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1206. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il le reconnaît du premier ordre pour la marche lumineuse de l’ensemble, pour la puissance de l’action et les principaux effets que le théâtre se propose, pour « ce grand fonds d’intérêt qu’il semble interrompre lui-même volontairement, et qu’il est toujours sûr de relever avec la même énergie ». […] Il me semble toujours que, si l’auteur qui procède par cette méthode n’avait pas connaissance des événements historiques a posteriori, les principes dont il prétend les déduire ne lui en feraient pas deviner un seul ; preuve évidente que ces principes sont faits à la main et après coup, qu’ils sont plus ingénieux que solides, et qu’ils ne sont pas les véritables ressorts du jeu qu’on leur attribue… En fait de politique, rien n’arrive deux fois de la même manière. […] Il croit peu au progrès général des temps ; les progrès quand ils ont lieu, ou les arrêts de décadence, lui semblent surtout dus à des individus d’exception, grands génies, grands législateurs ou princes, qui font faire à l’humanité des pas inespérés, ou lui épargnent des rechutes tôt ou tard inévitables. […] Sans prétendre à en pénétrer les causes, il lui semble qu’une expérience constante l’a suffisamment démontré : Quand ce siècle est passé, les génies manquent ; mais, comme le goût des arts subsiste dans la nation, les hommes veulent faire à force d’esprit ce que leurs maîtres ont fait à force de génie, et, l’esprit même devenu plus général, tout le monde y prétend bientôt ; de là le bon esprit devient rare, et la pointe, le faux bel esprit et la prétention prennent sa place. […] Par je ne sais quel prestige, dont l’illusion se perpétue de génération en génération, nous regardons le temps de notre vie comme une époque favorable au genre humain et distinguée dans les annales du monde… Il me semble que le xviiie  siècle a surpassé tous les autres dans les éloges qu’il s’est prodigués à lui-même… Peu s’en faut que même les meilleurs esprits ne se persuadent que l’empire doux et paisible de la philosophie va succéder aux longs orages de la déraison, et fixer pour jamais le repos, la tranquillité et le bonheur du genre humain… Mais le vrai philosophe a malheureusement des notions moins consolantes et plus justes… Je suis donc bien éloigné d’imaginer que nous touchons au siècle de la raison, et peu s’en faut que je ne croie l’Europe menacée de quelque révolution sinistre.

1207. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Placé d’abord auprès d’un prince lettré, il semblait naturel qu’Arnault fût admis à sa faveur ; il n’en fut rien pourtant. […] » ajouta-t-il avec cet air de sécurité qu’il conservait sur le champ de bataille, où il me semblait ne s’être jamais autant exposé qu’il s’exposait alors au milieu de tant de factions, par ce délai que rien ne put le déterminer à révoquer57. […] L’auteur de La Feuille était fait pourtant, ce semble, pour s’entendre avec le chantre du Buste de Vénus, avec l’auteur de plus d’une ode délicate et exquise. […] Beaucoup de ses fables semblent être faites exprès pour ce trait qui les termine : elles sont données à l’auteur par le bon mot et pour le bon mot. […] Dussault qui, dans un très bon article, a rendu justice au mérite des Fables d’Arnault à leur naissance (17 janvier 1813), remarque « que l’auteur semble n’avoir acheté l’avantage de l’originalité qui distingue ses fables qu’aux dépens d’une certaine douceur, d’une certaine aménité, qui forme un des caractères les plus aimables de l’apologue, et qu’on regrette de ne pas trouver dans un certain nombre de ses compositions : cette physionomie nouvelle qu’il a su donner à la fable a parfois quelque chose de passionné, de brusque et même de violent ; quelquefois le ton du nouveau moraliste paraît âpre… ».

1208. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Les Muses & les Graces semblent avoir travaillé de concert à ces Entretiens ; mais on ne peut pas donner le même éloge à la traduction que M. de Villefore en publia en 1726. […] Ses préceptes brillant d’une lumiere pure, Semblent être puisés au sein de la nature. […] Rollin semble s’être formé sur Quintilien, qui donne rarement des préceptes sans ornemens.” […] Son autorité n’étant point infaillible, il devoit, ce semble, l’appuyer sur de bonnes raisons. […] Mais si ces divisions se suivent l’une l’autre, si au lieu de faire de chaque point comme un Sermon particulier, elles ne forment qu’un tout bien lié, bien suivi ; il me semble que ces divisions ne servent qu’à mettre plus d’ordre & de méthode, à faire sentir davantage si l’on a prouvé ce que l’on avoit entrepris de prouver.

1209. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Voilà donc un phénomène qui semblerait, en raison de sa nature, devoir être étudié à la manière du fait physique, chimique, ou biologique. […] Sans bien se rendre compte de cette raison de leur répugnance, ils trouvent étrange qu’on ait à traiter historiquement ou judiciairement des faits qui, s’ils sont réels, obéissent sûrement à des lois, et qui devraient alors, semble-t-il, se prêter aux méthodes d’observation et d’expérimentation usitées dans les sciences de la nature. […] Mais en sortant de table, une très jeune fille, qui avait bien écouté, vint me dire : « Il me semble que le docteur raisonnait mal tout à l’heure. […] Examinez de près les faits qu’on déclare témoigner d’une exacte correspondance et comme d’une adhérence de la vie mentale à la vie cérébrale (je laisse de côté, cela va sans dire, les sensations et les mouvements, car le cerveau est certainement un organe sensori-moteur) : vous verrez qu’ils se réduisent aux phénomènes de mémoire, et que c’est la localisation des aphasies, et cette localisation seule, qui semble apporter à la doctrine paralléliste un commencement de preuve expérimentale. […] Bien des faits semblent indiquer que le passé se conserve jusque dans ses moindres détails et qu’il n’y a pas d’oubli réel.

1210. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Laurent semble avoir été pour Delille le programme qu’il se posa, ou, si c’est trop dire, l’écheveau qu’il tourna et dévida toute sa vie. […] Rapin, Vanière, par les sujets comme par la manière, semblent avoir été ses maîtres ; il y a du Père Sautel dans Delille. […] Le pathétique, chez Delille, alla en augmentant à travers le technique, et il y eut sympathie de plus en plus vive de toute une partie de la société pour ce qui semblait n’avoir dû être d’abord qu’un passe-temps de ses loisirs. […] Les idées y semblent jetées au hasard, déchiquetées par petits couplets qu’étrangle à la fin une sentence30. » Ce reproche est fondamental à l’égard de Delille et tient à la nature même de son procédé. […] Tout ce qui pouvait passer en vers lui semblait bon à prendre.

1211. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

« Je trouve tant de douceur dans cette solitude, une si délicieuse tranquillité, qu’il me semble n’avoir véritablement vécu que pendant le temps que je l’ai habitée ; tout le reste de ma vie n’a été qu’un continuel tourment ! » De plus une harmonie secrète semblait préexister entre Pétrarque et la fontaine de Vaucluse, harmonie dont il parle plusieurs fois lui-même comme d’une superstition de l’amour qui l’attachait à ces beaux lieux. […] Au milieu s’élève un théâtre que la nature semble avoir fait exprès pour les poètes. […] Le ciel qui nous l’enlève semble nous envier la possession d’un trésor dont nous n’étions pas dignes. […] Son âme, prête à quitter sa belle demeure, rassemblant en elle-même toutes ses vertus, semblait avoir rendu l’air plus serein.

1212. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Ces pâturages sont plus savoureux que ceux des Alpes ; le foin, qu’on n’y fauche jamais, monte jusqu’au-dessus des jarrets des énormes vaches blanches qui semblent nager, à demi ensevelies, dans une mer de fourrages. Leurs larges sonnettes de cuivre, suspendues à leurs cous par une courroie de cuir à boucles luisantes, rendent de loin en loin des tintements très harmonieux qui semblent sonner les heures sous leurs pas à ces solitudes. […] On le voit bleuir au pied des tours blanches de la ville et des noirs sapins ; les anses et les ports qui le bordent se dessinent comme sur une carte de géographie ; quelques voiles de pêcheurs y semblent immobiles ; l’eau se rétrécit par l’éloignement ; puis la brume enveloppe ses rives indécises qui vont se fondre dans l’horizon du canton de Berne. […] Tout près d’eux est une femme d’Ischia, adossée au rocher, assise sur ses talons repliés à la manière des femmes grecques, les deux bras pendants le long du corps ; elle regarde en sens opposé de l’improvisateur et ne semble participer à la scène que par ses oreilles. […] Il était ou il semblait heureux, mais déjà le bonheur était devenu pour lui impossible.

1213. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Fût-ce réellement ce motif qui détermina Audin à repousser une profession vers laquelle il semblait se porter avec tant de goût et de pente ? […] De 1818 à 1829, il publia plusieurs ouvrages qui semblent les tributs que les hommes destinés à la renommée doivent payer à l’oubli pour s’en racheter. […] Homme du monde par les extériorités de sa vie, Audin semble être resté prêtre par le centre, par l’esprit et par le savoir. […] Ils sont si opposés de tout, qu’ils semblent opposés encore dans l’identité de leur crime. […] Les catholiques de notre âge semblent persuadés que la vérité est assez robuste pour se sauver toute seule des périls qu’elle court, et ils se préoccupent à peine des nobles dupes qui se dévouent à son triomphe.

1214. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Ce qui fait illusion sur ce point, c’est l’habitude contractée de compter dans le temps, semble-t-il, plutôt que dans l’espace. […] Il semble donc qu’il y ait deux espèces d’unités, l’une définitive, qui formera un nombre en s’ajoutant à elle-même, l’autre provisoire, celle de ce nombre qui, multiple en lui-même, emprunte son unité à l’acte simple par lequel l’intelligence l’aperçoit. […] Ici, les termes n’étant plus donnés dans l’espace, on ne pourra guère les compter, semble-t-il, a priori, que par quelque processus de figuration symbolique. […] Or, si l’espace doit se définir l’homogène, il semble qu’inversement tout milieu homogène et indéfini sera espace. […] Il semble que ces objets, continuellement perçus par moi et se peignant sans cesse dans mon esprit, aient fini par m’emprunter quelque chose de mon existence consciente ; comme moi ils ont vécu, et comme moi vieilli.

1215. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Mais comment un peuple, humilié par la défaite, n’eût-il pas gardé une secrète rancune contre le régime qui semblait en avoir profité ? […] C’est que la société française d’alors produisait une humanité si caractérisée qu’elle ne semblait pas conditionnée. […] La nature elle-même, par une correspondance mystérieuse, semble s’associer à cette histoire. […] J’en citerai un exemple très significatif, me semble-t-il. […] Sa carrière semblait close.

1216. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Il me semble que tout reproche tombe devant cette simple explication. […] « Le lys, né dans les champs, lui semble en un beau jour « Plus richement vêtu que les rois dans leur cour. […] Virgile tourne ses vers avec bien plus de souplesse et de grâce : il semble partout les interrompre par un soupir. […] Arrêtons-nous à ces deux comparaisons qui me semblent des modèles. […] Il en est, ce me semble, des qualités physiques ainsi que des facultés intellectuelles ; elles ont également leurs bornes, au-delà desquelles une puissance inconnue les arrête.

1217. (1883) Le roman naturaliste

Zola semble prendre plaisir à prodiguer dans ses romans ? […] Il semble ici que les premiers griefs de la jeune madame Daliphare soient un peu bien légers. […] c’est bien ainsi qu’il semble, — à distance, — que les romans de M.  […] non, beaucoup moins curieux qu’il ne le semble à M.  […] Il semble qu’il puisse servir à deux choses très utilement.

1218. (1893) Alfred de Musset

Il me semble que cela me guérirait et m’élèverait le cœur. […] Paris lui semble une solitude affreuse ; il veut le quitter et fuir jusqu’en Orient. […] J’avais dans ma chambre quantité de lithographies dont la meilleure me sembla hideuse. […] Il me semble que ce ne sont que des mensonges, et que tout s’y invente à plaisir. […] Il est mort, et il nous semble que tous les jours nous l’entendons parler.

1219. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Depuis, ces vers et ces théories me semblent puérils ; honnêtes, les vers, mais puérils d’autant plus. […] Cette chère personne me dit que sa petite fille allait un peu mieux, et, déjà, elle semblait pleine d’espoir. […] Blanc sur blanc, comme chez Whistler et quelques autres peintres, si modernes, qu’ils semblent n’exister que dans l’avenir ! […] Et puis, ce titre que vous lancez comme un anathème ne vous semble-t-il pas audacieux ? […] Cette manière de concevoir et de procéder me semble et semblera sans doute plus particulièrement vivante et directe que toute cette psychologie purement descriptive qu’affectent nos « modernes ».

1220. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Il semble, soit dit en passant, que la critique ait tout fait pour brouiller ces deux hommes unis d’amitié lointaine. […] Chose grande et déplorable en même temps, il semblait que le présent contînt, absorbât, supprimât l’avenir. […] Il l’aurait pu certainement, et ses dehors mystiques semblaient l’y pousser. […] Il semble que cette pensée, « Je me damne », lui soit un aiguillon voluptueux : Satan est sa cantharide, à lui ! […] le souci de nos destinées littéraires ne semble pas le dévorer.

1221. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Ainsi, tout en visant à Jérusalem et à la délivrance de la Cité sainte, ils ne reculaient pas devant les entreprises qui, en les écartant de leur but, leur semblaient glorieuses et suffisamment légitimes. […] La politique de Venise fut pour beaucoup, à ce qu’il semble, dans la détermination qui fut prise alors. […] Certes l’enthousiasme d’un tel homme, s’attachant à l’heure la plus brillante du souvenir, a tout son prix : Le temps fut beau et clair, dit-il en parlant de ce jour mémorable où l’on appareilla de Corfou, et le vent bon et clément ; aussi laissèrent-ils leurs voiles aller au vent ; et bien l’atteste le maréchal Geoffroi qui dicta cet ouvrage et qui n’y a dit mot, à son escient, qui ne soit de pure vérité, comme celui qui assista à tous les conseils ; bien atteste-t-il que jamais si grande chose navale ne fut vue, et bien semblait que ce fût expédition à devoir conquérir des royaumes ; car, aussi loin qu’on pouvait voir aux yeux, ne paraissaient que voiles de nefs et de vaisseaux, tellement que le cœur de chacun s’en réjouissait très fortement. […] La veine où il puise ses images est celle des livres et des souvenirs classiques ; la source peut sembler déjà bien ancienne et refroidie : il l’a rajeunie et vivifiée cette fois par son émotion88.

1222. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Avant de nous peindre, de nous raconter le jeune homme, il nous exprime le vieillard tel qu’il se montre encore aujourd’hui à la postérité dans les austères et magnifiques portraits qui le font reconnaissable entre tous : Qui que tu sois qui regardes l’image de ce grand homme, s’écrie Saumaise, ne te semble-t-il pas, à la voir seulement, que la vertu vient au-devant de toi, et qu’elle descend des rides de ce front comme des degrés d’un théâtre ou d’un magnifique palais ? Considère donc attentivement cet antique et sévère maintien, et confesse que cette figure seule t’oblige encore à demeurer en respect, tant elle semble toujours impatiente de quelque mauvaise action. […] Jeannin, comme député de la Bourgogne qui avait titre de premier duché-pairie de France, dut opiner le premier33 ; il appuya le parti de la modération et de la paix, de toutes les raisons qui lui semblaient considérables, et il décida la pluralité des voix (sept contre cinq) dans le même sens. […] Tous les conseils qui lui arrivaient étaient dans ce sens de représailles qui pouvaient sembler légitimes ; le torrent s’enflait à chaque pas, et, au moment où le prince entra dans Paris salué des acclamations d’une multitude ivre de joie et fanatique de colère, il n’y avait plus à songer à le ramener et à le modérer.

1223. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Lorsque les Commentaires de Montluc furent imprimés pour la première fois quinze ans après sa mort, en 1592, l’éditeur les fit précéder d’une dédicace « À la noblesse de Gascogne » qui est en des termes dignes de son objet : Messieurs, comme il se voit de certaines contrées qui produisent aucuns fruits en abondance, lesquels viennent rarement ailleurs, il semble aussi que votre Gascogne porte ordinairement un nombre infini de grands et valeureux capitaines, comme un fruit qui lui est propre et naturel ; et que les autres provinces, en comparaison d’elle, en demeurent comme stériles… C’est votre Gascogne, messieurs, qui est un magasin de soldats, la pépinière des armées, la fleur et le choix de la plus belliqueuse noblesse de la terre, et l’essaim de tant de braves guerriers… Sans faire tort aux autres provinces et sans accepter ces injurieuses préférences de l’une à l’autre, il est un caractère constant et qui frappe dans les talents comme dans les courages de cette généreuse contrée, et l’on ne saurait oublier, en lisant Montluc, que cette patrie de Montesquieu et de Montaigne, comme aussi de tant d’orateurs fameux, fut celle encore, en une époque chère à la nôtre, de ces autres miracles de bravoure, Lannes et Murat. […] Il refuse même, à l’occasion, un guidon qui lui est offert dans une compagnie à cheval : « Il lui semblait qu’il parviendrait plus tôt par le moyen de l’infanterie. » Il est bien en cela de son siècle et non du xve  siècle ; ce n’est plus un chevalier d’autrefois, c’est un moderne. […] Ayant à parler en passant d’André Doria, le grand amiral génois, dont le mécontentement et par suite la défection furent cause de beaucoup de pertes qui advinrent au roi de France, de celle de Naples et autres malheurs : « Il semblait, dit Montluc, que la mer redoutât cet homme ; voilà pourquoi il ne fallait pas, sans grande et grande occasion, l’irriter ou mécontenter. » M. de Lautrec mort, on dut lever le siège de devant Naples et s’en revenir. […] Ne lui demandez pas les grandes vues militaires ni de stratégie, ni d’embrasser un échiquier bien étendu ; mais dans ce cadre indiqué, il semble un officier accompli, plein de ressources, ayant le coup d’œil et la main, électrisant son monde, combinant l’audace et l’art, et corrigeant la témérité par l’adresse.

1224. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

. — Si vous êtes orgueilleuses, on vous reprochera votre misère, et si vous êtes humbles, on se souviendra de votre naissance » ; — quand elle a ainsi épuisé la perfection et la beauté de l’œuvre à accomplir, on conçoit que Mme de Maintenon, s’arrêtant devant son propre tableau, ajoute : « La vocation d’une dame de Saint-Louis est sublime, quand elle voudra en remplir tous les devoirs. » Tout ne se fit point en un jour ; il y eut des années de tâtonnement, et même où l’on sembla faire fausse route. […] Nos filles ont été trop considérées, trop caressées, trop ménagées : il faut les oublier dans leurs classes, leur faire garder le règlement de la journée… Il faut encore défaire nos filles de ce tour d’esprit railleur que je leur ai donné, et que je connais présentement très opposé à la simplicité ; c’est un raffinement de l’orgueil qui dit par ce tour de raillerie ce qu’il n’oserait dire sérieusement… Et elle ajoute par un aveu vrai et qui n’a rien d’une fausse humilité : « Que vos filles ne se croient pas mal avec moi, cela ne ferait que les affliger et les décourager ; en vérité, ce n’est point elles qui ont tort. » À partir de ce moment, on entre dans un second effort plus obscur, moins attrayant, et qui même, dans le détail un peu abstrait où nous le voyons de loin, peut sembler décidément austère ; mais Mme de Maintenon, à la bien juger, y paraît de plus en plus méritante et digne de respect et d’estime. […] Et toutefois, hommes ou femmes de notre siècle, il nous semble que quelque chose manque à tous ces mérites si excellents et aujourd’hui si avérés : « Peu de gens, a dit Mme de Maintenon, sont assez solides pour ne regarder que le fond des choses. » Serait-ce, en effet, que nous ne serions pas assez solides ? […] Aujourd’hui, avec le nouvel état du monde, dans une société plus également morale en son milieu, nous qui ne sommes pas près de Versailles (dans le sens où l’était Saint-Cyr), il nous semble qu’il est quelquefois permis de se récréer d’un chant, d’une fleur, d’une joie d’imagination, mêlée aux choses du cœur, dans une éducation même de l’ordre le plus moral.

