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1155. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Nous nous assemblons pour prier, et nous vous aimons parce que vous êtes nos frères. […] qui n’est pas libre n’est pas homme ; qui n’est pas libre ne voit pas, ne sait pas, ne discerne pas, ne grandit pas, ne comprend pas, ne veut pas, ne croit pas, n’aime pas, n’a pas de femme, n’a pas d’enfants, a une femelle et des petits, n’est pas. […] Le sage aime à ne manquer de rien. […] La salle est comble, la vaste multitude regarde, écoute, aime, toutes les consciences émues jettent dehors leur feu intérieur, tous les yeux éclairent, la grosse bête à mille têtes est là, la Mob de Burke, la Plebs de Tite-Live, la Fex urbis de Cicéron, elle caresse le beau, elle lui sourit avec la grâce d’une femme, elle est très finement littéraire ; rien n’égal les délicatesses de ce monstre.

1156. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Spirituel comme il l’était, homme d’aperçu, distingué, sagace, amoureux des idées qu’il poursuit, mais aimé des images qui lui viennent, il pouvait recommencer une autre campagne contre la fortune littéraire, écrire un autre livre, ramener au premier par le second. […] Nous aimons cette fierté. Nous aimons cet impassible joueur qui rejoue la carte sur laquelle il a perdu, et nous nous demandons avec intérêt : À présent, gagnera-t-il ?… Mais, s’il perd encore la partie, il faut au moins que la Critique, qui aime le talent partout où il est et qui doit le montrer aux autres, sous peine de n’être qu’une grande sotte à vue basse, il faut que la Critique dise bien haut que la carte était belle et qu’il n’y avait ni obstination, ni infatuation, ni même présomption à la jouer.

1157. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Si un jour, et dans l’absence et sous les cris de paon des hidalgos révoltés contre le grand étranger auquel ils ne voulaient plus obéir, Isabelle fut sur le point de renier celui qui lui avait donné un monde, il faut rappeler qu’elle était femme et qu’elle aimait son époux. […] Comme la Katidija de l’Homme de La Mecque, elle avait cru au pauvre pilote génois, alors que personne n’y croyait ; mais même pour un jour, même pour une heure, Katidija n’aurait pas douté de son Prophète, parce qu’elle aimait Mahomet, comme Isabelle aimait Ferdinand. […] Le grave cancanier, M. de Humboldt s’était presque amusé à constater et relever cette faute dans la moralité d’un homme qu’aimait l’Église et qui était du tiers-ordre de Saint-François.

1158. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

Il pouvait être un historien et un écrivain, pourtant, le comte de Gasparin, et il a mieux aimé être ce qu’on appelle maintenant un conférencier, et un conférencier de Genève ! […] C’est la même foi peut-être, mais, on le conçoit, l’accent sorti de l’âme d’une femme qui aimait Jésus-Christ comme nos Saintes, à nous, peuvent l’aimer, ne devait pas se retrouver dans le livre d’un homme, — d’un prédicant, — d’un polémiste, tel qu’a voulu l’être le comte de Gasparin en ses Conférences. […] J’aime le fanatisme, même dans l’erreur.

1159. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Il aimerait mieux baiser celle de madame de Pompadour. […] Aimable d’ailleurs, et même gentil, à sa manière, tout le temps que durent la sybarite et l’amazone, qu’il aime toutes les deux, ce pauvre cul-de-plomb de bibliophile, peut-être par l’effet du contraste, il ne se sent plus, hélas ! […] Elle y avait gardé ce défaut, qui n’empêchait pas mademoiselle de Retz d’être charmante et d’être aimée de son cousin le cardinal. […] Mais Soury, le piéton de Buloz, ne doit pas aimer les écuyères.

1160. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Bergerat a rappelé à ce sujet la boutade triste qu’il avait empruntée à Claudius Popelin, et qu’il aimait à répéter : « Rien ne sert à rien ! […] Devant leurs œuvres heurtées, presque diaboliques, troublantes par le brouillard d’hallucination qui les enveloppe, il admirait l’artiste et il aimait l’homme, avec une sorte de commisération pour les souffrances qu’il devinait. […] Ce qu’on ne doit pas lui refuser, — qu’on l’aime ou non, — c’est d’avoir possédé le caractère peut-être le plus original qu’ait produit notre époque. […] Seulement, à la suite de ces envolées poétiques et capricieuses, ils aimeront parfois à s’abaisser en proportion des hauteurs où ils s’étaient élevés. […] J’en suis repu comme doivent l’être ceux qu’on a trop aimés.

1161. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

L’adaptation des êtres vivants est évidemment le résultat d’une harmonie sans cesse rétablie entre la nature organique et inorganique, ou, si l’on aime mieux, un accident, ou encore la conséquence de la commune substance de toutes deux. […] Mais l’homme tend à persister en son être moral autant qu’en son être physique, et la défense contre le dehors devenant plus facile, la société progressant de l’état sauvage à l’état barbare, s’étendant, se compliquant et se relâchant, il y aura de faibles tentatives d’affranchissement des âmes qui se sentent souffrir de ce qu’aiment leurs proches. […] Pour la peinture, il faut que ceux qui l’aiment possèdent de délicates sensations visuelles correspondant au dedans à une organisation parfaite et à un développement extrême des appareils récepteurs de sensations colorées, dont un beau tableau doit être le résumé harmonieux. […] Enfin ce qu’on sait des lectures de quelques-uns des écrivains célèbres de ce siècle, montre qu’il existe chez ces hommes dont on peut reconnaître à la fois les goûts et les facultés, de frappantes ressemblances entre ce qu’ils aiment et ce qu’ils sont. […] Les auteurs bourgeois ont un talent bourgeois ; les auteurs aimés des artistes, ont eux-mêmes la grâce, la finesse de sens et la légèreté d’âme des artistes.

1162. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Les Juifs ont mieux aimé crucifier Jésus-Christ que de changer leurs habitudes. […] celui-là nous l’avons bien aimé !  […] Néron allumait dans ses fêtes des esclaves enduits de résine ; il y a, j’en conviens, une grande originalité dans ce mode d’éclairage ; mais franchement, j’aime encore mieux le gaz et la lumière électrique. […] Dieu est un être parfait qui contient et aime dans son sein des êtres imparfaits, mais perfectibles. […] Plus que personne je l’aime et je l’ai aimée, cette antiquité qu’on veut trop rajeunir.

1163. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Klingsor, Tristan (1874-1966) »

Il aime les contes de fées et, petit Chaperon rouge, ma mère l’Oie, Peau-d’Âne repassent dans ses vers. Il aime aussi les chats et les souris.

1164. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemaître, Jules (1853-1914) »

Les Médaillons, un premier volume de vers, écrit par un lettré, mais à un âge où on aime toutes les rimes comme on aime toutes les femmes ; les Petites Orientales, une suite de paysages d’Algérie, d’une couleur intense, d’un détail bariolé et fin.

1165. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 69-73

petits moutons, que vous êtes heureux ; Vous paissez dans nos champs sans souci, sans alarmes ; Si-tôt qu’êtes aimés, vous êtes amoureux ; Vous ne savez que c’est de répandre des larmes, Vous ne formez jamais d’inutiles désirs ; Vous suivez doucement les loix de la Nature ; Vous avez, sans douleur, tous ses plus grands plaisirs, Exempts de passions qui causent la torture. […] Croyez-vous tout de bon que ce Dieu des batailles, Qui se fait des remparts de mille funérailles, Qui donne des combats & seme des lauriers, N’aime que le tonnerre & les travaux guerriers ?

1166. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

Petit bien qui ne doive rien, Petit jardin, petite table, Petit minois qui m’aime bien, Sont pour moi chose délectable. J’aime à trouver, quand il fait froid, Grand feu dans un petit endroit ; Les délicats font grande chere, Quand on leur sert, dans un repas, De grand vin dans un petit verre, De grands mets dans de petits plats.

1167. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Cochin » p. 332

Cochin plusieurs dessins allégoriques, sur les règnes des rois de France . j’aime Cochin ; mais j’aime encore plus la vérité.

1168. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

Dans la suite on s’est écarté de cette signification propre d’avoir, et on a joint ce verbe par métaphore et par abus, à un supin, à un participe ou adjectif ; ce sont des termes abstraits dont on parle come de choses réelles : (…), j’ai aimé, (…) ; aimé est alors un supin, un nom qui marque le sentiment que le verbe signifie ; je posséde le sentiment d’aimer, come un autre posséde sa montre. […] Le contenant pour le contenu : come quand on dit, il aime la bouteille, c’est-à-dire, il aime le vin. […] Les amateurs de la simple vérité aiment bien mieux avouer qu’ils ignorent, que de fixer ainsi leur esprit à des illusions. […] le roi aime le peuple ; aime est aussi dans un sens actif, et le peuple est le terme ou l’objet de ce sentiment. […] On aime mieux aujourd’hui la réalité du sens litéral.

1169. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Mais vivant, mais brillant d’esprit et de grâces, on l’aimait, on jouissait de lui jusque dans ses défauts, dulcibus vitiis. […] Il était fort bien fait, et aimait assez à voir un beau bas de soie noir dessiner sa jambe fine et bien tournée. […] Dans cette société de M. de Vaudreuil, de M. de Choiseul-Gouffier, du prince de Ligne, du duc de Bragance, des Bouflers, des Narbonne, des Ségur, au milieu de ces conversations charmantes où nul plus que lui n’étincelait, Delille croyait aimer la campagne et ne rêvait qu’à la peindre. […] Il y avait pourtant, dans le poëte, un certain fonds naïf sous la coquetterie du dehors, et il était sérieusement crédule dans son prétendu amour des champs, comme La Fontaine par exemple, s’il avait cru aimer la cour26. […] Pense-t-il être impunément le poète le plus aimable et le plus aimé ? 

1170. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Je pourrais vous les donner ici dans leur belle langue originale, mais j’aime mieux vous les traduire en m’aidant de la naïve traduction en pur français classique faite par le poète lui-même. […] non, dit Mireille ; autre peine me tient.” » Mireille, enfin, après un naïf interrogatoire, finit par avouer à Vincent qu’elle l’aime ! […] je le dirai une fois aussi, Mireille, je t’aime ! […] Ses oreilles, personne encore ne les lui avait percées ; elle avait des yeux bleus comme des prunes de buisson et le sein à peine enflé ; épineuse fleur de câpre que le Rhône amoureux aimait à éclabousser. […] Mireille, qui entend tout, dit à son père : « Vous me tuerez donc, car c’est moi qui l’aime !

1171. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Mais…, mais Mme d’Épinay aimait son philosophe, son ours ; elle le dérangeait, quand il aurait aimé à rester chez lui, elle le faisait venir à la Chevrette, quand il aurait voulu errer seul au fond des bois. […] La société n’autorise pas leurs amours, elle les sépare ; elle marie Julie à un homme qu’elle n’aime pas, quand elle aime un autre homme ; elle pousse doucement Julie à l’adultère. […] Ce Dieu devient le ressort de la moralité : Julie, mariée à l’homme qu’elle n’aime pas, humiliée, désespérée, commence l’œuvre de son renouvellement en présence de Dieu, devant « l’œil éternel qui voit tout ». […] Il a rappris aux mères à aimer, à se donner : il en a fait des nourrices. […] Il ne s’est pas élevé jusqu’aux glaciers : il a l’âme tendre et douce : il aime la belle, non l’effrayante nature, il aime surtout la nature que son âme peut absorber ou contenir, celle qui la réjouit et ne l’écrase pas.

1172. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

* * * — La vérité, l’homme, par nature, ne l’aime pas, et il est juste qu’il ne l’aime pas. […] * * * On est dégoûté des choses, par ceux qui les obtiennent, des femmes, par ceux qu’elles ont aimés, des maisons où on est reçu, par ceux qu’on y reçoit. […] Je les aime, mais pas du tout comme mes enfants… Ils sont là auprès de moi, ils sont dans mes branches : voilà tout… Je ne me fais pas l’effet d’être assez vieux pour qu’ils soient à moi. […] Hier j’ai mangé dans de la vaisselle plate, aujourd’hui dans de la terre de pipe ; j’aime ces contrastes. […] Il nous apparaît, pour la première fois, comme quelqu’un vers lequel nous voyons s’approcher la mort, et nos yeux s’attachent involontairement à lui, comme à une personne aimée qu’on va perdre et dont on veut garder le souvenir.

1173. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

L’homme n’est fait que pour aimer l’être qu’il connaît, qu’il approche ou qu’il possède. […] comme ce père, en parlant de ses deux filles, a dit, sans se savoir sublime : « Oui, déshonorées… je les aimerais mieux mortes !  […] Nous aimons mieux les rêver, et même peut-être, un jour, les imaginer. […] L’autre semaine j’écrivais que les princes n’aiment pas les gens malades. […] … oui, je vous pardonne… vous savez bien que je vous aime !

1174. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Quand ils ont vaincu cette surprise qui les inquiète, c’est l’énigme même de cette âme maîtresse du réel, devine des âmes, égale au vaste domaine du monde moderne chargée d’énergies créatrices, et que n’enthousiasment ni ces dons, ni les objets sur lesquels ils s’exercent, ni le spectacle de leur œuvre, ni le spectacle du réel auquel elle équivaut, ni cette humanité qu’il aime pourtant, dont il ressent les affections, les crises, les deuils et toutes les joies. […] La contrainte de connaître et l’impuissance d’aimer ce qui leur répugne, le désir graduel et l’incapacité de supprimer ces causes d’aversion ou d’en dériver l’esprit, cette alternative de se soumettre, de se renier ou de souffrir sans recours, conduit chez des esprits de cette sorte à une âpre lutte des deux ordres de facultés inversement froissées ; chez Tolstoï, le sentiment triompha de l’intelligence. […] De ce désaccord intime entre les penchants de l’écrivain et le spectacle que son intelligence était forcée à contempler, sans pouvoir l’aimer ou le comprendre, ce fut un sentiment de tristesse, de répulsion, de détachement, de volontaire irréflexion qui résulta. […] C’est sans joie, sans le cri de l’enfantement que jaillit son livre, mais lentement et lourdement produit avec la tristesse déçue d’un homme qui aperçoit l’inanité de tout ce que ses fibres le portent à aimer. […] Mais tous ceux qui aiment le feu de la vie malgré l’incessante mort de ses flammes, trouveront en ces livres la plus grande et la plus vraie des images fictives de ce monde, la plus complète représentation qui soit des derniers fleurissements de la force sur ce globe.

1175. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Le sentiment aime ou abhorre. […] C’est par là que cette âme souffre, qu’elle jouit, qu’elle hait, qu’elle aime, qu’elle répugne, qu’elle désire, en un mot qu’elle éprouve en elle le mystérieux contrecoup des passions, passions qui sont presque toutes des sensations matérielles communiquées à l’âme immatérielle et transformées en sentiments. […] Il aime, et il voit périr ce qu’il aime sous ses baisers. Il voudrait aimer à jamais ce qu’il a aimé une fois, et sa vie n’est qu’un adieu souvent sans retour. […] Cela est juste : le mensonge et la servitude aiment ce qui leur ressemble.

1176. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

L’humanité aime celui qui l’aime ou qui l’a aimée. […] Alors on l’aime en l’admirant. […] Il ne s’agit pas de dire : J’aime ceci, J’aime cela, dans un langage imaginé. […] Il aime l’harmonie et la mesure. […] Aime le moment.

1177. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Nous nous aimons trop pour cela ! […] Ce n’est rien que de sentir, et peu de chose que de connaître ; aimer ! […] Nous n’aimons pas, pour le dire en deux mots, qu’on mêle la religion et la littérature. Nous n’aimons pas beaucoup non plus que l’on confonde la littérature et la philosophie. […] J’aimerais alors qu’on voulût bien aussi me dire où est la différence.

1178. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Je ne suis pas de ceux qui, par une estime exagérée, mettent les pièces et les matériaux au-dessus de l’œuvre définitive ; mais comme les monuments historiques vraiment dignes de ce nom sont rares, comme ils se font longtemps attendre, et comme d’ailleurs ils ne sont possibles et durables qu’à la condition de combiner et de fondre dans leur ciment toutes les matières premières, de longue main produites et préparées, il n’est pas mauvais que celles-ci se produisent auparavant et soient mises en pleine lumière ; ceux qui aiment à réfléchir peuvent, en les parcourant, s’y tailler çà et là des chapitres d’histoire provisoire à leur usage ; ce ne sont pas les moins instructifs et les moins vrais. […] C’est comme un tome second ou, si l’on veut, un tome premier de ces races équitables et intègres qu’on aime à personnifier finalement sous le nom et la figure de d’Aguesseau. […] Il aimait plus tard à montrer à son fils ce logis d’où il l’avait vu passer. […] Henri IV aimait le bonhomme, comme il disait ; il venait volontiers à ses assemblées, et y amena un soir le duc de Savoie, avec tous les princes et princesses. […] André d’Ormesson, qui écrit la vie de son père d’un style si sain et dans cet esprit de bon sens, dans un sentiment si vrai d’onction domestique, était assez lettré ; il avait étudié au collège du Cardinal-Lemoine et au collège de Navarre ; il a pris soin de donner la liste des auteurs classiques qu’il avait expliqués dans sa jeunesse ; il les revoyait de temps en temps pour s’en rafraîchir la mémoire, et aimait à en citer des passages jusqu’à la fin de sa vie.

