent connaître ceux qui n’ont qu’à marcher dans une voie déjà tracée. […] Comment l’opinion publique serait-elle favorable à la science, quand la plupart ne la connaissent que par de vieux souvenirs de collège, qu’on se hâte de laisser tomber et qui ne pourraient d’ailleurs la faire concevoir sous son véritable jour ? […] Sans doute, si l’école était dans les temps modernes ce qu’elle était dans l’antiquité, une réunion d’hommes poussés par le seul désir de connaître et réunis par une méthode commune de philosopher, on permettrait à la science de s’y renfermer.

1461. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Même le commerce s’est élargi, on a pris un associé fraternel et la maison, dont le chiffre d’affaires va augmentant, est avantageusement connue sur la place de Paris sous la raison sociale Paul et Victor Margueritte. […] Dans Le Tout-Pourri, par exemple, où il touche à des choses qu’il ne connaît pas mieux que nous, il se manifeste un des mille maladroits qui, d’un geste avide et ridicule, cherchent le scandale. […] Tandis que, chez nous, quelles nuances, quels degrés de l’un à l’autre des états. » Il ne soupçonne jamais que, s’il distingue les différences ici et non ailleurs, c’est qu’ici il connaît et ailleurs il ignore.

1462. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

C’est un mauvais tableau, qui sent le bon temps et la bonne école ; c’est d’un mauvais artiste qui en a connu de meilleurs que lui. […] L’imagination qui ne connaît presque point de limites, la saisit à peine. […] Si la grandeur du pied ou la grosseur de la tête m’avait été donnée, aussi-tôt j’aurais achevé la figure d’après les règles de proportion connue ; mais le poëte ne m’indique que les deux bouts de son colosse, et leur distance est la seule chose que mon imagination saisisse.

1463. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

Elle monta jusqu’au naturel, car le naturel n’est pas du tout un terre à terre ; elle monta jusqu’au naturel qu’en prose du moins elle ne connaissait pas. […] Ne savait-on pas bien, — ceux qui personnellement la connaissaient, — qu’elle était une de Staël encore pour la causerie ; chercheuse d’idéal et trouveuse d’esprit, et qu’elle avait des mots à son service qui n’étaient ni lyriques, ni élégiaques, mais piquants. […] comme il l’aurait adorée, s’il l’avait connue telle qu’elle est, en tant de pages de ces Lettres, fusain et fusée ; joli garçon de contrebande, mais dont elle dénonce la fraude perpétuelle avec les chastetés de sa réserve de femme dans ses abandons les plus grands !

1464. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

L’auteur y a concentré heureusement, dans l’intérêt de la vérité historique, agrandie par son propre effort, à lui, et par sa recherche, les deux livres modernes qui ont versé le plus de jour sur les hommes et les faits d’une époque qu’il retrace à sa manière, je veux dire les Mémoires de Mignet sur la succession d’Espagne, et les Mémoires militaires du général Pelet, aussi intéressants que les premiers, mais moins connus. […] comme nous avons tous vécu plus ou moins intimement depuis notre enfance avec les grands hommes de ce temps, le mieux connu de tous parce qu’il est le plus glorieux de nos Annales ; comme jamais époque ne produisit plus de ces Mémoires personnels qui sont les fruits des civilisations avancées, nous avons peine à reconnaître, malgré la fidélité des portraits, dans cette clarté sagement distribuée de l’histoire, les hommes que nous avons contemplés sous une lumière ardente et rapprochée, à travers cette lentille de cristal brûlant des Mémoires. […] Louis XIV a commis des fautes, et nous les connaissons.

1465. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Triste procédé, qui pourrait dispenser la Critique de s’occuper d’un ouvrage dont le fond est déjà connu, si, d’un autre côté, le nom de l’auteur, le titre du livre, et les quelques points de suture qui tiennent les morceaux dont il est composé rapprochés, ne révélaient pas suffisamment l’éternel dessein de propagande contre lequel on ne saurait mettre trop en garde les esprits faibles sur lesquels Michelet, avec son talent mystico-sensuel, peut beaucoup agir. […] Du reste, ce n’est point sur le compte de madame Roland que l’auteur des Femmes de la Révolution augmente la somme des connaissances acquises et des renseignements connus. […] Qui ne connaît Michelet ?