1225. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Théophile Gautier, devenu chef d’un démembrement et d’une subdivision importante de l’école de Hugo, est de ceux qui n’ont pas craint à l’origine de prendre justement pour point d’appui, dans le talent initiateur, ce qui semblait à d’autres un excès ou une limite. […] Il semblerait vraiment, d’après ce qui précède, que MM. de Lamartine, Hugo, de Vigny et Balzac, à leurs débuts, aient été des libéraux en toute chose et qui souffraient (comme pouvait le faire Casimir Delavigne) des événements de 1815, tandis que tous ceux qui les ont vus et suivis pendant des années savent qu’ils étaient surtout, par leurs origines et leurs premières inclinations, dans le parti contraire, dans le parti dit royaliste, ce dont, au reste, on ne saurait les blâmer ; ils étaient les hommes de leur éducation et du milieu social où un premier hasard les avait placés. […] Depuis quelques années les cieux semblent devenus d’airain. […] Mais les pièces où l’auteur me semble avoir le mieux réussi, ce sont celles de voyage ; l’une, par exemple, qui a pour titre « En route ! 

1226. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Je ne reviendrai pas sur ce qui vient d’être si bien dit, et dit de telle manière, avec tant de pénétration d’analyse, tant de bonheur d’expression et de vigueur d’accent, que l’étude semble faite : j’allais oublier que mon devancier, en me comblant, m’a interdit à son égard l’éloge. […] Le discours sur les lettres et sur l’homme de lettres au xixe  siècle, semble, au contraire, avoir trouvé des concurrents tout préparés, il s’en est présenté jusqu’à trente-huit dont plusieurs ont fait preuve de connaissances étendues et d’idées. […] Il y a même des endroits où le canal semble manquer, où la ligne est indécise, mais la source reprend aussitôt. […] Deux autres nouvelles ont mérité des accessits ; le premier est accordé à un récit intitulé Les Deux Transfuges, qui semble réel dans sa singularité, et qui s’encadre agréablement entre les haies d’un humble champ du Bourbonnais.

1227. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

Mais à cette heure, Bonaparte, exilé dans sa conquête d’Égypte, semblait perdu pour la France. […] Enfin, sur le soir, il parut décidé à la retraite ; il dit à ses généraux qu’ils pouvaient se rendre près de leurs troupes, et que d’ici à une heure ou deux il leur expédierait les ordres pour commencer le mouvement : mais ceux-ci avaient été trop longtemps témoins de cette funeste hésitation pour se persuader que le général en chef persisterait dans le parti qu’il semblait décidé à prendre ; ils se rendirent près de leurs troupes et s’occupèrent plus de dispositions de défense que de retraite. […] On raisonna beaucoup dans le temps sur cette mort ; il me semble qu’elle s’explique tout naturellement. […] Si l’on essaye pourtant (car la pensée va d’elle-même) de se figurer ce qu’eût été Joubert devenu maréchal d’Empire, il me semble que l’illustre maréchal Suchet nous en donne assez bien l’idée : un militaire brave, instruit, progressif, un parfait lieutenant, capable de conduire à lui seul des opérations circonscrites, administrateur habile et intègre, combinant des qualités militaires et civiles, se faisant aimer même dans les pays conquis.

1228. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Je ne le pense pas, et il me semble que le génie de l’invention proprement dite ayant fait défaut à M.  […] Lui, qui en toute occasion paraissait assez peu se soucier de l’application des sciences et semblait ne mettre de prix qu’à la recherche pure, il était très sensible à cette application-là. […] Il lui exprima son approbation, en ajoutant ces mots qui résument, ce me semble, à merveille le genre d’égards qui restent dus aux anciens noms historiques, dans la juste et stricte mesure des idées de 89 : « On vous doit, monsieur, les occasions de vous distinguer ; mais souvenez-vous bien toute votre vie qu’on ne vous doit que cela. » M.  […] Ceci me rappelle, quoique la transition puisse ne point sembler essentiellement logique et rigoureuse, que dans une lettre adressée par M. le comte de Chambord à l’un de ses amis de Trance, j’ai lu, non sans quelque surprise, l’éloge suivant de M. 

1229. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Gœthe a encore parlé aujourd’hui avec admiration de lord Byron : « J’ai encore lu, m’a-t-il dit, son Deformed transformed, et je dois dire que son talent me semble toujours plus grand. […] Le bon Eckermann, qui avait peur que la conversation ne changeât de cours, essaya de la ramener en disant : « Je crois cependant que c’est surtout quand Napoléon était jeune, et tant que sa force grandissait, qu’il a joui de cette perpétuelle illumination intérieure : alors une protection divine semblait veiller sur lui ; à son coté restait fidèlement la fortune ; mais plus tard… —  Que voulez-vous ? […] … Quand on pèse tout ce que celui-là a fait et enduré, il semble qu’à quarante ans il devait être usé jusqu’au dernier atome ; mais pas du tout ; à cet âge, on le voyait s’avancer encore, toujours héros parfait. » Qu’on se rappelle les magnifiques jugements de Gœthe sur Louis XIV, sur Voltaire, sur Molière, sur les hommes-types par qui la France est si grande, et qu’on y joigne celui-ci57. […] Hetzel, la pensée de Gœthe, par suite des coupures, semble plus concise, plus taillée : elle est ramenée à ce qu’on croit devoir être le style d’un livre.

1230. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

J’ai vécu de bien des vies littéraires ; et j’ai passé de douces heures d’entretien avec des hommes instruits de plus d’une école : il me semblait que j’étais de la leur, tant que je causais avec eux. […] « J’écris, je traduis, semblent-ils vous dire, pour ceux qui n’iront jamais à Rome ni à Athènes, et j’ambitionne de leur donner, de leur rendre, par un équivalent habile, le sentiment de ce qu’ils ne verront jamais face à face, facie ad faciem. […] Si, dans les grands et pathétiques naufrages modernes, l’intérêt public se porte naturellement sur les deux ou trois survivants que le radeau a rapportés et qui représentent pour nous les absents abîmés et engloutis, il convient de faire, ce semble, la même chose dans l’ordre de l’esprit et du talent, et de ne pas trop chicaner un ancien qui nous est arrivé par exception et par un singulier bonheur, surtout quand il nous offre en lui des dons charmants, incontestables ; il sied bien plutôt de l’aimer et de le louer tant pour son propre compte que pour les amis et parents qu’il représente et qui ne sont plus, au lieu d’aller se servir de ces noms très grands assurément, mais un peu nus désormais et à peu près destitués de preuves, pour l’infirmer et le diminuer. […] Térence n’a laissé que six pièces de théâtre, et toutes imitées du grec ; on était encore à cet âge intermédiaire que traversent les littératures de seconde formation, où il semble plus honorable d’imiter et d’importer que d’inventer et de créer sur place, d’après nature.

1231. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Quelques-uns vont plus loin : en présence du spectacle qui se déroule depuis une quarantaine d’années environ, ils sont saisis d’un redoublement d’ardeur, d’une espérance, d’une audace toutes nouvelles : il leur semble qu’une direction plus juste, des plus salutaires en même temps que des plus grandioses, soit imprimée a l’humanité, et qu’elle ait désormais une mission à accomplir plus nette, mieux définie, et digne à la fois de la passionner, de l’enflammer, si elle sait la comprendre. […] Guizot, acceptant ou subissant celles-ci, devait faire passer la morale et le christianisme avant tout ; ce qui semblait progrès à l’un aurait bien pu paraître un recul à l’autre. […] Obéissant à son rôle qui est celui d’un inspirateur, d’un provocateur à bonne fin plutôt que d’un praticien, il lui a semblé que ce qui manquait le plus à l’époque présente, c’était un centre, un groupe, une association s’entendant pour la bonne direction du progrès social. […] Il y a bien les Académies, l’Académie des Sciences, et en particulier celle des Sciences morales et politiques, laquelle au premier abord semblerait répondre à l’objet et au vœu de M. 

1232. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Il me semble que quand on sait quelque chose de particulier et d’un peu nouveau sur Racine, on n’est pas libre de le garder pour soi et qu’on le doit à tous. […] Sa fille aînée semblait d’abord aussi peu disposée au mariage que la cadette, et si Port-Royal à cette date avait pu recevoir des novices, il est fort possible et même probable que sa vocation eut été de ce côté. […] Je m’acquitterai du devoir de l’offrir à Dieu et en même temps tous ceux qui y ont part, afin qu’il daigne se trouver à ces noces chrétiennes et y apporter de ce bon vin que lui seul peut donner, qui met la vraie joie dans le cœur, et qui donne aux vierges une sainte fécondité en plus d’une manière : Vimim germinans virgities, comme parle un prophète. » Vous éprouvez sans doute, monsieur, qu’il n’est besoin de vous nommer l’auteur, ni de vous le désigner plus clairement. » Ainsi échangeaient de loin leurs bénédictions, ainsi s’exprimaient entre eux avec une prudence mystérieuse ces hommes de piété et de ferveur dont le commerce semblait un crime, et en qui l’esprit de parti prétendait découvrir de dangereux conspirateurs. […] Vuillart, M. de Préfontaine, en lui répondant, avait semblé regretter de sa part une omission : c’est que celui qui avait fait le personnage d’ange Raphaël dans ce mariage de Tobie et de Sara n’eût point ajouté aussi le conseil que l’ange avait autrefois donné au jeune homme, de s’abstenir durant les trois premières nuits, de les passer à deux, à genoux, mains jointes, en continence et en prière.

1233. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

On regrette même pour lui, ce semble, qu’il n’ait pas été entraîné par un sentiment quelconque, et qu’après tous les services qu’il avait déjà rendus à Mme de Lamotte il lui ait refusé ce dernier bon office d’être son conseil et son avocat à l’heure de l’emprisonnement. […] Il semble d’ailleurs qu’avoir de l’esprit quand on est déjà si grand de taille, ce soit usurper. De même qu’au-dessous d’une certaine taille qui est strictement celle du service militaire, il est rare de trouver une constitution physique qui ne soit pas débile, de même il semble qu’au-dessus et au-delà du niveau supérieur, il soit rare que la qualité de l’esprit soit dans toute sa vivacité. Je sais toutes les exceptions qu’on peut faire, elles me reviennent et se lèvent devant moi en ce moment : je salue tous ces grands beaux hommes spirituels ; mais en fait il n’en est pas moins vrai que cela semble une singularité de trouver l’esprit d’un abbé Galiani dans le corps d’un grenadier.

1234. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Après Moscow et la retraite de Russie, disait le spirituel M. de Stendhal, Iphigénie en Aulide devait sembler une bien moins bonne tragédie et un peu tiède ; il voulait dire qu’après les grandes scènes et les émotions terribles de nos révolutions et de nos guerres, il y avait urgence d’introduire sur le théâtre un peu plus de mouvement et d’intérêt présent. […] Bérénice, bien que commandée par Madame, me semble tout à fait dans le goût secret et selon la pente naturelle de Racine ; c’est du Racine pur, un peu faible si l’on veut, du Racine qui s’abandonne, qui oublie Boileau, qui pense surtout à la Champmeslé, et compose une musique pour cette douce voix. […] Il ne faudrait pas que de telles faiblesses, si gracieuses qu’elles semblent par exception, revinssent trop souvent ; elles affecteraient l’œuvre entière d’une teinte trop particulière et qui aurait sa monotonie, sa fadeur. […] Cette nature d’intérêt, ce me semble, doit suffire ; on ne sent jamais d’intervalle ni de pause.

1235. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

Dans l’histoire de l’art littéraire au xixe  siècle, deux faits généraux dominent : vers 1830, la littérature est romantique, vers 1860 elle est naturaliste ; deux grands courants semblent l’emporter successivement en sens contraire. […] En deux mots, le romantisme nous fait repasser de l’abstraction à la poésie, et, quoiqu’il ait pu sembler d’abord faciliter l’invention aux dépens de l’art, il ramène l’art à la place du mécanisme. […] Le premier manifeste fut lancé par Stendhal en 1822 : dans sa brochure sur Racine et Shakespeare, il semblait faire de l’ennui le signe éminent du classicisme. Étrange confusion des temps, qui fait de ce bonapartiste, fidèle disciple des sensualistes et des analyseurs du xviiie  siècle, le premier porte-drapeau du romantisme, dont tout semblait plutôt l’éloigner !

1236. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

  Mais, au reste, l’érudit est soutenu par cette idée qu’il travaille à une grande œuvre collective, où l’effort de chaque ouvrier peut sembler de peu de fruit, mais où l’effort de tous est nécessairement fécond. […] Je ne puis me tenir de détacher de la conclusion ces lignes où l’émotion de l’érudit, tout en se contenant, teint son style d’une couleur charmante : … Certes nous avons eu, depuis la Renaissance, une littérature plus belle, plus variée, plus riche pour le cœur et pour l’esprit que la poésie rude et simple de Roland ; et, quand nous revenons écouter ce langage naïf en sortant des harmonies savantes de nos grandes œuvres littéraires, il nous semble entendre le bégayement de l’enfance. […] Il est certain que l’âme du moyen âge avait en elle des trésors de sentiment, d’imagination et de passion tels que l’âme antique semblerait presque indigente auprès. […] Ces cathédrales gothiques qui semblaient barbares aux lettrés du XVIIc siècle et qui, pour Fénelon, manquaient de mesure et de noblesse, elles nous éblouissent, elles nous charment, elles nous touchent.

1237. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Celles-ci, à ce qu’il me semble, sont à la lumière comme les rythmes aux sons. […] Il est aussi deux peintures ; l’une s’appuie immédiatement à la Vie en ses multiples apparences, — c’est le tableau de chevalet, par exemple ; — l’autre, architecturale et décorative, (et la plus hautement esthétique, il faut oser l’écrire), semble ne donner de la Vie qu’un reflet en une synthèse épurée. […] La Poésie nouvelle semble avoir suivi la même loi. […] Verhaeren, — par une sorte de paroxysme qui semble conduire le geste au-delà de notre vision et le rend définitif en même temps que surnaturel ; l’autre par des associations judicieuses de pigments colorés, où le geste s’enveloppe en l’harmonie des clartés.

1238. (1890) L’avenir de la science « XII »

Ce n’est pas même un luxe superflu d’avoir publié celles qui semblent inutiles, car il se peut faire que telle qui nous paraît maintenant insignifiante devienne capitale dans une série de recherches que nous ne pouvons prévoir. […] C’est une pensée d’une effroyable tristesse que le peu de traces que laissent après eux les hommes, ceux-là mêmes qui semblent jouer un rôle principal. […] Et puis ma mère était à mes côtés ; il me semblait que la plus humble vie pouvait refléter le ciel grâce au pur amour et aux affections individuelles. […] Telle religieuse qui vit oubliée au fond de son couvent semble bien perdue pour le tableau vivant de l’humanité.

1239. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Après que la première Fronde fut apaisée, et avant que la seconde éclatât, Retz semble avoir eu par moments des intentions sincères de se ranger, de redevenir honnête homme et fidèle sujet ; mais sa réputation passée pesait sur lui autant que les habitudes prises, et le rengageait bientôt dans les voies de la sédition. […] Comme Mirabeau, Retz ne pouvait rendre des services à la reine qu’en maintenant son crédit auprès de la multitude ; et, pour maintenir ce crédit, il lui fallait faire ostensiblement des actes et tenir des discours qui sentaient la sédition, et qui semblaient en sens inverse des engagements qu’il venait de prendre. […] Mais il ne fut pas, ce semble, assez prompt à le sentir, et il continua d’agir au-dehors comme s’il y avait eu espoir, en effet, de l’éloigner définitivement. […] Il en conclut que le ministère était encore moins à son goût qu’à sa portée : « Je ne sais si je fais mon apologie en vous parlant ainsi, écrivait-il en s’adressant à Mme de Caumartin ; je ne crois pas au moins vous faire mon éloge. » Cette gloire, ce point d’honneur dont Retz nous parle toujours, et qu’il ressentait à sa manière, c’était une certaine réputation populaire, la faveur et l’amour du public, c’était d’être fidèle aux engagements envers ses amis, de ne point paraître céder à un intérêt purement direct ; vers la fin, toute sa doctrine de résistance semble n’avoir plus guère été qu’une gageure d’honneur contre le Mazarin.

1240. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Il ne voyait pas dans les affaires les ennemis naturels des recherches littéraires et scientifiques telles qu’il les concevait, et il semblait qu’en changeant ainsi de sujet, il ne faisait que varier les applications d’un même esprit de méthode et de détail. […] Et pourtant, ce Chateaubriand, qui semblait alors ne point parler français, revenait et nous ramenait par des hauteurs un peu escarpées et imprévues à la grande et forte langue, et c’était sur ses traces que le goût lui-même devait retrouver bientôt sa vigueur et son originalité. […] Je lisais, vous écoutiez, mais avec une telle attention, que vos yeux fixés sur moi semblaient suivre tous les mouvements de mes lèvres. […] Un Rapport sur les manuscrits inédits de Fréret abonde en recherches neuves, selon son usage ; ce genre de labeur sur tout sujet lui semblait facile et était comme passé dans sa nature.

1241. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Très jeune, M. de Rémusat s’est pris d’un goût vif pour les questions philosophiques et métaphysiques, et pour cette escrime déliée qui semble tenir à la qualité même de l’intelligence. […] En ce temps-là le merveilleux semblait toujours tout près des moindres événements de la vie. […] Rempli au-dedans de la lumière pénétrante de la sagesse, il savait, dit-on, si sûrement discerner les mœurs des personnes de tout sexe et de tout âge, que, lorsqu’il en discourait ensuite, il semblait, en l’écoutant, qu’on se sentait révéler les secrets de son propre cœur. […] Voltaire, le grand moqueur, dans sa jolie pièce des Systèmes, où il parodie toutes les écoles de philosophie et les amène à comparaître devant le Trône suprême, ne manque pas de mettre ce fameux argument dans la bouche de Descartes, s’adressant à Dieu : Voici mon argument, qui me semble invincible : Pour être, c’est assez que vous soyez possible.

1242. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Avec les trois œuvres qui l’ont précédé, jointes aux romans antérieurs des deux frères, il semble que l’on peut maintenant définir, en ses traits essentiels, la physionomie morale de l’auteur de Chérie, le mécanisme cérébral que ses écrits révèlent et dissimulent, comme un tapis de fleurs la terre. […] La physionomie de la Faustin lui apparaît tantôt dessinée en ombres et méplats lumineux, par une lampe posée près de son lit, tantôt s’assombrissant, se creusant sous une émotion tragique : Subitement sur la figure riante de la Faustin, descendit la ténébreuse absorption du travail de la pensée ; de l’ombre emplit ses yeux demi-fermés ; sur son front, semblable au jeune et mol front d’un enfant qui étudie sa leçon, les protubérances, au-dessus des sourcils, semblèrent se gonfler sous l’effort de l’attention ; le long de ses tempes, de ses joues, il y eut le pâlissement imperceptible que ferait le froid d’un souffle, et le dessin de paroles, parlées en dedans, courut mêlé au vague sourire de ses lèvres entr’ouvertes. […] Enfin il inventera ces étranges phrases disloquées, enveloppantes comme des draperies mouillées, mouvantes et plastiques qui semblent s’infléchir dans le tortueux d’une route : « Enfin l’omnibus, déchargé de ses voyageurs, prenait une ruelle tournante, dont la courbe, semblable à celle d’un ancien chemin de ronde, contournait le parapet couvert de neige d’un petit canal gelé » ; des phrases compréhensives donnant à la fois un fait particulier et une idée générale, des phrases peinant à noter ce que la langue française ne peut rendre et devenant obscures à force de torturer les mots et de raffiner sur la sensation : Ils savouraient la volupté paresseuse qui, la nuit, envahit un couple d’amants dans un coupé étroit, l’émotion tendre et insinuante, allant de l’un à l’autre, l’espèce de moelleuse pénétration magnétique de leurs deux corps, de leurs deux esprits, et cela, dans un recueillement alangui et au milieu de ce tiède contact qui met de la robe et de la chaleur de la femme dans les jambes de l’homme. […] Personne ne pouvait mieux rendre les légers et coquets caprices d’une âme de fillette, la demi-pâmoison d’une femme amoureuse, la longue douceur de la passion satisfaite : En la paix du grand hôtel, au millieu de la mort odorante de fleurs, dont la chute molle des feuilles, sur le marbre des consoles, scandait l’insensible écoulement du temps, tandis que tous deux étaient accotés l’un à l’autre la chair de leurs mains fondue ensemble, des heures remplies des bienheureux riens de l’adoration passaient dans un far-niente de félicité, où parler leur semblait un effort.