1179. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

J’avais dit, le jour où j’eus l’honneur de succéder à Delavigne pour le fauteuil académique, que je regrettais, dans ses drames, qu’au lieu d’aller de concessions en concessions du côté du romantisme sans y atteindre jamais, le poète ne fût pas resté plus franchement ce qu’il était par nature et par goût, — classique : et quand j’exprimais publiquement ce regret ce n’était pas du tout que moi-même je fusse devenu classique, ni que je me fusse converti (comme Rigault le prétendait en me raillant agréablement) ; mais j’aime ce qui a un caractère, j’aime l’originalité et l’individualité dans la poésie et dans l’art, cette individualité ne fût-elle pas précisément la mienne ni celle de mes amis. […] Si franchement converti qu’il est aux idées classiques, lui qui paraît ne pas aimer les conversions, M.  […] Il aimait fort (et de cela je ne le loue pas) à battre longuement les gens qui sont tout battus d’avance à plaider des procès qui sont tout gagnés d’emblée ; ainsi pour les livres de M.  […] Veuillot, mais je pourrais soutenir sans paradoxe qu’au fond il devait l’aimer ; et voici mes raisons.

1180. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Journal de la santé du roi Louis XIV »

Mais il faut en prendre son parti : si l’art était la forme la plus haute sous laquelle l’Antiquité aimait à concevoir et à composer l’histoire, la vérité au contraire est la seule loi, décidément, que les modernes aient à suivre et à consulter. […] J’aurais aimé à voir Fontenelle nous énumérer tout ce qu’il faut pour être en perfection un premier médecin du roi ; mais il n’a fait qu’y toucher en passant, et ce n’est pas moi qui me chargerai de le suppléer. […] Son geste est admirable avec ceux qu’il aime, et l’on dirait qu’il le réserve tout entier pour ceux-là. […] En 1653, atteint d’un assez grave dérangement d’estomac et d’intestins, il remet la plupart des remèdes après la campagne, pour le moment où il sera de retour à Paris : « … Sa Majesté m’ayant dit plusieurs fois (c’est Vallot qui parle), après la remontrance que je lui faisais de la conséquence de son mal, qu’elle aimait mieux mourir que de manquer la moindre occasion où il y allait de sa gloire et du rétablissement de son État. […] Le roi et feu Monsieur aimaient beaucoup les œufs durs. » Fagon nous donne l’aperçu d’un souper du roi déjà vieux (1709), qui répond bien à un tel dîner ; il est vrai que cela avait toutes les peines du monde à passer : « La variété, dit-il, des différentes choses qu’il mêle le soir à son souper avec beaucoup de viandes et de potages, et entre autres les salades de concombres, celles de laitues, celles de petites herbes, toutes ensemble assaisonnées comme elles le sont de poivre, sel, et très fort vinaigre en quantité, et beaucoup de fromage par-dessus, font une fermentation dans son estomac, etc. » Si tel était un souper ou un dîner ordinaire de Louis XIV, il est curieux de voir quelles étaient ses diètes, quand on le mettait au régime ; par exemple (1708) : « Le roi, fatigué et abattu, fut contraint de manger gras le vendredi, et voulut bien qu’on ne lui servit à dîner que des croûtes, un potage aux pigeons, et trois poulets rôtis ; le soir, du bouillon pour y mettre du pain, et point de viandes… Le lendemain, il fut servi comme le jour précédent, les croûtes, un potage avec une volaille, et trois poulets rôtis, dont il mangea, comme le vendredi, quatre ailes, les blancs et une cuisse ! 

1181. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

J’aimerais à pouvoir lui appliquer sa propre méthode à lui-même, pour le présenter et l’expliquer de mon mieux à nos lecteurs. […] Son grand-père était sous-préfet à Rocroi, en 1814-1815, sous la première Restauration ; son père, avoué de profession, aimait par goût les études ; il fut le premier maître de son fils et lui apprit le latin : un oncle revenu d’Amérique lui apprenait l’anglais en le tenant tout enfant sur ses genoux. […] Taine aima donc mieux rester à Paris étudiant ; mais quel étudiant ! […] S’il a interrogé (et il aime à le faire), ç’a été d’une manière pressée, avec suite et dans un but, pour répondre à la pensée qu’il avait déjà. […] On n’y réussit d’abord qu’incomplétement, et l’on pourrait citer plus d’une exception heureuse, plus d’un élève distingué qui, par son tour et son ressort d’esprit déjoua le régime mortifiant de ces froides années, — l’israélite Bréal, l’ingénieux mythologue de l’école de Renan ; le protestant George Perrot, savant archéologue et voyageur ; le spirituel voltairien Goumy, et bien d’autres encore. — (Voir à l’Appendice, à la fin du volume, une lettre d’un ancien élève sur l’École normale de ce temps ; j’aime à noter et à recueillir ces témoignages directs.)

1182. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

— Non, ma fille, reprit Stanislas : le Ciel nous est bien plus favorable, vous êtes reine de France. » La jeune fille, douce, modeste, soumise, assez peu aimée de sa mère, adorée de son père, voyait se réaliser le plus beau songe. […] La reine, on le voit par ce début, aimait assez les Lettres ; elle allait un peu vite en appelant d’emblée Voltaire son pauvre Voltaire ; elle eut bientôt, parmi les gens d’esprit d’alors, d’autres choix et des préférences : on la verra plus tard goûter Fontenelle, le président Hénault, se plaire surtout avec ce dernier et avec Moncrif ; mais pourtant, malgré les lectures sérieuses qu’elle faisait, c’est tout au plus si l’on peut dire,-avec son nouveau biographe, « qu’elle ne s’isolait pas du mouvement intellectuel de l’époque. » Cette idée de mouvement ne cadrait en rien avec sa nature d’esprit, et si c’est un éloge, ce n’est pas elle, c’est Mme de Pompadour, à son heure, qui le méritera. […] Je ne prétends pas dénigrer Louis XV, ni ajouter au mal qu’on a dit de lui ; j’ai lu bien des Portraits de ce roi : je n’en connais point de plus juste que celui qu’a tracé un homme qui l’aimait assez et qui le voyait tous les jours, Le Roy, lieutenant des chasses de Versailles ; on peut s’y fier : c’est un philosophe qui parle et qui, pendant de longues années de service, n’a cessé devoir de près son objet. […] Mme de Prie entre à tous moments dans ses appartements pour voir ce qu’elle fait, et elle n’est maîtresse d’aucune grâce. » Or, un matin, la reine trouva sur sa table un papier d’une fort belle écriture, et elle y lut, sous ce titre d’Instruction de Mme de Prie à la reine de France et de Navarre, les mauvais vers suivants qui parodiaient le discours d’Arnolphe à Agnès avec la gaieté de moins : Marie, écoutez-moi : laissez là le rosaire, Et regardez en moi votre ange tutélaire, Moi qui suis de Bourbon l’amante et le conseil, Moi qu’il chérit autant et plus que son bon œil52 : Notre roi vous épouse, et cent fois la journée Vous devez bénir l’heur de votre destinée, Contempler la bassesse où vous avez été, Et du prince qui m’aime admirer la bonté ; Qui de l’état obscur de simple demoiselle, Sur le trône des Lys par mon choix vous appelle. […] presque toute la salle tourna les yeux sur la reine pour l’observer avec une curiosité plus indiscrète que maligne », La reine, par reconnaissance pour M. le Duc, avait commis une faute : elle avait oublié que dès les premiers jours de son mariage, demandant au roi pour sa propre direction s’il aimait M. de Fréjus, il avait répondu : « Beaucoup » ; et que pour la même question au sujet de M. le Duc ; il avait dit sèchement : « Assez.

1183. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

On a souvent remarqué que l’animal aime et recherche naturellement ce qui lui est utile ou nécessaire. […] Si j’aime mieux rester à sec sur le rivage que prendre le plaisir de plonger pour repêcher un enfant qui m’est indifférent, rien ne peut faire — à ne considérer en moi que moi — qu’il soit raisonnable de risquer ma vie ou même de compromettre ma digestion pour tenter un sauvetage. […] Tous les autres : nos ancêtres et nos contemporains, et nos descendants, ceux que nous aimons, ceux que nous croyons indifférents, et ceux que nous haïssons, notre patrie et toutes les patries, tous les groupes sociaux, et l’humanité entière, ou du moins le germe de l’humanité. […] L’homme en qui dominent les autres, celui qui aime passionnément une personne, un peuple, ou même une abstraction représentative sera malheureux s’il ne peut se dévouer. […] Il apaise l’instinct puissant où l’égoïsme et l’altruisme se sont amalgamés, il correspond au désir le plus fort, il contente l’individu qui l’accomplit parce qu’il satisfait ce qu’il y a de plus fort en lui, une personne aimée, une race entière, en un mot : les autres.

1184. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Shakespeare a « aimé » lord Southampton. […] Pour Byron, mentionnons ce nom une seconde fois, il en vaut la peine, lisez Glenarvon, et écoutez, sur les abominations de Byron, lady Bl***, qu’il avait aimée, et qui s’en vengeait. […] J’aime la pâleur, disait un jour un bourgeois de lettres. […] Vous vous sentez aimé par eux ; c’est à s’en croire connu personnellement. […] Avez-vous besoin de croire, d’aimer, de pleurer, de vous frapper la poitrine, de tomber à genoux, de lever vos mains au ciel avec confiance et sérénité, écoutez ces poëtes, ils vous aideront à monter vers la douleur saine et féconde, ils vous feront sentir l’utilité céleste de l’attendrissement.

1185. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Vigny, ce grand coupable aux yeux qui l’aiment, ne devait plus jamais retrouver que quelques flocons tombés des ailes de l’Ange qui s’en était allé pendant que son poète regardait la terre, et vous le verrez tout à l’heure. […] car l’être qu’elle le bonheur d’aimer, c’est son enfant. […] Dans ce livre de Grandeur et servitude militaires, Vigny n’aime le régiment que parce qu’on y souffre, — comme Éloa aimait l’Abîme où l’on souffrait. […] Mais, nous qui l’aimons et qui écoutons impatiemment son silence depuis si longtemps, quand donc entendrons-nous sa voix ?

1186. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Quant au Génie du Christianisme, j’aurais aimé que M.  […] J’aimerais d’ailleurs que M.  […] J’aime beaucoup mieux que M.  […] Carrère, critique orateur, aime les écrivains orateurs. […] Quand il nous annonce que ses études seront « d’une complète objectivité » et qu’il ne nous dira pas : « J’aime ou je n’aime pas ! 

1187. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Aimant tout ce qu’aimait Horace, et comme lui placé dans un siècle où il n’y avait pas mieux à faire, il célèbre le plaisir, le repos, et se fait une voluptueuse sagesse. […] Il aime par goût les choses du gouvernement ; mis en présence, il veut les apprendre, les étudier en elles-mêmes, il s’y porte avec passion. […] Les philosophes et les méditatifs aiment à se poser ces questions ; l’historien, je le sais, n’y est pas également obligé. […] Ce récit dramatique encourage, enflamme, et produit un peu l’effet d’une Marseillaise ; il fait aimer passionnément la révolution. […] Thiers écrivait ces phrases, il n’avait jamais eu l’honneur de voir M. le duc d’Orléans ; il avait suivi de bonne heure en cela le conseil que lui avait donné Manuel, et aimait mieux aller ainsi de l’avant, sans se lier.

1188. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Aimer les vieux livres, comme goûter le vieux vin, est un signe de maturité déjà. […] Le Mascurat de Naudé, c’est une espèce de salmigondis épais et noir, un vrai fricot comme nos aïeux l’aimaient, où il y a bien du fin lard et des petits pois. […] J’aime mieux citer une belle page philosophique, et même religieuse à la bien prendre, qui rentre dans une pensée souvent exprimée par lui. […] Il prit pourtant occasion de sa défense pour dresser une liste et kyrielle, comme il les aime, de toutes les falsifications, corruptions de pièces, tricheries, qu’on imputait aux bénédictins dans les divers âges. […] Naudé rentra vite, pour n’en plus sortir, dans l’ombre de ces bibliothèques qu’il avait tant aimées et qui allaient être son tombeau.

1189. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Lui vient d’être frappé d’un coup mortel ; il est jeune, il eût voulu réparer bien des fautes ; il eût voulu longuement aimer. […] C’était son ami, le sculpteur Aimé Millet, qui n’était encore qu’un stagiaire de la gloire artistique. […] » — Oui, les petites filles du peuple aimeraient Tolstoï comme Bernardin de Saint-Pierre, et tout ce qu’aiment nos sœurs. […] les terrassiers, les charretiers ou autres aimeraient Hugo, Tolstoï ?  […] N’oublions pas qu’il y a, dans toute créature humaine, un enfant qui aime les Contes bleus.

1190. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

« Mon mariage a été, disait-il, une licence poétique. » Il aima sa femme, vécut avec elle en parfaite union, et en eut trois enfants auxquels il survécut, deux fils et une fille. […] Il écrivait à Peiresc (le 5 octobre 1606) : « Vous verrez bientôt près de quatre cents vers que j’ai faits sur le roi : je suis fort enthousiasmé, parce qu’il m’a dit que je lui montre que je l’aime et qu’il me fera du bien. » Ce sont des taches et des faiblesses. […] J’aime mieux insister sur les parties de l’ode où il exprime des sentiments qu’il nous est permis et facile de partager. […] Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre ;         C’est Dieu qui nous fait vivre,         C’est Dieu qu’il faut aimer. […] Aimons ceux qui nous aiment ; pour les autres, si nous ne sommes à leur goût, il n’est pas raisonnable qu’ils soient au nôtre ; mais aussi en faut-il demeurer là.

1191. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

« L’intelligence, poursuit-il, étant faite pour donner à l’homme la connaissance, elle aime la connaissance pour elle-même d’abord, car rien n’est plus délicieux pour l’esprit que la lumière, et elle l’aime ensuite pour ses conséquences pratiques ; c’est pourquoi l’intelligence exerce ses sens, invente les arts comme des sens nouveaux qu’elle donne à l’homme et donne assez d’évidence et de force à la philosophie pour produire enfin la vertu, cette chose excellente qui met l’ordre dans la vie !  […] Mais on aime mieux jeter le voile de l’ignorance sur les sagesses de Cicéron, de Confucius, et parler de progrès pour se nier son néant. […] Dans cette page sur l’amitié, on sent l’homme qui a fait ses délices d’aimer et d’être aimé. […] — J’y venais prendre, lui dis-je, quelques commentateurs d’Aristote pour les lire pendant que j’en ai le loisir, ce que vous savez qui ne nous arrive guère ni à l’un ni à l’autre. — Que j’aurais bien mieux aimé, dit-il, que votre goût eût incliné pour les stoïciens ! […] Cicéron, mon cousin germain, que j’aime comme s’il eût été mon frère, nous fîmes dessein de nous aller promener ensemble l’après-midi à l’Académie, parce que, dans ce temps-là, il ne s’y trouvait d’ordinaire presque personne.

1192. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

La France, la trop hospitalière et trop badaude France, crut à cette voix qu’elle aimait. […] Nul plus que lui, non plus, n’aimait à se reprendre en sous-œuvre, à se tracasser, à se défaire, à se refaire. […] Son humanité, comme dit Sterne, ne lui a, il est vrai, jamais coûté un sou (j’aime mieux celle de Vincent de Paul). […] Est-ce pour cela qu’il fut tant aimé de tout le monde, cet homme qui n’aima personne ? […] Elle est pour dégoûter de la gloire les esprits fiers (s’il en est) qui pourraient l’aimer !

1193. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Dira-t-on qu’aimer une femme, c’est cesser de la trouver belle ? […] Enfin la grâce est toujours de l’abandon ; or on ne s’abandonne pleinement que quand on aime ; nous pouvons donc dire avec Schelling que la grâce est avant tout l’expression de l’amour, et c’est pour cela qu’elle l’excite ; la grâce semble aimer et c’est pour cela qu’on l’aime. […] Peut-être l’homme devrait-il, pour moins souffrir, se résoudre à aimer « comme on aime une étoile », Avec le sentiment qu’elle est à l’infini... […] Hugo aime à le répéter, il a supprimé la césure et fait basculer la « balance hémistiche ». […] « Celui qui aime, court, vole ; il est dans la joie, il est libre et rien ne l’arrête.

1194. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Depuis longtemps les Cours d’amour en avaient établi la théorie en Provence. « Toute personne qui aime, disaient-elles, pâlit, à l’aspect de celle qu’il aime. —  Toute action de l’amant se termine par penser à ce qu’il aime. […] Troïlus aime Cressida, en troubadour ; sans Pandarus, l’oncle de Cressida, il languirait et finirait par mourir en silence. Il ne veut pas révéler le nom de celle qu’il aime ; il faut que Pandarus le lui arrache, prenne sur lui toutes les hardiesses, invente tous les stratagèmes. […] Et celui qui dit qu’aimer est un vice Est envieux, novice tout à fait Ou, par sécheresse, impuissant à aimer. […] Elle apprit que les serviteurs de la Feuille avaient vécu en braves chevaliers, et que ceux de la Fleur avaient aimé l’oisiveté et le plaisir.

1195. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Qu’elle soit une personnification de la théologie ou l’ombre de celle qu’a aimée Dante, nous ne l’avons jamais vue, et c’est à peine si nous l’entendons. […] Nous n’aimons pas assez la liberté pour que le goût capricieux qu’elle nous inspire puisse nous relier énergiquement dans une exaltation commune et durable. […] La seconde raison de l’hostilité qu’il a soulevée autour de lui est non moins facile à donner : c’est un artiste fort original et fort habile, et ceci, au besoin, eût suffi, car nous n’aimons pas les habiles. […] Les poètes dignes de ce titre, ceux que nous aimons, se gardent bien d’être d’habiles artistes. […] On dirait qu’il veut nous donner la preuve de l’immortalité toujours féconde de son génie au-delà de ce monde, comme il aimait à l’affirmer d’après la conviction philosophique qu’il s’était faite.