1466. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Gœthe ne connut ni les revers ni le danger. […] Il connaît trop la force des choses admises, et qui est plus admis parmi les évidences indéniables que le génie de Gœthe ?… Il connaît trop la rengaine des lâches, inventée pour dormir tranquilles : on ne remonte pas le courant de l’opinion publique.

1467. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Toute cette plastiqué connue suffit aux exigences d’une imagination bien sage, qui se contente de peu, comme les sages. […] Swedenborg nous dit qu’il a connu la femme et que dans sa jeunesse il avait eu une maîtresse… Philosophe et naturaliste avant tout, n’admettant, comme les plus religieux de son temps, qu’une espèce de morale évangélique, Swedenborg (voici où commence l’extraordinaire et l’inconséquent) n’en avait pas moins l’habitude de méditer sur les choses spirituelles. […] Mais que ce juge vienne bientôt ou tarde, nous aurons fait ce pas, nous, que quelle que soit la réalité du mysticisme de Swedenborg, ce mysticisme n’est pas, après tout, si magnifique et si grandi Nous qui pensons que l’Église seule s’entend aux questions du surnaturel et doit seule en connaître, nous ne trouvons pas moins dans le surnaturel de Swedenborg quelque chose qui est de notre ressort, — c’est sa valeur poétique, sa valeur d’effet sur les imaginations littéraires.

1468. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

Le peuple connaissait déjà le grand homme du ciel que la terre venait de perdre, avant qu’aucun journal en eût charrié la gloire jusqu’à lui. […] Ils ont bien d’autres affaires vraiment que de s’occuper des pauvres curés qui, de vertus humbles en vertus humbles, deviennent des saints ; et c’est pour cela que l’abbé Monnin a dédié spécialement à ceux-là, qui ne connaissaient pas le curé d’Ars, l’histoire qui le leur apprendra. […] Selon moi, la vie du Curé d’Ars est une véritable originalité dans l’ordre hagiographique, et j’en connais peu qui fassent plus penser.

1469. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Il dit dans son cœur à l’époque actuelle : « Je te parlerai ton langage, mais pour t’apprendre à respecter ce que tu dédaignerais de connaître si je te parlais seulement le mien. » Et, en effet, le monde, auquel on est obligé de s’adresser quand on est écrivain, aurait laissé dans l’ombre une œuvre qui n’eût été qu’hagiographique sur Vincent de Paul. […] Malgré une politique que n’approuvait pas Vincent, et que son historien juge avec la même rigueur que lui, Richelieu — par cela seul qu’il était Richelieu — connaissait l’importance morale et politique de ce clergé dont il faisait partie. […] Si l’on osait parler d’originalité à propos d’un livre qui est bien plus une action sacerdotale qu’autre chose, on dirait que, parmi tous les livres, histoires et biographies dont nous sommes recrus sur le xviie  siècle, celui-ci a changé tout ce qu’on connaît, en éclairant l’histoire de la divine lumière qui sort de saint Vincent de Paul.

1470. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Du reste, ce n’est ni une question ni deux que ce livre de cinq cents pages secoue avec puissance, mais c’est tout un ordre de questions qui, résolues au sens de l’auteur, entraîneraient du coup la ruine de toutes les philosophies connues, éclaireraient l’Histoire d’un jour nouveau, et consommeraient enfin et définitivement cette fusion, maintenant entrevue par tous les penseurs un peu forts, de la Religion et de la Science. […] Voilà, en quelques mots bien courts et bien insuffisants, l’analyse d’un mémoire que tout le monde voudra lire, car il prend l’imagination au même degré que le désir et la faculté de connaître. […] C’est un procès-verbal immense dans lequel rien n’est oublié, depuis les fails les moins connus, comme ceux, par exemple, du presbytère de Cideville en 1851, que l’auteur rapporte avec les détails d’un témoin qui les a lui-même observés, jusqu’à ceux qui bouleversent en ce moment l’Amérique, où, suivant les paroles d’un journal anglais, « 500, 000 sectateurs entretiennent avec les esprits tout un système de relations, fonctionnant comme une institution nationale ».

