/ 3301
1233. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Cousin naviguer dans la métaphysique, refusa de spéculer sur la nature de l’univers, sur la création, sur l’essence de Dieu, n’admit point que la philosophie fût une science universelle, chargée de découvrir le système du monde. […] La sensibilité désagréablement affectée manifeste des mouvements d’une nature tout à fait contraire. […] » Autant vaudrait dire, avec les écrivains lyriques, que l’âme monte aux deux, chevauche les nuages, pénètre au sein des rochers, se fond dans la nature. […] Le pouvoir qu’a l’homme de s’emparer de ses capacités naturelles et de les diriger, fait de lui une personne, et c’est parce que les choses n’exercent pas ce pouvoir en elles-mêmes qu’elles ne sont que des choses… Certaines natures ont reçu, par-dessus les autres, le privilège de se saisir d’elles-mêmes et de se gouverner : celles-là sont des personnes. […] La nature règne dans la plante, et non point la plante elle-même.

1234. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Que cependant l’âme de Lucrèce, que sa vive impression des spectacles de la nature et des souffrances glorieuses de Rome, que son effroi de la vie publique, son amour de la retraite et de la contemplation solitaire lui aient inspiré d’admirables accents, on ne peut le méconnaître. […] Au moment où, conduit par une rêverie savante à ce matérialisme épicurien dont César devait abuser en factieux quelques années après, Lucrèce allait expliquer la formation spontanée du monde, l’action exclusive de la matière, l’intelligence passagère qui en résulte et la mortalité absolue de l’être humain, il élève ses regards vers les cieux ; il y voit briller un astre cher à la superstition romaine ; il en retrouve le souvenir et le nom dans les origines de Rome, et il ouvre son poëme antimythologique et antiplatonique par cette invocation incomparable à la déesse de la fécondité dans la nature, à cette déesse de la beauté et de l’amour, qu’il supplie de désarmer le dieu de la force et de la guerre : « Mère des enfants d’Énée, charme des hommes et des dieux, bienfaisante Vénus ! […] Tant, saisie par ta grâce et les douces amorces, toute nature animée te suit avec ardeur, où que tu veuilles la conduire ! […] « Aussi, puisque seule tu gouvernes la nature, que sans toi rien ne s’élève jusqu’aux rivages célestes du jour, que rien d’heureux, rien d’aimable ne peut naître sans toi, j’aspire à t’avoir pour associée dans les vers que je vais écrire, ces vers sur la Nature, auxquels je travaille pour notre cher Memmius, que toi, déesse, tu as voulu toujours orner de tous les dons !

1235. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Ménard, nous livre le secret de leurs cœurs, la nature et la forme de leurs espérances. […] Entre ces esprits de nouvelle portée et que la nature, comme en réaction elle-même contre les formes précédentes, tentait de façonner sur un autre moule, l’abbé de Saint-Pierre n’est pas le moins remarquable ni le moins curieux à observer, par l’insistance et l’opiniâtreté de sa vocation dans sa ligne unique, par ses absences et ses lacunes sur tout le reste. […] Je disais tout à l’heure que la nature semblait s’essayer, dans cette dernière moitié du règne de Louis XIV, à façonner des cerveaux un peu différents de ce qu’ils avaient été dans la première : il faut ajouter qu’elle y était fort aidée par ce grand auxiliaire et coopérateur nommé Descartes, qui était venu changer ou tout au tout la méthode de raisonner. […] Mais si l’on juge par le passé de l’avenir, quelles choses nouvelles nous sont inconnues dans les arts, dans les sciences, dans la nature, et, j’ose dire, dans l’histoire !

1236. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Il commet beaucoup d’autres omissions, dont nous devons le remercier pour nos filles  Près de Mme d’Épinay, Mme d’Houdetot, si plaisante par son ignorance du mal, par son obéissance prolongée aux bonnes lois de nature, par son indulgence que la Révolution ne put même inquiéter, et par le divin enfantillage d’un optimisme sans limites  Et, après cette colombe octogénaire, voici surgir Mme Roland, une fille de Plutarque, une enthousiaste, une envoûtée de la vertu antique, qui, lorsqu’elle écumait le pot chez sa mère, songeait à Philopœmen fendant du bois  Voici trois maîtresses d’école, trois enragées de pédagogie : Mme de Genlis, le type de la directrice de pensionnat pour demoiselles, sentimentale et puérile ; Mme Necker de Saussure, esprit solide et supérieur, d’un sérieux un peu funèbre, le modèle des gouvernantes protestantes ; Mme Guizot, très bonne âme, avec quelque chose d’ineffablement gris, écrivant ce que peut écrire une demoiselle qui, à quarante ans, épouse M.  […] Mais vous, je vous salue et vous aime par-dessus toutes vos compagnes, sans réserve ni mauvaise humeur, ô George Sand, jardin d’imagination fleurie, fleuve de charité, miroir d’amour, lyre tendue aux souffles de la nature et de l’esprit ! […] Vous aimiez la nature parce qu’elle apporte à ses fidèles l’apaisement et la bonté, et vous aimiez les beaux paysans et les beaux ouvriers parce qu’ils vous semblaient plus près de la nature, ô grande faunesse, fille de Jean-Jacques !

1237. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Vous commencez à apercevoir la richesse de cette nature. […] Il se sent le complice élu de la Nature éternelle. […] Si ce néo-Grec, que son culte de la nature n’empêche point de montrer dans les choses religieuses les tolérances tendres et amusées d’un Renan, nous parle d’aventure de l’Assomption ou de la Semaine sainte, il y reconnaîtra les fêtes symboliques de l’éternel amour ; il célébrera l’assomption de la femme, Eve ou Vénus anadyomène, et pleurera avec les belles Syriennes sur le cadavre d’Adonis. […] Si les hommes savaient encore aimer les femmes, si les femmes connaissaient leur rôle et s’y tenaient pour le remplir tout entier, on aurait une cité idéale, fondée sur la plus délicate interprétation des bonnes lois de nature.

1238. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Maine de Biran a donné à la France une philosophie de l’esprit : il ne lui a donné ni une philosophie de la nature, ni une philosophie religieuse. […] Ce que la philosophie allemande a démontré depuis Leibniz jusqu’à Hegel, c’est que la nature et l’esprit ne sont pas opposés l’un à l’autre comme deux choses égales, comme ayant l’un et l’autre une même solidité, mais qu’ils sont l’un à l’autre subordonnés. La nature, à proprement parler, n’a pas de réalité propre : elle est pleine d’esprit ; elle n’est, elle ne vit, elle ne respire que par l’esprit. […] Ce qu’il y a d’effectif dans la nature, c’est la force et la loi : l’étendue n’est qu’un substratum mort, c’est le vide ; la force et la loi, c’est déjà l’esprit, non pas de l’esprit pour soi, comme disent les Allemands, mais de l’esprit en soi.

1239. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Beaucoup sont incapables d’y procéder ; et celles qui en sont capables se règlent, dans cette opération, sur la forme de leur activité et sur la nature de leurs besoins. « Les corps, écrivions-nous, sont taillés dans l’étoffe de la nature par une perception dont les ciseaux suivent le pointillé des lignes sur lesquelles l’action passerait 16 ». […] La nature et même le lieu précis de cette modification nous échappent ; nous ne pouvons que noter certains changements de position qui en sont l’aspect visuel et superficiel, et ces changements sont nécessairement réciproques. […] Ajoutons qu’on ne s’est guère davantage préoccupé de la nature du temps lui-même.

1240. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Par là, grâce à cette souple richesse de la nature morale, dans cet heureux pays, les proportions ordinaires du génie au nombre étaient absolument changées. […] Enfin il avait paru au milieu de l’été, entre les chants des rossignols et la plus grande splendeur de la nature épanouie. » La timidité même de notre goût moderne découvre quel trésor d’harmonie, quel éclat d’images, quel renouvellement de la liturgie poétique cette fiction devait amener, sous les mètres nombreux et souples de la muse éolienne. […] Non ; il faut, en admirant le génie du poëte, reconnaître ses égarements et les imputer à ce culte matériel et corrupteur, à cette ivresse des sens où l’âme était plongée sous le beau ciel des Cyclades, entre les charmes de la nature et de l’art, devant les théories gracieuses qui déployaient leurs voiles blanches sur cette mer d’azur, et les processions de jeunes filles qui s’avançaient, en chantant, du rivage au temple de la belle déesse.. […] L’affinité de leurs âmes était merveilleuse ; tous deux purs, de mœurs délicates, et divers dans leurs travaux, selon la loi de la nature : elle, par son fuseau, s’élevant à l’art de Minerve, et lui, dans ses labeurs, recueillant les dons du dieu Mercure ; elle ayant sa lyre, et lui passionné pour les livres ; elle aimée d’Aphrodite, et lui d’Apollon ; lui le premier des jeunes gens ; elle privilégiée parmi les filles. » Enfin Sapho, dans des paroles perdues dont s’est inspiré Catulle, comparait la jeune fille à ce fruit défendu, et « conservé dans sa fleur pour celui qui doit le cueillir ».

1241. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Diderot, bon qu’il était par nature, prodigue parce qu’il se sentait opulent, tout à tous, se laissait aller à cette façon de vivre ; content de produire des idées, et se souciant peu de leur usage, il se livrait à son penchant intellectuel et ne tarissait pas. […] La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie  siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué.

1242. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Les grands esprits et les esprits fins sont ceux qui savent apercevoir sous le flot sans cesse renouvelé des phénomènes les lois éternelles de la nature et de l’esprit. […] Il y faut la jeunesse des sens et de l’esprit, une âme neuve dans la nature neuve. […] Le charmant récit où Voltaire nous peint les différentes destinées de Jeannot et de Colin est le modèle accompli de ce genre de moralité : tout est combiné pour l’instruction que veut donner l’auteur ; c’est le procédé même de l’apologue, un conseil donné par l’exemple des personnages qu’on invente : mais ici plus rien de merveilleux ; tout est vraisemblable, c’est la nature même et la vie.

1243. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Dirons-nous qu’Olivier est un grand fou, qu’il est des passions qu’on s’interdit à son âge, que la comtesse (plus excusable, d’ailleurs) n’a qu’à s’abriter en Dieu, que tout a une fin, qu’il faut savoir vieillir, accepter l’inévitable, et que ceux-là pâtissent justement qui vont contre les volontés de la nature ? Mais la déraison même est dans la nature, et dans la nature aussi les pires folies de l’amour, de l’odieux amour !

1244. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

La nature n’avance point par bonds et saillies ; elle marche pas à pas. […] On peut appliquer la même remarque à l’histoire : l’humanité fait aussi partie de la nature. […] On écrivit des choses utiles sur l’agriculture : tout le monde les lut, excepté les laboureurs. » Et en même temps qu’un élan rapide entraînait la France d’alors vers la liberté et l’égalité, naissait un mouvement parallèle qui, au nom de la nature, allait renouveler la littérature française.

1245. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Cette étude consiste dans une attention continuelle sur la nature. […] Le jeune peintre qui a du génie, commence donc bien-tôt à s’écarter de son maître, dans les choses où le maître s’écarte de la nature. […] Un autre indice de génie dans les jeunes gens, c’est de faire des progrès très-lents dans les arts et dans les usages, et les pratiques qui font l’occupation generale du commun des hommes durant l’adolescence, en même temps qu’ils s’avancent à pas de geant dans la profession à laquelle la nature les a destinez entierement.

1246. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Il est donc naturel que les jeunes poëtes, qui, au lieu d’imiter la nature du côté que le génie la leur montre, l’imitent du côté par lequel les autres l’ont imitée, qui forcent leur talent, et le veulent assujettir à tenir la même route qu’un autre tient avec succès, ne fassent d’abord que des ouvrages médiocres. […] Notre jeune artisan, doüé de génie, se forme donc lui-même une pratique pour imiter la nature, et il forme cette pratique des maximes résultantes de la refléxion qu’il fait sur son travail et sur le travail des autres. […] Les vieillards les plus caducs se raniment : ils redeviennent de jeunes gens, dès qu’il s’agit des choses qui sont du ressort de la profession dont la nature leur avoit donné le génie.

1247. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

C’est de l’observation à bâtons rompus, de l’observation de nature et d’aventure, relevée par de la fantaisie, et avec ces deux mots-là, vous avez tout ! […] La seule chose qui soit évidente, c’est que, fantaisiste d’occasion plus encore que de nature, il incline vers les détails et les entortillements de la vignette bien plus sympathiquement que vers les généralités types, et que la longue galerie de petits tableaux de genre qu’il nous dresse n’est rien de plus, en dernière analyse, que les mille hasards de ses rencontres et de ses coureuses observations. […] Voir plus que cela dans l’auteur des Mémoires d’un chasseur, peintre de nature plus que de costume, c’est une erreur du genre de celle qui verrait dans Tristram Shandy et le Sentimental Journey des révélations politiques et sociales sur l’Angleterre et sur la France.

1248. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Par sa nature, il doit répugner à cette forme essentiellement parnassienne du sonnet, à cette œuvre d’asthmatique qui, entre deux toux, place nettement son petit mot… Et puisque nous avons tous une famille littéraire quand nous sommes bien nés littérairement, et qu’alors nous ne nous mettons pas aux Enfants Trouvés des Écoles, l’auteur de La Vie inquiète s’apparente de loin à Henri Heine, et, de plus près, à lord Byron. […] Comme elles vivent d’imitation, elles s’imaginent qu’on imite comme elles, qu’on a des partis pris comme elles, quand on n’obéit qu’à sa nature. […] d’autres rapports avec son poète que ceux qui viennent de l’analogie des natures et des manières de sentir.

1249. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbier, Auguste (1805-1882) »

Que de vers superbes, spacieux, animés d’un mâle sentiment de nature et se ruant à l’assaut des hautes périodes ! […] Lazare décrit la souffrance des misérables sur qui roule le poids de la civilisation, les plaintes de l’homme et de l’enfant pris dans les engrenages des machines, et les gémissements de la nature troublée par les promesses du progrès.

1250. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre III. Les questions que l’historien doit se poser. » pp. 16-17

D’autre part, il doit rechercher leurs relations de toute nature avec les milieux divers et changeants dans lesquels ces faits se produisent. […] De même, l’étude la plus attentive ne pourra relever les innombrables rapports de cause, d’effet, de coïncidence, que cette littérature soutient avec la constitution physique et mentale d’une nation, avec la nature du pays où elle se développe, avec toutes les branches de la civilisation dont elle fait partie.

1251. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Paul Nibelle »

La nature donne tout cela parfois aux génies supérieurs dès leurs premières œuvres. […] Mais quand la nature ne le donne pas, la vie peut le donner avec la culture de ses douleurs, et Nibelle, qui est au début de la vie, n’en a pas encore reçu tous les dons !

1252. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Ce livre respire la plus farouche défiance de la nature humaine. […] Apparemment, s’il est dans la nature de voler, il est dans la nature de se protéger contre les voleurs ; il est dans la nature d’aimer ses enfants et, par suite, de les préserver des habitudes qui leur deviendraient funestes. Et la croyance au surnaturel est aussi dans la nature, et la nature est bonne autant qu’elle est mauvaise, puisqu’elle est tout. […] la nature ! […] Cela est impossible, cela est contre nature.

1253. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Il veut dire aussi qu’on ne peut pas regarder toute la nature : une partie de la nature échappe au regard de nos yeux ; et nous la devinons. Bref, il y a, dans la nature, de l’évidence et, principalement, de la croyance. […] De sa double origine il tenait une double nature. […] Toute la beauté de la nature est dans le moindre village. […] Elle est toute imprégnée de la tranquillité pensive de la nature.

1254. (1899) Arabesques pp. 1-223

Depuis, j’ai changé, je me suis mis à préconiser la nature, la vie agissante et la simplicité. […] Je préconisais « le retour à la nature » : cela parut presque baroque, et des plaisantins me baptisèrent : « le petit Rousseau ». […] Il a nié la femme et la terre, l’éternelle nature, l’éternelle fécondité des choses et des êtres. […] Tous ensemble, vous aimez la nature. […] M. de Régnier, qui étudie la nature en jouant de la flûte sous les fenêtres de l’Institut, le trouve sublime.

1255. (1864) Le roman contemporain

À dix-sept ans, elle aspira à s’isoler de l’humanité et à vivre dans un désert champêtre en face des grands tableaux de la nature. […] Mais le célibat des prêtres est un fait épouvantable et contre nature. […] Comme peintre de la nature, il n’oublie ni un brin d’herbe dans un sentier, ni une feuille qui tremble, ni un insecte posé sur cette feuille. […] C’est un réaliste à outrance qui, debout en face de la nature morale comme en face de la nature physique, avec son scalpel et sa cornue, compte les muscles, les nerfs et les fibres, et décompose avec des réactifs tout ce qu’il n’a pas pu disséquer. […] — C’est comme je vous le dis, et Thomas s’écriait : « Voyez comme c’est nature !

1256. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

On devine aussi à ce moi une nature positive que n’a dû entamer ni attendrir en aucun temps la rêverie. […] Cette faculté d’attention, comme la mémoire qui en est le résultat, constitue un signe et un don inséparable des natures prédestinées. […] L’orgueil est immense de sa nature : il détruit tout ce qui n’est pas assez fort pour le comprimer ; de là encore les succès de ce prosélytisme. […] Heureux les hommes qui passent sur la terre dans un de ces moments de repos qui servent d’intervalle aux convulsions d’une nature condamnée et souffrante !   […] La nature des êtres, les opérations de l’intelligence et les bornes des possibles nous sont inconnues.

1257. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

C’est que la large nature conciliante assemble dans ses chœurs au même titre les ministres de destruction et les ministres de vie. […] La marque propre du génie est la découverte de quelque large région inexplorée dans la nature humaine, et cette marque leur manque ; ils témoignent seulement de beaucoup d’habileté et de savoir. […] Toujours les poëtes de cette école se promènent, regardant la nature et pensant à la destinée humaine ; c’est leur attitude permanente. […] Pour les âmes ainsi faites, la grande consolation, c’est la nature. […] Est-ce qu’il n’y a pas une communauté de nature entre tous les vivants de ce monde ?