1196. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

C’est sous sa forme sidérale qu’elle aime Endymion. […] Voilà pourquoi ils nous aiment, ils nous honorent ! […] Il l’aima toute sa vie uniquement et absolument. […] Il l’a beaucoup aimée, il l’aime, et elle est sa maîtresse, toute vieille qu’elle est, cosi vecchia come è. […] Les nations ont de ces tendresses ; elles aiment les princes dont elles ont pitié ; elles pardonnent tout à ceux qui ne savent pas ce qu’ils font.

1197. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Lamartine.] » pp. 534-535

. — Vous avez choisi dans mes écrits avec une intelligence amie ce qui pouvait le plus faire aimer le poète. — Vous avez glissé sur les défauts et voilé avec délicatesse les parties regrettables chez celui qui s’est trop abandonné en écrivant aux sentiments éphémères et au courant des circonstances. […] Comme ces pièces premières de Lamartine n’ont aucun dessin, aucune composition dramatique, comme le style n’en est pas frappé et gravé selon le mode qu’on aime aujourd’hui, elles ont pu perdre de leur effet à une première vue ; mais il faut bien peu d’effort, surtout si l’on se reporte un moment aux poésies d’alentour, pour sentir ce que ces élégies et ces plaintes de l’âme avaient de puissance voilée sous leur harmonie éolienne et pour reconnaître qu’elles apportaient avec elles le souffle nouveau.

1198. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

Il ne lui fallait plus qu’un peu de vouloir et ne pas mieux aimer se jouer, à chaque pause, du lecteur et de lui-même. […] On y ferait à chaque pas, en se baissant, son butin de moraliste : « Chaque femme se croit volée de tout l’amour qu’on a pour une autre. » — « Madame Lauter, encore sur ce point, était comme toutes les femmes, — excepté vous, madame ; — elle ne plaçait l’infidélité que dans la dernière faveur. » — « On ne se dit : Je vous aime, en propres termes, que quand on a épuisé toutes les autres manières de le dire ; et il y en a tant que l’on n’arrive quelquefois à dire le mot que lorsqu’on ne sent plus la chose et que le mot est devenu un mensonge. » — « La justice du monde, comme la justice des lois, ne découvre presque jamais les crimes que lorsqu’ils n’existent pas encore, ou lorsqu’ils n’existent plus. » — Mais je m’arrête, de peur du sourire de l’auteur, pendant que je me baisse à ramasser ainsi les aphorismes qu’il sème en s’en moquant tout le premier : il me ferait niche par derrière.

1199. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Glatigny, Albert (1839-1873) »

Ferdinand Brunetière Albert Glatigny, la plus étrange figure littéraire qu’ait peut-être vue notre âge ; un comédien errant et ronsardisant qui a aimé les vers comme on aime l’amour, et qui en est mort.

1200. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Je conseille donc aux classiques de bien aimer la police, autrement ils seraient des ingrats. […] À ce mot beaucoup de gens sincères avec eux-mêmes, et qui croyaient leur âme fermée à la poésie, respirent ; pour la trop aimer, ils croyaient ne pas l’aimer. […] Un jour enfin le hasard le présente à une femme simple, naturelle, honnête, digne d’être aimée, et il sent qu’il a un cœur. […] Par ce genre de défense les rois ont été faits hommes ; ils sont aimés, mais non plus adorés. […] Le dieu qui fit le jour ne défend pas d’aimer.

1201. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Si l’on aime, ce n’est point que la personne soit aimable, c’est qu’on a besoin d’aimer. « Croyez-vous que vous boiriez si vous n’aviez pas soif, ou que vous mangeriez si vous n’aviez pas faim ?  […] « Très-vraisemblablement les pélicans aiment à saigner sous le bec égoïste de leurs petits. […] Il aime mieux être toléré chez un marquis que respecté chez un bourgeois. […] On n’aime pas le contraste prolongé du bon colonel Newcome et de ses mauvais parents. […] Balzac aime sa Valérie ; c’est pourquoi il l’explique et la grandit.

1202. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

Cet enseignement prépare des compagnes aux hommes instruits et éclairés qui aimeront à trouver avec qui causer, au logis, de leurs études et de leurs travaux. […] J’ai de tout temps aimé à saluer ce qui commence, ce qui promet et qui tient déjà, et, grâce à Dieu, j’aime toujours à le faire.

1203. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Je pourrais vous les donner ici dans leur belle langue originale, mais j’aime mieux vous les traduire en m’aidant de la naïve traduction en pur français classique faite par le poète lui-même. […] À la fleur du laurier rose, aimé de Chénier et cueilli au bord de l’Eurotas, il marie l’aubépine sanglante du Calvaire. […] Jean Carrère J’aimerais mieux, je le déclare, que son œuvre eût été écrite dans la langue de Bossuet et de Racine, la plus belle, sans conteste, avec celles de Virgile et de

1204. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Répudiées donc les demi-teintes, les nuances crépusculaires, les musiques lointaines, — charme et génie de Verlaine ; — bannies les chastes Aimées, immatérielles on dirait, dont le profil s’indécise en de froides brumes, d’un tel système d’art découlait nécessairement comme Corollaire la rime riche et rare. […] Et j’arrive à cette conclusion — malgré moi, puisque en dehors de la question — qu’une œuvre ne peut être d’absolue beauté si l’âme n’y transparaît ; à travers la matière, si la vie n’y aime et souffre sous la Forme : la Forme éternellement morne en dépit de sa splendeur, lorsqu’elle s’isole. […] Ainsi : Et dans le soir on voit passer des formes grêles, Leurs pas ne pèsent pas au sable fin des grèves : Âmes d’adolescents qu’aimèrent les Sirènes, Et que tourmentent les angoisses éternelles.

1205. (1865) Du sentiment de l’admiration

J’aime mieux revenir à vous, chers élèves, que je ne prétends pas juger avec autant de rigueur. […] Il a compris le mot profond et définitif de Bossuet : « Malheur à la connaissance stérile qui ne se tourne pas à aimer !  […] Placez avec moi devant ces classiques aimés le jeune homme qui sait admirer : transporté par l’essor de l’imagination dans les régions supérieures, il habite, cet adolescent épris de Sophocle et de Corneille, il habite une cité idéale qui n’est pas encore la cité de Dieu mais qui n’est déjà plus la cité des hommes.

1206. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Puisque je n’ai que l’extérieur à montrer, j’aimerais bien autant qu’on m’accoutumât à le bien voir ; et qu’on me dispensât d’une connaissance perfide qu’il faut que j’oublie. […] J’aimerais autant qu’au sortir de là, pour compléter l’absurdité, on envoyât les élèves apprendre la grâce chez Vestris ou Gardel, ou tel autre maître à danser qu’on voudra. […] Ne craignez pas qu’il s’avise de dire au pauvre diable gagé, Mon ami, pose-toi toi-même, fais ce que tu voudras ; il aime bien mieux lui donner quelque attitude singulière que de lui en laisser prendre une simple et naturelle.

1207. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

Mme Marie-Alexandre Dumas s’appelle, si je ne me trompe, Mme Peytel, mais elle a mieux aimé signer son livre de son nom de Dumas, et non pas de son nom de Dumas tout simplement, mais de son nom de Marie-Alexandre Dumas, pour qu’on n’en ignore, comme disent les huissiers. […] S’adorer en famille, devant le public, depuis Mme de Sévigné qui n’aimait sa fille que par lettres, cela a toujours réussi ; au contraire ! […] Je retrouve ici la fille, le type de la fille qu’il aime tant à peindre.

1208. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Dupont-White »

Pourquoi cette seconde édition n’aurait-elle pas été un retour vers le vrai, d’un esprit vigoureux averti par ceux qui l’aiment ou par sa propre réflexion ? […] En effet, pour les hommes d’État qui sauvent les nations comme pour les historiens qui devinent ce qui pourrait ou ce qui eût pu les sauver, la première condition est de les connaître, de les aimer et de leur plonger dans le cœur ce regard perçant de la tendresse qui voit peut-être plus clairement que le génie. […] Nous aurions mieux aimé un historien.

1209. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

— Mais avez-vous jamais aimé réellement, monsieur Sainte-Beuve ? […] Et la princesse a demandé à chacun ce qu’il aimerait le mieux avoir d’une femme comme souvenir. […] Ils aiment à se faire prier et veulent se faire obtenir. […] — Je l’aimais. — Mais elle couchait dans le garni avec un sergent de ville ! […] C’est le prêtre qui a marié la femme qu’il aimait.

1210. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

S’y épanouir sans mesure, en être aimé, caressé. […] Il n’a jamais aimé. […] D’avoir été aimées d’un dieu. […] La Muse de Lamartine n’aime pas qu’elle-même (je vais le dire) ; mais elle s’aime trop ; elle aime trop certaine mélodie, certain tissu d’or et d’azur qui se déroulent de son sein comme par miracle. […] On s’aima, amants et amis, comme si on était les premiers à s’aimer, au moins à de telles profondeurs, depuis le commencement temps.

1211. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

« Pour moi, dit Burns, j’aimerais mieux être un athée franc et net que de faire de l’Évangile un paravent. » — « Un honnête homme peut aimer un verre, un honnête homme peut aimer une fille ; mais la basse vengeance et la méchanceté déloyale, il les dédaignera toujours. […] Arrivé à Édimbourg, il fut fêté, caressé, admis sur le pied d’égalité dans les premiers salons, parmi les grands et les lettrés, aimé d’une femme qui était presque une dame. […] On le respecta et même on l’aima. […] Elles l’aimaient si généreusement, et il était si aimable ! […] Quand j’aurai vidé ma tête de toutes les pensées mondaines, et que j’aurai regardé les nuages dix années durant pour m’affiner l’âme, j’aimerai cette poésie.

1212. (1881) Le naturalisme au théatre

Dumas fils, dont je n’aime guère le talent, et de M.  […] Toi, tu aimes cette jeune fille, qui est riche ; épouse-la si elle t’aime, et tire quelque grande chose de cette fortune. […] Je n’aime point sa formule ; je la trouve fausse. […] J’ai mieux aimé dire nettement à M.  […] Je n’aime pas ce talent, voilà tout.

1213. (1874) Premiers lundis. Tome II « Sextus. Par Madame H. Allart. »

L’auteur de ce roman a longtemps vécu en Italie et y a beaucoup aimé le séjour de Rome, l’impression majestueuse et sévère des ruines, le profil encore conservé des caractères antiques sous la frivolité des mœurs et l’épicuréisme des sentiments. […] Familière dès longtemps avec ces types qu’elle perfectionne en secret et qu’elle aime, la femme distinguée qui a écrit ce livre n’a pas songé qu’il y avait lieu à une composition, et, dans un grand nombre de cas, elle a raconté ce qui les touche de plus important et de plus intime, en peu de mots, avec une sorte de brève négligence, comme on fait à la fin d’une lettre, lorsque le jour baisse ou que le papier manque.

1214. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Louÿs, Pierre (1870-1925) »

Pierre Louÿs ces poèmes à la fois luxurieux et tendres ; et si, les donnant comme traduits du grec, il les attribua dédaigneusement à Bilitis tant aimée et qui, pourtant, n’exista jamais, ce ne fut guère que par amusement de lettré, ou peut-être parce que ce nom aux syllabes chantantes l’emplissait de douceur. […] Et ceux-là qui ont aimé les romans de M. 

1215. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Ils eussent mieux aimé n’en faire qu’une. […] Puis on aime les enfants. On les aime mal. Donc on les aime mal. […] C’est-à-dire selon que deux termes, que deux personnages s’aiment entre eux ou que chacun aime qui ne l’aime pas et aime un(e) autre.

1216. (1802) Études sur Molière pp. -355

Mais je n’aime pas l’étourdissement que Molière donne à Lélie, pour avoir le prétexte de le faire entrer dans la maison, de Sganarelle : l’auteur avait déjà tire parti de l’évanouissement de Célie, et c’était assez d’une pâmoison. […] Le premier tremble de perdre ce qu’il aime, il hésite longtemps avant de se décider. […] La ceinture de Boccace pouvait séduire un imitateur, à cause de la devise : je vous aime et n’ose vous le dire . […] Les Grecs les aimaient beaucoup, et Platon, à l’heure de sa mort, avait sous son chevet celles de Sophron. […] Bélise peut-elle soutenir à Clitandre qu’il est épris d’elle, au moment où il croit la détromper si bien par ces mots, je veux être pendu si je vous aime  ?

1217. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

C’est la seule façon d’aimer. […] Ils aiment les beaux joueurs. […] (Dieu veut être aimé librement). […] Ils aiment tout, dans leur jeunesse, ils aiment  tout d’amour, et l’honneur plus que tout. […] Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu.

1218. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Ici, notre ennemi, nous l’aimons : c’est l’innombrable mort immortel de l’histoire. […] Il aime Voltaire ! […] Comme lui, laissons dire et, nous qui savons bien pourquoi, admirons et aimons. […] Blondel, dont j’aime Le Bonheur d’aimer et cette tristesse douce, sentimentale bien, et M.  […] Il aime le passé, ne gêne pas le présent, n’opprime pas l’avenir.

1219. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVIII » pp. 113-116

Vous pourriez peut-être citer les vers que Hugo avait faits pour cette pauvre jeune femme au moment de son mariage et de sa sortie de la maison paternelle : Aime celui qui t’aime et sois heureuse en lui ; Adieu !

1220. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — I. Sur M. Viennet »

Il s’est cru dégagé, comme il l’explique dans sa Préface, d’un scrupule excessif et il publie ce livre : l’Histoire de la puissance pontificale 179, lequel, d’ailleurs, ne renversera rien, mais instruira les esprits sérieux qui aiment, sans trop de détail, à se rendre compte de la suite des choses et à s’expliquer les résultats. […] Nous aimons mieux y renvoyer les lecteurs que ces questions intéressent, et ils ne laissent pas d’être nombreux aujourd’hui. » 179.

1221. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. — POST-SCRIPTUM. » pp. 269-272

Ainsi point de conclusion ; nous aimons notre métier de critique et de portraitiste, nous le continuerons selon l’occasion et le moment, suivant que le cœur et la fantaisie nous le diront, et en tâchant de ménager de notre mieux les convenances diverses. […] Qu’une page première du poëte d’Elvire soit venue nous rendre au hasard quelqu’une des douces plaintes connues : Lorsque seul avec toi, pensive et recueillie, etc., etc… ; Ramenez-moi, disais-je, au fortuné rivage, etc… ; que Victor Hugo ait proféré, à une heure brûlante, cet hymne attendri : Puisque j’ai mis ma lèvre à ta coupe encore pleine, etc… ; qu’Alfred de Musset lui-même, à travers son léger récit d’Emmeline, ait modulé à demi-voix : Si je vous le disais pourtant que je vous aime, etc., etc. ; ces notes vraies, tendres, profondes, nées du cœur et toutes chantantes, nous paraissent, aujourd’hui encore, autrement enviables que bien des mérites lentement acquis.

1222. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VI. Utilité possible de la conversation »

Le vrai, c’est ce qui plaît ; le bon, c’est ce qu’on aime. On accepte toute parole de ceux qu’on aime, et on n’en limite point la portée.

1223. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 37, que les mots de notre langue naturelle font plus d’impression sur nous que les mots d’une langue étrangere » pp. 347-350

Ainsi quand nous avons appris dès l’enfance la signification du mot aimer, quand ce mot est le premier que nous aïons retenu pour exprimer la chose dont il est le signe, il nous paroît avoir une énergie naturelle, bien que la force que nous lui trouvons vienne uniquement de notre éducation, et de ce qu’il s’est saisi, pour ainsi dire, de la premiere place dans notre memoire. […] Un françois qui ne sçait l’espagnol que comme une langue étrangere, n’est pas affecté par le mot querer, comme par le mot aimer, quoique ces mots signifient la même chose.

1224. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « César Cantu »

Si quelques sons plus ou moins agréablement combinés suffisent pour enivrer la musicienne Italie, nous aimons mieux Rossini et Verdi que ce Cantu qu’elle honore et cet autre déclamateur sonore qui vient de mourir, ce Gioberti, plus fort pourtant que Cantu, dans son ordre de préoccupations, mais bien chétif aussi, bien petit, quand on le lève debout dans la gloire exagérée qu’on lui fait ! […] Or, Renée, le continuateur de Sismondi et qui nous a donné cette solide et brillante Histoire de Louis XVI qu’aucun de ceux qui aiment l’Histoire n’a oubliée, Renée était d’une raison trop haute et trop sobre, il était d’une conscience historique trop pure, pour laisser passer sous sa plume le courant de faits sans critique et sans choix qui viennent s’entasser et se cahoter dans le récit diffus de Cantu.

1225. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

La Didon de Virgile est une imitation combinée, car Virgile aime d’ordinaire à combiner ses imitations pour mieux laisser jour dans l’entre-deux à son originalité. […] J’aime mieux supposer qu’il se sera fait scrupule d’emprunter un trait trop saillant et trop reconnaissable ; mais pourtant il empruntait assez visiblement l’ensemble du passage. […] Les Modernes ont très-habituellement admis le jeu et le mensonge de l’amour, ce qu’ils aiment aussi à en appeler l’idéal, — les Anciens, jamais ; ils sont restés naturels. […] Le héros aimé de Phèdre ou de Didon est tellement en présence d’une vraie maladie et d’un fléau des Dieux, que, s’il résiste, il a affaire à une héroïne violente et très-aisément à une femme cruelle. […] Elle aime surtout à revenir autour de cette histoire d’Ariane qui la tente, et qu’elle fait un peu semblant de ne savoir que confusément ; elle trouve même moyen d’éviter de nommer par son nom celle qu’elle appelle simplement la fille de Pasiphaé.