1243. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

L’inimitié de Colbert, le peu d’habileté de La Fontaine à faire sa cour, un talent peu fait pour être apprécié par le roi, de petites pièces qui paraissaient successivement, ne pouvaient avoir l’éclat d’un grand ouvrage, et semblaient manquer de cette importance qui frappait Louis XIV ; des contes un peu libres, dont on avait le souvenir dans une cour qui commençait à devenir dévote : toutes ces circonstances s’étaient réunies contre La Fontaine, et l’avaient fait négliger. […] Retire-toi et ne me parle plus de ta gloire, qui d’ailleurs n’est pas la mienne, mais que je déteste comme la source de toutes nos calamités. » Il me semble qu’il y a, dans cette réponse, des choses fort sensées et auxquelles il n’est pas facile de répondre. […] Il me semble que c’est mal choisir le représentant du peuple, lequel n’est pas, à beaucoup près, si spirituel et si délié. […] Il me semble que les six vers suivans ne disent pas grand chose : Junon et le maître des dieux, qui seraient fiers de porter les messages de la déesse Iris ; cela n’ajoute pas beaucoup à l’idée qu’on avait de madame de la Sablière.

1244. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

En effet, il semble en lisant Lucien, qu’on chantât quelquefois le sujet que le pantomime executoit, mais il est aussi constant par plusieurs passages que je citerai plus bas, que le pantomime représentoit souvent sans que personne chantât ni prononçât les vers des scénes qu’il déclamoit dans son jeu muet. […] Il semble qu’il n’y auroit pas eu lieu à faire cette question, si l’on avoit vû dès-lors des troupes de comédiens pantomimes. […] Mais le langage des muets du grand seigneur, que leurs compatriotes n’ont pas de peine à comprendre, et qui leur semble un langage distinctement articulé, ne paroîtroit qu’un bourdonnement confus aux peuples du nord de l’Europe. […] Il me semble néanmoins que les personnes qui se plaisent à voir la comédie italienne, et principalement celles qui ont vû joüer le vieil Octave, le vieil Scaramouche et leurs camarades Arlequin et Trivelin, sont persuadées que l’on peut bien executer plusieurs scénes sans parler.

1245. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Il me semble, que dans une tombe c’est plus animé. […] Tout semble endormi. […] Vous êtes jeune et vous semblez en proie à un sentiment vrai. […] Du reste, le jardin me semble bien où je l’ai marqué sur le plan. […] Il lui semble intéressant de vous communiquer ce journal.

1246. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Aux épreuves orales, sa première leçon semblait devoir le sauver ; la seconde le perdit. […] C’est, il me semble, la puissance logique. […] Ce mot même de patrie semblait n’avoir plus de sens. […] Ce labeur précoce aurait pu, semble-t-il, étouffer dans leur fleur les facultés de l’enfant. […] Il lui semble naturel de dire en même temps : « J’aime la mort » et : « Nous sommes nés pour l’action ».

1247. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Paul, Virginie, le paria, semblaient des êtres en dehors de notre monde. […] Il semble maintenant que la passion de l’un devient presque fade, et que le génie de l’autre pâlisse. […] Philosophie, lettres, politique, sciences, semblent ne former qu’un seul empire indivisible. […] il lui semble qu’on l’a réveillée au milieu d’un cauchemar. […] Quelque agréable qu’il soit, il finit par sembler monotone.

1248. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

J’aime plus d’une pièce de votre volume, ces Tristesses de la lune, par exemple, délicieux sonnet qui semble de quelque poète anglais contemporain de la jeunesse de Shakespeare. Il n’est pas jusqu’à ces stances, À celle qui est trop gaie, qui ne me semblent exquises d’exécution.

1249. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVIII » pp. 188-192

Guizot, à ce ministère qui semblait si assis et si sur de lui au commencement de la session ? […] Mérimée, qui semble désigné par l’opinion.

1250. (1875) Premiers lundis. Tome III « Lafon-Labatut : Poésies »

Bien que le don de poésie soit de sa nature une chose essentiellement imprévue, et que ce souffle, comme celui de Dieu, aille où il lui plaît, on ne peut s’empêcher d’être surpris chaque fois qu’on voit ce talent se déceler tout d’un coup, et sortir de terre avec fraîcheur dans de certaines circonstances qui semblaient faites plutôt pour l’étouffer ; s’il n’y a pas lieu toujours de crier au miracle, ce n’est jamais le cas non plus de faire les inattentifs et les dédaigneux. Voici donc encore un poëte, un de ceux que l’adversité semblait devoir éteindre, et qu’elle a seulement excités.

1251. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Henry (1872-1922) »

L’école Trarieux fils me semble fondée. […] Bataille ne semblent pas contrarier cette impression : il y demeure le rêveur nerveusement triste, passionnément doux et tendre, ingénieux à se souvenir, à sentir, à souffrir… La Lépreuse est bien le développement naturel d’un chant populaire ; tout ce qui est contenu dans le thème apparaît à son tour, sans illogisme, sans effort.

1252. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vicaire, Gabriel (1848-1900) »

Il semble que, quand elle revient au logis du poète, elle pose sa cruche à côté d’un broc de clairet, un peu faible, mais savoureux, sentant fort son terroir, pas traître, sans ivresse profonde, sans bouquet complexe (en tout cas, c’est du vrai vin), que le poète a été chercher dans son cellier ; et il tend tour à tour à son lecteur le gobelet de vin et le verre d’eau. […] Il semble qu’on ait affaire à une matière malléable, presque fluide, capable de s’allonger ou de se restreindre à volonté.

1253. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

L’heure me semble venue de la faire entrer dans le langage littéraire. […] Il m’a rapatrié dans le monde antique, il m’a ramené aux sources sacrées ; j’y ai puisé les plus pures joies qui puissent rafraîchir et ravir l’esprit. « Les Grecs » — a dit Goethe dans un mot célèbre — « ont fait le plus beau songe de la vie. » Ce songe, je l’ai refait avec eux ; et il me semble que je m’en réveille en écrivant les dernières lignes de ces pages pleines de leur gloire et de leur génie.

1254. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Au reste, il nous semble que Zaïre, comme tragédie, est encore plus intéressante qu’Iphigénie, pour une raison que nous essayerons de développer : ceci nous oblige de remonter au principe de l’art. […] Le Père Brumoy a remarqué qu’Euripide, en donnant à Iphigénie la frayeur de la mort et le désir de se sauver, a mieux parlé, selon la nature, que Racine, dont l’Iphigénie semble trop résignée.

1255. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

Il nous semble qu’on a vanté trop exclusivement son Petit Carême : l’auteur y montre, sans doute, une grande connaissance du cœur humain, des vues fines sur les vices des cours, des moralités écrites avec une élégance qui ne bannit pas la simplicité ; mais il y a certainement une éloquence plus pleine, un style plus hardi, des mouvements plus pathétiques et des pensées plus profondes dans quelques-uns de ses autres sermons, tels que ceux sur la mort, sur l’impénitence finale, sur le petit nombre des élus, sur la mort du pécheur, sur la nécessité d’un avenir, sur la passion de Jésus-Christ. […] Le mot qui termine la période semble être échappé à Bossuet, tant il est franc et sublime.

1256. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Cadoret »

Comme on s’obstina bien longtemps dans la comparaison fatale entre la Restauration des Bourbons et la Restauration des Stuarts, et, plus tard, comme on voulut voir de mystérieuses identités entre la Révolution de 1830 et la Révolution de 1688, de même aujourd’hui la fin d’une République, l’ascendant dynastique d’un homme qui semble avoir absorbé si profondément dans sa gloire le nom de César que, quand on le prononce, c’est à Napoléon qu’on pense, aux qualités impériales retrouvées dans le neveu du César moderne de manière à rappeler involontairement le neveu du César ancien, toutes ces diverses circonstances ont introduit dans les esprits la préoccupation de la grande époque romaine et fait regarder beaucoup la nôtre à travers… Le titre du livre de l’abbé Cadoret semble tout d’abord rappeler cette préoccupation contemporaine.

1257. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Furetière »

En effet, cette manière d’écrire l’histoire d’une époque, en la tournant autour d’un livre considérable ou d’une œuvre justement exhumée, nous semble plus intéressante, plus concentrée et plus vivante que l’histoire qui se déploie d’elle-même, dans son ordre chronologique et dans le mouvement général de ses événements. […] Son appréciation du livre de Furetière nous semble devoir fixer en beaucoup de points l’opinion sur cet homme de science et d’activité littéraire, et qui fut (heureusement pour lui, car la Postérité ne lit jamais de nous plus d’une page… quand elle la lit toutefois !)

1258. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

» Ici, comme transfiguré par l’enthousiasme, il apostrophe d’un vers impérieux les ennemis campés sur l’autre rive du torrent de la vallée de Térébinthe ; il lui semble porter sa voix et son défi jusqu’à leurs oreilles : « Et maintenant, rois de la terre, entendez ! […] « Lorsque vous vous reposez entre les rigoles de vos champs, les ailes de la colombe vous semblent revêtues d’argent et ses plumes d’un or jaune !  […] » XIX Le quatrième livre commence par une ode imitée de Moïse, qui semble récapituler toute la sagesse des ancêtres et toutes les vanités de la vie humaine en dehors de Dieu. […] Quant à moi, lorsque mon âme, ou enthousiaste, ou pieuse, ou triste, a besoin de chercher un écho à ses enthousiasmes, à ses piétés ou à ses mélancolies dans un poète, je n’ouvre ni Pindare, ni Horace, ni Hafiz, poètes purement académiques ; je ne cherche pas même sur mes propres lèvres des balbutiements plus ou moins expressifs pour mes émotions ; j’ouvre les psaumes et j’y prends les paroles qui semblent sourdre du fond de l’âme des siècles et qui pénètrent jusqu’au fond de l’âme des générations. […] Cette flûte sur la colline, ce convoi chantant dans la vallée, cette psalmodie dans le monastère, triple écho à la même heure de cette voix du grand lyrique, enseveli, mais ressuscité sans cesse sur sa montagne de Sion, me jetèrent dans un ravissement d’esprit qui semblait me donner pour la première fois le sentiment de la toute-puissance du chant dans l’homme.

1259. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Il semblait qu’une joie sortait du ciel, de l’eau, de l’arbre, de la terre, avec les rayons, et disait, dans le cœur, aux oiseaux, aux animaux, aux jeunes gens et aux jeunes filles : « Enivrez-vous, voilà la coupe de la vie toute pleine. » Dans ces moments-là, monsieur, on se sentait, de mon temps, soulevé pour ainsi dire de terre, comme par un ressort élastique sous les pieds. […] Hyeronimo avait ses guêtres de cuir serrées au-dessus du genou par ses jarretières rouges, son gilet à trois rangs de boutons de laiton, sa veste brune aux manches vides, pendante sur une épaule ; son chapeau de feutre pointu, bordé d’un ruban noir, qui tombait sur son cou brun et qui s’y confondait avec ses tresses de cheveux ; sa cravate lâche, bouclée sur sa poitrine par un anneau de cuivre, sa zampogne sous le bras gauche qui semblait jouer d’elle-même, comme si elle avait eu l’âme des deux beaux enfants dans son outre de peau. […] XCI Dès qu’il fit jour, nous sortîmes tous ensemble, y compris les bêtes et le chien ; nous allâmes reconnaître de l’œil, aux beaux premiers rayons du soleil d’été rasant les montagnes, dont il semblait balayer les longues ombres et sécher la rosée, le dommage que la journée de la veille nous avait fait. […] Les deux enfants revinrent bientôt, chargés de plus d’herbes et de feuilles qu’il n’en fallait pour les cinq brebis et les trois chèvres ; mais la liberté manquait aux pauvres bêtes : elles nous regardaient et semblaient nous demander de l’œil pourquoi nous ne les laissions plus brouter et bondir à leur fantaisie dans le ravin et sur le rocher. […] — Vous allez le savoir, mon ami, me répondit une voix qu’il me sembla reconnaître à son accent de méchanceté hypocrite (ma belle-sœur, qui était accourue à son tour avec Fior d’Aliza, me dit vite que c’était celle du scribe Nicolas del Calamayo) ; vous allez le savoir à vos dépens.

1260. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

. — Soldat de Brutus, il accepta le principat d’Auguste par raison, par considération de l’intérêt public ; mais il fut, ce semble, moins complaisant pour l’empereur et pour Mécène et sut beaucoup mieux défendre contre eux sa liberté et son quant-à-soi que le tendre Virgile. […] Tel autre, dessinant à grands traits impérieux l’histoire des idées ou l’histoire des formes littéraires, semble toujours écrire contre quelqu’un ou quelque chose et, même avant d’être moraliste, est invinciblement orateur et « dialecticien. » Faguet est un « logicien », et de quelle puissance ! […] À cause de cela, et parce qu’il me semble avoir plus d’imagination et plus de sensibilité feinte ou vraie que de précision dans les idées ou de force dans le raisonnement, M.  […] Sa parole semblait presque trop « élégante », et sa diction apprêtée comme celle d’un clubman qui aurait reçu les leçons d’un sociétaire de la Comédie-Française. […] Paul Deschanel semble de cet avis.

1261. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Il semble qu’on le voie assis sur une plinthe, un glaive à ses pieds, gravant son drame sur l’airain de sa cuirasse dégrafée. […] Vrais géants du royaume des Ombres, il semble que les portes d’ivoire et de corne de la fable grecque aient dû s’exhausser pour leur livrer passage : la Bible seule en a d’aussi grands. […] Elles semblaient se quereller et prêtes à se battre, — « Mon fils, voyant cela, s’efforçait de les apaiser. […] La destruction qui semblait arrivée à sa limite extrême, a toujours un degré de plus à franchir. […] Cette interprétation me semble à côté sinon au rebours du sens ; elle effleure la lettre du texte sans pénétrer son esprit.

1262. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

On se transporte en un point où la multiplicité des images semble se condenser en une représentation unique, simple et indivisée. […] Il me semblait, à tort d’ailleurs, que ces lettres devaient être les premières du mot, justement parce qu’elles avaient l’air de me montrer un chemin. […] Au contraire, dès que nous faisons effort pour nous souvenir, il semble que nous nous ramassions à un étage supérieur pour descendre ensuite progressivement vers les images à évoquer. […] Mais, même si l’on n’accepte pas la première thèse, il semble bien qu’il faille en retenir quelque chose, et admettre que l’attention ne va pas sans une certaine projection excentrique d’images qui descendent vers la perception. […] Et, même si l’on ne va pas aussi loin, il semble bien que l’affection soit irréductible à la représentation.

1263. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Il me semble que M.  […] Mon cerveau semble nager dans un bain d’huile tiède. […] Il est bien changé aujourd’hui, et il semble, en vérité, qu’en serrant à son cou la cravate blanche du chroniqueur officiel, il ait étranglé sa verve au passage. […] L’auteur, dit-il, « a empâté sa toile avec exagération ; les tons me semblent faux ». […] « Le mal du pays céleste, dit le feuilletoniste de la Presse, semble être la seule souffrance de cette infirmerie des âmes.

1264. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

L’étude des livres et l’expérience de la vie lui semblaient inséparables. […] Cette longue attente a fini par sembler extraordinaire à la cousine de l’Impératrice. […] Anatole France semble avoir épuisé toutes les flèches d’or de son carquois. […] Petits sentiers de chèvres, qui semblent ramper au flanc des coteaux. […] La nature semble se recueillir, attendre.

1265. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Les lettres que ces correspondants échangent entre eux sont plus rares qu’ils ne le voudraient, et, quand ils s’écrivent, ils ont des sous-entendus forcés, ils n’osent tout se dire ; ils vivent sous l’impression de maux actuels et immédiats, dans un serrement de cœur continuel et comme en présence d’une crise extrême et permanente ; les bienfaits, les améliorations civiles qui pourraient leur sembler une compensation et un correctif, ne se révéleront que le lendemain et leur échappent. […] Sa raison n’est nullement d’accord avec son sentiment, et il écoute les deux ; mais il suit bien plus la première lorsqu’il parle, et le second lorsqu’il écrit. » Que vous en semble ? […] Quand ces grands acteurs sortent de dessus la scène et qu’ils posent leurs habits de théâtre, il me semble que toute la passion cesse à leur égard. […] Son christianisme au reste, de la manière dont il l’entendait, ne cessa de germer en lui et de croître pendant les dix dernières années de sa vie ; il y mettait tout ce qu’on peut désirer d’un homme de bonne volonté ; il voudrait surtout croire à l’efficacité de la prière et la concilier avec l’universalité et la nécessité des lois naturelles ; il y a des moments où il lui semble saisir un trait de lumière sur cet obscur et mystérieux sujet. […] Il fait comprendre tous ses défauts, mais il ne les excuse pas, et il ne semble point avoir la pensée de les faire aimer.

1266. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je quitte Lyon dans quelques mois avec toute ma famille sans savoir encore où je vais emporter leur existence et la mienne, qui semblait ne devoir pas résister à tant d’agitations et qui résiste pourtant. […] « Sur quel cœur l’image de la créature qui relève était-elle mieux gravée que sur ce cœur qui semblait absent ? […] pas une porte où je puisse aller frapper ; les événements semblent avoir écrit sur toutes : Détresse. » Je continuerai de suivre la trame de l’existence qui nous intéresse, moyennant encore des passages de lettres écrites après 1848 : celles que je citerai dorénavant sont la plupart adressées par Mme Valmore à ses parents de Rouen. […] Son âme semble habitée par des milliers d’oiseaux qui ne chantent pas ensemble, mais qui se craignent et se fuient. — Douce et agitée toujours !  […] Comme à l’ordinaire, je cache tout, ne pouvant obéir qu’à mon instinct d’aimer. — Si j’étais libre de suivre celui de mère, je changerais tout le régime adopté, et dès longtemps, je crois, j’aurais rétabli l’harmonie dans ce corps chéri, qui semble se dissoudre d’une maigreur désespérante, d’une faim étrange et jamais contentée, malgré quatre repas abondants et un bon sommeil souvent.

1267. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Les autres, qui n’adoptent pas ces formules et qui, dans la voie démocratique ouverte en 89, avaient conçu des espérances plus modérées, plus réalisables, ce semble, voyant les difficultés, les échecs, les désappointements à chaque pas après quarante-six ans comme au premier jour, sont tentés enfin de regarder le programme d’alors comme étant, pour une bonne moitié du moins, une grande et généreuse illusion de nos pères, comme un héritage promis, mais embrouillé, qui, reculant sans cesse, s’est déjà aux trois quarts dispersé dans l’intervalle. […] Necker ; quoiqu’il y ait au commencement des tournures ministérielles et un peu de ce pathos qui lui sont assez ordinaires, cependant on y trouve généralement un ton qui ne nous semble pas le sien, et quelquefois une touche de sentiment qu’il n’a jamais su mêler avec son apprêt et ses tortillages. » Cette prévention radicale contre M. […] Necker jusqu’à Louvet, quel que semblât leur degré de hardiesse et de vitesse, étaient du même principe de sociabilité, du même côté du rivage. […] Ailleurs, 30 novembre, elle se plaint assez agréablement et avec une sorte de coquetterie voilée, dans la fable du Rossignol et de la Fauvette, de l’immanquable oubli du voyageur qui semblait en effet les négliger. […] On ne la voit pas prendre feu par la tête, à quinze ans, pour un M. de Guibert, et M. de Boismorel, dont le rôle près d’elle semble analogue, ne fut qu’une figure très-régulière et très-calme à ses yeux.