1471. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Il faut donc commencer par l’affirmer hardiment : son livre des Réveils est, d’inspiration générale, le livre le plus sèchement philosophique, le plus antipoétique que je connaisse. […] Et nous connaissons son rêve ! […] Tu n’as jamais porté la barque du poète, Ni bercé dans tes nuits sa tendresse inquiète ;            L’amour ni la lune jamais Ne t’ont fait palpiter, ni te gonfler en vagues… ………………………………………………… Impassible, tu n’as jamais connu la rame, Ni les amants mêlant dans un baiser leur âme,            Les amants du monde vainqueurs.

1472. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

Pour notre part, nous ne connaissons que les prêtres catholiques qui puissent ramasser, avec leurs saintes mains désintéressées, les femmes qui tombent ; mais des philosophes ne le peuvent pas. […] Il ne connaissait pas les précautions, les demi-mots, les demi-jours, les demi-vengeances, les petits tripotages d’impartialité pour ne pas paraître trop atroce. […] Ici, l’auteur d’Elle et Lui est seule en cause, quoiqu’elle n’y soit pas différente de la madame Sand que nous connaissons.

1473. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

Pour notre part, nous ne connaissons que les prêtres catholiques qui puissent ramasser avec leurs saintes mains désintéressées les femmes qui tombent, mais des philosophes ne le peuvent pas ! […] Il ne connaissait pas les précautions, les demi-mots, les demi-jours, les demi-vengeances, les petits tripotages d’impartialité, pour ne pas paraître trop atroce : il avait franchement tort, il était franchement passionné, mais c’était un homme blessé, c’était un homme ! […] Aujourd’hui, l’auteur d’Elle et Lui est seule en cause, quoiqu’elle n’y soit pas différente de la Mme Sand que nous connaissons.

1474. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Tous livres auxquels on peut dire : « Vous n’êtes pas de bien beaux masques, mais c’est égal, je vous connais ! […] Ernest Feydeau qui répétait dans son Daniel tout le grand répertoire connu, Goethe, Chateaubriand, Byron, avec une voix de perroquet d’épicier qui changeait un peu l’accent de ces grands hommes. […] Quand on n’est pas de force à créer un type, il faut ajouter aux types connus que l’on emploie.

1475. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Et l’a-t-il peint ainsi parce qu’il l’a vue ainsi, — car les peintres ont parfois des organes dont ils sont les victimes, — ou parce qu’elle est véritablement ainsi, cette Russie, au fond si peu connue, cette steppe en toutes choses, cette platitude indigente, immense, infinie, décourageante, et qui est partout dans les mœurs russes, dans les esprits, dans les caractères ? […] … Il l’a dit un jour à Pouchkine : « Nous connaissons tous fort peu la Russie. » Mais alors, si vous ne la connaissez pas, peintre de mœurs, pourquoi en parlez-vous ?

1476. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

L’univers connu était alors partagé en trois grandes masses ; l’empire des Califes ou des Arabes, l’empire Grec et l’Europe occidentale échappée aux fers des Romains. […] Mais, en dédaignant les bienséances, elle parut ne pas assez connaître les hommes, qui entre eux ont institué des signes pour reconnaître tout, et même la vertu. […] On connaît d’ailleurs la malédiction éternelle dont est frappé l’esprit d’imitation ; et cet esprit, comme nous l’avons vu, était la maladie dominante du siècle.

1477. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Était-il donc si inutile de la connaître ? […] Cela vous ennuiera-t-il beaucoup que je vous cite quelques-unes des dernières strophes, si connues ? […] Non qu’il ait imité les Védas ; il est même fort probable qu’il ne les connaissait point au moment où il écrivait les Harmonies. […] Trouvez Dieu : son idée est la raison de l’être ; L’œuvre de l’univers n’est que de le connaître. […] Je connais les quelques passages qu’on pourrait m’opposer.