1226. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

(chant du matelot) en ce chant de naïve tristesse d’une âme que bercerait un doux amour éloigné et plein d’espérances ; puis, surgissante la passion, et ses cris où elle s’épanche, ses féroces silences, sa vie jubilante et désespérée… Oh, comme par les yeux de l’esprit je les vois, les âmes aimantes qu’attire et qu’emmène et qu’engouffre le gouffre du désir d’aimer, les pauvres âmes mortellement saisies et qui vainement se débattent sous le philtre spirituel de l’advenu irrévocable ! […] Encore ainsi : Un prélude qui m’annonce, au loin des cœurs, un Gral d’amour, et vers lui une aspiration puissante et timide et croissante ; un drame qui m’enseigne — après combien d’angoisses — la possession jubilante du tout aimé. Soit : Chœur général : Il est un beau vase d’amour, quelque part, et que j’aimerai ; oh Gral, vers lui mon âme indéfiniment flotte, et c’est à lui, oh Gral, que je me voue en ma forte virilité. […] Parsifal (vêtu de lys et de sang ; il chante d’une voix ferme) : Issu de l’inconscience des possibilités premières, un jour je fus mené par Dieu dans un temple de révélation, et dans le rougeoiment d’un Gral je vis le cœur vif de l’Amante et combien, en les souffrirs, aimer et l’aimer était bon. […] Parsifal (en un geste extatique) : Je suis l’âme de ces amants ; je suis l’amour et l’aimée et l’amant ; par moi se sont élus l’Amfortas et la Kundry ; je suis celui qui aime, vous dis-je, et qui suis aimé ; et en ma gloire s’accomplissent les noces sacramentaires.

1227. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Et le voilà, qui se met à me conter qu’il avait été cependant à la Charité, et qu’il y avait rencontré une sœur Philomène, une Philomène, si aimée de ses malades, qu’elle trouvait tous les jours, un bouquet de violettes dans sa cellule. […] — On rit, je le répète, quand je dis que le gouvernement que j’aime, est celui de Louis XV. […] Et il rappelait dans sa vie, une certaine soirée où il aimait, une soirée, où Paris lui était apparu comme une ville transfigurée… une ville blanche, sans prostitution aux coins des rues… Et il avait senti le besoin d’aller raconter son impression à Coquelin l’aîné, en train de quitter dans sa loge le costume de Mascarille, et qui lui avait dit : « Tu es saoul !  […] Et je vais m’asseoir dans un coin, que le mort aimait, là où il y a une guérite en toile, une chaise longue en sparterie, un hamac : dans ce coin, dont il avait fait une espèce d’atelier, en plein air. […] Et sa mère me faisait lire deux ou trois lignes de lui, où il disait que la chose qu’il aimait surtout c’était la couleur orangée : des lignes tout à fait surprenantes, où l’enfant confessait son adoration de la couleur, dont Fromentin parlait avec une voix presque religieuse.

1228. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Michelet, — et il en a, comme un artiste qui donne des plaisirs extrêmement vifs à ceux qui l’aiment, — lui trouvent toutes les qualités, les unes après les autres, excepté cependant celles-là. […] Mais si on aimait mieux le vrai que le beau, on ne désarmerait pas, même contre la beauté entraînante, et on la frapperait, en se détournant, quand cette beauté coupable aurait, comme la courtisane de l’Antiquité, compté sur la splendeur du sein qu’elle découvre pour se faire tout pardonner ! […] Michelet, malgré sa dévotion pour les Saintes révolutionnaires dont il écrit la légende, a mieux aimé (peut-être n’était-il pas libre dans ce choix) se répéter et se recopier que de penser et d’écrire à neuf. […] Nous aimons encore mieux l’ange de la métaphysique, quand même il devrait assassiner le bon sens. […] Sensible, inconséquente, entraînée, vraie femme au fond sous ses airs grenadiers de virago, Amazone de la pensée qui n’eut jamais le sein coupé, Mme de Staël se prit d’horreur pour la Révolution qu’elle avait aimée.

1229. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Le sentiment de ce tableau est exquis ; dans cette composition l’on aime et l’on boit, — aspect voluptueux — mais l’on boit et l’on aime d’une manière très-sérieuse, presque mélancolique. […] Decamps aime prendre la nature sur le fait, par son côté fantastique et réel à la fois — dans son aspect le plus subit et le plus inattendu. […] C’est bien, cela prouve que ces messieurs aiment le beau consciencieusement ; cela fait honneur à leur cœur. […] Mouchy doit aimer Ribera et tous les vaillants factureurs ; n’est-ce pas faire de lui un grand éloge ? […] Corot. — Evidemment cet artiste aime sincèrement la nature, et sait la regarder avec autant d’intelligence que d’amour. — Les qualités par lesquelles il brille sont tellement fortes, — parce qu’elles sont des qualités d’âme et de fond — que l’influence de M. 

1230. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

J’aime tant à rester où tu es ! […] Je t’aime d’une ardeur infinie ! […] Je me levai à la hâte, je voulais revoir la place où avait été notre maison, et regarder si les poules que j’aimais tant avaient pu se sauver ; car j’avais encore le caractère simple et naïf d’un enfant. […] Retournez auprès de mon père et de ma mère, pour leur dire que leur fils ne s’était pas trompé et que l’étrangère est digne d’être aimée. […] Puis Dorothée dit : « Que j’aime cette douce lumière de la lune !

1231. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Viens, suis-moi, chère amie ; prends courage ; je t’aime avec transport ; mais suis-moi, c’est ma seule prière. […] Mais, si notre âme est émue, si elle cherche un Dieu dans l’univers, si même elle veut encore de la gloire et de l’amour, il y a des nuages qui lui parlent, des torrents qui se laissent interroger, et le vent dans la bruyère semble daigner nous dire quelque chose de ce qu’on aime. […] Quiconque ne discerne pas cette double philosophie de la révolution française ne peut ni la comprendre, ni la juger, ni l’aimer, ni la raconter. […] Elle aima comme une mère et fut aimée comme une amante. […] Et cependant, pour en revenir aux considérations qui ouvrent ce récit et qui doivent le clore : quelle est la plus grande de cette femme de bruit ou d’une femme de silence, voilant jusqu’à son âme de la chaste pudeur de son sexe, renfermée dans l’ombre de son pauvre foyer conjugal, entre un époux qu’elle aime, des enfants qu’elle élève, des vieillards qu’elle honore, des infirmes qu’elle soulage, des misères qu’elle nourrit, des talents même qu’elle sacrifie à d’humbles devoirs ?

1232. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

» L’enfant n’aimait pas non plus la reine italienne, elle l’appelait, dans son mépris enfantin pour la maison roturière des Médicis, cette marchande florentine. […] Sur quoi, remettant à ce moment de vous embrasser, je supplierai Dieu très-dévotement qu’il vous garde en santé selon le désir de « Votre affectionnée à vous aimer et servir. […] Knox aimait cette Thébaïde, cet enclos, ces rives de l’étang. « C’est là qu’il serait doux de se reposer, disait-il ; mais il faut plaire au Christ. » Plaire au Christ, c’était pour Knox, comme pour Philippe II d’Espagne et pour Catherine de Médicis de France, massacrer ses ennemis. […] C’est le malheur des reines belles, aimantes et aimées de ne pouvoir séparer ces deux titres et de confier leur empire à celui auquel elles ont donné leur cœur. […] L’homme que Marie Stuart commençait à aimer était Bothwell.

1233. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Mais il était bon qu’on en aimât le nombre avant d’en discerner la valeur relative, et qu’on les estimât comme pièces à part, avant de comprendre la beauté qu’elles tirent de l’ensemble de l’ouvrage, et de l’emploi discret qu’on en doit faire. […] Combien j’aime mieux la sincérité de Corneille se rendant justice dans le bien et se faisant justice dans le mal ! […] Le même charme qui attirait nos pères nous y attire nous-mêmes, quoique nous n’ayons plus le tour d’imagination de l’époque, qui faisait aimer jusqu’aux défauts d’une si charmante nouveauté. […] Pompée, qui aime sa femme, mais qui craint Sylla, résiste ; il la supplie d’attendre l’abdication ou la mort du dictateur. […] Non qu’il ne sentît cette servitude de la mode : « J’ai cru jusqu’ici, écrit-il à Saint-Evremond, que la passion de l’amour est trop chargée de faiblesse pour être la dominante d’une pièce héroïque ; j’aime qu’elle y serve d’ornement et non de corps. » Mais cette mesure n’est-elle pas chimérique ?

1234. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Le vieux poète, à l’en croire, y aurait été si bien pris qu’il lui serait échappé de dire, sous le charme, « qu’il aimerait mieux avoir écrit l’Homère français que d’être Homère lui-même. » Évidemment il n’y a ici de pris que Lamotte. […] Eschyle taxé de « folie », Euripide de « grossièreté », payent pour Racine et Boileau, sans compter ce que donnait de mauvaise humeur à Fontenelle, contre tout ce qu’aimait Racine, sa qualité de neveu de Corneille. […] On sent dès ce temps-là l’homme qui aimera mieux la vérité que l’erreur, mais qui préférera toujours ses aises à la vérité. […] Il aime les morts comme nous aimons les absents, dont les défauts s’oublient, et dont les qualités nous deviennent plus chères par l’illusion de l’éloignement. […] Il est, à son insu, de la religion de tous ceux qu’il aime.

1235. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Sans doute : mais Michelet n’a pas assez vu que le vide est ici aimé pour lui-même. […] Il aimait à rappeler les premières leçons de politesse qu’elle lui donnait vers 1799. […] Je n’ai pas connu d’homme qui eût pu être plus aimé des femmes. […] Au moins ne fut-il pas de « ceux qui, sachant aimer, n’en ont pas su mourir ». […] Il m’aimait assez, mais ne cherchait pas à m’attirer.

1236. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

* * * — Ne croyez pas aux gens qui disent aimer l’art, et qui, pendant toute la durée de leur chienne de vie, n’ont pas donné dix francs pour une esquisse, pour un dessin, pour n’importe quoi de peint ou de crayonné ! […] * * * — Moi, ma charogne m’est indifférente, et il m’importe peu de pourrir, mais si j’aimais une femme, et que je vinsse à la perdre, il me semble que cette dissolution humoreuse serait un tourment pour ma pensée et mon souvenir. […] il n’est pas tendre, mais il faut le dire, ce n’est pas tout le monde, c’est un orateur d’une clarté, d’une ironie, d’une méchanceté… Et cependant, comme il me disait : Il n’aime pas la lutte, mais quand il est dedans, ainsi qu’il me le disait encore, il tuerait tout le monde… Quant aux choses présentes, il ne s’en doute pas. […] Il ajoutait qu’au contraire, le peuple russe, qui est un peuple menteur, comme un peuple qui a été longtemps esclave, aimait dans l’art la vérité et la réalité. […] Je voudrais créer deux clowns, deux frères s’aimant comme nous nous sommes aimés, mon frère et moi.

1237. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Toutes les jeunes filles ne sont pas infidèles ; celle-ci l’aimera peut-être. […] Mais Senta, la fille de Daland, n’aime pas la chanson qui plaît à ses compagnes. […] qu’il paraisse : c’est moi qui l’aimerai fidèlement jusqu’à la mort !  […] Senta aimait le chasseur Erik ; à la voix de son fiancé, elle sent se réveiller la tendresse qu’elle croyait morte : elle n’a pas le courage de retirer à Erik la main qu’il a si souvent pressée ; c’est en vain que la noble ambition du sacrifice la dévore ; elle se sent émue, vaincue, et quand le Hollandais entre brusquement, elle va se laisser tomber dans les bras de celui qu’elle aimait. […] Vainement son père, ses compagnes, Erick, la retiennent ; elle se délivre des étreintes, monte sur un rocher et se précipite dans les flots, en jetant au Hollandais ce cri rédempteur : « Je t’aime et je te suis fidèle jusqu’à la mort ! 

1238. (1904) En méthode à l’œuvre

Et qui est en Un-seul deux-désirs dont un autre s’engendre, son Amour immanent et qui la meut détermine son devenir, — et, qui intégrale ne s’aimera que si intégrale elle se sait, elle devient à se savoir. […] À s’aimer, en s’aimant la Matière devient : qui intégrale et possessoirement ne s’aimera, que si, des phénomènes d’attraction, elle tend à prendre sensation d’elle-même, et, en se sentant, se pense, et, en se pensant, intégrale se sait. […] À intégralement s’aimer et se savoir, qui selon l’Ellipse va, la Matière ne parviendra : et de l’amorphe état de ne se pas savoir ne pouvant se toute extraire, éternelle et illimitée se transmue au Plus et au Mieux, vers le plus de son être, — Savoir étant Être. […] — Instinct d’aimer altruiste, de multiplier. […] — Instinct d’aimer égoïste.

1239. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Je l’ai rencontrée ; c’est toujours elle avec les yeux que j’ai aimés, son petit nez, ses lèvres plates et comme écrasées sous les baisers, sa taille souple, — et ce n’est plus elle. […] Ni trop jeune, ni trop belle n’est la femme, qui n’a rien même de ce que j’aime chez une femme. […] Mais c’est trop sévère, nous irons sans doute à Ville-d’Avray, j’aime beaucoup le parc de Saint-Cloud. […] — C’est vrai, on ne demande de sacrifice qu’à ceux qu’on aime. […] Peu élégiaque de sa nature, il aimait les fortes joies, et la bière et le vin et l’eau-de-vie, et, quand il était gris, disait avec un accent tout plein d’un gaudissement sensuel : « Je suis ramplan ! 

1240. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

… Aurait-il aimé une charcutière ? […] il peut très bien aimer la charcuterie, cet homme !) […] , des hollande, ronds comme des têtes coupées (détail qui doit les faire aimer !) […] Pour l’être, il aime trop le technique de la réalité. […] Il n’a point d’idéal dans la tête, et, comme son siècle, il aime les choses basses, signe du temps, et ne peut s’empêcher d’aller à elles.

1241. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

« Il se cramponna à cette ville, nous dit énergiquement l’une des victimes, comme le créancier se cramponne au débiteur ; il l’aima comme les amants aiment les lieux où ils ont goûté les plaisirs que donne l’amour. […] » Sur quoi Rodrigue lui répond brutalement : « J’aimerais mieux un clou, plutôt que de vous avoir pour seigneur, et d’être, moi, votre vassal. […] Venez-nous en aide pour l’amour de sainte Marie. » Il posa les mains sur sa belle barbe ; puis il prit ses filles dans ses bras, et les pressa sur son cœur, car il les aimait beaucoup. Il pleure de ses yeux, et très-fortement soupire : « Or çà, doña Chimène, la mienne femme très-accomplie, je vous aime autant que mon âme ; déjà, vous le voyez, qu’il faut, nous vivants, nous séparer. […] Sur les champs de bataille où il va se prodiguer, il est terrible, il est le batailleur par excellence, clément d’ailleurs le lendemain, aimé, béni et pleuré, quand il les quitte, des vaincus eux-mêmes, des Maures et Mauresques chez qui il a vécu.

1242. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Ces bonnes gens, vrais enfants, qui ne savaient rien et ne pensaient guère, n’aimaient rien tant que de se faire conter des histoires. […] Ils aimaient à écouter leurs conteurs qui en conservaient et accroissaient le précieux dépôt. […] Mais le roi reprend sa femme, et Tristan s’en va errant aux pays lointains : les années passent, il aime encore, mais il doute, il se croit dupe et trahi, il se laisse persuader d’épouser une autre femme : le cœur tout navré de doux souvenirs, il prend comme une image de la bien-aimée une Yseult comme elle, et blonde comme elle. […] Le bon roi March tourne au George Dandin : ce malheureux, si intimement, si tendrement épris, qui ne peut que souffrir sans haïr, qui aime comme Tristan, mieux peut-être, et qui pourtant n’a pas bu le philtre, pourquoi en vérité le faire ridicule ? […] En même temps, notre auteur aime à moraliser ; il raisonne volontiers sur ce qu’il conte, analyse, épilogue, marivaude, débite une sentence, lâche parfois une épigramme contre les dames : mais à l’ordinaire il les cajole, il les respecte.

1243. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

3º Je préfère de beaucoup le critique « impressionniste », qui est presque toujours, par ailleurs, un créateur, qui en général aime les livres et la vie plus que sa propre critique, et est rarement ennuyeux ; si ses créations ont de la valeur, il y a des chances pour que ses « impressions » soient intéressantes, et s’il a ce goût naturel qui est la première et la plus nécessaire qualité du critique, on le lira toujours avec plaisir. […] Le public français aime qu’une question soit vidée. […] Mais le public a la critique qu’il demande et qu’il mérite, et s’il n’y a dans les Revues et les journaux que « de la poussière de critique » comme vous dites, c’est que le public n’aime que la poussière. […] J’aime mieux relire les essais de Taine sur Balzac ou Michelet. […] La mienne s’adresse à un critique avant tout artiste, averti, capable d’aimer et de sentir la beauté ( Beauté, mon beau souci !

1244. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

La marquise trouve moyen d’attaquer Mirabeau sur le chapitre de la Belinde, et celui-ci se défend, en homme de bonne compagnie, de l’avoir jamais aimée : Veuillez m’en croire, Madame la marquise, si vous en exceptez un petit nombre de moments qui sont bien courts quand aucun intérêt ne les précède et ne les suit, j’y ai trouvé beaucoup d’ennui ; mais je n’y restais pas autant que vous l’avez pu penser. […] C’est pour une femme la moins embarrassante manière de répondre à quelqu’un qui vient de lui dire : Je vous aime. […] En un mot, jamais on n’est parti de plus loin pour aimer un homme. » Mme de Monnier finit pourtant par trouver la vraie raison de la faiblesse avec laquelle elle en vint à écouter M. de Montperreux : « Il est difficile peut-être à une femme aussi jeune, aussi ennuyée, aussi obsédée que je l’étais, de s’entendre dire longtemps qu’elle est aimée sans en être émue. […] Vous n’êtes que pour un moment à Pontarlier, et je ne sais point aimer pour un moment. […] Mirabeau aimait beaucoup ce quatrième Dialogue, et le trouvait très joli ; il est, du moins, tout à fait dans le goût du siècle, dans celui de Diderot cette fois bien plus que de Rousseau ; et, tel quel, il fut d’un effet victorieux auprès de Sophie.

