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875. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Tite-Live en a fait naïvement l’aveu : « S’il doit être permis à un peuple, dit-il, de rendre son origine plus auguste en la rapportant aux dieux, telle est la gloire militaire du peuple romain, que lorsqu’il lui plaît de se donner le dieu Mars pour père, le genre humain le souffre comme il a souffert sa domination22. » J’admire cette fierté patriotique ; mais le genre humain affranchi de Rome ne s’accommode plus de ce que souffrait le genre humain sujet de Rome, et pour chaque nation, comme pour chaque ville, la seule origine glorieuse est la vraie. Des commencements humbles d’où un peuple s’est élevé laborieusement à la grandeur, sont plus augustes que le miracle qui, dès le berceau, la lui donne toute faite avant qu’il l’ait gagnée. […] Il était de notre pays, où, soit attachement médiocre pour le vrai, soit plutôt passion d’un peuple artiste pour la forme, on considère le style à part des idées, et l’on enseigne officiellement dans les écoles la dangereuse distinction de la forme et du fond. […] Quand Gil Blas, dans l’antichambre de l’archevêque de Grenade, attend le moment d’être reçu, au lieu d’inventorier le palais archiépiscopal, il aime mieux, dit-il, décrire le peuple d’ecclésiastiques et de gens d’épée qui attendent comme lui à la porte du cabinet. Il a raison ; peu nous importe de quelle façon est meublée cette antichambre ; ce que nous sommes curieux de savoir, c’est quel peuple est ce peuple-là, et quel accueil reçoit d’eux cet inconnu en qui les uns voient un solliciteur, les autres soupçonnent un futur concurrent dans la faveur du maître.

876. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Jamais le paraître n’a été si impérieux, si despotique et si démoralisateur d’un peuple. […] * * * — Un mot du peuple : A quoi penses-tu ? […] Deux tueurs de temps et deux amis de la femme restée femme du peuple sous la soie, et qui gagne sa vie avec le plaisir. […] * * * — Un gouvernement serait éternel à la condition d’offrir, tous les jours, au peuple un feu d’artifice et à la bourgeoisie un procès scandaleux. […] Ce serait à faire croire à la postérité, que nous fûmes un peuple de portiers mettant à c… des laveuses de vaisselle, à peine décrassées, dans le décor et le mobilier riche d’un roman de Paul de Kock.

877. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

les mots du peuple, l’homme, même de génie, ne les trouvera jamais. […] … Voyez-vous, quand même le 3e acte nous reviendrait de la censure, il faudrait que cela se passât dans la rue… Des passants, du peuple, vous voyez ça… Et pas un endroit fermé… C’est très remarquable… du style, oh ! […] Il est le contraire du Français, honnête comme peuple et filou comme individu. […] Pour notre tante, les Chinois n’étaient absolument qu’un peuple de paravent, et n’en ayant jamais vu que sur du papier peint, elle se figurait que ce peuple était une invention comique. Fort de ses notions de collège, mon frère s’obstinait à citer, en faveur de son peuple aimé, l’invention de la boussole, de la poudre, de l’imprimerie, etc., etc., notre tante persistant à les couvrir de son mépris : « Tiens, tes Chinois, voilà pour eux ! 

878. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Que savent aujourd’hui de Jean-Jacques les enfants du peuple ? […] On disait la messe ; le peuple affluait de toutes parts. […] Je lançai un regard dans la foule serrée du peuple et des soldats. […] Pourtant je ne suis pas seul : je fraternise sur la terre avec un grand peuple. […] Et ce n’est pas le peuple républicain seulement, c’est tout le peuple, c’est toute la société, c’est toute l’humanité qui est ainsi mobile et sans frein moral.

879. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Ce peuple voyageur sait s’asseoir… Peu de bruit dans cette salle ; des conversations à mi-voix. […] La vie des peuples, comme celle des individus, est souvent une concession à des choses lointaines et inconnues. […] Il a aimé le peuple russe. […] Ce fut, pour les gens du monde et pour le peuple, une nouvelle occasion d’allégresse. […] C’est que, lorsqu’il s’agit de comprendre les sentiments et les pensées d’un peuple très ancien, la connaissance littérale des sons qu’a proférés ce peuple et l’exacte copie des inscriptions qu’il a gravées sur les murs ne suffisent pas.

880. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

la voix du peuple est la voix de Dieu , c’est-à-dire, que le sentiment du peuple, dans les matiéres qui sont de son ressort, est le véritable sentiment. […] Dieu a écouté la voix de son peuple, etc. […] Le prophète Osée dit, que les prêtres mangeront les péchés du peuple, (…), c’est-à-dire, les victimes ofertes pour les péchés. […] Il y a eu des tropes dans la langue des caldéens, dans celle des egyptiens, dans celle des grecs et dans celle des latins : on en fait usage aujourdui parmi les peuples même les plus barbares, parce qu’en un mot ces peuples sont des homes, ils ont de l’imagination et des idées accessoires. […] le roi aime le peuple ; aime est aussi dans un sens actif, et le peuple est le terme ou l’objet de ce sentiment.

881. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il a sur notre nation et sur notre caractère des observations très originales, et s’il dit des vérités aux autres peuples, il nous en adresse assez à nous-mêmes les jours d’éloges, pour qu’on puisse tout citer sans faire de jaloux : On ne le croirait pas, dit-il, la nation française est, des nations de l’Europe, celle dont les peuples ont communément plus de jugement mêlé avec le plus d’esprit. […] Tous deux ont les plus petits districts qu’on puisse avoir à gouverner, chacun suivant leurs titres ; tous deux sont bienfaisants ; ils donnent aux pauvres tout ce qu’ils peuvent donner, et avec grande intelligence ; ils inspirent à leurs peuples la vertu par l’exemple ; ils réussissent à la police par les soins ; ils encouragent leur travail, et avec cela sont très honorables quand il le faut. […] Lui, il était plutôt un adversaire de la noblesse, bien que la sienne fût bonne, et il n’entrait pas dans les doléances qu’il entendait faire autour de lui : « Les gentilshommes, disait-il, qui se plaignent en leur qualité de n’être pas assez accommodés des biens de la fortune, sont de pauvres brochets de l’étang qui n’ont pas assez de carpes à manger ; non, il n’y a à plaindre que ceux qui manquent selon la nature. » D’Argenson aimait à la fois la royauté et le peuple ; il voulait le bien du public, sans être pour cela républicain : « Les républiques n’ont point de tête ; les monarchies n’ont bientôt plus de bras, car la tête les énerve.

882. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Mais ils prenaient surtout leur matière à la tradition orale du peuple, et c’est de là que vient la meilleure partie des poèmes de Renart. C’étaient des contes, sans prétention et sans intention autre que d’amuser, qui racontaient les actions, les luttes, les méfaits et les malheurs des animaux : de ces contes, dont les premiers éléments remontaient aux plus lointaines origines des peuples européens ; les uns venaient de l’Orient, comme ceux où figure le lion, d’autres venaient du Nord, comme ceux dont l’ours était avant le loup, le primitif héros. Depuis des siècles, ils vivaient dans la mémoire du peuple, et comme ils préexistaient aux formes littéraires qui en ont fixé ou transformé un certain nombre dans les poèmes de Renart, ils se sont transmis jusqu’à nos jours pur la même tradition orale dans beaucoup de pays ; les folkloristes ont retrouvé chez les Finnois et dans la Petite Russie de ces aventures comiques du loup et du renard, qui divertissaient nos vilains du xiie  siècle. […] On a parfois trop insisté sur la vérité des fabliaux, on y a vu la vivante image de la réalité familière, le miroir de la vie du peuple au xiiie  siècle.

883. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

En outre, ce ne doit pas être un mince plaisir, et c’est tout au moins une raison de vivre, que de savoir que l’on continue une race célèbre, de retrouver son nom mêlé partout à l’histoire, de reconnaître des aïeux dans les conducteurs de peuples et parmi les premiers acteurs qui ont joué publiquement leur rôle sur la scène du monde. […] En somme, s’il est vrai, comme je le pense, que la vie la plus digne d’être vécue est celle qui nous permet de connaître l’humanité à tous ses étages, sous tous ses aspects, par tous ses côtés pittoresques et dans tous ses recoins moraux, le mieux est d’être né du peuple, et du plus petit. […] L’écrivain ou le dilettante né du peuple peut quelquefois hausser son observation jusqu’aux grands en parcourant toute la région intermédiaire : un grand ne sort point de sa classe, sauf en des occasions extraordinaires et trop rapides, et est condamné à une assez grande ignorance, à une pauvreté relative d’impressions. […] Ce qu’il taille dans de la chair, ce qu’il pétrit dans du sang, c’est la destinée d’un peuple.

884. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Parlant de la déclaration du roi dans la séance royale du 23 juin, il se demande pourquoi cette déclaration qui, un peu modifiée, pouvait devenir la Grande Charte du peuple français, eut un si mauvais succès ; et la première raison qu’il en trouve, c’est qu’elle vint trop tard : Les opérations des hommes ont leur saison, dit-il, comme celles de la nature ; six mois plus tôt, cette déclaration aurait été reçue et proclamée comme le plus grand bienfait qu’aucun roi eût jamais accordé à ses peuples ; elle eût fait perdre jusqu’à l’idée, jusqu’au désir d’avoir des États généraux. […] ce ne sont ni les impôts, ni les lettres de cachet, ni tous les autres abus de l’autorité, ce ne sont point les vexations des intendants et les longueurs ruineuses de la justice, qui ont le plus irrité la nation, c’est le préjugé de la noblesse pour lequel elle a manifesté le plus de haine : ce qui prouve évidemment que ce sont les bourgeois, les gens de lettres, les gens de finances, et enfin tous ceux qui jalousaient la noblesse, qui ont soulevé contre elle le petit peuple dans les villes, et les paysans dans les campagnes. […] Si vous voulez qu’un grand peuple jouisse de l’ombrage et se nourrisse des fruits de l’arbre que vous plantez, ne laissez pas ses racines à découvert… Pourquoi révéler au monde des vérités purement spéculatives ?

885. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Ce que pensait Attila, le rôle des dieux qui tombaient, celui du Dieu qui s’élevait, la défiance créée entre Rome et Constantinople par l’érection de cette dernière en siège de l’Empire, le travail intérieur du Christianisme parmi ces peuples, à la faveur d’une mission qui courait comme la foudre, soit souterrainement, soit en plein jour, rien de tout cela, qui était l’important dans une telle histoire, ne se trouve dans l’ouvrage de M.  […] On a beaucoup trop parlé (et nous-même) de la pureté, de la santé et de la vigueur du sang barbare, de la généreuse transfusion qu’il venait opérer dans les sources mêmes de la vie des vieux peuples. […] Procédant aux sérails futurs de l’Asie par une polygamie sans limites, ivrogne comme un Scythe, il était grossier et crapuleux, et les successeurs de son peuple (les Bulgares) ont nommé de leur nom le vice le plus honteux de la Civilisation antique. […] Amédée Thierry, amoureux de la civilisation romaine pourrissante, comme un Barbare… qu’il n’est pas pourtant, et faisant je ne sais quel mérite surnaturel à Rome d’avoir été longtemps pour les peuples qui l’ont conquise, ce que cette méprisable Chine a été pour les Tartares, ses vainqueurs, — la maîtresse de ses maîtres.

886. (1940) Quatre études pp. -154

Son peuple, ami du bon sens et de la raison, ne le comprenait pas ; les tribunaux français l’avaient condamné. […] Nous avons cru aux épopées qui étaient nées jadis de l’âme même du peuple, et qui s’étaient perdues, et dont les chansons de geste n’avaient fait que recueillir l’écho. […] Ils ne s’adressent ni au peuple ignorant, ni aux raffinés qui n’estiment que le difficile, mais à la moyenne des hommes. […] Ils sont comme la garantie de son droit à l’existence ; un peuple dont les héros ont mené le monde vers les plus hauts sommets de la civilisation, a le droit de revivre. […] Quel mal, pour faire adopter des formes non usitées, des sentiments non communs, pour obliger tout un peuple à passer du connu, qui lui plaît, à l’inconnu, dont il a peur !

887. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

Et si l’on vient citer le don de la liste civile et la proposition des céréales pour prétendre que le gouvernement n’a pas toujours strictement agi dans l’intérêt de la classe dont il était issu, je dirai que, dans les douze millions donnés à Louis-Philippe, je vois le bourgeois courtisan essayant de faire briller avec de l’or son trône quasi-royal, et dans l’importation des blés le bourgeois prévoyant craignant d’éveiller la colère du peuple et les émeutes de la famine. » La vue de M.  […] Si, par ces deux Chambres, organes de deux intérêts divers, il entendait seulement : 1° une Chambre représentant plus particulièrement la propriété, l’âge, les grands services rendus au pays, l’illustration acquise, tout ce qui fait qu’on se rattache plus ou moins directement à la conservation ; 2° une Chambre active, énergique, renouvelée souvent, retrempée dans le peuple, sans aucun cens d’éligibilité, résultant de l’adjonction des capacités et d’un cens électoral très bas, que chaque progrès nouveau, apporté dans l’instruction et la moralité des masses, permettrait de baisser encore ; si M. 

888. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté La gaieté française, le bon goût français, avaient passé en proverbe dans tous les pays de l’Europe, et l’on attribuait généralement ce goût et cette gaieté au caractère national ; mais qu’est-ce qu’un caractère national, si ce n’est le résultat des institutions et des circonstances qui influent sur le bonheur d’un peuple, sur ses intérêts et sur ses habitudes ? […] Les Français n’approfondissent pas, comme les Anglais et les Allemands, les sentiments que le malheur fait éprouver ; ils ont trop l’habitude de s’en éloigner pour le bien connaître : mais les caractères dont on peut faire sortir des effets comiques, les hommes séduits par la vanité, trompés par amour-propre, ou trompeurs par orgueil, cette foule d’êtres asservis à l’opinion des autres, et ne respirant que par elle, aucun peuple de la terre n’a jamais su les peindre comme les Français.

889. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

Bertaut, Régnier, Montchrétien, François de Sales, Du Vair se réduisent à l’usage du peuple, au parler naturel et commun. […] Étienne Pasquier estime que les changements n’ont pas été toujours de : progrès, conseille de laisser la langue digérer ce qu’elle pourra de latinismes qu’elle a déjà absorbés, et rejeter le reste ; et, pour l’enrichir à l’avenir, il compte sur l’exploitation des matériaux que l’usage du peuple fournira.

890. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

Paul Bourget commence par des considérations générales sur la supériorité du peuple anglais. […] Elle éclate notamment dans le caractère que prend, chez ce peuple sérieux la célébration des fêtes dont l’anniversaire de la nativité de Jésus est l’occasion.

891. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVII. Conclusion » pp. 339-351

On a dit que les conquêtes légitimes étaient celles des peuples parvenus à la civilisation sur les peuples encore barbares qu’ils font participer à leurs lumières et à leurs progrès.

892. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Lorsque ce comique en donnoit, que le peuple y couroit en foule, & que Socrate disoit le moindre mot contre la pièce & l’auteur, les défenseurs de celui-ci l’accusoient d’avoir mis en jeu tous les ressorts imaginables pour arrêter l’enthousiasme des Athéniens, & nuire à l’illusion théâtrale. […] Il paroît que tout l’effet qu’elle produisit, fut d’amuser le peuple d’Athènes.

893. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Proudhon et Couture1 Chez le peuple qui se pique d’être le plus spirituel et le plus lettré de l’Europe, le mouvement de l’esprit est depuis quelque temps peu de chose. […] Louis Couture, qui s’en tient, lui, aux faits observables, croit que la politique est aussi durable que les peuples, et que, quand elle est forte et déterminée, les hommes comme Proudhon, par exemple, n’ont pas beaucoup de chances pour troubler les esprits et bouleverser les États.

894. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

C’est ainsi qu’en baissant dans leur moralité les peuples baissent dans leur intelligence… Nous le disions récemment, à propos de cette immense mystification que des nigauds appellent, avec un sérieux bouffon : « la science de l’économie politique », tout pour l’homme est dans les questions morales, même le secret de son talent et de son génie quand il en a. […] Et, en effet, nous avons beau être du xixe  siècle, les questions qui ont, à toute époque, chez tous les peuples et à tous les niveaux de civilisation, passionné l’humanité avec cette furie tenace, ne finissent pas si net qu’il n’en revienne toujours quelque chose… C’est là « la spirale » du grand Gœthe.

895. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Consultez les listes des héroïques victimes ; pas une illustration, ni dans la science, ni dans les lettres, ni dans les armes, pas une gloire antérieure ; c’était bien du pur et vrai peuple, c’étaient bien de vrais jeunes hommes ; tous ces nobles martyrs sont et resteront obscurs. […] Non pas la ville même, trop souvent les chaleurs y accablent, et les gens y révoltent : « Quel peuple abandonné dans ses allures, dans ses paroles, dans ses mœurs ! […] voilà que tout à la fin, sans y songer, il donne un démenti à son projet contemplatif, et qu’avec un seul être de plus, avec une compagne telle qu’il s’en glisse inévitablement dans les plus doux vœux du cœur, il peuple tout d’un coup sa solitude. […] En politique, il adoptait les idées généreuses, propices à la cause des peuples, et embrassait avec foi les conséquences du dogme de la perfectibilité humaine. […] Une fois seulement, à un bruit plus violent qui se faisait dans la rue, il parut craindre que le peuple n’eût le dessous et ne fût refoulé ; on le rassura ; ce furent ses dernières paroles ; il mourut calme et grave, recueilli en lui-même, sans ivresse comme sans regret. (29 juillet 1830.)

896. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Tout un peuple effrayé partit de ton feuillage, Et mille oiseaux chanteurs, troublés dans leurs amours, Planèrent sur ton front comme un pâle nuage, Perçant de cris aigus tes gémissements sourds. […] Nous avons, comme un autre, les passions nobles et collectives du temps où nous vivons ; nous aimons avec une sainte ardeur la liberté régulière, le patriotisme honnête renfermé dans les bornes du droit public, la grandeur irréprochable de notre pays, pourvu que cette grandeur de la patrie ne soit pas l’abaissement des autres nations, qui ont le même droit que nous de vivre grandes sur le sol et sous les lois que le temps a légitimées pour tous les peuples. Nous détestons les servitudes militaires, qui font prévaloir par la conquête la force sur le droit ; la gloire corruptrice, qui fait adorer au bas peuple des victoires au lieu de vertus, nous dégoûte : ces grands homicides d’armées qu’on appelle des batailles ne nous paraissent que d’illustres crimes, quand ces batailles ne sont que des jeux de l’ambition. Nous gémissons sur ces éblouissements stupides des peuples qui déifient ceux qui jouent le mieux avec le sang, et qui semblent mesurer leur adoration au mal qu’on leur a fait. […] Sa religion, c’est Dieu libre et agissant librement dans les âmes ; sa république, c’est la règle de l’ordre moral et politique imposée à tous par tous pour qu’il n’y ait place à aucune tyrannie, pas même à celle du peuple, la pire de toutes, parce qu’elle est sans règle, sans responsabilité et sans vengeur.

897. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Personne ne voulait admettre que l’histoire des hommes et des peuples est pleine d’inattendu, et que ces dieux dont l’Italie accompagne ses guerriers, ne sont qu’un symbole poétique d’une force réelle et mystérieuse, adverse ou contraire, qui secourt ou terrasse les êtres. […] Mais combien plus étonnante est l’histoire de cette intelligence qui n’a plus de sens, de ce professeur qui veut juger la littérature, l’art des peuples et qui ne les voit pas ! […] On ne veut plus de généraux dans les armées, ni de roi à la tête des peuples ; de même l’intelligence groupant les sensations est inutile à nos modernes. […] Croyez-vous que s’il avait eu de l’imagination, s’il avait senti comme Balzac s’agiter en lui tout un peuple de héros, il se serait appesanti dans sa haine, roulé dans son mépris ? […] Et les riches et les puissants, de plus en plus, oublieront leurs devoirs, leur raison d’être en ce monde ; ils confondent dans leur haine ou leur indifférence démocratie et peuple, le simple travailleur qui va noblement et heureusement à sa tâche et l’imbécile braillard des réunions publiques qui songe à réformer l’univers.

898. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Faguet parle en homme libre de ces maîtres du peuple. […] Il fallait au moins rendre compte de l’illusion d’un peuple. […] Quand il voit Nana en pantalon parmi les princes du peuple, M.  […] Il prêchait en français, du moins dans les pays français, et se faisait comprendre également des peuples de langue d’oïl et des peuples de langue d’oc. […] Les peuples policés offensent grandement la charité et l’amour ; les peuples barbares ont-ils plus de pitié ?

899. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Voici une invitation à Mécène pour le convier à venir boire, à l’humble table du poète, un vin grossier de Sabine, cacheté par lui dans une amphore grecque le jour où Mécène, guéri d’une maladie dangereuse, avait été acclamé par le peuple en reparaissant au Cirque. […] « L’homme juste et résolu dans son dessein, ni la fureur d’un peuple qui lui ordonne le crime, ni le visage impérieux d’un tyran, ni la tempête qui amoncelle les flots troublés de la mer Adriatique, ni la grande main de Jupiter lui-même tenant la foudre, ne le font chanceler sur la base solide de sa fermeté. […] Ce voyage en vers familiers est surtout intéressant par la ressemblance, encore aujourd’hui parfaite, entre les mœurs des hommes du peuple des bourgades d’Italie et les mœurs de ce même peuple de nos jours. […] Mais si vous êtes seulement un homme de bon sens et de goût exquis, un amateur des délicatesses de l’esprit et des grâces de la poésie ; si vous ne sentez plus dans votre cœur ou si votre nature tempérée n’a jamais senti les brûlures sacrées ni les stigmates toujours saignants des fortes passions : amour, dévouement, religion, soif de l’infini ; si une félicité facile et constante vous a servi à souhait dans les différents âges de votre vie ; si vous avez passé l’âge des tempêtes, l’équinoxe de cette vie ; si vous êtes détrompé des hommes et de leurs vains efforts pour se retourner sur leur lit de chimères ; si vous avez vu dix révolutions et cent batailles soulever pendant soixante ans la poussière des places publiques et des champs de mort sans rien changer dans le sort des peuples que le nom de leur servitude et de leurs déceptions ; si vous avez vu les prétendus sages de la veille déclarés fous le lendemain, et les philosophies et les systèmes qui avaient fanatisé les pères devenir la dérision de leurs fils ; si la pensée humaine, toujours active et toujours trompée, vous a attristé d’abord par ce perpétuel enfantement du néant ; si, après avoir pleuré sur ce tonneau retentissant des Danaïdes qu’on appelle Vérité, vous avez fini par en rire ; si, sans chercher plus longtemps cette impénétrable moquerie du destin qui pousse le genre humain à tâtons de la vie à la mort, vous avez pris le parti de douter de tout, de laisser son secret à la Providence, qui, décidément, ne veut le dire à aucun mortel, à aucun peuple et à aucun siècle ; si vous vous laissez glisser ainsi sur la pente, comme l’eau de l’Anio qui glisse en gazouillant sous le verger d’Horace ; si vous n’avez ni femme ni enfant qui doublent et qui perpétuent pour vous les soucis de la vie ; si votre cœur, un peu rétréci par cet égoïsme qui se replie uniquement sur lui-même, a besoin d’amusement plus que de sentiment ; si vous possédez cet Hoc erat in votis , ce vœu d’Horace, un joli domaine aux champs pour l’été, une maison chaude l’hiver, tapissée de bons vieux livres ( nunc veterum libri ) ; si votre fortune est suffisante pour votre bien-être borné ; si vous avez pour amis quelques amis puissants, amis eux-mêmes des maîtres du monde, avec lesquels vous soupez gaiement en regardant combattre Pompée et mourir Cicéron pour cette vertu que Brutus appelle un vain nom en mourant lui-même ; enfin, si vous n’avez pas grand souci des dieux, et si les étoiles vous semblent trop haut pour élever vos courtes mains vers les choses célestes ; oh !

900. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Et si sa comédie est à tel point nationale, c’est qu’il ne l’a pas reçue des mains de ses devanciers comme une forme savante aux traditions réglées ; il l’a extraite lui-même et élevée hors de la vieille farce française, création grossière, mais fidèle image du peuple ; il l’a portée à sa perfection sans en rompre les attaches à l’esprit populaire. […] Né près du peuple, absent de Paris pendant douze années, il est resté à l’écart du travail que faisait la société polie sur la langue ; et quand il revient, en 1638, il garde son franc et ferme style nourri d’archaïsmes, de locutions italiennes ou espagnoles, de façons de parler et de métaphores populaires ou provinciales, un style substantiel et savoureux, plus chaud que fin, plus coloré que pur, brusque en son allure et assez indépendant des règles savantes ou du bel usage. […] On entrevoit le peuple, par quelques silhouettes de rustres, porteurs de chaise ; un monde louche d’intrigants, entremetteuses, spadassins, se laisse deviner, c’est de là que sortent et là qu’ont leurs attaches les valets impudents et fripons. Le peuple honnête, rude en ses manières, cru en son langage, solidement loyal et bon, est représenté par les servantes. […] Sur Lesage, cf. plus bas, p. 660 et suiv. — Turcaret fut donné au milieu de la guerre de la succession d’Espagne, dans le temps où le peuple était à bout, et regardait les traitants comme les auteurs principaux de sa ruine.

901. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Quand Lohengrin, avant de faire ses adieux à Elsa, révèle son origine devant le peuple entier et parle de Montsalvat, nous ne voyons ni église, ni cortège, ni vase magique, et cependant nous croyons mieux au Saint-Graal et à toutes ses merveilles à travers son messager lumineux que devant le brillant symbolisme de cette religion matérialisée. — C’est qu’il y a dans Lohengrin ce qui manque dans Parsifal : le sentiment de l’au-delà, de l’infini. […] Par réalisme, nous n’entendons rien que la recherche de la vérité : dans le drame parlé réaliste, les caractères acquièrent, par la puissance de la poésie, une portée idéale, quoiqu’ils ne se meuvent pas devant nous comme des Idéals, mais comme des réalités, et la distinction demeure que nous avons faite entre le style idéal classique, et le style réaliste du drame parlé, — entre Schiller et Shakespeare, entre le chant et la parole, il faudra donc, dans tout effort pour réformer le drame parlé, laisser de côté toute tentative d’Idéalisation : le poète plongera son regard dans l’âme même du peuple ; il nous montrera des symboles de la Réalité, non pas des Idéals, mais des exemples personnifiés des idées universellement humaines. […] L’avenir du drame parlé se fera probablement en rejetant les modes et les conventions, et en retournant au « théâtre populaire », pour lequel le peuple même fournit les acteurs, et qui traitera, avant tout, de sujets, ou, plutôt, de grands personnages, pris dans l’histoire même du peuple. […] L’Art doit représenter nettement et rendre consciente à tous la Nécessité inconsciente de la Nature, afin que, la connaissant, nous y puissions échapper (p. 19 à 21). « Mais le seul créateur de l’œuvre artistique est le Peuple : l’artiste peut seulement saisir et exprimer la création inconsciente du Peuple. » (p. 22).

902. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

Y eut-il jamais, dans la vie d’un peuple militaire et libre, un plus admirable moment et pour ce peuple lui-même et pour les jeunes guerriers dont il était fier, que l’heure où, après une pareille campagne unique par le génie et toute patriotique d’inspiration, toute défensive encore jusque dans ses conquêtes, après n’avoir battu tant de fois l’étranger au dehors et ne l’avoir relancé si loin que pour ne pas l’avoir chez soi au dedans, les enfants de cette triomphante armée d’Italie revinrent dans leurs foyers, simples, modestes, décorés du seul éclat des victoires ? […] C’était, sans contredit, le plus intrépide, le plus habile et le plus estimable des lieutenants de Bonaparte ; il avait favorisé, depuis la paix de Campio-Formio, la cause populaire en Hollande ; il venait en Italie, résolu, malgré la fausse politique du Directoire, de suivre son inclination et de satisfaire au vœu des peuples qui voulaient la liberté.

903. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Les causes qui ont retardé les progrès de la littérature allemande, s’opposent encore, sous quelques rapports, à sa perfection ; et c’est d’ailleurs un désavantage véritable pour une littérature, que de se former plus tard que celle de plusieurs autres peuples environnants : car l’imagination des littératures déjà existantes, tient souvent alors la place du génie national. […] Néanmoins la littérature allemande porte le caractère de la littérature d’un peuple libre ; et la raison en est évidente. […] La liberté donne des forces pour sa défense, le concours des intérêts fait découvrir toutes les ressources nécessaires, l’impulsion des siècles renverse tout ce qui veut lutter pour le passé contre l’avenir : mais l’action inhumaine sème la discorde, perpétue les combats, sépare en bandes ennemies la nation entière ; et ces fils du serpent de Cadmus, auxquels un dieu vengeur n’avait donné la vie qu’en les condamnant à se combattre jusqu’à la mort, ces fils du serpent, c’est le peuple, au milieu duquel l’injustice a longtemps régné.

904. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Est-ce sa faute, à lui, si ce qui fait un peuple, l’amour du sol et le sentiment de l’honneur national, est déjà dans la Chanson de Roland ? […] Mais surmontons cette première impression, prêtons une oreille attentive et sympathique, et nous reconnaîtrons que cet enfant robuste et sain, plein de vigueur, de bonté et de courage, que cet enfant qui est déjà le grand peuple français parle aussi la grande langue française. […] Ou bien le peuple tout jeune et tout neuf sorti de la fusion des Celtes, des Latins et des Francs, se trouvait-il incapable, par quelque faiblesse de complexion, d’atteindre jamais de lui-même à la perfection de l’art ?

905. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Susanne y comparoît devant le peuple accusée d’adultere, et le peintre la represente dans l’instant où les deux vieillards déposent contre elle. à la phisionomie de Susanne, à l’air de son visage encore serein malgré son affliction, on connoît bien que si elle baisse les yeux, c’est par pudeur et non par remord. […] La coutume établie maintenant chez tous les peuples polis de l’Europe veut qu’on fasse de l’étude des auteurs grecs et romains l’occupation la plus serieuse des enfans. […] Chaque peuple a même ses fables particulieres et ses heros imaginaires les heros du Tasse et de L’Arioste ne sont pas aussi connus en France qu’en Italie.

906. (1896) Études et portraits littéraires

Baignée dans l’éther vibrant, la nature se peuple d’illusions. […] Peuple, elle l’est de style comme de sentiments. […] Le peuple est un grand maître ; il fait la langue, il faut aller à lui pour la trouver toute jeune et vive. […] Si le peuple incendie, c’est peut-être qu’il est resté trop longtemps sans feu !  […] Et un peuple d’estampes vit et se trémousse sur les murs.

907. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Essayez de lire une ode de Malherbe devant le peuple, devant une assemblée formée au hasard : sera-t-elle comprise ? […] C’est qu’elle a été faite par un poète qui savait bien qu’elle ne serait pas lue devant le peuple. […] Dans ces pièces adressées à Marie de Médicis, on sent l’amour de la paix, — comme la saveur de cette paix que Henri IV avait fait goûter pendant dix ans à ses peuples, et dont Malherbe est si rempli qu’il veut continuer d’y croire et ne pas s’en désaccoutumer. […] Il est permis aux particuliers (et Malherbe le savait aussi bien que personne) de tenir jusqu’à un certain point à l’argent, par intérêt et considération de famille ; — aux gouvernants des peuples, jamais. […] J’ai pitié d’un homme qui fait de si grandes différences entre pas et point, qui traite l’affaire des gérondifs et des participes comme si c’était celle de deux peuples voisins l’un de l’autre et jaloux de leurs frontières.

908. (1879) À propos de « l’Assommoir »

A un moment où les misères du peuple émeuvent tous les cœurs généreux, où l’on cherche sérieusement un moyen d’y remédier, il serait criminel de calomnier ce peuple, d’exagérer ses vices ; mais il est honnête, utile et moral de le montrer tel qu’il est. […] Ce livre est écrit par un homme du peuple, qui connaît les ouvriers pour avoir vécu avec eux et comme eux : nul ne l’accusera de chercher à les noircir. […] Il a passé des journées à Sainte-Anne ; il a pénétré dans les vrais assommoirs, il a vu de près cette vie du peuple qu’il voulait représenter. […] Zola nous a présentés comme l’incarnation du peuple….. […] Les malheurs d’une famille du peuple atteinte de cette contagion, cela n’est pas poétique, cela manque d’idéal.

909. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Depuis l’origine, l’histoire des peuples n’est que celle des amalgames entre les races diverses. […] Les peuples les plus purement aryens sont les Persans, jusqu’à Darius, et ensuite les Germains. […] Tel fils du peuple peut avoir une nature de fils de roi. […] Ne peut-elle se passer de la communion de foi de tout un peuple ? […] Le peuple est femelle.

910. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

un vague souvenir des prétentions lointaines de notre patrie sur ce peuple ? […] Dès le début de sa vie connue, et du fait même de sa situation d’angle au contact de deux peuples, elle a participé de l’une et de l’autre. […] Il n’est point de peuple au monde, pas même ni surtout le nôtre, le peuple français, qui ne soit un mélange. […] Ce qui fait l’originalité d’un peuple, c’est la façon dont il travaille avec les éléments divers que la race ou la langue lui apportent. […] Ces souverains, amis des Lettres et des Arts, n’attendent pas du seul essor industriel et commercial la belle santé de leur peuple.

911. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Un peuple qui vient de se raidir dans l’austérité est par là même près de se ruer en débauches. […] En d’autres termes, un peuple n’adopte des façons de sentir et de penser étrangères que si elles répondent à des aspirations qui existent déjà chez lui.

912. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 15, observations concernant la maniere dont les pieces dramatiques étoient représentées sur le théatre des anciens. De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données » pp. 248-264

La conduite et les écrits des romains sont un assez bon témoignage qu’ils n’étoient pas un peuple d’insensez. […] L’histoire romaine est encore remplie de faits qui prouvent la passion démesurée du peuple pour les spectacles, et que les princes et les particuliers faisoient des frais immenses pour la contenter.

913. (1762) Réflexions sur l’ode

En tout genre de talents, le menu peuple est aujourd’hui très nombreux ; et malheureusement on ne peut pas dire des beaux-arts comme des États, que c’est le peuple qui en fait la force.

914. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

le fanatisme religieux, le charbon fumant d’une flamme d’amour, inextinguible encore, pour une religion enfoncée par le marteau de quinze siècles dans le cœur, les mœurs et les institutions politiques des peuples, et même de ceux-là qui s’étaient révoltés contre elle… Il ne faut pas s’y tromper ! […] La Ligue même, qui n’eut de bon que ce fanatisme religieux méconnu si profondément par Forneron, la Ligue, qui, pour nous, fut à l’origine, l’explosion de la conscience révoltée d’un peuple, n’a pas échappé à cette loi des Démocraties.

915. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

II L’histoire des premiers ducs de Normandie est, en effet et avant tout, un récit dramatique, mouvementé, pittoresque, comme toutes les histoires où les peuples neufs apparaissent, et, hordes encore, s’essaient à devenir société. […] Voit-il juste, enfin (car nous pourrions multiplier à l’infini de tels exemples), lorsque, à propos de Richard II, le bienfaiteur de ces moines qui firent tomber à genoux la barbarie devant eux, il parle de sa piété peu éclairée, comme si, dans ce sincère xe  siècle, coulé d’un seul jet dans le monde virginal des peuples nouveaux, il y avait deux sortes de piétés, dont l’une fût éclairée et dont l’autre ne le fût pas !

916. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

quand il chante son Âne, ou son Cochon, ou Les peuples sont pour nous des frères. […] Le meilleur produit pour un peuple, c’est encore la gloire, et toutes les chimies et les industries de la terre ne remplaceront pas cette marchandise-là demain !

917. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

Dans ces temps de crise, où les gouvernements changent, et où les peuples agités passent de la liberté républicaine à une autre constitution, l’homme d’état a besoin de l’homme d’esprit ; Horace, par le genre du sien, était un instrument utile à Octave ; ses chansons voluptueuses adoucissaient des esprits rendus féroces par les guerres de liberté ; ses satires détournaient sur les ridicules, des regards qui auparavant se portaient sur le gouvernement et sur l’État ; sa philosophie, tenant à un esprit moins ardent que sage, prenant le milieu de tout, évitant l’excès de tout, calmait l’impétuosité des caractères et plaçait la sagesse à côté du repos ; enfin ses éloges éternels d’Octave accoutumaient au respect et faisaient illusion sur les crimes ; la génération, qui ne les avait pas vus, était trompée ; celle qui s’en souvenait, doutait presque si elle les avait vus. […] Ovide qui, né chevalier romain, et relégué par un seul mot d’Octave à quatre cents lieues de Rome et parmi des peuples barbares, des bords du Pont-Euxin, fatigua, pendant six ans, de prières et d’éloges son tyran, qui ne daignait pas l’entendre !

918. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

On multiplia tout ce qui en impose au peuple, et trop d’empereurs se crurent dispensés d’avoir une grandeur réelle. […] Ce peuple, si longtemps libre dans ses forêts, et qui souvent même avait fait trembler Rome, apprivoisé enfin par un long esclavage, et poli par les vices même de ses vainqueurs, s’était livré aux arts, comme au seul charme et au dédommagement de la servitude.

919. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Que le fond du poëme soit de date ancienne, comment pourrait-on en douter, après la magnifique invocation de Lucrèce à Vénus, mère des fils d’Énée, mère du peuple de Mars, et en songeant à ce temple qui lui était consacré dans Rome au-dessus de l’amphithéâtre, à cette statue de Vénus armée, à cet attribut si étranger au dogme mythologique des Grecs, et qui, pour ainsi dire, la personnifiait romaine ? […] C’est elle qui a fait les noces du peuple de Romulus avec les Sabines, d’où elle a tiré les Rhamnes et les Quirites, et pour postérité de Romulus, le père et la génération des Césars.

920. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

une main parricide nous a ravi le plus intrépide défenseur du peuple. […] Que les débris tronqués de leurs statues forment un monument durable de la gloire du peuple et de leur avilissement. […] Il représentera l’image du peuple géant, du peuple français. […] Les peuples qui ont aimé la liberté en ont élevé de semblables. […] « Détournons, représentants du peuple, nos regards de cet abîme que vous avez comblé.

921. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

C’est donc, au théâtre, le même réalisme que dans les arts plastiques ; réalisme d’un peuple enfant ou, pour mieux dire, d’un peuple magot. […] Son grand souffle balaye et assainit l’atmosphère morale d’un peuple. […] C’est à cause de leurs filles que le peuple pardonnera aux aristocrates, et c’est aussi à cause de leur noblesse et de leur élégance même, car le peuple est enfant. […] Le peuple adore les romans qui se passent « dans le plus grand monde ». […] Le bon peuple veut que Jacques la sauve tout de même.

922. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Il fut témoin de cette rentrée lugubre du cardinal ; il vit cette vaste litière rouge, entourée de hallebardiers, qui dérobait au peuple la vue de ce dur vieillard, déjà pâle des approches de la mort. […] Nous n’avons fait de grands pas que le jour où, après avoir été longtemps seuls, ou sans autre guide qu’une tradition lointaine et altérée, esprits légers et agréables, fins satiriques, peuple chevaleresque et spirituel, nous avons pris la main des anciens et nous les avons suivis dans les hautes voies de l’esprit. […] Tite-Live n’a pas plus aimé sa Rome et son sénat que Bossuet, dans ce sublime chapitre où il a tracé la suite, et résumé l’esprit des huit premiers siècles de Rome, mettant en relief ce qu’il y a de solide et d’exemplaire dans cette gloire, devenue nationale pour tous les peuples du monde moderne. […] Ainsi, l’esprit de nouveauté religieuse, son orgueil, sa mobilité, ses contradictions, qui choquent si souvent son bon sens dans la suite de l’établissement du protestantisme, l’ont empêché de voir l’esprit d’indépendance des peuples, non seulement en face de l’étranger, mais, dans l’intérieur, en face du souverain. […] Dans toute la partie politique de la discussion avec Jurieu, où Bossuet invente à la fois les doctrines et la langue, il ne s’occupe que du principal, c’est-à-dire des rapports entre les sujets et le souverain, que le souverain soit peuple, prince ou aristocratie.

923. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

De ce côté, hélas, le peuple de Paris n’a rien à envier à celui de Rome, il ne l’a que trop prouvé. […] Il eut lui-même les illusions qu’il donna aux peuples. […] Il in vite tous les peuples de la terre à venir se battre avec lui, et si M.  […] Dans les cours, le peuple est resté debout, et couvert. […] Ils étaient sur une hauteur, dans une rue où ne se trouvait que peu de peuple déguenillé.

924. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Il est, comme Homère, au-dessus des peuples. […] Nous sommes un peuple médiocrement musical et qui ne chante pas volontiers. […] Cela seul est une grande preuve de la régularité de ce peuple et de son obéissance aux lois. […] Tout le peuple se jeta sur lui, qu’ils croyaient avoir fait un sacrilège en outrageant ainsi leur saint. […] Le peuple le regardait avec admiration, et les enfants criaient après lui : Au Saint !

925. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Elle pressentait, en Bonaparte, un grand conducteur de peuples. […] Et tout se tient dans la vie des peuples. […] Tout se tient dans la vie des peuples. […] Et pourtant nous sommes un peuple loquace. […] Ce peuple est un peuple enfant.

926. (1813) Réflexions sur le suicide

Vous pourriez, pour ainsi dire, gagner tout un peuple un à un, si chaque individu qui le compose avait le bonheur de s’entretenir un quart d’heure avec Vous, mais à côté de cette affabilité pleine de grâces, Votre mâle énergie Vous attache tous les caractères forts. […] Le Suicide est très rare chez les peuples du midi. L’air qu’ils respirent leur fait aimer la vie, l’empire de l’opinion publique est moins absolu dans un pays où l’on a moins besoin de société, les jouissances d’une si belle nature suffisent aux grands comme au peuple, il y a dans le printemps de l’Italie de quoi distribuer du bonheur à tous les êtres. L’Allemagne offre plusieurs exemples de Suicide, mais les causes en sont diverses et souvent bizarres, comme cela doit arriver chez un peuple où règne un enthousiasme métaphysique qui n’a point encore d’objet fixe ni de but utile. […] La source de l’enthousiasme devient tout à fait indépendante des objets qui nous entourent, et Dieu fait seul alors toute notre destinée dans le sanctuaire le plus intime de nous-mêmes. — Mais, reprit Asham, pourquoi donner à vos ennemis, à cette Reine cruelle, à ce peuple sans vertus, l’indigne spectacle… — il ne put achever.

927. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Je goûtais moins l’extrême petitesse d’un peuple, la taille gigantesque d’un autre, l’île volante et les chevaux raisonnables, que ce tableau si vif de l’ingratitude et de la légèreté lilliputiennes, du calme mépris des géants pour nos misères, des vaines recherches où s’égaraient les sages de Laputa, et de l’horrible dégradation où rampait chez les Houyhnhnms l’humanité dégénérée. […] Pour le peuple même, la religion n’est pas inutile ; il n’y croit pas plus que les hautes classes ; mais il s’en sert pour faire tenir les enfants tranquilles, et s’en amuse pendant les longues soirées d’hiver. […] Abolir le christianisme, c’est peut-être faire place au papisme, car le peuple livré à lui-même cherchera quelque nouveau culte, et tombera dans la superstition. […] Voilà ce que Swift voulut faire comprendre au peuple anglais pendant qu’Harley devenu lord Oxford (1711), Saint-Jean devenu lord Bolingbroke (1712), conduisaient, à travers mille obstacles, ces négociations difficiles qui aboutirent, en avril 1713, au traité d’Utrecht. […] Cet homme a mis une taxe de 17 sh. par livre, sur le peuple d’Irlande ; une taxe qui frappe non seulement les terres, mais l’intérêt de l’argent, les marchandises, les manufactures, le salaire des manœuvres, des domestiques… Boutiquiers, prenez garde à vous44.

928. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

C’est là une des privations intellectuelles, une des injustices du sort dont il faut également les plaindre, qu’ils soient grands ou petits, princes du peuple ou cardeurs de laine dans une capitale ! […] Ces pères de famille, plutôt que ces souverains, étaient peuple eux-mêmes, quoique premiers entre le peuple. […] Il convoque l’assemblée du peuple ; il s’y rend : son chien, fidèle comme les nôtres, suit son jeune maître. […] « Fils d’Atrée, dit-il, chef du peuple, je suis venu dans l’espoir d’apprendre auprès de vous quelques nouvelles de mon père. […] Lui, pendant ce temps-là, privé de nourriture, erre misérablement dans quelques villes lointaines, au milieu de peuples inconnus, si toutefois il respire et jouit encore de la clarté du soleil.

929. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Ce n’était pas seulement un grand ministre, c’était un grand cœur ; j’ai passé avec lui en 1821 les semaines glissantes où l’armée napolitaine de Pépé et l’armée autrichienne de Frimont allaient s’aborder à Introdocco et se disputer les États romains envahis des deux côtés, et où Rome attendait des hasards d’une bataille son sort et sa révolution ; il était aussi calme que s’il avait eu le secret du destin : « Experti invicem sumus ego et fortuna », nous disait-il. « Quant au pape, il a touché le fond de l’adversité à Savone et à Fontainebleau ; il ne craint pas de descendre plus bas, laissant à Dieu sa providence. » N’est-on pas trop heureux, dans ces agitations des peuples et dans ces oscillations du monde, d’avoir son devoir marqué par sa place, et ne pouvoir tomber qu’avec son maître et son ami ? […] C’est pourquoi le peuple disait en le voyant aux Novendiali, que c’était dommage qu’il n’y eût pas un Pape entre eux deux. […] « Après qu’on l’eut couvert des vêtements pontificaux, les cardinaux firent au nouveau pape l’adoration accoutumée, puis la chapelle fut ouverte et on admit les conclavistes à l’adoration, tandis que, de la loge, le plus ancien des cardinaux-diacres annonçait au peuple, aggloméré sur la petite place de l’île, l’exaltation du cardinal Chiaramonti au souverain pontificat, sous le nom de Pie VII. […] On ouvrit alors le conclave, et le peuple se vit admis au baisement des pieds. […] Il fut placé sur l’autel, selon la coutume, et il reçut l’adoration publique des cardinaux et du peuple innombrable qui était accouru.

930. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Il n’en sortit que pour accuser un docteur favori du peuple, Jacques Petit, qui vantait ce meurtre. […] Gerson prend la parole devant le peuple assemblé ; il s’indigne de l’assassinat, il brave les partisans du duc de Bourgogne. Le peuple et les Bourguignons s’ameutent contre lui ; il se dérobe à leur fureur sous les souterrains de Notre-Dame. Il y séjourne plusieurs mois caché, la haine du peuple comme l’épée de Damoclès suspendue sur sa tête. […] La fureur du peuple s’éteint comme sa faveur, Gerson rentre dans ses hautes fonctions ; le roi l’emploie dans sa diplomatie pour calmer la discorde au sujet des papes entre Rome et Avignon.

931. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Le peuple chez lequel l’ouvrier, un ouvrier-poète a des imaginations pareilles à celle-ci, ne croyez-vous pas, que ce peuple puisse être proposé comme professeur d’art aux autres peuples ? Et quand je disais que le japonisme était en train de révolutionner l’optique des peuples occidentaux, j’affirmais que le japonisme apportait une coloration nouvelle, un système décoratoire nouveau. enfin si l’on veut une fantaisie poétique dans la création de l’objet d’art, qui n’exista jamais dans les bibelots les plus parfaits du moyen âge et de la renaissance. […] Ce ne sont plus les gentilles petites filles du peuple d’autrefois : elles ont l’air d’enfants de la Salpêtrière. […] Les préparatifs connus, terminés, le condamné lisait une poésie, dans laquelle il disait avoir commencé à délivrer le peuple de son fléau, puis il tendit la main, prit le petit sabre, l’enveloppa de papier jusqu’à un pouce de l’extrémité de la lame, et seulement lorsqu’il se fut véritablement ouvert le ventre, dit à son maître d’escrime, qu’il avait choisi pour exécuteur : « Allez, maintenant ! 