1478. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

Biot n’a eu, pour le tracer, qu’à se souvenir de sa propre vie, et à proposer pour idéal un exemplaire dont tous ceux qui le connaissent savaient déjà bien des traits. […] Combien de fois, lorsqu’il m’arrivait d’écrire sur des hommes de la fin du xviiie  siècle qu’il avait connus, ne m’adressa-t-il point, par la main de sa respectable compagne, des souvenirs à lui personnels, des particularités qui lui revenaient à l’esprit, des encouragements à poursuivre !

1479. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Ils n’ont point encore de littérature formée : mais quand leurs magistrats sont appelés à s’adresser, de quelque manière, à l’opinion publique, ils possèdent éminemment le don de remuer toutes les affections de l’âme, par l’expression des vérités simples et des sentiments purs ; et c’est déjà connaître les plus utiles secrets du style. […] Mon but est de chercher à connaître quelle serait l’influence qu’auraient sur les lumières et sur la littérature les institutions qu’exigent ces principes, et les mœurs que ces institutions amèneraient.

1480. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

Mais un peuple dont c’est là le théâtre et qui se délecte à ces représentations … non, là, vraiment, je n’ai aucun désir de le connaître, aucun. […] Que j’aie connu et embrassé de ma sympathie la planète entière, ou seulement une portion de l’humanité et un petit morceau du sol, cela n’est-il pas exactement la même chose, en comparaison de cet infini de temps et d’espace qui échappe à nos prises ?

1481. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

Madame de Beaumont avait connu André Chénier chez « la belle Madame Hocquart » et avait su apprécier sa vive et puissante organisation poétique. Elle fit connaître à Chateaubriand la Jeune Captive, un peu perdue, il faut l’avouer, dans les recueils de l’époque.

1482. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre premier. Préliminaires » pp. 1-8

Ils connaissent admirablement tous les ressorts capables d’imprimer au drame une marche rapide. […] C’est le but que nous nous proposons dans cette étude ; mais, pour l’atteindre, nous serons obligé de faire un assez long circuit ; comme nous passerons par des sentiers peu connus au moins du grand nombre des lecteurs, nous espérons qu’ils ne feront pas de difficulté de nous suivre.

1483. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

Les faits de sympathie, soit nerveuse, soit mentale, sont de mieux en mieux connus ; ceux de contagion morbide, ceux de suggestion et d’influence hypnotique commencent à être étudiés scientifiquement. De ces cas maladifs, qui sont les plus faciles à connaître, on passera peu à peu aux phénomènes d’influence normale entre les divers cerveaux et, par cela même, entre les diverses consciences.

1484. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

Très jeune encore, quoique sa Croisade 8 ne soit pas son début dans la vie littéraire, Bouniol, dont nous ne connaissons que ce volume, n’a aucune des pentes contemporaines dans l’expression ou dans la pensée. […] L’image, qui presque partout (et même en philosophie) a culbuté l’idée, l’image, dans ce poète dépaysé, n’a ni la puissance ni l’imprévu qui nous enlèvent ; on la connaît, on l’a déjà vue… Enfin, ce rhythme dont nous parlions tout à l’heure, et qui est d’un travail si agencé et si merveilleux sous la plume de Gramont, cette guirlande flexible et forte que tout poète moderne semble tenu d’enlacer et de sertir autour de sa pensée, tant les travaux sur le rhythme et la langue du mètre ont été multipliés en ces derniers temps, Bouniol, s’il ne le dédaigne, semble l’oublier ; et c’est ainsi qu’il se présente tout d’abord, modeste et hardi, dans son livre, dénué des trois forces de la poésie telle que l’Imagination l’aime et la veut au xixe  siècle.