1245. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Il aime parce qu’il veut aimer. Il est de ces personnages que vise la remarque de La Rochefoucauld, qui n’aimeraient pas s’ils n’avaient entendu parler de l’amour. […] Mais, s’il réussit à se persuader qu’il aime, il ne ressent en réalité aucun des effets de l’amour. […] Elle est la sœur de cette enfant, à qui Baudelaire dédiait son poème des « Bienfaits de la lune », et à qui l’astre prédit : « Tu aimeras… le lieu où tu ne seras pas, l’amant que tu ne connaîtras pas. » On voit en elle un principe insatiabilité, un principe de rupture de tout équilibre, de toute harmonie, de toute paix, de tout repos, un principe de fuite où l’on distinguera plus tard un des ressorts essentiels de la nature humaine, la source du mouvement et du changement. […] À la faveur de lectures identiques, Léon s’est composé de l’amour, de l’art et de la nature, une conception analogue à la sienne ; elle pourra être aimée de lui parmi le décor sentimental précis qu’elle a dessiné dans son rêve.

1246. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Il aime tant à observer coûte que coûte, et plume en main, qu’il a ainsi laissé la description pittoresque d’un sien laquais, et le caractère détaillé et assez laid de deux de ses secrétaires12. […] l’estimerai-je moins parce qu’elle m’aura aimé davantage ? […] Il en fut pour son zèle : seulement, au lieu d’en plaisanter et de se moquer de lui-même en le racontant, comme font les gens bien appris, il ajoute, en y revenant avec un certain sérieux et avec persistance : « Mais je sus que cela avait été bien lu au roi, qui, quoique tout enfant, aima à entendre dire qu’il avait opéré ce miracle », De retour à Paris après quatre ou cinq années d’intendance, il siégea au Conseil d’État, et peu à peu s’y fit distinguer par le garde des sceaux Chauvelin et par le cardinal de Fleury. […] Ceux même qui n’aimaient guère de son vivant le garde des sceaux d’Argenson l’apprécient mort et le classent au rang des meilleurs ministres, un des derniers de l'école de Louis XIV, et en même temps ils parlent de lui comme d’un homme qui, vu de près, était bon homme et d’excellente compagnie. […] Ce n’est pas le style d’un académicien ni d’un homme essentiellement poli ; ce n’est pas celui d’un grand seigneur, mais plutôt d’un bourgeois comme du temps de d’Aubray dans la Satyre Ménippée, ou si l’on aime mieux, d’un gentilhomme campagnard, de bonne race, nourri de livres, et qui s’exprime crûment, rondement et avec sève.

1247. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Entré dans le régiment des Gardes à neuf ans en qualité de cadet, il avait fait les campagnes de 1735, de 1743, et avait donné des preuves de son intrépidité, d’une intrépidité assaisonnée de bons mots, ce qu’on aimait alors. […] L’officier répliqua qu’il aimerait mieux la croix. « Vraiment, je le crois bien », dit le roi en passant son chemin. […] Il aimait à railler ; il avait son genre d’impertinence à lui et son cachet particulier de persiflage. […] Il fut acquitté en janvier 1790, et il mourut seize mois après, le 2 juin 1791 à l’âge de soixante-dix ans, échappant au spectacle des derniers malheurs où allait achever de se confondre l’ordre social qu’il avait aimé. […] [NdA] Stendhal (Beyle) qui avait plus d’une raison pour goûter Besenval et qui le cite souvent à l’appui de ses propres vues sur la société, a dit de lui : « J’aime ses mémoires ; il a la première qualité d’un historien, pas assez d’esprit pour inventer des circonstances qui changent la nature des faits ; et la seconde, qui est d’écrire sur des temps qui intéressent encore.

1248. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Ce fut le motif ou le prétexte ; mais surtout il aimait le changement, la nouveauté, et, par conséquent, voyager pour voyager. […] « Les voyages, disait-il, ne me blessent que par la dépense. » Il aimait mieux les faire plus courts et moins fréquents, mais plus à son aise, sinon en grand seigneur et avec un grand train, du moins avec un train fort honnête. […] Quant à l’air, il remerciait Dieu de l’avoir trouvé si doux, car il inclinait plutôt sur trop de chaud que de froid, et en tout ce voyage, jusques lors, n’avions eu que trois jours de froid et de pluie environ une heure ; mais que du demeurant, s’il avait à promener sa fille, qui n’a que huit ans, il l’aimerait autant en ce chemin qu’en une allée de son jardin ; et quant aux logis, il ne vit jamais contrée où ils fussent si dru semés et si beaux, ayant toujours logé dans belles villes bien fournies de vivres, devin, et à meilleure raison qu’ailleurs. » Montaigne, à la veille de quitter l’Allemagne et le Tyrol autrichien, écrit une lettre à François Hotman, ce célèbre jurisconsulte qu’il avait rencontré à Bâle, pour lui exprimer sa satisfaction de tout ce qu’il a vu dans le pays et le regret qu’il avait d’en partir si tôt, quoique ce fût en Italie qu’il allât ; ajoutant qu’excepté quelques exactions à peu près inévitables des hôteliers guides et truchements, « tout le demeurant lui semblait plein de commodité et de courtoisie, et surtout de justice et de sûreté. » Cette première partie de son voyage, dont il se montrait si enchanté, n’avait fait que le mettre en goût et en appétit de découverte. […] Il aimait le voyage pour le voyage même, — aller pour voir et voir encore. […] Il commence par comparer Rome, la neuve, celle du beau monde, avec Paris qu’il aimait beaucoup ; mais il n’insiste pas sur cette comparaison, et il remet et laisse bientôt Rome à son rang unique.

1249. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Je puis paraître porter bien loin la susceptibilité littéraire, mais j’aimerais mieux, si j’étais jeune, et par respect même pour la littérature, un tout autre emploi que celui-là de mon temps et d’un si bel âge ; la jeunesse offre tant d’autres distractions ! […] J’aime à prendre mes autorités dans le siècle même. […] Chacun, s’il n’y prend garde, s’aime et se préfère à tous les autres ; chacun se trouve si naturellement sous sa main comme type et premier modèle de l’espèce de talent et du genre de beauté qu’il accueillera et louera chez autrui, en repoussant plus ou moins tout ce qui en diffère ! […] Et moi-même tout le premier qui écris ceci, si je me plais à tout moment à briser le moule auquel je serais tenté de m’asservir, si je me force d’aimer ce que je ne suis pas ou le contraire même de ce que je suis, ce n’est pas désintéressement du moi : c’est que je me pique peut-être de n’être rien en particulier et que je m’aime mieux apparemment sous cette forme brisée, multiple et fuyante que sous toute autre.

1250. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

On a jeté de l’argent à la portière de sa voiture pour douze mille livres, dit-on. » Tel fut l’effet que produisit, à vingt-cinq ans, sur le bourgeois de Paris cette bonne reine, très aimée et très populaire. […] Elle n’est ni haïe ni aimée. […] Il nous la montre « aimable dans ses reparties, ingénieuse dans le détail de ses réponses et de ses propos ; ayant le cœur droit, excellent », très aimée, populaire même ; digne fille d’un vertueux père « qui avait répandu en elle toute la bonté et la candeur d’un monarque honnête homme ; ennemie de la dépense, souffrant des tourments réels et des supplices quand elle apprenait quelque calamité publique » ; une vraie mère des Français ; adoptant et admirant tout des grandeurs de la nation ; ne se considérant d’ailleurs que comme la première sujette de son époux : « Véridique avec le cardinal Fleury, hardie même auprès de lui plutôt que fausse, elle sortait, mais rarement, de cet état d’indifférence où elle s’était mise, et lui reprochait avec esprit et doucement les petites tracasseries qu’il lui faisait auprès du roi ; elle souriait un peu malignement, le déconcertait quelquefois et prenait alors le ton de reine de France ; elle lui disait que c’était à lui qu’elle était redevable d’une telle parole du roi. […] On se le représentera facilement, si l’on pense que cette reine aimait à la passion son époux, qu’elle le voyait lui échapper entièrement, dans la fleur encore de sa jeunesse à lui, et à l’âge où elle-même elle commençait à se flétrir ; qu’elle avait pour dames du palais, nommées pour l’accompagner et la servir, précisément ces mêmes sœurs rivales qui lui enlevaient à tour de rôle le cœur du roi et se le disputaient entre elles, de manière à compromettre aussi le salut éternel de son âme. […] « Thémire aime Dieu, et, immédiatement après, tout ce qui est aimable ; elle sait accorder les choses agréables et les choses solides ; elle s’en occupe successivement et les fait quelquefois aller ensemble.

1251. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Je ne peux pas dire qu’il me traite en dessous et en enfant, et qu’il ait de la défiance pour moi : au contraire ; il lui échappait l’autre jour un long discours devant moi et comme s’il parlait à lui-même sur les améliorations à introduire dans les finances et dans la justice ; il disait que je devais l’aider, que je devais être la bienfaisance du trône et le faire aimer, qu’il voulait être aimé ; mais il n’a pas énuméré ses moyens d’action, soit qu’il ne les ait pas encore combinés, soit qu’il les garde pour ses ministres ; il leur écrit beaucoup ; c’est au vrai un homme qui est tout en lui, qui a l’air d’être fort inquiet de la tâche qui lui est tombée tout à coup sur la tête, qui veut gouverner en père. […] Feuillet de Conches, Joseph II écrivait à Louis XVI avec une véritable cordialité et de l’effusion : « Vous savez que je ne suis pas un diseur de belles phrases ; mais ce n’en sont certainement point, si je vous assure que je vous aime de tout mon cœur et que mon estime et amitié la plus sincère vous sont vouées pour la vie. […] Mais il est un point sur lequel je tiendrai ferme et protesterai à l’égal des plus vifs défenseurs de Marie-Antoinette : non, cette reine charmante, noble et fière, aimable, sensible, élégante, n’aimait pas et ne pouvait pas aimer les vilaines lectures, et si elle avait de la prédilection pour quelques romans, je pourrais bien vous dire lesquels : c’était pour ceux de Mme Riccoboni ; là et non ailleurs serait sa nuance ; les Lettres de Juliette Catesby lui plaisaient, et si elle avait été condamnée à lire un peu trop longtemps par pénitence, c’est de ce joli roman ou de l’Histoire d’Ernestine qu’elle eût fait volontiers son livre d’Heures 62.

1252. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

On aime à paraître se contrarier, même lorsqu’au fond on est d’accord ; cela fait aller la conversation et sortir toutes les idées. […] J’ai bien envie de me récuser sur le reste de l’historiette ; je ne me sens pas bon juge ; je ne suis pas de ceux qui regrettent que la France ne se soit pas faite protestante à de certains jours : chaque nation a son tempérament à elle : j’aime mieux, je l’avoue, une France catholique ou philosophique. […] Ces deux femmes, si elles s’étaient rencontrées, se seraient-elles comprises, se seraient-elles aimées ? […] Elle aussi, elle a visité les montagnes : dans les dernières années de sa vie, malade, on l’envoya prendre les eaux à Cauterets ; elle dut quitter sa chambre du Cayla, cette chambrette bien aimée devenue caveau par tout ce qu’elle contenait de chères reliques, un vrai « cloître de souvenirs. » Elle ne se plut que médiocrement dans les Pyrénées, « la plus magnifique Bastille où l’on puisse être renfermé », disait-elle, et, sa saison faite, elle fut heureuse d’en sortir. […] Permettez-moi de vous dire, avant tout, combien j’aime votre Eugénie de Guérin !

1253. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

J’aurais mieux aimé toutefois, je l’avoue, un peu plus d’impartialité ou de curiosité à sa rencontre, une information plus complète, et que l’éditeur, au lieu de considérer comme réfutées par la présente Correspondance les différentes accusations dont ce guerrier courtisan a été l’objet, daignât les discuter davantage, qu’il opposât le pour et le contre, maintînt en présence les contradictions réelles ; qu’il s’appliquât enfin à combiner les différents traits qui sont transmis à son sujet, et qui contrastent sans se détruire. […] Saint-Simon était bien avec le duc de Bourgogne, le présent Dauphin ; lui mort, il n’était pas moins bien avec le duc d’Orléans, le futur et prochain Régent ; il n’était pas homme à servir mollement ceux qu’il aimait. Le duc de Noailles se fit aimer de lui, il en prit la peine : ce raffiné musicien pinça avec lui les cordes qu’il savait lui tenir le plus au cœur, notamment la dignité des ducs si abattue. […] « Il avait une si grande vivacité d’esprit que ceux qui ne l’aimaient pas la faisaient passer pour inconstance ou même pour folie. » Il multipliait sur tous sujets les écritures, les mémoires, et les refondait sans cesse : il faisait tourner la tête à ses secrétaires. […] La gloire des bons citoyens le touchait, et quoiqu’il s’aimât lui-même bien plus que la patrie, il préférait la patrie à tout le reste.

1254. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Chéruel le contraire de ce qui arrive aux autres éditeurs : plus il a vécu avec son auteur, moins il l’a aimé ; en le suivant de trop près, il lui a retiré, sinon de son admiration, du moins de son estime. […] Saint-Simon aime à dire la vérité ; il croit la dire, il la cherche et se donne toutes les peines du monde pour la trouver ; mais ses informations peuvent l’abuser, sa passion l’emporte, son feu de coloriste s’en mêle : de là des excès de pinceau et des erreurs matérielles comme en contiennent nécessairement tous les Mémoires qui ne sont pas faits sur pièces et qui s’écrivent d’après des impressions ou sur des on dit. […] Chéruel, en m’arrêtant un moment sur Saint-Hilaire, auteur de Mémoires qu’il aime à citer, Mémoires trop peu connus et dont il nous signale, à la Bibliothèque du Louvre, un manuscrit plus exact et plus complet que l’imprimé. […] Je courus aux batteries faire tirer, afin de venger la perte de l’État et la mienne. » De telles pages, toutes sincères et d’original, sont de ces bonnes fortunes qu’on ne saurait négliger en passant et dont on aime à faire partager l’impression à ses lecteurs. […] Chéruel aime à s’appuyer, va nous servir à apprécier sur un point le talent de Saint-Simon et l’accent par lequel il tranche sur les récits ordinaires.

1255. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

J’aimerais assez, si c’était possible, qu’on fît pour l’étude de l’histoire ce que Descartes a tenté de faire pour l’étude de soi-même, table rase de ses opinions antérieures. […] On assiste à tous les détails de l’enfance et des fiançailles de la jeune Élisabeth, à ses ruses innocentes parmi ses compagnes pour se mortifier à leur insu et prier, à ses premières joies si courtes et qu’on sent qui vont s’évanouir : « Ainsi Dieu, dit l’auteur, donne à sa créature cette rosée matinale, pour qu’elle sache résister ensuite au poids et à la chaleur du jour. » — « Élisabeth, » raconte-t-il plus tard en un endroit, « aimait à porter elle-même aux pauvres, à la dérobée, non-seulement l’argent, mais encore les vivres et les autres objets qu’elle leur destinait. […] Ainsi, dans ce style de couleur exacte et simple, le château de la Wartbourg ne devrait jamais être désigné, ce me semble, comme le centre du mouvement politique et administratif du pays : je n’aime pas non plus voir sainte Élisabeth jeter les bases de la vénération dont ces beaux lieux sont entourés. […] J’eus soin d’ailleurs de m’y maintenir dans cette ligne de neutralité littéraire que j’aime à observer, surtout en face de doctrines tranchées et absolues. […] Si je pouvais espérer vous rencontrer à l’un de mes premiers voyages en Belgique (Mme de Montalembert me croyait encore en Belgique, ou je n’étais plus de puis quelques mois), j’aimerais à vous réitérer moi-même cette expression de la grande jouissance que vous m’avez fait éprouver.

1256. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Au reste, je ne voudrais pas répondre que Napoléon n’eût lui-même suggéré au peintre cette idée du cheval fougueux ; il aimait les genres tranchés, comme il disait ; il les aimait jusqu’au point de ne pas haïr le convenu. […] Il aimait la gloire comme le chemin des jouissances. […] J’aime les peintres et les poètes, et ce n’est pas moi, certes, qui voudrais les amoindrir ; mais je ne puis m’empêcher de noter les différences. […] J’aime mieux qu’il ait des chefs d’une espèce pareille à celui-ci, qui ne peut ni monter à cheval, ni manier le sabre, que de lui en voir comme Mourad Bey et Osman Bey.

1257. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Napoléon écrivait à son frère Joseph, alors roi de Naples, qui aimait fort les gens de lettres : « Vous vivez trop avec des lettrés et des savants. […] Le philosophe absolu a beau vous dire : « En histoire, j’aime les grandes routes, je ne crois qu’aux grandes routes. » Le bon sens répond : « Ces grandes routes, c’est l’historien le plus souvent qui les fait. […] Montaigne, qui en aimait avant tout la lecture, nous a donné les raisons de sa prédilection, et ce sont les nôtres. Il n’aimait, nous dit-il, que les historiens tout simples et naïfs, qui racontent les faits sans choix et sans triage, à la bonne foi ; ou, parmi les autres plus savants et plus relevés, il n’aimait que les excellents, ceux qui savent choisir et dire ce qui est digne d’être su.

