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28. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

Le noir qui a conçu les guinné comme semblables aux hommes, au point de vue du caractère, imagine de même les animaux organisés en société semblable à la sienne mais il n’a pas pour but, en adoptant cette conception, de railler, sous un voile d’allégorie, la constitution du groupement social dont il fait partie. […] Et ce n’est pas un mince titre à l’admiration des noirs. […] Les noirs y donneraient délibérément tort à la fourmi, tant ils confondent aisément l’économie et la prévoyance avec l’avarice. […] Ces traditions ont été apportées par les noirs d’Afrique en Amérique.

29. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

  À deux pas de cette femme, sous un morceau de toile noire soutenue par deux roseaux fichés en terre pour servir de parasol, ses deux petits enfants jouaient avec trois esclaves noirs d’Abyssinie, accroupies comme leur maîtresse, sur le sable que recouvrait un tapis. […] Quand les sanglots de la jeune veuve arrivaient jusqu’aux enfans, ceux-ci se prenaient à pleurer, et les trois esclaves noires, après avoir répondu par un sanglot à celui de leur maîtresse, se mettaient à chanter des airs assoupissants et des paroles enfantines de leur pays pour apaiser les deux enfants.   C’était un dimanche ; à deux cents pas de moi, derrière les murailles épaisses et hautes de Jérusalem, j’entendais sortir par bouffées de la noire coupole du couvent grec les échos éloignés et affaiblis de l’office des vêpres. […] À la fin d’une journée de route pénible et longue, à l’horizon encore éloigné devant nous sur les derniers degrés des montagnes noires de l’Anti-Liban, un groupe immense de ruines jaunes, dorées par le soleil couchant, se détachaient de l’ombre des montagnes et répercutaient les rayons du soir ! […] Mais bientôt le soleil tomba, les travaux du jour cessèrent, et toutes les figures noires répandues dans la vallée rentrèrent dans les grottes ou dans les monastères.

30. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Il est banal, putain, mais si délicat, si rebelle aux emprunts et si peu susceptible, au milieu de sa noire misère, d’un sentiment envieux, haineux pour les heureux de ce monde. […] Nous causons photographie et de la façon demoiselle, dont se colorient les figures dans la chambre noire, du contraste complet avec la manière de sentir et de reproduire des peintures. […] Dans le bas du tableau, un négrillon du Véronèse tend une corbeille de fleurs à celle que le Régent appelait mon petit corbeau noir, à la frêle jeune femme aux nerfs d’acier pour le plaisir et l’orgie. […] Il a une vraie livrée : une grande redingote vert russe, un pantalon noisette, une cravate blanche et un chapeau à cocarde noire. […] Puis des pompiers nous dégringolent sur le corps d’un petit escalier, et au bout d’un corridor noir, nous entrons dans une loge tout engorgée de monde, et à la porte de laquelle on fait queue, un bon moment.

31. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

C’était un homme d’action, fils d’une époque qui avait été l’action même, et qui portait la réverbération de Napoléon sur sa pensée ; il avait touché à cette baguette magique d’acier qui s’appelle une épée, et qu’on ne touche jamais impunément, et il avait gardé dans la pensée je ne sais quoi de militaire et, qu’on me passe le mot, de cravaté de noir, qui tranche bien sur le génie fastueux des littératures de décadence. […] Quelle que soit la page de sa correspondance qu’on interroge, il y est et il y reste imperturbablement le Stendhal du Rouge et Noir, de La Chartreuse de Parme, de l’Amour, de la Peinture en Italie, etc., etc., c’est-à-dire le genre de penseur, d’observateur et d’écrivain que nous connaissons. […] C’est toujours (non plus ici dans le roman, mais bien dans la réalité) ce Julien Sorel (du Rouge et Noir) « au front bas et méchant » que les femmes, qui se connaissent en ressemblance, disaient être un portrait fait devant une glace, quoiqu’il leur parût un peu sombrement idéalisé ! […] Mérimée a gravé l’épitaphe de l’auteur de Rouge et Noir avec le couteau de Carmen. […] Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme, Armance, etc.

32. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

Sous une chevelure qui pousse, en l’air, droite, dure et indomptable au fer, qui en la coupant souvent l’a épaissie, un front vaste et carré comme un parallélogramme, d’un lisse de marbre, mais auquel l’Effort a mis son pli rudement marqué entre les deux sourcils, yeux rentrés où le noir du crayon s’allume, joue rigide, regard attentif, la bouche presque amère, tel est l’homme de ce portrait, et c’est le poète aussi, le poète laborieux, violemment laborieux, l’ardent Puritain du Sonnet, cette pauvreté opulente, la pensée cruelle à elle-même comme la femme, la coquette martyre, dont le pied saigne dans le brodequin, dont la hanche bleuit sous la baleine, mais qui se console avec l’adage : il faut souffrir pour être belle ! […] Joséphin Soulary a peut-être l’esprit plus grand que ses Sonnets, et son humour, à ce bizarre, ce vin noir comme le sang d’un cœur triste, finira peut-être par devenir fougueuse à force d’être comprimée, et passera par-dessus le bord, rose et or, du verre de Bohême aux pans régulièrement taillés, dans lequel il la sert avarement aux lèvres qui l’aiment et qui en voudraient beaucoup plus ! […] IV Le livre des Sonnets humouristiques est divisé en plusieurs livres, composés, à leur tour, d’un nombre déterminé de sonnets, et ces différents livres, dont nous donnerons seulement les noms, parce qu’en donnant ces noms on donne aussi les teintes de l’imagination qui les a écrits, s’appellent : Pastels et Mignardises, — Paysages, — Éphémères, — Les Métaux, — En train express, — L’Hydre aux sept têtes, — Les Papillons noirs, — et déjà, à ne considérer que ces grandes divisions de l’œuvre des Sonnets humouristiques, on entrevoit la forte originalité de l’esprit qui a concentré tant de vigueur dans de si petits espaces et sous un nombre si rare et si choisi de mots. […] Joséphin Soulary est, comme nous l’avons dit plus haut, le sombre à travers le brillant, le vin noir, l’absinthe glauque, le bitter plus amer encore et plus dense, teintant les cristaux étincelants aux reflets d’or ! […] Il n’aime pas la mort comme Leopardi, le seul vigoureux élégiaque de ce monde affaissé, mais il en promène sur toutes choses l’ombre qu’il a toujours sur la pensée, et il n’y a pas que dans ses Papillons noirs que cette ombre terrible est projetée !

33. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Une raccommodeuse de dentelle, vivant avec le lait, nécessaire pour nettoyer les dentelles noires. […] Croquis de femmes pris par une porte de salon, entre les épaules de deux habits noirs. […] Un médaillon de Syracuse, une mignonne tête, le front étroit, l’arc des sourcils remontant, le petit nez droit, les yeux noirs comme des diamants noirs, la bouche vaguement entrouverte dans un sourire de statue. […] Elle est le matin, en jupe noire, en camisole blanche avec dessus un fichu jaune, le terrible fichu de la fille soumise, — souvent les pieds nus dans ses pantoufles. […] Sur cette pâleur s’étale déchiquetée, une frise de petits nuages noirs, qui ressemblent à des découpures de chimères chinoises dans de l’ébène.

34. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Hyeronimo me rappelait tant mon mari par ses boucles noires, sous son bonnet de laine brune ! […] — Oui, lui répondais-je, avec des sourcils de duvet noir qui commencent à lui masquer un peu les yeux. […] Ils dansaient ainsi de joie, pour danser, sans se douter seulement que le malheur les épiait sous la figure de ce capitaine des sbires et de ses amis, en habits noirs, derrière les arbres. […] ajouta-t-il en passant sa main noire d’encre sous le menton de Fior d’Aliza tout en larmes, comme elle a grandi, mûri et embelli, la petite chevrette du châtaignier ! […] Ces hommes s’en allèrent gaiement le soir, après leur opération finie, et nous restâmes tous les cinq sans nous dire un mot, jusqu’à la nuit noire, sur le seuil de notre porte.

35. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

La présence de cette robe noire eût pu alarmer des tendresses inquiètes qui s’acharnaient à l’espérance. […] Les meubles étaient couverts en cachemire blanc, rehaussé par des agréments noir et ponceau. […] Quant à lui personnellement, il était incapable de distinguer le brouet noir de Sparte du potage à la bisque. […] Mais des prunelles d’un noir énergique donnaient de l’accent à cette physionomie fine et douce. […] Noire artiste, à qui M. 

36. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

Monsieur Nichot, prêtez-moi votre paletot ; — monsieur Cascaret, prêtez-moi votre gilet ; — monsieur Poupardot, prêtez-moi votre cravate ; — monsieur Bidault, allez me chercher votre pantalon noir des dimanches ! […] Je m’en vais chercher le pantalon noir. […] Bidault rentre avec le pantalon noir, dont s’empare Saturet. […] le pantalon noir !

37. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Ainsi les noirs, qui seraient tenus hors la loi des marchés à New-York, y subissent et y subiront la loi du mépris, l’ostracisme de la misère, l’extinction de leur race par la faim dans la fédération qui prétend faire la guerre au Sud pour la liberté et l’égalité des noirs ! […] N’est-ce pas vous dire assez que la cause des noirs n’est que le prétexte de la guerre au Sud, mais que le vrai motif est la ruine jalouse du Sud dont le capital noir, la culture du coton, la marine entière et le commerce prospère excitent la jalousie meurtrière de ce peuple du nivellement ? […] Quand vous aurez dépossédé sans condition le blanc de sa propriété, que deviendra son revenu, et, le revenu supprimé, que deviendra le salaire du noir ? Tout sera taxé à la fois, et il ne restera qu’à livrer le blanc à la faim du noir ! Le noir égorgera et dévorera le blanc ; c’est la révolution des anthropophages !

38. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Le chanoine de Lyon qui lui a donné des renseignements sur la messe noire, dit-il, lui a écrit que ces choses devaient lui arriver, et chaque jour, il lui mande ce qui suivra le lendemain, avec accompagnement d’ordonnances anti-sataniques pour s’en défendre. […] Là-dedans, au milieu de ce mobilier d’un autre siècle, l’ovale délicat de son pâle visage, ses yeux noirs doux et profonds, la sveltesse de sa personne longuette, lui donnent quelque chose d’une apparition, d’un séduisant et souriant fantôme ; caractère que je retrouve dans son portrait pastellé par Helleu. […] Alors la gueule du monstre s’ouvre, et la patte par laquelle l’agneau a été saisi, va rejoindre en l’air, tout ensanglantée, l’autre patte ; et le serpent resté un moment immobile dans son enroulement, de sa gueule qui a le rose pâle de l’ouïe d’un poisson, fait jaillir le dardement de sa petite langue fourchue, au scintillement noir, du noir d’une sangsue. […] Samedi 4 juillet Dans une coupe à saké, en laque rouge, je trouve une petite Japonaise, d’après l’idéal de beauté rêvé par ce peuple : la femme ayant les cheveux noirs, du noir de la laque dont ils sont faits, et le visage ciselé dans un morceau de nacre, apparaissant en une blancheur transparente. […] Et je m’enfonce au milieu de ces effigies d’une humanité antérieure à Jésus-Christ de 2 500 ans, je m’enfonce parmi ces femmes jaunes, à la taille menue, aux hanches peu développées, aux cuisses charnues, à la chevelure pareille à celle de la fille de Seti II, dont le noir des cheveux était le noir de la nuit , vêtues d’une robe-chemise ouverte en triangle au milieu de la poitrine, les bras ornés de bracelets composés de douze anneaux, et qui, coquetterie bizarre, ont le dessous des yeux maquillés d’une bande de couleur verte.

39. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

On veut échapper à la noire incertitude, au cauchemar du présent. […] Et ce n’est pas non plus le satanique Baudelaire, ni davantage Villiers de l’Isle-Adam, que l’Église eût fait jadis brûler comme sorcier, et encore moins le névrosé Huysmans, chantre des messes noires, ou le vociférateur Léon Bloy. […] Stanislas de Guaita publie chez Lemerre deux volumes de vers : La Muse Noire (1883), Rosa Mystica (1885), vers jeunes et inexpérimentés de forme et où l’idée n’arrive pas à se dégager de l’empreinte baudelairienne. […] On y rencontrait aussi Paul Adam, le poète Albert Jhouney, l’auteur des Lys noirs, car tout est noir chez ces adeptes de la clarté, Édouard Dubus, Victor-Émile Michelet… Là on commente l’enseignement des maîtres et des Patriarches : Apollonius de Thyane, Nicolas Flamel, Swedenborg, la Table d’Émeraude, la Clavicule, le Trésor des trésors. […] N’oublions pas que Racine faillit être impliqué dans un procès de sorcellerie, qu’on l’accuse d’avoir pris part à l’affaire des messes noires, au temps de la Montespan, ce qui lui valut la disgrâce royale et que Victor Hugo, adepte du spiritisme, se plaisait à faire tourner les tables à Guernesey, ce qui démontre une fois de plus la pente irrésistible du génie à s’égarer dans les avenues du mystère.

40. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

La mère portait une robe de soie noire, et les trois jeunes filles portaient de plus sur le cou un fichu de diverses couleurs, noué négligemment sous le menton et sur la poitrine. […] Un peu plus loin, vous voyez de grosses montagnes noires où il n’y a plus de passage pour les yeux, ce sont les montagnes de Saint-Point à deux ou trois lieues de Milly. […] Elle s’arrêtait étouffée, sous l’ombre d’un chêne ou d’un poirier sauvage, ou près d’une source entre des pierres noires, sous un large châtaignier. […] Un coq et trois poules nichaient aussi dans la chambre ; ils mangeaient un peu de blé noir que la pauvre fille semait autour de la cabane et qu’ils disputaient aux grives en automne. […] On ne regarde pas sans terreur les flots noirs du ruisseau encaissé qui baigne les racines, leurs oiseaux de nuit battent les deux bords de leurs ailes effarouchées.

41. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Le poète déjà connu est toujours le Narcisse éternel qui a chanté ses cheveux noirs, qui va chanter les blancs, qui palpite pour lui et qui s’effraie pour lui, et s’imagine que tout l’intérêt des lecteurs va s’absorber dans cette incroyable contemplation de fakir ! […] Le mal, c’est la matière, Arbre noir, fatal fruit !!! L’arbre noir, c’est l’intelligence qui a pensé, non ! […] Chaque soir Le noir horizon monte, et la nuit noire tombe. […] Des éclairs noirs !

42. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Stéphane Mallarmé a mis en tête de sa traduction des poèmes d’Edgar Poe8 ce sonnet préliminaire : LE TOMBEAU D’EDGAR POE Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change Le Poète suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu Que la Mort triomphait dans cette voix étrange Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange Du sol et de la nue hostiles ô grief Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur Qu’est-ce que cela veut dire ? […] Si, avec les images qu’il nous a suggérées, nous ne pouvons sculpter un bas-relief dont se pare sa tombe éblouissante, « Que du moins ce granit, calme bloc pareil à l’aérolithe qu’a jeté sur terre quelque désastre mystérieux, marque la borne où les blasphèmes futurs des ennemis du poète viendront briser leur vol noir. » C’est fort mal traduit, et pourtant j’ai fait de mon mieux.

43. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

Année 1882 Dimanche 1er janvier Passé la journée d’hier, moitié à l’église, moitié au cimetière, parmi les noires tentures et les tristesses des musiques de la mort. […] Et dans l’harmonie transparente et envolée, dans ce poème du blanc frileux et du blanc tiède, au premier plan, rien que la noire tache d’un plateau de laque, sur laquelle pose une tasse de Chine bleue. […] Les ennuis, moraux des uns, les souffrances physiques des autres, amènent la conversation sur la mort — la mort ou l’amour, chose curieuse, c’est toujours l’entretien de nos après-dîners, — et la conversation continue jusqu’à onze heures, cherchant, parfois à s’en aller de là, mais revenant toujours au noir sujet. […] Puis ils ont la superstition que commencer à porter le deuil, c’est être condamné à le porter longtemps. « Je me rappelle, me dit l’un d’eux, quand j’étais tout petit, une fois qu’on m’a mis en noir, ce noir, je l’ai porté toute mon enfance. » Mercredi 13 décembre Aujourd’hui quelqu’un me disait qu’il a entendu de ses oreilles, le nouveau préfet de la Seine demander où était l’avenue de l’Opéra. […] Et je reste des heures en contemplation devant le noir de l’eau-forte de Seymour Haden intitulée : (A sunset in Ireland) Coucher de soleil en Irlande ; — en contemplation devant le noir de ce bois, au bord de l’eau, sous le crépuscule, devant ce noir de Rembrandt que lui seul de tous les aquafortistes modernes a retrouvé, devant ce noir qui a quelque chose de la grasse nuit d’un dessin exécuté au suif.

44. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

L’église était complètement noire, mais à la lueur d’une allumette qu’il a allumée, il a pu voir le mort, dont la figure exsangue, était pareille à une figure de cire, et dont le bas du corps semblait une bouillie, sur laquelle se répandaient ses entrailles. […] Aujourd’hui toutes les femmes sont en noir, avec au dos des pèlerines ruchées, de petits collets voletant derrière elles, et les enveloppant de distinction. […] Un ciel gros bleu, traversé de nuages, qui ressemblent à des fumées noires d’industries ; dans le haut du ciel, la lumière électrique de la Tour Eiffel, avec son rayonnement de crucifix lumineux. […] Le féroce, dans un déboulement, ventre à terre, du haut d’une colline, pareil au nuage noir d’un orage, est traité avec une furia de travail, dans une noyade d’encre de Chine, qui lui donne une parenté avec les tigres de Delacroix. […] Henri de Régnier, peint à la gouache par Jacques Blanche (1895), sur un exemplaire : Le Trèfle noir.

45. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Flipart » p. 333

Le paralytique est sec, dur et noir. […] Le paralytique, estampe charbonnée, caractères manqués, rien de l’effet du tableau ; ponsif noir, étalé sur un morceau de fer blanc.

46. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »

C’est une dame dont : … Les cheveux si longs, plus noirs que le remords, Retombaient mollement sur son vivant squelette. […] Comme on le voit, c’est le côté noir de la vie, réfléchi dans l’âme d’un poète qui l’assombrit encore. […] C’était aussi bête que de lui reprocher d’avoir les cheveux noirs… Le démoniaque dans le talent, voilà ce qu’est M. 

47. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Les romans historiques pullulèrent, plus fantastiques souvent qu’historiques, et mêlant les plus excentriques aventures au plus criard bariolage de couleur locale : ce ne sont souvent que de noirs ou extravagants mélodrames, mis en forme narrative. […] Ce sont les épisodes et les tableaux qui font l’intérêt du livre : il faut y voir comme une suite d’estampes, où sont rendues, avec de saisissantes oppositions de blanc et de noir, des scènes tour à tour amusantes, fantastiques ou terribles. […] « On met bien du noir sur du blanc en douze heures, petite sœur, écrivait-il, et, au bout d’un mois de cette existence, il y a pas mal de besogne de faite. » Il se couche à six heures, « avec son dîner dans le bec », il se lève à minuit, prend du café, et travaille jusqu’à midi. […] Voyez l’envieuse : c’est la cousine Bette, une vieille fille de la campagne, sèche, brune, aux yeux noirs et durs. […] On est moins dérouté quand on lit le Rouge et le Noir.

48. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Et encore les derniers mois de sa vie, étaient empoisonnés par de noirs soucis de famille, et de terribles affaires d’argent à arranger. […] Chez Sandeau, chez le romancier aux petits yeux noirs, dans des carnations grises, délavées, comme passées à la lessive, il y a de la chair dépassionnée, recouverte de l’impassibilité de l’homme revenu de tout et d’ailleurs. […] Et la tentation de cet habit, est donnée aux gens qui en ont besoin, par un mannequin de la plus jolie figure qui soit, en carton rose, avec des yeux bleus, des cheveux blonds frisés, des moustaches noires : un mannequin à cravate blanche et à gants jaunes. […] Il est étrange, ce Rollinat, avec son air de petit paysan maladif, sa délicate figure tiraillée, et le perpétuel secouement nerveux de ses cheveux noirs. […] Ce qu’il y a de curieux, c’est que cette imagination avait le côté hallucinatoire de ces petits romans, que les enfants inventent, et jouent tout seuls, dans des coins noirs de chambre.

49. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guaïta, Stanislas de (1861-1897) »

. — La Muse noire (1883). — Rosa mystica (1885). […] Rodolphe Darzens La Muse noire, recueil comprenant des poèmes d’un rythme sur qui révèlent déjà, à travers l’admiration de l’auteur pour Baudelaire, une originalité curieuse, dont le caractère fut bientôt affirmé dans un livre ayant pour titre : Rosa mystica, où des pensées d’un ordre élevé sont exprimées en fort beaux vers.

50. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Japonisme » pp. 261-283

En haut du netzké, un peu plus grand qu’une pièce de deux francs, se voit incisée, dans le fer, une patte d’oiseau, une patte de grue ; mais de la grue absente, volante en dehors du petit rond de métal, il n’y a que la patte — et ce qu’a représenté au milieu du tout petit disque noir le ciseleur, le savez-vous ? […] La petite bimbeloterie fabriquée de deux morceaux de bambou représentait des jeux d’enfants gravés en noir sur le jaune fauve du bois, des jeux d’enfants n’ayant rien de bien remarquable, mais le bibelot avait pour moi l’intérêt d’un objet usuel, ancien, et j’étais confirmé dans cette supposition par une longue inscription gravée sous le petit seau, et par un raccommodage, — un de ces raccommodages naïfs et francs, ainsi qu’on a l’habitude de les faire, là-bas, aux objets d’une certaine valeur. […] Une froide nuit d’hiver (décembre 1701) à l’heure du bœuf (2 heures du matin), dans une tourmente de neige, les conjurés, vêtus d’un surtout noir et blanc pour se reconnaître, et en dessous de toile d’acier, marchent silencieusement vers le yashki de l’homme dont ils se sont promis d’aller déposer la tête sur le tombeau de leur seigneur. […] … ou plutôt Quengo Tadao… car il y a une défense d’indiquer les vrais noms des ronins, et ils sont représentés avec les noms défigurés qu’ils ont au théâtre. » Et disant cela, Hayashi avait le doigt sur la planche, où est imprimé, en couleur, un guerrier au casque bleu, au vêtement noir et blanc doublé de bleu, la tête baissée, les deux mains sur le bois d’une lance, un pied en l’air, un autre appuyé à plat sur le sol, et portant un furieux coup de haut en bas.

51. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Les fonds noirs vont bien aux têtes de génie, et leur plus belle atmosphère, c’est le mystère à travers lequel on les entrevoit. Les ombres de la nuit allongent les monuments et les statues… Corneille, ce génie dans l’obscurité, entrevu, presque caché, — non pas seulement dans une petite maison noire d’une rue noire de Rouen mais dans la silencieuse fierté de son cœur, — une autre ombre !  […] Cette calotte noire de Corneille qui couvre tout dans son siècle, a dit Chateaubriand, couvrit encore cela !

52. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

de cravaté de noir, qui tranche bien sur le génie fastueux des littératures de décadence. […] Esprit de demi-jour et même quelquefois de ténèbres, cet Excentrique prémédité passa dans la littérature, ou plutôt à côté de la littérature de son temps, « embossé » dans une cape hypocrite, ne montrant qu’un œil, à la façon des Péruviennes sous leur mantille, un seul œil noir, pénétrant, affilé, d’un rayon visuel qui, pour aller à fond, valait bien tous les stylets de l’Italie, mais qui avait, croyez-le bien ! […] Quelle que soit la page de sa correspondance qu’on interroge, il y est et il y reste imperturbablement le Stendhal du Rouge et Noir, de la Chartreuse de Parme, de l’Amour, de la Peinture en Italie, etc., etc., c’est-à-dire le genre de penseur, d’observateur et d’écrivain que nous connaissons. […] C’est toujours (non plus ici dans le roman mais bien dans la réalité) ce Julien Sorel (du Rouge et Noir) « au front bas et méchant », que les femmes, qui se connaissent en ressemblance, disaient être un portrait fait devant une glace, quoiqu’il leur parût un peu sombrement idéalisé. […] Dans une notice pénétrante et concise, Prosper Mérimée a gravé l’épitaphe de l’auteur du Rouge et Noir avec le couteau de Carmen.

53. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Une est seule, la tête raide et de côté ; un nez de vautour, trois grandes taches noires, par le nez et la face, comme des coups d’ongle de la mort, l’œil clair, le regard torve, deux bouts de ruban jaune pendant des deux côtés à son bonnet, une face implacable et sourde. […] Jours noirs. […] Une vieille femme à cheveux blancs vous introduit dans une salle à manger, où sont encadrées, sur fond noir, des mains découpées sur du papier blanc et ponctuées de lignes, et margées d’annotations tracées à la plume. […] Une porte s’ouvre, et un homme paraît, à la grosse tête carrée, aux gros traits, aux grosses moustaches, à la forte figure des portraits de Frédéric Soulié ; il est en robe de chambre de velours noir, aux grandes manches pendantes d’astrologue. […] Un antre noir, bondé de débris de voitures, de harnais pourris, de poêles de fonte, de faïences égueulées, de détritus d’uniformes, au milieu desquels va et vient le ferrailleur, un tout petit bossu, au gros nez sensuel, aux yeux coquins, et perpétuellement souriant dans sa blouse bleue, sous son chapeau noir à haute forme.

54. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

C’est le principal mérite de mes travaux au Chat Noir, et le seul dont je croie pouvoir m’enorgueillir. […] Cet homme sinistre s’attarde-t-il à dévorer des cadavres sous les noirs cyprès du cimetière romantique ? […] Les Dumas père et fils ne se sont pas contentés de nous prouver l’égalité du noir et du blanc ; ils ont daigné nous démontrer la supériorité absolue du noir sur le blanc. […] Voici la fresque de Willette, au cabaret du Chat Noir. […] La rédaction du Chat Noir avait donc prié son démolisseur de lui étaler cet insecte.

55. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Empli d’une noire tristesse, je continue ma route, cherchant lâchement à retarder ma visite, musardant dans les rues, entrant chez de la Narde, chez Bing. […] Quant à mon ancienne adorée, c’est une bien portante bourgeoise, aux yeux noirs d’Espagnole encore pleins de jeunesse, aux dents éclatantes, et portant joyeusement et gaillardement ses années. […] Il est là la figure tirée, trahissant une noire tristesse, sous la tenue correcte d’un vieux gentleman splénétique. […] Tous les chefs-d’œuvre anciens, où les critiques voient du soleil, de la chair illuminée de lumière, m’ont paru bien tristes, bien blafards, bien noirs, et d’un artifice d’art bien surfait. […] De Delacroix, une fière esquisse de lui-même, et son Dante et Virgile, avec l’admirable torse du damné verdâtre, flottant sur les ondes noires.

56. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

À droite et à gauche, sur les deux grandes tribunes en espalier, sont étagés, dans du drap noir, les membres de toutes les académies. […] J’ai vu un autre académicien, en calotte de velours noir, enterré dans un cache-nez de cocher, et ganté de gants de laine, qui n’ont qu’un pouce. […] Il était revenu en Russie, après une longue absence, et allait rendre visite à un ami qu’il avait quitté, les cheveux tout noirs. […] C’est charmant, toutes ces choses brillantes, scintillantes, chatoyantes, riant dans le rouge de la pièce, sous ce plafond de velours noir, où des chiens de Fô s’attaquent dans un champ de pivoines roses. […] C’est un monsieur, au noir de la barbe rasée d’un prêtre du Midi, aux longs cheveux rejetés en arrière, à la mode chez les universitaires à idées révolutionnaires.

57. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Les diamants étaient intacts, et un magnifique collier de perles était aussi intact, mais les perles étaient devenues toutes noires, et chose curieuse, toutes noires qu’elles étaient, avaient conservé leur orient. […] Et les petites portes basses, et les petits escaliers noirs, et les petites chambrettes, qui sont plutôt des trous à humains que des logis, vous mettent sous les yeux, comme l’apparition d’un moyen âge marmiteux, auquel on ne s’attend pas. […] Chemise noire aux bouquets de roses jaunes, serrée aux hanches par une large ceinture, et sur cette chemise noire, un veston et un pantalon de flanelle blanche à raies bleues. […] Sur la tête, un chiffon de dentelle noire, qui a l’air d’un papillon de nuit et sous lequel se dresse une chevelure semblable à un buisson ardent, et éclairent des yeux à la prunelle d’un bleu transparent, dans la pénombre de cils noirs. […] Puis il voudrait en marge de petites gravures, jouant les croquetons au crayon noir et à la plume, qu’on jette, à l’heure présente, sur les marges des livres, déjà imprimés.

58. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Le lendemain du jugement à mort, comme je vous ai dit, le bourreau vint avec les hommes noirs au cachot. […] Les murs avaient deux brasses d’épaisseur ; ils étaient construits de blocs de marbre noir aussi lourds que nos rochers, pour que les condamnés à mort qu’on y abandonnait seuls avec Dieu ne pussent pas songer seulement à s’évader. Un confessionnal et un banc de bois noir étaient les seuls meubles de l’oratoire. […] Quand le bargello va venir te visiter ce matin avec les pénitents noirs et les frères de la Miséricorde, dis-leur ton désir d’obtenir ici la présence du frère Hilario, le vieux quêteur des Camaldules de San Stefano. […] — Quand il sera libre, continua la voix, tu revêtiras le froc et le capuchon des pénitents noirs qu’il aura laissés tomber de la fenêtre en s’enfuyant, et tu reviendras dans son cachot, avant le jour, prendre sa place, pour que les sbires te mènent au supplice, en croyant que c’est lui qu’ils vont fusiller pour venger le capitaine ; tu marcheras en silence devant eux, suivie des pénitents noirs ou blancs de toute la ville qui prieront pour toi ; et quand tu seras arrivée au lieu du supplice, tu mourras en prononçant son nom, heureuse de mourir pour qu’il vive !

59. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Il m’explique ce que je ne comprenais pas chez un Belge : ces coups d’œil, par moments, tout noirs, et ces cheveux en escalade. […] Une dureté implacable monte à sa figure, allume le noir de ses yeux, quand il parle de l’Assemblée, de l’armée de Mac-Mahon. […] J’admirais l’adresse, la grâce, avec laquelle ces hommes jonglaient, dans le noir de la nuit tombante, avec les méandres du fer, avec les rubans de feu, passant du rouge à l’orangé, de l’orangé au cerise. […] Quand j’entends ces blagueurs, ces enflés de la parole, parler de leurs travaux sur l’antiquité, je pense à notre travail sur la révolution, à cette lecture de livres et de brochures, qui feraient une lieue de pays, à ce plongement dans cet immense papier du journalisme, où nul n’avait mis le nez, à ces journées, à ces nuits de chasse dans l’inconnu sans limites, je nous revois pendant deux ans, retirés du monde, de notre famille, ayant donné nos habits noirs, pour ne pouvoir aller nulle part, nous payant seulement, après notre dîner, la distraction d’une promenade d’une heure, dans le noir des boulevards extérieurs… et en mon dédain silencieux, je les laisse blaguer. […] Son teint d’une blancheur à peine rosée, sa bouche découpée, comme une bouche de primitif, sur l’ivoire de larges dents, ses traits purs, et comme sommeillants, ses grands yeux, où des cils d’animal, des cils durs et semblables à de petites épingles noires, n’adoucissent pas d’une pénombre le regard, donnent à la léthargique créature l’indéfinissable et le mystérieux d’une femme-sphinx, d’une chair, d’une matière, dans laquelle il n’y aurait pas de nerfs modernes.

60. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Depuis le coupable cousu dans un sac qui déferlait sous les ponts humides et noirs du Moyen Age, en criant qu’il fallait laisser passer une justice, on n’a rien vu de plus tragique que la tristesse de cette poésie coupable, qui porte le faix de ses vices sur son front livide. […] Si à quelques places, comme dans la pièce La Géante, ou dans Don Juan aux Enfers, — un groupe de marbre blanc et noir, une poésie de pierre (di sasso) comme le Commandeur, — Baudelaire rappelle la forme de Victor Hugo, mais condensée et surtout purifiée ; si, à quelques autres, comme La Charogne, la seule poésie spiritualiste du recueil, dans laquelle le poète se venge de la pourriture abhorrée par l’immortalité d’un cher souvenir : Alors, ô ma beauté ! […] plus profond et plus noir ! […] Comptez-le donc aussi, et mettez-le avec tous les aphorismes, tranquillement impudents, de ce sybarite plein de calme : « toute débauche parfaite a besoin d’un parfait loisir  », etc., et confessez qu’il y a là une somme de comique à défrayer une pièce de théâtre, et souhaitons même que L’Ivrogne, qui sera le prochain drame de Baudelaire, soit aussi gai, sous couleur noire, que ses Paradis artificiels. […] Otez de ce livre de Quincey, que Baudelaire invente et vante, quelques fragments où le traducteur se sent par-dessus le traduit, par exemple : Les Trois NotreDames de tristesse, dont le développement allégorique est très beau et très poignant, et vous n’avez plus dans ce mangeur d’opium, — qui est plus intéressant quand il parle de lui sans opium que quand il s’en bourre des huit mille gouttes, — vous n’avez plus qu’un humouriste, hâve et déformé, du pays des humouristes noirs.

61. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — VI. Le canari merveilleux. »

Ceux-ci accourent, amenant avec eux leur chien noir qui grimpa au fromager et en redescendit Baffo. […] Et, par reconnaissance, elle n’oublia jamais, chaque fois qu’elle mangeait son couscouss, d’en donner la première et la dernière poignée au gros chien noir qui l’avait tirée de ce mauvais pas.

62. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

A chaque instant, il a, sur son rosier, de ces bourgeons noirs qui s’entrouvrent parmi ses roses pâles. Il est des jours de chant comme il est des regrets, Des souvenirs cruels, des sanglots toujours prêts ; Comme il est des soucis, dont l’aile humide et noire Flotte et tourne en spirale en haut de la mémoire ! […] Plus de bourgeons au noir rameau, Triste impuissance de l’aînesse ; Tandis que sur l’antique ormeau Le lierre étouffait de jeunesse ! […] Et, comme ce bois mort couvrant De frais bouquets sa souche noire, Qu’on vous sauve en vous entourant Des lierres d’or de la mémoire !

63. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

On aimait aussi les violentes oppositions de mots, les fortes antithèses comme les Rayons et les Ombres de Victor Hugo, quoique je ne sache pas que l’on ait alors même rien fait de mieux dans ce genre que l’Âme noire du Prieur blanc, de notre contemporain Saint-Pol-Roux le Magnifique. […] Henri de Régnier : sa délicate nouvelle le Trèfle Noir porte simplement pour titre un trèfle imprimé en noir sur couverture blanche. […] Au nombre des appellations étranges de livres, citons encore le chef-d’œuvre de Stendhal, le Rouge et le Noir. […] On peut admettre que le Noir, c’est la robe du séminariste de Julien Sorel et le Rouge, le sang de son échafaud.

64. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Frémine, Charles (1841-1906) »

La riche sève galloise coule abondamment dans ces strophes robustes dont la santé cède parfois à de furtives mélancolies, mais résiste toujours aux noires atteintes du pessimisme pervers. […] Ils n’ont pas le port droit des ormes, Ni des chênes les hauts cimiers, Ils sont trapus, noirs et difformes… Pourtant, qu’ils sont beaux, mes pommiers !

65. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

Nous frappons à la porte, et nous trouvons, dans une loge toute noire, les deux femmes qui nous attendent, lumineusement blanches, en une pénombre de crépuscule. […] Il y a aussi un garde française au pastel tout pâle, une petite fille qui a un serin jaune perché sur un bras, une vieille femme noire, austère, janséniste, la mère inconsolable du garde française tué en duel à vingt ans. […] Voyez-vous cet homme contre la muraille, à droite, coiffé d’un chapeau noir ? […] J’ai pensé à un homme qui graverait le soleil à la manière noire. […] Elles regardent éternellement, par les carreaux, un canal de Hollande, des feuilles mortes sur une eau morte, un ciel gris, un soleil jaune, des briques noires, des arbres noirs.

66. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

En dehors de la coloration, la beauté des épreuves ne se reconnaît pas surtout par ces beaux noirs veloutés des estampes européennes, et que n’a pas l’impression japonaise, où le noir est un noir de lithographie usée ; elle se témoigne à la vue, par la netteté du contour, sa pénétration, pour ainsi dire, dans le papier, où le trait a quelque chose de l’intaille d’une pierre gravée. […] Octave Mirbeau, Geffroy, Frantz Jourdain, Gallimard, Toudouze, Monnet, un silencieux aux yeux d’un noir parlant. […] Et ce soir, Daudet parlant avec moi de la surexcitation amenée dans l’humanité française par l’Exposition, se rencontre avec nous dans le noir pressentiment de l’avenir. […] Un petit homme aux yeux noirs, à la barbe grêle, au teint marbré de plaques rougeaudes, au crâne à la conformation assez semblable à celui de Drumont. […] Il a une Via Appia, sous un nocturne de ciel argenté, derrière de noirs cyprès, du plus grand effet et du plus bel art.

67. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Les pantalons rouges de la garde montante passent dans les fanfares allant au Palais, pendant qu’un épais capucin, sa grosse corde autour des reins, cause familièrement accoudé au comptoir, avec la grasse femme du café, roulant des yeux diablement noirs. […] Tout devient noir en ce siècle, et la photographie, n’est-ce pas l’habit noir des choses ? […] Anna Deslions, des cheveux noirs opulents, magnifiques, des yeux de velours avec un regard qui est comme une chaude caresse, le nez un peu en chair, la bouche aux lèvres un rien entr’ouvertes, une superbe tête d’adolescent italien, éclairée de la coloration dorée de Rembrandt en ses têtes juives. […] Alors en tourbillonnant, et sans avoir l’air de rien, Juliette happe entre ses dents le collier d’Anna Deslions au bout duquel pend une grosse perle noire qu’elle mordille. […] Puis les groupes noirs de femmes en deuil suivant ici le mort jusqu’au bout, la haie des gardes nationaux qui ne rient pas, et toutes ces têtes associées des fenêtres pieusement au deuil.

68. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « III — II » pp. 14-15

Hugo voit gros, il voit noir (dans Ruy Blas il voyait rouge). […] Les bords du Rhin ne sont pas si grandioses, si foudroyés, la Thessalie n’est pas si noire qu’il la fait, de même que Notre-Dame n’est pas si énorme, mais plus élégante, comme on peut le voir du parvis.

69. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Leurs yeux sont peints de noir et leur visage mi-parti rose et pâle. […] De l’autre côté, la noire Sicile se confond avec les nues. […] Notre bourg, au bas d’un noir plateau des Cévennes, est sous les frimas. […] De belles ombres noires traînent sur l’Hymette. […] Les brunes aux yeux noirs (que le diable les emporte !)

70. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

I Lorsque vous montez sur l’arc de triomphe de l’Étoile et que vous regardez au-dessous de vous du côté des Champs-Élysées, vous apercevez une multitude de taches noires ou diversement colorées qui se remuent sur la chaussée et sur les trottoirs. […] Des associations de ce genre se rencontrent à chaque instant. — On lève la nuit les yeux vers le ciel étoilé, et l’on se dit que chacune de ces pointes brillantes est une masse monstrueuse semblable à notre soleil. — On marche dans les champs vers le soir en automne, on remarque des fumées bleues qui montent tranquillement dans les lointains, et à l’instant on imagine sous chacune d’elles le feu lent que les paysans ont allumé pour brûler les herbes sèches. — On ouvre un cahier de musique, et, pendant que le regard suit les ronds blancs ou noirs dont la portée est semée, l’ouïe écoute intérieurement le chant dont ils sont la marque. — Un cri aigu d’un certain timbre part d’une chambre voisine, et l’on se figure un visage d’enfant qui pleure parce que sans doute il s’est fait mal. — La plupart de nos jugements ordinaires se composent de liaisons semblables. […] Lorsque j’entends prononcer ce mot : lord Palmerston, ou que je lis les quatorze lettres qui le composent, il se forme en moi une image, celle du grand corps sec et solide, vêtu de noir, au sourire flegmatique, que j’ai vu au Parlement.

71. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

Un jour il emporte, outre sa marchandise noire, Tamango le marchand, qui a eu l’imprudence de venir réclamer à bord sa femme Ayché. Révolte des noirs soulevés par Tamango, et massacre de tout l’équipage. […] Celle de Tamango est plus âcre et plus recuite que celle même des plus noirs chapitres de Candide.

72. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Au milieu de la soie claire d’un panneau, un noir Bonvin, représentant un homme attablé dans un cabaret, apparaît à la façon d’un portrait de famille, d’un ressouvenir de basse origine, du père de la fille passant la tête au milieu de sa fortune. […] Il nous confie le grand désir qu’il a eu, désir auquel il n’a pas renoncé, d’écrire un livre sur l’Orient moderne, sur l’Orient en habit noir. […] La nuit est noire et pleine d’étoiles, l’heure semble homicide et sereine. […] Nous allons au fin fond de l’hôpital, à une grande porte jaunâtre, sur laquelle il y a écrit en grosses lettres noires : AMPHITHÉÂTRE. […] Le jour y vient triste et pauvre, d’un jardinet fermé par un grand mur, et à travers le tortillage d’une vigne aux sarments maigres et noirs.

73. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Il trouve conforme à sa règle de dire « un noir cheval » et non pas un cheval noir. […] Si je dis un cheval noir, pendant que je prononce le mot cheval, vous vous êtes déjà figuré un cheval, et, comme la plupart des chevaux sont bais bruns, il est probable que vous vous serez représenté un cheval bai brun ; or, pas du tout, l’adjectif vous apprend qu’il est noir ; vous voilà donc obligé de corriger votre représentation, et vous avez ainsi dépensé de la peine inutile entre le mot cheval et le mot noir ! Au contraire, dans cette infaillible langue anglaise, on vous fait d’abord concevoir quelque chose de noir en général, puis ce noir prend la forme d’un cheval ; vous n’avez donc point dépensé d’attention en vain. […] La vérité est, selon nous, qu’il est excellent de pouvoir dire, comme en français, tantôt un cheval noir, tantôt un noir cheval, ou, pour prendre un autre exemple de Spencer, tantôt : la Diane d’Ephèse est grande, ou Grande est la Diane d’Ephèse. […] Quel poing cyclopéen, dites, ô roches noires, Pourra briser la Dent de Morcle en vos mâchoires ?

74. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Mélancolie de Dumény, qui a si merveilleusement joué le « Monsieur en habit noir ». […] Ennui noir, tristesse profonde. […] qui, en dépit de son poil noir et de sa bruyance, est le meilleur bon enfant de la terre ! […] C’est une femme en noir qui monte dans un omnibus, et dont le deuil, la tenue, la mine, forcent son voisin à lui demander l’histoire de ses malheurs. […] Je m’en vais dîner, ce soir, chez la princesse, à pied, par un beau froid noir.

75. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Il nous arrête à une petite image de bal qui ressemble à un bal d’insectes, et dont il moque la maigreur, et la conscience des parquets, et le fini et le précieux, mais où il rencontre l’animation du bal, et une opposition assez satisfaisante des blancs et des noirs, des habits et des robes, — toutefois en déclarant que, dans ce temps, il n’avait pu encore arriver ni aux noirs ni aux gris veloutés. […] Puis, en bas du tribunal, la face plate et les yeux bordés de jambon, l’huissier avec son petit manteau noir qui pend à son habit, comme une aile cassée de chauve-souris. […] On distingue les cordes du dessous du cou, une barbe forte et noire, le nez pincé, des yeux caves ; autour de sa figure, sur l’oreiller ses cheveux, étalés, sont plaqués ainsi qu’un paquet de filasse humide. […] La sœur, une novice sans doute, car elle n’avait pas le voile noir, était tout en blanc, d’un blanc molletonneux, avec un bandeau sur le front ; la bonne en bonnet de nuit, en foulard noir, en camisole et en jupon. […] Une tristesse noire flotte autour de nous.

76. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Chez les peintres, l’envie est tempérée par une certaine gaminerie, par une enfance de toute la vie, qui rend cette envie moins amère, moins noire que chez l’homme de lettres. […] Un ciel absolument cerise, un ciel coupé, rayé, haché par les branches, les branchettes, les brindilles des arbres, y mettant le dessin noir et persillé d’une agate arborisée. […] C’est drolatique, le souvenir que réveille chez moi, cette lettre bordée de noir. […] Un ciel tout zébré de noir, et au milieu duquel il éclaire, parmi les senteurs écœurantes des orangers, parmi le bruit, comme brisé, de jets d’eau las. […] Les yeux presque secs, et soigneusement peignée, elle marche toujours dans le long salon, mais lentement, régulièrement, presque processionnellement, ainsi que marchent dans le chœur d’une église, les chantres, auxquels elle ressemble par derrière, avec son fichu noir, apparaissant comme un capuchon sur le dos d’un moinillon.

77. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Il demandait à quelques cultivateurs de la Floride pourquoi tous leurs Cochons étaient noirs ; ils lui répondirent que ces animaux mangeaient de la racine teinte (Lachnanthes) qui colore leurs os en rouge et qui fait tomber les sabots de toutes les variétés, sauf des noirs. L’un d’eux ajouta : « Nous choisissons, pour les élever, tous les individus noirs d’une portée, parce qu’ils ont seuls quelque chance de vivre. » Les Chiens chauves ont les dents imparfaites. […] Le Biset est bleu ardoise, avec le croupion d’un blanc pur ; et chez la sous-espèce indienne, la C. intermedia de Strickland, il est bleuâtre ; la queue a une barre terminale noire, avec les bases des plumes des côtés extérieurement bordées de blanc ; les ailes ont deux barres noires, et quelques races semi-domestiques, ainsi que quelques autres qui semblent de pures races sauvages, ont, en outre des deux barres obscures, les ailes marquetées de noir. […] J’ai croisé quelques Pigeons-Paons entièrement blancs, et de race très pure, avec quelques Barbes noirs, et je dois dire que les Barbes de variété bleue sont si rares, que jamais je n’en ai vu d’exemple en Angleterre : les oiseaux que j’obtins étaient noirs, bruns et bigarrés. […] Alors je croisai l’un des métis Barbe-Paon avec un métis Barbe-Spot, et ils me donnèrent un oiseau d’un aussi beau bleu qu’aucun Pigeon de race sauvage, ayant le croupion blanc, la double barre noire des deux ailes, et les plumes externes de la queue barrées de noir et bordées de blanc.

78. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

Son sourire devient sombre, et ses « instantanés » les plus récents sont noirs. […] Sur leurs gilets de velours noir, ils laissent tomber de minces chaînes d’or. […] Yeux noirs, d’un noir humide et velouté, dents blanches et régulières, cheveux drus et bien plantés. […] L’attache en apparaissait gracieuse et puissante, hors de l’échancrure d’une robe noire, d’un noir absorbant qui donnait un éclat plus mat à la blancheur de son teint. […] parbleu, c’est un habit noir !

79. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

On pourrait dire que l’on retrouve dans son œuvre écrite les noirs profonds de la gravure anglaise. […] Il avait des cheveux d’un noir bleu qui, en se mêlant vers les tempes au ton d’or de la peau, produisait des teintes verdâtres. […] À cette époque, Bouchardy n’eut pas osé rêver de tels succès ; il gravait encore à la manière noire chez Reynolds. […] Le reste du costume se composait d’un pantalon vert d’eau très pâle, bordé sur la couture d’une bande de velours noir, d’un habit noir à revers de velours largement renversés, et d’un ample pardessus gris doublé de satin vert. […] Faust monte un cheval noir, lancé à un galop effréné, et qui paraît, comme son cavalier, s’effrayer des spectres qui passent sous le gibet.

80. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Bellengé » p. 204

Il y a du même artiste sur un buffet de marbre à droite un vase de bronze beau, élégant et bien peint ; autour de ce case, de gros raisins noirs et blancs, et d’autres fruits ; le sep auquel ces raisins sont encore attachés descend du haut d’un vase de terre cuite à large panse ; il y a autour de ce second vase des pêches et des fruits. […] Il est fortement colorié, les fruits sont vrais, le vase blanchâtre est admirable par la variété des tons gris, rouges, noirs, jaunes et autres accidens de la cuisson.

81. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

L’homme noir parti, l’enfant de chœur jette par-dessus les moulins sa calotte d’emprunt et redevient un vif et charmant jeune homme, rempli d’honneur et d’ardeur, échappé de son château de province comme d’un collège, et qui ne demande qu’à passer gaiement ses vacances. […] Il arrive enfin, ce héros errant : tout à l’heure il faisait une conférence à la Société de géographie ; il la refait dans le salon de M. de Prévenquières, et raconte son odyssée dans le pays Noir. […] Mais le spectre noir a le don de troubler la vue, ordinairement nette et lucide, de M.  […] L’homme noir ne veut pas d’un duel qui ferait un éclat nuisible, et il attend d’Estrigaud pour comploter avec lui un plus sur moyen de perdre Champlion. […] Encore l’accommodaient-ils à des sauces plus noires, sinon plus piquantes.

82. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

… Comment lui, dont les premiers chants furent des cris étouffés si poignants, et les peintures d’une réalité qui saisissait le cœur comme la vie même, comment ce Rembrandt du clair-obscur poétique qui s’annonçait alors, est-il devenu, la vie aidant, avec les expériences, ses blessures et les ombres sinistres qu’elle finit par jeter sur toutes choses, moins pénétrant, moins mordant, moins noir et or (la pointe d’or dans un fond noir), qu’en ces jeunes années où l’on est épris des roses lumières ? […] Ce lyrisme, auquel le poète s’est assoupli par la volonté, l’exercice et surtout le compagnonnage littéraire, est le plus grand ennemi de sa nature sincère, de cette poésie qui est la sienne, toute d’observation triste ou cruelle, qui se déchire le cœur dans un coin, et de ce petit coin sombre avec son noir chagrin, comme Alceste, allonge sur le monde extérieur un regard qui, comme celui de certains peintres malades de la bile ou du foie, teint, d’une nuance particulière et soucieuse, les objets sur lesquels il va lentement et longuement se fixer. […] Que cet ombrage obscur et plus noir qu’un cyprès Donnait un lourd vertige à qui dormait trop près ? […] … Et savez-vous aussi, vous, brillante de charmes, Que ce jeune homme, objet de vos tardifs aveux, N’était pas un amant aux longs et noirs cheveux, Au noble front rêveur, à la marche assurée ? […] L’un puisait par en haut dans cet étang de sang, de larmes et de fanges typhoïdes ; l’autre puisait par en bas, mais ils étaient tous deux originaux, tous deux trouveurs, l’un, en nous rapportant son idéale amphore de marbre noir veiné de rose, l’autre son humble cruche de grès, toutes deux remplies de la même vase saignante et des mêmes larmes de l’humanité !

83. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

Ceux qui, à la façon de Banville, ne s’éblouissent pas des splendeurs païennes, décèlent le pessimisme noir de Leconte de Lisle. […] Nous aurons le cabotinage de lettres, le Chat Noir, les cabarets artistiques de Montmartre, la poésie d’estrade contre laquelle s’élèvera Jules Laforgue : J’ai vu des poètes infâmes Dire des vers sur des tréteaux Dans un bouge aux noirs escabeaux Parmi la puanteur des femmes.

84. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

C’est le même effet que celui de la vitesse avec laquelle on tourne un globe tacheté de différentes couleurs, lorsque cette vitesse est assez grande pour lier les taches et réduire leurs sensations particulières de rouge, de blanc, de noir, de bleu, de vert, à une sensation unique et simultanée. […] Plus elle est forte et vive, plus les ombres sont limitées, décidées et noires. […] Regardez attentivement les limites et même la masse de l’ombre d’un corps blanc, et vous y discernerez une infinité de points noirs et blancs interposés.

85. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

Il était, avec de l’attention et du plaisir, à ce qu’on disait, et comme à tout jamais échappé à son noir lui-même… Nous l’écoutions, nous le regardions, tous les deux stupéfaits… J’ai reconduit Édouard à la voiture. […] * * * L’expression de son visage, sous sa couleur dorée et enfumée, prend avec les minutes, de plus en plus l’expression d’une tête du Vinci ; et dans les traits de sa figure, je retrouve le mystère des yeux et l’énigme de la bouche de ce jeune homme, qui se trouve, dans je ne sais quel vieux et quel noir tableau d’un musée d’Italie. […] Nuit de dimanche (19 juin) à lundi Le profil de Pélagie penché sur un petit livre de prières, dont l’ombre noire se reflète sur le blanc entassement des oreillers, au milieu desquels sa tête a disparu, et dont sort le râle. […] » * * * À midi, j’ai vu à travers la porte de la salle à manger, les chapeaux de quatre hommes noirs… Nous sommes montés dans la petite chambre… Ils ont relevé la couverture, ont glissé sur lui un drap, et en une seconde, ont fait de son maigre cadavre, à peine entrevu, un long paquet au linge rabattu sur la figure : « Doucement, ai-je dit, je sais bien qu’il est mort, mais cela ne fait rien… doucement !  […] 10 heures Au jardin je me cogne contre deux croque-morts, assis sur des morceaux de bois noir, au milieu de grands chandeliers d’église, incendiés de soleil.

86. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Les meurtriers du Cœur révélateur, du Chat noir, du Démon de la perversité, Roderick Usher sont des maniaques commençants, atteints d’hallucinations auditives ou visuelles, agités d’impulsions morbides. […] La recherche de la curiosité orne les contes psychologiques de maladies mentales douteuses et ordonne en suites bizarres les infortunes qui mènent au dénouement du Cœur révélateur et du Chat noir. […] Aux dernières pages du Chat noir, est dressé le cadavre gâté de l’assassinée, que dévore, la gueule rouge, l’animal famélique, sinistre héros de ce conte. […] Les sombres allégories du Palais hanté, du Ver conquérant, de la Cité en la Mer voilent les images de la Folie, de la Mort, du Jugement dernier, sous la noire dentelle de leur style. […] Ne laisse pas une plume noire ici comme gage du mensonge qu’a proféré ton âme.

87. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

Presque toutes les pages des trois énormes manuscrits des Sermons étant noires de ratures, la difficulté de les déchiffrer m’a souvent fait abandonner d’intéressantes citations.‌ […] Mais, comme presque toutes les pages des trois énormes manuscrits de Bossuet sont noires de ratures, et, remarquons-le bien, quel que soit le sujet, dogmes, descriptions, paraphrases, récits ou prières, il serait cependant un peu fort de prétendre que, constamment et partout, Bossuet a obéi, non à des scrupules d’écrivain, mais à des scrupules de théologien, là même où il n’est pas le moins du monde question de théologie. […] Un des procédés habituels de notre polémiste, nous l’avons dit, consiste à nous prêter des opinions qui ne sont pas les nôtres, pour se donner le plaisir de les réfuter. « La bête noire de M.  […] Le Rouge et le Noir est une œuvre impérissable.

88. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

« Mais déjà les chèvres et les moutons, impatients qu’on leur rouvre les noires étables où on les enferme pendant la neige, bêlent de plus en plus haut pour qu’on les ramène à leur montagne accoutumée. […] Bientôt je voyais se dessiner en sombre sur le ciel bleu la redingote noire d’un beau jeune homme qui, sous l’habit d’un ecclésiastique, avait la taille, la stature et la contenance mâle d’un militaire. […] Derrière la colline, au midi, qui sépare le village de mon père d’une vallée plus encaissée et plus pastorale, le village de Bussières, groupé autour de son noir clocher, s’étend dans le fond du paysage. […] Un chien blanc et une chèvre familière, suivie de deux ou trois chevreaux noirs, étaient toujours couchés ensemble sur les marches de l’escalier ou sur le mur en parapet de la galerie. […] L’ombre noire du clocher s’étendait de bonne heure le soir sur cet enclos et ajoutait une mélancolie un peu sinistre à cette demeure.

89. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Dermid laisse flotter son épaisse et noire chevelure. […] Ses noirs sourcils sont à moitié cachés sous l’acier de son casque ; son épée pend librement à son côté. […] Mais tu te promènes sur les vents du désert, et tu tiens les noires tempêtes dans ta main. […] Non, je ne resterai pas seule, ô vents qui soulevez ma noire chevelure, je ne mêlerai pas longtemps mes soupirs à vos sifflements. […] L’âge a mêlé des cheveux blancs à ma noire chevelure.

90. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Après l’apothéose, après les gémonies, Pour le vorace oubli marqués du même sceau, Multitudes sans voix, vains noms, races finies, Feuilles du noble chêne ou de l’humble arbrisseau ; Vous dont nul n’a connu les mornes agonies, Vous qui brûliez d’un feu sacré dès le berceau, Lâches, saints et héros, brutes, mâles génies, Ajoutés au fumier des siècles par monceau ; Ô lugubres troupeaux des morts, je vous envie, Si quand l’immense espace est en proie à la vie, Léguant votre misère à de vils héritiers, Vous goûtez à jamais, hôtes d’un noir mystère, L’irrévocable paix inconnue à la terre, Et si la grande nuit vous garde tout entiers ! […] Si midi, du ciel pur, verse sa lave blanche, Au travers des massifs il n’en laisse pleuvoir Que des éclats légers qui vont, de branche en branche, Fluides diamants que l’une à l’autre épanche, De leurs taches de feu semer le gazon noir. […] Le titre en pourra paraître singulier : les plus habiles jardiniers n’ont pu encore trouver jusqu’ici ni la rose bleue ni la rose noire ; mais le poëte a ses licences et ses prévisions, et il aura devancé les plus habiles gagneurs en ce genre, au moins pour la dernière de ces roses. […] Pour nos cœurs dépouillés il est des roses noires. Sur les restes fanés de nos douces histoires, Sur notre rêve éteint, dans l’ombre enseveli, Sur nos vœux moissonnés par les heures fatales, Un jour on voit grandir les fleurs aux noirs pétales, Les roses sans parfums, les roses de l’oubli.

91. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1853 » pp. 31-55

La curiosité de ces bureaux était le cabinet de Villedeuil où le directeur du journal avait utilisé la tenture, les rideaux de velours noir à crépines d’argent de son salon de la rue de Tournon, où se donnaient, un moment, toutes bougies éteintes, des punchs macabres. […] Enfin, c’était une tirade contre Janin, la bête noire du ministère de la police. […] Sa femme, fine, délicate, nerveuse, avec de beaux grands yeux noirs, semble une sorte de réduction de Mme Roland dont elle a l’exaltation républicaine, mais dans un petit corps plein de grâce parisienne, toutefois de la grâce un peu rêche de la bourgeoise distinguée. […] Il est en habit noir et en chapeau tuyau de poêle qu’il ne quitte jamais et qu’il a perpétuellement sur la tête, quand il peint, quand il mange. […] Dans la Cité une allée se perdant dans les profondeurs d’une noire bâtisse.

92. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

le voici : « Parce que ces deux mamelles superflues étaient destinées à être les nourrices du genre humain. » Vous doutiez-vous que « la nature oppose sur la mer l’écume blanche des flots à la couleur noire des rochers, pour annoncer de loin aux matelots le danger des écueils596 »? […] » Louange au Seigneur qui fait vivre la puce noire sur la peau blanche, pour être plus aisément attrapée ! […] Aux épithètes littéraires qui qualifient, il substituera l’épithète pittoresque qui montre : il nous fait voir l’ouara rouge et noir au milieu du « feuillage glauque des palétuviers », le savia jaune et gris perché sur le poivrier aux fleurs ternes, dont il mange les graines602.

93. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Il vit la silhouette noire de Dallas flageolant sur ses hautes jambes. […] — Monsieur le curé, il devient noir ! […] Cela m’hallucinait comme la vision d’un grand trou noir vers lequel vous poussent d’invisibles poings. […] Et, dans la lumière éclatante, les urubus et le corbillard très noirs se glacent et reluisent. […] — Il a la tournure d’un homme d’Église : vêtu de noir, les cheveux plats, le visage rasé, des bas noirs, des souliers lacés.

94. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Le diable était là, visible pour lui seul, tout vert, avec ses cornes et ses ailes de chauve-souris larges étendues, qui formaient comme un paravent noir aux trois conseillers de noir vêtus, fourrés et long cravatés de blanc. […] Et je suis sûr que la Présence Réelle se fout de toutes les Messes Noires ou Nègres, puisqu’il a été créé et mis au monde pour ça. […] Et l’homme au jupon noir continue à ne pas saisir la poésie du geste et du cœur. […] Il y avait encore un amusant petit chat noir qui m’avait pris en grande affection. […] La plupart avaient la tenue historique de l’université, la robe noire, courte ou longue selon le « degré », et complétée, en plein air, par la coiffure traditionnelle, le bonnet plat et carré.

95. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ; Ils dorment au fond des tombeaux ; Et le soleil se lève encore. […] Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent : Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, Ouverts à quelque immense aurore, De l’autre côté des tombeaux Les yeux qu’on ferme voient encore. […] Dans la Ravine de Saint-Gilles, une de ses pièces les plus admirées, le poète photographie minutieusement une gorge orientale, avec ses bambous, ses lianes, ses vétivers et ses aloès ; tous les oiseaux sont passés en revue, le colibri, le cardinal, la « caille replète », le paille-en-queue ; nous voyons les bœufs de Tamatave, gardés par un noir qui fredonne un « air saklave », les lézards au dos d’émeraude, le chat-tigre qui rôde. […] C’est un couple de lourdauds, Paysans, ouvriers, au cuir épais, que gerce Le noir travail ; ou bien des gens dans le commerce, Le monsieur à faux-colet la vierge à bandeaux. […] Tout ce qu’on prend d’abord pour une vérité Est comme ces beaux fruits des bords de la mer Morte, Qui, lorsqu’un voyageur à sa bouche les porte, Sont pleins de cendre noire et n’ont qu’un goût amer.

96. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Que l’on joigne à ces exemples les facétieux boniments d’Ursus dans l’Homme qui rit, ces parades funambulesque où la même spirituelle cabriole s’exécute en mille dislocations ; les résumés historiques qui ouvrent les divers livres des Misérables, par d’énormes variations ; les grandes fantaisies de Quatre-vingt-treize sur le mystérieux accord des chouans avec les halliers ; et dans les Travailleurs de la Mer le sinistre chapitre sur la Jacressarde, maison déserte au haut d’une falaise qui ouvre sur la nuit noire deux croisées vides. […] Vous mêlerez la pluie amère de l’abime A ses noirs cheveux hérissés. […] Que l’hiver, lutteur au tronc fier, vivant squelette, Montrant ses poings de bronze aux souffles furieux Tordant ses coudes noirs, il soit le sombre athlète D’un pugilat mystérieux. […] Hugo est par excellence le grand poète du Noir, et comme son satyre, connaît Le revers ténébreux de la création. Le mystère des germes, la sourde poussée du printemps et l’ascension latente de la sève, les murmures des grandes plaines, la surprise des sources perlantes dans l’ombre, ont leur voyant et leur poète en celui qui a écrit dans les Misérables seuls ces trois admirables épisodes : Choses de la nuit, Foliis ac frondibus, et cette arrivée de Valjean, par une nuit sans lune, dans le jardin du couvent du Picpus, ce jardin silencieux, mort et régulier où « l’ombre des façades retombait comme un drap noir ».

97. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Je dis au vieux jardinier de rappeler ma jument noire, qui paissait en liberté dans un verger voisin, et de la seller pour moi. […] Je franchis rapidement la plaine déjà ondulée qui sépare les bords de la Saône de la chaîne des hautes montagnes noires derrière lesquelles se creuse la vallée de Saint-Point. […] Je passai devant la porte de ma cour sans y entrer ; je suivis, sans lever la tête, le pied du mur noir et bossué de pierres sèches qui borde le chemin et qui enclot le jardin ; je n’osai pas m’arrêter même à l’ombre de sept à huit platanes et de la tonnelle de charmille qui penchent leurs feuilles jaunes sur le chemin. […] On ne monte plus et l’on ne descend pas encore ; on plonge à son gré ses regards, selon qu’on se retourne au levant ou au couchant, sur l’immense plaine du Mâconnais, de la Bresse et de la Saône, ou sur les noires et profondes vallées de Saint-Point, sur les cimes entrecroisées, les pentes ardues et les défilés rocheux, arides ou boisés, qui s’amoncellent ou glissent vers le creux du pays. […] On n’a pendant longtemps devant les yeux d’autre horizon que des croupes de montagnes confuses, noires de sapins, ici ébréchées, là amoindries et comme usées par le frôlement des vents et des pluies.

98. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

La Bruyère écrivait juste un siècle avant 1789607 : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et remuent avec une opiniâtreté invincible. […] Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines. […] Les paysans y vivent de seigle dont on n’ôte pas le son, qui est noir et lourd comme du plomb  Dans le Poitou et ici, on ne laboure que l’épiderme de la terre, avec une petite vilaine charrue sans roues… Depuis Poitiers jusqu’à Montmorillon, il y a neuf lieues, qui en valent seize de Paris, et je vous assure que je n’y ai vu que quatre hommes, et trois de Montmorillon chez moi, où il y a quatre lieues ; encore ne les avons-nous aperçus que de loin, car nous n’en avons pas trouvé un seul sur le chemin. […] Le peu qu’il laboure, c’est pour semer des denrées de vil prix, propres à sa nourriture, le blé noir, les raves, etc. […] En guenilles, pieds nus, ne mangeant que du pain noir, mais couvant dans son cœur le petit trésor sur lequel il fondait tant d’espérances, il guettait l’occasion, et l’occasion ne manquait pas. « Malgré tous ses privilèges, écrit un gentilhomme en 1755651, la noblesse se ruine et s’anéantit tous les jours, le Tiers-état s’empare des fortunes. » Nombre de domaines passent ainsi, par vente forcée ou volontaire, entre les mains des financiers, des gens de plume, des négociants, des gros bourgeois.

99. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

S’il ne s’agissait que de jouir, mieux vaudrait pour tous le brouet noir que pour les uns les délices, pour les autres la faim. […] L’affranchissement des noirs n’a été ni conquis ni mérité par les noirs, mais par les progrès de la civilisation de leurs maîtres. […] Nous raisonnons de la même manière relativement à l’émancipation des noirs. […] Mais nous en concluons qu’il faut sans transition appliquer aux noirs le régime de liberté individuelle qui nous convient à nous autres civilisés, sans songer qu’il faut avant tout faire l’éducation de ces malheureux et que ce régime n’est pas bon pour cela. […] L’esclavage n’élève pas le noir, ni la liberté non plus.

100. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Ce n’est qu’un souffle, qu’un point noir, et le palais d’Argos en devient tout sombre ; on entend remuer quelque chose d’effrayant dans sa profondeur. […] Pour dissiper les noirs souvenirs qui l’obsèdent, il ne trouve qu’une pensée plus lugubre encore ; — « Pourquoi se lamenter sur tout cela ? […] A Leuctres et en Apulie, les jeunes filles qui répugnaient au mariage, drapées de noir comme les Furies, le visage teint en rouge par des sucs de plantes, venaient serrer entre leurs bras sa statue. […] Elle enveloppe d’un voile ses cornes noires ; elle le frappe ! […] » — Le sang dont elle est baignée la rafraîchit et l’enivre. — « En rendant l’âme, il m’a arrosée d’un jet de sa blessure, noire rosée aussi douce pour moi que l’est la pluie de Zeus à l’épi gonflé. » — Que lui importe qu’on l’approuve ou qu’on la maudisse ?

101. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

L’imagination évoque cette marche funèbre : elle voit défiler en deux rangs, sur le rythme d’un long chant plaintif, cette procession de femmes sépulcrales, drapées de robes noires en lambeaux, les joues meurtries par leurs ongles, tenant à deux mains les vases sur lesquels pleurent leurs cheveux défaits. […] On dirait des Panathénées funéraires sculptées par Phidias, dans un marbre noir. […] Il la poursuit et il s’y cramponne ; il essaye, avant qu’elle s’échappe, de lui arracher un cri d’innocence : « Tandis que je me possède encore, j’atteste que j’ai fait acte de justice en tuant ma mère, car elle s’était souillée du meurtre de mon père, et les dieux l’avaient prise en haine. » Mais il s’arrête, glacé d’épouvante, les Érynnies surgissent devant lui, avec leurs cheveu de vipères et leurs yeux qui pleurent un sang noir. — « Ah ! […] femmes esclaves, les voyez-vous comme des Gorgones, vêtues de robes noires, les cheveux entrelacés de serpents ?

102. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

Il a oublié le Chat Noir où écrivaient Goudeau, Léon Bloy, Moréas, Albert Samain, la Renaissance dont j’ai parlé au début de cette étude, le Faune de Marius-André, la Conque de Pierre Louÿs, les Chroniques de Raymond de la Tailhède et bien d’autres. […] Ô crépuscule, dans ta grande somnolence, Un bois à l’horizon s’étage noir et bleu ; Haut, le croissant émerge et s’argente en silence, L’Hippogriffe attendait dans le couchant de feu ; Et la Reine, égarant son regard noir et bleu, Maudit l’heure qui coule ainsi qu’une eau trop lente, Et, sous le dur brocart, sentant sa gorge en feu, Mord son exsangue main de sa bouche sanglante !

103. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Le fleuve saint sort du pied de la montagne ; la forêt de cèdres noirs domine le tableau, et elle est elle-même surmontée par des croupes arrondies, que la neige drape de sa blancheur. […] Ils meurent longuement, rongés d’un noir chagrin ; L’autel garde leurs vœux sur des tables d’airain ; Et le seul désespoir habite leurs cellules. […] que d’infortunés votre noire épaisseur A dérobés jadis au fer de l’oppresseur !

104. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hervilly, Ernest d’ (1839-1911) »

Regardons sa négresse, par exemple : Ses seins noirs et luisants dressés sur sa poitrine Ont l’air de deux moitiés d’un boulet de canon ; Aux coins de son nez plat, passé dans la narine. […] Ses cheveux courts, tressés, ont l’aspect de la laine ; Sa prunelle se meut, noire sur un fond blanc Humide, transparent comme la porcelaine, Et son regard vous suit, placide, doux et lent.

105. (1925) Proses datées

Dans toutes deux était apendu au mur un tableau noir, souvent couvert de formules chiffrées et de figures géométriques. […] Ses cheveux, jadis d’un noir de corbeau, avaient grisonné, et sa forte moustache aux pointes dressées. […] Il portait un veston noir, une chaîne d’or au gilet, un col bas qui dégageait un cou puissant. […] Ce personnage est vêtu d’un habit noir. Un col de satin noir s’enroule à son cou.

106. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Quant aux marchands qui sont morts ou qui ont déserté ces boulevards, ils sont remplacés par des vendeurs de meubles modernes, aux expositions se composant de mobiliers de salon en bois de chêne pour dentistes, de pendules de cabinet en marbre noir, de baromètres en noyer, de coffres-forts Huret et Fichet, entremêlés de vieux anges coloriés d’églises et de fausses poteries étrusques. […] Ce soir chez Daudet, répétition de la pantomime de Margueritte, où Invernizzi fait la Colombine rose, montée sur de hautes bottines noires. […] C’est en face de la tour Eiffel, du haut en bas du Trocadéro, une multitude noire, s’étageant debout ou assise, et au milieu de laquelle, s’élèvent les enveloppes de toile des magnolias, semblables à des tentes arabes, avec un horizon de lanternes rouges sur un ciel d’un bleu noir, où fulgure, par moments, un jet de lumière électrique, partant de l’établissement des phares. […] Au retour d’une promenade en landau, où nous avons traversé Essonne, ces ouvriers à paniers noirs au bras, avec la fatigue molle de leurs démarches, avec la tristesse qu’emporte au-dehors, l’ouvrier de l’usine, du travail renfermé, avec la pâleur de leur visage dans le crépuscule, nous ont laissés tout mélancoliques. […] » Jeudi 27 décembre Discussion à table avec Daudet, où je soutiens qu’un homme qui n’a pas été doué par Dieu du sens pictural, pourra peut-être, à force d’intelligence, goûter quelques gros côtés perceptibles de la peinture, mais n’en goûtera jamais la beauté intime, la bonté absconse au public, n’aura jamais la joie d’une coloration, et je lui parlais à ce propos de l’eau-forte, de ses noirs, de certains noirs de Seymour-Haden qui mettent l’œil dans un état d’ivresse chez l’homme, au sens pictural.

107. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

L’aube au jour paraît blême ;       L’éclair est noir pour le rayon. […] Les astres lumineux ne sont que des points imperceptibles dans une immensité noire ; le jour n’est que le phénomène, exceptionnel dans l’univers, produit par le voisinage d’un astre, d’une « étoile », et qui cesse à une assez faible distance ; entre les astres, dans la grande étendue, règne la nuit. […] Ce n’est plus une sorte de fièvre de douleur, un vertige de désespoir ; c’est la vision illimitée d’un horizon noir où notre moi n’est qu’un point, d’un abîme où nous sommes engloutis. […] L’aigle leur dit un mot à l’oreille en passant : Ils font signe parfois à l’éclair qui descend ; Ils rêvent, fixes, noirs, guettant l’inaccessible, L’œil plein de la lueur de l’étoile invisible176. […] pas noirs qui marchez dans les plaines !

108. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

Un troisième portrait représentait Zacharias Kobus, le juge de paix, en habit noir carré ; il tenait à la main sa tabatière et portait la perruque à queue de rat. […] Mais tenez, voici ma femme que la petite est allée prévenir. » En effet, la bonne mère Orchel, grosse et grasse, avec sa coiffe de taffetas noir, son tablier blanc et ses gros bras ronds sortant des manches de chemise, accourait aussi, la petite Sûzel derrière elle. […] Bientôt après, la mère Orchel descendait dans la cuisine ; Fritz, tout en écoutant la bonne femme allumer du feu et remuer les casseroles, écartait ses rideaux et voyait les petites fenêtres grises se découper en noir sur l’horizon pâle. […] » fit-il en serrant les deux mains du vieil anabaptiste, debout devant son lit, avec sa barbe grisonnante et son grand feutre noir. […] Enfin Hâan tira du troisième banc à gauche une femme haute de six pieds, noire de cheveux, avec un nez en bec d’aigle et des yeux perçants, laquelle se leva toute droite et sortit d’un air majestueux.

109. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

Tout un rayonnement d’art protestait contre l’envahissement des draperies noires. […] On s’écarte pour laisser passer une masse noire que des femmes soutiennent : c’est la veuve secouée de sanglots, que l’on transporte au fond du hall, et que la barbarie du protocole force à recevoir les poignées de main et les paroles de condoléances, comme si elle avait encore la conscience des choses et la possession d’elle-même. […] * *  * Cette fin d’année 1899 se marque d’un caillou noir, dans mes souvenirs.

110. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

De quelles sanglantes peintures à la Zurbaran et de quels noirs effets à la Goya ces haïsseurs du Catholicisme, qui veulent même que la couleur soit de leur parti, ne se régaleront-ils pas dans un pareil sujet d’histoire ! […] Il raconte Charles-Quint même plus qu’il ne le juge ; Paul IV, ce vieillard jeune homme, élu pape à quatre-vingts ans, qui a tous les défauts de la jeunesse dans la vieillesse, ce Jules II, de la seconde épreuve, qui n’a pas marqué ; Philippe II, enfin, — qui n’est plus ici l’homme en velours noir, le mouton d’or au cou, de La Rose de l’Infante, ce poncif romantique aussi insupportable que tous les poncifs classiques dont nous nous soyons jamais moqués. […] Il va jusqu’à nous le faire voir aimable avec les femmes et marié quatre fois, ce prince terrible du noir silence.

111. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Et quand, dans la ville affamée, les hommes étaient rouges de sang et noirs de poudre, il se moquait du fard rose et de la poudre de riz de nos femmes. […] À peine entrés dans le jardin, les aboiements d’un énorme chien noir, avec des rires d’enfant sur le perron, saluaient notre arrivée, et le poète-musicien, à la fenêtre, agitait en signe de bienvenue son béret de velours noir. […] Et, blanches, les porta vers le firmament noir. […] Nous connûmes l’habit noir que l’on met pour les soirées et nous récitions des sonnets estrambotes en costume de notaire ! […] Semble un crustacé noir, gigantesque et vermeil.

112. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

M. de Harlay devint le point de mire de ce Le Noir, il eut pendant des années son Le Noir à ses trousses, comme M. de Talleyrand son Maubreuil. Les libelles de Le Noir étaient plus que désagréables, ils étaient atroces. […] Le Noir, auteur des principaux libelles, fut condamné à faire amende honorable devant l’église de Paris, nu, en chemise, la corde au cou, la torche au poing. Deux autres ecclésiastiques compromis, l’un notamment nommé Bourdin, ami et compagnon de Le Noir, et qui confessait avoir pris part aux libelles de ce dernier, en s’offrant de prouver tout ce qu’on avait avancé et en demandant d’être renvoyé par devant le juge d’Église, seul compétent, au lieu des juges laïques qu’on lui avait donnés, furent condamnés aux galères, et Bourdin aux galères perpétuelles (1683).

113. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

« Tu concevras de Zeus le noir Épaphos qui possédera toute la terre qu’abreuvent les larges torrents du Nil. […] Si vous portiez des arcs, je vous prendrais pour elles. » — On dirait un baron du moyen âge, la tête pleine d’histoires de goules et de sorcières barbaresques, questionnant avec une sévérité soupçonneuse quelque bande noire d’Égyptiennes qui serait venue camper sous sa ville. […] Elle approche, elle croît à vue d’œil ; il distingue déjà ses mariniers noirs, ceints de pagnes blancs. […] Voici le songe noir ! […] Tout à coup, d’une strophe à l’autre, un noir présage s’abat sur leur hymne et le retourne de la joie vers l’anxiété.

114. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Dans la menace noire d’un orage d’hiver, sous la lumière blafarde d’un jour d’éclipse, le spectacle était merveilleux. […] Ce n’est plus qu’une laborieuse imitation terne et noire de la peinture. […] Elle est subitement traversée par un courant de gaieté ou de tristesse noire, sans cause. […] Je ne crois pas qu’il y ait ce jour, dans les cimetières des autres pays de l’Europe, tant de robes noires, tant de couronnes, tant de fleurs. […] Autour de la table, il y a ce matin, Jalabert, Philippe Rousseau, au noir de la physionomie auréolé du blanc de ses cheveux.

115. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

En robe de chambre de soie claire, et molle, et bouffante, et garnie de haut en bas de gros nœuds floches, elle est paresseusement enfoncée dans un profond fauteuil, avec la mobilité fiévreuse de ses deux yeux de velours noir, avec la coquetterie des poses maladives, et ayant sur ses genoux une caniche noire, aux pattes montrant la ténuité d’une petite serre d’oiseau. […] Dimanche 24 avril Un ciel, à la fois tout noir et tout constellé d’étoiles, un ciel, semblable à la gaze noire piquée de paillons d’or, habillant les danseuses de l’Inde. Sur ce ciel, les grands arbres noirs, non feuillés encore, mais à la ramure infinie en éventail, et pareils à ces fougères gigantesques du monde antédiluvien, qu’on découvre calcinées au fond des mines ; et sous cette obscurité toute cloutée de feu, des souffles énormes balançant, et faisant gémir ces arbres couleur de charbon, comme les arbres d’une planète autre que la terre, d’une planète en deuil. […] Le feuilletage hier d’un cours de littérature, où nous avons lu l’article Bossuet, nous amenait à confesser, qu’un cerveau bien équilibré, ayant très peu de lectures, et par là, gardé des infiltrations inconscientes et des embûches du plagiat, devait être bien plus facilement original que nos cerveaux, à l’heure présente, remplis de livres et de noir d’imprimés. […] Par exemple, à propos du repas nocturne des bohémiens, au bord de la Seine, l’ouverture des Frères Zemganno, et où se trouve la description d’un saule, que je fais gris, sur une note prise d’après nature, il dit : « On sait que le vert devient noir la nuit. » N’en déplaise aux mânes de l’écrivain russe, mon frère et moi étions plus peintres que lui, témoin les très médiocres peintures et les horribles objets d’art qui l’entouraient, et j’affirme que le saule décrit par moi, était gris et pas du tout noir.

116. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Mais la description de la masure sordide habitée par la bohémienne vendeuse de philtres est neuve, pittoresque et gravée au noir dans la poésie qu’on pourrait appeler flamande de la France. […] Sous la tresse d’ébène on dirait, à la voir, Une jeune guerrière avec un casque noir ! […] et que ta mémoire S’enfonce avec la vie au cœur de cette eau noire ! […] Sont-ce là tes soupirs, noir Esprit des ruines ? […] Comme il fait noir dans la vallée !

117. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Je m’approchai donc avec plus de confiance de la sombre lucarne, assombrie encore par le noir pilier, et je jetai un regard furtif à travers les barreaux de fer du premier grillage ; je ne vis que deux yeux fixes qui me regardaient du fond du cachot, tout au fond de la nuit régnant derrière la seconde grille. […] Je le devinai plutôt que je ne le reconnus aux traits de son visage, tant l’ombre était noire dans la caverne du pauvre innocent. […] et, quand il sera brun ou noir, cela voudra dire : Prenons garde, tremblons et prions ! […] voilà la boucle d’oreille et la lime sourde, et elle me glissa par-dessous les barreaux un petit peloton de fil noir qui contenait les deux reliques de son amant. […] Quand ils sortirent, les hommes noirs disaient entre eux : — Quel dommage qu’un si jeune homme et un si bel adolescent ait un visage si trompeur et si candide !

118. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

» * * * — La femme de Zola, assez souffrante cette année, tire de sa maladie une beauté rare, faite de la douceur de deux yeux très noirs, dans la pâleur comme éclairée d’un visage. […] C’est Marsaud, l’homme qui met sa signature sur les billets de banque, et qui semble, sous son noir faux toupet, une figure allégorique de l’implacabilité de l’Argent. […] Avec un pinceau écrasé et aux poils presque secs, il rend l’extrémité duveteuse de la plume, de la façon la plus extraordinaire, et modèle, avec des plans dans la demi-teinte, en un gris noyé dans l’eau, le plus savant et le plus moelleux dessin de nature de la poitrine de l’oiseau noir. […] D’abord pour commencer, ce fut au milieu, comme toujours, un bec d’un oiseau devenant un oiseau, puis encore trois autres becs, trois autres oiseaux : le premier grisâtre, le second au ventre blanc, aux ailes vertes ; le troisième ayant l’apparence d’une fauvette à tête noire ; le quatrième avec du rouge dans le cou d’un rouge-gorge. […] Et le panneau encore une fois remis au feu et retiré mollet, l’artiste indique un tronc tortueux par un large appuiement, mais interrompu, mais cassé, et pique avec la plus grande attention, dans le vide, dans l’effacement, les petites fleurs rouges d’un cognassier du Japon, ne plaçant qu’au dernier moment la valeur noire de son dessin, la tache intense à l’encre de Chine du tronc de l’arbuste.

119. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Depuis le coupable cousu dans un sac qui déferlait sous les ponts humides et noirs du Moyen Âge, en criant qu’il fallait laisser passer une justice, on n’a rien vu de plus tragique que la tristesse de cette poésie coupable, qui porte le faix de ses vices sur son front livide. […] Baudelaire, cette poésie sinistre et violente, déchirante et meurtrière dont rien n’approche dans les plus noirs ouvrages de ce temps qui se sent mourir. […] Si à quelques places, comme dans la pièce la Géante ou dans Don Juan aux enfers, — un groupe de marbre blanc et noir, — une poésie de pierre, di sasso, comme le commandeur, — M.  […] On dira que parfois le ton est poussé au noir, ou au rouge, et que le poète semble se complaire à irriter les plaies où il a glissé la sonde. […] Comme transition à des idées moins noires et comme conclusion, je citerai le sonnet suivant qui est à lui seul la clef et la moralité du livre.

120. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

. — Quel tableau que celui des Sept Chefs trempant leurs mains dans un bouclier noir où bouillonne le sang d’un bœuf égorgé, et jurant de détruire Thèbes, par toutes les Divinités du carnage ! […] Typhon y souffle une fumée noire, « sœur agitée de la flamme », et des spirales de serpents tournent autour du disque en triples replis. Hippomédon, ivre de fureur, « comme une Ménade de vin noir », vocifère d’horribles menaces : la porte en tremble sur ses gonds de bronze. — La cinquième aura pour assaillant Parthénopéos l’Arcadien, fils d’Atalante, la chasseresse montagnarde : « Un enfant-homme, au beau visage, les joues fleuries d’un duvet naissant. […] On y voit une belle Euménide, sortie à mi-corps de l’abîme, un flambeau de fête à la main, saisir l’attelage par les rênes, comme pour introduire le héros divinisé dans le noir royaume. […] Que les deux mains frappent la tête, faites le bruit des rames qui poussent sur l’Achéron la Théoride aux voiles noires, vers la terre sans soleil où débarquent tous les mortels. » — Les filles d’Œdipe sont entrées pendant ce prélude, elles se tiennent debout, rangées devant les deux corps, comme des statues sépulcrales. — « Voici Antigone et Ismène ; elles vont remplir le sombre devoir.

121. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

Que la fauvette à tête noire ait été nommée en grec [mot en caractères grecs]153, en latin atracapilla ; qu’elle soit, en italien, la capinera, et en portugais toutinegra (chignon noir) cela n’a rien que de fort logique ; on ne sera pas surpris davantage que des petits oiseaux aient été comparés à des mouches : notre moineau est littéralement l’oiseau mouche (muscionem, de musca) et la fauvette, alors désignée d’après sa petitesse et sa légèreté, devient la mouche d’herbe (all. : grasmuch ; flam. […] Nielle, c’est la « petite Noire », nigella ; les Grecs disaient de même [mot en caractères grecs] et ils disent encore [mot en caractères grecs]. Le français nielle n’a, sans doute, jamais contenu l’idée qui est évidente dans nigella ; pour la retrouver, il faut aller chercher les formes verbales où la nielle est appelée l’herbe au poivre187 et voici la poivrette, la piperelle, les spezii, les épices (Parme), l’alipivre (portugais) ; on trouve en allemand Schwarz kümmel, (le carvi noir) mais les langues modernes ont surtout baptisé la nielle d’après sa très vague ressemblance avec des cheveux, de la barbe, de la laine, une toile d’araignée et, rencontre assez curieuse, la nielle et l’agnelle, si différentes sémantiquement, ont fraternisé sur le terrain phonétique : on trouve dans le domaine d’oc, les formes niella, gniella, niello, aniello, aniella et, en Piémont, agnela. […] Le centre de l’œil a été comparé à la petite prune d’un noir bleu ou violacé qui mûrit parfois après les gelées ; par une métaphore analogue, mais bien moins jolie et bien moins juste, les Anglais appellent la prunelle de l’œil eye-apple et les Flamands, oogappel, la pomme de l’œil. […] Graine noire » est le nom de la nielle dans beaucoup de dialectes arabes.

122. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Kœnigsmark »

Le rideau, jusque-là baissé, en se relevant doit nous permettre de plonger dans le coin le plus sombre, le plus noir et le plus tragique d’un siècle (le XVIIe) qui a tout couvert de sa pourpre, et aussi dans cet autre coin de l’âme humaine qui résiste à toute lumière, et au fond duquel le moraliste, moins heureux que l’historien, enfonce ses regards et sa torche, sans pouvoir jamais l’éclairer ! […] On a retrouvé les faits matériels de la chronique de Kœnigsmark, le Disparu de l’Histoire sans laisser derrière lui, quelque part, comme le dernier des Ravenswood, la plume noire de sa toque, pour dire : « C’est là qu’il a passé et qu’il fut englouti. » Mais les causes de ces faits, étudiées à leur sinistre clarté, dans ces âmes d’une énergie presque fabuleuse en ces temps où, pour le bien comme pour le mal, l’âme humaine se ramollissait, pouvons-nous dire que nous les ayons ? […] Ces deux têtes historiques, aux méplats creusés et noirs, plus difficiles à fouiller que le marbre, il faudrait une espèce de Michel-Ange pour les sculpter dans un livre d’histoire magistral.

123. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

Né dans les ruisseaux de Paris, que Madame de Staël aimait seulement rue du Bac, François Villon (qu’on me permette ce mot moderne), le voyou du xve  siècle, l’escholier qui ne fut jamais maître, si ce n’est en poésie, est resté toujours un peu vautré dans la bouc noire de son origine et masqué comme un marmouset par cette fange, quoiqu’à plusieurs reprises un rayon d’or soit tombé sur lui. […] Et vraiment, si l’imagination humaine est ainsi faite que, dans les poèmes de lord Byron, par exemple, elle pardonne même au crime en faveur d’un noble sentiment que l’âme a gardé dans sa pureté première, si la fidélité de Conrad le Corsaire est plus belle enchâssée dans cette vie de bandit, comme un diamant qui rayonnerait mieux dans une monture noire, cette fidélité dans l‘amour qu’il avait, lui aussi, profitera au pauvre Villon. […] Ce peintre des charniers des Saints-Innocents qu’il hantait le soir, Hamlet en guenilles, en rêvant peut-être à la tête d’Yorick qu’il y apporterait un jour en y apportant la sienne, ce dessinateur de potences à la manière noire de Goya, Villon avait le génie manchot.

124. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Depuis le coupable cousu dans un sac qui déferlait sous les ponts humides et noirs du Moyen Age, en criant qu’il fallait laisser passer une justice, on n’a rien vu de plus tragique que la tristesse de cette poésie coupable, qui porte le faix de ses vices sur son front livide. […] Baudelaire, cette poésie sinistre et violente, déchirante et meurtrière, dont rien n’approche dans les plus noirs ouvrages de ce temps qui se sent mourir. […] Si à quelques places, comme dans la pièce La Géante ou dans Don Juan aux enfers, — un groupe de marbre blanc et noir, — une poésie de pierre, di sasso, comme le Commandeur, — M. 

125. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

La moisson noire est infinie et deviendra lumineuse dans sa main. […] Ainsi la destinée déroule son fil noir. […] Prenons le Rouge et le Noir de Stendhal. […] Les buissons noirs semblaient étendre des centaines de bras. […] » le monde aimé s’écroule, tombe dans le noir et le silence.

126. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Taine, c’est le Rouge et le Noir de Beyle… Qu’il ferait mieux de vivre ! […] Le grand trou noir, d’où nous sortons dans la douleur pour y retomber dans la douleur, s’ouvrirait devant elles, à jamais noir et à jamais vide. […] Je n’attends plus rien de la vie qu’une suite de feuilles de papier à barbouiller de noir. […] Nous entrons, avec Flaubert, dans le domaine du vide et du noir. […] Une note inattendue de Rouge et Noir (chap.

127. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Sa captivité à Kérasonde, sur les bords de la mer Noire, ne dura pas moins de trois ans, et il en a fait le récit. […] Il ne l’est pas seul : lui et d’autres compagnons d’infortune sont transportés par mer et déposés successivement sur certains points et en de misérables châteaux distants d’espace en espace le long de la mer Noire. […] On retrouvait dans le préfet de Mayence le vieux conventionnel du Comité de salut public, avec sa frugalité et sa laboriosité toute républicaine. » Au dîner de l’Empereur où le préfet était invité et en attendant que le maître eût paru, il faut entendre Jean-Bon sous son costume de préfet le plus modeste possible, et, sauf l’habit, tout en noir, bas noirs, cravate noire, rendre raillerie pour raillerie à la troupe dorée qui souriait de sa tenue et de son peu de cérémonie.

128. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

La chasse des elfes traverse, la nuit, les grandes forêts noires ; leurs chevaux blancs comme des cygnes, courent sous les rais de la lune, dans un tintement de clochettes : La reine, comme elle passait, M’a salué de la tête eu souriant, Est-ce signe de mort, Ou signe d’un nouvel amour ? […] Assis à ma fenêtre, Mes yeux plongent dans la nuit noire. […] Il apportait à Paris les romances tendres, tristes et vagues que l’on chante de la Forêt Noire aux Alpes Tyroliennes ; il prit en France la souplesse et la prestesse d’intelligence, la grâce, la mesure et l’esprit que Beaumarchais a légués à ses petits-fils du boulevard. […] Cependant, à travers l’amour de ce culte, où les prières finissent par des baisers lancés au ciel, la théologie sémitique continuait à le préoccuper ; le « petit Juif Jésus-Christ » jetait sur ses conceptions d’homme heureux l’ombre noire de son gibet. […] Un mal incurable et lent, qui s’éternisa dix ans, l’atonie locomotrice, avait couché le poète dans son lit, ce « cercueil de matelas », comme il disait, une maladie de lente torture, dont les conquêtes graduelles, — la mort venant membre à membre, — sont faites pour miner la plus solide impassibilité : La femme en noir m’a pressé amoureusement La tête centre son sein ; Mes cheveux ont grisonné À l’endroit où coulèrent ses larmes Ses baisers m’ont rendu malade ; Ses baisers m’ont rendu aveugle et boiteux ; Sa bouche a ardemment sucé La moelle de mes os.

129. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Dès le début, le poète de L’Enfer, malgré la beauté de pose de ses strophes et leur roulement sombre, entremêle à l’ensemble pathétique et noir de ses tableaux des touches vulgaires en apparence, qu’on nous permette le mot : des clairs de vulgarité (Ébahis se frottent les yeux ! […] Un autre poète aurait montré peut-être quelque point de vue inconnu, tout en restant ancré et solide dans le dogme : Jésus-Christ, par exemple, s’effaçant devant les saints parvis, mais les coupables n’osant entrer dans l’effrayante lumière, et se damnant eux-mêmes comme ils l’ont fait pendant la vie, se précipitant en enfer pour se cacher à leurs propres yeux, et criant : « Plus noir ! plus noir encore !  […] Ils se traînent, livides troupes, Saisis d’effroi, comme ces groupes De bœufs pesants aux fauves croupes, Menés de force à l’abattoir, Et, si quelqu’un d’entre eux s’attarde, Le rude argousin qui les garde Vient hâter sa marche — et lui larde Les flancs d’où jaillit un sang noir ! […] Les chaudes vapeurs sulfurines Par votre bouche et vos narines Racorniront dans vos poitrines Vos durs poumons altérée d’air, Et l’ardent foyer de la fièvre Gercera votre noire lèvre, Que de toute humidité sèvre La lourde touffeur de l’enfer.

130. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Le public a trouvé, il y a sept ans, que quatre femmes en noir, toujours en scène, pendant trois actes entiers, avec des hommes d’affaires et des hommes de loi pareillement en noir, cela faisait beaucoup de noir. […] Il y a là une fillette de douze ans, Mlle Dédé, qui est une petite merveille de gentillesse noire. […] Nous savons à quoi nous en tenir sur la valeur décorative des plus lointaines civilisations jaunes ou noires. […] Le cheval noir suffit-il à compenser tant de traits fâcheux ? […] Mais, c’est égal, je voudrais bien savoir ce qui se passe sous sa tignasse qui fut noire et qui est rousse.

131. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Des groupes, tout noirs, dans la nuit sans gaz. […] Il a encore la main noire de poudre, levée en l’air, et contractée, comme si elle serrait une arme. […] Alors le travail de l’imagination dans le noir. […] Au milieu d’eux s’avance une troupe d’hommes, en tête desquels marche un individu à la barbe noire, au front bandé d’un mouchoir. […] Je regardais, les yeux demi-fermés, le ciel noir, et l’horizon cahoteux, déjà sombré dans la pluie.

132. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Enfin Flaubert satisfait son amour de l’énergie et de la beauté en concevant les admirables femmes de ses romans, pâles, noires, fines et tristes, Mme Bovary et Mme Arnoux. […] Elle montait vite entre les branches des peupliers qui la cachaient de place en place comme un rideau noir, troué. […] Avec ses lisses bandeaux noirs sur sa douce face mate, une fleur rouge dans les cheveux, lente, surprise et pure, elle inspire à Flaubert ses plus charmantes pages. […] Des points noirs tachaient la glace ; les murailles exhalaient une odeur de moisi  et ils restaient là, causant d’eux-mêmes, des autres, de n’importe quoi, avec un ravissement pareil. […] Et l’émoi mystique de la prêtresse phénicienne s’efforçant sous les symboles des dieux et les mythes des théogonies de saisir l’essence de l’être et la signification de ses sourdes ardeurs, puis Hamilcar dans le silence diurne de la maison du Suffète-de-la-Mer, se prosternant sur le sol gazé de sable, et adorant silencieusement les Abaddirs, sous la lumière « effrayante et pacifique » du soleil, qui passe étrange par les feuilles de laitier noir des baies  d’autres scènes ou lunaires ou souterraines, sont décrites en phrases obscures, distantes, qui parlent à certains esprits une langue comme oubliée mais comprise, et suscitant dans les limbes de l’âme des émotions muettes.

133. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Qui ne connaît de son passage dans les bouillons, « cette épouvantable tristesse qu’évoque une vieille femme en noir, tapie seule dans un coin et mâchant à bouchées lentes un tronçon de bouilli ?  […] Tout y apparaît, depuis l’appartement de garçon artiste où André s’installe après sa mésaventure conjugale, jusqu’à la place du Carrousel où il va promener sa nostalgie féminine et comtempler « le merveilleux et terrible ciel qui s’étendait au soleil couchant par de là les feuillages noirs des Tuileries…, les ruines dont les masses violettes se dressaient trouées sur les flammes cramoisies des nuages » ; depuis le brouhaha d’un café du Palais-Royal le soir, jusqu’à ces taches lumineuses que la nuit, les fenêtres éclairées, dans les maisons noires font passer devant le voyageur d’impériale. […] Les fleurs rares et étranges dont le duc Jean garnit son vestibule, ne lui présentent que des images de charnier et d’hôpital : « Elles, affectaient cette fois une apparence de peau factice sillonnée de fausses veines ; et la plupart comme rongées par des syphilis et des lèpres, tendaient des chairs livides, marbrées de roséoles, damassées de dartres ; d’autres avaient le teint rose vif des cicatrices qui se ferment, ou la teinte brune des croûtes qui se forment ; d’autres étaient bouillonnées par des cautères, soulevées par des brûlures ; d’autres encore montraient des épidermes poilus, creusés par des ulcères et repoussés par des chancres ; quelques-unes enfin paraissaient couvertes de pansements, plaquées d’axonge noire mercurielle, d’onguents verts de belladone, piquées de grains de poussière, par les micas jaunes de la poudre d’iodoforme.

134. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Barthélemy, ce Phocéen, a l’éclat lumineux de sa mère méditerranéenne ; Barbier, l’insurgé des Iambes, jailli de dessous les pavés de 1830, est une flamme rouge qui s’est assombrie et qui est devenue noire dans le Pianto. […] Et, en effet, ces poètes, cette constellation de la Lyre de 1830, n’ont point le rire qu’avait le noir Shakespeare dans sa noire Angleterre, ni le rire autochtone de chez nous, fils de Rabelais, fils de Régnier, fils de Molière, fils de Voltaire, et même fils de Boileau, le raisonnable, qui ne riait pas aux éclats, mais qui riait.

135. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

Je revois toujours la bouche grande ouverte de celui qui portait sur ses yeux des boules de cuivre avec une fente de grelot ou de tirelire ; et j’entends le cri mauvais, indéfinissable, le cri de xylophone exaspéré qui jaillissait entre ces deux rangées de dents noires, comme d’une bouche de poisson… Je n’ai jamais senti un plus vaste, un plus infranchissable abîme entre une autre créature et moi  Ça, mes frères ? […] J’ai beau faire, cette race jaune ne m’inspire aucune pensée bienveillante ; la race noire, qu’on dit moins intelligente, me paraît beaucoup plus proche de moi.

136. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

M’enveloppant alors de la colonne noire, J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire, Et j’ai dit dans mon cœur : Que vouloir à présent ? […] Tous deux sont écrasés par une roche noire ; Le plus fort, dans sa main, élève un cor d’ivoire, Son âme en s’exhalant nous appela deux fois. » * * * « Dieu ! […] Ses cheveux étaient noirs, mais pressés d’un bandeau ; C’était une couronne ou peut-être un fardeau : L’or en était vivant comme ces feux mystiques Qui, tournoyants, brûlaient sur les trépieds antiques. […] Il avait une figure sévère très remarquable, un teint fort cuivré, des cheveux gris argentés, et dont quelques mèches, encore noires comme ses sourcils épais, lui donnaient un air dur au premier aspect ; mais un regard pacifique adoucissait cette première impression. […] Il s’occupait beaucoup ce jour-là de hâter le dîner, et commandait à tous les gens du château, vêtus de noir comme lui.

137. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Avec le second acte, surgit devant nous une rapide apparition de tout ce qu’il y a de noir et de mauvais dans le drame : si rapide qu’elle soit, son influence se fait sentir sur toute une partie de la mimique. […] Cette vision des gestes désordonnés de Klingsor, de cette forme immobile et bleuâtre, de ces vapeurs sur ce fond noir, suffit à imprimer au spectateur une sensation d’horreur et de trouble. […] Elle porte une robe troussée très haut pour pouvoir courir ; sa chevelure noire voltige, dénouée ; une ceinture, faite de peaux de serpents, entoure sa taille. […] Lorsque le vieillard interroge Parsifal, elle détourne son visage, et sa silhouette noire et désolée se rattache sur le resplendissement printanier de la prairie. […] Quand il apparaît au troisième acte, fatigué de son voyage d’épreuve, couvert d’une armure noire, le heaume fermé et la lance inclinée, un nouveau caractère s’est imprimé en lui.

138. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Il hantait les pâtres et il les aimait, il se plaisait à leur apparaître vêtu, comme eux, d’une peau de chèvre noire. […] — Les ravisseurs sautent sur la plage, ils saisissent Bacchus qui se laisse prendre, et l’attachent avec des liens d’osier, sur un banc du navire noir, à la proue duquel deux grands yeux rouges flamboyaient. […] L’enfant voluptueux préférait la molle Aphrodite à la sérieuse Perséphone, Cythère en roses au noir Achéron. […] Bacchus-Satan, assis jambes pendantes, sur une table de pierre que des cierges noirs illuminent, trône, impassible, sur l’abjecte orgie. Sa face est celle d’un bouc noir à physionomie vaguement humaine, le poil hérissé, les yeux ronds et fixes, les mains aux doigts tous égaux et recourbés en griffes d’oiseau de proie. — Quelquefois aussi, il prend l’aspect d’un tronc d’arbre sans pied, surmonté d’un masque livide ; réminiscence difforme de son effigie pastorale.

139. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Il me disait qu’il cherchait toujours, qu’il venait de découvrir à peu près la tache que fait sous des arbres, une amazone de femme, et qu’il ne désespérait pas, à la longue, de trouver le caractère, le style d’un habit noir, enfin l’héroïsme de la vie moderne. […] Sur un coin du divan Mme Charles Hugo est affaissée dans le chiffonnement mou d’une robe de dentelle noire, joliment sourieuse, avec toutes sortes de délicates ironies dans les yeux, pour l’office auquel elle assiste tous les soirs. […] ……………………………………………………………………………………………………… — Dans la Haute-Égypte, — c’est encore la voix de Flaubert — par la nuit noire comme un four, entre des maisons basses, au milieu de l’aboiement des chiens qui veulent vous dévorer, on vous mène à une hutte, haute comme un jeune homme de dix-sept ans. […] De cette persécution d’un livre semblable à celui que je fais, et de cette séance avec cet homme de loi, glabre et de noir habillé, il est advenu, la nuit, que j’ai rêvé que j’étais en prison, une prison aux pierres de taille lignées comme la Bastille, dans un décor de l’Ambigu. […] J’étais frappé en ces figurations, qui s’exécutent généralement dans la tonalité noire et or, de ce que la plupart n’étaient pas lavées à l’encre de Chine, mais à l’aquarelle.

140. (1913) Poètes et critiques

Il s’est embarqué, comme Ulysse, vers plus d’un horizon, sans parler du pays mystérieux, sans rappeler ce « noir Blackroom », où le poète était hanté de visions funèbres. […] En face de nous, dans le repli herbeux de la montagne, j’en sais un qui dessine un fin croissant noir. […] Giraud : “ Tracer le tableau de l’Ame française dans cette fin de siècle qui prend parfois une noire couleur de fin du monde et parfois une rose couleur d’aube nouvelle.” […] — L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir. […] Il lui semble qu’il discerne, dans le bleu du ciel, un point noir, précurseur de l’orage.

141. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Un poète, c’est un monsieur qui est dans son cabinet de travail, qui met du noir sur du blanc, qui écrit des lignes et qui fait des ratures. […] Alors il tressaillit, en proie au noir frisson. […] C’était cette période du début, pour un poète, la période noire. […] A est noir, E est blanc, I est bleu, O est rouge, U est jaune. Voulez-vous éveiller des images noires ?

142. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

Nouvelle de l’autre monde Vers les bords du fleuve fatal Qui porte les morts sur son onde, Et qui roule son noir cristal Dans les plaines de l’autre monde ; Dans une forêt de cyprès Sont des routes froides et sombres. […] Ombres sans couleur et sans grâce, Ombres noires comme charbon, Ombres froides comme la glace, Qu’importe ?

143. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Autour, le prévôt des marchands, ou une monstrueuse femme grosse déguisée, tout l’échevinage, tout le gouvernement de la ville, une multitude de longs rabats, de perruques effrayantes, de volumineuses robes rouges et noires, tous ces gens debout, parce qu’ils sont honnêtes ; et tous les yeux tournés vers l’angle supérieur droit de la scène, d’où Minerve descend accompagnée d’une petite paix, que l’immensité du lieu et des autres personnages achève de rapetisser. […] Les robes rouges bien symétriquement distribuées entre les robes noires.

144. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Méry14 Quand on lit seulement le titre du nouvel ouvrage de Méry, — Constantinople et la mer Noire 15, — on pense tout naturellement à un livre de circonstance, et l’on ne se trompe pas. […] Constantinople et la mer Noire (Pays, 28 décembre 1854).

145. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Je vis que ce point noir allait comme moi dans la direction de Lille, et qu’il allait en zigzag, ce qui annonçait une marche pénible. […] Je repris le trot sur un sol plus ferme et je crus reconnaître une sorte de petite voiture noire. […] « À une centaine de pas, je vins à distinguer clairement une petite charrette de bois blanc, couverte de trois cercles et d’une toile cirée noire. […] Il me regarda de côté sous ses gros sourcils noirs, et tira lestement de sa charrette un fusil qu’il arma, en passant de l’autre côté de son mulet, dont il se faisait un rempart. […] Comme je n’avais jamais eu que des visages noirs à mon bord, je faisais venir à ma table, tous les jours, mes deux petits amoureux.

146. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Il n’aurait pas moins présagé Gama et triomphé avec lui des périls amoncelés que lui opposa en vain Des derniers Africains le Cap noir des Tempêtes ! […] Quand soudain, se levant, un sage d’Italie, Maigre, pâle, pensif, qui n’avait point parlé, Pieds nus, la barbe noire, un sectateur zélé Du muet de Samos qu’admire Métaponte, Dit : « Locriens perdus, n’avez-vous pas de honte ? […] » Disant ces mots, il sort… Elle était interdite ; Son œil noir s’est mouillé d’une larme subite ; Nous l’avons consolée, et ses ris ingénus, Ses chansons, sa gaieté, sont bientôt revenus. […] Contre les noirs Pythons et les Hydres fangeuses, Le feu, le fer, arment mes mains ; Extirper sans pitié ces bêtes vénéneuses, C’est donner la vie aux humains. […] De l’oubli taciturne et de son onde noire Nous savons détourner le cours.

147. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

X Les savants ont beau disserter, il suffit à un voyageur comme moi d’avoir vu, dans les steppes du Danube, le noble pasteur équestre hongrois, au front élevé, à l’œil rêveur, à la taille lapidaire, au maintien ferme et immobile comme la statue de bronze, enveloppé de sa pelisse noire de poil de mouton, appuyé sur sa houlette de coudrier armée au bout d’un fer de lance, soldat, chevalier, pasteur à la fois. Il suffit de l’avoir vu à pied dans les steppes, la bride de son cheval passée autour du bras, promener pendant des journées entières le regard de ses larges yeux bleus sur l’horizon des monts Crapacks tacheté de pins noirs et de neiges roses, pour reconnaître à la charpente haute et solide du corps, à la dimension du front, au vague pensif du regard, à l’ovale effilé de la tête, à la gravité des lèvres, à l’attitude à la fois virile et un peu inclinée par la féodalité des membres, la consanguinité évidente des Huns et des Francs-Comtois : Deux races nobles, deux filiations du Caucase, deux peuples à héros dans les ancêtres, deux civilisations disciplinées où la fierté et l’obéissance s’accordent sur un visage pastoral, guerrier et poétique. […] C’est une accumulation de hautes cimes noires qui semblent se défier les unes les autres à qui s’élèvera le plus haut et le plus abruptement dans l’éther, et qui ferment d’une barrière infranchissable à l’œil l’horizon jusque-là ouvert devant vous. […] XXVI C’est sur le flanc d’un de ces hauts plateaux, au milieu des noyers, des houx, des noisetiers, des vignes sauvages qui serpentent entre les haies d’épines noires et de buis parfumé, que se trouve le petit village alpestre de Saint-Lupicin, nom sauvage comme le site. Sa vieille église, remarquée des voyageurs par son caractère oriental et par ses découpures de pierre, porte l’hiver son linceul de neige, comme une morte attendant le fossoyeur sur la grille du cimetière ; des maisons de paysans isolées ou groupées, une auberge peinte s’ouvrent sur la principale rue ; sa porte est obstruée par une file de ces chariots comtois, attelés d’un seul cheval au collier garni de sonnettes, caravane de montagnes tout à fait semblable aux interminables caravanes de chameaux de Mésopotamie qu’on rencontre dans les défilés de Damas ; de petits champs pierreux ou quelques grasses chènevières, de noir humus tombé des rochers et retenu par des murs de pierres sèches autour de l’étable, voilà Saint-Lupicin.

148. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Des ermitages, des couvents, des hameaux, des maisons de chevriers isolées, éclatent de blancheur, au milieu des figuiers et des caroubiers presque noirs, sur chaque piédestal de rocher, au bord écumant de chaque cascade. […] Peut-être cela fut-il simplement la vue d’un de ces beaux cyprès immobiles se détachant en noir sur le lapis éclatant du ciel, et rappelant le tombeau. […] N’est-ce pas parce que la mort est le fond de tout tableau terrestre, et que la couronne blanche sur ses cheveux noirs me rappela la couronne blanche sur un linceul ? […] Je voyais les grandes ombres noires des châtaigniers velouter un peu le rocher, derrière la maison ; j’y montai pour jouir de deux bienfaits inespérés de la saison : de l’eau et du frais. […] — Mon père, reprit l’aïeule, fit ce que faisait son père ; il cultiva un peu plus large de terre noire entre ces rochers.

149. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Au fond, la science et la poésie sont deux grandes insurgées, et les Satans et les Prométhées pullulent sous nos habits noirs. […] Aux Morts, le Dernier souvenir, les Damnés, Fiat nox, In Excelsis, la Mort du soleil, les Spectres, le Vent froid de la nuit, la Dernière vision, l’Anathème, Solvet saeclum, Dies Irae, tous ces poèmes, prodigieux par la magnificence et la dureté des lamentations, ne sont que prières à la Mort, effusions noires vers le néant. […] Aussi éloignés de la sérénité grecque que de l’inertie orientale, leur activité est aventureuse et farouche, leur mythologie féroce et obscure, leur tristesse noire, mais cramponnée à la vie. […] A vrai dire, ils semblaient peu certains, à cette heure, De sortir promptement de leur noire demeure. […] La Fontaine aux lianes ; la Ravine Saint-Gilles ; les Éléphants ; la Forêt vierge ; la Panthère noire ; le Jaguar ; Midi, etc.

150. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

« Le genêt rajeuni balançait ses branches fleuries semblables à des rayons qui lanceraient des parfums ; et le soleil avait tant de force qu’on entendait déjà au midi, dans le pré, chanter le grillon noir dont la carapace est sculptée de signes étranges… » Mais ils se sont égarés en quelque ancien chemin abandonné, creux comme un lit de torrent, et « où les racines des vieux chênes mettaient à la hauteur du front des passants le geste menaçant de leurs griffes tortueuses, de leurs serres noires ouvertes… » Arrivés, un peu effrayés, à la forêt, ils se sont enfoncés en quelqu’une de ces « cavernes glauques que formaient les trouées de verdure où s’entassait la fraîcheur ». […] C’est, se déroulant parmi une campagne à chaque détour variée, la théorie attristée d’un pèlerinage, « de grandes figures noires barbouillées de larmes et de poussière, qui s’en allaient, dans l’éclat du jour, avec les yeux clignotants ». […] Elle n’est plus bientôt que le chaos noir et noyé d’un lendemain d’incendie. […] Sa capeline de laine blanche bordée de noir, sa capeline de deuil barrait diagonalement son front coupé de sillons comme un champ nouvellement labouré ». […] … Je vois s’enfler la voile au fond de l’estuaire ; Puis, derrière, au lointain, du côté de la plaine, Surgir, fondre et passer, l’ouragan pour haleine, Dans l’éclaboussement du sang crépusculaire, Et droits sur leurs chevaux cabrés qu’un rut enlève, Tes grands conquérants noirs, au profil surhumain, Qui, déployant leur geste avec l’éclair d’un glaive, Engouffrent dans la nuit leurs cavaliers d’airain.

151. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Baudelaire, Œuvres posthumes et Correspondances inédites, précédées d’une étude biographique, par Eugène Crépet. »

Cette Jeanne Duval, c’est la maîtresse noire, le « vase de tristesse », la « grande taciturne », la « sorcière », la « nymphe ténébreuse et chaude » des Fleurs du mal. […] Voici son signalement : « Pas très noire, pas très belle, cheveux noirs peu crépus, poitrine assez plate ; de taille assez grande, marchant mal ».

152. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

Nous avons donné nos vieux habits noirs et n’en avons point fait refaire, pour être dans l’impossibilité d’aller quelque part. […] … Et marchant devant moi, je revois derrière la rue sale de Paris où je vais et que je ne vois plus, quelque ruelle écaillée de chaux vive, avec son escalier rompu et déchaussé, avec le serpent noir d’un tronc de figuier rampant tordu au-dessus d’une terrasse… Et assis dans un café ; je revois la cave blanchie, les arceaux, la table où tournent lentement les poissons rouges dans la lueur du bocal, les deux grandes veilleuses endormies avec leurs sursauts de lumières qui sillonnent dans les fonds, une seconde, d’impassibles immobilités d’Arabes. […] Ici la pierre des tombeaux est recouverte d’une mousse rougeâtre, piquetée de noir, tigrée de petites macules blanches et jaunes, et sur laquelle quelques brins d’herbes plantés par le vent sont toujours ondulants et frémissants.

153. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

Vous l’avez accompagné en silence sur le bord de la mer : l’heure du départ est arrivée, le ciel est noir, la mer rugit au loin, le frêle esquif se balance d’une façon formidable, votre ami reste calme, il vous tient la main dans les siennes, il vous la serre, il vous regarde avec assurance, il vous sourit une dernière fois ; vous, cependant, vous avez la mort dans le cœur. […] Ni le roman intime (feu le roman intime, faudrait-il dire), ni feu le drame moderne, toujours escortés de quelques héros mystérieux sans explication et sans nom, et tout noir, n’ont jamais préoccupé la curiosité et la sagacité du lecteur, autant que l’a fait ce bel Alceste, créé tout exprès et mis au monde par Molière, quand Molière voulut dire à tous et à chacun, enfin, les plus secrètes pensées de son esprit et de son cœur. […] La fatale couronne était donc, moitié noire et moitié blanche, aux pieds de mademoiselle Mars, et, par un grand malheur, c’est celle-là que l’acteur a ramassée et qu’il a présentée !

154. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

. — L’aigle noir de Russie a deux têtes. Le hibou, beaucoup plus noir encore, de la Sagesse allemande, en a deux aussi : l’une pour l’ennui, et l’autre pour l’obscurité. […] Son système, véritable effort d’esclave qui fait de la métaphysique comme le noir fait de la canne à sucre, ira rejoindre les autres systèmes de métaphysique qu’a vus passer le monde, dans ce vaste cimetière d’éléphants où ils gisent tous, oubliés ; mais on en rapportera les choses d’esprit comme des ivoires.

155. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Chez l’auteur de Colombes et Couleuvres, cette poésie humaine et vraie, qui prend sa source dans les sentiments éternels et que chaque poète exprime avec une voix différente, a une fraîcheur d’accent que rien n’a flétrie, et à laquelle se joint une morbidesse qui relève encore le charme de cette étrange fraîcheur… Autrefois, sous cette Monarchie qui mettait de la force dans les institutions et de la poésie dans les mœurs, le deuil de la cour était noir et rose. […] Vous saurez ma vie ; — elle est dans ce livre, Dans les noirs soucis qui courbent mon front. […] D’où vient qu’après avoir quitté vos bras charmants, Et regagné l’alcôve à la tenture noire, Nous regardons souvent, le crucifix d’ivoire, Le front humide encor de vos embrassements ?

156. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Un jour même, Lamartine, ce cygne blanc devenu noir tout à coup, écrivit son ode du Désespoir, — mais ce ne fut là qu’une minute d’impiété entre deux Méditations repenties, et il reprit presque au même instant la nitidité de son plumage. […] On m’a dit qu’elle fut la femme d’un professeur, et elle-même semble, au premier coup d’œil, une de ces femmes qu’on croirait nées avec une écharpe noire autour du cou, comme ces femmes-professeurs qui en portaient une, autrefois, dans certaines contrées de l’Italie. […] Afin qu’elle éclatât d’un jet plus énergique, J’ai, dans ma résistance à Tassant des îlots noirs De tous les cœurs en moi, comme en un centre unique,            Rassemblé tous les désespoirs.

157. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Mérimée voulut refaire, en la variant, — on n’ose pas dire en la nuançant, — la grandiose figure de Mathilde de la Môle du Rouge et Noir, de Stendhal ; — de Stendhal, qu’il imita toujours et dont il avait beaucoup de choses, mais dont il n’eut jamais ce que j’estime le plus en Stendhal : l’aperçu et le piquant d’idées. […] Que l’influence de Stendhal ait été subie ou recherchée, il est de fait que l’auteur du Rouge et Noir a planté le cachet ineffaçable de sa personnalité sur la vie de l’auteur de Colomba et de Carmen. […] Sans doute, il y a toujours, et souvent dans une très-large mesure, des analogies d’organisation entre l’imité et l’imitateur ; mais ces analogies d’organisation sont-elles assez marquées entre l’auteur de Colomba et l’auteur de Rouge et Noir, pour qu’on ne puisse poser la question terrible qui supprime un homme : Qu’aurait été M. 

158. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Un huissier se promenait, en habit à la française, la chaîne au cou, noir et grave, parmi ces jolies filles effrontées. […] Bompard. » Elle regardait une dentelle noire jetée sur une chaise. […] Les petits Arabes et les petits Turcs sont tous jolis avec leur calotte rouge et leurs larges prunelles noires de cabris ; ensuite, en grandissant, ils deviennent très beaux ou très laids. […] Je vois encore les têtes noires de ces deux épingles. […] Il disait que quand il dormait il allait loin, bien loin, où c’était noir et où il voyait des choses qui lui faisaient peur et qu’il ne voulait plus voir.

159. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

Et, par exemple, il n’était pas pour l’affranchissement des noirs, à l’exemple des philosophes, et en même temps il demandait assez d’adoucissements à cet odieux état de l’esclavage pour paraître aux yeux des colons un ami des noirs, un négrophile : il ne contentait personne. […] Le morose abbé de Mably, qui voyait tout en noir et ne pouvait surtout rien approuver dans un ministre, ne voulut jamais croire à l’heureuse solution de cette affaire qui avait eu, à l’origine, le caractère d’une machination, et il disait de son ton bourru à Malouet : « Monsieur, je me connais un peu mieux que vous en hommes et en ministres, attendu que je vous ai précédé dans le monde d’une quarantaine d’années ; je vous annonce donc nettement qu’avant deux ans vous êtes un homme perdu. » Malouet, loin de se perdre, sortit de là apprécié et prisé à sa vraie valeur. […] Il y avait vingt-cinq ans qu’il n’avait mangé de pain, ni bu de vin ; Malouet lui fit faire un bon repas qui réveilla ses souvenirs : « Il me parla de la perruque noire de Louis xiv, qu’il appelait un beau et grand prince, de l’air martial du maréchal de Villars, de la contenance modeste du maréchal de Gatinat, de la bonté de Fénelon, à la porte duquel il avait monté la garde à Cambrai.

160. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

La vérité nouvelle n’en fit pas moins son chemin, et, dès le jour où elle parut dans le monde, elle suscita les premiers doutes qui préparèrent l’émancipation des noirs. En dépit de Voltaire qui les tenait pour dûment esclaves, de la politique qui prescrivait, dans l’intérêt des colonies, « de ne pas affaiblir l’état d’humiliation attaché à leur espèce94 », la France, persuadée par Buffon, y reconnaissait des hommes, et, dès la quatrième séance des états généraux, un La Rochefoucauld invitait l’assemblée à prendre en considération la liberté des noirs. […] » On ôterait à Buffon le meilleur de sa gloire si l’on doutait que le grand seigneur libéral, qui porta le premier à la tribune politique de la France la question des noirs, eût lu ce sévère et énergique appel à l’humanité. […] Il a, pour un historien des animaux, d’étranges partialités ; il a ses héros et, si j’osais dire, ses bêtes noires.

161. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Il se peint dans ses héros, mais en noir, de telle façon que personne ne peut manquer de le reconnaître et de le croire beaucoup pire qu’il n’est. […] —  Qui vient là sur un noir coursier ? […] On ne les chasse point, ces noires visiteuses ; la bouche a beau rester muette, le front pâli et l’étrange sourire témoignent de leur venue. […] À chaque convulsion, le flot jaillit plus noir, puis s’arrête ; le sang ne tombe plus que goutte à goutte, et déjà son front est humide, son œil terne. […] Il y est toujours violent, et maintes fois il est féroce ; la noire imagination amène entre ses récits d’amour les horreurs lentement savourées, le désespoir et la famine des naufragés, et le desséchement de ces squelettes enragés qui se mangent les uns les autres.

162. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villiers de L'Isle-Adam, Auguste de (1838-1889) »

Ici l’hallucination était empreinte d’une tendresse exquise ; ce n’étaient plus les ténébreux mirages de l’auteur américain, c’était une vision tiède et fleurie presque céleste ; c’était, dans un genre identique, le contrepied de Béatrice et de Sigeia, ces morues et blancs fantômes engendrés par l’inexorable cauchemar du noir opium. Cette nouvelle mettait aussi en jeu les opérations de la volonté, mais elle ne traitait plus de ses affaiblissements et de ses défaites sous l’aspect de la peur ; elle étudiait, au contraire, ses exaltations sous l’impulsion d’une conviction tournée à l’idée fixe ; elle démontrait sa puissance qui parvenait même à saturer l’atmosphère, à imposer sa foi aux choses ambiantes… Mais, dans le tempérament de Villiers, un autre coin, bien autrement perçant, bien autrement net, existait, un coin de plaisanterie noire et de raillerie féroce ; ce n’étaient plus alors les paradoxales mystifications d’Edgard Poe, c’était un bafouage d’un comique lugubre, tel qu’en ragea Swift.

163. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Je massacrai l’albâtre, et la neige, et l’ivoire ; Je retirai le jais de la prunelle noire, Et j’ose dire au bras : sois blanc, tout simplement… J’ai de la périphrase écrasé les spirales ; Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel L’alphabet, sombre tour qui naquit de Babel ; Et je n’ignorais pas que la main courroucée Qui délivre le mot, délivre la pensée… Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses… Tel mot est un sourire et tel autre un regard… Ce qu’un mot ne sait pas, un autre le révèle. Les mots heurtent le front comme l’eau le récif : Ils fourmillent, ouvrant dans votre esprit pensif Des griffes ou des mains, et quelques-uns des ailes ; Comme en un âtre noir errent des étincelles, Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux, Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous : Les mots sont les passants mystérieux de l’âme… Et de même que l’homme est l’animal où vit L’âme, clarté d’en haut par le corps possédée, C’est que Dieu fait du mot la bête de l’idée.

164. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

… Il portait la casquette plate des Prussiens, une longue capote noire, sous laquelle la poitrine bombait largement. […] Elle avait des gants noirs. […] Un maillot noir, une grande collerette blanche et un haut toupet de clown également blanc. […] La barque n’était plus qu’un point obscur sur la vague noire. […] L’astre était presque noir.

165. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Un homme trapu, au teint basané, aux cheveux noirs et dont le front déprimé et les yeux noyés dans la graisse, se présenta devant nous. […] Je chassai Arina, et je supposais qu’avec le temps elle reviendrait à de meilleurs sentiments ; il me répugne, vous savez, de croire au mal et à la noire ingratitude du cœur humain. […] La nuit était noire et le froid commençait à se faire sentir. […] Une barbe épaisse et noire couvrait tout le bas de sa figure mâle et sévère ; ses yeux bruns et peu ouverts, mais au regard fixe et hardi, étaient ombragés par des sourcils bien formés et qui se touchaient presque. […] Au-dessus d’un amas de noirs buissons, la couleur du ciel s’éclaircit un peu… Serait-ce un incendie ?

166. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

J’étais dans une chambre, et un monsieur, en chapeau noir, donnait de furieux coups de tête dans les murs, et au lieu de s’y briser la tête, y entrait, en sortait, y rentrait encore. […] Sur les ponts, les gens ne sont plus que des silhouettes, des virgules noires… des espèces de fourmis tout là-bas. […] Des bois faisant des taches noires sur une terre de cendres blanches, des bouquets de verdure sombre se dressant sèchement çà et là. […] À table, Gautier, ses deux vieilles sœurs, l’éternel Chinois, et la jolie Estelle, ayant comme voisine de table, Éponine, une chatte noire aux yeux verts qui mange à son couvert, aux côtés de sa maîtresse. […] Un bonhomme brun, les cheveux rebroussés et un peu crépus, de petites moustaches noires en forme de pinceaux, un foulard de soie blanche autour du cou, une tête où il y a du duelliste de Henri II et de l’Espagnol des Flandres.

167. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

A est noir, e blanc, i bleu, o rouge, u jaune. Et le noir, c’est l’orgue ; le blanc, la harpe ; le bleu, le violon ; le rouge, la trompette ; le jaune, la flûte. […] Au-delà, tout m’échappe : c’est le bégayement de la folie ; c’est la nuit noire ; c’est, comme dit Baudelaire, le vent de l’imbécillité qui passe sur nos fronts. […] Ecoutez d’abord ceci : La lune plaquait ses teintes de zinc   Par angles obtus ; Des bouts de fumée en forme de cinq Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus. […] Il pleure la mort du prince impérial, parce que le prince fut bon chrétien, et il se repent de l’avoir méconnu : Mon âge d’homme, noir d’orages et de fautes,   Abhorrait ta jeunesse…..

168. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Après l’élévation, le prêtre nous fit approcher, et déployant sur nos deux têtes un voile noir, que l’enfant de chœur prit pour un linceul du condamné, il nous glissa à chacun un anneau dans la main et nous bénit en cachant ses larmes. […] Les frères pénitents vinrent plusieurs fois dans la soirée réciter les prières des agonisants pour lui dans la cour ; la dernière fois, ils ouvrirent la porte et lui dirent que la religion avait des pardons pour tout le monde, et que, s’il voulait se repentir et mourir en bon chrétien, il n’avait qu’à emprunter le lendemain l’habit de la confrérie pour marcher au supplice, où tous les pénitents noirs l’accompagneraient en priant pour son âme. […] CCLVIII Rentrée par le corridor de la chapelle dans le cachot, je me hâtai de quitter ma veste d’homme et de me revêtir sur ma chemise seule de l’habit de pénitent noir, dont le capuchon rabattu sur mon visage me dérobait à tous les regards. […] J’entendais déjà derrière moi la foule des pénitents noirs et blancs et les frères de la Sainte-Mort qui se pressaient derrière la grille de la chapelle, et qui murmuraient à demi-voix les prières des agonisants.

169. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Il trouvait les tableaux anciens tout noirs, et l’atmosphère du dehors, toute claire, toute blonde, toute gaie. […] Là, dans cette allée et venue d’hommes et de femmes, dans ce mouvement, dans cette vie de la foule parisienne, sous les lumières du gaz, le noir soudain, que le jeune artiste a en lui, ce noir s’évanouit, et il est transporté, enthousiasmé, par la modernité du spectacle. […] Voici un homme qui remplit le monde de son nom, dont les livres se vendent à cent mille, qui a peut-être de tous les auteurs fait le plus gros bruit de son vivant, eh bien, par cet état maladif, par la tendance hypocondriaque de son esprit, il est plus malheureux, il est plus désolé, il est plus noir, que le plus déshérité des fruits secs.

170. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Marie, sa Marie, sa douce dédaigneuse, il ne l’a peut-être autant aimée que parce qu’elle lui réfléchissait et lui symbolisait la Bretagne ; parce qu’il pouvait les appeler toutes deux dans celui de ses vers qui a le plus de cette inexprimable chose qu’on nomme le charme, faute d’y rien comprendre : Cette grappe du Scorff, cette fleur de blé noir ! […] Dans des poésies du genre de celles de Brizeux, précisément, la couleur locale devrait avoir un profond, un bistré, un ton d’or noir, qui eût rappelé l’intérieur enfumé de ces fermes et de ces cabanes, qu’il n’aurait jamais dû quitter, et à la porte desquelles il aurait pu un jour trouver la gloire que Burns y trouva, l’heureux homme ! […] Auguste Brizeux, qui n’a l’air nullement Celte, avec sa redingote noire et son lorgnon jeté par-dessus. […] Il y a beaucoup de Nausicaa sur les bords des fontaines de Bretagne ; mais Brizeux, ce monsieur en noir et si bien peigné, qui a laissé là ses braies bariolées et ses longs cheveux celtes, ne rappelle pas plus le génie d’Homère que ses haillons !

171. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Quand tu fus lentement crucifié Par de noires négresses et des bourreaux marrons, Tu n’en donnas pour gage qu’une larme Sertie des musiques, sertie des parfums. […] Pour t’en venir, puissant et seul, vers les statues D’un art en marbre noir veiné de violet. […] Dirai-je ton séjour sous les cieux exotiques, Ton amour pour l’étrange, le rare et le beau, Tes maîtresses plus parées que des idoles antiques, Ta pensée plus choisie que le chant des oiseaux, Plus profonde que la mer et que les tombeaux, Plus haute que les colonnades et les portiques… Dirai-je tes amours, tes cris et tes blasphèmes, Tes appels au dieu noir, ta recherche des poisons, La sauge et la ciguë tressées pour tes diadèmes.

172. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « André Theuriet »

Malapert portait en semaine un habit-veste de gros drap et un gilet de laine tricotée ; pour les grands jours, il avait une redingote noire « dont il ne voyait pas la fin ». […] L’âge venait, les cheveux noirs de Séverin grisonnaient, son imagination se stérilisait, et son esprit, autrefois si vif, s’atrophiait.

173. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Choses d’autrefois »

Elles font, sur la sœur Saint-Jérôme et sur son confesseur dom Rigoley, qui avaient tous deux la peau fort noire, cette plaisanterie que « si on les mariait ensemble, il en viendrait des taupes et des négrillons ». […] Ce qui fit dire à Mme de Rochechouart que certes « le trait était noir ».

174. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

Reste une dernière couleur, le noir, qui n’est pas une sensation, mais le manque ou le minimum de toute sensation de lumière en un point donné et à un moment donné quand on compare ce point et ce moment à d’autres où la sensation de lumière est présente. […] Les différents degrés du noir ou du manque de sensation viennent donc compliquer les couleurs déjà construites. […] Leur assemblage fait une couleur spectrale. — Plusieurs couleurs spectrales réunies forment le blanc, le pourpre, et une infinité de composés d’après une loi fixe ; et l’addition du noir, c’est-à-dire l’affaiblissement de la sensation totale, introduit encore une infinité de nuances dans tous ces produits. — Ces produits eux-mêmes, en se combinant, forment les couleurs ordinaires que nous observons dans le monde environnant. […] D’autres ne confondent aucune couleur avec le blanc, le gris, le noir, mais confondent entre elles les diverses couleurs. […] Un prêtre écossais, affecté d’anérythropsie, choisît un jour du drap rouge écarlate pour s’en faire une soutane noire.

175. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Il est difficile de passer devant ces maisons sans admirer les énormes madriers dont les bouts sont taillés en figures bizarres, et qui couronnent d’un bas-relief noir le rez-de-chaussée de la plupart d’entre elles. […] Là donc les consciences sont à jour, de même que ces maisons impénétrables, noires et silencieuses, n’ont point de mystères. […] Au-dessus du cintre régnait un long bas-relief de pierre dure sculptée représentant les quatre saisons, figures déjà rongées et toutes noires. […] Au-dessus de cette table, il y avait un baromètre ovale, à bordure noire, enjolivé par des rubans de bois doré, où les mouches avaient si licencieusement folâtré que la dorure en était un problème. […] Son pantalon gris se boutonnait sur les côtés, où des dessins brodés en soie noire enjolivaient les coutures.

176. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Êtres inouïs dont on aime jusqu’aux ténèbres, et dont la pensée, obscure toujours, s’étoile par moments comme le noir de la nuit ! […] Il faut toute l’autorité de l’Américain sur le noir pour l’y contraindre. […] Tout est, en ce grand déclassé, sinistre, noir, terrible, d’un désordre profond et tragiquement volontaire. […] À la matière morte il demande mieux qu’elle, à ses lois qu’il borne une espèce de magie noire ou blanche qui les expliquent. […] C’est le rabâchage de ce génie épuisé, les dernières éructations nauséabondes de la terrible ivresse, noire et puissante, dont ceux qui ont lu Poe ont gardé sur eux longtemps le frisson.

177. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Sa chemise, largement ouverte, laissait voir sa forte et rude poitrine, toute couverte de poils noirs et blancs. […] Tiens, Titi, r’garde donc un peu sur les toits, ils sont tout noirs de monde. […] Bourais était derrière, ensuite les principaux habitants, les femmes couvertes de mantes noires, et Félicité. […] — C’est une dame jeune, en noir, voilée, qui vient tous les matins avant Madame. […] Il avait donc l’habit noir, son bel habit noir, son habit des dimanches, s’il vous plaît ; car on se mettait en grande tenue pour ces jours de solennités classiques.

178. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Vendredi 26 février Mario Uchard nous emmène à sa répétition du Retour du mari au Théâtre-Français… Dans la demi-nuit de la salle emballée, une grande filtrée de lumière pareille à la lumière d’un glacier sur un côté de la salle ; tout en haut, par une ouverture du paradis, le jour du dehors frappant sur les rideaux rouges des loges, sur le lustre au milieu de l’obscurité, scintillant en huit ou dix points de petits rubis et de petits saphirs ; et en l’orchestre, et en la salle vide, çà et là, des taches noires comme pochées par Granet, qui sont une vingtaine de spectateurs ; et la rampe basse, et au-dessus du plafond qui s’abaisse lentement, pour rejoindre les décors, des trouées d’échafaudages bleuissants qui semblent la charpente d’un clocher éclairé par un clair de lune. […] Il va de cabaret en cabaret, autour de la barrière de l’Étoile, organiser une société de-jeu parmi les compagnons maçons, pour laquelle il ira jouer en Allemagne, sous la surveillance d’un comité d’une dizaine de maçons, costumés en habit noir, et qui n’auront qu’à manger et à se promener. […] Puis, la chambre à coucher, avec son petit lit en bois noir, aux rideaux de soie bleue, et jetés dans toute la chambre, sur le lit, les fauteuils, les chaises, des dentelles, des volants d’Angleterre, des garnitures de Malines, des mouchoirs de Valenciennes, qu’une vieille, toute jaune, assise au chevet du lit, surveille et couve de son œil cupide et juif. « Passez… » répète encore la voix. […] Dans la visite des chambres, il entend un frôlement de robe, aperçoit un pied sous un lit, tire à lui un bas de soie noire, au bout duquel il y a une jolie femme, et encore un autre pied et une autre jolie femme. […] Elle monte, la petite côte, hérissée d’échalas flambants, comme des piques au soleil, et au bas desquels, sous l’abri de quelques feuilles recroquevillées et écarlates, des grappillons brillent comme des perles noires.

179. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

Dimanche 3 juin Par la luminosité spectrale, que fait dans la pierre d’une capitale, un coucher de jour, des silhouettes noires marchant, un journal devant le nez, sur le bitume mou. — Un glissement, un bruissement d’êtres silencieux, dans la mort du jour, allant aux kiosques illuminés du rouge transparent des annonces de l’eau de Botot, et s’accumulant en un coin du boulevard. — Puis, tout à coup, de ces tas d’hommes sous les arbres, dont le gaz se met à éclairer le feuillage poussiéreux, s’élève un murmure de phrases, en une langue inintelligible, qui devient un braillement énorme. […] La mariée se fait coiffer par Julie, le marié quitte son habit noir et passe un veston, et Burty, dont la paternité est arrivée à la limite dernière des devoirs et des obligations, m’entraîne japoniser chez Bing. […] Dimanche 14 octobre Des chapeaux, des chapeaux noirs, au-dessus desquels on voit de temps en temps, émerger une chose blanche qui est un journal, arraché d’un kiosque, et autour duquel se forme aussitôt un groupe, aux oreilles tendues. […] Ce sont des journées toutes noires, en proie à l’angoisse du matin, quand je demande à sa fille des nouvelles de la nuit, en proie à l’angoisse du soir, quand je rentre, et que je monte chez elle pour savoir comment elle a passé la journée. […] Et cependant elle avait été jetée cinquante fois au public de l’Odéon, cette phrase du « monsieur en habit noir » d’Henriette Maréchal : « Il y a des gens qui y disent des choses qui corrompraient un singe et qui feraient défleurir un lys sur sa tige. » Les propos à faire rougir un singe, ça me semble bien descendre de l’engueulement du bal d’Henriette Maréchal.

180. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Il éteint ses brasiers, enferme ses outils dans un coffre d’argent ; puis il essuie avec une éponge ses bras noirs de limaille, sa face et sa poitrine enfumées. […] Une sorte de contorsion démoniaque défigure les traits de la Terre, et lui imprime une physionomie infernale. — Qu’est-ce que ces champs gorgoniens de Cysthène, sur lesquels pèse un ciel noir, sans soleil ni lune ? […] Io s’enfoncera ensuite dans l’épaisseur du monde noir ; elle parcourra l’Éthiopie d’où sort le Soleil, et elle abordera l’Egypte en longeant le Nil jusqu’aux montagnes de Byblos. […] D’autres peintures de vases archaïques le représentent avec deux ailes, l’une blanche et l’autre brune ; son pétase est moitié blanc, moitié noir ; son visage est également mi-parti, clair à droite et foncé à gauche. […] S’il conduisait les Mânes dans le noir royaume, Hermès avait aussi le pouvoir de les rappeler parfois à la vie.

181. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Ainsi, d’élans en élans, d’émotion en impiété, tout nous mène à la volupté enivrante de la nuit, au meurtre de l’époux, à la volupté encore, sur cette mer de Venise, où reparaissent voguant, pleins d’oubli, le meurtrier aimé et la belle adultère : Peut-être que le seuil du vieux palais Luigi Du pur sang de son maître était encor rougi ; Que tous les serviteurs, sur les draps funéraires, N’avaient pas achevé leurs dernières prières ; Peut-être qu’à l’entour des sinistres apprêts, Les prieurs, s’agitant comme de noirs cyprès, Et mêlant leurs soupirs aux cantiques des vierges, N’avaient pas sur la tombe encore éteint les cierges, Peut-être de la veille avait-on retrouvé Le cadavre perdu, le front sous un pavé ; Son chien pleurait sans doute et le cherchait encore : Mais, quand Dalti parla, Portia prit sa mandore, Mêlant sa douce voix, que la brise écartait, Au murmure moqueur du flot qui l’emportait… Les deux autres drames de ce volume, Don Paez et la Camargo, renfermaient des beautés du même ordre, mais moins soutenues, moins enchaînées, et dans un style trop bigarré d’enjambements, de trivialités et d’archaïsmes. […] Dans les vers déjà cités plus haut : …… à l’entour des sinistres apprêts, Les prieurs, s’agitant comme de noirs cyprès… Ailleurs, dans Mardoche : Heureux un amoureux !  […] Sous la tresse d’ébène on dirait, à la voir, Une jeune guerrière avec un casque noir ! […] Mais Belcolore, l’impure acharnée, cette Sirène au beau corps, à l’épaule charnue, A la gorge superbe et toujours demi-nue, Sous ses cheveux plaqués le front stupide et fier, Avec ses deux grands yeux qui sont d’un noir d’enfer, Belcolore, le brutal génie des sens, la volupté meurtrière, a suivi Frank ; elle s’est glissée sur le seuil nuptial, et entre le chaste baiser donné, et pas encore rendu69, elle trouve place pour un poignard au cœur innocent de Déidamia : Ah !

182. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Dans cette pièce sans intérêt et sans valeur, il y a cependant un ballet charmant, un ballet d’ombres couleur de chauve-souris, avec un loup noir sur la figure, et agitant de la gaze obscure autour d’elles, ainsi que des ailes de nuit. […] Nous montons dans du noir, où l’on heurte des voix, nous ouvrons une loge de seconde. […] Lors de cette réception, il avait une cravate noire, et rencontrant dans la bibliothèque Spontini, qui avait gardé l’étiquette du costume impérial, il lui jette en passant : “L’uniforme est dans la nature, Spontini ! […] Il dit que, bien certainement, dans les trente volumes qu’il a été obligé de pondre, il s’est vu forcé de donner aux bourgeois par-ci par-là, la satisfaction d’un épisode d’amour, mais que les deux cordes de son œuvre, les deux vraies grandes notes de son talent, sont la bouffonnerie et la mélancolie noire. […] Enfin, ils en arrivent à admirer, dans le Parthénon, ce merveilleux blanc du marbre, qui est, s’écrie Flaubert enthousiasmé, « noir comme de l’ébène ».

183. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

… Sont-ils animés d’un si noir esprit ! […] C’est Marguerite Moréno qui s’avance, souple, onduleuse dans un long fourreau de laine noire.

184. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

Cette salle était toute tapissée de drap noir ; l’échafaud, qu’on y avait dressé à deux pieds et demi de terre, était tendu de frise noire de Lancastre ; le fauteuil où Marie devait s’asseoir, le carreau où elle devait s’agenouiller, le billot où elle devait poser sa tête, étaient aussi recouverts de velours noir. La reine était vêtue de noir comme la salle et tous les insignes du supplice. […] Après elle, le doyen de Peterborough, en grand costume ecclésiastique, s’assit à droite de la reine sur un pliant sans dossier, un carreau de velours noir à ses pieds. […] En face de Marie Stuart, on distinguait le bourreau et son aide à leurs vêtements de velours noir, à leur crêpe rouge au bras gauche.

185. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

J’ai dit par quels bienfaits jaillissent les forêts, Les rochers, les grains noirs, le seigle et les genêts Du flanc mystérieux des antiques sillons ! […] Au cœur mystérieux des noires sapinières, Les pâtres, comme nous, dans leurs beaux yeux profonds Mirent le mouvement des astres sur les monts, Assis au seuil fumeux des cabanes de pierres. […] Ouvrons le livre : chaque mot — plus exactement, chaque épithète — vise à la détermination d’un détail réaliste : Dans un angle, le bloc d’argent de la cascade Avec le jour blafard qui tombe du ciel bleu Se mêlent aux changeants et chauds reflets du feu, Comme un couchant fondu dans l’éclat des nuits noires. […] Et droits sur leurs chevaux cabrés qu’un rut enlève, Tes grands conquérants noirs, au profil surhumain, Qui déployant leur geste avec l’éclair d’un glaive Engouffrent dans la nuit leurs cavaliers d’airain ! […] Je ne veux pas parler, ô mon ami, j’ai peur D’éveiller les soucis et tout ce qui me guette, Mais sachez que le cœur du paisible poète Est un morne désert par l’ouragan noyé, Labouré, noir de sang et du vent balayé, Et que dans la maison où j’ai posé des pommes Pour parfumer un peu les livres que j’aimais La paix que je voudrais ne s’arrête jamais, Et que je suis, ce soir, le plus pauvre des hommes.

186. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Des yeux d’un bleu noir comme ceux de ma mère ; des traits accentués, mais adoucis par une expression un peu pensive, comme était la sienne ; un éblouissant rayon de joie intérieure éclairant tout ce visage ; des cheveux très souples et très fins, d’un brun doré comme l’écorce mûre de la châtaigne, tombant en ondes plutôt qu’en boucles sur mon cou bruni par le hâle (je supprime, j’en demande pardon à l’auteur, quelques détails sur la finesse de la peau)… En tout, le portrait de ma mère avec l’accent viril dans l’expression : voilà l’enfant que j’étais alors. […] Tantôt ses traits sont si délicats, ses yeux noirs ont un regard si candide et si pénétrant ; sa peau transparente laisse tellement apercevoir sous son tissu un peu pâle le bleu des veines et la mobile rougeur de ses moindres émotions ; ses cheveux très noirs, mais très fins, tombent avec tant d’ondoiements et des courbes si soyeuses le long de ses joues jusque sur ses épaules, qu’il est impossible de dire si elle a dix-huit ou trente ans.

187. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

IV Oui, Sterne, dont il était le fils, — comme il était, je l’ai dit déjà, le fils de Diderot, car en littérature (et il n’y a qu’en littérature), on peut être le fils de deux pères sans inconvénient et sans immoralité, — Sterne, cet homme simple et exquis, qui n’avait pour vêtir son génie que trois chemises blanches et une culotte de soie noire !… Il ne fallait vraiment guère que cela à Jules Janin, et je crois même qu’il eût envoyé promener la culotte de soie noire. […] C’était en ce temps-là un joyeux garçon aux belles dents rieuses, frais comme une rose-pomme épanouie parmi tous ces pâles de Paris, au regard très doux et un peu indécis, un de ces regards qu’on appelle à la Montmorency et dont l’indécision, qui vous lutine, est plus piquante… Il avait de magnifiques cheveux noirs bouclés comme un pâtre de la campagne romaine, et qui, pour boucler, n’avaient pas besoin des papillotes que se plantait le grave Lerminier sur sa forte tête philosophique et législative.

188. (1923) Paul Valéry

Mon œil noir est le seuil d’infernales demeures ! […] La porte basse, c’est une bague… où la gaze Passe… Tout meurt, tout vit dans la gorge qui jase… L’oiseau boit sur ta bouche et tu ne peux le voir… Viens plus bas, parle bas… Le noir n’est pas si noir ! Le noir n’est pas si noir… Peut-être, par-delà la vie, par-delà la veille, et filtrée par elle comme l’eau par le sable, la lumière massive et totale reparaît-elle. […] De même que dans l’énoncé d’un théorème ne doit entrer nul élément empirique, ainsi la fontaine où Narcisse se mire ressemble à une étude au tableau noir où ne figurera nul élément qui supposerait autrui. […] Ses yeux ont puisé dans la fontaine Les yeux mêmes et noirs de leur âme étonnée.

189. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Voici l’enfant folâtre, la petite fée voltigeante qui bat des mains, et « de ses yeux noirs malicieusement vous regarde en face, et se sauve pendant que ses rires éclatants creusent des fossettes dans les roses enfantines de ses joues. » Voici la blonde pensive qui songe, ses grands yeux bleus tout ouverts, fleur aérienne et vaporeuse « comme un lis penché sur un buisson de roses et que le soleil mourant traverse de sa lumière », faiblement souriante, « pareille à une naïade qui au fond d’une source regarde le déclin du jour. » Voici la changeante Madeline, soudain rieuse, puis soudain boudeuse, puis encore gaie, puis encore fâchée, puis incertaine entre les deux, étranges sourires, « délicieuses colères qui ressemblent à de petits nuages frangés par le soleil1519. » Le poëte revenait avec complaisance sur toutes les choses fines et exquises. […] Et elle se tourna, —  son sein secoué par un soudain orage de soupirs. —  Toute son âme brillait comme une aube dans la profondeur de ses yeux noirs. […] À présent, j’irai1537. » Elle meurt, et, selon sa dernière prière, ils l’emportent « comme une ombre à travers les champs qui brillent dans leur pleine fleur d’été », et la posent sur la barque toute tendue de velours noir. […] C’est le soir de la dernière bataille ; tout le jour le tumulte de la grande mêlée « a roulé le long des montagnes près de la mer d’hiver » ; un à un les chevaliers d’Arthur sont tombés ; il est tombé lui-même, le crâne fendu à travers le casque, et sire Bedivere, son dernier chevalier, l’a porté tout près de là, « dans une chapelle brisée avec une croix brisée, debout sur une noire bande de terre stérile. […] La troisième fois enfin il la lance : « La grande épée jeta des éclairs sous la splendeur de la lune, —  et fit dans l’air une arche de clarté, —  comme le rayonnement d’aube boréale — qui jaillit lorsque les îles mouvantes de l’hiver s’entrechoquent — la nuit, parmi les bruits de la mer du Nord. —  Mais avant que l’épée eût touché la surface, —  un bras s’éleva, vêtu de velours blanc, mystique, merveilleux, —  et la saisit par la poignée, et la brandit trois fois ; —  puis s’enfonça avec elle dans la mer1541. » Alors Arthur, se soulevant douloureusement et respirant avec peine, ordonne à sire Bedivere de le charger sur ses épaules et de le porter jusqu’au rivage. « Hâte-toi, hâte-toi, car je crains qu’il ne soit trop tard, et je crois que je vais mourir. » Ils arrivent ainsi, le long des cavernes glacées et des roches retentissantes, jusqu’au bord du lac où « s’étalent les longues gloires de la lune d’hiver. » — « Là s’était arrêtée une barque sombre, —  noire comme une écharpe funèbre de la proue à la poupe ; —  tout le pont était couvert de formes majestueuses, —  avec des robes noires et des capuchons noirs, comme en songe ; auprès d’elles, —  trois reines avec des couronnes d’or ; de leurs lèvres partit — un cri qui monta en frémissant jusqu’aux étoiles palpitantes. —  Et comme si ce n’était qu’une voix, il y eut un grand éclat de lamentations, pareil à un vent qui crie — toute la nuit dans une terre déserte, où personne ne vient — et n’est venu depuis le commencement du monde1542.

190. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

J’avais eu soin, la veille, de déployer au dos d’une chaise mon habit bleu de ciel à queue de morue, mon pantalon, mon gilet en poil de chèvre, une chemise blanche et ma belle cravate de soie noire. […] La tante Grédel allait et venait autour de l’âtre pour apprêter un pfankougen, avec des pruneaux secs et des küchlen trempés dans du vin à la cannelle et d’autres bonnes choses ; mais nous n’y faisions pas attention, et ce n’est qu’au moment où la tante, après avoir mis son casaquin rouge et ses sabots noirs, s’écria toute contente : « Allons, mes enfants, à table !  […] Cela durait depuis une bonne demi-heure, lorsque la tante Grédel s’écria : « Joseph… écoute… il est temps que tu partes ; la lune ne se lève pas avant minuit, il va faire bientôt noir dehors comme dans un four, et par ces grands froids un malheur est si vite arrivé… » Ces paroles me portaient un coup, et je sentais que Catherine me retenait la main. […] Une fois sur la côte de Metting, à plus d’une lieue de la ville, comme nous allions descendre, Klipfel me toucha l’épaule, et tournant la tête il me dit : « Regarde là-bas. » Je regardai et j’aperçus Phalsbourg bien loin au-dessous de nous, les casernes, les poudrières, et le clocher d’où j’avais vu la maison de Catherine six semaines avant, avec le vieux Brainstein : tout cela gris, les bois noirs autour. […] Elle avait un bonnet à rubans noirs, les bras nus jusqu’aux coudes, une grosse jupe de laine bleue soutenue par des bretelles, et semblait triste.

191. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Les anarchistes faisaient exception et pour se distinguer une fois de plus des socialistes révolutionnaires, ils essayèrent de mêler leur drapeau noir aux drapeaux multicolores du cortège ; Élisée Reclus, leur homme remarquable, pria son ami Nadar d’inscrire son nom sur le registre mortuaire. […] Il faut lire Rouge et Noir pour comprendre à quel point Napoléon s’empara de l’imagination des hommes de vouloir et de pouvoir. […] Il y résout ce double problème : donner une dot aux enfants trouvés, et procurer des travailleurs blancs aux planteurs, qui ne pouvaient plus, comme par le passé, aller chercher des noirs sur la côte africaine. […] Ils fouillèrent les appartements pour chercher des armes ; ils virent pendu au mur « un yatagan turc, dont la poignée et le fourreau étaient en argent massif… rangés sur une table, des bijoux, des cachets précieux en or et en argent… quand ils furent partis, on constata… que ces mains noires de poudre n’avaient touché à rien. […] Embarqué à la légère dans une opération politique, mal combinée, il se retourna prestement, laissa ses copains conspirer et dépenser leur temps et leur argent pour la propagande républicaine, et s’attela à l’exploitation de sa renommée ; et tandis qu’il donnait à entendre qu’il se nourrissait du traditionnel pain noir de l’exil, il vendait au poids de l’or sa prose et sa poésie.

192. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

La petite ville de Belley, à l’extrémité de la Bresse qui touche à la Savoie, a déjà la physionomie alpestre et recueillie des profondes et noires vallées qui s’engouffrent, vers Chambéry, dans la Maurienne. […] Leurs ombres noires et humides, assombries encore par le reflet des sapins qui les couvrent, impriment une imposante mélancolie à l’âme. […] La petite ville de Saint-Rambert, noire comme une usine, est bâtie si à l’étroit sur ses deux bords que, dans certains endroits, l’Albarine, traversée et retraversée par de petits ponts de bois, lui sert de rue. […] J’en ai conservé quelques strophes incomplètes que j’avais données à mes sœurs en revenant à la maison aux vacances, et que j’ai retrouvées, il n’y a pas longtemps, en feuilletant les modèles d’écriture et de dessin livrés aux rats dans un cabinet noir de notre maison paternelle. […] Un autre livre broché en papier de couleur était fermé sous son bras, entre son habit noir et son coude ; on voyait qu’il y pensait malgré lui ; son regard, distrait de ses textes grecs et latins ouverts sur le pupitre de sa chaire, se détournait involontairement et tombait obliquement sur le livre pressé contre son cœur.

193. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

* * * — Là, devant la feuille blanche, quand on arrive avec son idée, indécise, vague, flottante, et qu’il faut couvrir cette feuille de papier, de pattes de mouches noires, donnant une solidification exacte, logique, rigoureuse, au brouillard de votre cervelle, les premières heures sont vraiment dures, sont vraiment douloureuses. […] Mardi 20 juillet Dans la transparence glauque de l’eau, monte du fond de la rivière, comme une ombre en spirale, qui devient une forme aux flancs tigrés, se change en un poisson noir au petit groin blanc, et s’approche lentement de la mouche flottante, puis après un temps d’arrêt, la gobe dans un happement bruyant. […] * * * — J’assistais, ce soir, dans cette lumière de l’électricité, qui met des lueurs de catafalque sur les choses, à la sortie d’un magasin de deuil, où de longues et de noires filles chlorotiques se disaient au revoir, dans des embrassements éplorés. […] Jeudi 3 novembre Tristesse noire.

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