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31. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Diderot, Rousseau, Condillac, Buffon paraissent ; Voltaire, un Voltaire épanoui et libéré, revient de Prusse. […] Plus jeune que Voltaire de vingt ans, Vauvenargues lui imposa le respect. […] Un peu plus tard, les Parlements trouvaient Voltaire contre eux du côté du ministère. […] Nous devrons nous arrêtera Diderot, à Voltaire, à Buffon. […] Il évite, comme Voltaire, les négations extrêmes : il ne professe ni athéisme ni matérialisme.

32. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Et comment Voltaire eût-il fait un usage heureux du merveilleux du christianisme, lui dont les efforts tendaient sans cesse à détruire ce merveilleux ? […] Ainsi, lorsque Voltaire s’écrie, dans l’invocation de son poème : Descends du haut des cieux, auguste Vérité ! […] Les héros de ce poème débitent de beaux vers qui servent à développer les principes philosophiques de Voltaire ; mais représentent-ils bien les guerriers tels qu’ils étaient au seizième siècle ? […] C’était une telle école qu’il fallait à Voltaire. […] Si l’on disait que le Tasse a aussi invoqué la Vérité, nous répondrions qu’il ne l’a pas fait comme Voltaire.

33. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

C’est peu après ce temps que la margrave songea à se servir de Voltaire pour une tentative du même genre et qui avait le même but, mais qui ne paraît point se rattacher à la précédente. […] Elle songea donc, dans le moment critique et décisif, après la perte de la bataille de Kolin, à profiter du zèle de Voltaire et de son désir de réparer ses torts envers Frédéric ; Elle s’ouvrit à lui par lettres vers le mois d’août 1757. L’ami de Voltaire, le maréchal de Richelieu, arrivait en Allemagne pour commander l’armée française ; il y avait peut-être quelque chose à tenter de son côté. […] Voltaire répondit par une lettre en vers comme il savait les improviser ; les éloges de la margrave y étaient mêlés à ceux de Frédéric. […] Voltaire, malgré ses merveilleux talents, n’avait point, osons le dire, ce qui est propre à conférer l’immortalité aux morts et à leur assurer une dernière et impérissable couronne.

34. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Voltaire parle des choses de l’esprit comme on en parle entre honnêtes gens qui songent plus à échanger des idées agréables qu’à se faire la leçon. […] La vérité, au lieu de s’imposer, se donne comme un plaisir d’esprit dont Voltaire nous invite à essayer. […] Cependant, le goût de Voltaire n’est pas le grand goût. […] Tel est trop souvent le bon sens de Voltaire, et son goût en porte la peine. […] [NdA] Si l’on cherchait un nom pour rendre l’idée plus sensible, le vrai représentant de l’esprit français dans ce que j’appelle un congrès européen serait Voltaire.

35. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

… Fréron, le vil folliculaire Fréron, comme rappelait Voltaire, qui n’était pas vil, lui, comme on sait ! […] Il a cité l’ingénieuse Lettre sur Saadi à M. de Voltaire, qui raconte à Voltaire, sous le nom de Saadi, sa propre histoire ; et enfin le jugement sur Voltaire, qui n’a pas bougé depuis qu’il fut écrit, et que les admirateurs de Voltaire lui-même sont obligés d’accepter comme le dernier mot sur un homme qui, à force d’esprit, s’est fait prendre frauduleusement pour un génie. […] Voltaire pour sa part, ce singe-tigre, comme disait Alfieri des Français de 93, fit de lui un embrigadeur de coupe-jarrets littéraires. Voltaire écrivit gravement, comme si ç’avait été un point d’histoire, que Fréron sortait des galères, et les autres de rire de ce bon tour ! […] Il avait été l’élève de Desfontaines, une des victimes de Voltaire, de cet égorgeur dans la boue ; et son maître ne périt jamais dans son âme.

36. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lessing »

La France possédait encore le maigre Voltaire, plus maigre, comme génie dramatique, que sa statue de squelette par Pigalle. […] La moquerie de Lessing, légère comme l’extrémité d’un fouet qui cingle sans appuyer et qui passe, aurait démoralisé Voltaire. […] Du reste, cette plaisanterie voltairienne, appliquée à Voltaire, ne cachait pas dans Lessing l’ignorance, la superficialité et toutes les roueries du plus infernal amour-propre qui fut jamais ! Lessing savait bien ce que Voltaire ne savait qu’à peu près ou mal… Linguiste immense, fort dans les langues anciennes, dont Voltaire avait seulement éraflé le dictionnaire, Lessing lisait dans leur propre langue tous les théâtres de l’Europe moderne, et encore par là il tenait Voltaire, ce menteur et ce pickpocket de Voltaire, qui aurait si bien escroqué la gloire d’autrui, si on l’eût laissé faire. […] Excepté son ironie avec Voltaire, et qui n’a nullement le caractère sagittaire et apollonien que lui donne Heine dans ses autres ouvrages, Lessing est doux.

37. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre I. La poésie »

Mais l’homme qui gagna la cause des vers, et fit perdre la partie à La Motte, ce fut Voltaire. […] Par la séduction de son esprit, par la sincérité de sa conviction, par sa facilité brillante de versificateur, et l’éclat de ses premiers poèmes, Voltaire réduisit les théories de La Motte à passer pour des paradoxes sans conséquence. […] Une pointe d’idée, une ombre de sentiment, c’en est assez, et toute la nature de Voltaire se répand dans ces petites pièces. […] Voltaire, même dans la poésie légère, reste infiniment supérieur à Piron, comme à Gresset, comme à tous les autres : il est au-dessus du genre ; il a des idées, qui lui donnent corps et substance. […] Piron y est d’une bouffonnerie saisissante avec un grain de fantaisie délicieux : Voltaire y porte une justesse aiguë de pensée et d’expression.

38. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »

Voltaire historien. « Voltaire, a dit Montesquieu, n’écrira jamais une bonne histoire ; il est comme les moines qui n’écrivent pas pour le sujet qu’ils traitent, mais pour la gloire de leur ordre. […] Comment Voltaire, avec tant de goût et un esprit si juste, ne comprit-il pas le danger d’une lutte corps à corps avec Bossuet et Pascal ? […] Nous ne doutons point que Voltaire, s’il avait été religieux, n’eût excellé en histoire ; il ne lui manque que de la gravité, et, malgré ses imperfections, c’est peut-être encore, après Bossuet, le premier historien de la France. […] Un mot échappé à Voltaire, dans sa Correspondance, montre avec quelle vérité historique, et dans quelle intention, il écrivait cet Essai : « J’ai pris les deux hémisphères en ridicule ; c’est un coup sûr. » An 1754, Corresp. gén.

39. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — V » pp. 123-131

. — Une lettre de lui à Voltaire. — Maréchal général, envoyé en Italie. — Sa dernière parole. […] Un des titres littéraires du maréchal de Villars à nos yeux, c’est assurément son amitié déclarée pour Voltaire. […] Le maréchal, qu’on nous peint si jaloux, ne paraît pas avoir été du tout inquiet de Voltaire. […] Voltaire voulut mettre l’épée à la main. […] Quant à Voltaire, il a toujours convenablement parlé de Villars.

40. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Voltaire emboursa tout. […] Mais Voltaire ? […] Qu’importe à Voltaire ? […] Qu’importe à Voltaire ? […] On ne divise pas Voltaire.

41. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

Voltaire et l’École normale !  […] Vous vous croisez pour Racine, l’École normale et Voltaire, qui sont en très mauvais termes avec M.  […] Voltaire ! […] Saluons Voltaire bien bas, mais rangeons-nous respectueusement sur le passage de V.  […] Est-ce que Voltaire, lui, a jamais fait des contes romains ?

42. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

On l’eût fâché, blessé même de le comparer à Fontenelle ou à Voltaire. […] Qu’est-ce que seraient Voltaire ou Fontenelle, s’ils n’étaient les auteurs de leurs œuvres ? […] Desnoiresterres presque toutes les biographies de Voltaire participent de l’intérêt de sa vie — ce qu’on ne pourrait pas dire des biographies de Rousseau, — Voltaire ne l’aura pas été moins en fait de bibliographe. […] John Churton Collins, par exemple, dans son Voltaire en Angleterre (1886), ou M.  […] Il y avait alors deux ans que Voltaire était revenu d’Angleterre.

43. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

» Nature et cœur, est-ce assez inconnu à Voltaire ? […] Voltaire ! […] Que de choses ironiques, moqueuses et charmantes, et malheureusement impies, écrites par Voltaire, auraient pu l’être par Henri Heine ! […] est moins grand que Voltaire parce qu’il a fait moins de train dans le monde, mais ce train ne tenait qu’à l’heure qui sonnait sur la tête de Voltaire. […] Voltaire était-il de son avis ?

44. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

Voltaire le manquait rarement. Voltaire tirait à Shakespeare comme les paysans tirent à l’oie. C’était Voltaire qui en France avait commencé le feu contre ce barbare. […] Du reste, pendant tout le dix-huitième siècle, Voltaire fait loi. […] Voltaire lui a reproché son ivrognerie, et a bien fait.

45. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Voltaire a raison, cela est « facile à faire », j’entends pour un homme comme Voltaire. […] » Voltaire n’insiste plus. […] Voltaire ment comme l’eau coule. […] Idée importante dans Voltaire. […] Le Voltaire négatif, le Voltaire prohibitif, le Voltaire qui dit : « Ne faites donc pas cela », est admirable.

46. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Voltaire nous appelle d’abord. […] Le fils a changé de nom et s’appelle Voltaire à présent. […] Si on recueillait un a un ces premiers jugements de Marais sur Voltaire, il y aurait sans cesse à corriger ; il n’est pas sûr dans son pronostic ; il tâtonne. […] Le chevalier fait dire à Voltaire, à deux ou trois jours de là, que le duc de Sully l’attendait à dîner. Voltaire y va, ne croyant point que le message vînt du chevalier.

47. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Disons tout : il est plus sûr et plus honorable de prendre parti pour Racine ; mais Voltaire, dans ses Lettres, est autrement amusant à lire. […] Racine s’occupe de la manière dont est tourné le berceau de Louis Racine : c’est estimable ; Voltaire s’inquiète de la manière dont tournera la civilisation, notre berceau à tous, et il y met la main. […] Voltaire. […] Racine a beau faire, son père sera toujours un grand homme. » C’est un mot de Voltaire, et ces mots-là, quand vous les avez une fois entendus, vous restent attachés comme une flèche. […] Le vrai successeur de Voltaire, ç’a été cette pléiade d’historiens et de critiques, honneur de notre temps (Thiers, Thierry, Guizot, Fauriel, etc., aujourd’hui Renan).

48. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Voltaire va plus loin. […] Il lui manque, selon Voltaire, des fureurs, des folies, du sang, des crimes. […] Un pareil caractère est bien au-dessus de tous les confidens et confidentes des tragédies de Voltaire. […] Cherchez dans toutes les tragédies de Voltaire un coup de théâtre aussi frappant. […] Voltaire, qui ne porta jamais son ambition si loin, s’est contenté d’être agréable.

49. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

J’ai voulu tirer parti de vos Messieurs les gens d’esprit en istes, je les ai essayés ; j’en ai fait venir ; je leur ai quelquefois écrit ; ils m’ont ennuyée, et ne m’ont pas entendue ; il n’y avait que mon bon protecteur Voltaire. […] il m’a bien payée du goût que j’ai pris toute ma vie à le lire, et il m’a appris bien des choses en m’amusant”. » Sa Correspondance avec Voltaire, relue aujourd’hui, est à son avantage. Elle appelle, en commençant, Voltaire « le premier moteur de son goût et de son plus cher amusement. » Elle lui dit un joli mot : « Votre esprit en donne aux autres. » Il y a en effet de l’esprit qui n’est que de l’esprit une fois produit, et qui n’en donne pas : l’esprit de Voltaire est un boute-en-train. […] On dit qu’à la Révolution, elle fit retirer le buste de Voltaire qui était dans sa galerie, et qu’on le mit à quelque autre endroit moins en vue. […] Voltaire eût pensé comme elle, s’il avait vu la Révolution.

50. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Bailly, premier élève de Buffon et digne correspondant de Voltaire, tel est à peu près mon sujet d’aujourd’hui. […] Il adressa donc à Voltaire des Lettres sur l’origine des sciences et sur celle des peuples de l’Asie ; ce volume, en tête duquel on lisait les lettres de Voltaire à l’auteur, parut en 1777. N’ayant pas cru faire assez, Bailly revint encore sur ce sujet dans de nouvelles Lettres sur l’Atlantide de Platon et sur l’ancienne histoire de l’Asie, qui ne parurent qu’en 1779, après la mort de Voltaire, mais qui lui étaient également adressées comme s’il était toujours présent. C’était une heureuse occasion pour Bailly, déjà adopté si magnifiquement par Buffon, de devenir le correspondant de Voltaire, et d’entreprendre publiquement de le convertir à une opinion qui était celle du grand naturaliste. […] À travers ces digressions et ces détours, Bailly arrive, et cherche à amener avec lui son lecteur, ou Voltaire qui le représente, à sa pensée favorite d’un peuple perdu, mais nécessaire, auteur d’un système astronomique complet et dont on n’a retrouvé que des fragments.

51. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Ce n’est point un improvisateur perpétuel comme Voltaire, ni un coquet sérieux, un limeur et un polisseur de tous les instants, comme Rousseau : il ne prend aucune peine quand il écrit à ses amis, et l’on s’en aperçoit, bien que son style garde du bel air et de l’épigramme. […] Si cela n’avait l’air d’une plaisanterie à force d’être vrai, je dirais qu’il est le contraire des Marot, des Sarrasin, des Voiture, de Voltaire dans le genre léger. […] Enfin, à l’heure de la réconciliation (novembre 1774), il y a une lettre à Voltaire qui est à la fois d’une haute emphase et d’une extrême modestie. […] Buffon reste impassible là où Montesquieu se pique et où Voltaire enrage, et ils se valent à peu près tous les trois pour le fond des croyances. […] Voltaire, cet homme de goût, s’est trompé du tout au tout sur Saint-Lambert : Buffon a mis le doigt, — que dis-je ?

52. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Encore un peu de Voltaire, encore un peu de Rousseau ! […] » Pourtant les lettres de Voltaire ne ressemblent jamais à celles d’un autre. […] Jean-Jacques, en pareil cas, se serait redressé et aurait répondu : « Madame, on ne paye pas l’esprit, on l’honore. » Voltaire a dit la même chose, mais que c’est différemment ! […] Il y avait le Démon de Socrate, il y a les démons de Voltaire. […] Composé comme il l’est de pièces et de morceaux, et de billets appartenant aux dates les plus éloignées, il nous offre des échantillons et des memento de toutes les sortes de Voltaire.

53. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Il ne manque uniquement que votre chère personne pour couronner l’œuvre… » À défaut de la princesse, l’œuvre ne lui parut couronnée que lorsque, dix ans après, il eut Voltaire. Il paya cher, on le sait, cette courte satisfaction, et Voltaire aussi. […] Voltaire devenu célèbre n’avait plus son égal ; chacun en sa présence baissait pavillon et l’écoutait volontiers. […] [NdA] On lit dans les Lettres inédites de Voltaire récemment publiées par M.  […] En écrivant ainsi à Moncrif, Voltaire comptait bien que son récit courrait la ville et la Cour.

54. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

J’allais oublier les thèmes que Voltaire l’aidait à faire sous main, et qu’ensuite le père Adam, son précepteur bénévole, trouvait excellents. Le père Adam les montrait comme un chef-d’œuvre à Voltaire, qui disait, en souriant, que ce n’était pas mal pour un enfant de cet âge. […] Il a commencé par entendre, de la bouche de Voltaire, une fable de La Fontaine : cette leçon fructifiera. […] Même en étant là avec Florian chez Voltaire, on sent que Rousseau est venu. […] Gessner, le duc de Penthièvre et Voltaire, le nom de Florian trouvait moyen d’associer toutes ces nuances.

55. (1929) La société des grands esprits

Et Voltaire en est un autre. […] Grâce à Voltaire, on respire, on vit. […] Ne haïssait-il point Voltaire ? […] Voltaire et Rousseau ! […] Mais on a le droit de préférer Voltaire.

56. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

Ce peu de terre a également grandi Voltaire. […] Voltaire a perdu de sa gloire le faux, et gardé le vrai. […] Voltaire, diminué comme poëte, a monté comme apôtre. […] Voltaire, c’est du bon sens à jet continu. […] Mais qu’est-ce donc que Voltaire ?

57. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Voltaire compose sa Métaphysique et son Essai sur les mœurs pour Mme du Châtelet, et Rousseau son Émile pour Mme d’Épinay. […] À toutes les pages de Voltaire, ils craquent sous la dent, comme autant de grains de poivre. […] Art et procédés des maîtres. — Montesquieu. — Voltaire. — Diderot. — Rousseau […] À cet égard, quatre d’entre eux sont supérieurs, Montesquieu, Voltaire, Diderot et Rousseau. […] Rousseau l’a été, autant que Voltaire, et l’on peut dire que la seconde moitié du siècle lui appartient.

58. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Voltaire n’est nulle part mieux défini dans ses œuvres et dans son caractère, que par le détail des anecdotes et l’ensemble des jugements qui sont consignés dans Grimm. Il y a des pages (telles que celles sur la mort de Voltaire) qui me paraissent trop emphatiques pour être de Grimm, et qui, dans tous les cas, sont un tribut payé à l’opinion du moment. […] Les qualités qui manquent à Voltaire pour être un historien véritable, il les sent également : En général, il faut un génie profond et grave pour l’histoire. […] En philosophie, il le traite avec le dédain d’un homme qui n’en est pas resté aux demi-partis et dont l’incrédulité, du moins, n’est point inconséquente : Voltaire, au contraire, s’arrête à mi-chemin et, en continuant de mal faire, s’effraye par moment de sa propre audace : « Il raisonne là-dessus, dit Grimm, comme un enfant, mais comme un joli enfant qu’il est. » À partir de Tancrède, tout ce que Voltaire produit pour le théâtre lui paraît marqué du signe de la vieillesse ; mais, à sa mort, il se reprend à l’envisager dans son ensemble, et avec l’admiration qu’une telle carrière inspire ; il exprime très bien le sentiment de la décadence littéraire que, selon lui, Voltaire retardait, et qui va précipiter son cours : « Depuis la mort de Voltaire, un vaste silence règne dans ces contrées, et nous rappelle à chaque instant nos pertes et notre pauvreté. » Il écrivait cela à Frédéric (janvier 1784). […] » En fait de flatterie exquise, Voltaire n’eût pas mieux dit.

59. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Car c’est lui, c’est Voltaire, et lui plus que personne, qui est la cause de la longue erreur dont nous nous plaignons. […] Voltaire seul, venu beaucoup plus tard, a eu l’effroyable privilège de fixer l’erreur là où, sans lui, elle aurait passé. Avec un poème qui singe l’histoire, et un poème, c’est comme des chansons : Cela vaut mieux qu’un livre, et court tout l’univers, Voltaire, qui n’était ni protestant, ni royaliste, ni convaincu de rien ; Voltaire, une vraie âme de son temps, une âme de la Régence ! Voltaire, courtisan et philosophe, acheva et condensa, en ses vers hypocrites, les accusations et les calomnies mortes des partis, et il en raviva les poisons. […] , et qui, commencée dans une misérable chanson à boire de lansquenets ivres, va s’achever dans le poème de Voltaire, qui n’a d’ivresse que celle de l’ennui !

60. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Voltaire, Histoire de Charles XII. — § III. […] Voltaire. […] Il y a dans Charles XII un bel exemple du respect de Voltaire pour la vérité. […] Voltaire aimait la vérité, il n’a pas toujours craint le péril de la dire ; mais, comme Fontenelle, il lui préférait sa commodité. […] On a voulu aussi reconnaître Voltaire dans Gabriel Triaquero.

61. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Ils opposèrent au rire de Voltaire l’enthousiasme de Diderot. […] Il était trop Voltaire pour mourir comme Chénier. […] Voltaire est poète, et Diderot n’est qu’un prosateur. […] Voltaire, seul, se doutait de quelque chose : « Mes frères, qui vivra verra !  […] Il a embourgeoisé Rabelais, Sterne et Voltaire, en les imitant ; Sterne, Voltaire et Rabelais, des bourgeois comme lui de naissance sociale, mais de race de tête différente.

62. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Voltaire, bien que d’un goût si sûr, ne voit pas toujours juste. […] » Il y a bien de la rhétorique dans les tragédies de Voltaire. […] Voltaire, pour le dire en passant, n’était pas de cet avis. […] avait écrit en note Voltaire. […] Voltaire ramena Vauvenargues à Corneille et à Molière ; Vauvenargues rendit Voltaire plus juste envers Pascal et Fénelon.

63. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Car Voltaire, en vérité, comme on dit, nous la donne belle là-dessus, et M.  […] Voltaire, comme toujours, plaide ici sa propre cause. […] C’est que l’histoire de la vie et des œuvres de Bossuet ou de Voltaire, quand M.  […] Je demande s’il en est un qui diffère davantage de celui de Voltaire. […] Jamais personne au monde n’a menti comme Voltaire.

64. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Gœthe, sans Diderot, pourrait exister peut-être, comme Diderot lui-même ; mais ils n’en sont pas moins tous deux des esprits de même substance et de même race, — et tellement qu’en écrivant de Gœthe, ce Voltaire de l’Allemagne, qui n’eut personne pour contrebalancer sa gloire, il est impossible de ne pas penser à Diderot, qui eut Voltaire à côté de lui pour tuer, par la comparaison, la sienne ! […] Je sais bien que Diderot, le précurseur Diderot, avait bien préparé la gloire de Gœthe avec la sienne ; mais Voltaire, le seul homme du xviiie  siècle chez qui l’imbécille philosophie n’avait pas enniaisé l’esprit, resté français, Voltaire, qui méprisait Diderot, s’il avait vécu jusqu’au temps de Gœthe peut-être aurait-il respecté le Diderot allemand ! […] Voltaire, qui vécut aussi quatre-vingts ans, Voltaire, l’heureux Voltaire, mais moins heureux que l’heureux Gœthe, eut assurément sur son siècle une influence plus grande, plus militante, et surtout plus activement spirituelle que le sentimental coup de pistolet de Werther, et cependant Voltaire ne régna pas toujours du même empire sur l’opinion. […] Enfermé, jeune, à la Bastille, exilé plus tard, ou craignant de l’être (ce qui est la même chose, puisqu’il s’exila lui-même), Voltaire fut intellectuellement un guerroyant qui eut quelquefois des défaites.

65. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Le mot est encore de Voltaire ; ici, M.  […] On a vu ce qu’en pensaient Voltaire et d’Alembert. […] Et n’est-ce pas un grave préjugé que ni Voltaire, ni tous ceux qui juraient alors sur la parole de Voltaire, ne s’y soient trompés ? […] Tel est bien le cas de Voltaire. […] où le courage de Voltaire ?

66. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Transformation de l’histoire  Voltaire  La critique et les vues d’ensemble  Montesquieu  Aperçu des lois sociales. […] De cette maxime naît l’exégèse biblique, non seulement celle que fait Voltaire, mais encore celle qu’on fera plus tard. […] Philosophe de Newton, 1738, et Physique, par Voltaire […] Bois-Raymond, Voltaire physicien (Revue des cours scientifiques, V, 539), et Saigey, la Physique de Voltaire. […] Pour l’exposition populaire de ces idées, voir Voltaire, passim, surtout Micromégas et les Oreilles du comte de Chesterfield.

67. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Philipb Dormer Stanhope, comte de Chesterfield, naquit à Londres le 22 septembre 1694, la même année que Voltaire. […] Montesquieu, après la publication de L’Esprit des lois, écrivait à l’abbé de Guasco, qui était alors en Angleterre : « Dites à milord Chesterfield que rien ne me flatte tant que son approbation, mais que, puisqu’il me lit pour la troisième fois, il ne sera que plus en état de me dire ce qu’il y a à corriger et à rectifier dans mon ouvrage : rien ne m’instruirait mieux que ses observations et sa critique. » C’est Chesterfield qui, parlant un jour à Montesquieu de la promptitude des Français pour les révolutions et de leur impatience pour les lentes réformes, disait ce mot qui résume toute notre histoire : « Vous autres Français, vous savez faire des barricades, mais vous n’élèverez jamais de barrières. » Lord Chesterfield goûtait certes Voltaire ; il disait à propos du Siècle de Louis XIV : « Lord Bolingbroke m’avait appris comment on doit lire l’histoire, Voltaire m’apprend comment il faut l’écrire. » Mais en même temps, avec ce sens pratique qui n’abandonne guère les gens d’esprit de l’autre côté du détroit, il sentait les imprudences de Voltaire et les désapprouvait. […] Chesterfield, en parlant ainsi, ne se méprenait pas sur la grande inconséquence de Voltaire. Cette inconséquence, en deux mots, la voici : c’est que lui, Voltaire, qui considérait volontiers les hommes comme des fous ou comme des enfants, et qui n’avait pas assez de rire pour les railler, il leur mettait en même temps dans les mains des armes toutes chargées, sans s’inquiéter de l’usage qu’ils en pourraient faire. […] Toute sa morale, à cet égard, se résumerait dans ce vers de Voltaire : Il n’est jamais de mal en bonne compagnie.

68. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Mme d’Épinay et Galiani les ont plus attirés que l’Esprit des Lois et le Dictionnaire philosophique de Voltaire. […] Voltaire a enterré le poème épique, le conte, le petit vers et la tragédie : Diderot a inauguré le roman moderne, le drame et la critique d’art. […] Il y a une chose qu’oublient trop MM. de Goncourt : ils ne voient dans Voltaire que l’auteur dramatique, le poëte ; mais le philosophe, ils l’oublient. Or c’est le bon sens charmant, multiple, alerte, infatigable, vraiment diabolique en Voltaire, c’est ce bon sens, cet esprit philosophique s’appliquant à tout, qui a tant agi en son temps, mais qui a tant à faire encore du nôtre ; il faudrait désespérer de la France si l’œuvre de Voltaire était considérée comme épuisée. […] Michelet, qu’admirent MM. de Goncourt, et qui le leur rend, a très-bien dit dans son œuvre récente114 : « Cherchons le cœur du xviiie  siècle, il est double : Voltaire, Diderot. » Pour moi, je ne considérerai la moyenne des esprits comme tout à fait émancipée en France et la raison comme bien assise, même à Paris, que lorsque Voltaire aura sa statue, non pas dans le vestibule ou dans le foyer d’un théâtre, mais en pleine place publique, au soleil.

69. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Voltaire, le premier, l’avait dénoncé au monde avec un sentiment de respect, chez lui bien rare, et qu’il n’a éprouvé à ce degré pour aucun de ses contemporains. […] Rien n’honore le goût et le cœur de Voltaire comme la promptitude avec laquelle il discerna aussitôt le talent et l’homme qui se présentait à lui pour la première fois. […] Voltaire lui-même, si clair et si limpide, n’a pas à ce degré, dans les termes qu’il emploie, de ces empreintes de justesse et d’acception. […] Voltaire et même M.  […] Il écrivait cela en face de Voltaire et à la veille de Jean-Jacques Rousseau.

70. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

. ; Voltaire y alla au printemps de 1750. […] La correspondance de Voltaire avec lui est pleine de chaleur et d’intérêt, et d’une intimité respectueuse. Pour être juste, il faudrait rassembler les nombreux articles de d’Argenson où il est question de Voltaire, car ils se complètent et se corrigent les uns les autres. […] — Je l’ai dit une fois à feu M. le chancelier (d’Aguesseau), qu’il se damnait sans y penser, par sa haine contre Voltaire. […] peu de fautes, beauconp de grandes vérités ; Voltaire sait tout, parle de tout en expert.

71. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Parcourez les innombrables tragédies et comédies dont Grimm et Collé nous donnent l’extrait mortuaire, même les bonnes pièces de Voltaire et de Crébillon, plus tard celles des auteurs qui ont la vogue, Belloy, Laharpe, Ducis, Marie Chénier. […] À part Charles XII, un contemporain que Voltaire ranime grâce aux récits de témoins oculaires, à part les vifs raccourcis, les lestes croquis d’Anglais, de Français, d’Espagnols, d’Italiens, d’Allemands qu’il sème en courant dans ses contes, ici encore où sont les hommes ? […] Voltaire, Dialogues, L’intendant des menus et l’abbé Grizel [‘troupeau’],129. […] Voltaire, Essai sur le poème épique [‘légère’]. « Notre nation, regardée comme si légère par les étrangers, est de toutes les nations la plus sage, la plume à la main. […] Voltaire, Essai sur le poème épique [‘polies,’], 290. « Il faut avouer qu’il est plus difficile à un Français qu’à un autre de faire un poème épique… Oserai-je l’avouer ?

72. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Voltaire aime à prêter à l’abbé de Saint-Pierre ; il en parle diversement, et bien ou mal, selon l’occasion. […] Être lu et traduit par un homme d’esprit comme Voltaire, c’est tout profit pour l’abbé ; il devient alors un 48 vrai répertoire d’idées, même pratiques, et c’est en ce sens qu’il a pu influer indirectement. Voltaire l’a rencontré une fois en face et a eu affaire à lui comme adversaire pour l’histoire du règne de Louis XIV, que l’abbé s’était avisé d’écrire. […] Ces mémoires ou Annales politiques de l’abbé « n’ont rien de curieux, dit Voltaire, que la bonne foi grossière avec laquelle cet homme se croit fait pour gouverner ». […] [NdA] Ainsi, quand Voltaire dit : « Toute guerre européenne est une guerre civile », il rend le plus grand service à l’idée de l’abbé de Saint-Pierre ; il la frappe à son coin et lui donne cours auprès même des moins chimériques.

73. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Profondément indifférente à toutes ces œuvres de l’esprit français qui ne parlaient qu’à son esprit, secouée par instants et réveillée au contact de Shakespeare, elle a le goût incurable cependant : son intelligence n’est ouverte qu’à Voltaire. […] Voltaire est resté d’un bout à l’autre du siècle le grand, l’incomparable poète, le modèle unique et inimitable. […] Voltaire mort et devenu l’intangible idéal, l’abbé Delille représenta la plus haute forme du génie poétique que le public fût capable de concevoir. […] Voltaire ici est dépassé. […] Lettre de Voltaire au comte de Caylus sur Bouchardon ; correspondance de Diderot et de Falconet.

74. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Si l’on en croit La Harpe, qui se fonde sur l’autorité de Voltaire, madame de Sévigné a dit que Racine passerait comme le café. Non seulement madame de Sévigné n’a point fait cette prédiction doublement ridicule, mais il n’est pas vrai que Voltaire lui ait imputé de l’avoir faite. […] Ce n’était là qu’une conjecture de Voltaire ; et sur quoi se fondait cette conjecture ? […] Il est vrai que dans ces deux lettres madame de Sévigné marque une préférence décidée pour Corneille sur Racine ; mais celait à une époque où celui-ci n’avait pas encore fait ni son Iphigénie, que Voltaire regardait comme son chef-d’œuvre, ni Phèdre, ni Athalie ; Voltaire a lu ces deux lettres et n’a probablement pas lu toutes celles où madame de Sévigné parle du déclin de Corneille et des progrès de Racine. […] Combien d’esprits du premier ordre, et Voltaire en tête, les ont alternativement préférés !

75. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Mais le fait est là, consigné par Voltaire, en 1769. […] Par Voltaire ! […] Voltaire a pourtant assez lu la Bible. […] Voltaire était né « cabotin » de la tête aux pieds. […] Car Voltaire mettait très haut l’art du comédien.

76. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

Cette année, le prix sur Voltaire a été accordé à M. […] Depuis quelques années, il a quitté les directions de théâtre et est revenu à la littérature par quelques comédies, et enfin par cet Éloge de Voltaire. Le côté habile, les procédés de direction et d’exploitation d’esprit public, le chef de parti et l’homme d’affaires dans Voltaire y sont très-bien démêlés, assure-t-on, autant qu’on en peut juger par des fragments de lecture. La littérature proprement dite y semble tenir moins de place, et ce n’est pas un mauvais point de vue peut-être quand il s’agit de Voltaire et que l’espace vous empêche de tout dire. Un travail complet sur Voltaire serait au reste l’histoire du xviiiie  siècle lui-même.

77. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Voltaire, philosophe, historien, critique, érudit, commentateur, poète épique, poète dramatique, poète satirique, poète burlesque et scandaleux, poète léger et rival en grâce d’Horace son maître ; Voltaire surtout, correspondant de l’univers et répandant dans ses lettres familières, chef-d’œuvre insoucieux de soixante-dix ans de vie, plus de naturel, d’atticisme, de souplesse, de grâce, de solidité et d’éclat de style qu’il n’en faudrait pour illustrer toute une autre littérature. […] C’est que Voltaire est plus qu’un écrivain et plus qu’un poète à nos yeux, c’est une date ; c’est la fin du moyen âge. […] Voltaire est la médaille de son pays. […] Sans la langue de Voltaire, le journalisme n’aurait pas pu naître, le monde aurait continué à être sourd ; il fit l’écho qui répercute partout les idées. […] En peut-on douter quand on lit la correspondance de l’impératrice Catherine II de Russie avec Voltaire, Diderot, d’Alembert ?

78. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

Bien avant De Maistre et ses exagérations sublimes, il disait de Voltaire : « Voltaire a, comme le singe, les mouvements charmants et les traits hideux. » « Voltaire avait l’âme d’un singe et l’esprit d’un ange. » « Voltaire est l’esprit le plus débauché, et ce qu’il y a de pire, c’est qu’on se débauche avec lui. » « Il y a toujours dans Voltaire, au bout d’une habile main, un laid visage. » « Voltaire connut la clarté, et se joua dans la lumière, mais pour l’éparpiller et en briser tous les rayons comme un méchant. » Je ne me lasserais pas de citer ; et pour le style, pour la poésie de Voltaire, il n’est pas plus dupe que pour le caractère de sa philosophie : « Voltaire entre souvent dans la poésie, mais il en sort aussitôt ; cet esprit impatient et remuant ne peut pas s’y fixer, ni même s’y arrêter un peu de temps. » « Il y a une sorte de netteté et de franchise de style qui tient à l’humeur et au tempérament ; comme la franchise au caractère. […] « Voltaire l’avait, les anciens ne l’avaient pas. » Le style de son temps, du xviiie  siècle, ne lui paraît pas l’unique dans la vraie beauté française : « Aujourd’hui le style a plus de fermeté, mais il a moins de grâce ; on s’exprime plus nettement et moins agréablement ; on articule trop distinctement, pour ainsi dire. » Il se souvient du xvie , du xviie  siècle et de la Grèce ; il ajoute avec un sentiment attique des idiotismes : « Il y a, dans la langue française, de petits mots dont presque personne ne sait rien faire. » Ce Gil Blas, que Fontanes lui citait, n’était son fait qu’à demi : « On peut dire des romans de Le Sage, qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café, par un joueur de dominos, en sortant de la comédie. » Il disait de La Harpe : « La facilité et l’abondance avec lesquelles La Harpe parle le langage de la critique lui donnent l’air habile, mais il l’est peu. » Il disait d’Anacharsis  : « Anacharsis donne l’idée d’un beau livre et ne l’est pas. » Maintenant on voit, ce me semble, apparaître, se dresser dans sa hauteur et son peu d’alignement cette rare et originale nature. […] La plupart mettent leurs soins à écrire de telle sorte, qu’on les lise sans obstacle et sans difficulté, et qu’on ne puisse en aucune manière se souvenir de ce qu’ils ont dit ; leurs phrases amusent la voix, l’oreille, l’attention même, et ne laissent rien après elles ; elles flattent, elles passent comme un son qui sort d’un papier qu’on a feuilleté. » Ceci s’adresse en arrière à l’école de La Harpe, au Voltaire délayé, et, en général, le péril n’est pas aujourd’hui de tomber dans ce coulant. […] Cicéron surtout lui revient souvent, comme Voltaire ; il le comprend par tous les aspects et le juge, car lui-même est un homme de par-delà, plus antique de goût : « La facilité est opposée au sublime.

79. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Necker, au point d’écrire à Voltaire (25 octobre 1776) : « Vous savez, mon illustre maître, ce qui vient de nous arriver. […] On a fort loué, dans cette correspondance de Condorcet avec Voltaire, quelques témoignages de véracité et de franchise, mais il y fallait remarquer aussi ces premiers indices d’un esprit dénigrant, et surtout l’espèce d’adresse avec laquelle Condorcet, très mécontent que Voltaire ait fait des vers pour Mme Necker, cherche à exciter l’illustre maître contre le financier genevois : « D’ailleurs, je ne puis rien espérer, lui écrit-il, d’un homme (M.  […] Turgot et moi qui aimions le peuple. » — « Ce discours est très vrai », écrivait Condorcet à Voltaire à cette date, en lui rapportant le mot de Louis XVI. […] Jusqu’en 89, Condorcet n’avait donc rien fait qui démentît positivement ce titre de l’homme de l’ancienne chevalerie et de l’ancienne vertu dont l’avait un jour qualifié Voltaire, en osant le mettre au-dessus de Pascal. Voltaire lui avait dit encore, en lui pronostiquant le plus bel avenir pour la philosophie : « Laissez faire, il est impossible d’empêcher de penser ; et plus on pensera, moins les hommes seront malheureux.

80. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Sa lutte avec Voltaire, j’en conviens, semble aujourd’hui, et à la voir d’un peu loin, son plus beau côté ; elle suppose un certain courage. Fréron, même quand il eût été plus prudent, plus mesuré à l’égard de Voltaire, n’aurait pas trouvé grâce sans doute auprès de lui, ni triomphé de la position difficile que lui faisait sa fonction de journaliste. […] Voltaire n’était pas un voisin commode ni possible pour qui n’était pas son disciple, son admirateur-né. […] Mais les torts de Voltaire, si grands qu’ils soient, ne peuvent aller jusqu’à faire que Fréron soit respectable. […] C’est encore dans Voltaire qu’il faut chercher la vraie et vive critique littéraire de ce temps-là ; c’est dans Grimm, c’est dans La Harpe lui-même.

81. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

J’ai dit, dès la première page, que Voltaire, Marmontel et La Harpe ne laissaient rien à désirer à cet égard ; mais je voulais montrer le rapport qui existe entre la littérature et les institutions sociales de chaque siècle et de chaque pays ; et ce travail n’avait encore été fait dans aucun livre connu. […] Voltaire, qui succédait au siècle de Louis XIV, chercha dans la littérature anglaise quelques beautés nouvelles qu’il pût adapter au goût français3. […] Voltaire aurait désavoué, je crois, cette phrase du Mercure, qui paraîtra dénuée de vérité à tous les Anglais, comme à tous ceux qui ont étudié la littérature anglaise : « On serait étonné de voir que la renommée de Shakespeare ne s’est si fort accrue, en Angleterre même, que depuis les Éloges de Voltaire. » Addison, Dryden, les auteurs les plus célèbres de la littérature anglaise, ont vanté Shakespeare avec enthousiasme, longtemps avant que Voltaire en eût parlé. […] Si l’on joint à ces deux exemples ceux que l’on trouvera cités dans ce livre, si l’on examine avec soin tous les ouvrages de l’antiquité, l’on verra qu’il n’en est pas un qui ne confirme la supériorité des Romains sur les Grecs, de Tibulle sur Anacréon, de Virgile sur Homère dans tout ce qui tient à la sensibilité ; et l’on verra de même que Racine, Voltaire, Pope, Rousseau, Goethe, etc. ont peint l’amour avec une sorte de délicatesse, de culte, de mélancolie et de dévouement qui devait être tout à fait étrangère aux mœurs, aux lois et au caractère des anciens. […] Je crois avoir essayé la première d’appliquer ce système à la littérature ; mais j’attache un grand prix à montrer combien de philosophes respectables ont, avant moi, soutenu victorieusement cette opinion, considérée d’une manière générale ; et je ne pense pas, comme un littérateur de nos jours, que ce soit la charmante pièce de vers de Voltaire, intitulée Le Mondain, qui ait donné l’idée de la perfectibilité de l’espèce humaine, et qui contienne l’extrait de tout ce qu’il y a de meilleur dans les longues théories sur cette perfectibilité.

82. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Celles qui le firent le plus connaître dans la première partie de sa vie furent les pièces qu’il adressa à Voltaire et à Buffon. […] Le Brun, qui avait dans le talent des côtés grandioses, et de qui l’instinct lyrique cherchait partout autour de lui des sujets, saisit avidement celui qui lui permettait d’évoquer l’Ombre de Corneille, et de la mettre en face de Voltaire. […] Voltaire, ainsi interpellé, tressaillit et vibra : il appela sans retard auprès de lui la nièce de Corneille, et Le Brun resta, dans l’opinion, le médiateur honorable et comme le parrain qui avait amené cette adoption. […] Il avait fait imprimer son ode (1760), en y joignant ses lettres à Voltaire et la réponse. […] Quant à ce qui était de Voltaire et de son entourage : « Il faut avouer, concluait Fréron, qu’en sortant du couvent, Mlle Corneille va tomber en de bonnes mains. » Je laisse de côté la colère de Voltaire sur ce propos qu’il jugeait digne du carcan ; mais celle de Le Brun ne fut pas moindre.

83. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

La Grange-Chancel et Voltaire ont également fait leur tragédie de Sophonisme. […] Voltaire maria et dota cette jeune personne. […] De Racine à Voltaire. […] — Bon mot de Voltaire. — Duché de Vancy. — Son aventure avec le ministre Pontchartrain […] Entre Crébillon et Voltaire, nous ne trouvons que Château-Brun.

84. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Après Montaigne, Pascal, La Bruyère, Bossuet, Montesquieu, Voltaire, J. […] Voltaire est parti d’Œdipe pour se lancer dans son admirable prose. […] Il est juste toutefois d’excepter les caractères de chevaliers que Voltaire a tracés avec beaucoup de charme et une fidélité de couleur plus que suffisante pour l’époque. […] Voltaire, en se tenant toujours dans le style pompeux, s’est privé de la ressource immense des contrastes de mœurs et de caractères. […] Dans l’empire des arts, il y a un trône pour chaque génie : Voltaire n’a fait aucun tort à Corneille ni à Racine, il n’a tué que leurs imitateurs ; de même Shakespeare ne fera de mal qu’aux continuateurs de Voltaire.

85. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Voltaire. Je vous étonnerais bien si je vous disais que Voltaire n’a eu qu’une opinion sur La Fontaine ; car je crois qu’il n’y a pas un objet de méditation sur lequel Voltaire n’ait eu qu’une opinion. Voltaire est continuellement contradictoire, comme vous le savez. […] On pourrait, sur deux colonnes, mettre Voltaire pour La Fontaine, Voltaire contre La Fontaine. […] Et Voltaire qui, pour ce qui était querelles littéraires, n’y tenait pas beaucoup, qui ne tenait pas beaucoup, dans ce genre de discussions, à son opinion, Voltaire sourit, félicite Chamfort et s’excuse auprès de lui d’avoir dit souvent, presque trop souvent, du mal de La Fontaine.

86. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

ou entre Racine et Voltaire ? […] de quel poids l’ambition de faire autrement que Voltaire sur la conception dramatique d’Hugo ? Quels et qui furent enfin Hugo, Voltaire, Racine, Corneille ? […] Croirons-nous donc avec Voltaire que les « caractères » s’épuisent ? […] Les comédiens, vous ne l’ignorez pas, étaient alors un peu les maîtres des auteurs, et Voltaire même, Voltaire, chargé de gloire et d’années, n’en fera pas tout ce qu’il voudra.

87. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Tel est le secret de Voltaire dans sa diatribe du docteur Akakia, et dans ses autres pamphlets. […] J’espère que la mémoire de mes lecteurs, si j’en ai, voudra bien se rappeler ce volume charmant de leur édition de Voltaire, intitulé Facéties, et dont je rencontre souvent dans le Miroir des imitations fort agréables. […] N’est-il pas singulier que Voltaire, si plaisant dans la satire et dans le roman philosophique, n’ait jamais pu faire une scène de comédie qui fit rire ? […] Il avait trop de naturel, ainsi que Sédaine ; il leur manquait l’esprit de Voltaire, qui, en ce genre, n’avait que de l’esprit. […] Le riche Voltaire se plaît à clouer nos regards sur la vue des malheurs inévitables de la pauvre nature humaine.

88. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

Personne dans son temps, dans aucun temps, personne, fût-ce Voltaire, qui ne s’ennuya jamais, lui, ne fut plus intéressant et plus charmant que cette vieille, son égale en esprit et en grâce, dont l’ennui si intéressant pour nous fut si cruel et si tenace pour elle ; et ces deux volumes, en attendant ceux qui viendront encore, sont de nature à confirmer sur cette femme, la plus singulière de son siècle, ce que les volumes précédemment publiés nous avaient appris. […] Elle a flatté Voltaire dans ses lettres, elle s’y vante d’être son amie, et elle le méprisait comme un drôle dont la familiarité la choquait ; car ôtez la familiarité et l’insolence à Voltaire, et dites-moi ce qu’il en resterait ! […] Elle a beau être frivole comme tout ce siècle écervelé, où les hommes comme Montesquieu et Voltaire ont dans le génie quelque chose d’ineffablement étourdi qu’on n’avait jamais vu avant eux, le bon sens gaulois, carré, indéfectible, se retrouve, à chaque instant, en Madame Du Deffand, sous cette poussière parfumée de la frivolité qui la poudre. […] Ces encyclopédistes qui entraînaient l’opinion, elles les appelait la Livrée de Voltaire. […] Et c’était le bon sens, uniquement le bon sens, qui l’empêcha de chavirer dans la philosophie, au fond de laquelle Voltaire, le flatteur et l’irrésistible, la poussait avec des mains d’Hercule filant aux pieds d’Omphale.

89. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Voici plus tard Jean de Meung, qui met en scène dame Raison et dame Nature, deux dames peu orthodoxes qui reparaîtront de compagnie au temps de Voltaire et de Rousseau. […] « Les meilleurs prédicateurs de l’Empire, disait Voltaire, sont les auteurs dramatiques. » Mais il faut ajouter qu’ils prêchent tout autre chose que l’orthodoxie catholique. […] Les lettres de Voltaire sur l’Angleterre, où il vulgarise les idées de Locke et les découvertes de Newton sur la gravitation universelle sont lacérées et brûlées solennellement ; l’ouvrage a été déclaré scandaleux, contraire à la religion, aux bonnes mœurs et au respect dû aux puissances. […] « Les jansénistes, disait Voltaire, ont la phrase longue ». […] Mais il est certain qu’ils résument la campagne entreprise par Voltaire et menée par lui durant sa vie entière avec une indomptable persévérance.

90. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

C’est là que Voltaire a imprimé le caractère de son talent tragique. […] Il n’y avait qu’à peindre, et c’était un des talents de Voltaire. […] Tel fut Voltaire. […] Ainsi Voltaire ne servait pas encore de modèle. […] Voltaire avait essayé les sciences exactes pour être universel.

91. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Voltaire aussi le déclare mauvais poète, mais homme fort savant, et, ce qui est étonnant, bon critique. Voltaire s’exprime ainsi sur Cottin : Non moins plat poète (que Chapelain), et, de plus, plat prédicateur, mais homme de lettres et aimable dans la société. […] Voltaire ne tenait donc pas l’hôtel de Rambouillet pour déprécié par la fréquentation de Chapelain et de Cottin. […] Voltaire est évidemment dans l’erreur : c’est seulement en 1664 et 1665 que Boileau, pour la première fois, a publié des épigrammes contre Chapelain. […] C’est pourtant sur cet anachronisme de Voltaire que se sont établis les principaux détracteurs de l’hôtel Rambouillet ; c’est sur la foi du poète, inexact chronologiste, que les biographies et les commentaires se sont à qui mieux épuisés en mépris sur l’hôtel Rambouillet.

92. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

Nous ne voulons imiter personne, ni Voltaire, dont les remarques sur Pascal ne sont qu’un verre d’eau claire dans lequel il y a de petites raisons qui ressemblent à des animalcules ! […] Comme mathématicien, en effet, il fut pour les méthodes anciennes contre les méthodes nouvelles, dont il méconnut la portée, ce qui lui mérita peut-être que Voltaire le mît, comme géomètre, très au-dessous de Condorcet. […] Voltaire, Voltaire, qui se croyait avec raison plus philosophe que poëte, eut les pitiés les plus impertinentes pour Pascal. […] Royer-Collard et cette folie-là, avec ses trois quarts de raison, Voltaire ne l’avait pas ! Devant la Postérité et cette partie de la Postérité qui aime les grands poëtes, Voltaire n’aura jamais l’honneur d’avoir été, en toute sa vie, une seule minute, fou comme Pascal !

93. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IX » pp. 77-82

Boileau trouvait ses élégies d’un agrément infini, Voltaire la cite dans Le Siècle de Louis XIV comme célèbre. […] Voltaire avait son P.  […] Voltaire, qui le déclare mauvais poète et prédicateur plat, dit néanmoins qu’il était aimable dans le monde34. […] Note de Voltaire, sur son épître à Boileau.

94. (1894) Critique de combat

Faguet se contredirait parfois, comme Voltaire ? […] Faguet, il les a condensées dans son article sur Voltaire ou plutôt contre Voltaire. […] Voltaire, aux yeux de M.  […] « Voltaire nous ressemble. […] Il s’écrie, par exemple : « Voltaire est-il optimiste ?

95. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Voltaire, qui l’a plus loué que personne, a retiré, à la fin, tous ses éloges, lorsqu’il a vu le président mourir en reniant la philosophie. […] Je ne puis vous exprimer quel effet m’ont fait ces pièces… » Voltaire eut toute une discussion avec le président au sujet de ce François II : « Je voudrais que, quand il se portera bien, disait-il, et qu’il n’aura rien à faire, il remaniât un peu cet ouvrage, qu’il pressât le dialogue, qu’il y jetât plus de terreur et de pitié, etc. » Bons conseils à suivre lorsque le démon intérieur s’en mêle. Moyennant toutes ces conditions, et « un peu de cette hardiesse et de cette liberté anglaise qui nous manque », Voltaire promettait au François II de valoir mieux que toutes les pièces de Shakespeare : c’était là une pure gaieté. […] En un mot, par une certaine liberté de goût et un dégagement de pensée, le président Hénault tenait à quelques égards de l’école littéraire de Fontenelle plus que de celle de Voltaire et de Despréaux : il y avait des commencements de novateur dans cet amateur. […] Un jour, âgé de quatre-vingts ans, il écrivit à Voltaire une lettre fort belle de sens et d’intention ; il venait de lire une des facéties irréligieuses que ce versatile génie avait publiées sous le nom d’un abbé Bazin, et où il sapait à plaisir toutes sortes de choses respectables.

96. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Pas plus que Crébillon, que Jean-Baptiste Rousseau, que Piron, ses aînés, il n’avait l’esprit sérieux, tandis que Voltaire l’avait jusqu’en ses saillies ; et c’est ce qui explique le peu de résistance qu’ils firent tous en face d’un tel rival, à la fois léger de plume et muni du fonds. […] Le personnage de Valère, de ce jeune homme bien doué et d’un naturel excellent, qui se croit obligé de faire le fat par bon air, n’est pas moins vivement saisi ; cela prête à plus d’une scène heureuse et d’un intérêt assez comique ; mais la diction surtout du Méchant est excellente ; on en peut dire ce que Voltaire disait de la satire des Disputes, que ce sont des vers comme on en faisait dans le bon temps. […] et que cela donnait beau jeu à Voltaire de s’écrier dans le Pauvre Diable, qui est justement de l’année suivante : …………. […] Qu’est-ce que cette mollesse et finesse de l’air que les Anciens trouvaient au ciel d’Athènes, que les Latins du temps des Césars croyaient ressentir à Rome (proprium quemdam gustum urbis), que Voltaire recommandait si fort aux poëtes trop absents de Paris, et dont lui-même, à ce qu’il semble, il savait se passer si bien ? […] Car enfin, même en se retirant au bout du monde, on emporte des préservatifs avec soi : Voltaire se fit un Paris et un Versailles partout où il alla, et tout en se vantant par coquetterie d’être Suisse et très-Suisse.

97. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Il est vrai que Racine et Voltaire lui-même doivent à l’amour leurs plus sublimes compositions ; mais Voltaire et l’auteur de Britannicus ont senti quelquefois le besoin d’un autre ressort ; et s’il est permis de le dire, les spectateurs du dix-neuvième siècle compatiraient aux douleurs d’un citoyen, bien autant qu’à celles d’une amante ; s’ils gémissent sur Ariane abandonnée, Coligny massacré ne leur arracherait pas moins de larmes. […] Corneille est venu, et le Cid a ouvert avec éclat un long et glorieux âge, où après Racine et Voltaire, Ducis, Chénier et leurs successeurs ont brillé et brillent encore. […] C’est là, je crois, l’état de la question entre Voltaire et Schiller, s’il peut y avoir en effet une question entre ces deux hommes. […] Zaïre n’a été fournie à Voltaire par aucune chronique : quelques noms à peine ont passé de l’histoire dans cet immortel ouvrage. […] Je sais que Voltaire a daigné employer de pareils prestiges, et je serais tenté de croire qu’il eût mieux fait de n’en avoir pas besoin.

98. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

On a comparé Voiture, et de son temps et depuis, à bien des écrivains et des poètes célèbres, à Horace, à Catulle, à Lucien, à Voltaire, à Delille, à d’autres encore. […] Il devance donc à quelques égards Voltaire, et leurs noms se peuvent rapprocher ; mais ce n’est qu’en un ou deux points qu’est leur rencontre. […] Son ambition était du côté des femmes ; celle de Voltaire était partout ailleurs. […] Mais je ne puis même alors, et même les conditions sociales, les excitations d’alentour étant si changées, me décider à faire de lui un autre Voltaire. Seulement, le bruit de ses succès charmants eût quelquefois de loin alarmé Voltaire.

99. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Il s’est vanté de lui avoir… (Mais il faut toujours sauter un peu en citant du Voltaire). […] Après le souper, il y eut un feu d’artifice avec beaucoup de fusées et très peu d’invention et de variété ; après quoi le roi alla se préparer à faire un dauphin, Voltaire, en voyant tout et en peignant tout si gaiement, ne s’oublie pas. […] Elle a pleuré à Marianne ; elle a ri à l’Indiscret ; elle me parle souvent, elle m’appelle mon pauvre Voltaire. […] Voltaire était encore à Versailles, et il nous a rendu cette impression, comme il sait faire : « Il y avait ce jour-là spectacle à la Cour : on jouait Britannicus. […]  » — Le crédit et la considération ; de la reine parurent tomber dès ce moment ; d’autres observateurs encore que ; Voltaire, et très attentifs à tous les changements d’air de la Cour, en ont fait la remarque.

100. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Dans les salons, cela se conçoit, domine l’influence encyclopédique et voltairienne ; Mme du Deffand écrit à Voltaire : « Il n’y a que votre esprit qui me satisfasse » ; et Mme de Choiseul le pense. […] La plupart des esprits mêlent confusément, sans distinguer, Diderot, Voltaire, Rousseau, et se font un amalgame d’idées hétérogènes, dont l’unité réside dans la commune propriété de dissoudre l’état présent de la société. […] Là-haut les idées sont le divertissement des esprits : ici, elles en sont la nourriture, l’espérance ; elles donnent une raison de vivre ; ici, Voltaire perd, et Rousseau gagne. […] Le sujet manqué par Voltaire dans Nanine est venu très justement s’appliquer sur le thème de l’École des femmes. […] Il est à la tête de l’édition des œuvres de Voltaire qui se publie à Kehl.

101. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

La première partie de l’ouvrage nouveau contient quatre grands portraits, ou plutôt quatre statues, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, qui n’ont jamais apparu avec plus de jeunesse divine et de majesté. […] A Montesquieu, l’histoire renouvelée ; à Voltaire, la propagation du déisme, du bon sens et de la tolérance ; à Diderot, le résumé encyclopédique des connaissances humaines ; à Jean-Jacques, la restauration du sentiment religieux, des droits de l’homme, tant individuel que social, et le grand principe de la souveraineté démocratique ; tels sont les titres généraux, que leur reconnaît M.  […] Aussi nous ne lui en ferons pas un sujet de reproche, tant qu’il se contente d’augmenter et de rajeunir les immortalités révérées ; nous lui passerons même quelques impétueux éloges qui veulent trop prouver sur le côté faible des modèles, comme lorsqu’il dit de Voltaire : « Voltaire pouvait parler de Dieu, car il l’aimait ardemment. […] Je sais que c’est une défense peu avantageuse à prendre que celle du Système de la nature et de cette faction d’holbachienne ; mais je ne veux soutenir d’Holbach ici que comme un homme d’esprit, éclairé quoique amateur, sachant beaucoup de faits de la science physique d’alors, n’ayant pas si mal lu Hobbes et Spinosa, maltraité de Voltaire, qui le trouvait un fort lourd écrivain et un fort ennuyeux métaphysicien, mais estimé de d’Alembert, de Diderot, et dont l’influence fut grande sur Condorcet et M. de Tracy.

102. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

Voltaire, quand il mit en honneur l’appellation consacrée de « siècle de Louis XIV », eut au fond une idée heureuse. […] Du moins Voltaire semble-t-il avoir entrevu que les variations du goût littéraire se lient aux grands événements politiques, et aussi que dans une monarchie absolue la disparition du souverain est d’ordinaire le signal d’une réaction contre les idées et les pratiques du règne précédent. […] C’est l’instant où va se produire un schisme parmi les philosophes, où Rousseau va disputer à Voltaire la royauté des intelligences, où la sensibilité va s’opposer à la raison, où le courant négatif en matière religieuse va entrer en lutte avec un courant positif qui ramène les esprits vers le christianisme et les doctrines spiritualistes. […] Voltaire écrivait3 : « Vers l’an 1750, la nation rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, d’opéra, de romans, d’histoires romanesques, de réflexions morales plus romanesques encore et de disputes théologiques sur la grâce et les convulsions, se mit enfin à raisonner sur les blés. […] Et en effet, aux environs de 1750, voici Montesquieu qui disparaît, sa tâche faite ; Voltaire, qui va chercher hors de sa patrie un asile où il puisse dire librement ce qu’il pense ; Rousseau, qui entre dans la gloire par un coup de foudre ; Diderot, qui se fait mettre en prison pour son début dans la littérature philosophique ; Buffon, qui publie les trois premiers volumes de son Histoire naturelle ; l’Encyclopédie, cette énorme machine de guerre, qui commence à battre en brèche les remparts croulants de l’ancien régime.

103. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Mais enfin il y a le comique de l’histoire, comme Voltaire. Voltaire fut un comique dans un pernicieux et misérable esprit. […] Supposez Voltaire honnête homme et serviteur d’une cause de vérité, il aurait pu rire dans l’histoire de ce rire que j’appelle bienfaisant, — oui ! […] Esprit vraiment français de fond et de forme, sans déclamation d’aucune sorte, sans surcharge, sans pesanteur, sans pédantisme, Vitu est un voltairien, de l’autre bord, qui rendrait aux voltairiens et à Voltaire lui-même la monnaie de leur pièce en une plaisanterie qui vaudrait la leur. […] Auguste Vitu est naturellement allé à l’homme qui a le plus été frappé des ridicules de la Révolution et qui s’en est le plus moqué, avec la verve, l’ironie et l’aristocratique impertinence de Voltaire, lui aussi un voltairien de l’autre bord que l’histoire, qui n’en a fait jamais d’autre, oubliait, et que Vitu nous restitue.

104. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

On s’est souvent demandé ce qu’aurait été Voltaire à la Révolution, et quelquefois on a tranché cette question bien à la légère. Voltaire, — et j’entends le Voltaire du fond, de la pensée de derrière, tout ce qu’il y avait d’éclairé et de prophétique dans Voltaire, — eût été pour la Révolution, et je ne crois pas être loin du vrai en répondant : Talleyrand à l’Assemblée Constituante, c’est assez bien Voltaire en 89, un Voltaire moins irritable et sans les impatiences : mais aussi Voltaire avait de plus le feu sacré.

105. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Un Voltaire, en ce sens, un Rousseau, que dis-je ! […] Avant même que Voltaire soit né, Bayle va plus loin que Voltaire. […] Combien de fois, depuis Bayle jusqu’à Voltaire et depuis Voltaire jusqu’à nous, la maxime a-t-elle servi d’excuse ou de prétexte aux pires tyrannies ! […] C’est précisément alors que s’éveille l’attention de Voltaire. […] Le seul Voltaire en a retenu longtemps quelque chose.

106. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Marmontel est au premier rang parmi les bons littérateurs du xviiie  siècle, l’aîné de La Harpe de quinze ou seize ans, il mérite autant et plus que lui le titre de premier élève de Voltaire dans tous les genres. […] Voltaire lui répond. […] Il devait être placé, par la protection de Voltaire, auprès de M.  […] Voltaire regretta toujours qu’il y eût renoncé si tôt. […] Il suffit de lire sa correspondance avec Voltaire pour voir que son âme n’était pas libre des animosités philosophiques et des passions de secte.

107. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La réforme prosodique » pp. 120-128

« Notre langue, peu accentuée, prétendait-il16, ne saurait admettre le vers blanc, et ni Voltaire, vice-roi de Prusse en son temps, ni Louis Bonaparte, roi de Hollande au sien, ne me sont des autorités suffisantes pour hésiter, ne fût-ce qu’un instant, à ne me point départir de ce principe absolu. […] La Fontaine lui a donné le fatal exemple, et leur génie ne les absout pas plus que son esprit en prose n’absout le d’ailleurs “affreux” Voltaire. […] Par rime mauvaise, je veux dire, pour illustrer immédiatement mes raisons, des horreurs comme celles-ci, qui ne sont pas plus “pour l’oreille” (malgré le Voltaire déjà qualifié) que “pour l’œil” : falot et tableau, vert et piver, tant d’autres, dont la seule pensée me fait rougir et que pourtant vous retrouverez dans maints des plus estimables modernes. […] Cette lettre, en dépit de l’admiration que nous professions pour le Maître, ne modifia en rien nos idées sur la rime, non plus que notre opinion sur « l’affreux Voltaire ».

108. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Toutes ces naïvetés-là ont changé de nuance jusqu’à Voltaire, qui fut libre, leste et gai, mais avec une retenue dont la société de madame Duchatelet lui avait fait sentir la convenance. Aujourd’hui, Voltaire lui-même nous dirait que Brantôme et Rabelais furent sales et orduriers, Montaigne quelquefois obscène, La Fontaine licencieux dans ses contes, Molière indécent et grossier dans plusieurs de ses comédies. Voltaire, dans son Commentaire sur Corneille, a relevé comme grossier, un mot employé par l’auteur dans une épigramme contre Scudéry, qui à la suite de quelques débats à l’occasion de la critique du Cid, l’avait appelé en duel. Corneille termine son épigramme par un vers qui envoie le ferrailleur Scudéry en un lieu qui rime à duel et à cartel… Ce mot, dit Voltaire, est d’une grossièreté insupportable.

109. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Voltaire, à qui Rulhière avait envoyé ce discours, lui avait répondu : Je vous remercie, monsieur, du plus grand plaisir que j’aie eu depuis longtemps. […] Trois grandes influences philosophiques peuvent se discerner au xviiie  siècle : celle de Voltaire, celle de Rousseau, et celle des encyclopédistes proprement dits. […] Voltaire, tout aristocratique au contraire, ne s’adresse qu’à quelques-uns, et la réforme qu’il prêche aux rois, aux grands et aux esprits d’élite, est plutôt civile et religieuse que politique. Rulhière se rattachait à cette manière de voir de Voltaire ; et, plus sage, plus conséquent que le maître, il n’y dérogea en aucun temps par imprudence ni par pétulance. […] Voltaire, l’en félicitant, lui écrivait à cette occasion (août 1774) : « Il me semble qu’il se forme enfin un siècle, et, pour peu que Monsieur s’en mêle, le bon goût subsistera en France. » On voit combien Voltaire faisait volontiers tout dépendre des grands et des princes.

110. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Il est curieux de rapprocher de ce mot l’avis donné par Voltaire au duc de Choiseul, conseil au ministre, insinuation au roi : « Laissez les badauds lire nos sornettes. […] Voltaire, griffes cachées, faisait le gros dos aux pieds du roi. Voltaire et Machiavel sont deux redoutables révolutionnaires indirects, dissemblables en toute chose et pourtant identiques au fond par leur profonde haine du maître déguisée en adulation. […] Conclusion de ceci : Faites lire au peuple Machiavel, et faites-lui lire Voltaire. Machiavel lui inspirera l’horreur, et Voltaire le mépris, du crime couronné.

111. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

» Et l’historien en question ajoute, textuellement : « Si des ecclésiastiques ont régi tant d’États militaires, c’est qu’ils étaient plus expérimentés, plus véritablement propres aux affaires, que des généraux et des courtisans. » Raison qui rappelle le mot des médecins de Molière : L’opium fait dormir parce qu’il a une vertu dormitive , et qui fait sourire venant d’un homme d’autant d’esprit que Voltaire ; car c’est Voltaire qui est cet historien ! Il fallait dire pourquoi des prêtres sont plus aptes au gouvernement des États que les autres hommes, et voilà ce que Voltaire n’a point dit… Le phénomène qui étonnait Voltaire, qui s’étonnait de peu, n’est point inexplicable. […] Sans doute, parmi ces cardinaux, cités par Voltaire, il en fut plusieurs qui oublièrent trop la robe qu’ils avaient l’honneur de porter.

112. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « L’abbé Galiani »

C’est à Paris, en effet, que cet Italien, naturalisé Français par un langage aussi étonnant pour un étranger que celui d’Hamilton (dans les Mémoires de Gramont), publia son fameux livre dialogué sur les blés, que Voltaire appela du Platon égayé par Molière, et qui fricassa les économistes balourds de ce temps dans la poêle à frire de la plaisanterie, chauffée avec cette verve qui faisait penser Catherine II au Vésuve, quand elle lisait Galiani ! […] L’esprit peut être bossu comme Pope, cul-de-jatte comme Scarron, malade comme Voltaire, nain comme Galiani, mais il n’en est pas moins puissant, dans ces corps chétifs, et peut-être l’est-il davantage ! Galiani, cet extrait d’homme, cet homonculus à mettre dans le flacon des alchimistes du Moyen Âge, une fois assis dans un des fauteuils du salon de Madame Geoffrin, qu’il appelait ses trépieds de Sybille et qui avaient plus d’esprit que lui, disait-il, avait autant de conversation que le robuste et tonitruant Diderot, et dans ses lettres il montrait autant d’esprit épistolaire que Voltaire et Madame Du Deffand dans les leurs. À la date de son siècle, — car nous avons eu, depuis, le prince de Ligne, et plus tard encore la correspondance adorable de cet observateur de génie qui s’appelait Beyle et qui se fit nommer Stendhal, — à la date de son siècle, je ne vois guères que Voltaire et Madame Du Deffand qu’on puisse, épistolairement, lui comparer. Et encore, Madame Du Deffand, aveugle et égoïste, était amère, et Voltaire heureux, parce qu’il fut heureux était cruel.

113. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Malgré des timidités qui sont peut-être encore des timidités réfléchies et volontaires, dans un esprit aussi brave et même aussi pétulant que celui de l’auteur du Corneille inconnu quand il ne résiste pas à sa spontanéité, Corneille est vengé ici jusque de Voltaire. […] Levallois n’est point de ressusciter un phénix tiré d’un autre phénix qui a brillé et qui brille encore aux yeux des hommes, mais de nous ramener au vieux Corneille, à ce phénix dont la jalousie de Voltaire avait coupé les ailes, et de nous en faire admirer les beautés depuis longtemps inaperçues. […] La Harpe, qui ne quitta la livrée de Voltaire que pour prendre celle de Jésus-Christ, avait sifflé comme Voltaire, cet éleveur de perroquets, lui avait appris à siffler ainsi qu’à tout son siècle. […] Les esprits médiocres et ignorants qui sont de tous les siècles et qui ne lisent que quand tout le monde lit, le servum pecus des âmes basses et des sots qui est le public, avaient pris pour Évangile littéraire le Commentaire de Voltaire et s’étaient taillé un petit Corneille de rhétorique dans le grand.

114. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Arrivons donc à Voltaire. […] Voltaire, en vantant les Anglais, n’apprenait rien à ses compatriotes. […] Voltaire en est un remarquable exemple. […] Que savons-nous des sentiments de Voltaire pour Mme du Châtelet ? […] C’est à peu près le contraire aussi de ce que pensait Voltaire.

115. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIII » pp. 244-246

Laissez ici le Journal des Débats s’escrimer contre les Jésuites, et M. de Molènes relever le gant de Voltaire en y mêlant beaucoup de musc. C'est bien peu imiter Voltaire que de faire cela. Que ferait donc Voltaire de nos jours ?

116. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Il n’y eut de journalistes qu’après Voltaire. […] Un journal peut s’appeler le Figaro ou le Voltaire. […] « Nous eûmes longtemps neuf Muses, dit Voltaire. […] Mais Voltaire citant cette phrase dans les Remarques sur les Pensées de M.  […] N’oublions pas le dernier point, et aimons-le comme Voltaire.

117. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Si vous voulez les reconnaître tous, allez les compter dans ce livre, pieux à l’esprit, qui a l’élégance d’un autel, et où ils tombent et roulent — lourdes victimes — sous les traits déliés de ce Sacrificateur aux Grâces Moqueuses qui, je l’ai dit, a de Voltaire, mais de Voltaire quand il a séché son encre pâle avec cette « poudre des ailes de papillon » dont il prenait parfois une prise dans la tabatière de Diderot. […] C’est un voltairien qui, sur bien des points, vaut mieux que Voltaire et a l’air d’en descendre… par les femmes ; car il n’a pas la fibre si sèche, et son cœur ne bat pas, dru comme une chiquenaude, dans une enveloppe de parchemin ! […] … Qu’on lui ôte sa tendance très exprimée, mais très vague, au spiritualisme qu’avait aussi le sceptique Voltaire ; qu’on lui ôte ces attractions encyclopédiques qui allaient jusqu’à devenir des facultés chez Voltaire l’universel, et que restera-t-il à Babou, le satirique et non le critique ? […] Dans la farandole bariolée de ces Lettres, qui passent sous nos yeux lestes, pimpantes et rapides, et que l’auteur des Amitiés littéraires a mises chacune à l’adresse d’un de ses amis, il en est une adressée à Montégut (de la Revue des Deux-Mondes), et le sujet de cette lettre est Nicolardot et son livre : Ménage et finances de Voltaire. Je n’ai pas à défendre ce livre, sur lequel j’ai appelé le premier le bruit et la lumière, pas plus qu’à m’étonner de ce que les hommes qui invoquent le plus l’autorité de Burckhard contre Alexandre VI, et trouvent très bonne l’histoire des vices de ce Pape, trouvent mauvaise l’histoire des vices de Voltaire et abominent Nicolardot pour l’avoir écrite, en les flétrissant.

118. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Homère était le géographe et l’historien de son temps, Moïse le législateur du sien, Juvénal le juge du sien, Dante le théologien du sien, Shakespeare le moraliste du sien, Voltaire le philosophe du sien. […] Aide des forts aux faibles, aide des grands aux petits, aide des libres aux enchaînés, aide des penseurs aux ignorants, aide du solitaire aux multitudes, telle est la loi, depuis Isaïe jusqu’à Voltaire. […] Un jour, il y a trente-cinq ans, dans une discussion entre critiques et poètes sur les tragédies de Voltaire, l’auteur de ce livre jeta cette interruption : « Cette tragédie-là n’est point de la tragédie. […] Ce songe, qui faisait écumer le cardinal de Polignac et sourire Voltaire, n’est plus si perdu qu’il l’était dans les brumes de l’improbable ; il s’est un peu rapproché ; mais nous n’y touchons pas. […] Louis XV, en lisant le madrigal (et gardez tous deux vos conquêtes), s’était écrié : que ce Voltaire est bête !

119. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

… Louis Blanc voulait voir dans la Révolution et depuis lors dans la Société française, deux mouvements : l’un dérivant de Voltaire, l’autre dérivant de Rousseau. […] Si l’on personnifie, en Voltaire, la Raison critique, indépendante, saine, la logique et l’ironie, l’esprit de réforme contenu dans le culte du goût, de tradition légitime et de nécessité, le respect de la langue, il deviendra facile d’identifier Rousseau à cet esprit de révolte, d’instinct brutal, de mépris pour la forme, de lyrisme hors de propos, d’orgueil maladroit qui semble nous dominer aujourd’hui. Le Romantisme est né de Rousseau, la Renaissance classique peut se réclamer de Voltaire. […] Faites aboutir Voltaire à Mérimée, vous aurez le dessin général de ces deux tendances — s’il se peut dire.

120. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Remarquez, au contraire, comment l’impiété et le génie de Voltaire se décèlent à la fois dans ses écrits, par un mélange de choses exquises et de choses odieuses. […] S’il y a tant de choses à reprendre, comme on en convient, dans les ouvrages de Rousseau et de Voltaire, que dire de ceux de Raynal et de Diderot202 ? […] Nous avons déjà montré combien Voltaire eût gagné à être chrétien : il disputerait aujourd’hui la palme des Muses à Racine. […] Voltaire a bien péché contre ces règles critiques (pourtant si douces !)

121. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — I. Sur M. Viennet »

La liste est courte ; elle est imposante : “Malherbe, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, Regnard et Voltaire.” C’est de ce dernier, lui-même, de ce Voltaire immortel, qu’il prétend procéder ; et l’on conviendra qu’il tient le drapeau d’une main ferme et qu’il n’a pas l’air d’un vaincu. […] Là encore, il est de l’École de Voltaire, de l’auteur de l’Essai sur les mœurs.

122. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Voltaire raillait les Bénédictins. […] Avec Voltaire et Montesquieu, tout ce que je pouvais espérer, c’étaient des maux un peu moindres. […] Voltaire, Dictionnaire Philosophique, article Supplices. […] Voltaire, Dialogues, Entretiens entre A, B, C. […] Voltaire, Dictionnaire Philosophique, article Religion.

123. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Cinquante ans plus tard, il y en a qui vivront surtout par leur admiration pour Voltaire et parce qu’ils auront été ses premiers disciples, ses premiers lieutenants. […] C’est le d’Argental (et mieux) de ce Voltaire. […] Bayle, le grand précurseur de Voltaire, mais un Voltaire à la hollandaise et le moins parisien des écrivains, est devenu assez difficile à sentir et à goûter ; il l’était même du temps de Mathieu Marais. […] Moins de vingt-cinq ans après, Voltaire qui d’abord s’était annoncé si peu comme devant être le successeur de Bayle et celui qui le détrônerait, Voltaire qui inaugurait ce nouveau rôle philosophique par ses Lettres sur les Anglais (1733), disait vers le même temps dans ce charmant poème du Temple du Goût, à l’endroit où il se représente comme visitant la bibliothèque du dieu : « Presque tous les livres y sont de nouvelles éditions revues et retranchées. […] Ce sont les termes résumés de Voltaire, si ce n’est le texte même.

124. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Plusieurs sont de Voltaire ; on les a réunies à ses autres œuvres, où elles sont en meilleure compagnie. […] Après sa retraite, tout ce que Voltaire et lui avaient dit de l’œuvre fut encore plus vrai. […] La justesse n’y a pas la grâce de la promptitude ; elle ne jaillit pas comme chez Voltaire ; elle n’est pas un bonheur de l’esprit : c’est une déduction rigoureuse ; on en convient, on n’en est pas touché. […] Elle lui rendait nécessaire, écrivit-il à Voltaire, l’assiduité aux Académies ; il avait besoin, pour vivre, des jetons de présence. […] Il s’appelait elle-même le Bertrand dans cette besogne où Voltaire était le Raton.

125. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

En poésie, ce n’est pas Bernis seulement qui est tout Pompadour, c’est Voltaire dans les trois quarts de ses petits vers, c’est toute la poésie légère du temps ; c’est la prose, Marmontel dans ses Contes moraux, Montesquieu lui-même dans son Temple de Gnide. […] Mme de Pompadour n’était pas une grisette précisément, comme affectaient de le dire ses ennemis, et comme Voltaire l’a répété en un jour de malice : elle était une bourgeoise, la fleur de la finance, la plus jolie femme de Paris, spirituelle, élégante, ornée de mille dons et de mille talents, mais avec une manière de sentir qui n’avait pas la grandeur et la sécheresse d’une ambition aristocratique. […] Elle fit tout pour produire Voltaire et pour le faire agréer de Louis XV, que le pétulant poète repoussait si fort par la vivacité et la familiarité même de ses louanges. […] écrivait Voltaire à d’Alembert en apprenant sa mort. […] Si Voltaire, écrivant de Mme de pompadour morte à ses amis, disait : « Elle était des nôtres », à plus forte raison les artistes avaient droit de le dire.

126. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

J’y rencontre à première vue, comme noms principaux, Lesage, l’abbé Prévost, Mme de Staal (de Launay), Mme Du Deffand, Fontenelle, Vauvenargues, Montesquieu enfin, et Voltaire déjà dans toute sa variété et sa richesse. […] La manière en semble faite exprès pour expliquer le mot de Voltaire : La grâce en s’exprimant vaut mieux que ce qu’on dit. […] Le maréchal de Richelieu, cet enfant gâté du xviiie  siècle et de Voltaire, ce dernier type d’éternel courtisan qui relaya le comte de Grammont, désira aussi avoir son historien. […] Il a déjà la phrase courte de Voltaire. […] Il est de ces vifs et heureux esprits qui ornent doucement le début du siècle, bien avant la déclamation qui s’ouvre avec Rousseau, et avant la propagande qui va prendre feu avec Voltaire.

127. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Voltaire va nous fournir encore le modèle d’un autre caractère chrétien, le caractère du fils. […] Voltaire est bien ingrat d’avoir calomnié un culte qui lui a fourni ses plus beaux titres à l’immortalité. […] On ignore assez généralement que Voltaire ne s’est servi des paroles de François de Guise qu’en les empruntant d’un autre poète ; Rowe en avait fait usage avant lui dans son Tamerlan, et l’auteur d’Alzire s’est contenté de traduire, mot pour mot, le tragique anglais : Now learn the difference,’wixt thy faith and mine… Thine bids thee lift thy dagger to my throat ; Mine can forgive the wrong, and bid thee live.

128. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Ce triple changement fut l’œuvre de Voltaire ; c’est la nouveauté durable de son théâtre. […] Je sais qu’en parlant ainsi de Regnard, je tombe sous le coup de la sentence de Voltaire. […] Voltaire, imitateur tardif de la comédie larmoyante, la prit plus au sérieux que la Chaussée lui-même. […] Pour le Méchant, je veux bien accorder à Voltaire que Gresset, devenu dévot, s’est fort exagéré le crime de l’avoir écrit. […] Voltaire lui-même ne représente pas plus fidèlement la première moitié du dix-huitième siècle que Figaro la seconde.

129. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

On dit que Voltaire, en un temps, l’avait toujours sur sa table à côté d’Athalie. […] Voltaire sentait cette pointe de glaive chez Pascal, chez Bossuet ; il la sentait moins chez Massillon. […] Il ne m’appartient pas de faire le rigoriste, ni de m’inscrire contre cette magie de l’expression et de la parole qui faisait que Voltaire ici ne se formalisait pas du fond : pourtant, Massillon n’est-il pas un peu jugé par ce goût même si déclaré que Voltaire avait pour lui, et par cette faveur singulière dont il jouissait de ne pas déplaire à l’adversaire ? car, malgré tout, c’est bien cela que Voltaire veut dire : « Tu as beau me prêcher, tu n’es pas de mes ennemis !  […] — Quand Voltaire entendait lire cela en dînant, quelle figure faisait-il ?

130. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Il n’y a pas plus de xviiie  siècle complet sans Beaumarchais que sans Diderot, Voltaire ou Mirabeau ; il en est un des personnages les plus originaux, les plus caractéristiques, les plus révolutionnaires. […] Il a, en ce sens, bien du rapport avec Voltaire, avec qui il partage l’honneur d’être peut-être l’homme le plus spirituel de son temps ; je prends le mot esprit avec l’idée de source et de jet perpétuel. Mais Voltaire a de plus que Beaumarchais le goût ; Beaumarchais suivait son esprit sur toutes les pentes, s’y abandonnait et ne le dominait point. […] On peut voir, dans la correspondance de Voltaire, l’impression et le reflet de cette lecture chez un esprit supérieur et de la même famille, qui revient de ses préventions : ce qui arriva là à Voltaire en faveur de Beaumarchais dut arriver également à tout le monde : J’ai lu, écrivait-il, à d’Argental, tous les Mémoires de Beaumarchais, et je ne me suis jamais tant amusé. […] Ainsi celui qui, au commencement de sa riposte, n’était encore que le brillant écervelé, comme l’appelait Voltaire, avait subitement passé à l’état de grand citoyen.

131. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

C’est au nom du classique bien entendu qu’il critique, en y mêlant les éloges mérités, et les odes de Jean-Baptiste Rousseau, et les tragédies de Voltaire, et les comédies du xviiie  siècle : même dans un autre genre, il va jusqu’à baisser d’un degré le rang de Massillon. […] Nisard me paraît avoir jugés avec une parfaite justesse : c’est Voltaire et Buffon ; on lira avec plaisir et instruction les chapitres qu’il leur a consacrés, mais il est difficile de ne pas faire d’assez nombreuses réserves quant aux deux autres. […] Avant Voltaire et Beccaria, il a demandé la réforme de la pénalité. […] Ce n’est pas à Voltaire, ce n’est pas à Buffon, ce n’est pas même à Rousseau, plus soucieux du pouvoir du peuple que de la liberté, ce n’est pas à Descartes, ce n’est pas à Pascal, ce n’est pas à Bossuet, ce n’est pas non plus à Fénelon, plus aristocrate que libéral. […] Non, car ceux qui ne seraient pas avec Rousseau seraient avec Voltaire, et la foi n’y gagnerait rien.

132. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

se serait écrié Voltaire, je m’en étais bien douté ! […] Voltaire, Du théâtre anglais. […] Voltaire, Du théâtre anglais. […] Voltaire fait cette remarque, à propos de Dante. […] Voltaire.

133. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Werther fut écrit et publié en 1774, sous Louis XV, quatre ans avant la mort de Voltaire et de Rousseau, quinze ans avant la Révolution. […] L’une produisit à la fin Voltaire ; l’autre, après Milton, enfanta Klopstock. […] La phrase de Goethe, même lorsqu’elle est très poétique, est aussi claire que celle de Voltaire. […] Ce Mahomet n’eût pas été celui de Voltaire : il eût été croyant, il eût ressemblé en cela au vrai Mahomet. […] N’est-ce pas parce que l’incrédulité qui inspira le Mahomet de Voltaire était presque aussi profonde chez Goethe que chez Voltaire ?

134. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Ce premier docteur du précieux, très estimé vers 1680, était encore, en 1730, assez en crédit pour que Voltaire lui fît une place dans le Temple du, Goût. […] Bouhours voulait concilier Voiture et Boileau, c’est-à-dire son goût et son intérêt ; Trublet, à son exemple, veut concilier le précieux de Fontenelle et le naturel de Voltaire, pour avoir deux voix à l’Académie. Mais Voltaire ne se laisse pas plus prendre que Boileau au piège de ses louanges, et les vers que chacun sait punissent Trublet d’avoir aimé d’inclination Fontenelle, et Voltaire par ambition14. […] Mot de Voltaire sur Marivaux.

135. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

Il n’y a que ce moyen d’expliquer ce renouvellement de l’enthousiasme pour Voltaire ; mais cet enthousiasme est factice, car il n’a plus aucun fondement. […] Si donc Voltaire a exercé quelque influence dans la direction d’idées que vous approuvez, cette influence n’est-elle pas consommée ? […] Voilà des conquêtes que Voltaire n’a pas craint d’acheter par des infamies, comme les fruits de la révolution ont été achetés par des crimes. Si, dans le siècle dernier, il y avait quelque prétexte pour excuser le cynisme de Voltaire, quoique la morale passe avant tout, le prétexte n’existe plus. […] Abjurez donc le cynisme de Voltaire et ses aveugles fureurs, comme vous abjurez les saturnales de la révolution.

136. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Buffon, moins spirituel que Voltaire, dont l’esprit me fait, d’ailleurs, toujours l’effet d’un bruit de grelots, mis en vibration par les mouvements pétulants d’un singe, moins même que Montesquieu, qui a le sien finissant en pointe, sans être pour cela un obélisque (car un obélisque, c’est un colosse !) […] Évidemment il les domina par la faculté la plus élevée d’entre les facultés humaines, quel que soit l’objet auquel on l’applique, — par cette faculté de l’ordre que Voltaire n’eut jamais qu’avec ses domestiques et ses libraires, et que Montesquieu aurait pu avoir, sans cet amour mesquin de l’épigramme qui l’a tant rapetissé ! […] Il s’est bien gardé de remâcher l’idée, vieillotte de vulgarité, de ce superficiel Voltaire qui disait : « L’existence des hommes des lettres est dans leurs écrits et non ailleurs », et il nous a donné avec le détail le plus pointilleux et la charmante petite monnaie des anecdotes, dont on n’a jamais trop à dépenser, la biographie de cet imposant homme de science et de lettres dont la vie refléta sans cesse la pensée, mais qui est une vie sous sa pensée, comme il y a de l’eau sous le bleu du ciel que reflètent les eaux ! […] Flourens l’a prouvé, ce qui distingue Buffon des hommes de son temps que la gloire rendit fous, comme Rousseau et Voltaire, de vrais parvenus, c’est que sa belle tête calme sut résister à cette syrène ! […] Flourens cite un mot de cette Mme de Pompadour que Voltaire le familier avait bien raison d’appeler Pompadourette, qui rime a grisette, et qui dit bien le ton de fille de cette femme-là : « Vous êtes un joli garçon, monsieur de Buffon, on ne vous voit jamais ! 

137. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre X » pp. 83-88

Voltaire a rapporté cet écrit dans son édition de Corneille. […] Voltaire rapporte, d’après un écrit du temps, que mesdames de Rambouillet trouvaient le christianisme trop exalté dans Polyeucte ; et Voltaire approuve ce jugement.

138. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

C’est bien là l’homme qui fut aimé de tous ceux qui l’approchèrent, qui mêlait un fonds de bienveillance à la joie, un fonds de simplicité à la malice, qui avait écrit sur le collier de sa chienne : « Beaumarchais m’appartient ; je m’appelle Florette ; nous demeurons Vieille-Rue-du-Temple » ; et de qui son biographe et son fidèle Achate, Gudin, a écrit naïvement : « il fut aimé avec passion de ses maîtresses et de ses trois femmes. » Et ce n’est pas seulement Gudin qui parle ainsi, c’est La Harpe, peu suspect de trop d’indulgence, et qui dit, en nous montrant le Beaumarchais de la fin et au repos, tel qu’il était assis dans le cercle domestique et dans l’intimité : « Je n’ai vu personne alors qui parût être mieux avec les autres et avec lui-même. » C’est Arnault encore, qui, dans ses Souvenirs, lui a consacré des pages pleines d’intérêt et de reconnaissance ; c’est Fontanes enfin, qui, trouvant qu’Esménard l’avait traité bien sévèrement dans le Mercure, écrivait une lettre où on lit (septembre 1800) : Quant au caractère de Beaumarchais, je vous citerai encore sur lui un mot de Voltaire : « Je ne crois pas qu’un homme si gai soit si méchant » ; et ceux qui l’ont vu de près disent que Voltaire l’avait bien jugé. […] Dans l’habitude, il est de la langue de Mercier autant et plus que de celle de Voltaire. […] [NdA] C’est ainsi que dans l’édition, dite de Kehl, des Œuvres complètes de Voltaire, pour laquelle il eut à essuyer tant de traverses et de critiques, il perdit un million. […] [NdA] Il y aura pourtant toujours cette différence qu’on peut tout dire de ce qui concerne Rousseau et Voltaire ; il y a eu chez eux bien des vilenies et des impuretés, mais qui, après tout, ont pu sortir et se déclarer : chez Beaumarchais il y aura toujours un cabinet secret où le public n’entrera pas. […] C’est en ce sens que ce n’est déjà plus la même littérature que celle de Rousseau et de Voltaire, bien plus intellectuelle même dans ses vices et ses défauts.

139. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Depuis Voltaire, — qui n’était pas un ennuyeux, lui, — depuis Voltaire, à la gloire encyclopédique, on n’a acclamé personne en Europe de plus encyclopédiquement grand que Wolfgang Gœthe ; et même sa gloire est plus grande que celle de Voltaire, car l’esprit de parti, qui fut la cuiller acharnée avec laquelle on a tant agité et fait flamber le punch de la gloire de Voltaire, n’est pour rien dans la gloire de Goethe. […] La gloire de Voltaire, plus ancienne que celle de Gœthe, est chaude encore. […] Pour ma part, j’ai connu, étant enfant, un vieillard qui en était plein, qui en débordait, de Voltaire ! […] … Elle a eu l’honneur de toucher, le jour de son triomphe, au vitchoura de Voltaire !  […] Il jouait au Voltaire.

140. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Aujourd’hui, refroidie et sur le papier, elle enlève et séduit encore ; qu’était-ce alors qu’elle sortait vivante et vibrante de la bouche de Voltaire et de Diderot ? […] Lorsque Voltaire arrive en Prusse, Frédéric II veut lui baiser la main, l’adule comme une maîtresse, et plus tard, après tant d’égratignures mutuelles, ne peut se passer de causer par lettres avec lui. […] Collé compte « peut-être deux mille copies manuscrites de la Pucelle de Voltaire, qui en un mois se sont répandues à Paris ». […] La riante philosophie de Voltaire nous entraînait en nous amusant. […] Voltaire (Dîner du comte de Boulainvilliers).

141. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Il faut s’amuser après tout, dit Voltaire ; nous pensons, à cet égard, comme lui. […] Mais nous ne tenons pas pour avérée l’excommunication mentionnée par Voltaire. […] Voltaire l’a essayé en vers et n’a pas réussi ; il y faudrait la touche d’un Claude Lorrain. […] Ce poète, c’est Voltaire ; Voltaire, l’adorateur et souvent le plagiaire heureux ou malheureux de l’Arioste. […] C’est que Voltaire écrivait en grand artiste, et qu’Arioste chantait l’amour en grand amoureux.

142. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

C’est le don de Boileau, de Molière, de Voltaire, les plus spirituels des écrivains en vers, mais les moins véritablement poètes. […] L’âge lui apportait, comme à Voltaire, ce qu’il emporte souvent aux esprits sans longévité, la flexibilité assouplie et l’habile négligence, ces grâces du génie au repos. […] Rousseau, défaut qui a fait une partie du succès si prodigieux et si mérité de Voltaire, obligé de rire jusqu’à l’indécence même pour raisonner. […] Boileau lui-même, en autorisant par son Lutrin ce faux genre, devait servir d’excuse à La Fontaine dans ses Contes, puis servir d’exemple au poème burlesque et licencieux de Voltaire, la Pucelle d’Orléans ; et Voltaire, à son tour, devait servir d’exemple à lord Byron dans son poème moqueur et satanique de Don Juan. […] Voltaire au scandale, Gresset à la puérilité, Byron au sacrilège.

143. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Comme Voltaire, il n’avait point de vieillesse, c’est-à-dire de lassitude. […] Il n’y a donc de véritablement immortel et d’incomparable dans Voltaire que ses lettres et ses poésies légères ; là, il est grand, parce qu’il est naturel, et que l’artiste disparaît devant l’homme. […] Voltaire n’a donc été remarquable que dans le léger, et le léger n’est jamais que de second ordre. […] Qu’est-ce que Voltaire en comparaison ? […] Les Français ne reverront jamais un talent égal à celui de Voltaire ; mais on peut dire que, le point de vue de Villemain se trouvant plus élevé que celui de Voltaire, Villemain peut critiquer Voltaire et juger ses qualités, et ses défauts. » On aime à voir un grand poète rendre cette éclatante justice à un grand critique ; cela efface d’avance les puériles négations de notre temps.

144. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Avez-vous lu le Dictionnaire philosophique et les Facéties de Voltaire ? […] Si vous croyez que la plaisanterie de Voltaire est toujours du dernier atticisme ! […] Francisque Sarcey sera, si vous voulez, quelque chose comme un gros neveu sanguin du maigre et nerveux Voltaire, neveu très posthume et né en pleine Beauce. […] Si j’osais, je dirais que certains chapitres des Tribulations sont ce qu’on a jamais écrit de plus approchant des Contes de Voltaire, et, si je ne le dis pas, c’est lâcheté pure : on ne voudrait pas me croire. […] La critique de Voltaire, c’est l’apologie du théâtre de Voltaire.

145. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Avec Montesquieu, Voltaire, Buffon, nous entrons dans les nouveautés durables. […] Voltaire a raison de compter Montesquieu parmi les auteurs du dix-septième siècle ; il y est né en effet, et il en a retenu la langue. […] Voltaire fut de ces derniers. […] Mais le marbre et le sculpteur étaient encore à trouver sous la Législative où l’on reparla de lui, cette fois encore, comme d’un protégé de Voltaire. […] On en a fait des volumes, sans compter ce commentaire où Voltaire semble par moments s’impatienter plutôt contre la gloire de Montesquieu que contre ses erreurs.

146. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Quand Frédéric II de Prusse avait battu à Rosbach ou ailleurs ceux que Voltaire appelait les blanc-poudrés, c’est-à-dire les soldats de Sa Majesté Louis XV, on faisait à Paris des chansons sur leur retraite précipitée. […] Si nous considérons maintenant l’époque de Voltaire, nouvelle et plus profonde transformation. […] Rousseau même ne posera-t-il pas en dogme absolu l’infaillibilité de la passion, quand il écrira : « Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses. » Est-il malaisé de deviner dès lors ce qui va dominer dans les personnages du théâtre de Voltaire ? […] Il s’ensuit encore que ces mêmes personnages sont, comme on l’a dit, plus victimes que héros et qu’ils excitent, ce qui était d’ailleurs le but de Voltaire, plus de pitié que d’admiration. […] Voltaire, lui, supprime Gusman, le mari, qui meurt en unissant ceux qu’il avait séparés de son vivant.

147. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Une seconde affaire où l’on trouve M. de Malesherbes en difficulté, non plus avec le Parlement et avec le chancelier, mais avec les auteurs, est l’affaire de L’Écossaise de Voltaire. Dans cette comédie, Voltaire avait traduit sur la scène Fréron sous le nom à peine déguisé de Frélon, et il lui faisait jouer le rôle le plus vil. […] Voltaire, c’est tout simple, entra en fureur ; il avait insulté Fréron sur la scène, mais Fréron lui répondait dans sa feuille ; il ne pouvait concevoir une telle audace. […] » (lui, M. de Malesherbes, accusé par Voltaire d’aimer le chamaillis !)  […] Voltaire avait riposté par une plaisanterie, Les Quand, qui fit beaucoup rire cette société désœuvrée.

148. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Et puis, cette prompte et facile consolatrice, la jeunesse, lui tenait lieu de tout ; nul n’était fait pour en jouir mieux que lui ; tous les contemporains nous ont parlé des avantages de sa personne et des agréments de sa figure : « Je me souviens toujours de vos grâces, de votre belle physionomie, de votre esprit », lui écrivait Voltaire après des années. […] » Dans sa pièce de début, À mes Pénates, Bernis avait parlé assez sévèrement de Voltaire, et l’avait apostrophé comme si ce brillant esprit avait été dès lors en décadence : il revint très vite sur ce jugement de jeunesse ; ils se lièrent, et Voltaire, tout en l’applaudissant et le caressant beaucoup, lui donna un de ces sobriquets qu’il excellait à trouver, et qui renferment tout un jugement. […] Bernis y avait mis, plus encore que d’habitude, une profusion de fleurs, de bouquets, de guirlandes ; et là-dessus Voltaire l’appelait, en s’adressant à lui-même, la belle Babet, ou, en parlant à d’autres, la grosse Babet : c’était alors une bouquetière en vogue, une marchande de quatre saisons. […] Ce Voltaire, qui lui a donné ce joli et malin sobriquet, est le premier, des années après, à le caresser sur ses vers, à lui en reparler, à faire le rôle de tentateur. […]  : Je ne sais de qui sont ces Quatre Saisons, lui écrit Voltaire, qui aime à broder sur ce thème à tout propos ; le titre porte par M. le C. de B.

149. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Mlle Le Couvreur, dans sa première jeunesse, avait accueilli bien des adorateurs, dont on a droit de nommer quelques-uns, Voltaire par exemple. […] Ces amis, honnêtes gens qu’elle préférait à tout, c’étaient Fontenelle, Du Marsais, Voltaire, d’Argental, le comte de Caylus, un abbé d’Anfreville, le comte de Saxe et quelques hommes de l’intimité de celui-ci, tels que le marquis de Rochemore. […] Ce n’était pas là le ton habituel d’un lieu où Voltaire avait ses libres entrées et se permettait toutes ses saillies sans doute, mais où Fontenelle était goûté ; ce n’était pas le ton des soupers de Mlle Le Couvreur. […] Voltaire, qui était présent, et entre les bras duquel Mlle Le Couvreur expira, dit que tous les bruits qui coururent alors étaient sans fondement, et son témoignage serait décisif si on ne savait qu’il est systématiquement opposé à toute idée de poison. […] Voltaire eut un de ces élans de douleur et de sensibilité comme il en était si capable, et il laissa échapper les vers touchants qu’on sait par cœur : Sitôt qu’elle n’est plus, elle est donc criminelle !

150. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

C’est que Grimm ne parlait ainsi d’Homère que pour l’avoir lu en grec, et Voltaire ne l’avait jamais parcouru qu’en français. […] Suivaient des compliments et signalements particuliers pour Voltaire, pour Montesquieu, etc. ; mais le trait certes le plus délicat et le plus français était celui qu’on vient de lire : « Et encore que ce siècle fût passé, je fis semblant de ne m’en pas apercevoir. […] Pour tout le reste, pour l’esprit et le ton, Grimm venait de faire ses preuves ; il avait gagné ses éperons en français : « De quoi s’avise donc ce Bohémien, disait Voltaire, d’avoir plus d’esprit que nous ?  […] Mme d’Épinay, malade de la poitrine, et qui a besoin des avis du docteur Tronchin, s’est rendue à Genève ; Grimm, retenu auprès de Diderot par un travail pressé, tarde un peu à la rejoindre ; en attendant, elle voit Voltaire alors aux Délices : Vous avez donc dîné chez Voltaire ? […] C’est son esprit qui en a dicté les principales parties, et il n’est pas difficile d’y suivre une pensée originale, qui ne ressemble ni à celle de La Harpe, ni à celle de Marmontel ; qui est d’un tout autre ordre, et qui ne craint pas le parallèle, en ses bons moments, avec celle de Voltaire.

151. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Voltaire est un de ceux sur lesquels Mme de Créqui a laissé le plus au net son jugement, et l’on saisit bien les deux principes, les deux termes contraires qu’elle y fait entrer et qu’elle y maintient en présence. Le style, le ton, la manière de Voltaire lui paraissent choses aimables et charmantes ; souvent elle blâmera le fond, mais il lui semble difficile de critiquer le tour, et encore plus difficile de l’imiter. Quant à l’effet moral que lui fait le manège de l’homme vu de près et son inquiétude de succès, il faut l’entendre elle-même : J’ai vu la correspondance de Voltaire (dans l’édition de Kehl, qui paraissait alors), et comme je lis moralistement, elle me fait beaucoup de plaisir. […] Voltaire, dès le premier jour, para au danger pour lui et pour les autres ; il rompit avec le concerté ; il donna l’exemple d’une source rapide et vive de naturel, circulant à travers le siècle. […] L’horreur des abus, le mépris des distinctions héréditaires, tous ces sentiments dont les classes inférieures se sont emparées dans leur intérêt, ont dû leur premier éclat à l’enthousiasme des grands, et les élèves de Rousseau et de Voltaire les plus ardents et les plus actifs étaient plus encore les courtisans que les gens de lettres.

152. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Ce Ducis, auteur dramatique, qui fut très contesté en son temps, mais qui réussit, somme toute, en dépit des résistances de Le Kain, des impatiences de Voltaire, des rudesses de Geoffroy, ce Ducis, qui fit couler bien des larmes sous Louis XVI, et que Talma, dans notre jeunesse, nous a ressuscité parfois avec génie, est aujourd’hui mort, ou à peu près mort ; et, s’il n’y avait que ce côté-là en lui, nous ne viendrions pas le tirer de ses limbes. […] Voltaire à l’Académie française, et il avait réuni presque toutes les voix. […] Lui aussi, Voltaire, il voulait une réforme, et il eut une révolution. Entre Voltaire et Ducis il y avait, d’ailleurs, tous les contrastes. Quand Voltaire, quittant Ferney, était arrivé à Paris pour y triompher et y mourir, Ducis n’avait point fait comme tous les gens de lettres qui étaient allés lui rendre hommage, et, n’étant pas connu de lui, il n’avait pas cru devoir le visiter.

153. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Émile Deschanel au lendemain d’une conférence sur Voltaire à laquelle il avait assisté : « Paris, 21 février 1867. […] Mes vieilles oreilles un peu dures ne perdent pas une syllabe de votre débit, dont le mouvement vif et naturel captive l’attention du public sans la fatiguer un seul instant… « Quant à votre coquin de Voltaire, vous l’avez très-joliment prêché ; je vous dirais, comme les Italiens, salvo il vero, — c’est-à-dire réserve faite de tous les contraires inhérents à l’exercice des grandes facultés, des ambitions et des activités prodigieuses. […] Quelle différence faites-vous pour l’édification des âmes entre le déisme de Voltaire et l’athéisme (qui vaut même bien mieux chez les gens sérieux) ? […] De même, sans Voltaire, je vois toutes les idées libérales entrer dans le monde par tous les pores. […] Pour moi, comme bienfaiteur de l’humanité, je place Voltaire bien au-dessous de l’honnête Beccaria avec son petit livre.

154. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Voltaire est Français comme Bossuet, Rabelais, est Tourangeau comme Alfred de Vigny. […] Voltaire, de son côté, veut faire des tragédies tragiques, qui arrachent le cœur au lieu de l’effleurer. […] Chaque fois qu’une jeune femme est présentée à Voltaire, devenu le patriarche de Ferney, il est d’usage qu’elle pâlisse, tremble, frissonne, se trouve mal en l’apercevant. […] Voltaire l’appelait Pantophile, et, en effet, il s’éprend de tout, admire tout, s’attendrit sur tout. […] Retour de Voltaire, p. 45.

155. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Bruyère » pp. 111-122

, on n’a guère réédité que Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Mirabeau l’orateur, et tous les sophistes du xviiie  siècle, parce que nous étions devant ce siècle-là et ses petits grands hommes dans la position d’Alberoni devant le duc de Vendôme. […] Voltaire, ce singe de Satan, qui a brisé le miroir de la Vérité en mille miettes, a dit avec son ineffable superficialité que la vie des hommes de génie n’est jamais que dans leurs écrits, et de bons esprits ont accepté cela comme un axiome. Voltaire n’est rien de plus que le maréchal de Richelieu de la littérature, et ceux qui l’admirent le jugent comme les femmes, à qui il avait fait perdre la tête, jugeaient le maréchal de Richelieu. Destailleur, qui est un esprit distingué et juste, s’est-il rappelé le mot de Voltaire, ou l’aurait-il subi, non seulement en passant aussi vite qu’il l’a fait sur la personnalité de son auteur, dont il ne nous dit que ce que dit l’histoire, mais en négligeant de nous donner la clef de ses divers Caractères, sortis, tous, de l’étude de quelque personnalité ?

156. (1890) Nouvelles questions de critique

Bengesco, si nous en jugeons par le premier, une excellente Bibliographie de Voltaire. […] Nous n’en avons pas non plus de la langue de Bossuet ; nous n’en avons pas de la langue de Voltaire. […] Quiconque lira seulement Voltaire, et le lira consciencieusement, y trouvera sûrement encore de quoi renouveler le sujet. […] L’un est Voltaire, l’autre Buffon. […] Cela s’est vu également dans l’histoire de la tragédie française, où Voltaire a imité Racine, Marmontel a imité Voltaire, La Harpe a imité Marmontel, Ducis a imité La Harpe, Lemercier a imité Ducis, de Jouy a imité Lemercier.

157. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

On conçoit que Voltaire n’ait vu dans les feux d’un enfer chrétien que des objets burlesques ; cependant ne vaut-il pas mieux pour le poète y trouver le comte Ugolin, et matière à des vers aussi beaux, à des épisodes aussi tragiques ? […] Que penser maintenant de la critique de Voltaire, qui n’a pas su, ou qui a feint d’ignorer que la mort, death en anglais, pouvait être à volonté du genre masculin, féminin ou neutre ? […] Voltaire n’est pas plus heureux sur le mot sin, péché, dont le genre féminin le scandalise.

158. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Rousseau exposera dans sa fameuse lettre à Voltaire sur l’optimisme et le pessimisme. […] Vous savez ce que c’est que les vers de Voltaire dans les Tragédies. Ce ne sont pas de mauvais vers, mais ce sont des vers qui ne portent pas du tout le cachet de Voltaire, à moins qu’il ne s’agisse des discours moraux ou philosophiques qu’il introduit dans ses drames et qui, alors, sont tout simplement du Voltaire proprement dit, du Voltaire des Discours sur l’homme ; il y a certainement là la marque de Voltaire ; mais tout le reste, tout ce qui est dialogue, tout ce qui est tirades, tout ce qui est récit, cela pourrait être écrit par de Belloy aussi bien que par Voltaire. Ce n’est pas du style de Voltaire, c’est du style de la tragédie de cette époque, voilà tout. […] Je finis par le Florentin, qui a une véritable valeur et une très grande valeur. « Le Florentin a déclaré Voltaire, est tout à fait digne d’être une petite comédie de Molière. » C’est exactement mon avis, et je trouve même que si le Florentin était de Molière, ce serait une des meilleures petites comédies de Molière.

159. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dumas, Alexandre (1802-1870) »

C’est amusant, on ne peut le nier… J’ai eu cette impression que Charles VII qui est, si je ne me trompe, un peu antérieur à Hernani 1, ressemblait à la fois à une tragédie de Voltaire et à un drame romantique. Les effets sont ceux qu’aimait et que recherchait Voltaire (voyez Alzire, Zaïre et Tancrède). […] En réalité, je ne sais pas si c’est à une tragédie de Voltaire ou à un drame d’Hugo que Charles VII ressemble le plus, et M. Deschanel avait peut-être beaucoup plus raison que je ne prétendais en faisant de Voltaire un préparateur du drame romantique.

160. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

C’est lui qui l’a frappé, aplati et contourné, jusqu’à ce qu’il ne fût plus reconnaissable, par la main acharnée de deux forgerons en haine, l’un battant chaud, l’autre battant froid : Voltaire et Gibbon. […] Voltaire, blessé dans sa personnalité satanique, châtia Mahomet en en faisant un Tartufe, « un Tartufe les armes à la main ». […] Bayle, le sceptique, avait été moins injuste, et Voltaire, plus tard, superficiel et détraqué, avait, dans son Essai sur les Mœurs, relevé son bonnet, tombé dans la titubante ivresse de la haine… Du reste, encore une chose à remarquer de la part de ces philosophes, qui ont été bien heureux que Molière eût inventé Tartufe pour avoir une injure à jeter à toute l’humanité religieuse ! […] Il n’y a plus ici de Tartufe, « les armes et l’encensoir à la main », comme disait le carnavalesque Voltaire, ni de bouffon thaumaturge à la façon de Gibbon, ni de vil conducteur de chameaux, ni d’épileptique.

161. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Après avoir commencé par demander un Lexique de Molière, l’Académie a mis au concours, en 1858, un Lexique de Corneille, indiquant assez par là même que le Commentaire de Voltaire sur le grand tragique était remis en question, et entièrement à refaire. […] Est-il un homme de goût, de rapide lecture, un Voltaire tout le premier, est-il un correcteur d’imprimerie attentif, qui laisse passer cela ; qui ne se dise aussitôt : « Dans le trône n’est pas possible, c’est sur le trône qu’il fallait mettre ? […] » Ainsi l’on a fait effectivement dans les éditions corrigées d’après celle de Voltaire. […] C’est un morceau plein d’intelligence et de délicatesse, dans la pensée comme dans l’expression… Cependant, à mon avis, vous allez trop loin dans la note de la page cxxi, et votre éloge de la poésie française, depuis Corneille jusqu’à Voltaire, méconnaît les progrès et les besoins du temps actuel, qu’autrement vous sentez si bien. […] « Les inventeurs ont le premier rang à juste titre dans la mémoire des hommes. » C’est Voltaire qui l’a dit à son sujet.

162. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Ce n’étaient pas les doctrines de Boileau, c’était le goût français, qu’on cherchait dans l’Art poétique : au temps où Voltaire était le plus grand poète de l’Europe, on demandait à Boileau le secret de faire des vers à la mode de la Henriade. […] Voltaire, qui amende Sophocle, est trop. […] Voltaire, ici comme à tant d’autres égards, représente la moyenne des idées de son temps. […] Voltaire s’indignait contre ces téméraires novateurs ; Boileau eût crié plus haut encore ; mais est-ce à dire qu’il eût été satisfait de l’usage où Voltaire et les versificateurs de ce siècle ravalaient l’instrument naturel de la poésie ? […] Eh bien, c’est précisément au xviiie  siècle, quand Voltaire ne veut pas que personne (sauf lui médise de Nicolas Boileau, que vraiment celui-ci n’a pas d’action directe et personnelle sur la littérature.

163. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Dans l’état actuel, beaucoup de bonnes choses, notez-le, et même d’excellentes, ne se peuvent pas lire, parce qu’elles ne seraient pas suffisamment goûtées et senties : par exemple, d’excellentes pages de Voltaire en histoire. […] On aurait toujours de temps en temps recours à du Michelet pour de bons endroits (car il en a), mais là même on le corrigerait par du Voltaire. […] Un jour qu’on aurait lu une page de Voltaire où quelque trait peu religieux se serait glissé, on lirait cet Éloge du général Drouot dont nous parlions dernièrement, et qui prouverait que la religion et le patriotisme se concilient très bien, et dans le guerrier qu’on loue et à la fois dans l’orateur qui le célèbre. […] Voltaire. — Histoire de Charles XII, par extraits ; assez d’effet. […] Paul-Louis Courier manque son effet, parce qu’il est trop artificiel ; Voltaire manque en partie le sien, parce, qu’il est trop simple.

164. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Il visita Voltaire dans le dernier voyage que celui-ci fit à Paris (février 1778), et où il mourut. Les deux patriarches s’embrassèrent, et Franklin voulut que Voltaire donnât sa bénédiction à son petit-fils. […] Mais une telle scène, avec les mots sacramentels qu’y prononça Voltaire : Dieu et liberté ! […] Mise en regard de la correspondance de Voltaire, celle de Franklin fait naître bien des pensées ; tout y est sain, honnête, et comme animé d’une vive et constante sérénité. […] Mais une telle scène, avec les mots qu’y prononça Voltaire, retentit au loin et parla vivement à l’imagination des hommes.

165. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Ce La Fontaine qu’on donne à lire aux enfants ne se goûte jamais si bien qu’après la quarantaine ; c’est ce vin vieux dont parle Voltaire et auquel il a comparé la poésie d’Horace : il gagne à vieillir, et, de même que chacun en prenant de l’âge sent mieux La Fontaine, de même aussi la littérature française, à mesure qu’elle avance et qu’elle se prolonge, semble lui accorder une plus belle place et le reconnaître plus grand. […] Voltaire peut-être a raison, et pourtant la postérité, qui n’a pas à opter entre ces chefs-d’œuvre divers ni à se décider pour l’un au détriment des autres, la postérité, qui n’est pas homme de lettres, ne se pose point la question de la sorte ; elle ne recherche pas ce qui est plus ou moins difficile ou élevé comme art, comme composition ; elle oublie les genres, elle ne voit plus que le trésor moral de sagesse, de vérité humaine, d’observation éternelle qui lui est transmis sous une forme si parlante et si vive. Elle jouit de ces charmants tableaux encore plus qu’elle ne songe à les mesurer ou à les classer ; elle en aime l’auteur, elle le reconnaît pour celui qui a le plus reproduit en lui et dans sa poésie toute réelle les traits de la race et du génie de nos pères ; et, si un critique plus hardi que Voltaire vient à dire : « Notre véritable Homère, l’Homère des Français, qui le croirait ? […] Voltaire, dans une lettre à Vauvenargues, rapportant le talent de La Fontaine à l’instinct, à condition que ce mot instinct fût synonyme de génie, ajoutait : « Le caractère de ce bonhomme était si simple, que dans la conversation il n’était guère au-dessus des animaux qu’il faisait parler… L’abeille est admirable, mais c’est dans sa ruche ; hors de là l’abeille n’est qu’une mouche. » On vient de voir, au contraire, que La Fontaine voulait qu’on fût abeille, même dans l’entretien. […] Voltaire, voulant expliquer le peu de goût de Louis XIV pour La Fontaine, a dit : Vous me demandez pourquoi Louis XIV ne fit pas tomber ses bienfaits sur La Fontaine comme sur les autres gens de lettres qui firent honneur au grand siècle.

166. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

C’eût été d’abord de vivre à part, loin des coteries et des salons patentés, dans le silence du cabinet ou des champs ; de travailler là, peu soucieux des succès du jour, pour soi, pour quelques amis de cœur et pour une postérité indéfinie ; c’eût été d’ignorer les tracasseries et les petites guerres jalouses qui fourmillaient aux pieds de trois ou quatre grands hommes, d’admirer sincèrement, et à leur prix, Montesquieu, Buffon, Jean-Jacques et Voltaire, sans épouser leurs arrière-pensées ni les antipathies de leurs sectateurs ; et puis, d’accepter le bien, de quelque part qu’il vînt, de garder ses amis, dans quelques rangs qu’ils fussent, et s’appelassent-ils Clément, Marmontel ou Palissot. […] La noble façon dont il adressa mademoiselle Corneille à Voltaire, la respectueuse indépendance qu’il maintint en face de ce monarque du siècle, le soin qu’il mit toujours à se distinguer de ses plats courtisans, l’amitié pour Buffon, qu’il professait devant lui, ce sont là des traits qui honorent une vie d’homme de lettres. […] Si Corneille en personne se fût adressé à Voltaire, il n’eût pas, certes, plus dignement parlé que Le Brun ne l’a fait en son nom. […] En cela, il avait fort raison, et le procédé si vanté de Voltaire, d’écrire les vers sous forme de prose pour juger s’ils sont bons, ne mène qu’à faire des vers prosaïques, comme le sont, au reste, trop souvent ceux de Voltaire.

167. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

Les quatre ou cinq grands chefs qui servirent à cette époque l’esprit humain dans son immortelle entreprise, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Buffon, Diderot et autres, n’abusèrent pas trop à leur profit de la popularité qu’ils acquirent et des acclamations confuses par lesquelles on les salua libérateurs. […] Ils furent rois sans doute : Voltaire en fut un, plein de licence et de caprices ; Montesquieu en fut un qui se souvenait trop de sa robe et d’être président à mortier, et Buffon avait sa morgue et sa plénitude qui l’isolaient à Montbard. […] Nommer Rousseau, Pascal, Voltaire, Bernardin de Saint-Pierre ou Fénelon, c’est assez rappeler ces analogies délicates à qui doit les sentir mieux que nous. […] Lerminier sur le xviiie  siècle contient quatre portraits, ou plutôt quatre statues, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, qui n’ont jamais apparu avec plus de jeunesse radieuse et de dégagement. […] Aussi nous ne lui en ferons pas un sujet de reproche, tant qu’il se contente d’augmenter et de rajeunir les immortalités révérées ; nous lui passerons même quelques impétueux éloges qui veulent trop prouver sur le côté faible des modèles, comme lorsqu’il dit de Voltaire : « Voltaire pouvait parler de Dieu, car il l’aimait ardemment.

168. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Félix Rocquain » pp. 229-242

L’auteur de L’Esprit révolutionnaire avant la Révolution l’est, lui, à force de n’être pas… Il y a dans son livre quelques personnes : Barbier, Mathieu Marais, Buvat, Joseph Languet, d’Argenson, Isambert, Bachaumont, Hardy, Bezenval, Ségur, Mirabeau, Lafayette, et les philosophes Diderot, Grimm, Morellet et Voltaire, — Voltaire, qui emplit tout son siècle et toutes nos bibliothèques ! […] Rocquain que Voltaire, le croirait-on ? […] que Voltaire, — il est impossible de ne pas admettre que l’auteur de L’Esprit révolutionnaire avant la Révolution ne soit animé — non pas animé, il n’est jamais animé !

169. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

Voltaire, comme il l’appelle en ses Lettres inédites : « le plus prodigieusement bel esprit que la nature ait créé avec une vaste mémoire », est jugé avec une impartialité froide qui n’était pas du temps. […] Bonhomme ne s’est pas senti médiocrement embarrassé quand il a fallu classer l’irrespectueux contempteur de Rousseau et de Voltaire, assez intéressant pourtant à ses yeux pour qu’il ait songé à éditer ses œuvres posthumes. […] C’est presque comique… Plutôt que de convenir franchement de la valeur des jugements de ce chansonnier qui, entre deux chansons, se permet en prose incisive de toiser Voltaire et Rousseau et leur époque tout entière, ou de se rebiffer et de dire bravement, avec ce poltron de Sosie : Comme avec irrévérence Parle des dieux ce maraud ! […] Bonhomme, qui a les nerfs voltairiens, s’écrie : « L’acharnement de Collé contre Voltaire finirait par agacer, s’il n’était pas si amusant ! 

170. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Léon Aubineau. La Vie du bienheureux mendiant et pèlerin Benoît-Joseph Labre » pp. 361-375

Rien d’étonnant à ce que les partisans de la philosophie du Mondain tombent à bras raccourci sur les guenilles du pauvre Benoît Labre, ce mendiant qui ne soupait pas ou qui ne voulait pas souper, comme cet autre mendiant de Voltaire, chez les Pompadour de son temps. […] III C’était dans ce temps-là un terrible temps… Louis XV régnait sous Voltaire. […] Ils avaient même inventé des Économistes qui faisaient de la richesse, et qui devaient donner à tout le monde plus que les quarante écus de l’Homme aux quarante qu’exigeait Voltaire. […] Seulement dans la littérature moderne la plus rapprochée de nous, rappelez-vous le vieil Edie Ochiltrie de Walter Scott, le vieux pauvre de Cumberland de Wordsworth, et jusqu’au vieux vagabond de Béranger, qui, lui, le bourgeois et le voltairien, le grand poète des épiciers, n’a été réellement poète que quand il a chanté les Bohémiens, les Gueux, enfin les pauvres, exécrés par Voltaire !

171. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

Seulement, nous lui faisions l’honneur de croire qu’en plein xixe  siècle il ne roulerait pas jusqu’aux plaisanteries de Voltaire contre la Bible, l’Église et nos dogmes, et il y a roulé ! […] C’est un innocent, On dirait que, jeune de lecture, il n’a lu Voltaire que d’hier matin. […] » il ne dit pas : « Avez-vous lu Voltaire ?  […] — de se faire impie exactement à la manière de Voltaire.

172. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Pourtant Voltaire s’échauffe peu à peu. […] Ai-je suffisamment fait valoir ces célèbres efforts de Voltaire au profit de la tolérance ? […] Vernes à Voltaire. — Moi ! […] » — Voltaire ne s’en tient pas là dans ces dénégations dérisoires. […] Il a cité quelques-unes des injures prodiguées à Rousseau par Voltaire, et quelques-unes des récriminations passionnées qu’inspira à Jean-Jacques le dangereux séjour de Voltaire aux portes de Genève.

173. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Et Lamartine ? »

D’autres, enfin, les plus naïfs, sont persuadés que Victor Hugo a « incarné la pensée du siècle », et qu’« on dira le siècle de Hugo comme on dit le siècle de Voltaire ». […] Voltaire a été le plus infatigable interprète et quelquefois l’inventeur des idées essentielles du siècle dernier, et il a très puissamment agi sur l’esprit de ses contemporains. Et, malgré cela, ce n’est que rarement et pour la commodité du langage qu’on dit « le siècle de Voltaire ».

174. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

Ils peuvent être considérés comme les notables les plus éminents d’une république souveraine et puissante, dont les rois ont besoin ; la république des lettres, Voltaire fut courtisan de Frédéric, mais Frédéric le fut de Voltaire. […] La philosophie du xviiie  siècle tenait pour maxime que c’était par l’amélioration des rois qu’il fallait commencer l’amélioration du sort des peuples, et j’ai entendu d’Alembert excuser par ce motif les paroles adulatrices de Voltaire au grand Frédéric et à l’impératrice de Russie.

175. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Pour des hommes du monde, toute cette politesse, qui n’est jamais affectée et qui est toujours infinie, serait peut-être d’une ironie cruelle et profonde ; mais les gens du monde ignorent trop combien la charité a d’esprit et de loyauté dans l’esprit, et comme saint Vincent de Paul l’emporte, même en amabilité, sur Voltaire. Le démon n’est, après tout, qu’un ange tombé, et qui a emporté un peu de sa grâce divine dans la poussière… Mais, puisque le nom de Voltaire s’est trouvé là sous notre plume, qu’on nous permette de citer sur lui un mot de Joubert, que nous oserons modifier pour l’appliquer à Nicolas : « Voltaire — dit Joubert — aime la clarté et se joue dans la lumière, mais c’est pour la briser et en disperser les rayons comme un méchant. » Nicolas, lui aussi, aime la clarté et se joue dans la lumière, mais c’est pour en concentrer les rayons et vous les renvoyer dans le cœur, comme un homme bon.

176. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Nous avons fait partie de cette jeune école qui, dans les dix premières années de la Restauration, ramenée à la foi chrétienne par l’étude des de Maistre, des Bonald et des Frayssinous, succédait, non pas à l’école légère et railleuse de Voltaire, morte déjà depuis longtemps, mais à l’école positive et raisonneuse de l’Empire… Pleine d’amour pour la vérité, mais, après tout, fille de son siècle, et pleine aussi d’admiration pour la science, l’école dont nous parlons accueillait avec respect une foi dont elle sentait la grandeur et les bienfaits, mais elle n’en restait pas moins fidèle à la raison, dont elle comprenait l’autorité… La science était déjà venue en aide aux vérités chrétiennes… Cuvier montrait partout les traces du déluge et l’accord parfait des nouvelles découvertes géologiques avec le récit génésiaque. […] La haine perçante de la philosophie ne s’y était pas trompée quand elle avait lâché contre la vérité religieuse Rabelais et Voltaire, et fait de Lucifer tombé un diable grotesque, trop comique pour que l’on y crût. […] Après Rabelais, après Callot, après Voltaire, après le xviiie  siècle, nul n’aurait osé, puisqu’il faut dire le mot, croire au diable, et Chateaubriand, on s’en souvient, eut besoin de toutes les magies de sa païenne rhétorique pour faire accepter le démon à l’imagination retiédie d’une époque cadavéreuse d’athéïsme, qui croyait que c’était bien assez de revenir vers Dieu ! Cependant Voltaire l’avait dit, avec ce bon sens qu’avait quelquefois le perfide : « Plus de Satan, plus de Jésus-Christ ! 

177. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Dès le siècle dernier, ces réalités commençaient à poindre ; Frédéric II, en présence de Voltaire, se sentait et s’avouait un peu brigand. […] Tout le monde a plus d’esprit que Voltaire ; l’aristocratie anglaise a plus d’esprit que Machiavel. […] Voltaire lui-même, aux environs de cette année-là, célèbre éperdument on ne sait quel exploit de Trajan (lisez : Louis XV). […] A Louis XV, ou à Voltaire ? […] Voltaire mort, c’est le point mis à la fin du dix-huitième siècle.

178. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXV » pp. 254-255

Villemain, beaucoup plus de place que Voltaire. […] L'éloquent secrétaire perpétuel, au moment où il posait la couronne sur le front du lauréat, avait tout l’air de s’en laver les mains : « Vous allez entendre, Messieurs, l’éloge de Voltaire, nous ne pouvons nous empêcher de le couronner, mais rendez-nous cette justice, ce n’est pas certes nous qui l’aurions fait. » Tel était le sens et des paroles et du geste, nous assure-t-on, de M.

179. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

— C’est du meilleur Voltaire. » Non, ce n’était pas tout à fait du Voltaire : cet Éloge de Reinhard, c’était bien pour Talleyrand jusqu’à un certain point sa représentation d’Irène, mais une représentation concertée et arrangée. Non, ce n’était pas du Voltaire, parce que Voltaire était sincère, passionné, possédé jusqu’à son dernier soupir du désir de changer, d’améliorer, de perfectionner les choses autour de lui ; parce qu’il avait le prosélytisme du bon sens ; parce que, jusqu’à sa dernière heure, et tant que son intelligence fut présente, il repoussait avec horreur ce qui lui semblait faux et mensonger ; parce que, dans sa noble fièvre perpétuelle, il était de ceux qui ont droit de dire d’eux-mêmes : Est deus in nobis  ; parce que, tant qu’un souffle de vie l’anima, il eut en lui ce que j’appelle le bon démon, l’indignation et l’ardeur. Apôtre de la raison jusqu’au bout, on peut dire que Voltaire est mort en combattant. […] Ce passage sur Voltaire a piqué au vif les ennemis ordinaires du grand homme, et a provoqué M.  […] C’est l’éternel honneur de Voltaire qu’on ne puisse le louer sans amener aussitôt les représailles de pareils adversaires.

180. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Je choisis un volume paru en 1902 sous ce titre, La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire. […] Voltaire, élégant et léger, théoricien souriant de l’absolutisme royal, est hostile aux bourgeois. […] Le pion prend à chaque page Voltaire et Rousseau en flagrant délit de contradiction. […] Ses malices semblent traduites des conteurs florentins et en même temps imitées d’Anatole France ou de Voltaire. Mais le rire de Voltaire ou de France est une arme.

181. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Cette petite persécution lui valut l’amitié de Voltaire, qui n’hésita point à faire de lui un professeur d’histoire et à le dépêcher en cette qualité auprès du landgrave de Hesse-Cassel. […] Il en garda avec Voltaire mort, qu’il avait connu durant huit années consécutives et dans son intérieur ; il marquait ses erreurs, mais ne confondait pas toutes les opinions et les œuvres de ce brillant génie dans un même anathème. À propos de l’édition complète des Œuvres de Voltaire, qui fut entreprise en 1781, une vive polémique s’engagea. […] Mallet, dans une réponse imprimée, écrivait : « Toutes les violentes sorties contre Voltaire, à propos de la souscription de ses Œuvres complètes, m’étaient déjà connues. […] Je persiste à ne point hurler, et voici mes raisons. » Et il les déduisait avec justesse, bon sens, modération, et sans pour cela moins énergiquement déplorer ni flétrir ce qui était à condamner dans Voltaire.

182. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

À la manière dont il y jugeait Rousseau, Voltaire, Mably, Raynal, Helvétius et tutti quanti, on sentait un esprit singulièrement dégagé de toute superstition envers les grandes illustrations littéraires : « Heureux, disait-il en concluant, heureux ceux qui n’ont pas fermé les yeux sur les événements pour ne les ouvrir que sur les livres !  […]  » Qualifiant l’influence alors régnante, la double influence inverse, mais également dangereuse, de Rousseau et de Voltaire, il dit : Les Français vivant sur deux opinions également dangereuses, l’une formée par un éloquent écrivain qui a grandi toutes les petites choses, l’autre formée par un écrivain railleur qui s’est plu à dégrader tout ce qui était grand, il faut s’écarter avec soin de l’une et de l’autre route, pour refaire l’opinion publique et en revenir, comme au vieux temps, à la simplicité et au sérieux. Il a donné quelque part le taux, et pour ainsi dire, le cours de la réputation de Voltaire, laquelle est en hausse ou en baisse, selon qu’on est dans un état régulier de société ou dans une veine d’humeur frondeuse : Voltaire a été véritablement le chef spirituel de l’Europe pendant le xviiie  siècle. […] Cet écrivain tombera à mesure que les choses sérieuses reprendront de l’ascendant et autant que la société se trouvera bien gouvernée ; mais toutes les fois qu’elle entrera en opposition contre le gouvernement, quel qu’il soit, Voltaire retrouvera tout son crédit, parce qu’il est fort amusant à lire pour ceux qui sont mécontents. Cette sorte de loi qui préside à la réputation de Voltaire s’est assez vérifiée jusqu’ici : il était très en hausse sous la Restauration, il est en baisse pour le moment, depuis qu’on sait où mènent les oppositions et les Frondes.

183. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Qu’on relise dans leur suite ses lettres à Voltaire, à d’Alembert, et, au milieu de quantité de choses qui font tache et qu’on regrette d’y trouver, on reconnaîtra dans le fond des sentiments un sage et un roi. […] Un homme de mérite et d’un caractère respectable, M. le docteur Henry, pasteur de l’église française de Berlin, a examiné ce point dans un sentiment de patriotisme et de christianisme à la fois, et avec le désir de trouver Frédéric moins coupable qu’il ne paraît à travers Voltaire. […] N’allons pas pourtant nous y méprendre ; sachons que c’est une note de Voltaire, alors occupé de son Pierre le Grand, que Frédéric se borne à transmettre à M. de Suhm. […] Nous allons représenter l’Œdipe de Voltaire, dans lequel je ferai le héros de théâtre ; j’ai choisi le rôle de Philoctète ; il faut bien se contenter de quelque chose… M. de Suhm, qui l’a compris, et qui lit, à travers cette indifférence soi-disant philosophique, le regret et le tourment d’une âme amoureuse des grandes choses, lui va toucher la fibre secrète et le rassure en lui disant : La réflexion que vous faites, Monseigneur, sur le bonheur qu’il y a à venir à propos dans le monde est des plus justes, et serait très propre à consoler le héros (le prince d’Anhalt) dont Votre Altesse Royale a une si haute opinion, si à ses qualités guerrières il savait joindre votre philosophie, Monseigneur. […] Toutefois ne calomnions point la réalité : Frédéric, quoi qu’en ait dit Voltaire et qu’il nous en ait donné à accroire, était un ami solide et sûr ; on le retrouvait le même le lendemain d’une défaite ou le lendemain d’une victoire ; ceux qu’il avait d’abord aimés, il les aima toujours, et ce n’est que quand cette première génération d’amis véritables lui manqua, qu’on le vit, faute d’avoir à qui parler, se complaire trop souvent à des sarcasmes piquants avec des parasites d’esprit.

184. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

… Mais lisez surtout le fragment sur Voltaire, Voltaire, que de Maistre, cette perfection de bourreau justicier, avait pourtant si bien exécuté qu’on pouvait ne plus toucher à ce cadavre. […] Et son exécution est peut-être plus cruelle que celle de de Maistre, car, dans Voltaire, de Maistre n’avait exécuté que le pervers, et lui, Hello, a exécuté l’imbécile… Il paraît qu’au fond de Voltaire, — probablement très au fond, — il y avait un imbécile. […] Je ne sais pas ce qu’en diront les voltairiens du Siècle, mais ils peuvent se cotiser tous et prendre dix ans pour répondre à Hello, ils n’effaceront pas, à eux tous, ce qu’il a écrit de Voltaire. […] Il a su braver également le rire édenté des vieux voltairiens et le scepticisme, sans rire, des libres penseurs qui sont sortis de Voltaire.

185. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Les abbés Trublet sont des capacités honnêtes, quoique Voltaire, qui ne l’était pas, s’en soit moqué dans des vers charmants comme ce serpent d’homme savait en siffler ; mais, pour que la compilation mérite le petit salut de la critique en passant, il ne faut pas qu’elle ressemble au pêle-mêle des numéros d’un sac de loto qu’un enfant viderait sur une table. […] Voltaire, ravi, devint presque Chinois par reconnaissance. […] Rousseau faisait l’Arménien déjà ; Voltaire eût fait le Chinois. Mais, chez Rousseau, c’était folie du pittoresque ; chez Voltaire, c’eût été la joie folle d’avoir un argument pour écraser l’infâme, un argument inattendu qui piperait à merveille les ignorants et les sots.

186. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Sec, Voltaire, terriblement sec, et pas l’ombre en lui de détachement. […] Il l’a été en France dès qu’il a été « inventé » par Voltaire (1734). […] Evidemment Voltaire n’invente pas Dangeau, Voltaire ne ment jamais en histoire. […] Voltaire n’a pas inventé Dangeau. […] Elle l’aurait été du temps de Voltaire.

187. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Voltaire oppose à la théorie de Corneille une raison qui, pour être très générale et très sommaire, n’en est pas moins invincible : « Il ne faut pas, dit-il, transporter les bornes des arts. » Tous les raffinements de l’esthétique échouent contre cette raison ; c’est un article de foi littéraire dans notre pays. […] Voltaire a dit beaucoup plus de mal de ses tragédies qu’il n’eût souffert qu’on en dît ; se trop critiquer touche à s’estimer trop. […] Voltaire se tire de l’explication par un trait plaisant, qui d’ailleurs a le mérite de donner une vive idée de ces inégalités du génie de Corneille. […] Pourtant, Voltaire s’y est plus d’une fois trompé. […] Là est le plus grave tort de ce commentaire si sensé et si piquant, où d’ailleurs, soit crainte du reproche d’envie, soit complaisance d’auteur pour des fautes où il était tombé lui-même, la critique de Voltaire souvent hardie jusqu’à l’imprudence, est par endroits timide.

188. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Jules Lemaître, si pénétrés qu’ils soient des sentiments d’aujourd’hui, se placent dans la série littéraire de la France, tout de suite après La Fontaine, La Bruyère et, si l’on veut, Voltaire. […] Et ni Montaigne ne s’y est trompé, ni La Bruyère, ni Voltaire : et ni Pascal.

189. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

À coup sûr, Voltaire le savait par cœur et Beaumarchais l’avait beaucoup lu. […] Il attira autour d’elle, dans un centre de société cosmopolite, le comte de Grammont, l’abbé de Saint-Réal, historien superficiel, mais entraînant, précurseur de Voltaire dans l’art de donner de la couleur et du mouvement au récit, Hamilton, le Saint-Évremond anglais, Waller enfin, l’Anacréon de la Grande-Bretagne. […] Molière n’a pas plus de verve dans ses bouffonneries grotesques, Voltaire n’a pas plus d’éclat de fou-rire dans ses facéties. […] Le badinage poétique était vacant, il prit le badinage comme autrefois Hamilton, Saint-Évremond, Chaulieu, Voltaire, l’avaient pris en commençant. […] Voltaire l’a essayé dans un poème plus ordurier que plaisant ; où Voltaire a échoué qui osera se flatter de réussir ?

190. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Au xviiie  siècle, nous avons par Voltaire l’opinion de ceux qui daignaient avoir une opinion sur Dante ; dans tout ce qu’il dit du grand Florentin, l’irrévérence perce par tous les pores : Vous voulez connaître Dante, dit-il dans le Dictionnaire philosophique. […] Il avait déjà dit, dans ses Lettres sur les Anglais, qu’on ne lisait plus Dante en Europe « parce que tout y était allusion à des faits ignorés : il en est de même d’Hudibras. » Mais dans une lettre adressée au Père Bettinelli, auteur des Lettres Virgiliennes, où Dante était traité assez lestement, Voltaire se découvrait encore davantage (mars 1761) : Je fais grand cas, écrivait Voltaire à ce littérateur italien, du courage avec lequel vous avez osé dire que le Dante était un fou, et son ouvrage un monstre. […] Ce monde-ci est une pauvre mascarade… Ce pauvre homme (il s’agit d’un abbé Marini, un admirateur de Dante à Paris, et que pour cela Voltaire vient d’appeler un « polisson »), ce pauvre homme a beau dire, le Dante pourra entrer dans les bibliothèques des curieux, mais il ne sera jamais lu. […] La Harpe, après Rivarol, rétrogradait et se repliait sur le jugement de Voltaire, lorsqu’en quelques lignes rapides de son Cours de littérature il parlait de l’ouvrage de Dante comme « d’un poème monstrueux et rempli d’extravagances, que la manie paradoxale de notre siècle, disait-il, a pu seule justifier et préconiser ».

191. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Tout lecteur instruit a déjà nommé Voltaire. […] Condorcet a pleinement raison en restituant à Voltaire ce genre de gloire. […] Le Tasse, Milton, Corneille, Racine, Voltaire, vous retracent ses miracles. […] Voyez la collection des Œuvres de Voltaire et sa Bible expliquée, etc. […] Voltaire.

192. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Ceux des littérateurs qui parlent des Grecs et des Romains en parlent avec une connaissance bien superficielle, ou même avec une inintelligence grossière : lisez les jugements de Voltaire et de La Harpe. […] Jamais homme ne fut plus éloigné de la religiosité mélancolique ou enthousiaste des Chateaubriand et des Lamartine : « athée avec délices », selon le mot de Chênedollé, le xviiie siècle dont il était n’était pas celui de Rousseau ; c’était celui de Voltaire, de l’Encyclopédie, de Buffon, le xviiie siècle irréligieux, sensualiste, et scientifique. […] Il donna cours à ses sentiments dans les ïambes : la haine de ceux qui gouvernaient, l’horreur des massacres et des supplices, le mépris de la légèreté égoïste des victimes, la révolte d’une âme qui aspire à vivre et à agir encore, d’âpres malédictions, d’amères défiances, des fiertés hautaines, de douloureux désespoirs, tout le contenu de ces poèmes, comme leur forme, nous mène bien loin de la satire didactique de Boileau, de la satire épigrammatique de Voltaire, de la satire oratoire de Gilbert. […] Mais il n’est pas non plus un pur classique : l’art de Boileau, les règles de Voltaire ne lui suffisent pas ; et voici ce qu’il fait : il répète pour son compte la tentative de Ronsard, sans s’en douter, pour la même raison et de la même manière que Ronsard.

193. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Saint-Marc Girardin nous dira avec Fénelon ; et il nous répondrait encore avec Voltaire, car je me plais à laisser parler ces esprits excellents ; toute la vraie rhétorique française, la rhétorique naturelle est comme éparse dans leurs écrits ; il ne s’agit que de la recueillir. […] Saint-Marc Girardin, pour s’excuser de ne point paraître admirer le lyrique des modernes, nous répondrait encore par ces paroles de Voltaire, lesquelles s’accordent si bien avec celles de Fénelon : Le grand art, ce me semble, est de passer du familier à l’héroïque, et de descendre avec des nuances délicates. […] On sent à ces derniers mots que c’est bien Voltaire qui parle, c’est-à-dire un poète amoureux de son art, et qui, dans un moment d’admiration, serait capable d’applaudir même son rival, et de lui sauter au cou en l’embrassant. […] Et sur celui-ci, sur sa candeur et sa modestie de juge, sur la droiture de sa méthode littéraire, et sur Fénelon et sur Voltaire, à ne les prendre tous deux que comme simples critiques et gens de goût, que ne dirait-on pas ?

194. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Relisez Le Mondain et ce qu’en a dit Voltaire ; c’est encore vrai pour nous : l’Opéra représente la civilisation parisienne à ses grands jours, dans sa pompe et dans ses fêtes. […] c’est Voltaire qui l’a dit, lui, le Français par excellence et qui connaissait si bien son espèce. […] Les tragédies de Voltaire avaient fait des républicains de la veille de ceux-là même qui avaient goûté Le Mondain ; ils purent s’apercevoir plus tard de la contradiction, trop tard pour se corriger. […] Nous sommes en voie peut-être, sur trop d’articles de nos mœurs, de devenir aussi rudes que les Anglais et les Américains ; mais par moments aussi, dans le journal et dans le pamphlet, Voltaire nous reconnaîtrait encore.

195. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Que signifie cette appellation de « sauvage ivre », décernée par Voltaire à Shakespeare ? Elle signifie que Voltaire, bien qu’appartenant à l’élite, se réclamait d’une esthétique trop médiocre et trop restreinte pour admettre un poète aussi libre, aussi tumultueux, aussi exubérant que Shakespeare. Nourri du dix-septième siècle français, cet âge de froide étiquette et de servilisme intellectuel, Voltaire et son temps, au nom de Corneille, excommunient Shakespeare, qui écrase cependant le tragique français de toute la souveraineté de son génie. Ce qui nous apparaît suprêmement beau de nos jours, notre sens de la beauté s’étant démesurément élargi, ce qui apparaissait déjà comme tel à Hugo, c’est-à-dire moins d’un siècle après le jugement de Voltaire, semblait alors l’ignoble et le grossier aux plus perspicaces.

196. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Voltaire, qui, dans la dernière moitié de sa vie, régna véritablement, fut monarque comme philosophe, comme historien, non moins que comme poète. […] Voltaire reçoit, jeune, des coups de bâton d’un grand seigneur, et il ne reste pas moins ami de la noblesse, du beau monde, et l’opposé en cela de Jean-Jacques. […] Voltaire dut accueillir aussi un disciple de cette poésie facile, spirituelle et brillante, qu’il ne concevait guère, pour son compte, plus profonde et plus sévère. […] Les artistes en vogue y sont nommés et admirés sans aucune gradation, Boucher au niveau de Rembrandt, et Vanloo aux touches enflammées à côté de Voltaire. […] Ce sont d’agréables madrigaux, de faciles et ingénieuses bagatelles, mais qui n’approchent pas du tour vif et galant des chefs-d’œuvre de Voltaire en ce genre.

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