1258. (1896) Le livre des masques

De page en page, ce mot surgit ; un recueil tout entier, les Campagnes hallucinées, ne l’a pas délivré de cette obsession ; l’exorcisme n’était pas possible, car c’est la nature et l’essence même de M.  […] Avec lui, on participe aux plaisirs d’une vie normale et simple, aux désirs de la paix, à la certitude de la beauté, à l’invincible jeunesse de la Nature. […] Sarcey, à propos du lamentable Murger : « About lui donna un sujet de roman ; il n’en fit rien : c’était décidément un paresseux. » Il est très difficile de persuader à de certains vieillards — vieux ou jeunes — qu’il n’y a pas de sujets ; il n’y a, en littérature, qu’un sujet, celui qui écrit, et toute la littérature, c’est-à-dire toute la philosophie, peut surgir aussi bien à l’appel d’un chien écrasé qu’aux exclamations de Faust interpellant la Nature : « Où te saisir, ô Nature infinie ? […] Stuart Merrill on découvre le contraste et la lutte d’un tempérament fougueux et d’un cœur très doux, et selon que l’emporte l’une des deux natures, on entend la violence des cuivres ou le murmure des violes. […] Verlaine est une nature, et tel, indéfinissable.

1259. (1923) Nouvelles études et autres figures

Mais le sentiment de la nature chez Hésiode ne ressemble point au sentiment de la nature des poètes modernes ou même d’un poète comme Virgile. Les mots d’amour de la nature n’auraient aucun sens, pour lui. La nature n’est pas une amie. […] La nature n’est pas non plus une ennemie. […] Et tous deux immobilisent la nature.

1260. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Mais pourquoi prétendre que ce moment est celui qui le montre le plus à nu dans sa nature ? […] Le duc d’Orléans, le Régent, cette riche et vigoureuse contre-partie du duc de Bourgogne, cette revanche effrénée du pur génie et de la nature, est bien vu, indulgemment senti, largement crayonné.

1261. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pailleron, Édouard (1834-1899) »

Les cruautés indifférentes de la nature et de la société y palpitent. […] Ce sont là des moments de la nature faits pour le poète !

1262. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Theuriet, André (1833-1907) »

André Lemoyne Ce qui ressort surtout des poèmes d’André Theuriet, c’est l’amour de la nature forestière, l’intime souvenir de la vie campagnarde et, en même temps, une pitié profonde pour les souffrants, les déshérités de ce monde qui vont courbes sur la glèbe ou errants sur les routes, à l’heure où le soir tombe et quand s’illumine dans la nuit la fenêtre des heureux. […] L’un et l’autre aiment la nature, la contemplent du même œil et l’idéalisent en la copiant.

1263. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 223-229

un Roman, où la monotonie des incidens, l’uniformité des ressorts, l’afféterie du style, l’imbécillité des personnages, forment un contraste perpétuel avec le bon sens, le bon goût, & la nature des objets qu’on y traite ! […] Et tandis qu’au milieu de l’alarme générale, le Philosophe murmuroit peut-être contre la Nature, ou ne songeoit qu’à sa gloire en préparant le froid projet d’un nouvel Edifice, le Peuple, ce Peuple qui ne raisonne pas, mais qui fait toujours agir efficacement pour le bien général, exposoit sa vie, la sacrifioit, afin de retarder, de quelques momens, le trépas de tant d’Infortunés.

1264. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222

A la tête de l’ouvrage, on trouve le traité des Beaux-Arts réduits à un même principe, qui est l’imitation de la belle nature : principe simple, aisé à saisir, facile à expliquer, également propre à soulager l’artiste qui travaille & l’amateur qui juge. Mais qu’est-ce que la belle nature ?

1265. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Et quelle joie de nature égale cette joie de société que l’homme se fait ! […] … Cette nature si féminine de Sainte-Beuve a cela surtout de la femme, qu’il se met en colère, quand il sent avoir tort. […] * * * — Il n’y a pas d’homme de nature fausse ou tortueuse, sur lequel ne soit écrit en quelque coin de la bouche ou de l’œil : « Garde à toi !  […] Alors j’ai songé à tous ces blagueurs qui soutiennent que la nature est la leçon et la source de toute bonté. […] mais c’est une création de l’homme, et sa plus grande, et sa plus merveilleuse, et sa plus divine, dirais-je par habitude — une création contre nature.

1266. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

C’était moins encore un auteur qu’une nature, une spécialité de nature, quelque chose d’impromptu et d’irrésistible. […] La nature l’avait fait inepte à d’autres professions, et quand il ne l’aurait pas été absolument, l’éducation n’avait rien fait pour redresser à temps la nature. […] Son grain d’âcreté le distingue essentiellement d’un autre original dont on est tenté parfois de rapprocher le nom du sien, Scarron, le premier d’un vilain genre, mais le premier, et un burlesque de nature. […] Il n’entendait rien, d’ailleurs, à l’étude de la nature, aux lois physiques générales. […] Mllede Bar l’appelle en un endroit « ce truand de Médalon. » Cela ne nous dit pas de quelle nature étaient ses provisions de voyage.

1267. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Non, si nous considérons la nature des idées élaborées dans ces deux cerveaux. […] Ils sont sous le coup de la plus sévère revanche de la nature offensée. […] » Plus simplement, les lois de la nature peuvent être discutées, niées, attaquées. Elles auront toujours le dernier mot, et il y a une nature sociale, comme il y a une nature physique. […] Il existe une nature sociale, comme il existe une nature physique, c’est-à-dire des lois de l’ordre humain, comme des lois de l’ordre mécanique, chimique, biologique.

1268. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Ainsi M. de La Mennais, qui, lorsqu’il était encore à la Chesnaye, voulait prendre pour cachet un chêne brisé par le tonnerre, avec cette devise : Je romps et ne plie pas, a vu réaliser son défi ; et cette haute, cette noble nature peut méditer aujourd’hui autour de son chêne en éclats. Il s’est passé, chez M. de Lamartine, depuis peu d’années, une révolution intérieure, semblable et analogue à celle qui a du lieu dans M. de La Mennais : c’en est l’exact pendant, si l’on tient compte de la différence de leurs talents et de leurs natures. […] Avec sa généreuse et facile indulgence, il a favorisé à l’entour ce qu’il importait plutôt de restreindre, et, dans les propres développements de sa riche nature, il est allé, cédant de plus en plus lui-même à ce qu’il eût fallu repousser.

1269. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

On ne se figure pas l’enivrement d’une vie qui s’écoule ainsi à la face du ciel, la flamme douce et forte que donne ce perpétuel contact avec la nature, les songes de ces nuits passées à la clarté des étoiles, sous un dôme d’azur d’une profondeur sans fin. […] 480 » Sa prédication était suave et douce, toute pleine de la nature et du parfum des champs. […] Le propriétaire n’a qu’un mince privilège ; la nature est le patrimoine de tous.

1270. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence en général. » pp. 177-192

Convient il de dire les choses autrement que la nature les dicte, qu’un sens droit les présente, & que le sujet l’exige ? […] C’est un talent, c’est un don de la nature, aussi bien que la poësie. […] C’est à la physique, dit-il, à les étudier parfaitement ; c’est à elle à tâcher d’en découvrir la nature, les causes, les caractères & les effets, moyennant la liaison de l’ame avec le corps.

1271. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 12, des siecles illustres et de la part que les causes morales ont au progrès des arts » pp. 128-144

Il ne s’acheve point aucune révolution physique dans la nature en l’espace de cent ans, ainsi qu’il se fait une révolution physique dans la nature dans le terme d’une année, qui est cette révolution du soleil qu’on nomme annuelle. […] J’appelle ici causes morales, celles qui operent en faveur des arts, sans donner réellement plus d’esprit aux artisans, et en un mot sans faire dans la nature aucun changement physique, mais qui sont seulement pour les artisans une occasion de perfectionner leur génie, parce que ces causes leur rendent le travail plus facile, et parce qu’elles les excitent par l’émulation et par les recompenses, à l’étude et à l’application.

1272. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Armé, il l’était comme personne ne le fut peut-être par la nature de son esprit étincelant, acéré et rapide ; mais il ne l’était pas par le caractère, les principes, la conviction réfléchie et la dernière ressource de la vie, — une profonde moralité. […] Il y a là une fièvre de sang dont on s’étonne, jusqu’à l’horreur, de voir frissonner cette nature sensible, comme disent les badauds ou les Tartuffes de sentiment (qu’ils choisissent !) […] oui, je ne connais que trop ces natures dangereusement sensibles, qu’une notion morale, qu’une vue d’impartialité et de justice n’arrête jamais sur la pente de leur exécrable sensibilité, et, pour mon compte, je n’y crois pas et je n’en veux plus !

1273. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Pendant que nous nous civilisons de plus en plus et que le Réalisme, cet excrément littéraire, devient l’expression de nos adorables progrès, un poète de nature, de solitude et de réalité idéalisée, nous donne un poème fait avec des choses primitives et des sentiments éternels. […] Et cependant, si le caractère distinctif du poète épique est de voir grand, de jeter sur la nature un de ces regards dans lesquels elle se peint plus grande qu’elle n’est réellement, en dehors de ce regard transfigurateur, il faut bien convenir que l’auteur de Mirèio a dans le talent quelque chose du poète épique, et son poème est là pour le prouver. […] Mistral tient un tel espace, il a besoin d’un tel champ pour se déployer dans sa magnificence ou dans son charme, un peu farouches tous les deux ; ses bas-reliefs fourmillent de tels détails, que de tous les poètes, difficiles à citer dans un chapitre de la nature de celui-ci, il est peut-être le plus difficile.

1274. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Je suis intimement convaincu qu’il avait en lui la racine de toutes les poésies, mais il fut plus spécialement entraîné vers la poésie dramatique et l’étude de la nature humaine, et pour creuser dans cette poésie-là et dans cette étude, il n’avait pas besoin de l’émotion de ces voyages qui furent peut-être nécessaires au génie du poète de la Lusiade et du chantre de Childe Harold. […] Lui, l’homme des héros et d’un Idéal trop haut pour n’être pas étroit, l’homme à qui on a reproché de pousser la nature humaine jusqu’à l’abstraction, à la plus impossible des abstractions, sentit sur le tard de sa vie combien cette malheureuse nature humaine est concrète.

1275. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Intellectuellement, l’auteur des Amours d’Italie ne s’est pas italianisé… Sa nature forte, mais épaisse, a résisté et ne s’est pas fondue à l’air transparent que ne respirèrent jamais impunément, même les Barbares… Il a été moins heureux que Beyle, Beyle l’esprit sec et cruellement positif, le Voltairien, l’Américain, l’anti-poétique, et dont cette magicienne d’Italie avait fini par faire… l’auteur de La Chartreuse de Parme, avec le droit d’écrire sur son tombeau : Ci-gît Henri Beyle, le Milanais. […] Il a de l’invention dans les faits, mais on est plus poëte en découvrant et en peignant ce qui est dans la société ou dans la nature qu’en inventant des événements et leurs tintamarres de complications. […] Seulement l’originalité et le sens de ce petit roman, digne d’être publié à part, ne sont pas dans la passion criminelle du pasteur protestant et dans les détails de sa chute ; ils sont dans la situation de cet homme supérieur, dont le cœur est dévoré, les sens enivrés, mais dont, malgré ces tumultes, la haute raison touche au génie, et qui succombe, entraîné par la nature humaine, parce que son Église, à lui, ne l’a pas gardé, en faisant descendre dans sa vie la force de l’irrévocable !

1276. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

Ils tâchent d’étendre et d’agrandir la raison universelle ; de reculer les limites de toutes les connaissances ; d’élever la nature morale ; de dompter et d’assujettir à l’homme la nature physique ; d’établir pour nos besoins une correspondance entre les cieux et la terre, entre la terre et les mers, entre leur siècle et les siècles qui ne sont plus, ou ceux qui seront un jour ; de contribuer, s’il est possible, à la félicité publique, par la réunion des lumières, comme ceux qui gouvernent y travaillent par la réunion des forces.  […] Ce serait un exemple à présenter, je ne dis pas seulement aux princes, mais à une foule de citoyens qui, embarrassés de leur opulence, prodiguent leurs richesses en bâtiments, en luxe, en chevaux, en superfluités aussi éclatantes que ruineuses, transportent des terres, aplanissent des montagnes, font remonter des eaux, tourmentent la nature, construisent pour abattre, et abattent pour reconstruire, se corrompent et corrompent une nation, achètent avec des millions des plaisirs de quelques mois, et dans quelques années échangent leur fortune contre de la pauvreté, des ridicules et de la honte.

1277. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Toutefois, du temps d’Aristote, il circulait des chants orphiques, et lui-même en discute un passage sur la nature de l’âme. […] Comme la contemplation de la nature est une des choses qui répondent le mieux à cette paix de l’âme et à ce ton moyen de la poésie, nul doute qu’elle n’eût souvent place dans les vers d’Aleman. […] Virgile, imitant un poëte d’Alexandrie, mais avec une sensibilité tout originale, nous semblait lui devoir en partie ces vers d’un charme sans égal, où le repos de la nature est dépeint à côté du trouble de Didon : Nox erat, et placidum carpebant fessa soporem Corpora per terras ; silvæque et sæva quierant Æquora, cum medio volvuntur sidera lapsu ; Cum tacet omnis ager ; pecudes pictæque volucres, Quæque lacus late liquidos, quæque aspera dumis Rura tenent, somno posita sub nocte silenti, Lenibant curas et corda oblita laborum ; At non infelix animi Phœnissa.

1278. (1896) Études et portraits littéraires

Il proclame avec Hegel que la nature n’a pas de fond. […] Baignée dans l’éther vibrant, la nature se peuple d’illusions. […] L’air de la Bauche éveilla cette nature sommeillante. […] C’est l’épanouissement de la nature, et c’est cela même que souvent on appelle la nature, bien, fin, perfection, nature vraie, c’est tout un. […] Il croyait entendre expirer à la porte les bruits de la nature en travail.

1279. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’esprit universel peut tout ; la fortune avare et aveugle ne nous donne qu’un rôle quand la nature nous a façonné souvent pour tous les rôles à la fois ; voilà pourquoi il est si cruel pour les riches natures de mourir sans avoir, comme elles disent, accompli leur destinée. […] C’était une violence contre la nature des choses qui ne pouvait, comme toutes les violences de cette nature, aboutir qu’à l’impuissance et à la ruine de la France. […] La diplomatie manquait complétement à sa nature. […] Thiers, tant doué par la nature sous le rapport de l’intelligence, de la justesse, de la délicatesse du coup d’œil, de l’aptitude à tout, de l’esprit, n’a pas été doué au même degré de la faculté d’exprimer, en écrivant, sa pensée ; ce qui est juste, c’est d’avouer que M.  […] Jamais, dans un temps d’anarchie et d’illusions philosophiques sur la constitution des sociétés civiles ; jamais le néant des systèmes et l’infaillibilité de la nature, en matière de pouvoir, ne s’étaient incarnés plus fortement que dans ce jeune homme.

1280. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

La nature s’en attristera quelquefois, et ce sera beaucoup si vous le supportez en silence. » Il avait fait de la métaphysique, et il en était revenu : « Qu’avons-nous à faire de ces disputes de l’école sur le genre et l’espèce ?  […] Ici, du moins, la nature et la grâce sont d’accord. […] Sentez-vous la revanche de la nature ? […] Assurément, les institutions jacobines et napoléoniennes sont artificielles et oppressives ; mais, en quatre-vingt-dix ans, n’ont-elles pu modifier le peuple qu’elles enserrent dans leurs cadres et lui faire une autre nature ? […] Puis il a compris et aimé les humbles héroïques (l’Alpe homicide) et hanté la montagne et la vierge nature avant les salons.

1281. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Nous ne changerons donc rien à n’importe quel Temps, réel ou fictif, du système S′ si nous supposons que ce système est un duplicata du système S, car le contenu du système, la nature des événements qui s’y déroulent, n’entrent pas en ligne de compte : seule importe la vitesse de translation du système. […] Ils observent les mêmes relations entre phénomènes, ils trouvent à la nature les mêmes lois. […] Sans doute le théoricien de la Relativité entend donner aux lois de la nature une expression qui conserve sa forme, à quelque système de référence qu’on rapporte les événements. […] Non pas qu’Einstein ait dû la commettre ; mais la distinction que vous venons de faire est de telle nature que le langage du physicien est à peine capable de l’exprimer. […] D’après la théorie de la Relativité, les relations temporelles entre événements qui se déroulent dans un système dépendent uniquement de la vitesse de ce système, et non pas de la nature de ces événements.

1282. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Le baron d’Holbach en a hérissé son Système de la Nature. […] M. de Buffon en développe un semblable dans la septième des époques de la nature. […] On le sent, on le voit à l’élégance travaillée de ses descriptions, et quelquefois même à un certain luxe de naïveté qui n’est pas la nature. […] Et, cependant, je n’attribue pas tout à la nature ; ton art, mon gracieux Shakspeare, doit avoir une grande part. […] Tout lui plaît ; tout répond à sa nature, et l’étonne sans le heurter.

1283. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Barbier, en assombrissant les couleurs de sa pensée, a obéi à la nature du modèle qui posait devant lui ; il a été logique dans sa diversité. […] Une pareille poétique ne va pas à moins qu’à supprimer tous les éléments élevés de notre nature, c’est-à-dire la meilleure partie de la poésie. […] Si la nature est le dernier mot de l’art humain, Phidias et Raphaël sont bien au-dessous des figures de Curtius. […] Dumas serait encore bien loin de compte ; car il n’a reproduit dans ses œuvres que la partie la plus grossière de la nature. […] Certes, il faudrait une nature singulièrement forte pour résister à la popularité.