1485. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

Cela admis, tout homme qui réfléchit, ne s’étonnera-t-il pas que les philosophes aient entrepris sérieusement de connaître le monde de la nature que Dieu a fait et dont il s’est réservé la science, et qu’ils aient négligé de méditer sur ce monde social, que les hommes peuvent connaître, puisqu’il est leur ouvrage ?

1486. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Aimer Dieu, ce sera « aimer ce qui est beau et bon, connaître ce qui est vrai ». […] Pourquoi surtout s’indignera-t-il contre eux, en les voyant cheminer dans la route dont il connaît les écueils ? […] Nous savons qu’il ne la peut connaître que par ses manifestations. […] Car enfin, je connais et vous connaissez une foule de gens instruits, cultivés, distingués, qui ne seront point scandalisés qu’on aime à la fois Racine et Shakespeare ; j’en connais même dont l’éclectisme est plus large et qui goûtent en même temps, par exemple, Scherer et l’une de ses bêtes noires, Baudelaire ou Théophile Gautier ; j’en connais encore qui ne s’étonneraient pas du tout, oh ! […] Mais ces gens-là, Scherer ne les connaissait pas, ne voulait pas les connaître.

1487. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

Ces anciens-là plaisantaient aussi quelquefois ; seulement pour les choses sérieuses ils raisonnaient sérieusement, et je vous dis qu’ils se connaissaient mieux en bonheur que vous. […] David, tu ne me connais pas encore. […] — C’est beaucoup d’honneur pour nous, monsieur Kobus, répondit le fermier en souriant, beaucoup d’honneur ; mais la petite s’y connaît donc ! […] Quiconque aime les autres connaît Dieu. Celui qui ne les aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour ! 

1488. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Son voyage de huit volumes en Perse, au temps de Louis XIV, vous jette en plein Orient ; il vous fait visiter tout un monde nouveau et merveilleux que vous ne connaissiez pas avant lui. […] Ils font connaître cette civilisation soi-disant chrétienne, mais en réalité sans nom. […] C’est une chose incroyable combien les Mingréliens ont peur de mourir ou de se perdre ; il n’y a point de récompense qui les puisse porter à courir un danger connu, quelque petit qu’il soit. […] C’était un fripon caché, un traître dont la méchanceté ne m’était pas bien connue. […] J’eusse mieux fait de me fier à la conduite du premier ; je le reconnus ainsi dans la suite ; mais, parce que je connaissais de longue main ce contrôleur général, ce fut à lui à qui je résolus de me remettre.

1489. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

On connaît le phénomène de la crampe. […] On connaît la théorie toute mécaniste de Heidenheim et du Dr Despine. […] Tout le monde connaît l’expérience du sinapisme imaginaire. […] On connaît d’ailleurs l’action vaso-motrice et secrétoire du système nerveux. […] On connaît les magnifiques expériences de M. 

1490. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Ils admettront que même un organe aussi parfait que l’œil de l’Aigle peut s’être formé par sélection naturelle, bien qu’en pareil cas nous ne connaissions aucun des degrés de transition au moyen desquels cet organe a successivement acquis toute sa perfection. […] Mais le peu que nous savons ne peut nous permettre de spéculer sur l’importance relative des diverses lois de variation connues ou inconnues. […] Dans le cas où nous ne connaissons aucun de ces états intermédiaires, nous devrons mettre la plus grande réserve à conclure qu’ils ne peuvent avoir existé ; car les homologies de beaucoup d’organes et leurs états intermédiaires montrent qu’il peut se produire d’étonnantes métamorphoses dans les fonctions. […] Constatons pour le moment qu’on en a trouvé, puisqu’on connaît à l’état fossile de nombreux Ptérodactyles et de rares poissons volants. […] Il n’est point douteux que beaucoup des types primitifs de la vie animale ne se soient éteints sans nous laisser de vestiges reconnaissables, et ce sont probablement ces types déjà détruits de l’aurore de la vie organique qui ont donné naissance aux êtres si tranchés que nous connaissons aujourd’hui.