1268. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Partout où La Fontaine nous dépeindra la grenouille, il nous la dépeindra, avec une espèce de bienveillance rieuse et malicieuse à son égard, mais il la dépeindra, elle-même, dans ses habitudes de la république aquatique, comme il dira ; toutes les fois qu’il la dépeindra en elle-même, il ne lui donnera nullement le caractère vaniteux qu’évidemment la pauvre bête n’a pas ou ne semble pas avoir ; il la dépeindra comme un pauvre petit animal faible, timide, toujours inquiet, toujours sur le qui-vive, toujours sur l’œil, comme nous disons, et craignant rapproche, l’imminence, et même la menace indistincte du moindre péril. […] Ils n’ont qu’un caractère, c’est-à-dire la vanité, l’amour-propre et le plaisir de se regarder au miroir, défaut précisément que les animaux n’ont ni les uns ni les autres, ce semble bien. […] Il me semble qu’ici La Fontaine ne se trompe pas et qu’il y a, en effet, dans le mulet quelque chose de ce qu’il a cru y démêler. […] Par exemple, l’hirondelle qui est l’animal le plus individualiste, le plus domestique qui soit, l’hirondelle qui, dans la saison qu’elle passe chez nous, ne semble songer qu’à son nid et à ses petits, lorsqu’une autre hirondelle est en danger, on l’a remarqué, se précipite à son secours. […] Ceci n’était pas occidental, et il me semble que ce n’est un peu occidental que depuis La Fontaine.

1269. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Mais, à côté de ces mouvements qui sont provoqués mécaniquement par une cause extérieure, il en est d’autres qui semblent venir du dedans et qui tranchent sur les précédents par leur caractère imprévu : on les appelle « volontaires ». […] Le glycogène déposé dans les muscles est en effet un explosif véritable ; par lui s’accomplit le mouvement volontaire : fabriquer et utiliser des explosifs de ce genre semble être la préoccupation continuelle et essentielle de la vie, depuis sa première apparition dans des masses protoplasmiques déformables à volonté jusqu’à son complet épanouissement dans des organismes capables d’actions libres. […] Il y aurait d’abord un moyen, semble-t-il, d’en finir rapidement avec la théorie que je combats : ce serait de montrer que l’hypothèse d’une équivalence entre le cérébral et le mental est contradictoire avec elle-même quand on la prend dans toute sa rigueur, qu’elle nous demande d’adopter en même temps deux points de vue opposés et d’employer simultanément deux systèmes de notation qui s’excluent. […] Je ne vois qu’un moyen de sortir d’embarras : c’est de prendre, parmi tous les faits connus, ceux qui semblent le plus favorables à la thèse du parallélisme — les seuls, à vrai dire, où la thèse ait paru trouver un commencement de vérification —, les faits de mémoire. […] L’aphasique devient incapable de retrouver le mot quand il en a besoin ; il semble tourner tout autour, n’avoir pas la force voulue pour mettre le doigt au point précis qu’il faudrait toucher ; dans le domaine psychologique, en effet, le signe extérieur de la force est toujours la précision.

1270. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Il nous a semblé qu’en lisant les vers de M. […] Des deux côtés il y a méprise, ce nous semble, et jugement superficiel. […] L’auteur ici a rétabli les noms celtiques dans leur pure orthographe, il les a multipliés : an lieu de chanter désormais sa Bretagne du point de vue adouci du Cénacle et du Musée, il semble vouloir la venger au point de vue de sa nationalité propre.

1271. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Chez Molière, dans le Tartufe, dans Don Juan, dans le Misanthrope, le ton s’élèvera parfois, et la comédie semblera verser dans le tragique. […] Je pourrais faire voir cette unité dans Othello ou dans Macbeth : j’aime mieux la rendre sensible dans une des pièces où l’on s’attendrait le moins à la trouver, dans un de ces drames que sa fantaisie découpait dans les vieilles chroniques, et où il ne semblait guère songer à mettre un autre ordre que l’ordre historique des événements : dans Richard III. […] Avec une netteté glacée, il accentuait les détails de ce chaos de pierres qui est l’Islande ; tout ce pays, vu de la Marie, semblait plaqué sur un même plan et se tenir debout.

1272. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XX. Opposition contre Jésus. »

Durant la première période de sa carrière, il ne semble pas que Jésus eût rencontré d’opposition sérieuse. […] La Judée l’attirait comme par un charme ; il voulut tenter un dernier effort pour gagner la ville rebelle, et sembla prendre à tâche de justifier le proverbe qu’un prophète ne doit point mourir hors de Jérusalem 938. […] Nous avons en général suivi la rédaction de Babylone, qui semble plus naturelle.

1273. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — II. La versification, et la rime. » pp. 257-274

La prose du Télémaque, si fleurie, si tendre, si harmonieuse, si cadencée, leur sembla plus poëtique & plus agréable que les plus beaux vers. […] Celui-ci fit voir, dans une ode, que les difficultés de la versification disparoissent devant ceux qui sont nés poëtes ; & que, bien loin d’être nuisibles au talent, elles contribuent à le faire sortir, & deviennent la source de mille beautés : De la contrainte rigoureuse, Où l’esprit semble resserré, Il acquiert cette force heureuse Qui l’élève au plus haut dégré. Telle, dans des canaux pressée, Avec plus de force élancée, L’onde s’élève dans les airs ; Et la règle, qui semble austère, N’est qu’un art, plus certain de plaire, Inséparable des beaux vers.

1274. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Il semble lui reconnaître une valeur absolue ; il identifie le poète et le traducteur. » Remettons les choses au point. […] Malgré ses contresens, ses archaïsmes et sa forme biblique, cette traduction nous semble excellente, parce que c’est la première qui donne la sensation de la vie descriptive, qui est le fond du génie homérique. […] Au surplus et à parler franc, les motifs mêmes qui empêchent nos adversaires d’admettre l’imitation d’Homère sont précisément ceux qui nous décideraient à la conseiller, « Le style homérique, dit-on, représentatif d’une manière de voir la vie, est en contradiction absolue avec nos tendances synesthésiques. » Mais c’est justement pour cela, c’est précisément parce qu’Homère a « une manière primitive de voir la vie » et d’écrire en sensations et non en métaphores ; c’est essentiellement parce que ses procédés semblent contredire nos habitudes et nos tendances, qu’il faut conseiller aux écrivains descriptifs d’aller se retremper à cette inépuisable source.

1275. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Frères par la pensée comme par le sang, espèces de Ménechmes littéraires, tellement semblables (du moins quand on les lit) qu’on ne sait plus où l’un finit et où l’autre commence, et qu’ils semblent n’avoir à eux deux qu’une seule plume et qu’un même cerveau, MM. de Goncourt, pleins de confiance en eux-mêmes, par amour fraternel sans doute, — ce qui les préserve de la fatuité, — se sont dit un beau jour, après avoir collectionné des anecdotes et jeté l’épervier dans les courants les plus ignorés du renseignement, qu’ils étaient en mesure d’écrire cette œuvre immense, de détails concentrés et d’ensemble, que l’on appelle l’histoire d’une société. […] ces frères siamois de la littérature — comme on les appelle déjà — sont aussi les neveux siamois de l’auteur du Solitaire (ils tiennent par le mauvais côté à d’Arlincourt comme parle bon à Jules Janin) ; supposez donc qu’ils se résolvent à parler simplement et virilement cette belle langue française que nous devrions tous respecter comme la parole de notre mère, et qui semble, sous leur plume, contracter quelquefois l’accent des Incroyables du temps de Garat (serait-ce pour se faire mieux accepter comme les Alcibiades de l’histoire ?)  […] Louis XIV, qui n’aimait pas la province, on sait pourquoi, l’insultait par ses écrivains ; mais MM. de Goncourt, dont le nom semble révéler une vieille origine provinciale, n’ont-ils jamais su, ou les traditions de la famille ne leur ont-elles jamais appris, que la province — et surtout la province d’avant la Révolution — gardait dans ses châteaux et dans ses grandes villes un exemplaire plus pur que Paris lui-même de ce qu’on appelait la société française, de ce mélange heureux et si admirablement réussi de lumière, d’élégance, d’amabilité et presque de vertus, qui faisait de la France l’aimant du monde ?

1276. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Taine avait, à ce qu’il semblait, des facultés trop vives et trop indisciplinables pour qu’il put jamais emboîter le pas derrière personne. […] De ces deux Études, la meilleure pour moi est celle qui porte le nom de Carlyle, et non seulement pour la raison que j’ai déjà signalée, c’est-à-dire les doubles facultés qui semblent s’exclure d’ordinaire et qui se réunissent dans Carlyle, cet esprit puissant et bizarre, et aussi parce que les préférences philosophiques qui me gâtent M.  […] Taine, en finissant ainsi sa notice sur Carlyle, n’a pas exprimée ; mais un tel jugement sort entièrement la Critique, à ce qu’il me semble, de l’explication que M. 

1277. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

Ce héros de bal masqué, tué en plein bal masqué, par une de ces permissions providentielles qui semblent l’ironie du sort et parachèvent toute une destinée, ressemblait beaucoup à ces masques qui figurent deux personnes à la fois et réunissent, dans une opposition piquante, par exemple le profil d’un bel officier, à l’étincelant uniforme et au mâle visage, et le profil d’une femme en tous ses atours, pleine de langueur ou de coquetterie… Tel il fut dans sa vie, tel il apparaît dans l’histoire, cet homme plus étrange que grand à coup sûr, mais qui prend l’imagination par son étrangeté même ! […] Par un contraste qui fait mieux ressortir la duplicité étrange d’une nature qui semble relever autant de la tératologie que de l’histoire, Gustave III eut toute sa vie pour adversaire, et même pour adversaire déconcertant, une femme, — une femme-homme, comme lui, il était un homme-femme, — cette Catherine II, surnommée la Sémiramis du Nord par ceux-là qui ont oublié d’ajouter que Gustave III en était le Sardanapale, et, chose à noter dans tous les deux ! […] Dans ce temps du xviiie  siècle, dans ce temps d’anarchie si universelle que le désordre semblait passer jusque dans la physiologie humaine, et où des Chevalières d’Éon intéressaient toute l’Europe, la monstruosité s’arrêtait à cette limite, chez Gustave III et Catherine II, que l’homme qui gagne les batailles, l’homme toujours l’épée au vent, quand le danger souffle, était perpétuellement debout en Gustave l’efféminé, dans le Sardanapale au miroir qui ne demandait pas mieux, ma foi !

1278. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

Il est vrai que ce René semblait avoir des motifs suffisants pour se permettre de la mélancolie. […] Assurément, des deux, c’était bien celui-ci qui semblait le plus avoir le droit de se plaindre, et ce fut pourtant le moins malheureux. […] De nombreux passages de ses écrits, relevés avec discernement par Gilbert, semblent indiquer cette préoccupation de Vauvenargues, devenue plus profonde dans l’oisiveté d’une garnison.

1279. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Il est vrai que ce René semblait avoir des motifs suffisants pour se permettre de la mélancolie. […] Assurément, des deux, c’était bien celui-ci qui semblait le plus avoir le droit de se plaindre, et ce fut pourtant le moins malheureux. […] Gilbert, semblent indiquer cette préoccupation de Vauvenargues, devenue plus profonde dans l’oisiveté d’une garnison.

1280. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

Or, le lieu commun, cette chose respectée, c’est la gloire devenue momie, c’est son embaumement pour l’immortalité, et qui y touche semble faire du paradoxe et du sacrilège. […] Pour les âmes circoncises qui habitent la thébaïde des monastères, ce qui est dit dans l’Imitation de l’amour et des autres passions humaines peut sembler des découvertes terribles et le cœur humain montré jusque dans ses fondements, mais qui a passé par les vieilles civilisations, qui a lu les moralistes modernes n’est ni révolté ni surpris de cette balbutie. […] Il y a des choses cent fois dignes de l’auteur de Polyeucte dans sa paraphrase, mais c’est précisément pour cela qu’il ne traduit pas ce livre d’ombre fait par une ombre qui n’a qu’une voix comme un souffle, — la voix de l’esprit, — et qui semble sortir d’un in-pace.

1281. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

L’homme, en ce malheureux Georges Caumont, si démoralisé par la mort, ne va pas, lui, jusqu’au génie, dans ses facultés : mais son cri monte jusque-là, — ce cri dans lequel il semble jeter ses entrailles, — ce cri qui dure deux cent quarante-six pages, toujours du même perçant, du même infatigablement suraigu ! […] Celui qui porte ce nom encore ignoré de Georges Caumont, le malheureux qui mourut à vingt-cinq ans, noirement jaloux des quatre-vingts ans de bonheur insolent du vieux Voltaire, et qui semble dire à Dieu : Est-ce donc sa vertu que vous récompensiez ? […] Mais il y a des demi-heures terribles où l’on perd pied et où il semble qu’on se noie… Ah !

1282. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

La nature vraie du nègre aurait échappé à ce rude peintre, qui en fait saillir si admirablement les grimaces quand elles s’individualisent dans quelqu’un, et, comme tant d’autres, cet esprit, qui semblait n’avoir rien de commun avec les badauderies contemporaines, y échouerait… ce ne serait rien de plus qu’un homme à la mer ! […] Eunuque spirituel, même quand il semble posséder le plus de qualités cérébrales, ayant les vaines rages de l’eunuque, le nègre appartient-il à une de ces races déchues comme il en est plusieurs dans la grande famille humaine, et que la Bible, ce livre de toute vérité, a désignées comme devant servir les autres et porter les fardeaux à leur place, ainsi qu’elle s’exprime dans son style imagé et réel ? […] Quand on ne croit pas au hasard, aussi bête que les couleuvres africaines adorées par Soulouque et dont d’Alaux se moque avec juste raison, lorsqu’on a le bon sens d’admettre la variété providentielle des fonctions pour tous les peuples, les nègres, qui probablement ont leurs origines comme les autres races, semblent avoir été mis particulièrement dans le monde pour montrer combien est pesant aux créatures humaines le fardeau de la liberté.

1283. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Milton »

Pourquoi ce travail, qui semble sortir de terre, sur Milton ? […] Taine, à force de la pousser et de l’exagérer, semble avoir prise à son compte. […] Cette vie accablante et terrible, à ce qui semble, pour l’imagination d’un poète, il ne se révolta jamais contre elle ; il y a plus : il l’aima et l’étreignit sur son cœur stoïque, qui n’avait besoin ni de se résigner, ni de se consoler.

1284. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Annoncé il y a trente ans et pendant les années qui suivirent, commencé, abandonné, repris, le Capitaine Fracasse ne semble avoir été achevé par son auteur que pour n’en pas avoir le démenti, comme dit l’expression populaire. […] Théophile Gautier, l’ornemaniste avant tout, le descriptif qui a tout décrit et qui semble trouver que le détail matériel n’est jamais assez montré, assez accusé dans les choses, très-capable, comme il l’a quelquefois prouvé, d’écrire un conte fantastique, parce que dans ce genre-là on se permet tout, M.  […] Ainsi, enlèvements, coups d’épée, pistolades, reconnaissance d’enfant perdu par le moyen d’une bague qui était la croix de ma mère au dix-septième siècle, … Surtout l’anneau royal me semble bien trouvé !

1285. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

Ce n’est pas qu’on prétende attaquer ici les qualités que peut avoir ce ministre ; on convient qu’il eut du courage, un grand caractère, cette fermeté d’âme qui en impose aux faibles, et des vues politiques sur les intérêts de l’Europe ; mais il me semble qu’il eut bien plus de caractère que de génie : il lui manqua surtout celui qui est utile aux peuples, et qui, dans un ministre, est le premier, s’il n’est le seul. […] Il semble qu’il y ait pour eux une autre morale que pour le reste des hommes : on cherche toujours s’ils ont été grands, et jamais s’ils ont été justes ; celui même qui voit la vérité craint de la dire. L’esprit de servitude et d’oppression semble errer encore autour de la tombe des rois et des ministres.

1286. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Il lui sembla qu’elle ne coulerait jamais. […] L’auteur semble cette fois avoir pris à tâche de ne parler que de ce qu’il a vu et qui lui a semblé mériter d’être vu. […] Il me semblait qu’il y avait très longtemps que je n’y étais venu. […] Il semblait que tout devait lui céder. […] … il me semble qu’il est devant moi !

1287. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Il semble que M.  […] Elles lui semblaient les grandes fées protectrices de la scène. […] Corneille semble vouloir écarter cette conception trop eschylienne. […] C’est quelque chose que cela, ce me semble. […] Il me semble bien que c’est ainsi que Voltaire entendait les choses, et il me semble qu’il les entendait bien.

1288. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Ce ne sont pas là, semble-t-il, les signes d’une veine qui s’épuise et d’une inspiration, qui tarit. […] Il me semble que ces raisons-là devraient faire des amants discrets. […] Larroumet, semble importer de peu de chose à l’histoire de ses œuvres. […] Maugras lui-même y semble prendre un si grand intérêt. […] Maugras, en général, me semble y croire bien aisément.

1289. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Voltaire, déjà historien, qui s’occupait de son Siècle de Louis XIV, et qui avait donné son Histoire de Charles XII, s’empressa d’applaudir à Duclos, et il lui laissa, en passant chez lui, ce petit billet des plus scintillants et qui semble écrit sous le coup de l’enthousiasme : J’en ai déjà lu cent cinquante pages, mais il faut sortir pour souper. […] Le chancelier d’Aguesseau plus calme, qui connaissait le travail de l’abbé Le Grand et qui s’était autrefois confié en ce docte et laborieux personnage pour le projet d’une nouvelle collection des Historiens de France, disait après avoir lu le livre de Duclos : « C’est un ouvrage écrit aujourd’hui avec l’érudition d’hier. » Le fait est qu’en lisant de suite ce récit de Duclos, on n’est point intéressé, on n’entre point avant dans le sujet, on n’y vit point, et il semble dès lors que l’auteur n’y a pas non plus habité suffisamment ni vécu. […] Louis XI, encore Dauphin, dans ses traverses et ses brouilles avec son père, envoie-t-il une lettre circulaire à tout le clergé du royaume pour demander des prières, Duclos ajoute : « Il faisait ordinairement des vœux lorsqu’il se croyait sans ressource du côté des hommes. » Louis XI, Dauphin, se réfugie-t-il en Bourgogne, en se confiant pour l’y conduire au prince d’Orange et au maréchal de Bourgogne, c’est-à-dire à ses deux plus grands ennemis, Duclos dit : « Le Dauphin préféra des ennemis généreux à des amis suspects. » Pendant son séjour à la cour de Bourgogne, le Dauphin montre-t-il le plus violent dépit de ce que son père a nommé d’autres officiers en Dauphiné, Duclos dira : « Il était aussi jaloux de son autorité que s’il ne fût jamais sorti de son devoir. » Si minutieuses que puissent sembler ces remarques, j’ose assurer que, pour les divers livres que j’ai examinés, la part d’originalité de Duclos, dans sa rédaction de l’Histoire de Louis XI, se réduit à peu près à de tels ornements et assaisonnements de narration. […] L’adroite Chausseraye saisit le moment et répondit au roi « qu’il était bien bon de se laisser tourmenter de la sorte à faire chose contre son gré, son sens, sa volonté ; que ces bons messieurs ne se souciaient que de leur affaire et point du tout de sa santé, aux dépens de laquelle ils voulaient l’amener à tout ce qu’ils désiraient ; qu’en sa place, content de ce qu’il avait fait, elle ne songerait qu’à vivre et à vivre en repos, les laisserait battre tant que bon leur semblerait, sans s’en mêler davantage ni en prendre un moment de souci, bien loin de s’agiter comme il faisait, d’en perdre son repos et d’altérer sa santé, comme il n’y paraissait que trop à son visage ; que, pour elle, elle n’entendait rien ni ne voulait entendre à toutes ces questions d’école ; qu’elle ne se souciait pas plus d’un des deux partis que de l’autre ; qu’elle n’était touchée que de sa vie, de sa tranquillité, de sa santé… ». […] Montesquieu, pendant la conception et l’effort de L’Esprit des lois, ne semblait encore qu’un homme de beaucoup d’esprit à la plupart de ses plus sérieux contemporains.