1284. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Dans l’intervalle, et pendant le séjour qu’il fit en Lombardie, à Milan, à Brescia, à Bergame, à cet âge de moins de vingt ans ; au milieu de ces émotions de la gloire et de la jeunesse, de ces enchantements du climat, du plaisir et de la beauté, il acheva son éducation véritable, et il prit la forme intérieure qu’il ne fera plus que développer et mûrir depuis : il eut son idéal de beaux-arts, de nature, il eut sa patrie d’élection. […] Beyle y apprend le premier à la France le nom de certains chefs-d’œuvre que notre nation mettra du temps à goûter ; il exprime à merveille, à propos des Cimarosa et des Mozart, la nature d’âme et la disposition qui sont le plus favorables au développement musical. […] Il commence cette petite guerre qu’il fera au caractère de notre nation, chez qui il veut voir toujours la vanité comme ressort principal et comme trait dominant : « La nature, dit-il, a fait le Français vain et vif plutôt que gai. » Et il ajoute : « La France produit les meilleurs grenadiers du monde pour prendre des redoutes à la baïonnette, et les gens les plus amusants. […] Ainsi, d’après cette vue, Sophocle, Euripide, Corneille et Racine, tous les grands écrivains, en leur temps, auraient été aussi romantiques que Shakespeare l’était à l’heure où il parut : ce n’est que depuis qu’on a prétendu régler sur leur patron les productions dramatiques nouvelles, qu’ils seraient devenus classiques, ou plutôt « ce sont les gens qui les copient au lieu d’ouvrir les yeux et d’imiter la nature, qui sont classiques en réalité ». […] Aujourd’hui il m’a suffi de donner quelque idée de la nature des services littéraires que Beyle nous a rendus.

1285. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Il n’a été donné à personne en son temps d’imiter Voiture ; le seul que la nature semble avoir créé alors pour être son second tome, un peu moindre, mais faisant suite sans effort, c’est Sarazin. […] Toutefois, le bon sens y est ; dès qu’un certain nombre d’hommes sont en présence, il est toujours quelque part, grâce à la diversité et à la contrariété des natures ; et si, plus tard, la postérité croit trouver la première les jugements justes et se flatte en quelque sorte de les inventer, c’est qu’elle n’a pas été informée des contradictions et protestations contemporaines : mais, après tout, les hommes qui se voient de près ne sont pas tous dupes ou enthousiastes, ils se connaissent et se jugent ou tout haut ou tout bas, mais aussi bien qu’on le fera jamais. […] Il a jugé que cette sorte d’éloquence ne pouvait souffrir deux Balzacs, non plus que l’empire d’Asie deux souverains, et le monde deux soleils ; que même la nature, je dis la jeune nature, lorsqu’elle était la plus féconde en miracles34, eût eu de la peine de produire en France deux hommes faits comme vous, et que sur son déclin, pour vous donner au monde, elle a épuisé ses derniers efforts. […] [NdA] Costar se souvient ici du beau passage et de la belle expression de Sénèque, peignant dans toute leur sève et leur jet vigoureux les premiers grands hommes encore voisins de l’origine des choses, et qui en avaient retenu je ne sais quel souffle divin : « … Alti spiritus viros et, ut ita dicam, a Diis recentes. » La jeune nature, c’est le « Mundus nondum effetus » qui vient après (Lettres à Lucilius, XC).

1286. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Les nouvelles recrues, arrivées du fond des campagnes et des provinces du centre, d’où la misère les chassait, furent une grande ressource, et ces natures patientes, habituées à peiner et à pâtir sans murmure, rendirent du nerf à l’armée. […] De tels résultats ne s’obtenaient pas sans bien des soins, de l’application, et sans une nature particulière de génie. […] Et puis cette nature discrète et décente de Fénelon, qui était le goût suprême, devait être choquée de bien des outrecuidances de Villars, lui reconnaît cependant de l’ouverture d’esprit, de la facilité à comprendre, « avec une sorte de talent pour parler noblement ; quand sa vivacité ne le mène pas trop loin » ; et il ajoute « qu’il fait beaucoup plus de fautes en paroles qu’en actions ». […] Ma conclusion est qu’il faut acheter l’armistice à quelque prix que ce puisse être, supposé qu’on ne puisse pas finir les conditions du fond avant le commencement de la campagne. » Or, l’honneur de Villars est précisément, par des moyens qui étaient en lui et qu’il puisait dans sa nature assez peu fénelonienne, d’avoir su remédier à ce découragement universel, et d’avoir tiré des étincelles d’héroïsme là ou les plus pénétrants ne voyaient plus qu’une entière prostration. […] Le mot que Villars avait redit si souvent à sa cour durant ces dernières campagnes se trouva justifié : « Il ne faut qu’un moment pour changer la face des affaires peut-être du noir au blanc. » Villars, libre enfin de se livrer à l’activité qui était dans sa nature, assiégea et reprit en moins de quatre mois, sous les yeux d’Eugène réduit à l’inaction, Douai, Le Quesnoy, Bouchain, les places que l’ennemi avait conquises sur nous en trois campagnes.

1287. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Il s’agit d’indiquer que Mme Swetchine, retirée alors dans ses terres, manqua Mme de Staël au passage de cette dernière en Russie (1811), et que lorsqu’elle revint à Pétersbourg, elle ne l’y trouva plus ; voici comment M. de Falloux s’exprime : « Lorsque Mme Swetchine fut ramenée au centre habituelde son existence, elle n’y trouva plus qu’un brillant souvenir. » Il y en a, dit Pascal, qui masquent la nature : ils ne disent point Paris, mais la capitale du royaume ; ils ne disent point Pétersbourg, mais le centre habituel de l’existence. […] Il faut une sorte d’analogie, il faut être différemment semblables pour s’entendre tout à fait, pénétrer dans tous les replis, et acquérir cette parfaite connaissance d’un autre qui découvre entièrement son âme à nos yeux… Il me semble toujours que les âmes se cherchent dans le chaos de ce monde, comme les éléments de même nature qui tendent à se réunir ; elles se touchent, elles sentent qu’elles se sont rencontrées : la confiance s’établit entre elles sans qu’elles puissent souvent assigner une cause valable ; la raison, la réflexion viennent ensuite apposer le sceau de leur approbation à ce traité, et croient avoir tout fait, comme ces ministres subalternes qui s’attribuent les transactions faites entre les maîtres, rien que parce qu’il leur a été permis de placer leur nom au bas. […] Votre sort est à peine ébauché, vous serez épouse et mère, et c’est dans le centre de ces heureuses affections que vous coulerez des jours dont le reflet encore suffira pour embellir ceux de vos amis. » A tout moment elle trahit son impétuosité de cœur, son fonds de nature première, avec une expansion que plus tard elle réprimera : «… Je suis plus difficile à guérir que le roi d’Angleterre (Georges III, qui avait des temps de folie) ; quel est donc votre talent si vous y réussissez ? […] Elle se montrait plus vraie et plus franche de nature que le monde artificiel au milieu duquel elle était encadrée. […] De tels sentiments sont de l’ordre le plus respectable et des plus faits pour honorer la nature humaine : sans eux qu’est la vie, même la plus aimable ?

1288. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

« Tout à vous, « George S. » Cependant la fatalité avait son cours : cette nature exceptionnelle de femme et d’artiste, livrée à elle-même et sans appui, ne pouvait se retenir sur cette pente : il y eut, en ces mois avant-coureurs du printemps, des ennuis, des déchirements, des essais brisés et des reprises dont je ne fus parfaitement informé qu’un peu plus tard. […] Le mois d’août avait été témoin d’un changement soudain, d’un renouvellement moral dans cette riche nature, dont le désespoir et les malédictions n’étaient le plus souvent que dans le trop-plein d’ambitions, de désirs et d’espérances.  […] Je crois qu’être moral, c’est espérer : moi, je n’espère pas ; j’ai blasphémé la nature et Dieu peut-être, dans Lélia ; Dieu qui n’est pas méchant, et qui n’a que faire de se venger de nous, m’a fermé la bouche en me rendant la jeunesse du cœur et en me forçant d’avouer qu’il a mis en nous des joies sublimes ; mais la société, c’est autre chose : je la crois perdue, je la trouve odieuse, et il ne me sera jamais possible de dire autrement. […] — Les souvenirs, en général, me sont chose si chère et si douloureuse que je n’aime pas à y insister à moins qu’on ne m’y oblige. — Mais à ceux qui m’interrogent sur ce que je pense à mon tour de l’auteur des éloquents Mémoires, je réponds : Vous la connaissez par là comme par tant d’autres endroits de ses écrits, mais vous ne la connaissez encore qu’à demi : il y a des parties plus profondes, plus vives, qu’elle a raison, du moins maintenant, de ne pas dire, et seulement d’indiquer : si on savait tout d’elle, je ne parle pas de l’admiration, mais l’estime pour sa nature et la sympathie même augmenteraient. […] En un mot, elle a la puissance et le cœur, et plus on la connaîtrait en tous ses orages, plus on lui resterait attaché par cet attrait qui intéresse aux natures singulières en même temps que par ce nœud qui lie aux êtres profondément humains.

1289. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Et pourtant elle était dès lors la même ; mais sa nature morale, si complète, savait si bien se régler qu’elle ne semblait pas se contraindre. […] La jeune Phlipon, dans son avidité de savoir, dans son instinct de talent, lit toutes sortes d’auteurs, s’en rend compte, en fait des extraits, et s’en entretient, non sans étude, avec son amie : « Car, dit-elle très-judicieusement, on n’apprend jamais rien quand on ne fait que lire ; il faut extraire et tourner, pour ainsi dire, en sa propre substance, les choses que l’on veut conserver, en se pénétrant de leur essence. » Esprit ferme et rare, chez qui tout venait de nature, même l’éducation qu’elle s’est donnée ! […] C’était au physique comme un redoutable jugement de la nature qui passait au creuset chaque beauté. […] Je barbouille du papier à force, quand la tête me fait mal ; j’écris tout ce qui me vient en idée : cela me purge le cerveau… Adieu, j’attends une cousine qui doit nous emmener à la promenade ; mon imagination galope, ma plume trotte, mes sens sont agités, les pieds me brûlent. — Mon cœur est tout à toi. » Si calme, si saine qu’on soit au fond par nature, il semble difficile qu’en ce jeune train d’émotions et de pensées, on reste longtemps à l’entière froideur, avec tant de sollicitations d’être touchée. […] En vain se répète-t-elle le plus qu’elle peut et avec une grâce parfaite : « Je veux de l’ombre ; le demi-jour suffit à mon bonheur, et, comme dit Montaigne, on n’est bien que dans l’arrière-boutique ; » sa forte nature, ses facultés supérieures se sentent souvent à l’étroit derrière le paravent et dans l’entresol où le sort la confine.

1290. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

La nature en tous les ordres n’est pleine que de cela. […] Dijon et ses antiquités héroïques, et cette fraîche nature peuplée de légendes, emplissaient son cœur. […] Singulière, insaisissable nature, que les gens du monde auraient peine à comprendre et que les artistes reconnaîtront bien ! […] Si j’avais à choisir entre les pièces pour achever l’idée du portrait, au lieu des joujoux gothiques déjà indiqués, au lieu des tulipes hollandaises et des miniatures sur émail de Japon qui ne font faute, je tirerais de préférence, du sixième livre intitulé les Silves, les trois pages de nature et de sentiment, Ma Chaumière, Sur les Rochers de Chévremorte, et Encore un Printemps. […] Faut-il prétendre, par ces tristes exemples, corriger les poëtes, les guérir de la poésie ; et pour eux, natures étranges, le charme du malheur raconté n’est-il pas plutôt un appât ?

1291. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

De la nature, le jeune magistrat tenait une certaine sensualité que les mœurs contemporaines développèrent en polissonnerie intellectuelle. […] Ainsi l’habitude de penser par épigrammes ou par sentences passe chez lui en nature. […] Les lois sont les rapports nécessaires qui résultent de la nature des choses. […] Montesquieu, qui se souvient parfois des causes physiques, semble ignorer absolument que la matière sur laquelle travaillent les législateurs, l’humanité vivante, contient en puissance une infinité d’énergie, qu’elle n’est pas seulement le champ de bataille que la loi dispute à la nature, qu’elle peut trancher à chaque instant le différend par ses forces, ses tendances intérieures, et qu’enfin c’est elle, et elle seule, qui fait la loi puissante ou inefficace. […] Dès le début de son livre, avant la naissance des sociétés, il essaie de se représenter l’homme de la nature.

1292. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Les préceptes qu’il donne pour leur plaire et les intéresser en causant, sont le résultat le plus consommé de l’expérience : Dans leur conversation, songez bien à ne les tenir jamais indifférentes ; leur âme est ennemie de cette langueur ; ou faites-vous aimer, ou flattez-les sur ce qu’elles aiment, ou faites-leur trouver en elles de quoi s’aimer mieux ; car, enfin, il leur faut de l’amour, de quelque nature qu’il puisse être ; leur cœur n’est jamais vide de cette passion. […] J’en connais qui n’ont pas moins d’esprit et de discrétion que de charme et de beauté ; mais ce sont des singularités que la nature, par dessein ou par caprice, se plaît quelquefois à nous donner… Ces femmes extraordinaires semblent avoir emprunté le mérite des hommes, et peut-être qu’elles font une espèce d’infidélité à leur sexe, de passer ainsi de leur naturelle condition aux vrais avantages de la nôtre. […] Elles sont d’une parfaite sincérité, et la nature humaine ne s’y déguise et ne s’y guinde en rien : on lui voudrait par moments quelques efforts de plus pour se tenir au-dessus d’elle-même. Saint-Évremond a beau écrire à Ninon : « La nature commencera par vous à faire voir qu’il est possible de ne vieillir pas » ; il a beau lui dire : « Vous êtes de tous les pays, aussi estimée à Londres qu’à Paris ; vous êtes de tous les temps, et quand je vous allègue pour faire honneur au mien, les jeunes gens vous nomment aussitôt pour donner l’avantage au leur : vous voilà maîtresse du présent et du passé… » ; malgré toutes ces belles paroles, Ninon vieillit, elle a ses tristesses, et sa manière même de les écarter peut sembler plus triste que tout : Vous disiez autrefois, écrit-elle à son ami, que je ne mourrais que de réflexions : je tâche à n’en plus faire et à oublier le lendemain le jour que je vis aujourd’hui. […] Toutes les deux en ce temps-là tenaient le sceptre de l’esprit, et passaient pour les arbitres des élégances… La dernière avait été façonnée de telle sorte par la nature qu’elle semblait une Vénus pour la beauté, et pour l’esprit une Minerve.

1293. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

Mais l’intelligence en vient à se demander s’il n’y a pas de l’inconnu qui ne serait ni phénomène ni loi de phénomènes, et qui, à ce titre, serait inconnaissable en vertu de sa nature et de la nôtre. […] Cette hypothèse, la nature la vérifie pour l’homme éveillé ; dans le rêve, le déterminisme fait place à des contradictions et à des absences de cause. […] Le postulat auquel nous sommes arrivés est antérieur à la démonstration, antérieur à la connaissance définie ; il est aussi ancien que la nature même de notre esprit. […] L’impossibilité pour la volonté et la pensée de sortir de sa propre nature crée la nécessité subjective, laquelle produit la nécessité et l’universalité objectives. […] Le naturalisme matérialiste se figure un monde complet en soi indépendamment de tout élément d’ordre mental, de tout rudiment de conscience, de sentiment, de désir, une sorte d’univers qui existerait et se suffirait alors même que nulle part il n’arriverait à sentir, à penser, à vouloir ; mais alors, d’où viendrait cette pensée surajoutée au monde par surcroît, étrangère à sa nature essentielle et pourtant capable de surgir du sein des choses, de sentir et de comprendre l’insensible et inintelligent univers ?

1294. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef a fixé dans ses livres quelques-unes des âmes les plus complexes et les plus vraies qu’un romancier ait déchiffrées, des caractères à contradictions subites, à retraites dissimulées, des natures variables et à peine intelligibles des individus, et non plus quelques généralisations correctes, plus ou moins particularisées, d’un type habituel, d’un vice ou d’une vertu. […] Ses femmes passent par toutes les dégradations variables de leur nature, et chacune, de la jeune fille à l’aïeule, possède quelque particularité originale et illogique, quelque trait réellement vivant, qu’aucune classification ne peut saisir, M.  […] « La nature m’a beaucoup donné, écrit-il, mais je mourrai sans avoir rien fait. […] Ils délassent de la rudesse de nos grands romanciers, par un esprit plus large et plus libre, par une sympathie miséricordieuse pour les souffreteux, les meurtris de la vie, les êtres incomplets, racornis et humbles ; leur air d’excuse pour les faiblesses et les lares de la nature humaine a quelque chose de la belle tendresse cordiale avec laquelle Rembrandt a peint les pauvres et les simples d’esprit. […] Par ce commerce avec la nature humaine profonde, infiniment fugace et variable, il est resté plein de compassion, s’abstenant également des conclusions optimistes et de la misanthropie, dans une humeur large et patiente, propice à lui laisser découvrir en tout acte et en tout caractère une part de fatalité, quelque chose d’inévitable méritant l’excuse.

1295. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Cette philosophie, nous l’avons vu, serait la nôtre, s’il ne s’y mêlait pas deux points de vue de nature opposée et presque contradictoire : l’un, vraiment philosophique, qui ramène le beau à la part de généralité et de raison que contiennent les ouvrages d’esprit : l’autre, que je me permets d’appeler peu philosophique, et qui mesure la beauté et la vérité des écrits au degré de leur conformité avec les opinions moyennes, qui composent ce qu’on appelle à tort ou à raison le sens commun. […] Le théâtre français n’est ni religieux ni national, il est humain ; son objet, c’est la nature humaine, la vie humaine dans sa plus grande généralité. […] Nisard ici cite Saint-Simon : « Saint-Germain, dit celui-ci, offrait à Louis XIV une ville toute faite ; il l’abandonna pour Versailles, le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux, sans vue, sans bois, sans eau, parce que tout y est sable mouvant et marécage ; il se plut à y tyranniser la nature et à la dompter à force d’artet de trésors. […] « tyranniser la nature » serait le comble du génie humain ! […] Dans Versailles, je vois précisément l’amour du factice, le goût du despotisme exercé jusque sur une nature inerte, la haine et l’oubli de la tradition, le contraire enfin du génie libre et spontané.