1491. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

On connaît les lendemains du Cid. […] Bordeaux décourage ses imitateurs (j’en connais !) […] Et qui connaît Louis Desnoyers ? […] Et, quels que soient les accommodements avec le ciel de lit, l’homme connaît mieux, évidemment, le plaisir de l’homme qu’il ne connaît le plaisir de la femme. […] Paul Bourget est connue depuis longtemps.

1492. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

On connaît cette grande page sur la Fronde, on ne la saurait trop rouvrir ; j’y renvoie163. […] Afin qu’on n’ait pas l’inquiétude qu’il soit connu dans son quartier, il peut venir en chaise et renvoyer ses porteurs, et je lui donnerai les miens pour le reporter où il lui plaira. […] Elle se connaît dorénavant, elle se décrit et se décompose à nu. […] Elle ne quitta tout à fait l’hôtel de Longueville qu’après cette dernière mort si cruelle, et qui nous est tant connue par l’admirable lettre de Mme de Sévigné. […] … » Mais je citerai plutôt quelques extraits de lettres sur la mort de notre pénitente ; on y retrouve surtout ce trait d’humilité que nous avons signalé ; pour qui connaît la rigueur de M. de Pontchâteau, le moindre mot d’éloge dans sa bouche a tout son prix : (17 avril 1679).

1493. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Elle dépasse de beaucoup les ressources de la société et de l’homme que nous connaissons. […] Les connaître, en apprécier la réaction, déterminer les conséquences de la rencontre et des modifications qui vont indéfiniment se multiplier dépasse de beaucoup la portée de l’esprit humain. […] Cette idée est manifestement fausse pour le beau que nous pouvons connaître et apprécier. […] Et je ne sais point d’ailleurs où l’ont connue les gens qui en médisent, ni comment ils ont pu arriver si vite à s’en dégoûter ! […] Notre conscience nous le fait connaître sûrement et avec évidence.

1494. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

 » Massillon prêche contre la guerre, demande ce que les siècles futurs diront de ces monuments élevés pour éterniser la mémoire d’un carnage, rappelle qu’à l’origine tous les biens appartenaient en commun à tous les hommes et que la simple nature ne connaissait ni propriété privée ni partage. […] Vous ne trouvez rien que quelques poésies qui ressemblent à des plaintes, des ballades dont l’une des plus connues a pour refrain : ça ! […] On connaît la fameuse poule au pot qu’il souhaite aux paysans. […] La recette pour en fabriquer de pareils est si vieille et si connue qu’on pourrait la résumer en ces termes : Prenez deux ou trois couples de bergers et de bergères ; parez-les de tous les charmes, de toutes les grâces que vous pourrez imaginer ; faites-les tous, cela va sans dire, amoureux ; mais que des rivaux jaloux et des parents sévères traversent leur bonheur. […] Laissez passer quelques années et voici que surgissent des hommes partis de plus bas : Rousseau., fils d’horloger et ancien laquais ; Diderot, fils de coutelier, qui a connu la misère et la faim ; Sedaine, qui fut tailleur de pierre ; d’Alembert, enfant naturel recueilli par la femme d’un vitrier ; Chamfort, né aussi de père inconnu ; la Harpe, élevé par charité, etc..

1495. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Toute théologie ne répond au sentiment religieux qu’autant que son Dieu possède la nature et les attributs qui permettent de « le connaître, de l’aimer, de le servir », pour emprunter les mots du catéchisme. […] La théologie orthodoxe d’un saint Augustin, d’un saint Anselme, d’un saint Thomas d’Aquin, d’un Bossuet, d’un Leibnitz, ne connaît point de tels excès, parce que chez ces esprits la raison domine le sentiment. […] Quand on oppose la justice à la grâce, et qu’on se permet de préférer la morale de la conscience à celle de la théologie, nos théologiens ne devraient-ils pas d’abord comprendre l’objection qui leur est faite avant de la réfuter par des textes connus de tous ? […] Le spectacle de la nature, connue et expliquée par la science la plus sévère, nous fait voir sans cesse les deux lois concourant à l’ordre universel. […] Un penseur bien connu, et qui me l’est pas encore autant qu’il mérite de l’être, M. 

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