1290. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Dans les lectures d’histoire qu’on lui fait faire, il lui semble qu’il n’y a pas de roi préférable à Louis XII ; l’écho des victoires l’atteint peu ; et cependant elle a aussi la marque de son temps, et lorsqu’il vient là pendant quelques jours un beau monsieur de Paris, très riche, très gai, très galant pour elle, et qui cause politique avec Mme de Coigny, qui apporte les dernières nouvelles et les commente avec cet esprit de dénigrement propre aux salons, elle n’est pas séduite, elle aperçoit d’abord ce qui manque à l’élégant monsieur, en fait de chevaleresque, et celle dont le cœur est destiné à des cœurs braves, finit par ce trait en le dépeignant : « Et puis il n’a été à aucune bataille, et c’est vraiment ridicule30. » Mme de Coigny aime les longues lectures régulières et qui se continuent, qui occupent et reposent : on lit donc Rulhière, Histoire de l’anarchie de Pologne, toutes les Révolutions de Vertot, La Guerre de Trente Ans de Schiller, Le Siècle de Louis XIV ; toutes ces lectures ne sont pas également intéressantes. […] L’arbre encore altier semblait mort, la sève n’y montait plus. Ici tout ressent la vie, tout recommence, le printemps éclate, la jeunesse refait du bruit aux jeunes cœurs, et ils se rouvrent avec délices au sentiment de la nature : Je suis accoutumée déjà (dès le lendemain de l’arrivée) au séjour de Plombières comme si j’y avais demeuré six mois ; il me semble que j’avais rêvé ces montagnes, ces cascades, et tous ces jolis sentiers qui ne mènent nulle part et qui vont toujours… Je m’endors chaque soir au son d’une musique quelconque, le bal qui danse en face de nous, un voisin qui joue du violon à ravir, et un grillon qui crie dans ma cheminée. […] Est-il rien de plus riant, de plus frais, comme page et vignette d’histoire naturelle, que ce joli nid de mésange : Ce matin, en faisant une promenade sur les bords de l’étang (il s’agit de l’étang de Paray, et ceci n’est plus du voyage de Plombières), j’ai joui d’un spectacle qui m’a confondue d’admiration, et que je vais tâcher de raconter. — Je m’étais appuyée contre un saule pour me reposer un instant, lorsque tout à coup un charmant petit oiseau sembla jaillir de l’écorce même de l’arbre ; je voulus me rendre compte de ce phénomène, et voici ce que je vis en y regardant de très près. […] Mais il faut bien parler des études principales que Mme de Tracy s’était réservées pour ses dernières années, et qui semblent au premier abord en contradiction avec la vocation de la femme ; elle nous dira elle-même pourquoi elle les avait entreprises : Il y a des jours où l’on éprouve un désir passionné de revoir ceux que l’on a perdus.

1291. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Pour moi, je dirai toute ma pensée : je ne voudrais rien retirer au vieux poète, mais il me semble qu’il est en train de subir cette transformation légère qui, en ne faisant peut-être que rendre à certains hommes, sous un autre aspect, la valeur et le prestige qu’ils avaient de leur vivant, leur accorde certainement plus qu’ils n’ont mis et qu’ils n’ont laissé dans leurs œuvres. […] Qu’ils sont rares les auteurs comme Horace et Montaigne, qui gagnent à être sans cesse relus, compris, entourés d’une pleine et pénétrante lumière, et pour qui semble fait le mot excellent de Vauvenargues : « La netteté est le vernis des maîtres !  […] Une affaire d’amour où il apporta, ce semble, plus de cœur qu’à l’ordinaire et qui se termina par une éclatante disgrâce, par je ne sais quelle perfidie notoire qui le faisait montrer au doigt et qui le rendit la fable de la cité, le décida tout d’un coup à quitter Paris et à partir pour Angers : Mais auparavant il voulut, nous dit M.  […] Campaux a pris le soin de nous les citer : Il semble, d’ailleurs, dit-il, que cette idée mélancolique fût dans l’air, du temps de Villon. […] Toujours, quand il sera question de la rapidité et de la fuite des générations des hommes qui ressemblent, a dit le vieil Homère, aux feuilles des forêts ; toujours, quand on considérera la brièveté et le terme si court assigné aux plus nobles et aux plus triomphantes destinées : Stat sua quaeque dies, breve et irreparabile tempus Omnibus est vitae… mais surtout lorsque la pensée se reportera à ces images riantes et fugitives de la beauté évanouie, depuis Hélène jusqu’à Ninon, à ces groupes passagers qui semblent tour à tour emportés dans l’abîme par une danse légère, à ces femmes du Décaméron, de l’Heptaméron à celles des fêtes de Venise ou de la cour de Ferrare, à ces cortèges de Diane, — de la Diane de Henri II, — qui animaient les chasses galantes d’Anet, de Chambord ou de Fontainebleau ; quand on évoquera en souvenir les fières, les pompeuses ou tendres rivales qui faisaient guirlande autour de la jeunesse de Louis XIV : Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes, Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs ; quand, plus près encore, mais déjà bien loin, on repassera ces noms qui résonnaient si vifs et si frais dans notre jeunesse, les reines des élégances d’alors, les Juliette, les Hortense, ensuite les Delphine, les Elvire même et jusqu’aux Lisette des poètes, et quand on se demandera avec un retour de tristesse : « Où sont-elles ? 

1292. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

MM. de Goncourt sont deux frères jeunes encore, qui ont débuté dans les lettres il y a une douzaine d’années ; qui se sont dès le premier jour jetés en pleine eau pour être plus sûrs d’apprendre à nager ; qui y ont très-bien réussi ; qui ne se sont jamais séparés, qui ont étudié, écrit, vécu ensemble ; qui ont mis tout en commun, y compris leur amour-propre d’auteur ; que cette union si étroite et qui leur semble si facile distingue et honore ; qui ont fait chaque jour de mieux en mieux ; qui, adonnés aux arts, aux curiosités, aux collections tant de livres que d’estampes, ont acquis du xviiie  siècle en particulier une connaissance intime, approfondie, secrète, aussi délicate et bien sentie que détaillée. […] Leur roman de Sœur Philomène est une étude de cœur et de mœurs, qui semble prise sur la réalité. […] C’est une nouvelle grâce qui se révèle et qui semble, même avec ce petit singe grimaçant qu’elle tient contre elle de ses doigts fluets, annoncer les mines et les attraits chiffonnés dont va raffoler le siècle. […] Ce déchet l’a radoucie au point de la rendre plutôt agréable, car elle a de l’esprit et de bonnes manières ; mais vous jureriez, à voir l’agitation de sa personne et les effrois qu’elle ne peut cacher, qu’elle a signé un pacte avec le malin et qu’elle s’attend à être citée dans la huitaine, à l’échéance. » La sagacité de Walpole, d’ordinaire si pénétrante, semble l’avoir ici trompé, et il prête à l’activité de Mme de Luxembourg et à son goût pour les plaisirs de la société un sens plus profond qu’il n’en faut probablement chercher. […] Détachés ainsi de leur cadre, ils sembleraient faibles et pâles.

1293. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

J’admire toujours comme on rogne la part aux hommes de talent, comme on leur fait la portion congrue ; on semble pressé avec eux de conclure, on simplifie et l’on abrège : « Toi, tu n’as que de la facilité. — Toi, tu n’as pas d’élévation !  […] La seule différence qui existe entre ces deux corps est que les pièces de la garde sont attelées avec des chevaux, et la ligne avec des mulets… Le matériel est à la Gribeauval… En voyant ces évolutions si lestes qui semblaient raser la terre, il me semblait lire Habacuc et ses prophéties. […] Lorsque plus tard, tout rempli de ce qui lui semblait sa découverte, Horace Vernet voulut faire prévaloir ses idées devant l’Institut, lorsqu’il soutint son opinion, sa thèse sur certains rapports qui existent entre le costume des anciens Hébreux et celui des Arabes modernes, il trouva les esprits prévenus. […] Un jour, à ce qu’on appelle un thé militaire, c’est-à-dire à une réunion de tous les officiers supérieurs dans un jardin où l’impératrice leur offrait un régal, l’empereur, après avoir pris la main d’Horace et la lui avoir tenue pendant un assez long temps, en lui parlant de ce qui venait de se passer pendant les manœuvres, s’était retourné et avait dit aux officiers : « Messieurs, Vernet fait partie de mon État-major, et je mets à l’ordre qu’il sera libre de faire tout ce que bon lui semblera dans le camp. » Prestige de notre gloire militaire qui se réfléchissait jusque sur son peintre !

1294. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

M. de Mouy doit, ce me semble, bien moins se plaindre, que se féliciter de voir l’ouvrage de M.  […] Son grand-père fut obligé de lui dire : « Tu l’auras quand je serai mort. » On rapporte cet autre mot très-probable du vieil empereur à la reine Éléonore : « Il me semble qu’il est très-turbulent ; ses manières et son humeur ne me plaisent guère ; je ne sais ce qu’il pourra devenir un jour. » Son gouverneur, don Garcia de Tolède, dans une lettre à l’empereur où il rend compte du régime et de l’éducation du prince, le montre en bonne santé à cet âge, « quoique n’ayant pas bonne couleur », peu avancé dans ses études, s’y livrant de mauvaise grâce ainsi qu’aux exercices du corps qui forment le cavalier et le gentilhomme, ne faisant rien en aucun genre que par l’appât d’une récompense, et en tout « très évaporé. » On insista beaucoup auprès de Charles-Quint, retiré à Yuste, pour qu’il y laissât venir quelque temps le jeune prince ; on espérait que l’autorité de l’aïeul aurait quelque influence sur lui pour le réformer et l’exciter. […] Cet honnête homme eut la loyauté d’avertir le roi du peu de progrès que faisait son fils et du peu de fruit qu’il tirait des leçons les plus assidues : Philippe II, dans sa patience, ne désespérait pourtant pas encore, et son affection paternelle ne semble avoir reçu aucune atteinte de ces premières impressions défavorables. […] Il semblait parfois se rétablir. […] En égard à son âge de dix-sept ans75, il s’entend très-bien aux choses du monde, et quoique les Espagnols, qui ont coutume d’exagérer leurs faits et de s’émerveiller de tout, exaltent quelques questions qu’il adresse indistinctement à tous ceux qui l’approchent, d’autres, avec plus de fondement peut-être, tirent de l’inopportunité de ces questions un argument peu favorable a son intelligence. » Voilà la triste vérité que notre bon compagnon et compatriote Brantôme vient confirmer et relever de sa manière gaillarde et piquante, ne fut-ce que par ce seul petit trait : « Moi, étant en Espagne, il me fut fait un conte de lui, que son cordonnier lui ayant fait une paire de bottes très mal faites, il les fit mettre en petites pièces et fricasser comme tripes de bœuf, et les lui fit manger toutes devant lui, en sa chambre, de cette façon. » Quand un prince de dix-neuf ans en est là, il me semble qu’il est jugé à jamais et que son avenir est écrit plus clairement que dans les astres.

1295. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Comment traduire en effet, à l’usage de tous, cette quantité de petites pièces qui exigent tant d’explications, de notes, une connaissance si particulière, et dont quelques-unes, par leur sujet, semblent si impossibles dans nos mœurs, et si faites à bon droit pour éloigner ? […] Il semble qu’on peut, sans trop s’aventurer aux conjectures, faire en le lisant cette remarque, que Léonidas, même en dehors des épitaphes ou dédicaces commandées, avait sympathie et compassion pour les malheureux, pour les naufragés et les noyés que la vague rejetait sur le rivage, pour les inconnus enterrés trop près du grand chemin, et dont la roue en passant offensait les restes : « Malheureux, s’écrie-t-il, pour qui personne n’a une larme !  […] Il y a même pour les morts, il y a de ces bonnes grâces mutuelles, et qui sont chères encore à ceux qui ne sont plus. » Il semble qu’il y ait eu quelque réminiscence de ce vœu pastoral et une observance des rites voulus, dans les funérailles que l’aimable Daphnis et son amie Chloé célébrèrent en l’honneur du bouvier Dorcon, et auxquelles le troupeau lui-même, errant et mugissant, sembla prendre sa part. […] Je donne l’interprétation qui me semble la plus probable, et j’épargne aux lecteurs en tout ceci les frais du commentaire.

1296. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Un homme, un homme seul au xviiie siècle, nous semble recueillir en lui, amonceler dans son sein et n’exhaler qu’avec mystère tout ce qui tarissait ailleurs de pieux, de lucide et de doux, tout ce qui s’aigrissait au souffle du siècle dans de bien nobles âmes ; humilité, sincérité parfaite, goût de silence et de solitude, inextinguibles élancements de prière et de désir, encens perpétuel, harpe voilée, lampe du sanctuaire, c’était là le secret de son être, à lui ; cette nature mystique, ornée des dons les plus subtils, éveille l’idée des plus saints emblèmes. […] Après les Cent-Jours, Lamartine ne reprit point de service : une passion partagée, dont il a éternisé le céleste objet sous le nom d’Elvire, semble l’avoir occupé tout entier à cette époque. […] À une distance plus rapprochée des premières Méditations, il pouvait sembler du moins que l’image d’Elvire dominait sa vie, qu’elle en était l’accident essentiel, la romanesque et poétique inspiration, et qu’à mesure qu’il s’éloignerait d’elle tout en lui pâlirait. […] On devinerait également, ce me semble, que de Vigny ne réveille l’écho de son sanctuaire embaumé qu’après l’heure discrète de minuit, à la lueur de cette lampe bleuâtre qui éclaire Dolorida.  […] Quoique attaché par des affections antiques aux dynasties à jamais disparues, quoique lié de foi et d’amour à ce Christianisme que la ferveur des peuples semble délaisser et qu’on dirait frappé d’un mortel égarement aux mains de ses Pontifes, M. de Lamartine, pas plus que M. de La Mennais, ne désespère de l’avenir ; derrière les symptômes contraires qui le dérobent, il se le peint également tout embelli de couleurs chrétiennes et catholiques ; mais, pas plus que le prêtre illustre, il ne distingue cet avenir, ce règne évangélique, comme il l’appelle, du règne de la vraie liberté et des nobles lumières.

1297. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Compatriote et de cette famille poétique de Vauquelin de La Fresnaye, de Racan et de Segrais, il aurait aimé du premier, s’il l’avait connu, le tendre sonnet de Damète et d’Amaranthe ; la paresse élégante et le goût sans travail du second lui semblaient dévolus, et il eût bien été capable de dire en une idylle, si Segrais ne l’avait fait déjà : O les discours charmants ! […] Je demande d’en citer un passage (prose et vers), qui me semble fidèlement reproduire l’impression élégiaque sous laquelle j’avais conçu le héros. […] Mon léger dégoût des choses était presque un plaisir de vanité pour moi, parce qu’il semblait m’avertir que j’avais tout goûté. […] » Pour achever ces indiscrétions sur l’auteur d’Arthur, je dirai que, si celui de Volupté l’avait connu, il semblerait avoir songé à lui expressément dans le portrait de l’ami de Normandie. […] Dans les beaux jours, tout est bien ; mais on oublie souvent comment cela est venu ; le mot de nature semble exprimer tout ; mais, aux jours mêlés de l’automne, on voit avec reconnaissance et un intérêt qui améliore le cœur, ce qu’il en coûte à l’homme pour rendre la terre riante et féconde.

1298. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Sa pauvreté lui fut moins amère que cette gloire d’un rival, qui lui semblait un vol fait à son génie. […] Si la tragédie morale semble souvent continuer un roman ou s’y superposer, et si son action semble parfois, soit au début, soit dans le cours des pièces, recevoir l’impulsion du dehors, c’est qu’il peint des volontés, comme nous le verrons, et que ces volontés, sûres et constantes, ne changeraient point d’état ou de posture, ne livreraient point de combat, si des accidents de fortune ne leur suscitaient des ennemis dans le moi ou hors du moi. […] Corneille semble établir une sorte de symbolisme conventionnel, qui fait représenter par les horreurs de la tragédie une réalité moins horrible : Suréna tué, par exemple, représentera Condé emprisonné323 ; je ne dis pas que l’auteur ait songé à Condé, mais je prends un cas entre cent autres similaires. […] Il la possède à fond, et la manie avec une aisance, une habileté uniques, comme il maniait le vers : c’est un des plus étonnants écrivains en vers que nous ayons ; il semble que cette forme lui soit plus naturelle que la prose.

1299. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Et quant à ceux, en plus grand nombre, qui naissent intelligents et distingués, on dirait qu’on leur en sait plus de gré qu’aux autres hommes, sans doute parce qu’ils pourraient mieux se passer de ces dons ; et il semble aussi qu’il leur soit plus facile qu’à nous d’user de cette intelligence pour se composer une vie élégante et délicieuse à souhait. […] Il semble avoir été d’une surprenante précocité. […] Un grand poète me semblait un être infiniment supérieur à un grand général. […] Et voyez : la part que le hasard a toujours dans le succès des batailles et qui me semblait tout à l’heure diminuer le mérite des chefs d’armée, rend, au contraire, leur fonction plus tragique et plus solennelle. […] Il me semble qu’ils doivent frissonner par moments, être saisis d’un effroi mystique.

1300. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Il semble heureux. […] Certes, la passion est une terrible sorcière ; elle a des philtres qui rendent fous et des enchantements qui dépravent ; mais l’ensorcellement de Paul Forestier semble excéder sa puissance. […] Certes, voilà, à première vue, un personnage sympathique et sa croisade semble faite pour soulever l’enthousiasme. […] Et puis, s’il faut le dire, Pierre Champlion, malgré sa modestie apparente, semble poser un peu dans son rôle de voyageur héroïque. […] Jusqu’ici encore, la pièce semblait, sans y courir, marcher au succès.

1301. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Il semble qu’après l’heure de l’éclosion et celle de l’épanouissement, on soit à une fin de saison. […] On me le peint alors déjà atteint par le souffle d’irritation et d’aigreur qui se fait si vite sentir sous les soleils trompeurs de Paris, méfiant, aisément effarouché, en garde surtout contre ce qui eût semblé une protection, ayant le dédain et la peur de la protection ; ne se laissant plus apprivoiser comme il s’était laissé faire à Provins quelques années plus tôt ; enfin ayant contracté déjà cette maladie d’amour-propre et de sensibilité qui est celle du siècle, celle de l’aristocratique René aussi bien que du plébéien Oberman ou du mondain Adolphe, celle de Jean-Jacques avant eux tous, comme depuis eux elle l’a été de tant d’autres qui ont eu la même maladie sous des formes et des variétés différentes. […] Si l’on considère aujourd’hui le talent et les poésies d’Hégésippe Moreau de sang-froid et sans autre préoccupation que celle de l’art et de la vérité, voici ce qu’on trouvera, ce me semble. […] Une des pièces sérieuses qui me semblent le plus propres à démontrer ses qualités et ses défauts est celle qui a pour titre : Un quart d’heure de dévotion. […] Enfant, j’ai bien souvent, à l’ombre des buissons, Dans le langage humain traduit ces vagues sons ; Pauvre écolier rêveur et qu’on disait sauvage, Quand j’émiettais mon pain à l’oiseau du rivage, L’onde semblait me dire : « Espère !

1302. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Au monde de Versailles, il pouvait sembler, à première vue, n’avoir pas l’habitude du grand monde ; mais au monde de Paris et à tout ce qui n’était pas de la Cour et des petits appartements, il semblait dans sa mise, dans son geste et dans ses manières, et même en ses familiarités, un grand seigneur d’autrefois qui se mettait avec luxe et caprice. […] Son point de départ est toujours la Révolution, qu’il considère comme irrévocable dans ses grands résultats de destruction ; et cette table rase de l’égalité civile, ce vaste niveau qui s’étend sur la ruine des corps privilégiés, lui semble, si l’on sait en user, aussi favorable pour le moins à la royauté qu’au peuple. […] Comment croirait-on, si on n’en avait pas sous les yeux les preuves, que les jours même où il semblait le plus ardent et le plus provocateur à l’Assemblée, soit sur l’affaire du pavillon tricolore à arborer sur la flotte, soit sur le pillage de l’hôtel de Castries par le peuple, soit sur d’autres questions brûlantes, ces jours-là même, la veille ou le lendemain, il écrivait pour la Cour des conseils sages, mesurés, tout politiques ? […] Accoutumez-vous donc à les voir ce qu’ils sont. » Et le même M. de La Marck écrivait au comte de Mercy-Argenteau : « Le roi est sans la moindre énergie : M. de Montmorin me disait l’autre jour tristement que, lorsqu’il lui parlait de ses affaires et de sa position, il semblait qu’on lui parlât de choses relatives à l’empereur de la Chine. » Mirabeau ne vit la reine qu’une seule fois à Saint-Cloud, le 3 juillet 1790.