1296. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Ses préceptes brillant d’une lumiere pure, Semblent être puisés au sein de la nature. […] Ensuite quand le cœur & l’esprit du disciple sont assez formés, il lui ouvre les trésors de la Rhétorique, il lui en découvre la nature, la fin & les moyens. […] On commençoit à préférer le clinquant à l’or pur ; on rejettoit les pensées que la nature dicte pour courir après celles que l’art suggére. […] On y trouve des caractères soutenus, des portraits d’après nature, des contrastes menagés avec art, une composition variée, des comparaisons justes. […] Personne ne peut ignorer que le talent de l’éloquence dans ce degré éminent, où s’éléve un assez petit nombre d’hommes privilégiés, ne soit un present de la nature, comme tous les dons du génie.

1297. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

On sent, même avec une oreille à demi profane, combien dans ce dialecte dorien l’ouverture des sons se prête à peindre largement les perspectives de la nature. […] Plus on porte vivant au dedans de soi le sentiment de poétique immortalité, plus on est prêt à se révolter contre cette insensibilité de la nature, et contre cette immortalité suprême qui la laisse indifférente à notre départ, et aussi belle, aussi jeune après nous que devant. […] La plénitude de la vie, la fraîcheur des amitiés premières, l’essor des espérances poétiques qu’anime et couronne déjà le premier rayon de la gloire, ces vives sources d’inspiration s’y jouent au sein d’une nature radieuse et féconde dont l’hymne grandiose finit par tout dominer. […] La nature humaine est plutôt masquée que changée. […] D’après la plainte amère qu’il exhale, on voit que Théocrite n’a pas échappé au destin commun des poëtes, à cette souffrance des natures idéales et délicates aux prises avec la race dure et sordide.

1298. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Il faut avoir du plaisir, le plaisir est une des fonctions de l’homme ; ce n’est pas en vain que la nature a donné le sourire à nos lèvres : seulement il faut que le plaisir soit innocent, délicat, spirituel, gracieux, et qu’on ne rougisse pas d’avoir joui. […] La nature attique et délicate de son imagination, la nature élégante et raffinée de la cour de Ferrare, ne lui permettaient pas d’hésiter ; il prit son sujet en grâce, en folie, en ironie légère, tel qu’il convenait à un grand poète qui voulait badiner et non corrompre. […] J’avais dix-neuf ans ; le printemps de la nature correspondait au printemps de mes sensations. […] Ici le poète se complaît à décrire une des scènes pastorales de cette nature dont les imaginations poétiques sont le miroir complaisant, et qui rafraîchissent également le lecteur. […] L’Arioste a inventé là aussi beau que nature ; l’invention poétique ne va pas plus loin, et tout est naturel dans ce merveilleux : c’est le merveilleux du cœur ici ; ce n’est pas le merveilleux de la fable ou de la féerie.

1299. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Comparés à ces grands changements que prépare de longue main la nature des choses et qu’accomplissent les vrais grands hommes, ces événements semblent des effets sans cause. […] Ce que Descartes veut connaître, c’est sa propre nature ; et nul ne peut lui en apprendre des choses plus certaines que sa pensée. […] Ces phrases qui se développent avec une sorte de majesté sévère, semblent représenter le mouvement lent et irrésistible dont la nature accomplit ses créations. […] Ses vices ne prennent pas racine en lui, et ses mœurs se corrompent sans que sa nature change. […] Rollin, père par adoption, attentif et tendre comme les meilleurs pères par la nature, semble avoir appris des enfants eux-mêmes l’art de les élever.

1300. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

L’homme, comme la plante, est sauvage de sa nature : on n’est pas homme pour avoir la figure humaine ou pour raisonner sur quelques sujets grossiers à la façon des autres. […] La nature, dirai-je avec Pascal, n’est pas si uniforme. […] Il détruira lui-même l’instrument qui aurait pu servir à l’élever ; il faudra attendre que la civilisation sorte de nouveau spontanément du fond de sa nature. […] Le gouvernement représente la raison, Dieu, si l’on veut, l’humanité dans le sens élevé (c’est-à-dire les hautes tendances de la nature humaine), mais non un chiffre. […] Guizot, qui ont pleine confiance dans la nature humaine.

1301. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

… Il s’est rattrapé en me découvrant une nature de femme très nerveuse, sujette à de fréquentes névralgies, puis le sens de la forme et une assez belle ligne de vie. […] * * * — La vérité, l’homme, par nature, ne l’aime pas, et il est juste qu’il ne l’aime pas. […] Une grosse nature avec un entrain trivial, bas, populacier. […] Dans leurs impressions en couleur, les Japonais seuls, ont osé ces étranges effets de nature. […] Le roman actuel se fait avec des documents racontés, ou relevés d’après nature, comme l’histoire se fait avec des documents écrits.

1302. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Rien, au contraire, ne se fait moins aimer que l’insociable orgueil, également égoïste, mais contre nature, qui affecte un mépris farouche des hommes. […] Il en est encore de même, bien qu’à un moindre degré qu’autrefois, dans l’ordre religieux, qui intéresse l’âme, sa nature et sa destinée. […] Une des plus grandes souffrances pour la nature humaine est celle que donne une idée nouvelle. […] Car l’essence des minorités est d’être actives, et la nullité intellectuelle de ce petit nombre l’assimile au lourd bétail humain que les majorités sont par nature. […] Si elle vous intéresse, il est monstrueux et contre nature que vous ne mettiez pas tout votre soin à la bien rendre

1303. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Étant donnée cette nature, le martyre cruel et immérité qu’un sort aveugle lui envoya devait profondément modifier son caractère. […] Désespéré, Claude cherche un modèle pour poser sa figure du Salon ; les natures banales des ateliers lui sont insupportables. […] Rien que la mer qui se brisait avec fureur, et le vent qui gémissait, et les plaintes bruyantes de la nature tourmentée. […] Nous sommes innocents, et la nature aussi. […] Cette fois ce n’est pas à la nature inanimée que l’auteur a demandé son inspiration ; c’est à la nature humaine, à ses passions.

1304. (1921) Esquisses critiques. Première série

Il les poursuit dans l’art, dans la nature, dans les êtres, et les aiguise par les savantes ressources d’une culture compliquée. […] Il n’a même pas toujours pris la peine de nous fixer exactement sur leur vraie nature. […] Leurs imbroglios sont de même nature, peut-être même plus savants, et témoignent toujours de la même imagination. […] Sacha Guitry montre des actions perverses sans prétendre exposer la nature humaine. […] Marcel Boulenger achève de faire comprendre sa nature : il la fonde sur l’esthétique.

1305. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Il est comique de nature. […] Néanmoins, la diversité fondamentale de sa nature n’est pas oblitérée. […] Il n’y a pas d’opposition pour lui entre la loi et la nature de l’homme ; l’une aide l’autre, mais la nature doit toujours aller devant. […] Est-ce qu’il sent l’affinité de leurs deux natures et se méprise-t-il en lui ? […] Ma nature est trop impressionnable.

1306. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Les étudier, c’est assister à une expérience instituée par la nature. […] Taine admirait tant, semble un tableau de nature morte. […] La seconde est, seule, strictement conforme à la nature du genre. […] C’est là un détail où se résument toutes les singularités de cette nature […] Comme il y a des lois de la nature politique, il y a des lois de la nature littéraire.

1307. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Didot ; ces vues en miniature sont la nature elle-même vue à travers le microscope ; l’atmosphère même est peinte : on croirait voir dans ces petits tableaux à l’encre de Chine une Italie exhumée à travers la distance et la brume des siècles. […] » La philosophie succède tout à coup, et par un retour bien motivé aussi, à l’imprécation ; l’ode, devenue pensive de passionnée qu’elle était, réfléchit gravement sur la criminelle audace des hommes qui luttent avec les forces de la nature supérieure à l’humanité. […] C’est ainsi que procède la nature poétique, qui vole et ne rampe pas comme la prose ; c’est ainsi que les prophètes et les poètes grecs procèdent. […] Chassez la nature à coups de fourche, elle revient vous envahir malgré vous !  […] Je vais vous décrire au long l’assiette et la nature de mon bien.

1308. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Tout autre nom qu’on voudrait lui attribuer est une détermination en contradiction avec sa nature. […] Quand les motifs et mobiles les plus visibles ont été énumérés, nous avons le sentiment que ce n’est pas tout : notre pensée ne peut concevoir autant que notre nature fournit. […] Renouvier, est la fonction d’appeler ou de maintenir dans la conscience, ou d’éloigner de la conscience les idées de toute nature ». […] Déterminons davantage la nature de cette action. […] Par cela même, la liberté n’est pas « sans lois », mais elle a des lois propres, très différentes par leur nature des lois physiques.

1309. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

La nature, disoit-il, semble lui avoir revelé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs & les caractères des hommes. […] Ces différentes productions plaisent à ceux qui aiment à retrouver la nature dans sa plus grande négligence ; mais il ne faut pas le lire de suite. […] Il joint à toute la liberté de la nature tous les agrémens de l’esprit. […] disoient-ils ; c’est la nature pure, quelle naïveté ! […] Son ami la Fare, étoit comme lui, le Poëte de la nature.

1310. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Ernest Feydeau ; c’est un livre qui est de nature à faire beaucoup causer et discuter, à irriter, à passionner bien des lecteurs et des lectrices : ce livre a tout d’abord une qualité que n’ont pas tant d’autres ouvrages qu’on estime et qu’on loue, que l’on commence et qu’on n’achève pas, ou qu’on n’achève qu’avec froideur ; il palpite et il vit. […] Les scènes proprement dites y sont peu dessinées, même les scènes de société, car il n’est pas question de paysage ni du sentiment de la nature. […] Le psychologue est resté en chemin, et, parti du dedans, il n’a pas rejoint le monde du dehors, ce qui est le domaine propre et le règne de nos cinq sens de nature. […] Tout annonce dans ce petit livre une nature trop puissante pour le cadre, et qui le remplit jusqu’à le distendre.

1311. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

La nature étudiée, attaquée par tous les points, poursuivie dans ses détails, embrassée dans ses ensembles, décrite, dépeinte, admirée, connue ; — ce qui reste de barbarie cerné de toutes parts ; — les antiques civilisations rendues de jour en jour plus intelligibles, plus accessibles ; — le contact des religions considérables amenant l’estime, l’explication et jusqu’à un certain point la justification du passé, et tendant à amortir, à neutraliser dorénavant les fanatismes ; — une tolérance vraie, non plus la tolérance qui supporte en méprisant et qui se contente de ne plus condamner au feu, mais celle qui se rend compte véritablement, qui ménage et qui respecte ; — au dedans, au sein de notre civilisation européenne et française, un adoucissement sensible dans les rapports des classes entre elles, un désarmement des méfiances et des colères ; un souci, une entente croissante des questions économiques et des intérêts, ou, ce qui revient au même, des droits de chacun ; le prolétaire en voie de s’affranchir par degrés et sans trop de secousse, la femme trouvant d’éloquents avocats pour sa faiblesse comme pour sa capacité et ses mérites divers ; les sentiments affectueux, généreux, se réfléchissant et se traduisant dans des essais d’art populaire ou dans des chants d’une musique universelle : — tous ces grands et bons résultats en partie obtenus, en partie entrevus, les transportent ; ils croient pouvoir tirer de cet ordre actuel ou prochain, de cette conquête pacifique future, un idéal qui, pour ne pas ressembler à l’ancien, n’en sera ni moins inspirant, ni moins fécond. […] Dans toutes les conditions et toutes les carrières, en quelque rang que la fortune les ait fait naître, nombre de natures généreuses s’y livrent par le seul entraînement d’une vocation irrésistible. » M.  […] Le savant, à proprement parler, et tant qu’il habite dans sa sphère, est difficile à entraîner ; il se prête peu à un certain mode d’exaltation : il sait trop bien que le plus grand développement de l’humanité se passe dans un pli du vaste sein de la nature et n’en sort pas : cela ne laisse pas de calmer et d’apaiser. […] Duveyrier l’a senti : « Le nouvel Institut devrait attirer, dit-il, les natures ardentes, communicatives, les talents de parole et de plume, et les employer à rehausser le moral des populations et à créer un courant de libéralités publiques en faveur du progrès social. » En deux mots, M. 

1312. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

C’est par là qu’une fois établie historiquement dans cette mesure qui est belle encore, elle continuera d’intéresser à divers les âges tous ceux qui, de plus en plus indifférents aux formes politiques du passé, garderont les sentiments délicats et humains qui font partie de la civilisation comme de la nature, de tous ceux qui pleurent aux malheurs d’Hécube et d’Andromaque, et qui, en lisant le récit de malheurs pareils et plus grands encore, s’attendriront aux siens. […] Il n’en fut point ainsi : cette âme de Louis XVI échappait et se dérobait à son rôle de roi par ses vertus mêmes ; sa nature, toute composée de piété et d’humanité, tendait perpétuellement au sacrifice, et de faiblesse en faiblesse il ne devait plus retrouver de grandeur qu’en devenant un martyr. […] Et encore (10 octobre 1791) : « La reine, avec de l’esprit et un courage éprouvé, laisse cependant échapper toutes les occasions qui se présentent de s’emparer des rênes du gouvernement, et d’entourer le roi de gens fidèles, dévoués à la servir et à sauver l’État avec elle et par elle. » En effet, on ne revient pas d’une si longue et si habituelle légèreté en un jour ; ce n’eût pas été trop du génie d’une Catherine de Russie pour lutter contre les dangers si imprévus à celle qui n’avait jamais ouvert un livre d’histoire en sa vie, et qui avait rêvé une royauté de loisir et de village à Trianon : c’est assez que cette frivolité passée n’ait en rien entamé ni abaissé le cœur, et qu’il se soit trouvé dans l’épreuve aussi généreux, aussi fier, aussi royal et aussi pleinement doué qu’il pouvait l’être en sortant des mains de la nature. […] Quand on pense qu’un siècle dit de lumières, et de la plus raffinée civilisation, aboutit à des actes publics de cette barbarie, on se prend à douter de la nature humaine et à s’épouvanter de la bête féroce, aussi bête que féroce en effet, qu’elle contient toujours en elle-même et qui ne demande qu’à sortir.

1313. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

La tendance inhérente à l’appétition est-elle de nature tout intellectuelle. — II. […] Essayons donc de pénétrer, plus avant que ne l’a fait Spencer, dans la nature de l’activité qui accompagne toute appétition et qui, dans le désir, se manifeste clairement à la conscience comme tendance ou tension interne. […] Maintenant, la tendance intérieure à l’idée et au désir est-elle de nature tout intellectuelle, et consiste-t-elle simplement dans une tendance à la clarté, à la plénitude de conscience ? […] Le sujet, quelle qu’en soit la nature ultime, ne peut se saisir lui-même comme tel ou tel objet.

1314. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Du côté de Mme de Condorcet et de Cabanis, Fauriel entrevoyait plutôt la retraite, la méditation suivie, l’étude habituelle et profonde partagée entre les livres et la nature. […] Le divin Parini, comme il l’appelait quelquefois, fut son premier maître ; mais, en avançant, son vers tendit de plus en plus à se dégager de toute imitation prochaine, à se retremper directement dans la vérité et la nature. […] Ampère fut sensible ; il contribua à développer en cette vive nature l’instinct qui la tournait vers les origines littéraires, à commencer par celles des Scandinaves. […] Je recommande cette considération à ceux qui ont sondé dans quelques-uns de ses recoins secrets cette nature morale des poëtes. […] Cela n’est pas : presque tous avaient étudié la nature dans ses phénomènes visibles et réguliers ou dans ses productions.

1315. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Mais c’est toujours la nature, l’obscure, l’impitoyable nature qui tient le but. […] Mais la nature de ces causeries ne souffre pas qu’on épuise les sujets. […] Des textes de cette nature ne sauraient être corrigés. […] Renan a peints sur nature, ne manquent ni de richesse ni d’éclat. […] Mais visiblement elle est fondée sur l’usage et non sur la nature.

1316. (1901) Figures et caractères

Il s’y formait une ample et nombreuse nature. […] C’était tout ce que l’étudiant connaissait de la nature. […] Cet amour de la nature est exalté et presque matériel. […] Sainte-Beuve est, par nature, un poète médiocre. […] La nature entière lui est soumise.

1317. (1896) Écrivains étrangers. Première série

ils ne tardèrent pas à comprendre de quelle nature était cette guérison ! […] Son œuvre est, d’un bout à l’autre, un grand hymne à la nature. […] Mais la nature l’a repris avec tant de force qu’il lui a été impossible de rien retenir des conquêtes de la civilisation. […] Mais il ne le pouvait pas ; c’était la nature qui parlait en lui, la vieille nature d’avant les civilisations. […] Walt Whitman tenait de trop près à la nature pour pouvoir jamais s’élever jusqu’à cette réflexion métaphysique.

1318. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Début d’un article sur l’histoire de César »

Début d’un article sur l’histoire de César Il y a deux sortes et comme deux races de Césars ; les Césars par nature et par génie, et les Césars par volonté. […] Par cette longue habitude changée en nature, ils ont réellement acquis quelques-unes des hautes parties de l’emploi, l’amour du grand ou de l’apparence du grand, une confiance qui s’impose, un sang-froid, une tranquillité et une présence d’esprit que rien n’émeut et qui a pu ressembler parfois au génie de l’à-propos, une conscience de leur supériorité sur tout ce qui les entoure et qui se justifie puisqu’elle se fait accepter.

1319. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « LES FLEURS, APOLOGUE » pp. 534-537

Pour elles, elles ne raisonnaient pas, elles vivaient, elles ne se croyaient pas d’une autre nature que les autres herbes voisines, moins favorisées ; et ces herbes-là, quand on les pressait bien, avaient, je vous assure, leur parfum aussi, pas toujours agréable, il est vrai ; mais enfin c’était le leur. […] Jouissons-en, donnons-le surtout avec délices, et, quand nous l’aurons exhalé, sachons bien qu’il renaîtra pour d’autres encore ; car la nature est grande, et son parfum, né dans chaque repli, est universel. » 251.

1320. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MARIA » pp. 538-542

Le blocus nous tenait, mais sans trop se poursuivre ; Dans ce mal d’habitude, on se remit à vivre ; La nature est ainsi : jusque sous les boulets, Pour peu que cela dure, on rouvre ses volets ; On cause, on s’évertue, et l’oubli vient en aide ; Le marchand à faux poids vend, et le plaideur plaide ; La coquette sourit. Chez le barbier du coin, Un Français, un Gascon (la graine en va très-loin), Moi j’aimais à m’asseoir, guettant chaque figure : Molière ainsi souvent observa la nature.