1258. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Voici le plus joli couplet de cette agréable chansonnette : Belles qui formez des projets, Trente ans est pour vous le bel âge ; Vous n’en ayez pas moins d’attraits, Vous en connaissez mieux l’usage : C’est le vrai moment d’être heureux ; On plaît autant, on aime mieux. […] J’aime de son style, dans les parties délicates, cette efflorescence (je ne sais pas trouver un autre mot) par laquelle il donne à tout le sentiment de la vie et fait frissonner la page elle-même. […] Quand il était de loisir (et il trouvait souvent moyen de l’être, livrant ses journées à la fantaisie, consumant ses nuits au travail), il aimait à aller à la chasse de ce qu’il appelait les beaux morceaux. […] Si j’avais l’espace devant moi, j’aimerais à parler ici du dernier roman de M. de Balzac, l’un des plus remarquables, à mon sens, sinon des plus flatteurs pour la société actuelle. […] Il a aussi de la gaieté et rencontre en ce genre des types heureux et naturels ; mais, de plus, il aime, il affecte les excentricités et se plaît trop à les décrire.

1259. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Parmi les personnes qui ont le plus feuilleté Vauvenargues et qui aiment à citer de lui des Pensées, il en est peu, on ose l’affirmer, qui aient étudié exactement cette première partie de ses écrits, et qui aient bien cherché à se rendre compte de sa théorie véritable. […] » Il aime à parler, en toute rencontre, de l’homme bien né, de la beauté du naturel, qui nous porte au bien. […] J’aime à croire que celui qui a conçu de si grandes choses n’aurait pas été incapable de les faire. […] Ce qu’il aimait dans la jeunesse, c’était le naturel, la pudeur, les grâces déjà sérieuses, la modestie unie à une honnête confiance, l’amour de la vertu. […] Une trop longue paix lui paraît funeste : « La paix, dit-il, rend les peuples plus heureux et les hommes plus faibles. » Et il ajoute excellemment : « La guerre n’est pas si onéreuse que la servitude. » Ce n’est pas tant de la servitude du dehors qu’il s’agit ici que de celle du dedans et de la lâcheté qui envahit les âmes : « La servitude, dira-t-il encore, abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer.

1260. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

On aime à revoir les lieux qu’on a habités dans son enfance… Je crois rajeunir en quelque manière ; je crois voir renaître ces jours précieux, ces jours irréparables de la jeunesse… On est assez embarrassé d’avoir à citer avec d’Aguesseau, car rien en particulier n’est original, ni bien vif, ni bien neuf, et il convient d’attendre et de prolonger la lecture jusqu’à ce que l’affection dont j’ai parlé opère ; mais alors l’agrément se fait sentir, un agrément honnête et sûr, et salubre. […] Il est également pour la liberté morale, pour la liberté d’examen, et il aime à l’exercer pour son compte et à s’en donner le plaisir dans un cercle à l’avance tracé. […] Ceux qui haïssent ainsi les hommes sont le plus souvent les mêmes qui les ont d’abord le plus recherchés et aimés, et qui n’ont trouvé dans leur commerce qu’amertume et dégoût. […] C’est dans les pages mêmes du fils qu’il faut apprendre à aimer l’expression modérée, continue et pleine, de cette belle vie antique de M. d’Aguesseau le père ; c’est là qu’il faut voir briller, sous des cheveux de plus en plus blancs, la vertu toujours égale du vieillard dans toute la fleur de sa première innocence. […] C’est à quoi d’Aguesseau fait allusion ; il aimait à citer ce mot de saint Augustin, et si, dans le cas présent, il s’est permis un trait de mauvais goût, ç’a été à condition encore que ce fût d’après un ancien et d’après un Père de l’Église.

1261. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Énonçant les motifs, réels ou non, qu’il avait eus pour entrer dans la discussion, il alla droit, avant tout, à l’adversaire, et le frappant de l’épée au visage, selon le conseil de César, il le raillait sur cette prétention au patriotisme, au désintéressement et au bien public, de laquelle Beaumarchais aimait (et assez sincèrement, je le crois) à recouvrir ses propres affaires et ses spéculations d’intérêt : Tels furent mes motifs, s’écriait-il déjà en orateur, en maître puissant dans la réplique et dans l’invective ; et peut-être ne sont-ils pas dignes du siècle où tout se fait pour l’honneur, pour la gloire, et rien pour l’argent ; où les chevaliers d’industrie, les charlatans, les baladins, les proxénètes n’eurent jamais d’autre ambition que la gloire sans la moindre considération de profit ; où le trafic à la ville, l’agiotage à la Cour, l’intrigue qui vit d’exactions et de prodigalités, n’ont d’autre but que l’honneur sans aucune vue d’intérêt ; où l’on arme pour l’Amérique trente vaisseaux chargés de fournitures avariées, de munitions éventées, de vieux fusils que l’on revend pour neufs, le tout pour la gloire de contribuer à rendre libre un des mondes, et nullement pour les retours de cette expédition désintéressée… ; où l’on profane les chefs-d’œuvre d’un grand homme (allusion à l’édition de Voltaire par Beaumarchais), en leur associant tous les juvenilia, tous les senilia, toutes les rêveries qui, dans sa longue carrière, lui sont échappées ; le tout pour la gloire et nullement pour le profit d’être l’éditeur de cette collection monstrueuse ; où pour faire un peu de bruit, et, par conséquent, par amour de la gloire et haine du profit, on change le Théâtre-Français en tréteaux, et la scène comique en école de mauvaises mœurs ; on déchire, on insulte, on outrage tous les ordres de l’État, toutes les classes de citoyens, toutes les lois, toutes les règles, toutes les bienséances… Voilà donc Mirabeau devenu le vengeur des bienséances et des bonnes mœurs contre Beaumarchais, et Figaro passant mal son temps entre les mains du puissant athlète, qui le retourne et l’enlève de terre au premier choc. […] Un fils qu’il avait eu de son second mariage n’avait pas vécu ; mais il avait une fille qu’il aimait tendrement, nommée du nom d’Eugénie, et que tout annonce avoir été charmante. […] » Dans une de ses lettres finales, nous surprenons de lui un espoir ou du moins un désir sur l’immortalité de l’âme : Je n’aime pas, disait-il à un ami, que, dans vos réflexions philosophiques, vous regardiez la dissolution du corps comme l’avenir qui nous est exclusivement destiné ; ce corps-là n’est pas nous ; il doit périr sans doute, mais l’ouvrier d’un si bel assemblage aurait fait un ouvrage indigne de sa puissance s’il ne réservait rien à cette grande faculté à qui il a permis de s’élever jusqu’à sa connaissance ! […] C’est bien là l’homme qui fut aimé de tous ceux qui l’approchèrent, qui mêlait un fonds de bienveillance à la joie, un fonds de simplicité à la malice, qui avait écrit sur le collier de sa chienne : « Beaumarchais m’appartient ; je m’appelle Florette ; nous demeurons Vieille-Rue-du-Temple » ; et de qui son biographe et son fidèle Achate, Gudin, a écrit naïvement : « il fut aimé avec passion de ses maîtresses et de ses trois femmes. » Et ce n’est pas seulement Gudin qui parle ainsi, c’est La Harpe, peu suspect de trop d’indulgence, et qui dit, en nous montrant le Beaumarchais de la fin et au repos, tel qu’il était assis dans le cercle domestique et dans l’intimité : « Je n’ai vu personne alors qui parût être mieux avec les autres et avec lui-même. » C’est Arnault encore, qui, dans ses Souvenirs, lui a consacré des pages pleines d’intérêt et de reconnaissance ; c’est Fontanes enfin, qui, trouvant qu’Esménard l’avait traité bien sévèrement dans le Mercure, écrivait une lettre où on lit (septembre 1800) : Quant au caractère de Beaumarchais, je vous citerai encore sur lui un mot de Voltaire : « Je ne crois pas qu’un homme si gai soit si méchant » ; et ceux qui l’ont vu de près disent que Voltaire l’avait bien jugé.

1262. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Et, maintes fois, il avait recommandé aux siens de lui épargner, quand l’heure suprême serait venue, tout spectacle, tout indice qui pourrait lui donner le soupçon que c’était fini pour lui de vivre et d’aimer. […] Que dirais-je d’Émile Augier, si ce n’est que j’admirais le poète et que j’aimais l’homme de tout mon cœur ? […] [Sarah Bernhardt] Je ne l’ai pas toujours aimé; je l’ai toujours admiré, et je le regrette de tout mon cœur. […] Augier a beaucoup fréquenté le monde officiel sous l’Empire : c’était un des aimés du prince Napoléon et de la princesse Mathilde. […] La princesse aimait à causer avec lui de l’Académie, du théâtre, de la Comédie-Française, de provoquer maintes petites confidences qu’Augier se laissait volontiers arracher.

1263. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Comme toute femme qui a fait des observations sur son propre cœur, elle a écrit un roman, intitulé Nelida (on aimerait mieux qu’elle l’eût gardé dans son âme) ; puis des lettres politiques si pleines des erreurs du temps où elle les publia, qu’elle n’a pas osé les rééditer, tant les événements qui se sont produits depuis 1849 l’auraient confondue ! […] Ils craindraient, disent-ils, d’être moins aimés. » Et elle ajoute comme une objection renversante : « Ombre d’Héloïse, levez-vous et répondez-leur ! » ne s’apercevant pas qu’Héloïse précisément fait la réponse contraire ; que jamais cet atroce bas-bleu anticipé à qui la science avait châtré le cœur, tout en lui corrompant la tête, n’avait aimé son misérable Abeilard. […] Belle autrefois, mais d’une beauté métaphysique, pour ainsi dire, et méprisée des sensuels et des connaisseurs en volupté ; d’un visage correct de médaille que ne réchauffaient même pas ses cheveux blonds devenus très vite blancs, entre la vieillesse et la pensée, elle a dû être mauvaise à aimer pour les âmes ardentes Comme elle a dû les impatienter ! […] Dans cette Histoire des Pays-Bas, qui rappelle les histoires de cet historien, si gravement terne, et où il se trouve trois ou quatre grandes figures qu’elle devrait aimer et trois ou quatre autres qu’elle devrait haïr et qu’elle décrit sans émotion quelconque, a-t-elle, une seule fois  accouché, frémissante, d’une page chaude ?

1264. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

On s’imaginait tout connaître de cette intelligence profonde et grave, et dont l’éclat est d’autant plus vif et plus dardant que son bloc, comme celui du diamant, est plus massif et plus solide, quand, bien du temps après sa mort, on s’est avisé de publier sa Correspondance avec sa fille, qui étonna tout à la fois et qui ravit, et modifia, pour la plupart des lecteurs, qui n’ont pas vu le lion quand il aime, la physionomie de ce lion-ci, qui avait la grâce au même degré que la force, car il ne pouvait pas l’avoir davantage ! […] Et ni la Révolution française, qu’il n’aimait certes pas ! […] Indépendamment de l’intérêt de la recherche qu’on aime à faire des premiers produits d’un talent quelconque, le dernier volume de Joseph de Maistre mérite d’être lu pour lui-même. […] Ils ne comprirent pas, enfin, que cet homme-là ne fut jamais plus l’homme du Pape que quand il dit du mal d’un certain Pape, et qu’il y a le mal qu’on dit de ceux qu’on aime et les morsures de l’amour ! […] Ses Discours sur Tite-Live, à lui, furent les Considérations sur la France, et cette méditation éternelle de la Révolution française à laquelle il retombait toujours, de toutes les pentes de la métaphysique, qu’il aimait à monter appuyé sur l’Histoire.

1265. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Les Solitaires ont auprès d’eux des têtes de mort, quand ils dorment, Voici un Rancé, sans la foi, qui a coupé la tête à l’idole matérielle de sa vie ; qui, comme Caligula, a cherché dedans ce qu’il aimait, et qui crie du néant de tout, en la regardant ! […] Eh bien, c’est égal, malgré la science et malgré la prose, il y a du poème et du poète aussi dans cette analyse, qui se fait honneur d’être sèche, exacte, précise, rechercheuse d’infiniment petites choses, côtoyant ce qui va cesser d’être tout à l’heure : l’abîme du rien, — sur les bords duquel aiment à se promener messieurs les faiseurs d’analyse ! […] Les uns y ont vu une étude très soignée, très épinglée, très atomistique, où rien n’est oublié des sensations et des nuances de sensation par lesquelles on passe dans les états qu’il décrit… et j’aime mieux le croire que d’y aller voir. […] Moi, je demanderai la permission d’écarter le livre, et d’aller à l’auteur, que j’aime ! […] Or, cet Edgar Poe, il faut bien l’avouer, tout en convenant de son génie, n’est au fond qu’un puffiste sublime, qui méprise son public et le lui prouve, sans le lui dire, en lui construisant une littérature à le dompter, ce public américain qui aime les tours de force, et à le tenir les yeux dilatés dans la terreur des extraordinaires histoires qu’il lui raconte.

1266. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Et madame de Sévigné, malgré les grands airs qu’elle prend d’aimer les Rochers et leurs habitants, bien qu’on puisse voir en elle une aïeule des bergères patriciennes de la fin du xviie  siècle, n’est au fond qu’une Parisienne parisianisante, qui regrette Paris dès qu’elle a mis le pied en Bretagne. […] Non, non, avec tout le respect que je dois au génie de vos lettres, je vous déclare que vous n’aimiez pas vos bois, que vous n’aviez qu’une tendresse bien vague pour un objet si vaguement décrit, et que vous ne goûtiez parmi eux que la liberté de vos pensées de femme et de vos regrets de Parisienne. […] Quelques réminiscences de Balzac, un démarquage maladroit de Madame Bovary, deux ou trois portraits, qui voudraient être méchants, d’êtres inoffensifs connus et peut-être aimés autrefois, et nous avons un nouveau livre sur la province ou plutôt contre elle. […] Mais aujourd’hui, les rares costumes provinciaux qui subsistent en France, personne ne songe plus à les trouver ridicules ; on les aime, on les célèbre, ils font partie de la précieuse « couleur locale », et chacun sait qu’il en reste bien peu, non seulement en France, mais en Europe. […] Sans doute ils trouveraient un décor indéfiniment renouvelé, dans ces paysages de villes et de campagnes dont la variété émerveille l’étranger et lui fait aimer notre pays, ce « splendide hexagone », comme dit miss Betham Edwars ; et ce serait déjà quelque chose de ne pas être exposé à relire la description des ponts de la Seine au soleil couchant, ou de la ville aperçue du haut de Montmartre à l’heure du bec de gaz.

1267. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

— Enfin on a publié depuis lors (1856) les Mémoires mêmes, si souvent cités et invoqués, et le Journal tout entier de l’abbé Ledieu, ce secrétaire de Bossuet, dont le nom et le renom valent mieux que la personne, qui n’est pas l’exactitude ni la délicatesse même, mais qui aimait, somme toute, son évêque, qui l’admirait, et qui, ayant songé de bonne heure à tirer parti de son intimité pour écrire ce qu’il voyait et ce qu’il entendait, nous a rapporté bien des choses qui se ressentent du voisinage de la source, et que rien ne saurait suppléer. […] Il y avait maintes choses qu’il n’aimait pas, qu’il n’entendait pas ou (ce qui revient au même) auxquelles il ne voulait pas entendre. […] On ajoute qu’il aimait pourtant à en entendre discourir ; j’en doute. […] Mais en général il n’aimait pas, nous diton, les sermons in promptu.

1268. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

J’aime ces extraits qui font voyager les pensées d’un auteur là où elles n’iraient jamais autrement, et qui sèment jusque dans les camps opposés le respect, parfois même un peu d’affection pour ceux que l’on combat ; cela civilise les guerres : « Il y a peu d’années, disait le Père Lacordaire, s’adressant à son jeune ami qu’il désigne sous le nom symbolique d’Emmanuel, les Martyrs de M. de Chateaubriand me tombèrent sous la main ; je ne les avais pas lus depuis ma première jeunesse. […] Je les aime comme vous ; mais, à mesure qu’on vieillit, la nature descend et les âmes montent ; et l’on sent la beauté de ce mot de Vauvenargues : « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes 83. » C’est pourquoi on peut toujours aimer et être aimé.

1269. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

Puisqu’on se donnait le temps de discuter si au long et de remanier sur quelques points le sénatus-consulte, j’aurais aimé qu’on tînt plus compte de l’amendement de M. de Sartiges et de la première partie du plan proposé par M. le président Bonjean, qui, l’un et l’autre, tendaient à ménager et à résoudre les conflits possibles entre le Corps législatif et le Sénat. Je n’aime pas que le Sénat, en eût-il le droit constitutionnellement, affecte de pouvoir s’opposer à la promulgation d’une loi sans même en donner ses motifs. […] Mais, même sans les attendre, j’aimerais qu’au sein du Sénat il fût dit et compris tout d’abord, qu’à un ordre de choses tout nouveau, il convient d’apporter un nouvel esprit. […] On aimerait à marcher sous le drapeau d’une pareille politique, aussi largement déployée.

1270. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

Dirai-je que ce sont là les présents de la chère épouse à l’époux aimé ? […] Le Chœur entend sa pensée cachée et il y répond : — « Prie pour ceux qui aimèrent ton père… Pour toi et pour quiconque hait Égisthe… Souviens-toi d’Oreste… Parle des meurtriers… Souhaite qu’un vengeur arrive et les égorge à leur tour. » — La libation est empoisonnée, Électre peut la verser sur la tombe ; ses paroles l’imprègnent encore d’une mortelle amertume. […] Le vieux Phœnix envoyé avec Ulysse, par Agamemnon, pour fléchir le héros rentré sous sa tente, lui rappelle comment il jouait avec lui dans son enfance, lorsqu’il était l’hôte de Pélée — « Et je l’aimais dans mon cœur, autant que ton père, ô Achille semblable aux Dieux ! […] » — « Tu aimes cet homme ?