1303. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Mais c’est la correspondance surtout qui va sembler tout à fait neuve et qui est du plus grand prix. […] Pour échapper à ces dégoûts, à cette inaction forcée et à cette attente d’un changement qui, de près et pour les contemporains, semblait si long à venir, M. de Maistre, durant son exil de Saint-Pétersbourg, se jette plus que jamais dans l’étude ; il se sent plus que jamais brûlé de la fièvre du savoir : c’est un redoublement qui ne se peut décrire. […] C’est toujours le même homme d’esprit, le même gentilhomme chrétien que nous connaissons, avec son timbre vibrant, sa parole aiguë qui part, qui éclate, qui du premier jet va plus loin qu’il ne semblerait nécessaire à la froide raison, mais qu’on serait fâché de trouver plus retenue et plus circonspecte ; car elle porte avec elle bien des vérités, et s’il semble qu’il y ait souvent colère en elle, lors même qu’il s’agit des amis, écoutez et sachez bien distinguer : c’est la colère de l’amour. […] Voilà, ce semble

1304. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Il me semble pourtant que, généralement, on ne se fait pas de l’abbé Maury, comme écrivain et comme littérateur, une idée très nette, et que son caractère politique également laisse dans l’esprit quelque chose de louche. […] Grimm reconnaissait qu’à cette date il était peu d’orateurs chrétiens qui parussent plus dignes du choix de l’Académie, et il ajoutait : « Il n’en est guère sans doute qui puissent se trouver moins déplacés dans une assemblée de philosophes. » L’éloge semblerait compromettant, si l’abbé Maury avait à être compromis sur quelque point. […] Bossuet encore était aisé, ce semble, à saisir et à manifester, à cause des éclairs qui signalent sa marche ; mais Bourdaloue, plus égal et plus modéré, nul ne l’a plus admirablement compris et défini que l’abbé Maury, dans la beauté et la fécondité incomparable de ses desseins et de ses plans, qui lui semblent des conceptions uniques, dans cet art, dans cet empire de gouvernement du discours, où il est sans rival, « dans cette puissance de dialectique, cette marche didactique et ferme, cette force toujours croissante, cette logique exacte et serrée, cette éloquence continue du raisonnement, dans cette sûreté enfin et cette opulence de doctrine ». […] Cette intelligence profonde de Bourdaloue me semble le chef-d’œuvre critique de Maury.

1305. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Dès ses débuts, bien qu’il semblât aspirer avant tout à la gloire du poète tragique, il avait quelque chose qui décelait le juge et l’arbitre, et qui excluait l’idée de camarade : cela déplaisait, et, même avant qu’il eût pris le sceptre ou la férule au Mercure et ailleurs, on le traita sans aucune indulgence et presque comme un ennemi commun. […] Nous sentons de plus en plus, ce me semble, en quoi La Harpe, avec des parties si estimables et si utiles, n’a pas atteint les hauteurs de son art et a toujours prêté le flanc. […] Il semblait, en effet, que, comme cet empereur romain qui voulait mourir debout, La Harpe se fût dit dans sa passion littéraire : « Il convient qu’un critique (même converti) meure en jugeant. » Depuis une quinzaine de jours que je vis avec La Harpe, je me suis demandé (à part les bonnes parties du Cours de littérature qui sont toujours utiles à lire dans la jeunesse) quelles pages de lui on pourrait aujourd’hui offrir à ses amis comme à ses ennemis, quel échantillon incontestable de son talent de causeur, d’écrivain, d’homme qui avait au moins, en professant, un certain secret dramatique, et qui savait attacher. […] Tout bien considéré, et après avoir beaucoup cherché, il m’a semblé que ce que La Harpe a écrit de plus fait pour trouver grâce aujourd’hui devant tous est cette Prophétie de Cazotte, quelques pages restées dans ses papiers et qu’on en a données après sa mortf. Invention et style, c’est bien, selon moi, son chef-d’œuvre, et l’on me permettra d’en rappeler ici le cadre, le dessin et le mouvement : Il me semble que c’était hier, et c’était cependant au commencement de 1788.

1306. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Ici commença, dans l’esprit du maréchal, une lutte morale sur laquelle il faudrait lui-même l’entendre : d’un côté, un ami, un bienfaiteur, le plus grand capitaine dont il avait été de bonne heure l’aide de camp et l’un des lieutenants préférés, mais ce grand capitaine, auteur lui-même de sa ruine, qui semblait déjà consommée ; de l’autre, un pays qui criait grâce, une situation politique désastreuse dont, plus éclairé que beaucoup d’autres, il avait le secret, et dont il envisageait toutes les extrémités. […] Cette lettre, qui ne fut point envoyée, ne paraîtra point invraisemblable à ceux qui connaissent Marmont ; et, si incohérente que puisse sembler cette double action, elle est peut-être ce qui exprimerait le mieux la lutte et la contradiction de ses pensées dans toute cette crise. […] tenait en ses mains la balance de nos destinées et semblait se plaire à prolonger l’incertitude. […] Il semblait naturellement être désigné pour la commander, et lui-même il se crut nommé jusqu’au jour où il vit le nom du général Bourmont, qui n’avait rien négligé pour le tromper, inséré, au lieu du sien, dans Le Moniteur 3. […] Il n’y trouva que l’officier de service, et c’est en ce moment qu’il dut, en ces circonstances critiques, improviser toute une organisation avec des moyens épars que la plus souveraine imprévoyance semblait avoir pris d’avance à tâche d’affaiblir.

1307. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Il semblait que j’eusse ébranlé l’État… La nouveauté du Barbier de Séville fut bien telle que Beaumarchais la définit ici. […] Le fond du Barbier est bien simple et pouvait sembler presque usé : une pupille ingénue et fine, un vieux tuteur amoureux et jaloux, un bel et noble amoureux au-dehors, un valet rusé, rompu aux stratagèmes, et qui introduit son maître dans la place, quoi de plus ordinaire au théâtre ? […] Cela semblait le seul beau rôle des gens comme il faut. […] Il y a des moments où il semble que la société tout entière réponde aux avis du docteur comme Figaro : « Ma foi ! […] Quand on relit aujourd’hui ou qu’on revoit Le Mariage de Figaro après toutes ces veines et toutes ces satires épuisées, voici ce qu’il semble.

1308. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Réduire le critique à n’être plus que le conseiller dogmatique, ou que le prophète enthousiaste, ou que le libelliste, ou même que le simple metteur en pages de documents, c’est, nous semble-t-il, comprendre imparfaitement ce rôle de critique. […] Mais, il semble bien qu’il en a toujours été ainsi. […] Il semble qu’il les réalisera en talent, sinon en idées. […] Paul Acker s’est soigneusement gardé dans ses Petites Confessions de tout dogmatisme et semble avoir voulu seulement passer pour un reporter. […] Conclusion Impressionniste et analytique, la critique nouvelle n’a pas de credo définitif ; cependant il semble qu’on pourrait obtenir d’elle une majorité sur le programme suivant : Retour à la raison, à la méthode, à la clarté, à la simplicité, Respect des traditions morphologiques de la langue, Guerre à l’esprit romantique.

1309. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Derrière ces femmes, debout, tout à fait sur le fond, trois vieillards dont deux conversent et semblent n’être pas d’accord. […] Doyen d’un effet plus piquant pour l’œil semble lui dire de se dépêcher, de peur que l’impression d’un objet venant à détruire l’impression d’un autre, avant que d’avoir embrassé le tout, le charme ne s’évanouisse. […] Mais comme presque tout le monde se connoit en poésie et que très peu de personnes se connoissent en peinture, il m’a semblé que Doyen avoit eu plus d’admirateurs que Vien. […] Il me semble, maître Vien, qu’appuié contre le pié d’estal, les yeux attachés sur Alexandre et pleins d’admiration et de regrets ; ou, si vous l’aimez mieux, la tête penchée, humiliée, pensive, et les bras admiratifs, il eût mieux dit ce qu’il avoit à dire. […] Il semble que la convenance du vêtement et du lieu demandoit un vêtement domestique.

1310. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

Boileau le cherche et le trouve souvent ; il semble venir au devant de Racine. […] Il semble qu’il n’y ait qu’un incident, un point remarquable ; c’est le sommet de la pyramide auquel on a tout sacrifié pour le faire saillir. […] Il y a un tableau de Vernet qui semble avoir été fait exprès pour être comparé à celui-ci, et apprécier le mérite des deux artistes. […] Il semble se proposer de grimper vers les arcades par un sentier coupé dans le roc, sur la rive du torrent. […] L’artiste semble s’être proposé à peu près le même local et les mêmes objets à éclairer de toutes les lumières différentes qu’il s’agit de distinguer avec du blanc, du brun et du bleu ; il n’a oublié que le feu.

1311. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Allons plus loin ; comparons le poète à lui-même dans le même ouvrage ; et quelque belle que soit la strophe que nous venons de citer, nous ne balancerons point à lui préférer la suivante, par cette seule raison que l’expression y est plus naturelle et moins étudiée : Ainsi de cris et d’alarmes Mon mal semblait se nourrir ; Et mes yeux noyés de larmes Étaient lassés de s’ouvrir. […] Il y a, ce me semble, du vrai et du faux dans cette maxime. […] Ainsi (ce qui semblera paradoxe, sans en être moins vrai) les règles de l’élocution ne sont nécessaires que pour les morceaux qui ne sont pas proprement éloquents, et où la nature a besoin de l’art. […] Le caractère de l’éloquence de Cicéron est, ce me semble, la réunion toujours heureuse de la facilité et de l’harmonie. […] Ces missionnaires semblent du moins pénétrés de ce qu’ils annoncent ; et leur élocution brusque et grossière produit son effet sur l’espèce d’hommes à qui elle est destinée4.

1312. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Le pouvoir qu’il attaquait était odieux et suranné ; les étrangers qu’il avait à combattre, les cinq armées germaniques vaincues l’une après l’autre sur tous les points de l’Italie, semblaient un dernier reste de ces anciennes irruptions du Nord, que rejetait au-delà des monts quelque général romain revenu à la hâte de la Gaule Narbonnaise ou de la Grèce, un Marius, un Bélisaire. […] Au terme de nos courses diverses dans le passé, avant de quitter tant de grands souvenirs, n’avons-nous pas quelques regards à jeter sur le monde actuel et ce qu’il offre encore d’imagination élevée et d’enthousiasme, au-delà du cercle d’or et de fer dont il semble de toutes parts s’environner ? […] Brillante d’une beauté qui semblait le voile transparent de son génie, parée pour les yeux espagnols d’une grâce à la fois nationale et demi-étrangère, respirant surtout dans son talent la grandeur et la force, mais y mêlant ce goût de pureté, cette correction sévère trop rare en Espagne pour ne pas sembler originale, elle étonna, elle charma tous ceux qui l’entendirent. […] La sainte majesté du sujet, la gravité de l’affliction chrétienne, élèvent ici le talent du poëte et lui donnent, dans l’expression et dans la mélodie, un calme de douleur et de foi dont la simplicité presque intraduisible semble une voix mystique entendue dans un songe, mais qu’on ne peut retrouver.

1313. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVI » pp. 147-152

Je crois qu’il serait injuste d’imputer le scepticisme réel aux principaux éclectiques de l’école : ils ont sur deux ou trois points des convictions, des principes ; ils ont foi intellectuellement à la liberté humaine et au spiritualisme de l’âme ; mais, à part ces quelques points, le reste est court et le symbole intérieur pourrait sembler bien flottant. […] … Pour nous, il nous semble que ce second cartésianisme restauré et artificiel, qui voudrait donner le bras aux stoïques comme du temps de Bossuet, ne serait en réalité qu’un compagnon habile qui, tout en respectant l’autre, finirait (j’en demande bien pardon) par. le dévaliser.

1314. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LX » pp. 231-236

Si quelque chose pouvait faire douter à jamais en France de la reprise possible de l’art dramatique, ce serait la passion croissante de ces représentations judiciaires : le théâtre n’a plus rien à faire, ce semble, qu’à leur ressembler : ce qu’il fait. […] Cette conclusion pouvait sembler dans le goût de celles de M.

1315. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laforgue, Jules (1860-1887) »

Si Baudelaire l’étonna, de Nerval l’attendrit ; si Sterne lui sembla certainement exquis, Cervantès dut lui paraître prodigieux, et, enfin, c’est Henri Heine, je pense, qui le dut initier à certaines délicatesses cruelles. […] Maurice Maeterlinck Il semble qu’avant Laforgue on n’ait jamais osé danser ni chanter sur la route de la vérité.

1316. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Georges de Bouhélier (1876-1947) »

Maurice Le Blond C’est précisément à cause de sa vision générale de l’univers, que M. de Bouhélier ne s’est pas limité à ce strict impressionnisme littéraire, où semblent se complaire les jeunes hommes actuels. […] Il serait temps, semble-t-il, que l’homme capable d’écrire cent lignes comme celles-là voulût bien surseoir à ses méditations éthiques et esthétiques et parfaire l’œuvre qu’il nous doit.

1317. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Louise Labbé, et Clémence de Bourges. » pp. 157-164

en moi il semble qu’il s’augmente Avec le temps, & que plus me tourmente. […] Et guidera Folie l’aveugle Amour, & le conduira par tout où bon lui semblera ; &, sur la restitution de ses yeux, après en avoir parlé aux Parques, en sera ordonné. » Clémence de Bourges mêla dans toutes ses critiques beaucoup de personnalités.

1318. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Les manguiers ont donné douze fois leurs fruits, et les orangers vingt-quatre fois leurs fleurs, depuis que je suis au monde. » Leur vie semblait attachée à celle des arbres, comme celle des faunes et des dryades. […] De même, quand l’écho me fait entendre les airs que tu joues sur ta flûte, j’en répète les paroles au fond de ce vallon… …………………………………………………………………………………………… Je prie Dieu tous les jours pour ma mère, pour la tienne, pour toi, pour nos pauvres serviteurs ; mais quand je prononce ton nom, il me semble que ma dévotion augmente.

1319. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Carle Vanloo » pp. 183-186

Il me semble que la jeunesse, l’innocence, la gaieté, la légèreté, la mollesse, un peu de tendre volupté devaient former leur caractère. […] car voilà, ce me semble, la vraie gymnastique de Cythere, l’éducation que Venus donne à ses enfants.

1320. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

S’il allume du feu, c’est à l’endroit où son éclat semblerait devoir éteindre le reste de la composition. […] J’entendis un spectateur d’un de ces tableaux qui disait à son voisin : Le Claude Lorrain me semble encore plus piquant ; et celui-ci qui lui répondit : D’accord, mais il est moins vrai.

1321. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

Il est facile de concevoir comment les travaux du corps, même ceux qui semblent demander le moins d’application, ne laissent pas d’occuper l’ame. […] Le changement de travail et de plaisir remet en mouvement les esprits qui commencent à s’appesantir : ce changement semble rendre à l’imagination épuisée une nouvelle vigueur.

1322. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 50, de la sculpture, du talent qu’elle demande, et de l’art des bas-reliefs » pp. 492-498

En effet, la poësie et les expressions en sont aussi touchantes que celle du tableau où Raphaël a traité le même sujet, et l’execution du sculpteur, qui semble avoir trouvé le clair-obscur avec son cizeau, me paroît d’un plus grand mérite que celle du peintre. […] Avec deux ou trois pouces de relief, ils font des figures qui paroissent de ronde bosse, et d’autres qui semblent s’enfoncer dans le lointain.

1323. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Cependant il y a des clichés où tous les mots semblent vivants : une rougeur colora ses joues ; d’autres où ils semblent tous morts : il était au comble de ses vœux.

1324. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame de La Fayette ; Frédéric Soulié »

D’un autre côté, que madame de la Fayette fût de l’hôtel de Rambouillet et portât des jupons musqués de peau d’Espagne, la quintessence du goût dans une si délicate créature ne pouvait aller jusqu’au faux et au violent, et l’aurait, à ce qu’il nous semble, empêchée d’écrire l’épisode de la chemise, au madrigal sanglant, qui touche à l’impudeur, et qui est bien plus une idée du temps d’Henri IV qu’une idée du temps de Louis XIV. […] Les Mémoires en question, les autres romans de l’auteur, ces drames de toute forme, très intrigués et dans lesquels les événements semblent des nœuds gordiens impliqués les uns dans les autres, frappèrent à poing fermé sur l’imagination d’une époque qui avait ressenti les étincelantes secousses du Romantisme.

1325. (1864) Le roman contemporain

Il m’a semblé que le labeur que j’avais entrepris deviendrait, par sa généralité même, plus utile. […] Tout semble combiné pour l’aggraver. […] Il semble que la voix du poète crie : “Voici les vengeurs !” […] Il semblait donc que, pour l’Académie, le moment fût venu de lui tendre la main. […] Son âme semblait conquise au mal, à la colère, à la haine.

1326. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

On ne s’explique vraiment pas l’espèce de crédit que semble conserver encore le recueil de La Beaumelle. […] Et il a vu d’autre part que, dans tous les camps, on semblait prendre à tâche de compromettre le succès de cette conciliation. […] » Mieux que celai puisqu’il semble que ce fût un « observateur fidèle des traditions de ses pères ». […] Un dernier fait au surplus semble bien prouver que le parlement agissait dans la plénitude indiscutable de sa compétence. […] » Vous lui demanderez donc en vain ce qu’il semble pourtant que la critique d’art devrait s’efforcer de nous apprendre.

1327. (1927) André Gide pp. 8-126

» Certaines de ces phrases semblent annoncer M.  […] André Gide semble s’associer aux sentiments de M.  […] Bernard Profitendieu, qui semble ici le porte-parole de M.  […] Il expose, en outre, qu’il a dissocié l’amour et le plaisir, dont l’union lui semble une erreur, et peu s’en faut qu’il ne dise une aberration romantique. […] Enfin, souhaitons que ce soit sérieux et définitif, quoique certains passages semblent indiquer que M. 

1328. (1930) Le roman français pp. 1-197

Il semble en entendre l’écho dans les suprêmes œuvres de Maupassant. […] Il se concentre autant que Proust semble se plaire à se disperser. […] Il semble que cela le fatigue d’être amusant. […] Tout ce qu’on peut regretter, ce semble, c’est que M.  […] Mais nul ne semble y songer.

1329. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

Nous quittons ici la conscience qui ne peut plus nous rien apprendre et nous allons sur l’autre continent pour voir si l’anatomie et la physiologie ne nous montreront pas, sur leur terrain propre, quelque roche prolongée qui se relie au nôtre, au fond de la mer obscure qui semble séparer à jamais les deux pays. […] Mais nos microscopes ne sont pas aussi bons que le sien, et ce qu’ils nous apprennent semble fait pour nous décourager autant que pour nous instruire. […] Dès lors, nous comprenons la diversité de nos sensations totales, leur composition infiniment complexe, leur division en familles ou (espèces qui nous semblent irréductibles l’une à l’autre. […] Cela admis, on comprend en quoi consiste le souvenir, surtout le souvenir d’un événement ancien, notamment le souvenir qui semble avoir péri et qui ressuscite tout d’un coup, précis et complet, après dix ou vingt ans d’intervalle. […] Rien, il me semble, ne démontre mieux que cette expérience, et l’absence réelle de perception, et l’absence de tout phénomène intellectuel, et l’absence de la volonté.