1321. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

Morvonnais est abondante, cordiale, salubre pour ainsi dire, pleine d’images heureuses et particulières de la nature, féconde en effusions mystiques : le fond a beaucoup de richesse et de fertilité ; la forme en est souvent indéterminée et quelque peu inculte. […] Stanislas Cavalier C’est le début d’une jeune âme qui obéit à sa sensibilité, à son amour de la nature, à ses rêves d’avenir.

1322. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 189-194

Sa Muse, à qui voudroit s’en former une idée, offriroit assez l’image d’une femme plus jolie qu’intéressante, sans cesse occupée à plaire, & plaisant en effet à ceux qui préferent l’Art à la Nature, l’esprit à la sensibilité, le ton pétillant & cavalier à la modestie & à la pudeur ; ou, pour se la peindre plus exactement, elle annonce le caractere & les manéges d’une Coquette, qui, au milieu de son changement perpétuel d’ajustemens, de fantaisies, de conversation & de cercle, a toujours la même façon de s’habiller, la même démarche, les mêmes manieres, le même jargon. […] Ses Fables, fruits d’une imagination riante & séconde, & du don d’inventer heureusement un sujet, eussent mérité la seconde palme de l’Apologue, s’il eût eu autant d’attention à consulter la Nature & le goût, que de facilité à s’abandonner à son génie.

1323. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 139-145

Cet Ecrivain est un exemple que la Nature vend quelquefois bien cher les dons précieux qu’elle dispense à ses favoris. […] Doué d’une intelligence prompte, d’une imagination vive & féconde, d’une mémoire facile & solide, ses premiers pas, dans la carriere littéraire, ont annoncé un athlete singuliérement favorisé de la Nature, & destiné à surpasser les rivaux les plus renommés.

1324. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Théâtre français. » pp. 30-34

Quelle porte n’ouvre-t-on pas aux railleries des profanes, lorsqu’on ose se faire des martyrs de cette nature, et qu’on expose nos mystères à des idées d’une imagination aussi dépravée ! […] Un Orphée jouant de sa lyre entra sur le théâtre, suivi d’un chien, d’un chat, d’un chameau, d’un ours, d’un mouton, et de plusieurs animaux sauvages, lesquels avaient délaissé leur nature farouche et cruelle en l’oyant chanter de sa lyre.

1325. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Par le jeu d’une multitude d’A, et d’une prononciation large et ouverte, on croirait sentir le calme des tableaux de la nature, et entendre le parler naïf d’un pasteur46. […] Enfin, la nature fait entendre cette lettre rurale dans ses bruits, et une oreille attentive peut la reconnaître diversement accentuée, dans les murmures de certains ombrages, comme dans celui du tremble et du lierre, dans la première voix, ou dans la finale du bêlement des troupeaux, et, la nuit, dans les aboiements du chien rustique.

1326. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Doyen  » pp. 153-155

Alors plus sa Venus aurait été aérienne ; plus sa Pallas et son Apollon auraient eu de cette nature, plus on aurait été satisfait. […] Dans l’Iliade les hommes sont plus grands que nature ; mais les dieux sont d’une stature immense.

1327. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lundberg » pp. 169-170

Dans les ouvrages de La Tour, c’est la nature même, c’est le système de ses incorrections telles qu’on les y voit tous les jours ; ce n’est pas de la poésie, ce n’est que de la peinture. […] C’est que celui-ci ne s’est jamais occupé de l’imitation rigoureuse de la nature ; c’est qu’il a l’habitude d’exagérer, d’affaiblir, de corriger son modèle ; c’est qu’il a la tête pleine de règles qui l’assujettissent et qui dirigent son pinceau, sans qu’il s’en apperçoive ; c’est qu’il a toujours altéré les formes d’après ces règles de goût et qu’il continue toujours de les altérer ; c’est qu’il fond, avec les traits qu’il a sous les yeux et qu’il s’efforce en vain de copier rigoureusement, des traits empruntés des antiques qu’il a étudiés, des tableaux qu’il a vus et admirés et de ceux qu’il a faits ; c’est qu’il est savant, c’est qu’il est libre, et qu’il ne peut se réduire à la condition de l’esclave et de l’ignorant ; c’est qu’il a son faire, son tic, sa couleur auxquels il revient sans cesse ; c’est qu’il exécute une caricature en beau, et que le barbouilleur, au contraire, exécute une caricature en laid.

1328. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 28, du temps où les poëmes et les tableaux sont apprétiez à leur juste valeur » pp. 389-394

Il étoit impossible de persuader au public qu’il ne fut pas touché aux représentations de Thesée et d’Atys, mais on lui faisoit croire que ces tragédies étoient remplies de fautes grossieres qui ne venoient pas tant de la nature vicieuse de ce poëme, que du peu de talent qu’avoit le poëte. […] Elle dépend de la nature de l’ouvrage et de la capacité du public devant lequel il est produit.

1329. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

La Bruyère, qui retrouve la grande nature humaine sous le grand costume du xviie  siècle, La Bruyère nous fait comprendre son temps autant par son genre de talent, sa manière à lui, que par la peinture qu’il en trace. […] Échappant aux règles du goût par l’excentricité même de sa nature intellectuelle, — car c’est un excentrique que Mercier, et il a je ne sais quoi dans l’esprit qui rappelle la bizarrerie de certaines imaginations anglaises, — méconnaissant l’autre règle de la vie, plus importante que le goût, c’est-à-dire la religion, qui, en nous éclairant le cœur, fait monter la lumière jusqu’à la pensée, Mercier s’adapte exactement à l’époque qu’il a plutôt inventoriée que peinte.

1330. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Cependant, parmi les noms les plus habituellement cités de ces victimes triomphantes, n’oublions pas que Vauvenargues avait trente-deux ans, qu’Étienne de La Boétie en avait trente-trois : ces deux ou trois années de grâce accordées par la nature sont tout à cet âge. […] Que ceci du moins demeure présent, non pour commander l’indulgence, mais pour maintenir la simple équité, quand il s’agit d’un écrivain si précoce, si laborieux, si continuellement en progrès, et qui, au milieu de tant de fruits, tous de bonne nature, en a produit quelques-uns d’excellents. […] Je ne donnerais pas une panse d’à de tout le reste. » On voit qu’en faisant bon marché de bien des choses et en jetant à la mer une partie de son bagage, au moment où il entrait dans ce détroit de la seconde jeunesse, la noble nature de notre ami ne se dépouillait pourtant qu’autant qu’il le fallait : il savait garder au moral le plus essentiel du viatique. […] Le génie romain en particulier, grave et sobre, était bien propre, par son commerce, à perfectionner cette heureuse nature, à l’affermir et à la contenir, à lui communiquer quelque chose de sa trempe, et à lui imprimer de sa discipline. […] Et si l’on trouvait que je vais bien loin, en appliquant cette gracieuse image à une production quelque peu rabelaisienne, qu’on se rappelle, entre autres, ce riant et beau passage : «  Le Roy que nous demandons est déjà fait par la nature, né au vrai parterre des fleurs de lys de France, rejeton droit et verdoyant du tige de saint Louis.

1331. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

La prédiction d’un tel événement eût excité la rage ou le mépris de ceux qui gouvernaient alors la France, et qui se vantaient d’anéantir par leurs lois les croyances religieuses que la nature et l’habitude ont si profondément gravées dans les cœurs. […] Dieu nous donna, dans ce petit tableau, une idée des grâces dont il a paré la nature. […] La paix de vos cœurs, respectables vieillards, et le calme de la nature autour de moi, me font rougir du trouble et de l’agitation de mon âme. […] « La solitude absolue, le spectacle de la nature me plongèrent bientôt dans un état presque impossible à décrire. […] Amélie avait reçu de la nature quelque chose de divin ; son âme avait les mêmes grâces innocentes que son corps ; la douceur de ses sentiments était infinie ; il n’y avait rien que de suave et d’un peu rêveur dans son esprit ; on eût dit que son cœur, sa pensée et sa voix soupiraient comme de concert ; elle tenait de la femme la timidité et l’amour, et de l’ange la pureté et la mélodie.

1332. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Vous le voyez, le drame ouvre la nature, puis ouvre l’âme ; et nulle limite à cet horizon. […] On lui supposa des amours contre nature ; on lui trouva, comme à Shakespeare, un lord Southampton. […] Eschyle voit par moments la nature avec des simplifications empreintes d’un dédain mystérieux. […] On dirait qu’il exerce sur la nature, sur les peuples, et jusque sur les dieux, une sorte de magisme. […] L’inconnu qui est dans l’homme et l’inconnu qui est dans les choses se confrontent ; et il se trouve qu’en se rencontrant, ces deux augures, la Nature et le Destin, ne gardent pas leur sérieux.

1333. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

La nature est forcée de contraindre ses plus justes et ses plus généreux mouvements, sous peine de mort. […] ces gens-là ne voient pas que cela tient à la nature même de votre talent. […] Ce n’est pas seulement de l’administration en grand, c’est de la nature humaine éclairée par un Machiavel ou un La Rochefoucauld empereur. […] Fontanes, sous son manteau d’orateur impérial, n’était pas une nature de courtisan et de flatteur, comme on l’a tant cru et dit. […] Par toi changea l’aspect de la nature entière.

1334. (1932) Le clavecin de Diderot

Il affirme au contraire que « nos sens sont autant de touches qui sont pincées par la nature qui les environne et se pincent souvent elles-mêmes ». […] Dieu (on ne saurait trop répéter la définition de Lénine) Dieu, complexe d’idées né de l’assujettissement de l’homme à la nature, Dieu ruche à complexes, ses alvéoles ont beau être enduits de promesses mielleuses, qui s’y laisse prendre, se cogne, se déchire à autant de parois que la Nature, sa nature lui en oppose. […] Ce n’est pas l’humanité et la nature qui se modèlent sur ces principes, mais les principes ne sont vrais que dans la mesure où ils concordent avec la nature et l’histoire. […] Raison qui, d’ailleurs, n’était sans doute qu’un prétexte cherché, trouvé par la nature, afin que la mère masculinisée (en vérité, elle était plutôt désexuée) servît d’excuse à tout ce qui, dès la puberté, allait pouvoir passer pour n’être point précisément un fait de la nature. […] De la nature), Flammarion, GF, 1999 (livre II, 1).

1335. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

La description de la Grande-Chartreuse, telle que nous la lisons dans cette lettre datée de 1785, est d’avance une page du Génie du Christianisme, l’une des plus simples et des plus belles : « Le monde n’a pas d’idée de cette paix, c’est une autre terre, une autre nature. […] Prenons-les en eux-mêmes, à la source, et non chez ceux qui s’en sont fait une arme de guerre ; laissons au refus son vrai caractère primitif, qui est moins d’opposition que de nature et de tempérament, et qui respire la plus saine énergie morale. […] J’aime, comme vous, à voir la nature avec goût, avec amour, avec un œil pur et sensible ; et cet œil, qui est ma lumière et mon trésor, je le sens s’éteindre et m’échapper lorsque je mets le pied dans le monde. […] Je ne vis plus, j’assiste à la vie… » En parlant de la sorte, Ducis était fidèle à sa nature, à sa complexion, à ses vœux constants de retraite, et à tous ses refus précédents d’entrer à aucun degré dans la vie publique. […] Je me laisse aller à la nature, qui apparemment le veut ainsi.

1336. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Je réponds à cela que sans doute je serais très-condamnable, si la nature avait accordé aux hommes la faculté de pouvoir s’occuper dans tous les instants des choses qui sont le plus véritablement dignes d’estime ; mais comme cette faculté n’a été donnée qu’à un petit nombre d’individus, et que ceux-là mêmes ne trouvent pas souvent dans le cours de leur vie l’occasion d’en faire usage, il me semble, en considérant l’imperfection de notre nature, que l’on doit accorder le plus d’estime aux occupations dans lesquelles il y a le moins à reprendre. — Si les raisons que j’ai apportées déjà ne paraissaient pas suffire à ma justification, ajoute-t-il ensuite, je n’ai plus qu’à me recommander à l’indulgence de mes lecteurs. […] Ce n’est pas la cour, c’est la nature qui fait les poëtes, ces hommes de grand air ! […] Après des études précieuses dans la maison du prince, son père, il vint à Rome et offrit de soutenir une joute littéraire sur vingt-deux langues et sur neuf cents questions philosophiques. « C’était, dit son rival Politien, un homme ou plutôt un être extraordinaire, à qui la nature avait prodigué tous les avantages du corps et de l’esprit. […] Cette lettre me fait le plus grand plaisir, car j’aime les morceaux de sculpture au-delà de toute expression ; je ne saurais me lasser d’admirer l’habileté d’un artiste qui sait travailler le marbre au point d’imiter la nature elle-même. […] La nature elle-même est, sans doute, toujours supérieure à ces imitations ; cependant on est excusable d’admirer un art qui sait donner à la matière morte tant de vie et d’expression, qu’il semble qu’il ne faudrait que le souffle pour l’animer.

1337. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Cette idée, voici comment, pour être clair, je la formulerais sous la forme d’un axiome : « La Justice absolue est, par sa nature même, essentiellement idéale et divine ; la Justice humaine ne peut et ne doit agir que d’une manière relative, et sans tenir compte de ce qui jetterait le trouble dans ses indispensables règles, car la société doit songer avant tout à sa conservation… » Telle est à peu près la situation de Valentin ; il a de toute façon et sous toutes les formes offensé les hommes et le devoir humain ; c’est Dieu seul qu’il a quelquefois essayé de satisfaire ; aussi est-ce seulement à Dieu qu’il peut demander la pitié, qui, dans l’ordre divin est la même chose que la justice. […] [Impressions de nature et d’art (1879).] […] Marcher dans le sens de la nature tout est là. […] Anatole France est d’autre nature, et, s’il est bien distinct du roman naturaliste, il l’est au moins autant de la Maison de la Vieille, de la Première Maîtresse ou de Gog. […] L’originalité de Catulle Mendès, c’est d’être un poète à la fois doux et brutal, tendre et cruel, naïf et pervers ; toute son œuvre, romans, vers, drames et comédies, atteste ce contraste : il aime les fleurs et les oiseaux, l’air pur, le ciel bleu, la nature claire des contes de fées, mais il se complaît aussi à la vue des Parisiennes en pantalon de dentelles et dont les jupons frissonnent de blancheur.

1338. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Que ce goût lui fût naturel, cela n’est pas douteux ; son humeur le portait vers les champs ; sa première profession même76, car il en eut une, le mettait trop souvent en présence de la nature pour qu’il n’apprît pas à l’aimer. Mais Voiture l’avertit peut-être de son propre goût ; et lui donna l’idée de rendre la nature visible dans ses vers. […] Ses amis et lui ne dérobaient pas la propriété d’autrui ; ils reprenaient au poète ce qu’il avait pris lui-même, soit à un devancier, soit à la nature. […] Nature heureuse entre toutes, il a les qualités sans les défauts, il peut aimer sans haïr, et il sait garder, jusque dans la perfection, je ne sais quelle aisance qui donne à la pureté de son goût l’air d’un instinct. […] Quand les prudes réclamèrent, et que Tartufe se fut récrié en se couvrant les yeux, l’excuse que donna le poète prouva qu’il ne se rendait guère compte de son crime. « Je dis hardiment, écrit-il, que la nature du conte le voulait ainsi » ; et il s’autorise des préceptes d’Horace sur les genres90.

1339. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Il se faut s’entr’aider ; c’est la loi de nature. […] Je connais deux morceaux littéraires qui sont admirables pour peindre l’ingratitude de l’homme à l’égard de la nature et pour dresser le réquisitoire de la nature contre l’homme. […] Il n’y a rien de plus poignant que cette espèce de cri de révolte de la nature elle-même, de la nature prétendue insensible, contre son roi fou. Mais je ne trouve pas inférieur ce beau plaidoyer de La Fontaine pour nos frères inférieurs, pour ceux qui sont mis par la nature au partage de nos peines, de nos souffrances et placés dans une espèce d’égalité avec nous devant la douleur.

1340. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Pour l’anthropologiste, « les peuples sont des dépôts d’alluvions, de provenance et de nature diverses, mêlés et brassés par le flux et par le reflux des événements ». […] L’humanité a la capacité de bouleverser les distinctions de la nature. […] Force nous est donc d’examiner directement la nature et les résultats de l’imitation dans les sociétés qui marchent vers l’égalité. […] Nous pouvons donc retenir que la nature de l’imitation qui porte d’homme en homme, dans les sociétés modernes, les habitudes et les croyances, est bien telle qu’elle les pousse vers l’idée des droits de l’homme ; car il est clair que la mode y gagne tous les jours sur la coutume. […] L’Homme dans la Nature, p. 37-39.

1341. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Il s’agit d’en faire connaître la nature et les nuances ; il faut répondre clairement et nettement à cette question ardue : Qu’est-ce que le rire ? […] C’est qu’il est par trop contre nature qu’un homme se moque si clairement de soi-même. […] Le riche Voltaire se plaît à clouer nos regards sur la vue des malheurs inévitables de la pauvre nature humaine.

1342. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

De cette constitution immuable de notre nature sort la nécessité qui s’impose à l’artiste et à l’écrivain de découper dans le monde immense et divers des formes et des pensées un fragment de médiocre dimension, formant un tout homogène, capable d’être supposé indépendant et isolé du reste, présentant un rapport des parties facilement intelligible à l’esprit, et fournissant une diversité d’impressions facilement réductibles en une émotion dominante. […] Elle a pour image l’être organisé, qui dans l’unité de son individu assemble des parties dissemblables, accomplissant des fonctions dissemblables, mais qui, soumises les unes aux autres, concourent toutes également à l’entretien de sa vie et à la poursuite de la fin marquée par la nature à son activité. […] Dans la nature, l’unité de l’individu n’est pas la même que l’unité du genre ou de l’espèce.