1271. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Ils n’avoient jamais tant aimé Dieu, que depuis qu’ils l’aimoient dans madame Guyon. […] Ses mœurs ne furent point à l’abri de la critique : on l’accusoit d’aimer les femmes. […] Elle le vit, l’écouta, l’admira, l’aima sur-tout. […] Ils ne vouloient point admettre la réalité d’un état dans lequel on aime dieu sur la terre, absolument & sans intérêt, pour lui-même.

1272. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Deux vers isolés cependant offrent peut-être la trace, non d’une fiction poétique, mais d’un tourment réel : « Ma douce mère, je ne puis tisser ma toile, toute vaincue que je suis par la pensée de ce jeune homme, grâce à l’entraînante Aphrodite. » D’autres fragments bien courts, et par lit d’un sens douteux, pourront faire croire que Sapho vit le mariage de sa fille chérie, et chanta pour elle : « Heureux gendre, l’union que tu souhaitais s’est accomplie, tu as la vierge que tu aimais !  […] L’affinité de leurs âmes était merveilleuse ; tous deux purs, de mœurs délicates, et divers dans leurs travaux, selon la loi de la nature : elle, par son fuseau, s’élevant à l’art de Minerve, et lui, dans ses labeurs, recueillant les dons du dieu Mercure ; elle ayant sa lyre, et lui passionné pour les livres ; elle aimée d’Aphrodite, et lui d’Apollon ; lui le premier des jeunes gens ; elle privilégiée parmi les filles. » Enfin Sapho, dans des paroles perdues dont s’est inspiré Catulle, comparait la jeune fille à ce fruit défendu, et « conservé dans sa fleur pour celui qui doit le cueillir ». […] S’il fuit maintenant, il poursuivra bientôt ; s’il n’a pas accepté de dons, il en offrira ; s’il n’aime pas, bientôt il aimera, même en dépit des refus. — Viens à moi encore aujourd’hui, ô déesse !

1273. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Une existence agitée est un suicide, si elle fait perdre le souvenir du monde meilleur ; et, quand on a conscience de sa dignité, il me semble que c’est une profanation d’employer son énergie et de ne pas lui laisser toute la sublimité des possibles… J’aime à vivre retiré, à faire les mêmes choses, à passer par les mêmes chemins : il me semble qu’ainsi je me mêle moins à la terre, et que je conserve toute ma pureté. J’aime à écouter, dans le silence de la vie d’habitude, le mouvement sourd de l’existence intérieure. […] qu’il nous pardonne en mémoire du livre que tous les deux nous avons aimé !

1274. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Mousquetaire gris à dix-sept ans, mestre-de-camp de cavalerie, il est démissionnaire en 1702, de dépit de n’avoir pas passé brigadier : le roi, qui à cette date avait plus que jamais besoin d’officiers, et qui n’aimait pas les esprits si prompts à fixer leur droit, ne lui pardonna jamais d’avoir quitté l’armée. C’est une des caractéristiques de l’organisation sociale de ce temps, que cet homme mal vu du roi, et qui n’aimait pas le roi, ait vécu plus de quinze ans près du roi, sans songer à quitter sans qu’on songeât à le renvoyer, parce que, étant duc et pair, sa place était là. […] Mais le duc d’Orléans l’aimait et l’estimait : Saint-Simon fut appelé au conseil de Régence ; son rôle n’y fut important que dans les circonstances où ses rancunes servaient les idées ou les intérêts du gouvernement, dans la substitution des conseils aux ministres, dans la déchéance des princes légitimés.

1275. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Comment Olivier se met à aimer la jeune fille sans le savoir, et comment la comtesse s’en aperçoit et prend le parti désespéré d’en avertir son ami ; comment Bertin souffre d’aimer cette enfant — lui, un vieil homme — et comment la comtesse souffre de n’être plus aimée de ce vieil homme parce qu’elle n’est plus une jeune femme ; la lutte d’Olivier contre cette passion insensée et de la comtesse contre les premières flétrissures de l’âge ; et comment la jeune fille traverse tout ce drame (qu’elle a déchaîné) sans en soupçonner le premier mot ; et comment enfin les deux vieux amants assistent, impuissants, au supplice l’un de l’autre, jusqu’à ce qu’Olivier se réfugie dans une mort à demi volontaire : voilà tout le roman.

1276. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Même en sa jeunesse première, dans la gloire de sa beauté blonde, quand il portait fièrement la tête d’un Christ qui rêve d’être Madeleine : cet être à deux faces jouisseuses aima surtout les besognes crépusculaires et équivoques. […] Seulement Régnier ne sait pas cacher, maussade, que l’anecdote ou le michet l’embête et qu’il aimerait mieux se reposer : il ne mérite guère son petit cadeau. […] Aimez-vous les Lettres à la fiancée ?

1277. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Un petit lac ne ravage pas ses bords, et personne n’en est étonné ; son impuissance fait son repos : mais on aime le calme sur la mer, parce qu’elle a le pouvoir des orages, et l’on admire le silence de l’abîme, parce qu’il vient de la profondeur même des eaux. […] Sous ces bois jaunissants j’aime à m’ensevelir ; Couché sur un gazon qui commence à pâlir, Je jouis d’un air pur, de l’ombre et du silence. […] Et toi dont le nom seul trouble l’âme amoureuse, Des bois du Paraclet vestale malheureuse, Toi qui, sans prononcer de vulgaires serments, Fis connoître à l’amour de nouveaux sentiments ; Toi que l’homme sensible, abusé par lui-même, Se plaît à retrouver dans la femme qu’il aime, Héloïse !

1278. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

Avant que votre amour m’eut envoïé ce gage nous nous aimions. Afin qu’elle pût prendre facilement un ton à l’octave au-dessus de celui sur lequel elle avoit dit ces paroles : nous nous aimions, pour prononcer, seigneur, vous changez de visage. […] Ciceron dit aussi dans le cinquiéme livre des tusculanes, en parlant des plaisirs qui restent encore à ceux qui ont eu le malheur de perdre l’ouïe : que s’ils aiment les beaux chants, ils auront peut-être plus de plaisir à les lire qu’ils n’en auroient eu à les entendre executer.

1279. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

Il n’imite pas pour imiter, mais il rappelle les poètes de son temps, et il les rappelle parce qu’au lieu de s’isoler d’eux il s’y associe ; parce que vivant intellectuellement avec eux, il les sent trop, les connaît trop et trop les aime. […] N’importe le sujet qu’il traite, il a le mot inattendu et final qui coupe et renoue et que les Anciens aimaient tant, ce dard d’abeille qu’on laisse dans la dernière strophe, — lethalis arundo ! […] Par l’aube éternelle guidée, Entrevoyant d’autres beautés, L’âme, au sort commun décidée, S’acclimate aux vives clartés Et se fait à la grande idée, Voit la terre avec d’autres yeux, Se prépare au voyage étrange, Laisse à tout d’intimes adieux, S’observe, s’écoute, se range, Se tourne souvent vers les cieux ; Se concentre dans elle-même Laissant déborder par moments Dans l’amitié de ceux qu’elle aime Les précurseurs épanchements De la fin prochaine et suprême !

1280. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Nous sommes faits pour croire, puisque nous sommes faits pour aimer et vouloir, en un mot, pour agir. […] Faire le mal au-dehors, estimer, aimer le bien au-dedans est une sorte de sagesse peu nécessaire à préconiser en présence de l’infirmité humaine. […] Il nous est dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. » Sans nul doute notre devoir est d’aimer notre Créateur par-dessus tout ; notre raison même est capable d’en convenir ; mais sera-ce le simple fait du commandement, ou même le sentiment de l’obligation qui fera naître en nous cet amour ? […] Mais ceci n’est pas particulier à La Rochefoucauld : les femmes ont souvent aimé ceux qui ont dit du mal d’elles. […] Rousseau à leur tête) que le recueil des Maximes était « un livre désolant, qui ne serait jamais aimé des bonnes gens ».

1281. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVI. Consultation pour un apprenti romancier » pp. 196-200

Le mauvais artisan fait faux, et donc inexistant parce qu’il n’aime pas assez la vie (les arbres, les rues, les calculs, les têtes…) pour en pénétrer le sens : on ne comprend qu’en aimant. Le fruit sec, le cœur sec n’aime pas et n’entend pas : quand il répète, il joue faux.

1282. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

Les Grecs n’auraient pas plus aimé un temple égyptien à Athènes, que les Égyptiens un temple grec à Memphis. […] Son affinité avec les monuments de l’Égypte nous porterait plutôt à croire qu’il nous a été transmis par les premiers chrétiens d’Orient ; mais nous aimons mieux encore rapporter son origine à la nature.

1283. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre III. Du temps où vécut Homère » pp. 260-263

Cette délicatesse de bon goût fut ignorée des Romains aux époques où les Néron et les Héliogabale aimaient à anéantir les choses les plus précieuses, comme par une sorte de fureur. — 6. […] Nous pourrions même le rapprocher encore, car Homère parle de l’Égypte, et l’on dit que Psammétique, dont le règne est postérieur à celui de Numa, fut le premier roi d’Égypte qui ouvrit cette contrée aux Grecs ; mais une foule de passages de l’Odyssée montrent que la Grèce était depuis longtemps ouverte aux marchands phéniciens, dont les Grecs aimaient déjà les récits non moins que les marchandises, à peu près comme l’Europe accueille maintenant tout ce qui vient des Indes.

1284. (1888) Portraits de maîtres

Tout y respire, tout se passionne, tout aime avec l’homme. […] Nous aimons encore ce livre pour l’évidente sincérité du fond. […] Il aimait la France comme Thraséas aimait Rome, avec trop d’attache au passé. […] Nul fils n’aima plus respectueusement et plus profondément sa mère. […] Il ne te suffit donc pas de savoir que je t’aime ?

1285. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

William Rossetti nous fassent mieux aimer ou mieux comprendre Keats. […] Elle aimait le peuple quand il se montrait royal, et les rois quand ils se montraient des hommes. […] J’aime le siècle de la poudre mieux que le siècle de Pope. […] Il faut décidément nous habituer au mopoke et à la salsepareille, faire en sorte d’aimer le gommier et le buddawong, autant que nous aimons les oliviers et les narcisses du blanc Colonus. […] Swinburne, et même nous ne pouvons ne pas l’aimer, tant il est un merveilleux artiste en musique.

1286. (1900) Molière pp. -283

Ils aimaient qu’on répandît, qu’on éparpillât leurs idées, leurs types. […] Tu voulais me dire que tu m’aimes ? ALCIBIADE Aimer ! […] Je vous aimais pourtant, oui, je vous aimais. […] Passé l’âge de la première candeur aucune femme n’a aimé jusqu’à avouer tout d’elle-même.

1287. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Nous aimerions mieux l’exagérer. […] Aimez-vous mieux assister à la toilette de quelque folle pécheresse ? […] On eût donc aimé que M.  […] préservez ceux que nous aimons et que nous admirons de la paix du silence ! […] Mme du Châtelet aima-t-elle moins modérément ?

1288. (1933) De mon temps…

J’aimais à le regarder, car il était beau en sa blanche et pâle vieillesse. […] » José-Maria de Heredia aimait beaucoup Guy de Maupassant qu’il avait connu chez Flaubert. […] Villiers et Mendès, en effet, ne s’aimaient pas, et même ils se détestaient. […] Leconte de Lisle n’est-il pas son maître vénéré et son ami très aimé ? […] Il aimait d’ailleurs le pays basque et la terre de Béarn ou le ramenait le souvenir d’années de jeunesse passées à Pau.

1289. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Il aime la femme de son hôte, la vertueuse marquise de Couaën. […] Aimez-vous mieux intéresser par le nombre et l’éclat des aventures, par la grandeur des passions, vous sacrifiez l’intérêt religieux. […] Il aime les drogues, et il en commande par centaines qu’il s’amuse à faire prendre à ses amis et à ses domestiques. […] D’abord, il était Français, et Runjet-Sing aime passionnément les Français. […] que vous êtes aimés de votre pauvre Victor !

1290. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Il aime commencer, aime peu à continuer, finit rarement et voudrait avoir terminé très peu de temps après avoir commencé. […] Il n’aime pas le pouvoir absolu et il est janséniste. […] Nous n’aimons pas nous gouverner nous-mêmes. […] On commence à aimer dans ce pays l’usage de la force, même et surtout quand elle est accompagnée d’un peu de brutalité : on aime les coups de majorité. […] Qu’ils ne l’aiment point et qu’ils la quittent.

1291. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Ils ont aimé les fleurs vénéneuses, les ténèbres et les fantômes et ils furent d’incohérents spiritualistes. […] De cette conception d’un gracieux idéologue, combien j’aime rapprocher celle de M.  […] Malgré qu’ils usèrent d’ironies et de badinages, ils aimèrent la Vie et la préférèrent à la Mort. […] Le poète aime que la foule, en écho, répète ses rimes sonnantes. […] Ces pages de pieuse admiration furent écrites au lendemain de la douloureuse mort de notre bien aimé Paul Verlaine.

1292. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Madeleine, Jacques (1859-1941) »

Je vous trouvais charmante, moi, et votre père vous aimait bien alors, car vous étiez le premier enfant né de lui. […] Des deux volumes, je préfère À l’orée de beaucoup ; j’aimerais mieux que la nature y fût chantée librement, au lieu d’être ainsi sévèrement modelée ; mais en se contentant de ce qu’on y trouve, on se sent en contact avec de la poésie vraie, encore que nuancée, fond et rythme, à la façon d’un érudit, ce qui ne peut surprendre personne, étant donnée la sûre et modeste érudition dont M. 

1293. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pottecher, Maurice (1867-1960) »

Mais aussi Franz est un homme qui… qui n’aime pas Lydia, la petite tzigane, fi donc ! […] mais qui n’éprouve pas trop d’ennui à être aimé d’elle.

1294. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « III »

On aime en proportion des sacrifices qu’on a consentis, des maux qu’on a soufferts. On aime la maison qu’on a bâtie et qu’on transmet.

1295. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IV. Si les divinités du paganisme ont poétiquement la supériorité sur les divinités chrétiennes. »

Le Dieu de l’Écriture se repent, il est jaloux, il aime, il hait ; sa colère monte comme un tourbillon : le Fils de l’Homme a pitié de nos souffrances ; la Vierge, les saints et les anges sont émus par le spectacle de nos misères ; en général, le Paradis est beaucoup plus occupé des hommes que l’Olympe. […] Le poète trouve dans notre ciel des êtres parfaits, mais sensibles, et disposés dans une brillante hiérarchie d’amour et de pouvoir ; l’abîme garde ses dieux passionnés et puissants dans le mal comme les dieux mythologiques ; les hommes occupent le milieu, touchant au ciel par leurs vertus, aux enfers par leurs vices ; aimés des anges, haïs des démons ; objet infortuné d’une guerre qui ne doit finir qu’avec le monde.

1296. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Arcadi Pavlitch aimait parfois, comme il le disait lui-même, à se dorloter. […] Je suis ainsi fait, … je n’aime pas les demi-mesures… Pétrouchka n’était pas coupable ; j’aurais pu le punir ; … mais suivant moi, il n’était pas coupable. […] Assomme-moi ; j’aime mieux en finir tout de suite que de mourir de faim. […] Ils étaient fondés ; dans le monde où tu allais être transporté tu ne devais plus trouver un seul être que tu pusses écouter, admirer et aimer. […] quelle nature, et comme elle m’aimait !

1297. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Ce que j’aime surtout dans la musique : ce sont les femmes qui l’écoutent. […] Les artistes aiment ces joies qui les frottent à un semblant de monde. […] Si j’aimais la chasse vous ne m’inviteriez pas à venir tuer un faisan chez vous ! […] Et puis vous êtes juif, je n’aime pas les juifs. […] * * * — Tout être, homme ou femme, qui aime le poisson, a des goûts délicats.

1298. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

Pour que l’art prospère dans un empire, dans un royaume ou dans une république, il faut que le chef du gouvernement, empereur, roi ou consul, aime l’art ou fasse semblant de l’aimer. Louis XIV aimait les poètes ; Louis XV ne les aimait pas, mais il les craignait, ce qui revient presque au même. Le roi Louis-Philippe ne les aime ni ne les craint ; c’est un des progrès les plus sensibles du gouvernement constitutionnel. […] Croyez-vous que Colbert et Louvois aimaient les hommes de lettres ? […] Hugo rencontrera longtemps encore aux portes de l’Académie un juge qu’il n’a jamais aimé et qu’il n’aimera jamais : — la discussion.

1299. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Il aimait naturellement les belles choses, la bonté et la justice, la science et la liberté. […] Il aimait les grandes et graves émotions qui nous révèlent la noblesse de notre nature et l’infirmité de notre condition. […] Des gens qui aiment les sermons démonstratifs longs de trois heures ne sont point difficiles en fait d’amusement. […] En général, la singularité est dans le goût du pays ; ils aiment à être frappés fortement par des contrastes. […] Il a beau goûter l’art, il aime encore la nature.

1300. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Elle aime trop les lettres pour les décourager par un mépris systématique. […] On lit Racine ; on l’aime pour lui-même. […] Mais les lettres ne se développent que sous un gouvernement qui les aime et qui les honore. L’Empereur les honore et les aime. […] Mais c’est un danger qu’on aime à courir.