1330. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

il faut avoir ton âme pour écrire des choses qui vont si bien au cœur, sans le vouloir, à ce qu’il semble. […] En avançant dans le récit d’une vie, ces sortes de confidences, moins essentielles, moins gracieuses, nous semblent aussi moins permises. […] Sans nier la sensation, trop grand physicien pour cela, sans la méconnaître dans toutes ses variétés et ses nuances, combien il était propre, ce semble, entre M. de Tracy et M. de Biran à intervenir avec l’intelligence 121, et à remeubler ainsi l’âme de ses concepts les plus divers et les plus grands ! […] Ampère parle d’une difficulté première qui lui semblait insurmontable, et dont M. le chevalier de Biran lui fournit la solution. […] Ampère, au Collège de France, aborda la psychologie, peuvent seuls dire combien, dans sa description et son dénombrement des divers groupes de faits, l’intelligence humaine leur semblait tout autrement riche et peuplée que dans les distinctions de facultés, justes sans doute, mais nues et un peu stériles, de nos autres maîtres.

1331. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Ce moment fut affreux, et quand, vers le matin, je me jetai épuisé sur mon lit, il me sembla sentir ma première vie, si riante et si pleine, s’éteindre, et derrière moi s’en ouvrir une autre sombre et dépeuplée, où désormais j’allais vivre seul, seul avec ma fatale pensée qui venait de m’y exiler et que j’étais tenté de maudire… Si M.  […] Mignet de dire toutes ces choses, et peut-être même ne les a-t-il jamais sues qu’à peu près : car, homme de mérite et d’un talent supérieur, il a la faculté, ce me semble, de ne voir qu’imparfaitement tout ce qui ne se passe pas en plein sous son regard ; ce qui aide fort à la sérénité. […] Dans le dernier discours sur Jouffroy, il me semble avoir sacrifié plus que d’ordinaire à la mise en scène ; il y a mêlé un but étranger au sujet même qu’il étudiait ; il a voilé en un sens et drapé son personnage ; il a pris parti, plus finement qu’il ne convient, pour la malice et la rancune des grands sophistes et des grands rhéteurs dont l’histoire sera un jour l’un des curieux chapitres de notre temps, intolérants et ligués comme les encyclopédistes, jaloux de dominer partout où ils sont, et qui, depuis que l’influence décidément leur échappe, s’agitent en tous sens pour prouver que le monde ne peut qu’aller de mal en pis. […] Or, voici sur ce point ce qui me semble : Supposez un homme assis au bord d’une rivière ou au bassin d’une source, qui s’appliquerait à considérer avant tout la réflexion des objets dans l’eau, à en saisir tous les reflets, les nuances, à en déterminer les rapports, les plans, les perspectives et les profondeurs apparentes ; que penseriez-vous de cet homme s’il posait comme premier principe que les reflets qu’il observe n’ont rien de commun avec les objets du rivage, avec l’état des bords ou du fond, que son étude ne se rattache en rien à cette partie de la physique qu’on appelle l’optique, et qu’il n’a rien de mieux à faire que de s’en passer ?

1332. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Villehardouin fut un des deux commissaires nommés par le comte de Champagne, lequel semblait désigné pour être le chef de la croisade s’il avait vécu. […]  » Là y eut si grand bruit et si grande noise qu’il semblait vraiment que toute terre tremblât ; et quand ce bruit fut apaisé, Henri (Dandolo), le bon duc de Venise, monta au lutrin et, parlant au peuple, leur dit : « Seigneurs, voilà un très grand honneur que Dieu nous fait, quand les meilleurs et les plus braves gens du monde ont négligé toute autre nation et ont requis notre compagnie pour une si haute cause que la vengeance de Notre-Seigneur. » Cette scène si parlante et si pathétique, précédée par un traité de commerce et de conquête en commun, si bien conçu et si sagement combiné, peint l’esprit d’un gouvernement et d’un peuple. […] Cette armée de pèlerins, formée en vue de conquérir la Palestine, va se trouver subsidiairement engagée à des expéditions d’un autre ordre et qui la détourneront de son but : il semble donc qu’il y a une raison morale, et peut-être un devoir chrétien, de se dérober à ces incidents successifs qui allongent le chemin et qui profanent l’épée. […] Quant à Villehardouin, toujours dévoué au bien commun et à l’union de l’armée qui lui semble le premier des devoirs, il représente à merveille ce composé de bon sens, d’honneur et de piété qui consiste à remplir religieusement les engagements de tout genre, même humains, une fois contractés ; en chaque occurrence, il tâche, entre les divers partis proposés, de se tenir au meilleur ; et, s’il y eut une sorte de moralité dans l’esprit et la suite de cette croisade si étrange par ses conséquences, c’est en lui et autour de lui qu’il faut la chercher.

1333. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

J’aime ce titre donné à des fragments de mémoires : Histoire de ma jeunesse ; il me semble que ce n’est guère qu’ainsi et dans cette mesure que chacun devrait écrire les siens. […] Par cette lettre d’avances et de bienvenue qui allait prendre le nouvel arrivé au port, le premier il semblait convier Arago à cette renommée scientifique universelle dont lui-même il n’a pas cessé d’être la personnification la plus illustre et par moments le maître des cérémonies un peu empressé, dont ils parurent quelquefois ensemble les deux consuls perpétuels, et qui a bien ses douceurs, mais aussi ses écueils. […] Il me semble, à lire ces éloges qu’ont donnés au grand mécanicien Watt les meilleurs critiques littéraires de son pays, qu’il y avait là occasion tout naturellement de montrer par cet exemple qu’aucune incompatibilité absolue n’existe entre les dons du génie industriel et les qualités de culture classique excellente. […] Il me semble que lorsqu’on vient de lire chez M. 

1334. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Pourtant le cercle de ses correspondants ne semble guère d’abord s’élargir ni se varier beaucoup. […] C’est joli, mais il me semble que la vraie mesure n’est pas où la met cet homme d’esprit, et de doctrine un peu trop idéale : Racine, par exemple, était un génie religieux et croyant, et nul n’a été plus que lui sensible et susceptible ; il était un amour-propre plus vulnérable que Molière ou Shakespeare. […] Autant qu’il m’est permis d’avoir un avis en telle matière, je ne trouve pas que Buffon ait en rien manqué à la reconnaissance ni à l’hommage qu’il leur devait, et que, ce me semble, il leur a très équitablement payés en temps et lieu convenable : ce qui n’empêche pas qu’après coup il ne soit intéressant de se rendre mieux compte des services qu’il a dus à chacun d’eux. […] Ces deux esprits éminents avaient, évidemment, rencontré l’un dans l’autre la forme d’idéal qui leur était la plus chère, et ils y abondent ; ils s’en donnent à cœur joie ; ils sont si naturellement à leur hauteur, qu’ils ne semblent pas se douter qu’ils se guindent.

1335. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Quoiqu’avec un talent qui semblait excéder son cadre (ce qui n’est jamais un mal), M.  […] Ce fut vers 1833 ou 1834, ce me semble ; mais quel jour ? […] Celui de madame de Boigne me semble moins bien traité et trop peu étudié : cette personne rare, d’un esprit si ferme et si juste avec tant de tour et de délicatesse, méritait mieux. […] Que dites-vous de cette vigueur, qui semble plus près de s’assouplir que de se casser avec les années ?

1336. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

D’une telle éducation, avec un prince qui était plein de zèle, d’émulation et d’esprit, il dut résulter, ce semble, une merveille, et en effet tous les contemporains et les proches témoins qui nous ont entretenus du duc de Bourgogne n’ont pas manqué de crier à la merveille ! […] avec un esprit si distingué, ce semble, si pénétrant et si zélé, le duc de Bourgogne ne sentit jamais le besoin de ne plus marcher à la lisière. […] » « Le plus souvent pourtant, c’est Fénelon qui est le militaire, et le prince semble le prêtre. […] Il semble qu’il grossisse sa voix pour l’obliger d’avoir du cœur.

1337. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Si nous avions été prudents et sages, si une première chevalerie ne nous avait pas emportés, ou si nous avions su y joindre (ce qui semble contradictoire et presque impossible, ce qui pourtant ne l’est pas absolument) une clairvoyance rapide et positive, nous serions moins déçus et moins étonnés après coup. […] Grenier, quand il fera réimprimer son excellent livre, nous doit, ce me semble, un court résumé historique de tout ce passé, un chapitre narratif où se dessineraient quelques figures originales de philhellènes : je vois d’ici sous sa plume trois beaux portraits aussi peu semblables entre eux que possible, mais dignes d’être réunis et rapprochés sous une même invocation et à un même titre de pieuse reconnaissance : lord Byron, le banquier genevois Eynard et le colonel Fabvier, trois types de cœurs passionnés, dévoués et sans réserve aucune au service de la même cause. […] En général il semble reconnu de la plupart des critiques qu’Homère est un excellent peintre d’après nature, qu’il décrit tout pour l’avoir vu ou comme s’il l’avait vu, les lieux, les rivages, les navigations et les manœuvres de la marine, la guerre jour par jour et ses opérations. […] Homère a voyagé, a observé de ses yeux tout ce qu’il a décrit, l’a exprimé au naturel, et a rendu toute chose avec une telle vérité, qu’il semble avoir tout vu et presque avoir tout été lui-même.

1338. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

À la longue, le simple plaisir cesse de plaire, et, si agréable que soit la vie de salon, elle finit par sembler vide. […] Et le narrateur ajoute avec admiration : « Il me semble toujours voir un bon cultivateur et son excellente compagne en proie au plus affreux désespoir de la perte de leur fils chéri ». […] Enfermés dans leurs châteaux et leurs hôtels, ils n’y voient que les gens de leur monde, ils n’entendent que l’écho de leurs propres idées, ils n’imaginent rien au-delà ; deux cents personnes leur semblent le public  D’ailleurs, dans un salon, les vérités désagréables ne sont point admises, surtout quand elles sont personnelles, et une chimère y devient un dogme parce qu’elle y devient une convention. […] Se commettre avec des crocheteurs et des harengères, se colleter au club, improviser dans les carrefours, aboyer plus haut que les aboyeurs, travailler de ses poings et de son gourdin, comme plus tard la jeunesse dorée, sur les fous et les brutes qui n’emploient pas d’autres arguments et auxquels il faut répondre par des arguments de même nature, monter la garde autour de l’Assemblée, se faire constable volontaire, n’épargner ni sa peau ni la peau d’autrui, être peuple en face du peuple, voilà des procédés efficaces et simples, mais dont la grossièreté leur semble dégoûtante.

1339. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Cela lui semblait un devoir de son nom. […] « — Puisque vous me le dites vous-même, lui répliquai-je, je ne vous dissimulerai pas qu’en effet le vote et la conduite parlementaire d’un homme de votre loyauté et de votre importance me semblent inexplicables dans les circonstances où la monarchie des Bourbons, vos amis, se trouve engagée. […] Je trouvai cette explication confidentielle aussi subtile que l’adresse elle-même des 221 me semblait périlleuse. […] Mathieu de Montmorency, qui vivait alors séparé de sa femme, la vit et s’enthousiasma pour cette incomparable et énigmatique beauté d’un amour qu’il se déguisa à lui-même sous l’apparence d’une passion innocente, parce qu’elle lui semblait immatérielle.

1340. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Par la forme même de son livre, par la disposition typographique qui, isolant chaque pensée, nous la présente comme souverainement importante et nous la propose pour sujet de méditation, l’auteur semble prendre envers nous cet engagement que chacun de ces brefs alinéas supposera et résumera une masse considérable d’observations particulières, en contiendra tout le suc, sera l’équivalent d’un roman, d’une comédie, tout au moins d’un sermon ou d’une chronique. […] » Pourtant la plupart des maximes, quand elles ne sont pas tout à fait misérables, semblent tout de suite piquantes et ingénieuses — justement parce qu’elles ont un petit air d’oracle, parce qu’on nous les jette à la tête sans explications et sans preuves, parce qu’elles sont, pour ainsi dire, coupées de leurs racines. […] Faites-y attention : toutes ces silhouettes successives semblent des visions d’un peintre raffiné et hardi. […] Il y a de l’infini et du lointain dans cette mélopée imperturbable et limpide ; cela semble venir en effet du pays des neiges et des steppes démesurées.

1341. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Zola, d’écrire des romans qui sont en même temps réalistes et romanesques, et qui ne semblent romanesques que parce qu’ils sont très sincèrement et très profondément réalistes. […] A Lyon, où il fait souvent l’école buissonnière et passe des journées dans les bois ou le long de l’eau ; au collège de Sarlande, où il invente des histoires pour les « petits », à Paris même, où, fraîchement débarqué, de ses yeux de myope encore tout pleins de songerie, il s’essaye à regarder ce monde nouveau qu’il peindra si bien, le petit Chose, délicat et joli comme une fille, timide, fier, impressionnable, distrait, continue de rêver effrontément, fait des vers sur des cerises, des bottines et des prunes, chante le rouge-gorge et l’oiseau bleu, soupire le Miserere de l’amour, et adresse à Clairette et à Célimène des stances cavalières qui semblent d’un Musset mignard et où l’ironie, comme il convient, se mouille d’une petite larme. […] Il en est de plus complexes et où la part de l’invention semble plus grande, car elle ne consiste plus uniquement dans la découverte et dans le choix des « documents », mais encore dans leur combinaison. […] Il y a eu, semble-t-il, dans le roman, une baisse du « pathétique » proprement dit par l’envahissement de la physiologie et par la défaveur où est tombé le libre arbitre.

1342. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Bien différent de Retz, qui semble amuser sa vieillesse du récit de toutes ces complications où il avait été si activement mêlé, La Rochefoucauld se travaille pour leur donner les proportions d’événements généraux et il écrit des mémoires sur le ton de l’historien. […] On nous montre une pensée qui nous semble admirablement exprimée. […] Il semble que La Rochefoucauld eût voulu d’abord décharger son cœur, et qu’il eût écrit cette diatribe sous l’impression récente des ravages de l’amour-propre au temps de la Fronde. […] La Rochefoucauld lui-même semble nous inviter à faire cette substitution, lorsque, dans telle de ses maximes, la dixième, par exemple, il remplace, dès la deuxième édition, toujours par l’expression atténuante presque toujours.

1343. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

 » Après un acte si rigoureux qu’elle laissait accomplir par crainte du scandale, et pour mettre son honneur au-dessus de toute atteinte et de tout soupçon, Marie Stuart n’avait, ce semble, qu’un parti à prendre, c’était de rester la plus sévère et la plus vertueuse des princesses. […] Une telle conduite et de tels actes, qui se couronnèrent par sa fuite inconsidérée en Angleterre et par l’imprudent abandon de sa personne aux mains d’Élisabeth, semblent bien peu propres à faire de Marie Stuart l’héroïne touchante et pathétique qu’on est accoutumé de chérir et d’admirer. […] Elle s’arrêta à la touchante histoire du bon Larron, qui lui sembla le plus rassurant exemple de la confiance humaine et de la clémence divine, et dont Jeanne Kennedy (l’une de ses filles) lui fit lecture : « C’était un grand pécheur, dit-elle, mais pas si grand que moi ; je supplie Notre-Seigneur, en mémoire de sa Passion, d’avoir souvenance et merci de moi comme il l’eut de lui à l’heure de sa mort. » — Ces sentiments vrais et sincères, cette humilité contrite de ses derniers et sublimes moments, cette intelligence parfaite et ce profond besoin du pardon, ne laissent plus moyen de voir en elle aucune tache du passé qu’à travers les larmes. […] Ayant à raconter dans ses Recherches la mort de Marie Stuart, il l’oppose à l’histoire tragique du connétable de Saint-Pol, à celle du connétable de Bourbon, qui lui ont laissé un mélange de sentiments contraires : « Mais en celle que je discourrai maintenant, dit-il, il me semble n’y avoir que pleurs, et, par aventure, se trouvera-t-il homme qui, en lisant, ne pardonnera à ses yeux. » M. 

1344. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Si, en louant de lui cette page d’alors, on semble retirer beaucoup au romancier, ce n’est que pour accorder d’autant plus au critique. […] Ils sont partis, ce semble, pour une promenade au bois ; mais, à eux comme à l’auteur, l’idée vient en marchant, et ils vont plus loin sans songer seulement à se retourner et sans s’être dit qu’ils iraient plus loin. […] Le matin, ce sont d’autres prodiges encore : les béliers et chèvres, qui sont à bord sur le pont, ont l’air de bondir, portant aux cornes des rameaux de lierre avec leurs grappes : Chloé elle-même semble couronnée de branchages de pin, et une flûte de berger qui se fait entendre d’une roche voisine résonne comme ferait une trompette de guerre. […] Ce même dieu Pan semble avoir donné quelque chose de cette trépidation prestigieuse aux objets et aux personnages du xviiie  siècle, tels qu’ils se réfléchissent dans la pastorale de M. 

1345. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Au premier abord, ces Mémoires de Cosnac plaisent assez peu et semblent ne répondre qu’imparfaitement à la réputation de l’auteur : ce n’est que peu à peu, en avançant, ou quand on les a quittés, qu’on s’aperçoit qu’ils ont augmenté nos connaissances sur bien des points et enrichi notre jugement. […] Il est convenu aujourd’hui de le nier, et il semble établi de dire quelle est morte d’un choléra-morbus. L’autopsie officielle, en partie exigée par la politique, sembla le constater, et on insista fort sur les lésions profondes de constitution, que recouvrait cette enveloppe gracieuse. […] Louis XIV, en se liant avec elle d’une amitié si vraie et qui avait dominé l’amour, semblait avoir voulu s’attacher à régler cet heureux naturel et à lui donner de ses propres qualités : « il la rendit en peu de temps une des personnes du monde les plus achevées ».

1346. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Ce dernier mot, à peine, qui semblait laisser une légère lueur d’espérance, était, à la date de 1776, une pure politesse. […] On conçoit bien cette prédilection de Franklin pour le monde lettré d’Édimbourg ; il a en lui de cette philosophie à la fois pénétrante et circonspecte, subtile et pratique, de cette observation industrieuse et élevée ; comme auteur d’essais moraux, et aussi comme expérimentateur et physicien, comme expositeur si clair et si naturel de ses procédés et de ses résultats, il semble que l’Écosse soit bien sa patrie intellectuelle. […] Il sent bien que c’est là le côté faible de la démocratie et de la forme de gouvernement qui en découle ; il le redira à la fin de sa vie et quand l’Amérique se sera donné sa Constitution définitive (1789) : « Nous nous sommes mis en garde contre un mal auquel les vieux États sont très sujets, l’excès de pouvoir dans les gouvernants ; mais notre danger présent semble être le défaut d’obéissance dans les gouvernés. » Enfin, au milieu des luttes politiques déjà très vives que Franklin a à soutenir dans la Chambre et dans les élections de Philadelphie, survient la nouvelle du fameux acte du Timbre (1764). […] Le nouveau ministère du marquis de Rockingham semblait s’adoucir pour l’Amérique et se décider à lui donner quelque satisfaction en retirant l’acte du Timbre : Franklin fut mandé devant la Chambre pour répondre à toutes les questions qui lui seraient faites, tant sur ce point particulier que sur la question américaine en général, soit de la part des ministres anciens et nouveaux, soit de la part de tout autre membre du Parlement.

1347. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Il n’est pas téméraire, semble-t-il, de penser que plus d’un de ces morts volontaires que l’on invoque a pour cause une suggestion de la coutume, qui, déplaçant le centre de gravité de l’individu, le contraint à se concevoir très différent de ce qu’il est : il sacrifie alors, de la façon la plus tragique, à cette fausse conception de soi-même sa propre personne et son instinct de conservation le plus fort. […] Il semble, durant cette première période de la vie humaine, que l’effort héréditaire employé tout entier à composer le squelette, les tissus et les nerfs, et, d’une façon générale, l’être physiologique, soit impuissant alors à opposer une résistance importante, en ce qui touche à la mentalité, aux images-notion suscitées par le milieu. […] Quelques esprits réservés et modestes ne se hasardent point à considérer des matières aussi subtiles et leur silence semble un aveu de sa supériorité. […] Il a semblé qu’en rattachant à ce cas général cette forme ancienne de la présomption à laquelle l’esprit contemporain a ajouté une nuance, qu’en montrant la source profonde où le snobisme se forme, les définitions qui en ont été données jusqu’ici recevraient quelque précision.