1343. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

… Auguste suivait le conseil de la nature, qui veut que tout ce qui travaille se repose, qui entretient la durée par la modération, et menace la violence de fin… Ce repos, ces distractions sont des besoins de la vie humaine, quelque riche et suffisante à soi-même qu’elle puisse être d’ailleurs… Ce sont, à proprement parler, les voluptés de la raison et les délices de l’intelligence… Un grand philosophe28 n’a pas craint de dire que le repos et le divertissement n’étaient pas moins nécessaires à la vie que les repas et la nourriture… Mais il ne veut pas que les sages passent le temps comme le vulgaire. […] Ils seraient ridicules dans un pays où tous les esprits seraient tendus aux affaires publiques, soit par la nature de la constitution, soit par une révolution flagrante, ou récente, ou imminente. […] Je demande si la nature de ces études n’était pas noble, élevée, de celles qui se prêtent le mieux à la conversation, qui y fournissent et en reçoivent davantage ?

1344. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

La Fontaine s’intéresse à toute la nature animée. […] Est-ce sur de pareilles suppositions qu’on doit établir le précepte de la modération, précepte qui naît d’une des lois de notre nature, et que nous ne pouvons presque jamais violer sans en être punis ? […] C’est un résultat d’une des lois de la puissance divine, comme tous les météores, tous les phénomènes, ou plutôt toute la nature.

1345. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Il est en nous un sens destiné pour juger du mérite de ces ouvrages, qui consistent en l’imitation des objets touchans dans la nature. […] Le coeur s’agite de lui-même et par un mouvement qui précede toute déliberation, quand l’objet qu’on lui présente est réellement un objet touchant, soit que l’objet ait reçu son être de la nature, soit qu’il tienne son existence d’une imitation que l’art en a faite. […] Le lecteur en faisant attention aux temps, aux lieux, comme à la nature de l’ouvrage dont il sera particulierement question, comprendra beaucoup mieux encore que je ne pourrois l’expliquer, à quel étage d’esprit, à quel point de lumieres et à quelle condition le public dont je voudrai parler sera restraint.

1346. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Le sens de la nature, si intense dans Homère, est absent de la Chanson de Roland. […] Pour écrire une scène, un paysage, un caractère, une description, il faut, avons-nous dit, peindre d’après nature, c’est-à-dire, autant qu’on le peut, copier sur place, s’inspirer d’un modèle ; en d’autres termes, il faut faire de l’observation directe. […] Il a fait, comme nous le voulons, de l’observation évoquée ; il a, comme nous le conseillons, « spécialisé, individualisé, particularisé » sa description ; il l’a traitée d’après nature et, lui aussi, il a « appliqué à une chose artificielle des procédés de facture vraie ».

1347. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

Ce modéré, qui, en voyant l’impuissance fatale des modérés en face des partis extrêmes, ne se demande pas si cette impuissance tient à la volonté des hommes où à l’involontaire des institutions ; si elle ne vient pas de la nature même des gouvernements parlementaires plus que de la faute de ces partis extrêmes qu’il est impossible à ces pauvres gouvernements d’accommodement, de transaction et de soi-disant équilibre, de contenir et de dominer ! […] Vraiment, c’est ne connaître ni la nature humaine ni la nature des partis, que de croire les instruire en s’apitoyant sur leur histoire et les faire renoncer, à l’aide de cet ingénieux moyen, à leurs ambitions, si folles et si pernicieuses qu’elles puissent être.

1348. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

Et c’était chez lui, en effet : de nature, de culture, de ture-lure, il était à tel point de ce journal, pédantesquement superficiel, que ce serait bien hardi de poser le problème : lequel des deux était le plus fait pour l’autre, de Prévost-Paradol ou du Journal des Débats ? […] Homme d’esprit dans le sens le plus léger du mot, doué d’un de ces genres de talent que je ne nie point, mais qui n’était pas de nature à donner de grandes jalousies à personne, Prévost-Paradol est arrivé, dès les premiers pas qu’il a faits dans la littérature, à monter les trois échelons, mystérieux toujours quoique très connu, après lesquels en France, dans ce pays de la moquerie despotisé par les coutumes dont on se sera le plus moqué, il ne reste rien de bien difficile à grimper. […] Par la nature de son talent, Prévost-Paradol est peut-être, de tous les écrivains du Journal des Débats, celui qui convenait le mieux à ce journal et qui a le plus de ce qui s’appelle l’esprit de la maison.

1349. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

Par un contraste qui fait mieux ressortir la duplicité étrange d’une nature qui semble relever autant de la tératologie que de l’histoire, Gustave III eut toute sa vie pour adversaire, et même pour adversaire déconcertant, une femme, — une femme-homme, comme lui, il était un homme-femme, — cette Catherine II, surnommée la Sémiramis du Nord par ceux-là qui ont oublié d’ajouter que Gustave III en était le Sardanapale, et, chose à noter dans tous les deux ! […] Tous les deux, par ce côté, du moins, restent imposants devant l’Histoire, au-dessus ou à côté du ridicule et du mépris qui s’attachent aux prétentions ou aux faits contraires aux lois de la nature humaine ; mais elle plus imposante que lui, — et c’est justice !  […] Mais Léouzon-Leduc se soucie bien d’aller chercher les mystères de la nature humaine à travers les écorces, obscures ou transparentes, de l’Histoire !

1350. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Résumé d’une puissante plénitude, ce n’est là, après tout, qu’un morceau d’histoire… L’auteur a coupé dans l’histoire universelle de l’Église l’histoire de son gouvernement temporel, et il nous l’a montré depuis son origine et ses premières luttes jusqu’aux dernières, — depuis Constantin, et même avant, jusqu’à Napoléon, et même après, — et il a éclairé ce fort résumé d’une si pénétrante et pourtant si sobre lumière, qu’aucun éblouissement n’est possible et qu’il reste évident, pour qui lit attentivement cette histoire, que le gouvernement temporel de la Papauté, de tous les gouvernements déchirés par les hommes certainement le plus déchiré, est aussi essentiel au Christianisme, aussi constitutif de sa nature que son gouvernement spirituel, et qu’il y a entre eux une nécessité d’existence, une consubstantialité qui fait leur identité même, et contre laquelle rien ne pourrait prévaloir d’une manière absolue sans entraîner la mort de tous les deux ! […] Or, selon moi, ce pouvoir remonte beaucoup plus haut, et, pour parler plus exactement, il ne se date d’aucune loi, mais il vient de la nature de la chose qu’on appelle le Christianisme. […] Le temps, qui s’ajoute à la nature des choses et qui la développe, la logique invincible des événements, firent grandir et multiplier ce grain de sénevé.

1351. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

Personne dans son temps, dans aucun temps, personne, fût-ce Voltaire, qui ne s’ennuya jamais, lui, ne fut plus intéressant et plus charmant que cette vieille, son égale en esprit et en grâce, dont l’ennui si intéressant pour nous fut si cruel et si tenace pour elle ; et ces deux volumes, en attendant ceux qui viendront encore, sont de nature à confirmer sur cette femme, la plus singulière de son siècle, ce que les volumes précédemment publiés nous avaient appris. […] — dans cet autre mot, qui n’est pas le seul de l’espèce : « Il me suffit d’être contente pour être heureuse. » Je n’aime point qu’elle écrive à toute page des phrases dans ce genre affreux : « La nature est le seul tyran dont il ne faille pas secouer le joug. […] M. de Saint-Aulaire, qui est un homme d’esprit pénétrant, dans sa Notice, et un chrétien… peut-être un peu archéologique, — un chrétien qui le serait peut-être un peu moins si le grand siècle de Louis XIV ne l’avait pas été, — M. de Saint-Aulaire a bien vu le vide de cette raison phraseuse qui parle de la nature sans se douter de Dieu et qui n’a pas deux sous de sensibilité réelle pour se faire pardonner cette abominable raison !

1352. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

Méconnaissance de la nature spirituelle de l’homme qu’on définit un mammifère monodelphe bimane, et rien de plus, négation de l’unité de la race humaine, affirmation de l’activité de la matière, confusion de la physiologie et de l’histoire naturelle, au mépris des traditions médicales, depuis Hippocrate jusqu’à nos jours, enfin l’opinion qui implique le matérialisme le plus complet : « Que la vie ne doit pas être considérée comme un principe, mais comme un résultat, une propriété dont jouit la matière, sans qu’il soit nécessaire de supposer un autre agent dans le corps », toutes ces solutions et beaucoup d’autres de la même énormité sont attaquées et ruinées de fond en comble par le rude jouteur des Études. […] « Le mot nature vient du mot nasci », dit M. Tessier avec la simplicité de la lumière, par conséquent, « toutes les fois qu’une question de nature est posée, elle implique à l’instant même une question d’origine.

1353. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

On a trouvé bon le vénéneux nectar, et l’on en a pris à si haute dose, que la nature humaine en craque et qu’un jour elle s’en dissout tout à fait. […] Son livre actuel est un drame anonyme dont il est l’auteur universel, et voilà pourquoi il ne chicane ni avec l’horreur, ni avec le dégoût, ni avec rien de ce que peut produire de hideux la nature humaine corrompue. […] Il est le misanthrope de la vie coupable, et souvent on s’imagine, en le lisant, que si Timon d’Athènes avait eu le génie d’Archiloque, il aurait pu écrire ainsi sur la nature humaine et l’insulter en la racontant !

1354. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

En effet, ils sont comme cela trois ou quatre en France, à peu près, qui y sont regardés sérieusement comme impeccables, et sur lesquels le pays le moins disposé de sa nature au respect, le pays qui fait le plus de révolutions et gamine le plus contre ses gouvernements, n’entend pas que l’on dise un seul mot qui ne soit l’expression d’un hommage… Depuis longtemps M.  […] Quel est le sens esthétique ou moral, mais quelconque, de ce livre sans caractère tranché, fait de miettes et de petits souvenirs rapprochés, qui ne sait être nettement ni un roman d’idée, comme Don Quichotte, ni un roman de cœur, comme La Princesse de Clèves, ni un roman de nature humaine ou de mœurs, comme Gil Blas, ni même un roman d’aventure, comme le Roman comique de Scarron, car avec les comédiens qui emplissent le roman du Capitaine Fracasse, M.  […] Théophile Gautier s’en va rejoindre le roman d’idée, le roman de cœur, le roman de nature humaine et de mœurs, dont M. 

1355. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

On croirait d’abord que les arts n’étant que la représentation de la nature ou morale, ou passionnée, ou physique, leur champ doit être aussi vaste que celui de la nature même, et qu’ainsi il ne doit y avoir, dans chaque genre, d’autres bornes que celle du talent. […] Il est bien vrai que la nature est immense, mais les organes de l’homme qui la voit, sont affectés d’une certaine manière dans chaque époque.

1356. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

On assure que le même homme fit demander au pape, sous le nom du roi, un bref pour faire mourir qui il voudrait dans les prisons, sans charge de conscience et sans forme de procès ; comme s’il y avait une puissance qui pût affranchir des lois de la nature et de l’humanité ; comme si un bref pouvait autoriser des assassinats. […] Il ne sera pas mis non plus parmi ces grands hommes d’état nés pour être conquérants et législateurs, puissants par leur génie, grands par leur propre force, qui ont créé leur siècle et leur nation, sans rien devoir ni à leur nation ni à leur siècle : cette classe des souverains n’est guère plus nombreuse que la première ; mais il en est une troisième qui a droit aussi à la renommée : ce sont ceux qui, placés par la nature dans une époque où leur nation était capable de grandes choses, ont su profiter des circonstances sans les faire naître ; ceux qui avec des défauts ont déployé néanmoins un esprit ferme et toute la vigueur du gouvernement, qui, suppléant par le caractère au génie, ont su rassembler autour d’eux les forces de leur siècle et les diriger, ce qui est une autre espèce de génie pour les rois ; ceux qui, désirant d’être utiles, mais prenant l’éclat pour la grandeur, et quelquefois la gloire d’un seul pour l’utilité de tous, ont cependant donné un grand mouvement aux choses et aux hommes, et laissé après eux une trace forte et profonde. […] Il n’eut ni sa fureur, ni sa politique, ni ce contraste singulier du plus grand courage d’esprit dans une âme lâche, ni ce mélange d’une ambition ardente et de la plus grande simplicité, ni cette séduction si douce qui n’avertissait jamais de l’empire, et enchantait des hommes fiers, que la nature n’avait point destinés à lui obéir.

1357. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Lorsque Pascal a dit : Ni ange, ni bête, il pressentait et signalait ces folles ambitions de l’âme dépassant sa propre nature et risquant de se perdre dans ses chimériques conquêtes. […] Des deux parts, c’est le même principe ou plutôt le même déni de principes agissant dans des sphères diverses et sur des natures différentes. […] La nature, pour se livrer dans toute la grâce de ses harmonies et de ses mystères, n’aime pas qu’on lui arrive le sceptre à la main et la couronne sur la tête. […] Aussi quel désastre, lorsqu’au lieu de peindre la nature il s’avise de la plaisanter ! […] Crois-tu que la nature énorme balbutie ?

1358. (1902) Propos littéraires. Première série

C’est immense, puisque c’est arracher l’homme à sa nature ordinaire. […] La nature ne connaît que la force. […] C’est chez elle un vrai besoin intime, profond et de nature. […] Nous avons vu, messieurs, à quels dangers, par sa nature même, elle peut être exposée. […] Girard se borne à copier minutieusement la nature, et encore la nature la moins intéressante peut-être, les réverbères de la rue, les roues des fiacres qu’il a su trouver le secret de faire tourner sur sa toile.

1359. (1924) Critiques et romanciers

Il est de cette nature de domestiques qui souillent les maisons. […] Il aimait la nature et la littérature : il savait réunir ces deux objets de sa prédilection malaisée, consacrant sa vie et l’exquise patience de son art à mettre la nature en prose. […] Il était de la campagne, qui n’est pas du tout la même chose que la nature. La nature, c’est de la poésie, ou de la philosophie. […] … » En d’autres termes, un artiste n’a pas à copier seulement la nature, à copier des fragments épars de la nature : l’immense nature échappe aux entreprises de l’intelligence humaine.

1360. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Le monde corporel et ses lois ne leur semblent qu’un fantôme et une figure ; ils ne voient plus rien de réel que la justice, elle est le tout de l’homme comme de la nature. […] Chacun a par nature et primitivement le droit d’acquérir, de juger, de punir, de faire la guerre, de gouverner sa famille et ses gens. […] Firstly : I shall consider the nature of this vice and wherein it consists. […] First : One of the deepest and most common causes of evil speaking is ill nature and cruelty of disposition. […] Every one quits his executive power of nature, and resigns it to the public.

1361. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Parce que c’est, dit-on, la nature du poëme épique ; et comment prouve-t-on que ce soit sa nature ? […] Il veut que la méthode d’Homere constituë l’art, et qu’elle fasse la nature et l’essence des choses. […] Car elle a supprimé judicieusement cet endroit, qui prouve fort bien en passant, que tout ce qui est dans la nature, n’est pas pour cela bon à peindre. […] Les sentimens dont il auroit pû se fier à la nature, il les fait inspirer expressément par les dieux. […] C’étoit un génie naturellement poëtique, ami des fables et du merveilleux, et porté en général à l’imitation, soit des objets de la nature, soit des sentimens et des actions des hommes.

1362. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Villemain est un rhétoricien, le contraire d’un esprit sincèrement historique et d’une nature vérace. […] Chaque crise sociale, comme chaque époque de la nature, n’enfante qu’en détruisant. […] La nature avait peut-être moins fait d’abord pour Talma que pour Rachel. […] — Talma tirait parti de tout pour son art ; en toute situation, il observait la nature. […] Les notes suivantes écrites au jour le jour ne sont que des traits pris sur nature.

1363. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Ballanche, c’est-à-dire comme une noble nature, une douce et belle âme qui a de sublimes perspectives dans le vague, des éclairs d’illumination dans le nuage ; qui excelle à pressentir sans jamais rien préciser, et sait atteindre en ses bons moments à des aperçus d’élévation et de sagesse. […] Quel dommage, se dit-on en l’étudiant, que cette belle et douce et si bénigne nature n’ait pas trouvé d’abord un bon guide, une main sûre et une plus large voie ! […] Mais on voit quelle nature suave et pure c’était que Saint-Martin, jeune officier au régiment de Foix, à l’âge de vingt-trois ans, et quel contraste il faisait avec les mœurs et les sentiments de son siècle. […] On ne pouvait être moins propre à l’état militaire que ne l’était Saint-Martin : « J’ai reçu de la nature, disait-il, trop peu de physique pour avoir la bravoure des sens. — J’abhorre la guerre, j’adore la mort. » En restant quelque temps au service, il faisait le plus grand sacrifice aux volontés de son père. […] Mais, en faisant une exception pour elle, il pensait aux femmes de Paris quand il écrivait cette pensée qu’on vient de lire ; il avait en vue celles dont il a dit encore : J’ai comparé quelquefois les dames tenant cercle et recevant les flagorneries des hommes à un Grand Turc, et ces hommes frivoles et oisifs aux sultanes de son sérail lui faisant la cour et encensant tous ses caprices… ; tant le pouvoir rongeur de la société a changé les rapports et la nature des choses !