1301. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Delmare, se montrèrent de prime abord comme d’attachantes nouveautés qui réalisaient nos propres réminiscences, et que plus d’un profil entrevu, plus d’une aventure ébauchée, les situations qu’on rêve, celles qu’on regrette ou qu’on déplore, se ranimèrent pour nous et se composèrent à nos yeux dans un émouvant tableau, autour d’une romanesque, mais non pas imaginaire créature, alors on s’est laissé aller à aimer le livre, à en dévorer les pages, à en pardonner les imperfections, même les étranges invraisemblances vers la fin, et à le conseiller aux autres sur la foi de son impérieuse émotion : « Avez-vous lu Indiana ? […] Je conçois bien qu’à l’âge d’Indiana, et malgré la blessure d’une si furieuse passion, on s’adoucisse, on vive, on oublie un peu, et qu’après un intervalle assez long, on finisse même par aimer ailleurs ; mais ici le passage est brusque, la guérison magique ; sir Ralph joue le rôle d’un véritable Deus ex machina, qui, déguisé jusqu’alors en quelque rustre, et demeuré témoin insignifiant du drame, se révèle soudain, reprend sa haute beauté et ravit à lui l’Ariane : l’histoire réelle finit comme un poëme mythologique.  […] Dans le monde, le visage de ces hommes se compose et sourit invariablement par habitude, par artifice : dans la solitude, dans les moments de réflexion, en robe de chambre et en pantoufles, surprenez-les, ils sont sourcilleux, sombres ; ils se font, à la longue, un visage dur, mécontent et mauvais. — J’aurais autant aimé, de plus, qu’en accordant à Raymon de Ramière de grands talents et un rôle politique remarquable, on insistât moins sur son génie et sur l’influence de ses brochures : car, en vérité, comme les hommes de génie ou de talent qui écrivent des brochures en France, qui en écrivaient vers le temps du ministère Martignac ou peu auparavant, dans le cercle sacré de la monarchie selon la Charte, ne sont pas innombrables, je n’en puis voir qu’un seul à qui cette partie du signalement de Raymon convienne à merveille ; le nom de l’honorable écrivain connu vient donc inévitablement à l’esprit, et cette confrontation passagère, qui lui fait injure, ne fait pas moins tort à Raymon : il ne faut jamais supposer aux simples personnages de roman une part d’existence trop publique qui prête flanc à la notoriété et qu’il soit aisé de contrôler au grand jour et de démentir.

1302. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

À travers tant de dangers, il persista à ne prendre pour guide que les maximes d’une piété superstitieuse ; mais c’est à l’époque où la religion seule triomphe encore, c’est à l’instant où le malheur est sans espoir, que la puissance de la foi se développa toute entière dans la conduite de Louis ; la force inébranlable de cette conviction ne permit plus d’apercevoir dans son âme l’ombre d’une faiblesse ; l’héroïsme de la philosophie fut contraint à se prosterner devant sa simple résignation ; il reçut passivement tous les arrêts du malheur, et se montra cependant sensible pour ce qu’il aimait, comme si les facultés de sa vie avaient doublé à l’instant de sa mort, il compta, sans frémir, tous les pas qui le menèrent du trône à l’échafaud, et dans l’instant terrible où lui fut encore prononcé cette sublime expression : Fils de Saint Louis, montez au Ciel. […] Alors qu’il naît du malheur, alors que l’excès des peines a jeté l’âme dans une sorte d’affaiblissement qui ne lui permet plus de se relever par elle-même, la sensibilité fait admettre ce qui conduit à la destruction de la sensibilité, ou du moins ce qui interdit d’aimer de tout l’abandon de son âme. […] Quelque chose d’enthousiaste comme elle, des pensées qui, comme elle aussi, dominent l’imagination, servent de recours aux esprits qui n’ont pas eu la force de soutenir ce qu’ils avaient de passionné dans le caractère : cette dévotion se sent toujours de son origine ; on voit, comme dit Fontenelle, que l’amour a passé par là  ; c’est encore aimer sous des formes différentes, et toutes les inventions de la faiblesse pour moins souffrir, ne peuvent ni mériter le blâme, ni servir de règle générale ; mais la dévotion exaltée qui fait partie du caractère au lieu d’en être seulement la ressource, cette dévotion, considérée comme le but auquel tous doivent tendre, et comme la base de la vie, a un tout autre effet sur les hommes.

1303. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Voltaire n’a pas tout à fait tort de trouver que les vifs dégoûts littéraires sont le prix des plus délicieuses jouissances littéraires, et que, pour bien aimer certaines choses, il faut savoir haïr vigoureusement leurs contraires. […] Vous aimez les romans de Balzac et de George Sand ; moi aussi. Seulement, vous les aimez tellement qu’il vous est impossible d’apercevoir leurs défauts.

1304. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

On ne l’a point admiré, on l’a aimé ; c’était plus qu’un poète, c’était un homme. […] Voilà ce que nous avons senti le jour où le plus aimé, le plus brillant d’entre nous, a tout d’un coup palpité d’une atteinte invisible, s’est abattu avec un hoquet funèbre parmi les splendeurs et les gaietés menteuses de notre banquet. […] Il vivra éternellement, parce qu’il a beaucoup aimé et beaucoup pleuré.

1305. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

Il aimait les fleurs et en prenait ses leçons les plus charmantes. […] On ne peut servir deux maîtres ; ou bien on hait l’un et on aime l’autre, ou bien on s’attache à l’un et on délaisse l’autre. […] Comme exemple de la folie humaine, Jésus aimait à citer le cas d’un homme qui, après avoir élargi ses greniers et s’être amassé du bien pour de longues années, mourut avant d’en avoir joui 492 !

1306. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

Il a été cependant goûté médiocrement par ceux qui n’aiment la morale, même la plus judicieuse, qu’autant qu’elle est animée par des peintures vives, par des portraits d’après nature, par les traits piquans d’une satyre délicate. […] Mais il y a des lecteurs difficiles qui n’aiment un ouvrage, que lorsqu’il renferme un grand nombre de choses neuves & importantes. […] L’auteur écrit durement & aime à faire parade de ce qu’il a lu.

1307. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Je n’ai jamais eu grand goût pour Paul-Louis Courier, ce canonnier qui n’aimait pas le canon, ce voltairien en veste rousse qui riait et qui mordait avec les grandes vilaines dents jaunes de l’Envie ; mais, tout bas d’esprit qu’il fût, il s’était parfumé à respirer ce bouquet de la langue d’Hérodote et de la langue du seizième siècle, et l’odeur du thym virginal et du serpolet trempé de rosée n’en est pas moins l’odeur du thym et du serpolet, sur les galoches du paysan. […] Il aimait le mot net, l’emporte-pièce de la propriété du terme, et de plus il sentait le génie grec, ce vigneron au bonnet de laine grise, et le génie gaulois, et il aurait voulu les faire tenir tous deux sous ce bonnet. […] En un mot, c’est ce scélérat adoré de La Fontaine, c’est cet hypocrite de naïveté, qu’on aime comme le plus vrai des hommes quand il n’est peut-être que le plus profond et le plus retors des artistes !

1308. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

ces mièvres artistes, voués au joli du temps qu’ils aiment, ont essayé de la reproduire ! […] Elles transforment toutes les mains qui les touchent respectueusement, fût-ce les plus légères, — et, pour peu qu’elles tremblent, on les aime, ces mains, et on voudrait les serrer ! […] même ceux qui aimaient le Roi, même les royalistes !

1309. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

ces mièvres artistes, voués au joli du temps qu’ils aiment, ont essayé de la reproduire ! […] Elles transforment toutes les mains qui les touchent respectueusement, fût-ce les plus légères, — et, pour peu qu’elles tremblent, on les aime, ces mains, et on voudrait les serrer ! […] Certes, nous ne faisons pas responsable de ces horreurs cette partie de la nation qui vivait dans l’ordre et dans la famille ; mais tout ce qui à la Cour était pour les maîtresses, comptait sur les maîtresses et vivait par elles, entra dans cette immense insulte conspirée contre Marie-Antoinette : oui, même ceux qui aimaient le roi, même les royalistes.

1310. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Chez lui, le ventre en bronze de Clio a encore des entrailles, et on aime à les voir saigner. On aime à voir trembler la main qui, chez ses compatriotes, tient si fermement le revolver. […] Il aime mieux nous faire voir, sous les rayons brisés des faits, l’âme de cet Immobile, qui croît à l’Éternité et qui la fait en politique ; car Philippe II, c’est la cunctation éternelle !

1311. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Mais l’auteur de La Ciguë et de Gabrielle ne se contente pas d’être un faiseur de comédies faciles, un Aristophane inoffensif et lâché d’une époque qui n’aime l’énergie que sous les murs de Sébastopol : il est aussi poète lyrique et élégiaque à ses heures. […] aime à peindre, il ne lui passe jamais sur le front, comme au chantre de Rolla, de ces lueurs sublimes d’un ciel auquel il ne croit plus. […] dont l’amant se fait gladiateur et se trouve en face d’un inceste quand il s’agit d’épouser la femme qu’il aime… Mais cette histoire, qui aurait pu être dramatique et touchante, surtout à l’heure où le christianisme, sortant comme une aurore des Catacombes, commençait de jeter, avec ses premiers rayons, dans les âmes, les troubles d’une vertu et d’une pudeur inconnus à cet effroyable monde romain qui finissait, cette histoire n’est pour Bouilhet qu’un prétexte : son vrai but, c’est de nous décrire le luxe inouï et les derniers excès d’une société dont les vices sont restés l’idéal du crime, et qui tombe, ivre-morte du sang dont elle a nourri ses murènes, sous la table de Lucullus.

1312. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Il y a poète dans ce livre… Du fond de ces impressions qui déteignent sur toute vie et sur toute pensée à leur aurore, du fond de toutes ces remembrances dont nous sommes les échos dans notre jeunesse, du fond de toutes les éducations poétiques, mortelles parfois à la poésie, comme bien souvent les femmes sont mortelles à notre faculté d’aimer, nous voyons briller la divine étincelle, qui dague le regard comme une pointe de diamant ou d’étoile. […] Mais on ne l’arrache pas quand on en a, et le talent donne alors ce qu’il a donné dans ce poème du Faust moderne, qui veut être athée, et que j’aime comme un acte de foi ! […] Dénouement d’une brutalité sublime, et que j’aime, non pas seulement parce que c’est le dévouement, l’éternel honneur de l’âme, qui tue l’égoïsme, qui en est la honte éternelle ; mais aussi parce que je vois ici comme une apothéose de la guerre que les athées, qui ne sont pas tout à fait des héros, mais qui sont tout à fait des niais, voudraient supprimer comme Dieu et l’Enfer !

1313. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Pour dormir sur un sein, mon front est trop pesant ; Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche, L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche : Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous, Et quand j’ouvre les bras, ils tombent à genoux ! […] La première rêverie d’Eloa, qui sent s’éveiller sa pitié dans le paradis, quand on lui parle de cet Ange absent, parce qu’il est tombé et qu’on lui apprend            Qu’à présent il est sans diadème, Qu’il gémit, qu’il est seul, que personne ne l’aime ! et sa descente du ciel vers les fascinantes vallées de misère qui l’attirent du fond de la béatitude, et ce Satan, que la fierté du génie de Milton n’a pas fait si terrible que la tendresse de M. de Vigny, car la séduction est plus redoutable pour les cœurs purs que la révolte, ce Satan qui a en lui la beauté attristée, la suavité du mal et de la nuit, l’attrait des coupables mystères : Je suis celui qu’on aime et qu’on ne connaît pas !

1314. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Pour mon compte, et ce n’était pas une vaine fantaisie de critique qui se fait poète sur un poète, j’aurais aimé à rencontrer dans M.  […] quelques mots qui sentent leur collège, mêlés à la traduction interlinéaire, bien faite d’ailleurs, et surtout des notes, des notes dans lesquelles nous trouvons des prétentions de linguiste, de la botanique, de l’histoire naturelle et toutes sortes de choses que j’eusse mieux aimé ne pas y voir, ont donné à penser que M.  […] À la fleur du laurier rose, aimé de Chénier et cueilli aux bords de l’Eurotas, il marie l’aubépine sanglante du Calvaire.

1315. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Henri Heine »

Il dut être ironique, enfant, même avec sa bonne ou avec sa mère ; ironique et tendre, comme il le fut plus tard avec les femmes qu’il aima. […] qu’un morceau de fromage, et que le prince de Ligne (les princes ont toujours aimé les laquais), en disant cela, poétisait. Qu’il grandisse ou qu’il rapetisse les hommes et les choses, qu’il se trompe ou qu’il ait raison, Heine est poète comme on respire ; il est poète, et poète idéal… Je l’aime, mais je sais le juger.

1316. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

On peut y reconnaître la dernière lie de cet esprit gaulois, déjà entaché de grossièreté vulgaire dans son plus beau temps, de cet esprit sensé et ironique qui s’étend, croit-il, à la pratique de la vie, et dont Molière fut la coupe pleine et Béranger la dernière gouttelette, car La Fontaine eut beau être Gaulois, il aima l’idéal, le divin bonhomme, et plus que Louis Tieck, il a du bleu autour de la pensée. […] C’est la trente-six millième répétition de celui de toutes les jeunes filles contrariées par leurs parents dans leurs libres inclinations et qui, circonvenues, tourmentées, sacrifiées, épousent enfin, à la place du jeune homme qu’elles aiment, quelque vieil homme riche qu’elles n’aiment pas !

1317. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Ainsi j’allais songeant à cette loi première : nul n’aime la Beauté sans aimer la lumière. […] Ils sont trop bêtes lorsqu’ils aiment. […] Mais un collégien aime la gymnastique et les cabrioles. […] Elles ne savent pas nous aimer gravement, Notre besoin d’aimer s’irrite en les aimant. […] Nous aimons synthétiser l’œuvre d’un écrivain dans une définition susceptible de l’exprimer en entier.

1318. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

« — Je ne t’aime point, guerrier farouche ; ton cœur a la dureté du roc, et ton œil noir m’inspire la terreur. […] Barbare, donne-moi cette épée ; j’aime le sang de Caïrbar. […] dit le chef d’Erin, et j’aime à entendre les récits des temps passés. […] « J’aime les chants des bardes, dit Cuchullin. […] Elle voit, elle aime le jeune héros.

1319. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Les gens de lettres du moins me sauront gré de mon courage, les honnêtes gens m’applaudiront, et vous m’en aimerez mieux. […] J’aimerais autant qu’on prétendît qu’il ne fallait pas réformer les Russes, parce que le Czar était né parmi eux. […] Écrivez, peut-on dire à tous les gens de lettres, comme si vous aimiez la gloire ; conduisez-vous comme si elle vous était indifférente. […] Le tyran imbécile écoute et aime ces hommes vils et funestes, le tyran habile s’en sert et les méprise ; le roi qui sait l’être, les chasse et les punit, et la vérité se montre alors. […] Presque toutes retentissent de l’honneur que les grands font aux lettres en les aimant, et nullement de l’honneur et du besoin qu’ils ont de les aimer.

1320. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Quærebam quid amarem, amans amare… Et requiescebam in amaritudine… Je n’aimais pas, et j’aimais à aimer. […] Didon, elle aussi, aime et doute. Phèdre aime et doute. Othello aime et doute. […] Elle l’aime.

1321. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Jusque-là il était abbé comme on l’était volontiers alors, ayant le titre et quelques bénéfices ; mais il n’était point lié à son état, il n’était prêtre à aucun degré ; et en 1755, à l’âge de quarante ans, on le voit hésiter beaucoup avant de franchir ce pas dont il sent le péril, et d’où sa délicatesse d’honnête homme l’avait tenu éloigné jusque-là : « Je me suis lié à mon état, écrit-il à Pâris-Duverney (le 19 avril 1755), et j’ai mis moi-même dans cette démarche tant de réflexions que j’espère ne m’en repentir jamais1. » Quant aux petits vers galants, ils sont de sa première jeunesse ; il cessa d’en faire à l’âge de trente-cinq ans : J’ai abandonné totalement la poésie depuis onze ans, écrit-il à Voltaire en décembre 1761 ; je savais que mon petit talent me nuisait dans mon état et à la Cour ; je cessai de l’exercer sans peine, parce que je n’en faisais pas un certain cas, et que je n’ai jamais aimé ce qui était médiocre ; je ne fais donc plus de vers et je n’en lis guère, à moins que, comme les vôtres, ils ne soient pleins d’âme, de force et d’harmonie ; j’aime l’histoire… Il y a donc, avant tout, quand on parle de Bernis, à bien marquer les époques, si l’on veut être juste envers un des esprits les plus gracieux et les plus polis du dernier siècle, envers un homme d’une capacité réelle, plus étendue qu’on ne pense, et qui sut corriger ses faiblesses littéraires ou ses complaisances politiques par une maturité décente et utile, et par une fin honorable. […]  : Je ne sais de qui sont ces Quatre Saisons, lui écrit Voltaire, qui aime à broder sur ce thème à tout propos ; le titre porte par M. le C. de B. […] On dit que ce cardinal était l’homme du monde le plus aimable, qu’il aima la littérature toute sa vie, qu’elle augmenta ses plaisirs ainsi que sa considération, et qu’elle adoucit ses chagrins, s’il en eut… Puis, d’autres fois, il revient sur les souvenirs de Babet « qui remplissait son beau panier de cette profusion de fleurs » ; il joue, il badine, il retourne la critique en éloge. […] La première commotion passée, il se dit avec ce bon sens et cette réflexion sans amertume dont il était pourvu et qui formait la base de son caractère : « Je n’ai plus de fortune à faire : je n’ai qu’à remplir honnêtement la carrière de mon état, et à m’acquérir la considération qui doit accompagner une grande dignité : pour cela la retraite est merveilleuse. » C’est sous cette dernière forme, non plus politique, non plus tout à fait mondaine, non pas absolument ecclésiastique, mais agréablement diversifiée et mélangée ; c’est dans cette retraite suivie et couronnée bientôt d’une grande ambassade, qu’il nous sera possible de l’étudier désormais en sa qualité de cardinal, et que nous aimerons à reconnaître de plus en plus en lui le personnage considérable, d’un esprit doux, d’une culture rare et d’un art social infini.

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