1348. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Elle ne semble intelligible que si, par une inconsciente prestidigitation intellectuelle, on passe instantanément du réalisme à l’idéalisme et de l’idéalisme au réalisme, apparaissant dans l’un au moment précis où l’on va être pris en flagrant délit de contradiction dans l’autre. […] Que l’ébranlement cérébral contienne virtuellement la représentation du monde extérieur, cela peut sembler intelligible dans une doctrine qui fait du mouvement quelque chose de sous-jacent à la représentation que nous en avons, un pouvoir mystérieux dont nous n’apercevons que l’effet produit sur nous. […] Il faut donc bien, semble-t-il, que mon corps, ou quelque partie de mon corps, ait la puissance d’évoquer les autres images. […] Rien ne l’empêchera, semble-t-il, de considérer la représentation des objets extérieurs comme impliquée dans les modifications cérébrales.

1349. (1887) La banqueroute du naturalisme

Zola n’a pas seulement encore terminé la publication du roman, que déjà La Terre, en achevant de déclasser le romancier, semble avoir achevé du même coup de disqualifier le naturalisme. […] Zola veut s’en rendre compte, qu’il le compare au surplus, je ne dis pas même avec ceux de Balzac ou de George Sand, lesquels sont un peu romantiques ou romanesques, mais avec ceux de l’écrivain qu’il semble en vérité s’être proposé de ressusciter parmi nous, ce Restif de la Bretonne de qui nous l’avons plus d’une fois rapproché. […] Il nous avait semblé qu’au lieu de se servir de la nature, comme nos romantiques, pour la défigurer, peut-être serait-on tenté de l’imiter de plus près, de l’étudier plus consciencieusement, avec plus d’amour et de naïveté, de l’exprimer enfin plus fidèlement ; et ainsi qu’on pourrait rendre à l’art, avec son véritable objet, son inépuisable matière. […] Mais quiconque en ce temps-là se permettait d’y voir et d’y reprendre cette même grossièreté de langage, ou cette même insuffisance et banalité de l’observation, ou ce même manque enfin de sens moral, dont il semble que tout le monde s’aperçoive aujourd’hui, celui-là se faisait, en moins de vingt-quatre heures, une solide réputation d’étroitesse et de timidité d’esprit.

1350. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

La primauté de l’Orient pour les choses d’imagination semble si naturelle qu’elle fut longtemps exclusive, et qu’on ne songeait pas même à en faire la remarque. […] Ce fut celle de Gray, parvenu à une gloire éminente, dans le siècle dernier, avec de rares et courts essais de poésie, et célèbre encore de nos jours, après le grand éclat de poésie moderne qui lui a succédé et qui semblait devoir l’ensevelir. […] De retour dans sa patrie, dans la philosophique et opulente Angleterre, à l’époque même où les lettres accréditées y conduisaient au pouvoir, où les hommes d’État étaient de grands orateurs, William Pitt, Fox, Burke, où les lettrés se mêlaient partout aux affaires, Gibbon, Shéridan, Glover, Macpherson, il vécut loin du parlement, loin du monde, dans la modeste chambre d’un collège, où il semblait perpétuer la vie laborieuse d’étudiant, et d’où il s’échappait quelques mois, chaque année, pour voyager dans son pays, en étudier les beautés naturelles, les vieux monuments, et renouveler en soi la religion de la patrie comme celle de la science. […] Il n’y aura pas sans doute ici ce qui semble avoir été le caractère de Pindare, cette abondance naturelle de génie, cette âme ouverte de toutes parts à la poésie et retentissante comme le sanctuaire harmonieux d’Apollon.

1351. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

On en retrouve trace et témoignage dans le présent volume ; cette âme semble tout à fait vouée à aimer sans être aimée, sans trouver de juste réponse dans l’objet de son erreur. […] Quant à elle-même, portant et cachant son mal, ce mal, dit-elle, dont on n’ose souffrir, dont on n’ose ni vivre ni mourir, elle découvre tout au fond de son cœur, un jour, qu’il n’y a qu’un remède, un consolateur ; et comme elle a en elle de cette flamme et de cette tendresse qui transportait les Thérèse et les Madeleine, comme elle a sucé la croyance avec le lait, elle regarde enfin là où il faut regarder, et elle s’écriera dans des stances qui se peuvent lire, ce me semble, après certain sermon de Massillon : La couronne effeuillée J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée Au jardin de mon père où revit toute fleur ; J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée : Mon père a des secrets pour vaincre la douleur. […] que leur grâce profonde, Comme un aimant d’espoir, semble attirer nos yeux.

1352. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

Note J’ai peu à ajouter à ces articles au point de vue littéraire, et toute la gamme des sentiments du critique, depuis l’enthousiasme premier jusqu’au temps d’arrêt et à la résistance finale, vient d’être, ce me semble, parcourue et comme épuisée. […] J’étais sorti dimanche 16 avril (1848) à deux heures, au moment où l’on battait le rappel et où le gouvernement semblait gravement menacé. […] — Je rentrai tout ému de cette rencontre. » Il me semble maintenant que j’ai tout dit, et même un peu plus peut-être qu’il ne faut.

1353. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

Il me semble qu’il introduirait fort bien le livre dans le monde, et qu’il ne ressemblerait point du tout à ces fades avis d’éditeur fabriqués par l’auteur même, et qui font mal au cœur. […] Nous ne saurions rien, de l’auteur anonyme des Soirées de Rothaval, sinon, qu’il nous semble un esprit droit, scrupuleux et lent, un homme religieux et instruit ; mais une petite brochure publiée en 1839, et qui a pour titre : M. le comte Joseph de Maistre et le Bourreau, nous indique M.  […] Joseph de Maistre injuste dans sa critique et dépassant presque toujours le but qu’il voulait atteindre, parce que, pour ne suivre que les inspirations de la raison, il lui aurait fallu avoir dans l’esprit plus de calme qu’il n’en Avait. »  — Ce sont là des truisms, comme disent les Anglais, et il semble que le réfutateur ait voulu infliger cette pénitence à l’impatient et paradoxal de Maistre, de ne pas les lui ménager.

1354. (1890) L’avenir de la science « VI »

Pourquoi ne semble-t-elle qu’un passe-temps ou un hors-d’œuvre ? […] Il semble pourtant que le peu d’importance que l’on attache parmi nous à l’enseignement supérieur, le manque total de quelque institution qui corresponde à ce que sont les universités allemandes en soient une des principales causes 61. […] À Dieu ne plaise que nous cherchions à rabaisser ces nobles et utiles fonctions qui préparent des esprits sérieux à toutes les carrières ; mais il convient, ce semble, de distinguer profondément la science de l’instruction et de donner à la première, en dehors de la seconde, un but religieux et philosophique.

1355. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXV. Mort de Jésus. »

Le nom de Golgotha signifie crâne ; il correspond, ce semble, à notre mot Chaumont, et désignait probablement un tertre dénudé, ayant la forme d’un crâne chauve. […] Il semble que Simon fut plus tard de la communauté chrétienne. […] Golgotha, en effet, semble n’être pas sans rapport avec la colline de Gareb et la localité de Goath, mentionnées dans Jérémie, XXXI, 39.

1356. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

« Quoique cet Ouvrage, dit un des* Panégyristes de Fénélon, semble écrit pour la jeunesse, & particuliérement pour un Prince, c’est pourtant le Livre de tous les âges & de tous les esprits. […] Là, se fait sentir davantage ce genre d’éloquence qui est propre à Fénélon ; cette onction pénétrante, cette élocution persuasive, cette abondance de sentiment qui se répand de l’ame de l’Auteur, & qui passe dans la nôtre ; cette aménité de style qui flatte toujours l’oreille, & ne la fatigue jamais ; ces tournures nombreuses où se développent tous les secrets de l’harmonie périodique, & qui, pourtant, ne semblent être que les mouvemens naturels de sa phrase & les accens de sa pensée ; cette diction, toujours élégante & pure, qui s’éleve sans effort, qui se passionne sans affectation & sans recherche ; ces formes antiques qui sembleroient ne pas appartenir à notre langue, & qui l’enrichissent sans la dénaturer ; enfin cette facilité charmante, l’un des plus beaux caracteres du génie, qui produit de grandes choses sans travail, & qui s’épanche sans s’épuiser ». […] Il semble qu’un tel homme n’eût jamais dû essuyer de contradictions.

1357. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau, et Joseph Saurin. » pp. 28-46

Les suivans, matière du procès, sembloient ne pouvoir être sortis que de la même main. […] Un homme de lettres, confiné à Bruxelles, leur sembla plus à plaindre que Lamotte, aveugle & malade, mais vivant à Paris. […] L’accusateur est un homme qui devoit être instruit de cette affaire, un homme qui étoit un des plus maltraités dans ces couplets, & que le remors semble aujourd’hui forcer à justifier un innocent, en faisant connoître les coupables.

1358. (1757) Réflexions sur le goût

Il semble néanmoins, que dans les sujets de spéculation et d’agrément, on ne saurait laisser trop de liberté à l’industrie, dût-elle n’être pas toujours également heureuse dans ses efforts. […] Sans combattre le préjugé par des paradoxes, il avait, ce me semble, un moyen plus court de l’attaquer ; c’était d’écrire Inès de Castro en prose ; l’extrême intérêt du sujet permettait de risquer l’innovation, et peut-être aurions-nous un genre de plus. […] On peut, ce me semble, d’après ces réflexions répondre en deux mots à la question souvent agitée, si le sentiment est préférable à la discussion pour juger un ouvrage de goût.

1359. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

., un moyen d’investigation psychologique, et le plus puissant, à ce qu’il semble. […] L’hérédité, la sélection naturelle qui s’opère entre les artistes et les facultés de l’artiste, les lieux ou l’habitat, ces trois facteurs, juge-t-il, ne nous donnent pas grand-chose, même entre les mains de Taine ; leurs influences sont indécises, et les théories de ce puissant critique ne semblent ni justes dans leur rigueur, ni surtout vérifiables. […] Une théorie des héros, mais non pas providentielle à la Carlyle, semble être la pensée secrète de M. 

1360. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

Deux volumes, deux gros volumes de cinq cents pages, « où, criait-il scandalisé, les chiffons reviennent si souvent », chiffonnaient sa dignité d’homme, à ce monsieur, et lui semblaient un pédantisme en concurrence avec le sien. […] Elle devient alors ce vicomte de Launay qui semblait d’abord impossible. […] La femme des Lettres parisiennes (car je ne me déciderai jamais à dire l’auteur d’une chose où il y a si peu d’auteur) est si exactement femme, dans ses lettres, — comme Mlle Mars l’était en son jeu, ce jeu d’une légèreté de bulle de savon et qui semble s’être évaporé comme une apparition féerique, — que, plus la chose qu’elle dit est petite, plus elle a de grâce à l’exprimer !

1361. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

Sans ce besoin, plein de coquetterie, de se recommander au seigneur public et de se concilier ses chères bonnes grâces, Weill n’eût peut-être pas collé au front de son livre cette locution usuelle, vulgaire, qui semble chercher des échos dans l’esprit de tous ceux qui la débitent, et qui doit plaire par sa simplicité familière aux amateurs du simple et du familier (et on sait s’ils sont nombreux, ces braves gens-là !) […] Ainsi la vierge qui se consacre au service des pauvres et se fiance à Dieu n’est pas de son ressort paternel, et ne lui semble pas, comme la femme mariée à un être de son espèce, « la véritable prêtresse de l’amour (encore textuel) ». […] Or, jamais il n’en a donné une preuve plus frappante qu’en écrivant ce livre, qui semble, ma foi !

1362. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

Dieu ne l’avait pas prise avarement pour lui et mise sous ce voile qui semble transparent et qui a l’épaisseur d’un bouclier… C’était simplement une mondaine, et les vertus, on le sait, des mondaines, ont la fragilité de leurs faibles cœurs. […] Léonard de Vinci lui-même, le peintre de la terrible Joconde, une énigme humaine, comme Madame Récamier, eût brûlé ses pinceaux et sa palette de magicien sombre et de sorcier ensorcelé devant cette incompréhensible Récamier, qui n’avait pas, elle, à offrir à un peintre la physionomie inquiétante de la Joconde, de cette ogresse repue et tranquille qui sourit diaboliquement à qui la regarde et qui semble lui dire : « M’apportes-tu ton cœur à manger ? […] Benjamin Constant, l’inconsistant et le vaniteux homme d’esprit à qui on ne croyait guères que de l’esprit, y gagne une âme, et l’exquise Juliette Récamier y perd quelque peu, si ce n’est tout, de la sienne, laquelle semblait divine et qui, véritablement, l’était trop pour nous… Benjamin Constant, qui a écrit ces lettres, y abdique comme écrivain dans les mains de l’homme, et l’homme y abdique à son tour dans les mains de l’amoureux.

1363. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Dans un temps où l’inétanchable besoin de merveilleux fait accepter à la pauvre imagination publique, qui semble tombée en enfance, les abjectes et les bêtes inventions des Esprits frappeurs et des tables tournantes, Swedenborg, l’illuminé Swedenborg est-il donc un sujet trop élevé pour elle ? […] Jusque-là, il n’avait été qu’un de ces travailleurs prodigieux qui semblent n’avoir qu’une pensée dans l’esprit, et d’un calibre trop solide pour se rompre jamais en deux tronçons. […] n’est pas cependant beaucoup plus clair que le bégayant Brid’oison quand il faut prononcer ce terrible mot d’imposteur sur la tête d’un homme qui sembla toujours un homme de bien, ou donner les raisons d’admettre cette hallucination, qui dura, sans s’interrompre une minute, de cinquante-huit à quatre-vingt-cinq ans, dans une tête aussi calme quand elle écrivait la Doctrine de la vie pour la Nouvelle Jérusalem, que quand elle écrivait, dans son livre du Règne animal, les chapitres sur les entrailles et sur les organes pectoraux.

1364. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Aussi, en voyant les derniers faits qui se sont produits et qui semblent avoir posé eux-mêmes les questions à la science désorientée et muette, il a pensé que l’heure était venue d’une mise en demeure solennelle de cette science beaucoup trop… discrète, et il en a pris l’initiative. […] Nous la transcrivons tout entière : « Il peut y avoir vingt ans, — dit l’auteur, — dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, un vieux prêtre faisait le prône à une grand’messe le dimanche ; l’auditoire était nombreux, attentif, ce qui n’empêchait pas tous les regards de se porter involontairement sur un grand jeune homme qui, debout en face de la chaire et les bras croisés, semblait suivre avec la plus grande attention tous les raisonnements du prédicateur. […] Et il n’en omet aucun, à ce qu’il semble.

1365. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

de l’homme troublé à l’homme qui le trouble, je n’aime point ce titre, qui est trop long et semble embarrassé… Jules de Gères a le droit d’avoir de l’aplomb, et il n’y a que les trembles, si c’était leur métier, à ces arbres frissonnants, de faire des livres, qui pourraient les intituler comme cela ! […] L’Arbre devenu vieux, le chef-d’œuvre du volume, réunit ces deux qualités qui semblent s’exclure, — et qui s’excluent dans des écrivains moins doués. […] Il semble à nos efforts jaloux Que dans le gouffre où se perd l’heure, Ne pouvant tomber qu’avec nous, Tu vis encor tant qu’on te pleure !

1366. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Une fois marié avec cette Picot, et brouillé, à cause de ce mariage, avec un oncle, moitié bourgeois, moitié manant, qui le déshérite, il est devenu un médecin de campagne très-réussissant et très-heureux, avec une femme qui me semble à moi la vraie femme d’un homme d’action et de pensée, mais que M.  […] L’amour même, comme les auteurs semblent l’admettre un instant, l’amour virginal de Rosette pour le jeune Paul ne la purifie point, ne l’arrache point à l’abominable concubinage dans lequel elle vit avec son beau-frère. […] Je n’ai pas d’autre conseil à donner aujourd’hui à ce fougueux jeune homme, à cet apoplectique de santé, de matérialité, de passion impure et brutale, et qui, pour le quart d’heure, semble bien moins relever de la plume de la Critique que de la lancette du médecin !

1367. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur. Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome II. »

Il l’assaisonne, ce qui semblerait superflu, d’une réflexion philosophique : il aime en effet la réflexion philosophique ; commune et usée ailleurs, elle garde encore quelque chose de distingué sous sa plume. […] Le prince Henri avait de grandes vertus ; ses lumières, son humanité, sa justice l’avaient popularisé en Europe, et, auprès de la gloire de Frédéric, la sienne, moins brillante, semblait incomparablement plus pure : et ce même prince, sans songer à mal, invente la plus odieuse des iniquités politiques ; à l’occasion, il en cause avec Catherine, il en cause avec son frère ; la partie s’arrange, il s’en félicite, et, dans sa retraite de philosophe, s’en berce comme d’un doux et beau souvenir !

1368. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Gilbert Augustin-Thierry »

Moyennant quoi l’on voit se dégager à demi des ténèbres qui les rendent redoutables quelques-unes des lois qui semblent présider au développement moral du monde : lois de solidarité, de réversibilité, de responsabilité collective, d’expiation familiale ; et par suite on entrevoit d’étranges communications, non encore définies, des âmes entre elles et de celles des vivants avec celles des morts, de subites et effrayantes lacunes de la personnalité et de l’identité du moi, et des sortes de substitutions de consciences […] Et sent-on assez là-dedans l’application d’une loi  Mais nous ne sommes frappés que des cas où cette loi semble appliquée : or il y en a des millions où rien de semblable n’apparaît  Qu’en savez-vous ?

1369. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

J’ai vu les Aïssaouas, pendant des quarts d’heure qui semblaient des heures très longues, secouer leurs têtes comme des loques au-dessus d’un brasier, avec des miaulements lamentables… Mais ces têtes étaient charmantes, mais ces cris étaient doux et berceurs comme le bruissement des feuilles, comparés aux cris et aux têtes des acteurs du théâtre annamite. […] Le charivari le plus discordant de rapins en délire semblerait, auprès de cela, une harmonie céleste.

1370. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bornier, Henri de (1825-1901) »

Ainsi qu’Émile Deschamps semblait le pacificateur des classiques et des romantiques, Henri de Bornier me semble un intermédiaire original entre l’École de 1840 et les nouveaux venus de la fin du second Empire, un médiateur entre les derniers romantiques et les Parnassiens. — Saluons encore ses chants patriotiques : Paris et la guerre.

1371. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Ponsard, François (1814-1867) »

L’originalité et la gloire de son œuvre est justement d’avoir ramené vers les vérités fortes et salubres nos esprits égarés dans l’invraisemblable, le paradoxal et l’impossible, d’avoir exprimé ces vérités immortelles dans un style ferme, net, franc, de bonne école et de bonne race, d’avoir fait circuler dans les veines de la comédie moderne, après tant de fièvres et de langueurs, un reste de ce sang vigoureux et pur qui semblait tari depuis les maîtres, et de n’avoir pas craint de nous paraître banal pour être plus sûr d’être vrai. […] Mais on le crut, et comme nous sommes un pays qui aime, quoi qu’on en dise, à être mené, on applaudit à ce jeune maître qui semblait avoir caché une férule sous le manteau de Melpomène et qui débutait traîtreusement dans le drame par une imitation de

1372. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

Préface de l’auteur La tâche la plus haute du dix-neuvième siècle a été, semble-t-il, de mettre en relief le côté social de, l’individu humain et en général de l’être animé, qui avait été trop négligé par le matérialisme à forme égoïste du siècle précédent. […] C’est ainsi que le déterminisme, qui, en nous déniant cette forme de pouvoir personnel qu’on appelle libre arbitre, semblait d’abord n’avoir qu’une influence morale dépressive, paraît aujourd’hui donner naissance à des espérances métaphysiques, très vagues encore, mais d’une portée illimitée, puisqu’il nous fait entrevoir que notre conscience individuelle pour rait être en communication sourde avec toutes les consciences, et que d’autre part la conscience, ainsi épandue dans l’univers, y doit avoir, comme la lumière ou la chaleur, un rôle important, capable sans doute de s’accroître et de s’étendre dans les siècles à venir.

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