1364. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Y travaillant, l’entendant bien, il sert au prochain autant qu’il doit ; n’y nuisant pas, c’est beaucoup ; le mal ôté, le bien reste. » Ce système de bonheur, qui mènerait aisément à l’égoïsme, est vivifié chez lui par une nature active et une cordialité qui s’étend à l’entour. Il estime que le malheur de la plupart des hommes provient d’inquiétude, et de cette poursuite éternelle de quelque chose d’autre, au lieu de jouir de ce qu’on a : « Les hommes, dit-il, sont toujours in via et jamais in mansione. » Il attribue cette inquiétude à l’exemple, à l’imitation, à des causes étrangères à la nature de l’homme : « C’est une mauvaise et extraordinaire habitude, croit-il, dont nous pouvons être corrigés par le progrès de la raison universelle, comme on l’a été de la superstition et de quantité d’habitudes barbares et de façons de penser peu approfondies. » Pour lui, il est heureux et content de vivre ; il lui semble assister à un beau spectacle, à un joli songe ; si l’envie prend parfois au spectateur de faire l’acteur, c’est une faute, on est sifflé (il en sait quelque chose), et l’on s’en repent. […] Il était bon, bienfaisant, il aimait à donner, et il ne voyait là qu’une qualité et un don de la nature et de Dieu : « Les hommes généreux craignent de dépenser et aiment à donner, ils se privent avec délices et se donnent (à eux-mêmes) avec chagrin. […] Si j’étais en ce moment plus soigneux de la renommée de d’Argenson que de la vérité, j’omettrais de dire que, tout en appelant L’Esprit des lois un « grand livre », il mettait bien au-dessus, pour la solidité du raisonnement, plus d’un ouvrage oublié de ce temps-là, par exemple un livre qu’on croyait alors traduit de l’anglais et qui était du maître des comptes Dangeul, intitulé Remarques sur les avantages et les désavantages de la France et de la Grande-Bretagne par rapport au commerce ; et même un livre bien autrement radical et qui nous ferait peur aujourd’hui, intitulé Code de la nature ou le véritable esprit des lois, qu’il croyait de Toussaint et qui est de Morelly : « Excellent livre, s’écriait d’Argenson (juin 1756), le livre des livres, autant au-dessus de L’Esprit des lois du président de Montesquieu, que La Bruyère est au-dessus de l’abbé Trublet, mais contre lequel il n’y aura jamais assez de soufre pour le brûler, etc. » Morelly, dans cet ouvrage, dénonce la propriété comme le principe de tous les maux et de tous les vices existants. […] Lui, il était plutôt un adversaire de la noblesse, bien que la sienne fût bonne, et il n’entrait pas dans les doléances qu’il entendait faire autour de lui : « Les gentilshommes, disait-il, qui se plaignent en leur qualité de n’être pas assez accommodés des biens de la fortune, sont de pauvres brochets de l’étang qui n’ont pas assez de carpes à manger ; non, il n’y a à plaindre que ceux qui manquent selon la nature. » D’Argenson aimait à la fois la royauté et le peuple ; il voulait le bien du public, sans être pour cela républicain : « Les républiques n’ont point de tête ; les monarchies n’ont bientôt plus de bras, car la tête les énerve.

1365. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Je viens de compter quelques-unes des dates politiques et des événements, de cour qui font qu’à vue d’œil un salon de 1710 n’est pas un salon de 1730, ni celui-ci un salon de 1760, ni aucun de ceux-là un salon de 1780 : mais combien d’autres révolutions qui influent sur la nature des femmes, qui l’agitent et la renouvellent ! […] Après les femmes de Jean-Jacques et à côté, il y eut donc sous Louis XVI comme une seconde série, un sous-genre, les femmes de Florian, les pastorales, laitières et bergères, celles de Trianon et qui en sortaient peu, et celles qui, plus naïves et pour rendre hommage à Gessner et à la nature, faisaient déjà leur pèlerinage de Suisse. […] La confiance de M. de Choiseul est revenue ; ils ont parlé de leur ancien temps, ils ont ri ; et vous savez qu’ils sont tous deux de nature à aimer les choses et les gens qui les font rire : ainsi ils ont été parfaitement bien ensemble. […] Mais un roman qui, de sa nature, pousse au sentiment, échappe par trop d’endroits à la vérité. […] je ne voudrais pas encore une fois m’enfermer sans retour dans ces îles enchantées, dans ces cercles où tout l’homme ne saurait penser et vivre, où la femme elle-même n’était pas nécessairement plus aimable qu’on ne la rencontre, sans trop la chercher, en dehors de là : éternelle nature féminine qui recommence toujours, qui devine si tôt ce qui est bien, ce qui est mieux comme ce qui est pire, en même temps que ce qui est décent, et qui le rapprend sans enseigne et sans affiche à quiconque lui veut plaire ; devant qui la passion, la verve, la poésie, le naturel aujourd’hui avec tous ses risques et tous ses avantages peuvent oser plus que jamais se déployer !

1366. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Était-il possible, je le demande, qu’Horace Vernet vivant à Rome au sein d’une splendide nature, d’une belle race, de toutes les merveilles de l’art classique, en face des magnificences de Saint-Pierre et des pompes du Vatican, n’en fût pas touché, excité à se mesurer à sa manière avec ses nouveaux modèles, à s’exercer dans un genre plus noble et a y transporter ses qualités si, françaises ? […] Telle est sa nature, son genre et son miracle d’habileté. […] Elles doivent figurer parmi les héros, car il y en a dans toutes les classes de l’armée plus que partout ailleurs, et j’ai le bonheur de n’avoir que des faces bien caractérisées. » Il fait d’avance sa provision de têtes et de figures martiales : tout chez lui sera d’après nature, les sites, on va le voir, et les figures aussi. […] En voici un encore, l’aimable Félix Mendelssohn, « le puissant et doux maître du piano » (comme l’appelait Gœthe), qui voyageant en Italie, et rencontrant à Rome Horace Vernet directeur à la Villa Médicis, va nous donner l’impression la plus fidèle et la mieux sentie de cette nature heureuse et de cette mouvante existence : « (Rome, 17 janvier 1831.) […] Les autres membres de la famille, comme je vous l’ai déjà dit, ne sont pas mal non plus ; en entendant le vieux Carle parler de son père Joseph, on éprouve du respect pour ces gens-là, et je prétends, moi, qu’ils sont nobles. » — Et c’est ainsi qu’une vive nature d’artiste sympathise avec ses semblables, les reconnaît à travers les diversités de genre et de langue, les salue, les aime, les fait revivre… et l’on est à cent lieues du cuistre, de l’être immonde, arrogant et dur.

1367. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Je ne sais pas d’exemple plus propre à marquer la difficulté de condition qui est faite dorénavant aux poètes modernes, condition la plus opposée à celle des poètes de l’Antiquité, lesquels, avant l’institution de la critique, avaient pour eux et en faveur de leurs créations les bruits, les fables, les erreurs répandues dans l’air, pourvu qu’elles fussent touchantes et de nature à exciter l’intérêt. […] En général l’impatience fut un des caractères de cette nature impuissante et faible, incapable de se contenir et de se gouverner. […] Si quelqu’un des sujets de son père va lui faire de ces protestations dont on use ordinairement avec les princes, il les reçoit, et, le prenant à part, il le force à jurer, en un livre, qu’il le suivra dans toutes les guerres où il ira ; il le contraint ensuite à accepter à l’instant même quelque présent. » L’excellent précepteur, avec son De Officiis fut de tout temps impuissant, on le conçoit, à modérer la fougue de ce jeune poulain vicieux de nature. […] Par suite d’une aussi longue maladie, mais plus encore de celle dont il a été atteint en dernier lieu, et dont, selon l’opinion commune, il a été délivré miraculeusement, il est demeuré extrêmement faible et languissant, outre que, de sa nature, il n’a pas beaucoup de santé ni de vigueur… Lorsqu’il est passé de l’enfance à la puberté, on ne l’a vu prendre plaisir ni à l’étude, ni aux armes, ni à l’équitation, ni à d’autres choses vertueuses, honnêtes et plaisantes, mais seulement à faire mal à autrui. […] Cela dura peu ; il revint à l’idée de se détruire, et, n’ayant pu y parvenir par excès de jeûne, il songea à le faire par excès de manger, ce qui était plus dans sa nature et dans ses goûts.

1368. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Il ne s’agit pas de déplacer les genres, d’échanger les procédés, de transporter un art dans un autre, ce serait aller trop loin ; mais il importait, en effet, de multiplier les points de vue, de comprendre, d’embrasser sans acception de métier, toutes les expressions de talent et de génie, toutes les originalités de nature, tous les modes de l’imagination ou de l’observation humaine. […] D’ailleurs on ne saisit rien dans ses origines qui soit de nature à éclairer son talent. […] Ainsi, pour la série des Coulisses, l’idée mère, c’est un contraste perpétuel entre ce qui se joue à haute voix devant le public et ce qui se dit de près au même moment entre acteurs, — comme quand Talma, par exemple, en pleine tragédie de Manlius, embrassé avec transport par son ami Servilius, lui disait à l’oreille : « Prenez garde de m’ôter mon rouge. » — Ainsi pour la série des Musiciens comiques ou des Physionomies de chanteurs, c’est le contraste et la disparate entre les paroles du chant ou la nature de l’instrument et la taille ou la mine du musicien, du chanteur ou de la cantatrice (une grosse femme chantant langoureusement : Si fêtais la brise du soir !). […] Après La Fontaine, après nos vieux conteurs, après les fabliaux, Gavarni a fait, sans réminiscence aucune, sa série toute moderne, saisie sur le vif, d’après nature. […] « Un soir que nous parlions à Gavarni de ses légendes, racontent MM. de Goncourt, et que nous lui demandions comment elles lui venaient : « Toutes seules, nous dit-il ; j’attaque ma pierre sans penser ‘a la légende, et ce sont mes personnages qui me la disent… Quelquefois ils me demandent du temps… En voilà qui ne m’ont pas encore parlé… » Et il nous montrait les retardataires, des pierres lithographiques adossées au mur, la tête en bas. » Ces mots décisifs, ces paroles stridentes qui ouvrent des jours soudains sur une action, sur un ordre habituel de sentiments, et qui sont comme des sillons de lumière à travers la nature humaine, font de Gavarni un littérateur, un observateur qui rentre, autrement encore que par le crayon, dans la famille des maîtres moralistes.

1369. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

D’autant que, par un effet de la nature même des choses, les sentiments et l’idéal bourgeois ne pouvaient qu’être et paraître une perpétuelle dérision de l’esprit aristocratique. […] C’est toujours la même absence, si complète qu’elle en devient étrange, du sentiment de la nature, en faisant de toute la nature, des bois, des prés, des eaux, la scène multiple et changeante du drame. […] Au fond, on ne s’étonne pas des méchants tours de Renart : il est naturel qu’il se serve de l’esprit que la nature lui a fait. […] Ainsi le vaudeville actuel, substitut de la farce, qui elle-même a remplacé le fabliau, peut nous aider à comprendre la nature de ce genre et du plaisir qu’il donnait.

1370. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Mais voici par où il sort du romantisme : il a senti le besoin de dompter son imagination, et il s’est mis à la rude école de la nature. […] Alphonse Daudet911, un fin Méridional, nature souple, nerveuse, séduisante, a subi l’influence de MM.  […] Le jeu raffiné de l’esprit autour de la foi et de la morale évangéliques, ce goût intellectuel pour la simplicité du cœur qui n’est encore qu’une perversion de plus dans nos incohérentes natures, ont trouvé en M.  […] Sa carrière de marin lui a fourni le moyen de développer, d’achever son tempérament : elle l’a promené par le monde, à travers toutes les formes de la nature et de la vie ; elle a rendu plus aiguës ses perceptions et ses mélancolies. […] Loti est un des grands peintres de notre littérature : il se place à côté de Chateaubriand, par la fine ou forte justesse des tons dont il fixe les plus mobiles, les plus étranges aspects de la nature.

1371. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

La poésie proprement romanesque est de sa nature un peu vague, fuyante, inconsistante. […] a été mariée étourdiment par sa mère à M. de Maurescamp, une nature grossière qui ne comprend point les délicatesses de sa jeune femme. […] Et l’on adore, dans ce monde-là, les « grandes scènes dramatiques de la nature ». […] Celui qui ne se croit pas obligé par un pouvoir extérieur et divin peut fort bien se sentir obligé par lui-même, par une irréductible noblesse de nature, par une générosité instinctive. […] Cette créature pourra fort bien n’être que modérément malfaisante ; car la bonne Nature a voulu qu’il y eût sur la terre, en dehors de toute morale, d’autres plaisirs que ceux des animaux de proie.

1372. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Le discours qui nous conseille d’être modérés en fait de science, de ne pas chercher à percer l’obscurité des choses, me fait songer à Virgile chantant le bonheur de connaître les secrets de la nature : Felix qui potuit rerum cognoscere causas ! […] La morale du Discours sur la nature de l’homme, est qu’on n’y connaît rien, et qu’il ne faut pas perdre son temps à la chercher. […] Versificateur par nature, le commerce de Virgile le fit poète une fois par reflet, et le plus original de ses ouvrages est une traduction. […] Tout dans ses vers vient de l’homme, et cet homme est un de ceux qui font le plus d’honneur à la nature humaine. […] Le fond de l’Idylle, qu’il ne faut pas confondre avec sa recette, ce sont ces trois amours qui les premiers s’éveillent dans l’âme du vrai poète : l’amour de la nature, l’amour de la beauté personnifiée dans une femme, l’amour de l’art, qui achève le poète.

1373. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Tous deux plaisaient par leurs qualités de nature, celui-là tenace et réfléchi, l’autre ingénieux, subtil, d’une ironie finement aiguisée. […] Ce titre montre excellemment quelle était la nature de ses ambitions. […] « Adolescence passée à la contemplation de la nature et à rêver. […] On le disait disparu à jamais de notre horizon, retourné à l’état nature, roi d’une peuplade sauvage. […] SONNET Il splendit sous le bleu·d’athlétiques natures Dont le roc a fourni les éléments altiers : Les fontes et l’airain de leurs musculatures Excèdent les parois des divins compotiers.

1374. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

M. de Broglie avait dès lors sur la nature des crimes politiques, et sur l’application de la peine de mort en général, des idées qu’il a eu occasion d’indiquer depuis dans plus d’un écrit sous la Restauration, et qui tenaient de celles de quelques théoriciens philanthropes du commencement du siècle. […] Le monde nouveau, la famille dans laquelle il entrait, le trouva singulièrement disposé à élever son libéralisme d’un cran si je puis dire, à lui trouver des raisons plus fines, plus neuves, plus distinguées, plus d’accord avec l’idée morale qu’on s’y faisait de la nature humaine. […] Les divers articles que M. de Broglie a fournis vers ce moment à la Revue française, et qui sont des morceaux du plus grand mérite, sont tous inspirés ou dominés par un sentiment de cette nature, soit qu’examinant le livre de M.  […] On nous a tirés d’un extrême ; nous ne nous laisserons point jeter dans l’extrême opposé ; on nous a dégagés de mille et mille petites préventions ; nous ne nous laisserons point emmailloter dans des préventions d’une autre nature. […] J’ai peu réfléchi, je l’avoue, sur les moyens qui étaient de nature à faire durer le dernier gouvernement ; mais je ne puis croire que les lois de septembre lui aient nui ; il est aujourd’hui plus que probable, ce me semble, qu’elles l’ont fait durer.

1375. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature, celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà, a le goût défectueux. […] Ils ont tous deux connu la nature, avec cette différence que le premier d’un style plein et uniforme, montre tout à la fois ce qu’elle a de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple ; il en fait la peinture ou l’histoire. L’autre, sans choix, sans exactitude, d’une plume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s’appesantit sur les détails : il fait une anatomie ; tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature : il en fait le roman. […] Est-il moins dans la nature de s’attendrir sur le pitoyable que d’éclater sur le ridicule ? […] Il semble qu’il y ait plus de ressemblance dans ceux de Racine, et qui tendent un peu plus à une même chose ; mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse : exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l’action ; à qui le grand et le merveilleux n’ont pas même manqué, ainsi qu’à Corneille, ni le touchant ni le pathétique.

1376. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Après les besoins du corps qui ont rassemblé les hommes pour lutter contre la nature, leur mère commune et leur infatigable ennemie, rien ne les rapproche davantage et ne les serre plus étroitement que les besoins de l’âme. […] Mais depuis qu’on en a tiré ce qu’ils contenaient de richesses ; depuis que les arts et les sciences ont fait des progrès immenses ; que la science s’est mise à parler vulgairement, et que les idiomes anciens ne sont plus utiles qu’à quelques conditions particulières de la société, l’ordre et la nature de l’enseignement doivent être tout à fait différents ; et il serait bien singulier, pour ne rien dire de plus, qu’une école publique, une école où l’on recevrait indistinctement tous les sujets d’un empire, s’ouvrît par une étude, par une science qui ne conviendrait qu’à la moindre partie d’entre eux. […] Il a parlé d’abord du bœuf, l’animal qu’il nous importe le plus de bien connaître ; ensuite du cheval ; puis de l’âne, du mulet, du chien ; le loup, l’hyène, le tigre, la panthère, occupent d’après sa méthode un rang d’autant plus éloigné dans la science, qu’ils sont plus loin de nous dans la nature, et que nous en avons eu moins d’avantages à tirer ou moins de dommages à craindre. […] Quel est l’objet dans l’art ou dans la nature qui ne soit pas de son ressort ? […] Il est encore deux points de vue sous lesquels on peut embrasser la science universelle, points de vue très-généraux, l’homme et la nature, l’homme seul et l’homme en société.

1377. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Il n’en comprend ni la profondeur, ni la portée, ni la vérité plus vraie que nature ! […] En agissant ainsi avec une nature aussi fantasmagorique que celle d’Attila, qui est moins un homme qu’une grande chose, moins un être qu’il soit besoin d’étudier avec la patience et le détail du microscope qu’un météore digne du télescope, qui nous fait voir dans les étoiles M.  […] Amédée Thierry a parfois bénéficié de la gloire de son frère, et nous ne disons point ceci pour rabaisser en quoi que soit son mérite réel, mais pour en faire comprendre mieux la nature. […] C’est la différence, en effet, qu’il y a entre les deux frères, — une différence de vie dans le talent dont ils sont doués, jointe à une ressemblance de nature. […] Augustin Thierry, nature de juste milieu, qui le fut en politique comme il le fut en facultés, comme il le fut en toutes choses, exprima, avec la discrétion d’un homme de goût qui craint l’asphyxie, le suc de ces fleurs d’un temps naïf et barbare, dont il sentait pourtant et a nous donné quelques-unes des âpres saveurs.

1378. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

C’est à l’homme que vous vous adressez dans la tragédie ; mais c’est une telle époque, c’est un tel peuple, ce sont de telles mœurs, qu’il faut connaître pour obtenir dans la comédie un succès populaire : les pleurs sont pris dans la nature, et la plaisanterie dans les habitudes. […] Ces masques, ces porte-voix, toutes ces bizarres coutumes du théâtre des anciens disposaient l’esprit, comme les caricatures dans le dessin, à l’invention grotesque, et non à l’étude de la nature.

1379. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Marie Tudor » (1833) »

Shakspeare, comme Michel-Ange, semble avoir été créé pour résoudre ce problème étrange dont le simple énoncé paraît absurde : — rester toujours dans la nature, tout en en sortant quelquefois. — Shakspeare exagère les proportions, mais il maintient les rapports. […] S’il y avait un homme aujourd’hui qui pût réaliser le drame comme nous le comprenons, ce drame, ce serait le cœur humain, la tête humaine, la passion humaine, la volonté humaine ; ce serait le passé ressuscité au profit du présent ; ce serait l’histoire que nos pères ont faite confrontée avec l’histoire que nous faisons ; ce serait le mélange sur la scène de tout ce qui est mêlé dans la vie ; ce serait une émeute là et une causerie d’amour ici, et dans la causerie d’amour une leçon pour le peuple, et dans l’émeute un cri pour le cœur ; ce serait le rire ; ce serait les larmes ; ce serait le bien, le mal, le haut, le bas, la fatalité, la providence, le génie, le hasard, la société, le monde, la nature, la vie ; et au-dessus de tout cela on sentirait planer quelque chose de grand !

1380. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 50, de la sculpture, du talent qu’elle demande, et de l’art des bas-reliefs » pp. 492-498

Ce n’est pas ainsi que les objets se présentent à nous dans la nature. […] Je ne rapporterai donc de toutes les inventions du Bernin, qu’un trait qu’il a placé dans sa fontaine de la place Navonne, pour exprimer une circonstance particuliere au Nil ; que sa source fut inconnuë, et que, comme le dit Lucain, la nature n’ait pas voulu qu’on put voir ce fleuve sous la forme d’un ruisseau.

1381. (1923) Au service de la déesse

Entre la philosophie et l’histoire, il y a cette contrariété de nature. […] … L’on dira que ce prétendu logicien n’est qu’un sophiste malade et qu’il a faussé la philosophie de la nature ? […] Ils n’aimaient point la nature, au sens où prennent ce mot les philosophes de la nature. […] Il a souhaité de joindre la nature et la vertu. […] N’essayez pas de les calmer : ils travaillent avec la nature, vous diront-ils, et favorisent le bel entrain de la nature.

1382. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Le chansonnier goûte modérément les aspects grandioses et les convulsions de la nature. […] C’est encore un des traits de sa nature. […] » Mais les artistes n’ont pas besoin de conseils, chacun suivant le penchant de sa nature. […] Nature ! […] Veux-tu planer plus haut que la sombre nature ?

1383. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Ses ennemis (il en avait toujours) déterrèrent je ne sais quelle lettre qu’il avait écrite, qu’il avait peut-être publiée anciennement, et qui était de nature à donner le change sur ses opinions actuelles. […] enfin quand on consacre son existence à servir les petites haines, les petites passions des cœurs, en foulant aux pieds les âmes d’une nature relevée ? […] Nature intègre, conscience restée vierge et non usée, ils ne le connaissaient qu’à demi. […] Leur nature bienfaisante se révolte à cette pensée. […] Retenez donc bien que la nature humaine, telle qu’elle est faite chez nous, comporte des sentiments quelquefois illégitimes et même cruels.

1384. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

La poésie était son faible, et il s’y porta avec toute la verve de sa nature. […] Quoique Ampère eût de mauvais yeux, et qu’évidemment la nature ne l’eût point formé pour le pittoresque, il s’en tire à force d’esprit et d’intelligence. […] Il y avait répulsion instinctive, antipathie véritable entre leurs deux natures d’esprit, et j’ai quelque raison de croire qu’ils ne se rendaient pas justice réciproquement. […] Quand la nature est pleine de variétés et de moules divers, et qu’il y a une infinité de formes de talents, pourquoi n’admettre et ne préférer qu’un seul patron ? […] L’imaginer, le désirer tel, n’est-ce pas substituer insensiblement un autre Ampère à celui qu’avait fait la nature et dont la société s’est si bien trouvée ?

1385. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Et Rude soutenait que les Grecs faisaient ce qu’ils voyaient, la nature, avec leur tempérament de grands artistes, mais sans aucune préoccupation ou recherche d’idéal. […] vous, vous vous creusez la tête pour trouver le mystère de la nature, mais vous ne le trouverez jamais ! » Le mystère de la nature ! […] * * * — Pour haïr vraiment la nature, il faut naturellement préférer les tableaux aux paysages et les confitures aux fruits. […] Le beau pour lui est toujours la nature : le beau trouvé comme le beau à trouver… Et encore pour lui le corps humain actuel, dans les beaux échantillons, offre d’aussi beaux modèles que la Grèce.

1386. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

La nature, qui ne fait pas de sauts, ne fait pas de choix. […] Le Jésuite est un être optimiste de sa nature. […] Ils connaissent la nature humaine, savent la puissance des préjugés. […] La nature ne s’inquiète pas du plaisir ; l’acte lui suffit. […] La beauté, œuvre de l’art, est plus élevée que celle de la nature », et : « La beauté dans la nature n’apparaît que comme un reflet de la beauté de l’esprit : « Hegel, Esthétique.

1387. (1911) Études pp. 9-261

Il ne va pas demander à la nature de le rendre divin. — Mais il est avec nous. […] La nature, sous le pouvoir de ses yeux, prend de l’ordre. […] Pourtant aucune violence n’est faite à la nature. […] Du même coup il leur a communiqué la direction essentielle, l’intention, le sens de la nature : il leur a fait exprimer clairement ce que la nature énonce d’une voix secrète. […] Car elle n’est pas une explication imposée après coup à la nature.

1388. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

D’ailleurs, les actes que produisent alors les puissances de l’âme sont de telle nature, — Bossuet l’établit avec un grand soin, — qu’ils ne peuvent se graver dans le souvenir ; l’amnésie simule l’inconscience [ch. […] Gerdil4 et Malebranche sur la voie du platonisme en ce qui concerne la nature de l’intelligence. […] Disciple de Rousseau, qu’il n’a pas lu, Laurent L… vivait seul, en 1865, en pleine forêt, poursuivant l’idéal de la vie de nature, étrangère à toute industrie. […] On aimerait à être renseigné sur la nature de cette « merveilleuse correspondance » (Rech., ch.  […] Malebranche sur la nature et l’origine des idées contre l’examen de M. 

1389. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Nous assistons à la formation lente et mystérieuse de cette nature singulière qui, s’affermissant à travers tant de crises, eut bien le droit de croire à la vertu des épreuves. […] Les plaintes du poëte sont celles de toute âme humaine contristée, depuis Job : « Nous serions bien moins étonnés de souffrir, si nous savions combien la douleur est plus adaptée à notre nature que le plaisir. […] Dans l’effervescence de la réaction qui suivit la mort du duc de Berry, il terminait son élégie commémorative en s’écriant : « Dynastie glorieuse, illustre maison, hâtez-vous de vous identifier avec nos destinées qui vous réclament ; hâtez-vous, car il est de la nature de nos destinées d’être immortelles !  […] Je remarque seulement dans les Prolégomènes le magisme de la parole, le magisme de l’homme sur la nature, expressions qui doivent être empruntées au mystérieux théosophe. […] L’histoire de sa générosité et de son sacrifice racontée à Mme Récamier, qui avait toujours l’âme ouverte à l’admiration pour tous les nobles sentiments, fit qu’elle se prit à lui avec toute l’affabilité et la tendresse de sa nature, et il s’épanouit lui-même en sa présence comme une plante languissante qui renaît aux rayons du soleil.

1390. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Le professeur nous lut avec plus de complaisance les stances dans lesquelles l’Arioste décrit ici la nature. […] … Au lever du jour, il croit voir sa honte et les railleries de Médor gravées sur les montagnes et sur toute la nature. […] L’Arioste y prodigue les plus majestueuses et les plus terribles images de la nature. […] Mais est-ce que la vie est une bouffonnerie de la nature ? Cette prétendue philosophie n’est donc pas vraie, puisqu’elle est le contrepied de la nature.

1391. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

On distinguait déjà dans sa gracieuse et spirituelle physionomie les signes d’une femme courageuse qui saurait faire de la jeunesse, de la beauté et de l’attrait trois pouvoirs politiques aussi irrésistibles que la nature. […] Aucun gouvernement ne pouvait offrir une liberté aussi complète, malgré les vices inhérents à cette nature de gouvernement, composé d’une monarchie sans hérédité, d’une démocratie sans représentation, d’une aristocratie étrangère sans patriotisme, et d’un sacerdoce sans responsabilité. […] Les disgrâces même, du sort sont gracieuses aux hommes de cette nature, ils ne prennent rien trop au sérieux dans la vie. […] Le marquis Torregiani avait conçu et cultivé dès sa jeunesse une passion de cette nature petrarquesse pour une jeune et ravissante femme de race hébraïque, mariée à un banquier florentin. […] Il fit imprimer en même temps, chez Didot, les quatorze tragédies mort-nées qu’il s’était imposé la tâche d’écrire comme des exercices d’écolier classique, plus que comme des effusions de sa nature, et il alla se confiner, avec sa gloire inédite en poche, dans sa retraite de Florence.

1392. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Quel est donc ce pessimisme où la Nature véritable s’élargit, ainsi glorieuse ? Quelle est pour Wagner, cette Nature, cette Réalité, cette Volonté première, cet Être immanent, si prodigieusement bienheureux ? […] Il montra le plaisir de l’énergie, de la lutte à sa nature, de l’orgueilleuse récréation de soi-même. […] Du moment qu’Elsa exige que Lohengrin lui explique sa nature, il ne peut pas rester près d’elle. […] De là la réaction qui a commencé à se produire au siècle dernier : de là Rousseau : de là l’aspiration à la nature et le débordement de la sensibilité si longtemps contenue ; de là le grand essor de la musique, cette expression pure du sentiment, cette langue naturelle de l’homme ; de là enfin la révolution et la crise de la morale, ou plutôt d’une morale imaginaire et fausse.

1393. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

C’est l’esprit de l’inquisition, l’esprit de torture, l’esprit de l’Église du moyen âge, l’horreur de la nature… Remarquez-vous qu’il n’y a pas un animal, pas un arbre dans de Sade ?  […] Il nous entretient d’une création qui a fort occupé sa jeunesse, aussi bien que quelques-uns de ses amis, et surtout son intime, Poitevin, un camarade de collège qu’il nous peint comme un métaphysicien très fort, une nature un peu sèche, mais d’une élévation d’idées extraordinaire. […] Il nous peint ces triomphantes apoplexies des propriétaires dans leurs jardinets, après une rincette d’eau-de-vie, sous un coup de soleil de juin : natures perdues qui n’ont guère laissé d’héritiers que ce notaire de Daillecourt, qui ces années-ci, après un souper prolongé jusqu’à huit heures du matin, fit explosion, à table. […] Une chose bien caractéristique de notre nature, c’est de ne rien voir dans la nature qui ne soit un rappel et un souvenir de l’art. […] C’est vraiment un triomphe pour une religion d’avoir amené une femme, cette faiblesse, ce délicat appareil nerveux, à la victoire de dégoûts de cette nature, d’avoir amené l’affectuosité d’une créature distinguée à appartenir tout entière à d’abjects et sordides misérables qui souffrent.

1394. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Les expériences de Geoffroy Saint-Hilaire ont démontré que le traitement contre nature de l’embryon cause les monstruosités ; et les monstruosités ne peuvent être distinguées par aucune ligne de démarcation fixe des simples déviations de type. […] La nature fournit les variations ; l’homme les ajoute dans une direction déterminée par son utilité ou son caprice : en ce sens, on peut dire qu’il crée à son profit les races domestiques. […] Des changements de cette nature, c’est-à-dire lents et insensibles, ne sauraient être constatés, à moins que des mesures exactes ou des dessins très corrects des races modifiées, pris longtemps auparavant, ne puissent servir de point de comparaison. […] De très petites différences frappent tout d’abord un œil exercé, et il est de la nature de l’homme d’évaluer très haut toute nouveauté qu’il a en sa possession, si insignifiante qu’elle soit. […] L’homme a cultivé des plantes et apprivoisé ou dompté des animaux, modifiés par la nature à leur propre avantage et lentement, parce que de ces avantages propres il s’est lui-même accoutumé à tirer une utilité quelconque, que depuis il a sans cesse cherché à accroître.

1395. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Et ici la différence de nature chez les deux observateurs se déclare dans leur récit même. […] Professeur dès 1809 à l’École polytechnique, membre jeune, ardent, influent, de l’Académie des sciences dont Laplace l’avait surnommé le grand électeur, Arago, sauf les distractions passionnées inévitables à sa nature, suivit durant vingt ans la carrière scientifique pure et simple. […] Il n’était pas de ces savants qui s’isolent et se contentent de cultiver durant la sérénité des nuits la muse austère et silencieuse de Newton ou de Pythagore : nature méridionale fortement accusée, il avait besoin d’agir immédiatement sur le public, de le servir et d’en être entouré, d’en recevoir un contrecoup d’applaudissement et de louange en retour des utiles et faciles enseignements qu’il était toujours prêt à lui prodiguer. […] Lorsqu’il s’agit d’un savant qui s’est distingué dans les sciences physiologiques ou naturelles, la difficulté est grande, mais elle est plus de nature à être vaincue ; il y a toujours moyen pour le talent ingénieux et habile (nous en avons des preuves) de trouver des expressions qui traduisent le genre de mérite du mort et donnent à tous quelque idée de ses travaux.

1396. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Ainsi encore, à propos des attaques dernières dont Les Époques de la nature furent l’occasion, et de je ne sais quel manuscrit de Boulanger qu’on l’accusait d’avoir pillé : « Il vaut mieux, disait-il, laisser ces mauvaises gens dans l’incertitude, et comme je garderai un silence absolu, nous aurons le plaisir de voir leurs manœuvres à découvert… Il faut laisser la calomnie retomber sur elle-même. » À M. de Tressan qui s’était, un jour, ému et mis en peine pour lui, il répondait : « Ce serait la première fois que la critique aurait pu m’émouvoir ; je n’ai jamais répondu à aucune, et je garderai le même silence sur celle-ci. » Ainsi pensait-il, et il ne se laissait pas détourner un seul jour du grand monument qu’il édifiait avec ordre et lenteur, et dont chaque partie se dévoilait, successivement à des dates régulières et longtemps à l’avance assignées. […] Quant à ses jugements sur Delille, Saint-Lambert et Roucher, ils sont curieux à recueillir de la part d’un homme qui a si bien connu la nature et qui habitait comme dans son sein : « Je ne suis pas poète ni n’ai voulu l’être, écrivait-il, mais j’aime la belle poésie ; j’habite la campagne, j’ai des jardins, je connais les saisons, et j’ai vécu bien des mois ; j’ai donc voulu lire quelques chants de ces poèmes si vantés des Saisons, des Mois et des Jardins. […] Aucun d’eux n’a su, je ne dis pas peindre la nature, mais même présenter un seul trait bien caractérisé de ses beautés les plus frappantes. » Là encore, à ceux même qui n’aimeraient ni la grenouille ni le hanneton, je dirai : « Je passe condamnation sur le peu d’élégance de l’expression, mais trouvez-moi dans le siècle un jugement de plus de bon sens. […] Buffon, dès l’entrée, ordonnateur par vocation, reconstructeur auguste de la nature, sent le besoin d’agir en grand, de commander à des masses de faits ; mais tous les faits n’étaient pas prêts, tant s’en faut !

1397. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Mais dans les colères mêmes de Joseph de Maistre il y a fort à distinguer ; il y a la colère contre les amis, laquelle est d’une nature et d’une qualité particulière, ce qu’il appelle la colère de l’amour. […] Il estime que ces anciennes souverainetés sont inviolables, immortelles, qu’elles doivent se considérer comme telles par nature, et ne pas trop faire pour se retremper. […] C’est un instinct de haute nature, qui fait anachronisme de nos jours, qui se prend à de petits faits comme aux plus grands, qui s’expose à recevoir un démenti du jour au lendemain, à bout portant. […] [NdA] Cependant l’éditeur a passé d’un extrême à l’autre, en n’indiquant même pas à qui les lettres sont adressées, en ne mettant aucune note qui serait de nature à éclaircir le texte, en laissant de simples initiales aux noms propres là où il coûtait bien peu de les donner en entier (par exemple, tome ii, page 218), et quand il les donne, en permettant à l’imprimeur d’écorcher ces noms de diplomates très connus (tome ii, page 278 et ailleurs).

1398. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Pourquoi n’avoir point placé en tête de ces deux volumes un court abrégé de la constitution, de l’histoire politique de Genève au xviiie  siècle, un petit tableau résumé des luttes, des querelles et guerres civiles entre les différentes classes, entre les citoyens et bourgeois, membres de l’État, parties du souverain, et les natifs exclus, tenus en dehors et revendiquant des droits ; querelles du haut et du bas, de patriciens et de plébéiens, renouvelées des Grecs et des Romains, inhérentes à la nature des choses, qui se sont reproduites plus tard, sous une forme un peu différente, dans la moderne Genève, et qui ont été finalement tranchées à l’avantage du grand nombre. […] L’art et le travail s’y trouvent joints à des talents de nature, et le poète a su employer heureusement les plus beaux traits des poètes anciens et s’en parer. […] Savez-vous bien que, malgré tous nos efforts et nos plaidoiries incessantes (depuis que nous sommes revenus à résipiscence) pour le mérite, l’utilité critique et l’excellence relative de Boileau, ce jugement de M. de Muralt pourrait bien être vrai en définitive, surtout pour ceux qui regardent la littérature française à quelque distance, et qui prennent leurs termes de comparaison chez les grands poètes de tous les temps, de tous les pays, et dans la nature humaine ? […] Saussure est de ces esprits parfaits qui unissent dans une haute et juste mesure les éléments les plus différents, l’exactitude du physicien, le jugement froid de l’observateur, la sagacité du philosophe, l’amour et le culte de la nature, l’imagination qui l’embrasse ; avec cela, n’accordant rien à l’effet, à la couleur, à l’enthousiasme ; et quand il devient peintre, n’y arrivant que par la force du dessin, par la pureté de la ligne, la clarté de l’expression, et, comme il sied au savant sévère, avec simplicité21.

/ 3301