932. (1739) Vie de Molière

Il eut un grand succès sur ce théâtre irrégulier ; on ne se révolta point contre le monstrueux assemblage de bouffonnerie et de religion, de plaisanterie et d’horreur, ni contre les prodiges extravagants qui font le sujet de cette pièce : une statue qui marche et qui parle, et les flammes de l’enfer qui engloutissent un débauché sur le théâtre d’Arlequin, ne soulevèrent point les esprits : soit qu’en effet il y ait dans cette pièce quelque intérêt, soit que le jeu des comédiens l’embellit ; soit plutôt que le peuple, à qui Le Festin de Pierre plaît beaucoup plus qu’aux honnêtes gens, aime cette espèce de merveilleux. […] Molière ayant suspendu son chef-d’œuvre du Misanthrope, le rendit quelque temps après au public, accompagné du Médecin malgré lui, farce très gaie et très bouffonne, et dont le peuple grossier avait besoin ; à peu près comme à l’opéra, après une musique noble et savante, on entend avec plaisir ces petits airs qui ont par eux-mêmes peu de mérite, mais que tout le monde retient aisément. […] Loin d’examiner sévèrement cette farce, les gens de bon goût reprochèrent à l’auteur d’avilir trop souvent son génie à des ouvrages frivoles qui ne méritaient pas d’examen ; mais Molière leur répondait qu’il était comédien aussi bien qu’auteur, qu’il fallait réjouir la cour et attirer le peuple, et qu’il était réduit à consulter l’intérêt de ses acteurs aussi bien que sa propre gloire. […] On pourrait répondre à ce grand critique que Molière n’a point allié Térence avec Tabarin dans ses vraies comédies, où il surpasse Térence : que s’il a déféré au goût du peuple, c’est dans ses farces, dont le seul titre annonce du bas comique ; et que ce bas comique était nécessaire pour soutenir sa troupe. […] Cette comédie, qui est mise par les connaisseurs dans le rang du Tartuffe et du Misanthrope, attaquait un ridicule qui ne semblait propre à réjouir ni le peuple, ni la cour, à qui ce ridicule paraissait être également étranger.

933. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Si vous entrez, à Florence, dans la chapelle monumentale de San Lorenzo, cette pyramide mortuaire des Pharaons de la Toscane, les Médicis ; si vous levez vos yeux sur ce peuple de pierre qui semble sortir des Catacombes pour veiller éternellement sur ces sarcophages ; si les deux figures du Jour et de la Nuit, l’une image vivante de la vie, l’autre image, vivante aussi, de la mort, calment comme par enchantement vos pensées terrestres, et vous font envier d’être de pierre comme elles pour respirer éternellement la majesté dédaigneuse de la vie et la mélancolie sereine de la mort ; et si vous demandez à ces statues : Qui vous a taillées ou plutôt animées d’un seul jet dans le bloc ? […] Michel-Ange, craignant les ressentiments du peuple contre les familiers de ceux qu’on appelait les tyrans de la patrie, s’évada de Florence et se réfugia d’abord à Bologne, puis à Venise. […] Il est assis comme l’éternité : d’une main, il tient les lois, symbole de la société ; de l’autre il tient sa barbe touffue, symbole de la force ; cette barbe descend en ondes si épaisses, si prodigues et si harmonieusement tressées sur sa poitrine, qu’on croit voir découler dans la multitude des tresses, des ondes, des poils qui les composent, la multitude innombrable des générations du peuple de Dieu. […] « Ce qu’il y aurait à dire de lui ne pourra jamais être dit, car son génie s’alluma à des sphères trop hautes pour les mortels ; il est plus aisé de flétrir ce vil peuple qui l’outragea que de s’élever jusqu’à l’éloge d’un tel poëte ! […] Le récit des honneurs qu’on y rendit à ses cendres atteste à quel degré le culte des arts de l’esprit et de la main fanatisait les princes et le peuple à cette époque de renaissance et de réaction contre la barbare ignorance du moyen âge.

934. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Elle verse des larmes brûlantes sur le peuple massacré, en 1839, dans les émeutes de Lyon. […] le peuple de Lyon, que l’on peint orageux et mauvais, est un peuple sublime ! un peuple croyant ! […] malgré leurs vertus sublimes, car il y en a de sublimes dans ce peuple. » Et à Paris, en 1849 : « Tous les genres d’ouvriers sont bien à plaindre aussi !

935. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

. — « Les peuples usés par des civilisations excessives, écrivait en 1866 Barbey d’Aurevilly, ont seuls de ces rages de spectacle auquel ils sacrifieraient tout, même le pain, je crois, que les Romains avec les jeux du cirque demandaient. » Le théâtre n’est plus que de l’histrionisme, et cet histrionisme infecte la société. […] Il entre beaucoup de choses dans la passion du théâtre : j’y découvre la passion de l’entr’acte et des potins de couloirs ; la passion des messieurs pour les jolies actrices ; la passion des spectatrices pour les acteurs élégants et séduisants ; la passion des dames « qui n’ont rien à se mettre » pour les modèles inédits exhibés sur la scène ; la curiosité cruelle de certains amateurs qui regardent vieillir nos gloires théâtrales ; le goût de montrer une robe nouvelle, un riche collier, des bagues somptueuses ou un habit bien coupé ; la satisfaction d’occuper une bonne place, tandis que le pauv’ peuple s’entasse au poulailler ; le désir de tuer le temps, entre le dîner et le souper, etc. […] C’est surtout un art pour peuples en enfance, tout au moins encore jeunes. […] Lorsqu’un peuple voit représenter les drames de Sophocle ou de Shakespeare, les tragédies de Racine, les comédies de Molière, de Beaumarchais ou de Becque, la nourriture qu’il reçoit toute mâchée est assez substantielle pour compenser le moindre effort d’absorption. […] Donc les jeux du cirque, même à défaut de pain bon marché, sembleraient suffisants au bonheur d’un peuple relativement spirituel.

936. (1772) Éloge de Racine pp. -

L’harmonie des vers grecs enchantait les oreilles avides et sensibles d’un peuple poëte ; ici, le mérite de la diction, si important à la lecture, si décisif pour la réputation, ne peut sur la scène ni excuser les fautes, ni remplir les vides, ni suppléer à l’intérêt devant une assemblée d’hommes où il y a peu de juges du style. […] Les moeurs, nouvelles pour nous, d’une nation avec qui nous avions eu long-temps aussi peu de commerce que si la nature l’eût placée à l’extrémité du globe ; la politique sanglante du sérail, la servile existence d’un peuple innombrable enfermé dans cette prison du despotisme ; les passions des sultanes qui s’expliquent le poignard à la main, et qui sont toujours près du crime et du meurtre, parce qu’elles sont toujours près du danger ; le caractère et les intérêts des visirs qui se hâtent d’être les instrumens d’une révolution, de peur d’en être les victimes ; l’inconstance ordinaire des orientaux, et cette servitude menaçante qui rampe aux pieds d’un despote, et s’élève tout à coup des marches du trône pour le frapper et le renverser : voilà le tableau absolument neuf qui s’offrait au pinceau de Racine, à ce même pinceau qui avait si supérieurement crayonné la cour de Néron ; qui dans Monime et dans Iphigénie traça depuis avec tant de vérité la modestie, la retenue, le respect filial que l’éducation inspirait aux filles grecques ; qui dans Athalie nous montra les effets de la théocratie sur ce peuple fanatique, toujours conduit par des prodiges, ou égaré par des superstitions. […] Il n’avait pu résister à l’impression que faisait sur lui l’injustice de ses détracteurs, et il condamna son génie au silence : il n’avait pu résister à la pitié que lui inspirait la misère des peuples, et quand il en eut tracé le tableau qui affligea Louis XIV, il ne résista pas non plus au chagrin de la disgrace. […] Ne les croyez pas ceux qui vantent sans cesse la nature brute ; ils portent envie à la nature perfectionnée : ceux qui regrettent les beautés du chaos ; vous avez sous vos yeux les beautés de la création : ceux qui préfèrent un mot sublime de Shakspeare aux vers de Phèdre et de Mérope  ; Shakspeare est le poëte du peuple, Phèdre et Mérope sont les délices des hommes instruits : ne les croyez pas ceux qui relèvent avec enthousiasme le mérite médiocre de faire verser quelques larmes dans un roman ; il est un peu plus beau d’en faire couler à la première scène d’ Iphigénie  : ceux qui justifient l’invraisemblable, l’outré, le gigantesque, sous prétexte qu’ils ont produit quelquefois un effet passager, et qu’ils peuvent étonner un moment.

937. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Cela suffisait pour des peuples en marche, qui avaient devant eux la forêt verte ou la steppe en fleurs au printemps. […] Que ce n’ait jamais été que l’élite des hommes chez les Romains qui ait eu cette finesse, cette délicatesse, et non tout le peuple comme à Athènes, peu importe ! […] Je n’admettrai pourtant jamais que Rome, la Rome même du peuple, que nous avons vue depuis si fine et si piquante à la raillerie, n’ait pas eu, dès qu’elle en eut le loisir et l’occasion, l’esprit aiguisé en même temps que le parler agréable et doux. […] Il agrandit le Parnasse, il l’étage, il le peuple à chaque station, à chaque sommet, à chaque angle de rocher ; il le fait pareil, trop pareil peut-être au Montserrat en Catalogne (ce mont plus dentelé qu’arrondi)74 ; il ne le détruit pas.

938. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

de Junie réfugiée aux Vestales, et placée sous la protection du peuple, comme si le peuple protégeait quelqu’un sous Néron ? […] Hippolyte amoureux ressemble encore moins à l’Hippolyte chasseur, favori de Diane, que Néron amoureux au Néron de Tacite ; Phèdre reine mère et régente pour son fils, à la mort supposée de son époux, compense amplement Junie protégée par le peuple et mise aux Vestales. […] Nourri des livres sacrés, partageant les croyances du peuple de Dieu, il se tient strictement au récit de l’Écriture, ne se croit pas obligé de mêler l’autorité d’Aristote à l’action, ni surtout de placer au cœur de son drame une intrigue amoureuse (et l’amour est de toutes les choses humaines celle qui, s’appuyant sur une base éternelle, varie le plus dans ses formes selon les temps, et par conséquent induit le plus en erreur le poëte).

939. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

En dehors de ces sermons qui sont des actes du sacerdoce, nombre de clercs avec ou sans mission, de laïcs même frottés de science et chauds de zèle, prêchèrent, endoctrinèrent, exhortèrent, gourmandèrent le peuple en langue vulgaire, par des écrits de toute dimension et de toute forme. […] Un manque essentiel de respect, l’instinct de défiance et de médisance contre les puissants, contre les gens en place, contre ceux surtout qui détiennent une part de la richesse publique ou qui ont mission d’administrer la justice, contre ceux aussi, baillis ou prévôts, dont le menu peuple souffre plus parce qu’ils sont plus près de lui, voilà un autre trait de l’humeur bourgeoise ; et par là encore la seconde partie du Roman de la Rose est d’inspiration bourgeoise. […] Jean de Meung est un des rares écrivains de notre littérature qui ne s’enferment pas dans la vie bourgeoise et l’idéal bourgeois ; il est peuple, il aime le peuple, sa vie dure, insouciante, toute à l’effort et au bien-être physiques : et c’est sans doute en grande partie par là que ce contemplateur de l’universel écoulement des apparences s’est préservé du pessimisme, où tant d’autres avant et après lui ont sombré.

940. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

La moralité d’un peuple comporte non seulement les relations d’un sexe avec l’autre, mais aussi les façons d’agir des hommes qui le composent soit avec leurs concitoyens, soit avec les étrangers, soit avec eux-mêmes. […] Les vices du grand seigneur ne sont pas d’ordinaire ceux du peuple. […] Elle sera passionnée et passionnante ; elle s’adressera, non plus aux raffinés, mais à la foule ; elle deviendra militante, capable ainsi de soulever des enthousiasmes et des colères ; elle pourra exercer une action sur l’évolution d’un peuple, sur la marche d’une société. […] Tel discours politique a renouvelé ces miracles de l’éloquence ; telle proclamation affichée, en un jour de crise et de danger public, a mis en fermentation tout un peuple.

941. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Pindare avait de plus pour lui les cieux éclatants de l’Europe orientale et le voisinage de l’Asie, les tremblements de l’Etna, ses flammes réfléchies dans la nuit sur la mer de Sicile, les peuples barbares inondant la Grèce héroïque et repoussés par elle. […] Par là, si nous pressons les termes du parallèle, se découvrirait encore plus d’une ressemblance entre la politique du poëte thébain et celle que Bossuet a parfois tirée des Livres saints, non pour imposer aux peuples le pouvoir absolu, mais pour imposer au pouvoir une absolue justice. […] Pindare ne divinise pas ces maîtres, dont il aime le stable pouvoir ; il n’adore pas leurs passions, mais la paix de leur règne et cette magnificence qui fait de l’éclat du trône la splendeur du peuple. […] Si on oubliait qu’il s’agit d’un des petits rois, entre lesquels se partageait la Sicile, du roi d’Agrigente ou du roi d’Etna, on croirait parfois entendre l’éloge d’un des héritiers de ces maisons souveraines qui, du moyen âge à nos jours, ont régné sur quelque grand peuple, à travers les révolutions et les guerres.

942. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — II » pp. 76-92

Enfin, il manquait surtout un Virgile, c’est-à-dire ce génie à la fois imitateur, inventif et composite, qui, venu à l’heure de la maturité d’une langue et de la domination universelle d’un peuple, fond et combine toutes choses, souvenirs, traditions et espérances, avec un art intérieur accompli, dans un sentiment présent et élevé. […] D’où vient cette servile et désagréable imitation des anciens que chacun remarque dans ses ouvrages, jusques à vouloir introduire dans tout ce qu’il faisait en notre langue tous ces noms des déités grecques, qui passent au peuple, pour qui est faite la poésie, pour autant de galimatias, de barbarismes et de paroles de grimoire, avec d’autant plus de blâme pour lui, qu’en plusieurs endroits il déclame contre ceux qui font des vers en langue étrangère, comme si les siens, en ce particulier, n’étaient pas étrangers et inintelligibles. C’est là un défaut de jugement insupportable de n’avoir pas songé au temps où il écrivait, ou une présomption très condamnable de s’être imaginé que, pour entendre ce qu’il faisait, le peuple se ferait instruire des mystères de la religion païenne.

943. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Je dirai la même chose du travail, très riche en matériaux, qui traite de la légende d’Alexandre le Grand, de la transformation de cette grande figure historique en fable chez la plupart des peuples. C’est une loi en effet : chez les nations qui n’avaient pas l’imprimerie, sous les gouvernements qui n’avaient pas leur Moniteur, il arrivait très vite que les personnages glorieux qui avaient frappé l’imagination des peuples et remué le monde, livrés au courant de la tradition et au hasard des récits sans fin, se dénaturaient et devenaient des types purement poétiques. […] Favre s’est attaché à suivre cette métamorphose de l’idée d’Alexandre chez les différents peuples bien avant ce qu’on appelle le Moyen Âge et dès les derniers siècles de l’Antiquité.

944. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

n’a-t-il donc pas lu Aristote, parlant de la sagesse de cette Constitution qu’il compare à celle de Lacédémone et au gouvernement de Crète, et qui les trouve tous trois supérieurs à tous les gouvernements connus : « Les Carthaginois en particulier, dit-il, possèdent des institutions excellentes, et ce qui prouve bien la sagesse de leur Constitution, c’est que, malgré la part de pouvoir qu’elle accorde au peuple, on n’a jamais vu à Carthage, chose remarquable ! […] L’idée d’une immolation d’enfant, pour apaiser Moloch, circule parmi le peuple. […] Puis chaque peuple est enseveli selon ses rites : tout ce passage atteste un grand talent de peinture érudite ; une harmonie lugubre distingue chaque paragraphe qui, lu à haute voix, est comme un couplet funèbre tristement cadencé ; celui-ci, par exemple : « Les Grecs, avec la pointe de leurs glaives, creusèrent des fosses.

945. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Moréas avait gardé pour la littérature anglaise l’éblouissement de sa jeunesse et son admiration rejaillissait sur l’ensemble du peuple insulaire. […] Il appartenait à ce peuple honni et persécuté depuis des siècles, mais orgueilleux, irréductible et qui n’a jamais voulu reconnaître la loi du vainqueur. […] Alcibiade, chez les Grecs, et Pétrone, chez les Romains, avaient essayé de remonter un courant de vulgarité, mais pour que cet état d’esprit, que l’on a nommé le dandysme, prît toute sa valeur et sa force cohésive, il y fallait des conditions spéciales et la mentalité singulière d’un peuple qui se fait gloire d’une vertu que Stendhal juge d’un ridicule stupide et dont Remy de Gourmont se moquait avec tant d’insistance.

946. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Ce dernier, Bernardin de Saint-Pierre, dont le talent chaste, idéal, volontiers rêveur et mélancolique, semble le moins d’accord avec l’esprit de Rabelais, l’a pourtant saisi à merveille par le côté sérieux que nous indiquons, et il a dit de lui dans une page mémorable et qui n’est pas toute chimérique, bien que trop simple de couleur et trop embellie : C’en était fait du bonheur des peuples, et même de la religion, lorsque deux hommes de lettres, Rabelais et Michel Cervantes, s’élevèrent, l’un en France, et l’autre en Espagne, et ébranlèrent à la fois le pouvoir monacal et celui de la chevalerie. […] Semblables aux enfants, les peuples rirent et se rassurèrent. […] Eugène Noël : Il arracha, dit ce biographe, les hommes de son temps aux ténèbres, aux jeûnes formidables du vieux monde… Son livre, tout paternel, répondit à ce cri de soif universelle du xvie  siècle : À boire au peuple !

947. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Il en résulte que nous avons, moins que tout autre peuple, trouvé dans nos ancêtres-auteurs de quoi réclamer hautement à certains jours nos libertés littéraires et nos franchises, et qu’il nous a été plus difficile de rester classiques encore en nous affranchissant. […] Homère, comme toujours et partout y serait le premier, le plus semblable à un dieu ; mais derrière lui, et tel que le cortège des trois rois mages d’Orient, se verraient ces trois poètes magnifiques, ces trois Homères longtemps ignorés de nous, et qui ont fait, eux aussi, à l’usage des vieux peuples d’Asie, des épopées immenses et vénérées, les poètes Valmiki et Vyasa des Indous, et le Firdousi des Persans : il est bon, dans le domaine du goût, de savoir du moins que de tels hommes existent et de ne pas scinder le genre humain. […] accueilleraient les plus ingénieux modernes, les La Rochefoucauld et les La Bruyère, lesquels se diraient en les écoutant : « Ils savaient tout ce que nous savons, et, en rajeunissant l’expérience, nous n’avons rien trouvé. » Sur la colline la plus en vue et de la pente la plus accessible, Virgile entouré de Ménandre, de Tibulle, de Térence, de Fénelon, se livrerait avec eux à des entretiens d’un grand charme et d’un enchantement sacré : son doux visage serait éclairé du rayon et coloré de pudeur, comme ce jour où, entrant au théâtre de Rome dans le moment qu’on venait d’y réciter ses vers, il vit le peuple se lever tout entier devant lui par un mouvement unanime, et lui rendre les mêmes hommages qu’à Auguste lui-même.

948. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

La vieille lutte des barons et des seigneurs contre les rois se compliquait et se redoublait désormais de celle des cités et du peuple contre les croyances brillantes de la Cour et contre la hiérarchie catholique. […] Sortie d’une cour littéraire et artificielle, elle n’avait rien pour comprendre ces grands et sourds mouvements des peuples, et pour les retarder ou les détourner à son profit en s’y accommodant : Elle revenait, a dit M.  […] Marie Stuart mit bientôt le comble à sa passion désordonnée et à son désir en épousant ce même Bothwell et en révoltant par là contre elle le peuple entier, dont la moralité, tout fanatisé qu’il était, ne se dépravait pas du moins et était plus droite que celle des seigneurs.

949. (1903) Zola pp. 3-31

C’est leur vocation, leur prédestination et leur office propre d’écarter la vérité après que, pendant une certaine période de temps, des écrivains, en s’y attachant trop, ont appauvri l’imagination d’un peuple et comme desséché son esprit. […] Le Français est le seul peuple du monde qui ait ce singulier goût ; mais il est chez lui extrêmement fort. On ne peut aller trop loin, en France, dans l’expression du mépris à l’égard du peuple français.

950. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Comme M. de La Fayette pour nous n’est pas un de ces hommes qu’on discute ni qu’on justifie, nous citerons simplement à M. de Carné, pour réfuter son dédain, ces deux versets d’un chant tout récent du poëte polonais Miçkiewicz : « Et les peuples se corrompaient de plus en plus, et il ne se trouva plus parmi eux qu’un seul homme citoyen et soldat. — Et cet homme conseillait de cesser de combattre pour l’intérêt, et de défendre la liberté du prochain ; et il est allé lui-même combattre pour elle dans la terre de la liberté, en Amérique. […] Son Introduction contient, sur le principe de la souveraineté du peuple, une discussion simple et lumineuse qui répond à bien des objections déclamatoires.

951. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Taine, sorti de l’école historique, prétend réduire toutes les facultés d’un artiste à une seule faculté maîtresse, toutes les facultés maîtresses de tous les artistes d’un même peuple à une grande faculté générale qui sera, par exemple, le génie oratoire pour Rome, enfin les divers génies des peuples issus d’une souche commune à l’unité de la race, et ainsi, d’abstraction en abstraction, il raréfie la critique littéraire.

952. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

Elle eut lieu sous le règne d’Auguste, vers l’an 750 de Rome, probablement quelques années avant l’an 1 de l’ère que tous les peuples civilisés font dater du jour où il naquit 104. […] Il sortit des rangs du peuple 108.

953. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Des vers qui étaient entendus avec frémissement comme les blasphèmes d’un insensé contre les prêtres, Les prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense, Notre crédulité fait toute leur science. […] Mais renfermer l’espace accordé à une pièce de théâtre en du temps, en un lieu, c’est imposer une sujétion qui se conçoit mieux dans la littérature d’une nation alignée et symétrisée par des habitudes de respect que dans celle d’un peuple moins ordonné et à qui il prendrait de fréquents accès d’anarchie.

954. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

Il est clair que sultan léopard devait étrangler le lionceau, non-seulement comme léopard d’Apologue, c’est-à-dire qui raisonne ; mais il le devait même comme sultan, vu que sa majesté léoparde se devait tout entière au bonheur de ses peuples. […] En effet, si les Germains avaient eu l’avidité et la violence de leurs tyrans, il est bien probable que les peuples de Germanie eussent été inhumains comme leurs oppresseurs.

955. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

Ces Mémoires qui révèlent la Russie à elle-même, et qui sont , dit l’introduction avec l’enflure des joues d’un sonneur de trompe, un de ces ouvrages hardis et venus à propos qui agissent fortement sur les idées d’un peuple et prennent date dans son histoire , méritent fort peu ce grand fracas, et s’ils prennent date quelque part, ce ne sera pas dans l’histoire des mœurs et des institutions de la Russie, mais dans la belle histoire aux pages vastes et vides de la littérature Russe ; car ces Mémoires étincellent d’un talent très vif, et le talent littéraire, comme on le sait, ne neige point là-bas14… Seulement, hors cela, — le talent littéraire que nous allons tout à l’heure mesurer, — il n’y a réellement pas dans le livre d’Yvan Tourgueneff de quoi justifier les illusions de son enthousiaste traducteur. […] Charrière a beaucoup de talent — se méprend si profondément sur le genre de talent d’un autre, lequel ne pense pas plus à dévoiler et à flétrir les institutions d’un peuple, dont il croque en passant les vices, que Téniers, en peignant ses ivrognes, ne songeait à peindre l’état social de la Flandre et la situation politique des Provinces-Unies.

956. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

Non, « elle est sur les champs de bataille, couverts de frères blessés qui se sont égorgés entre eux… Elle est dans des bouges infects où l’homme meurt de douleur, de honte et de misère… elle est sur ces calvaires impies où l’homme condamne à mort son frère… Elle est dans les ateliers où l’on travaille… dans les lupanars où la fille du peuple vend sa chair (bien portante) jusqu’à ce qu’on la jette pourrie à l’hôpital. Elle est en moi et dans l’homme du peuple, qui est l’Homme-Dieu du Golgotha… » Telle est l’énumération par laquelle M. 

957. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

Ce fut là que le vœu du peuple de Noie l’élut évêque. […] « Ô trop heureux les pays et les peuples que tu aborde ras en nous quittant, et que le Christ visitera de tes pas et de ta parole !

958. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Tissot par exemple, les idées les plus fausses de ce peuple, en des livres mal écrits — aussi mal écrits qu’ils étaient mal informés. […] C’est parce qu’il est un des meilleurs agents de la gouvernable ignorance, un des moyens les plus sûrs de retenir un peuple dans l’abrutissement éternel. […] oui, nous sommes un grand peuple. […] C’est dans le peuple, encore vierge, toujours persécuté, que se conservent et s’élaborent les antiques vigueurs de notre race. […] C’est frénétique et morne ; tout un peuple d’ombres soulevé hors du néant.

959. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

La rêverie solitaire, ou le monologue inspiré, le discours au sénat et au peuple, lui convenaient seuls. […] Mais la souveraineté du peuple lui paraissait une forme de la justice. […] Peut-on mieux dépeindre l’état de demi barbarie et de demi-civilisation où sont les peuples à notre époque, que par ces images ? […] Il voudrait une littérature qui ne fût plus « une littérature de lettrés », mais parlant au peuple : « Travailler au peuple, c’est la grande urgence » ; « transformer la foule en peuple » par le livre, c’est la fonction du poète. […] Un artisan des villes, une femme du peuple développe sans cesse, et aime entendre les gens qui savent développer. « Bien parler » dans le langage populaire ne signifie pas autre chose qu’avoir le génie du développement.

960. (1900) Molière pp. -283

Nous les lisons dans l’histoire, quand ce ne serait que chez le peuple romain. […] Aussi bien tous ceux qui mènent le peuple m’impatientent. […] Arrêtez-le, madame, arrêtez-le au nom de la Grèce ; de rage, il ferait faire quelque sottise au peuple athénien. […] Il est utile pour le bonheur même des peuples qu’ils nous placent aussi loin et aussi haut que leur imagination peut porter. […] ——— Le peuple français est le peuple de l’Europe qui a toujours cherché à mettre le plus de démocratie dans ses lois et qui se soucie encore le moins d’en introduire dans ses mœurs.

961. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Aussi est-ce à la littérature de chaque peuple qu’on s’habituera de plus en plus à demander le secret du rôle qu’il a joué dans le monde. […] La décadence intellectuelle, la décadence de l’esprit, de l’imagination et du goût ne sont irréparables chez un peuple que si elles sont le résultat d’une usure prolongée et progressive des facultés géniales de ce peuple, née elle-même de la chute irréparable des mœurs. […] Ce peuple était-il si rongé d’envie ? […] Quoi de plus sympathique que le peuple tel que madame Sand le personnifie en quelques-uns de ses héros ! […] « Le peuple, dit Tite-Live, élève ses favoris en des lieux d’où il les précipite. » Populus defensores suos semper in præcipitem locum favore tollit.

962. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Dédicace des « Travailleurs de la mer » (1866) »

Je dédie ce livre au rocher d’hospitalité et de liberté, à ce coin de vieille terre normande où vit le noble petit peuple de la mer, à l’île de Guernesey, sévère et douce, mon asile actuel, mon tombeau probable.

963. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article »

Le long séjour qu’il fit dans le Levant, le mit sans doute à portée de s’instruire par lui-même de tout ce qui concerne les cérémonies & pratiques religieuses des Peuples qui l’habitent.

964. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Auriac, Jules-Berlioz d’ (1820-1913) »

Auguste Lacaussade Les Poèmes d’autrefois, sorte d’épopée dont le peuple français est le sujet, pourraient s’appeler « La Légende de la France ».

965. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

En France, elle descendait de la classe supérieure vers le peuple. […] Les Anglais ont considéré l’art de la parole, comme tous les talents en général, sous le point de vue de l’utilité ; et c’est ce qui doit arriver à tous les peuples, après un certain temps de repos fondé sur la liberté.

966. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Fontenelle, et le père Baltus. » pp. 2-16

Du Marsais prouve qu’attribuer les oracles au malins esprits, n’est pas une vérité fondée sur la tradition ; que les prêtres, pour tromper le peuple, se servoient de statues creuses ; que ce n’est point affoiblir, mais confirmer la gloire de Jésus-Christ, que de réduire les oracles à des causes naturelles ; que les permissions particulières accordées au démons, suivant le témoignage de l’écriture, ne donnent pas droit d’en supposer d’autres ; que ce prodige n’étoit pas nécessaire à l’établissement du christianisme ; qu’admettre de faux miracles, ce seroit, s’il étoit possible, rendre suspects les véritables. […] La conversion des peuples au christianisme, la fourberie soupçonnée dans plusieurs oracles & confirmée dans quantité d’autres, les édits des empereurs chrétiens.

967. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Il n’y a pas que les peuples qui haïssent la supériorité au nom de l’insolente égalité humaine, et qui adorent la médiocrité parce qu’ils se reconnaissent en elle… Les chefs de gouvernement sont parfois peuple par ce côté-là !

968. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

Cet homme, mort sans la gloire et d’autant plus qu’il était fait pour elle, est Édelestand du Méril, l’auteur d’une Histoire de la comédie chez tous les peuples, livre énorme d’érudition et de sagacité littéraire, et que malheureusement la mort de l’auteur interrompit. […] Des Deux Masques, il n’en avait pris qu’un, mais son érudition l’avait dilaté outre mesure, en recherchant ce masque-là et en le signalant partout, chez tous les peuples, — qui ne l’ont pas aussi glorieusement porté que les nations chez lesquelles Paul de Saint-Victor a concentré l’art théâtral.

969. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

Les prêtres, auxquels on peut appliquer le mot superbe de saint Bernard : « Ils n’ont soif que du sang des âmes », sont plus près du caractère qu’il faut pour gouverner ces masses d’âmes qui font les peuples que ceux-là qui ont toutes les autres soifs de la vie. […] Dans toute l’histoire, dit Robertson, Ximénès est le seul premier ministre que ses contemporains aient honoré comme un saint et à qui le peuple, placé sous son administration, ait attribué le don des miracles ; et Hefele a eu la noble jalousie de cette justice.

970. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

III Elle est morte, en effet, — le cœur peut en saigner, — mais elle est morte à jamais, pour qui a le sentiment des réalités de l’Histoire… Aux yeux de ceux qui savent ce qui constitue la personnalité et l’identité d’un peuple, il faut, pour qu’il se sente toujours vivant, qu’il ait pu rester, sinon tout entier, au moins en partie, dans le principe de sa vie et de sa durée. […] Avant Hugues Capet, dont il nous fait mesurer la grandeur, avant Hugues Capet, qui a établi dans la loi politique du royaume le droit de primogéniture et d’hérédité, il n’y avait sous les Mérovingiens, malgré Clovis, et sous les Carlovingiens, malgré Charlemagne, que le partage, que le morcellement de la couronne, — en d’autres termes, que le Communisme, qui ne vaut pas mieux pour les Royautés que pour les peuples !

971. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Lacombe a signalé les changements profonds introduits par le Christianisme dans la vie générale des peuples et dans la condition humaine. […] On aura remplacé des réunions anarchiques où le peuple s’occupe d’idées qu’il n’entend pas, par des réunions d’ordre et de liberté où il s’occupera de ses intérêts, qu’il entend très bien.

972. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Armand Hayem »

Mais pourrait n’exprime qu’un possible, et un possible pourrait très bien n’être pas… Lisez d’ailleurs l’histoire, et cherchez-y quel peuple se réveille ! […] … Le réveil des peuples, c’est aussi fabuleux que le réveil d’Épiménide, dont on ne parlerait jamais plus si les rhéteurs, dans leurs discours et dans leur néant, n’avaient eu besoin de cette figure de rhétorique.

973. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

Il ne s’agit ici ni des traditions qui peuvent plus ou moins éclairer le berceau des peuples, ni des ressemblances de récit qui attestent les analogies intellectuelles du genre humain. […] Intéressants pour ces derniers, mais d’un intérêt qui n’a pas le poignant de la nouveauté, ce sont des créations de deuxième et de troisième main, ressemblant à tous ces contes dans le surnaturel et le merveilleux dont le monde féerique est la base, ce monde qui n’existe que pour les imaginations à leur aurore, que ce soient des enfants de peuples ou des marmots d’enfants.

974. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » p. 502

On peut y puiser des connoissances curieuses sur les mœurs, les usages, les cérémonies de plusieurs Peuples, sur lesquels on avoit peu de notions avant lui.

975. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — [Introduction] » p. 251

[Introduction] Avoir démontré, comme nous l’avons fait dans le livre précèdent, que la sagesse poétique fut la sagesse vulgaire des peuples grecs, d’abord poètes théologiens, et ensuite héroïques, c’est avoir prouvé d’une manière implicite la même vérité relativement à la sagesse d’Homère.

976. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pigeon, Amédée (1851-1905) »

. — Un ami du peuple (1896).

977. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 199

Il seroit à souhaiter que les Historiens des différens Peuples de l’Europe eussent été à portée, comme lui, de recueillir leurs matériaux sur les lieux.

978. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Ces peintures, dont on voit les plus vieux vestiges à Sainte-Sophie de Constantinople, sont barbares comme le temps ; c’était la littérature des yeux d’un peuple usé et retombé dans l’enfance d’esprit. […] Ces architectes convoquaient le peuple sous des forêts ou sous des feuillages de pierre ; leurs masses s’élevaient de terre vers le ciel comme des montagnes de marbre pour y faire descendre un Dieu. […] La fille aînée était une de ces figures qu’on ne voit pas deux fois dans le cours d’une vie et qu’on ne peut pas voir ailleurs que dans les chalets d’un peuple pastoral ; les traits étaient d’une pureté grecque, les yeux d’une limpidité de fontaine sous la roche, le teint d’une blancheur de marbre transpercé par un rayon du matin, les formes d’une élévation, d’une perfection, d’une élégance, d’une souplesse, et cependant d’une dignité naturelle que les statues attiques, trop peu chastes d’expression, n’ont jamais, mais que les statues virginales des sculpteurs allemands du moyen âge ont seuls rêvée et reproduite dans leurs niches de cathédrales. […] Ce sujet, plus déclamatoire que vrai et pathétique, était à la mode de 1820 ; ce poème ou ce roman vivait encore ; il est mort aujourd’hui, comme meurent, après un certain temps, dans la littérature des peuples, toutes les choses qui sont calquées sur les engouements de la société factice au lieu d’être calquées sur l’éternelle et simple nature. […] Je pense les reproduire avec ce caractère de simplicité et de noblesse naturelle de ce peuple, caractère transmis par ses aïeux.

979. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Ainsi son objet ne pouvait être de ramener les peuples nombreux, ni les grands États, à leur première simplicité, mais seulement d’arrêter, s’il était possible, le progrès de ceux dont la petitesse et la situation les ont préservés d’une marche aussi rapide vers la perfection de la société, et vers la détérioration de l’espèce. […] La société selon la nature, c’est celle que peut rêver un homme de peuple, ennemi du luxe et des aises dont il se passe, heureux dans sa vie simple, mais humilié par l’opinion qui en fait une vie inférieure : un homme du peuple qui a pâti, a vu pâtir autour de lui, jalousement égalitaire pour ces deux causes, et réduisant tout à l’antithèse de la richesse et de la pauvreté. […] En revanche, les dépôts que cent cinquante ans de la vie genevoise auront laissés dans une suite de générations, se retrouveront dans Rousseau ; toute cette lignée de bourgeois de Genève qui se termine à lui, le rendra apte à concevoir la liberté politique, l’activité municipale, un peuple de citoyens égaux exerçant réellement la souveraineté et s’administrant par des magistrats élus. […] La réfutation du Contrat social est dans les Avertissements de Bossuet, dans les écrits politiques de Fénelon : c’est que le pasteur Jurieu avait développé la théorie de la souveraineté du peuple, pour légitimer les révoltes des protestants du xvie siècle. […] Et en ce sens, la doctrine de la souveraineté du peuple est une vérité incontestable, comme condamnant et supprimant l’exploitation de tous par quelques-uns ou par un seul.

980. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Louis XI avait donné un grand avancement à ce dessein, et, s’il se fût trouvé de suite deux ou trois princes tels que lui (j’entends en conduite pour les affaires de dehors, non pas certes pour l’administration du peuple), ils l’auraient heureusement achevé. […] C’est ainsi qu’il fera même pour Charles IX ; c’est ainsi qu’il insiste sur les débuts de Charles VI, surnommé d’abord par ses peuples le Bien-Aimé : « Jamais couronnement ne plut tant aux peuples que celui-là, et jamais règne suivant ne fut plus malheureux. » — Il vécut cinquante-quatre ans et en régna quarante-deux, dit Mézeray en résumant cette époque lamentable avec laquelle se termine son premier volume.

981. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Elle n’était pas, sur le chapitre de la comédie, de l’avis de Bossuet, de Bourdaloue et des autres grands oracles religieux d’alors ; elle devançait l’opinion de l’avenir et celle des moralistes plus indulgents : À l’égard des prêtres qui défendent la comédie, écrivait-elle assez irrévérencieusement, je n’en parlerai pas davantage : je dirai seulement que, s’ils y voyaient un peu plus loin que leur nez, ils comprendraient que l’argent que le peuple dépense pour aller à la Comédie n’est pas mal employé : d’abord, les comédiens sont de pauvres diables qui gagnent ainsi leur vie ; ensuite la comédie inspire la joie, la joie produit la santé, la santé donne la force, la force produit de bons travaux ; la comédie est donc à encourager plutôt qu’à défendre. […] Pendant l’exécution le peuple disait : « Quand on fait quelque chose personnellement contre le Régent, il pardonne tout, mais quand on fait quelque chose contre nous, il n’entend point raillerie et nous rend justice. » Le Régent racontait ce mot à sa mère avec sensibilité et émotion, et elle en était heureuse. […] Je ne crois pas qu’il y ait dans Paris, tant parmi les ecclésiastiques que parmi les gens du monde, cent personnes qui aient la véritable foi chrétienne, et même qui croient en notre Sauveur ; cela me fait frémir. » Le peuple de Paris sentait dans Madame une princesse d’honneur, de probité, incapable d’un mauvais conseil et d’une influence intéressée ; aussi elle était en grande faveur auprès des Parisiens, et plus même qu’elle ne le méritait, disait-elle, se mêlant aussi peu des affaires.

982. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Elle se moque d’une de ces critiques qui porte à la fois sur la conduite d’Hélénus, d’Hector et de Diomède, qu’Homère donne pour sages et qui, au moment même, se seraient emportés comme des imprudents : « Voilà un beau coup de filet pour M. de La Motte, dit-elle assez gaiement, d’avoir pris en faute trois héros d’Homère tout à la fois. » Quand elle en vient au travestissement en vers qu’il a donné de l’Iliade, elle en fait ressortir tout le chétif et l’indignité ; elle montre très bien, par exemple, que les obsèques d’Hector, exposé sur un lit dans la cour du palais, avec l’entourage lugubre des chanteurs et les gémissements de tout un peuple de femmes qui y répondent, sont devenues chez M. de La Motte quelque chose de sec et de convenu : « On croit voir, dit-elle, un enterrement à sa paroisse. » Mais ces traits d’esprit, que Mme Dacier oppose à ceux de l’adversaire, se mêlent trop d’images, de comparaisons et de citations qui juraient avec le goût moderne. […] À cette date de 1715, il célébrait déjà dans les Français une nation philosophe, une nation chez qui l’illusion pouvait prendre, mais durait moins que chez tout autre peuple : « La philosophie fait, pour ainsi dire, l’esprit général répandu dans l’air, auquel tout le monde participe sans même s’en apercevoir. » S’il avait écrit cinquante ans plus tard, l’abbé Terrasson n’eût pas dit autrement. […] La jeunesse du temps fut pour lui presque à l’unanimité : Les jeunes gens, s’écriait Mme Dacier dès les premières pages de son livre sur la Corruption du goût, sont ce qu’il y a de plus sacré dans les États, ils en sont la base et le fondement ; ce sont eux qui doivent nous succéder et composer après nous un nouveau peuple.

983. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Mais je me fie que les simples et débonnaires, et les Éthériens et sublimes en jugeront équitablement… Il a l’air ici de vouloir s’appuyer sur le double assentiment des sages et des simples, et de ne faire bon marché que de l’entre-deux ; mais cela est dit pour la forme, et il se soucie très peu des simples et du peuple. Je sais qu’il a soin de définir le peuple ou vulgaire comme étant formé, à ses yeux, d’esprits de toutes classes, de même qu’il appelle du nom de pédants beaucoup de ceux qui ont des robes et beaucoup aussi qui n’en ont pas ; malgré ces distinctions judicieuses, on peut dire toutefois qu’il est contre le vulgaire avec excès42, et qu’il se met par là en contradiction avec son propre but, qui est avant tout de vulgariser la sagesse. […] Si j’osais traduire toute mon idée en des matières qui ne sont pas miennes, je dirais que le médecin Chanet défend le sens général et le sens commun en philosophie, l’opinion des demi-savants et du peuple, par des raisons qui, légèrement rajeunies un siècle plus tard, seront assez celles de l’école écossaise.

984. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Ces beaux esprits font entre eux une aristocratie invisible qui va finir dans le peuple par des gradations imperceptibles. […] Le peuple opprimé se faisait à ce régime comme on se fait à un mauvais climat. […] Bonstetten, sachant le cas que le peuple faisait des Anglais à cause de leur grande dépense en voyage, imagina de faire lire dans les églises du bailliage de Locarno une exhortation à cultiver les pommes de terre, en ajoutant que la pomme de terre était chaque jour servie à la table du roi des Anglais.

985. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Louis XIII règne encore, ou plutôt il traîne et achève de mourir : on craint une sédition à Paris (27 avril 1643), « parce que le menu peuple murmurait sur la maladie du roi contre M. le cardinal de Richelieu, sur ce que l’on disait qu’il avait empoisonné le roi, et parlait-on de tirer son corps de Sorbonne et le traîner par les rues, et l’on disait que l’on avait ôté toute magnificence, même retiré son corps. » On retira en effet son corps, et on le porta pour plus de sûreté dans la Bastille, — Quand on reçoit au Parlement son neveu, le marquis de Brezé, pour le duché de Fronsac (30 avril), on ne fait aucune action oratoire, selon l’usage, aucune plaidoirie, « étant trop jeune pour parler de lui, et la mémoire du cardinal étant trop odieuse pour en parler ». […] Ce ne sont pas seulement les pages et laquais, ce n’est pas seulement le menu peuple, qui est ingrat envers le cardinal, c’est le roi qui, en mourant dévotement, lui paye cette dette de reconnaissance pour toute la grandeur qu’il avait donnée à son règne ; et en effet qu’aurait-il été, ce roi, sans le cardinal qui, pendant vingt ans, ne lui avait jamais fait faire les choses que par contrainte : « De sorte que pendant sa maladie il disait que les peines et contraintes que le cardinal avait faites sur son esprit l’avaient réduit en l’état où il était. » Louis XIII mort, la rage du bon peuple est au comble ; neveux et nièces du cardinal, les marquis de Brezé et de Pont-de-Courlay et la duchesse d’Aiguillon, sont obligés de se retirer d’appréhension et de se jeter dans le Havre.

986. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Saint-Évremond, l’épicurien à l’âme ferme, avait appris à ce jeu où il semble n’être entré que pour mieux voir, à connaître de près le caractère des grands personnages de l’histoire et à deviner, presque en homme pratique, le génie des anciens peuples. […] Il semblait plus facile, avec des intentions droites et des idées justes, de faire le bien des hommes et des peuples que cela ne s’est vérifié, au fait et au prendre ; on ne comptait assez ni avec les passions, ni avec les intérêts, ni avec les vices. […] Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie  siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante.

987. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Daignons donc nous bien figurer l’effet que devaient produire de telles représentations, réglées en quelque sorte sur l’hymne, contenues au sanctuaire, graves, pathétiques, touchantes et toujours augustes, — je ne dis pas précisément sur le peuple, il ne comprenait que l’ensemble, le mouvement et la mimique en quelque sorte, l’image majestueuse des choses, il ne savait pas les langues savantes, — mais sur tout ce qui était clerc et lettré. […] Cependant les idiomes modernes, tels quels, étaient nés, ils étaient sortis de leurs langes et faisaient de toutes parts leurs vives et gaies enfances, leurs premières jeunesses ; le commun des gens, le peuple, avait besoin de drames à lui, avait faim de spectacles également dévotieux et émouvants, qu’il entendît, dans lesquels il intervînt et eût sa large part. […] Et alors, « sans pouvoir être vu du peuple » il dépouille les beaux habits, qu’il avait, eus jusque-là, et il revêt de pauvres vêtements tissés de feuillages, commençant ses lamentations et ses hélas !

988. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Marie-Thérèse, par malheur, n’était plus seule à gouverner ; elle s’était donné pour associé et coadjuteur dans la souveraineté son fils l’empereur Joseph II, et si elle, au bout de son rôle, fatiguée des luttes, attentive au bonheur des peuples, occupée de l’établissement de ses nombreux enfants, n’aspirait plus qu’à maintenir les alliances et à éviter les chocs, lui, le jeune césar était ambitieux, dévoré d’activité, avide d’entreprises et ne redoutant pas les aventures. […] Je ne vivrai plus, mais mes chers enfants et petits-enfants, notre sainte religion, nos bons peuples, ne s’en ressentiront que trop. […] Malheureusement, les anciens préjugés dans nos deux nations ne sont pas encore si effacés que je le souhaiterais, et on voit souvent encore revenir les anciennes préventions contre lesquelles il n’y a que notre constance et amitié qui, à la longue, triomphera pour le bien de nos maisons, peuples et sainte religion.

989. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Le peuple se moque du peuple tant qu’il n’a point reçu l’éducation de la liberté, et l’on n’aurait fait que se rendre ridicule en France si, même avec des idées fortes, on eût voulu s’affranchir du ton qui était dicté par l’ascendant de la première classe. […] La littérature se perdra complètement en France, si l’on multiplie ces essais prétendus gracieux qui ne nous rendent plus que ridicules : on peut encore trouver de la vraie gaieté dans le bon comique ; mais quant à cette gaieté badine dont on nous a accablés presque au milieu de tous nos malheurs, si l’on en excepte quelques hommes qui se souviennent encore du temps passé, toutes les tentatives nouvelles en ce genre corrompent le goût littéraire en France, et nous mettent au-dessous de tous les peuples sérieux de l’Europe.

990. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

L’homme en qui dominent les autres, celui qui aime passionnément une personne, un peuple, ou même une abstraction représentative sera malheureux s’il ne peut se dévouer. […] Le dévouement d’une mère à son enfant, l’amour passionné d’un amant pour sa maîtresse peuvent leur faire sacrifier à « l’autre » qui est en eux, bien d’autres êtres, des individus, des groupes, des peuples. […] Établir le maximum d’harmonie et de solidarité entre les individus, entre les groupes, entre les peuples, c’est un idéal qui s’impose et que chacun, du reste, se représente à sa manière.

991. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Il ne faut point imiter, disait-il, ces peuples anciens qui, dans l’effroi causé par l’incendie de Phaéton, se mirent à demander aux dieux des ténèbres éternelles. […] À toutes les qualités qui sont nécessaires à l’orateur, Droz demande que son caractère unisse encore la sensibilité : « Beaucoup de force d’âme au premier coup d’œil, dit-il, paraît l’exclure : mais l’élévation est le point qui les unit. » L’élévation d’âme n’est pas tout encore, si l’orateur n’y joint réellement la vertu ; Droz y insiste, et non point par des lieux communs de morale, mais par des observations pratiques incontestables : « Croyez qu’il n’est chez aucun peuple assez d’immoralité, dit-il, pour que la réputation de celui qui parle soit indifférente à ceux qui l’écoutent. » Lorsque plus tard, historien de la Révolution, il aura à parler de Mirabeau, dont il appréciait si bien la grandeur, combien il aura occasion de vérifier ce côté d’autorité morale si nécessaire, par où il a manqué ! […] L’Évangile, selon lui, était venu pour perfectionner et accomplir la loi de nature plutôt que pour la renverser ; il était venu apporter la paix et l’harmonie dans l’homme, plutôt que le glaive ; et ce sage aimable, en cela disciple de Fénelon, évitant les rochers et les précipices où d’autres vont se heurter, trouva moyen encore de passer par une route unie, et comme en continuant les sentiers fleuris de l’humaine sagesse, aux sentiers plus élevés d’où l’on entend avec le peuple et avec les disciples le divin sermon sur la montagne.

992. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Louis XVIII revoyait la terre de France ; les acclamations de son peuple arrivaient jusqu’à lui. Bientôt il peut saluer ce peuple qui l’appelle. […] Ainsi, dans ce premier retour de Louis XVIII, dans ce voyage de Calais à Compiègne, il montre le pays oubliant volontiers ses droits au milieu de l’attendrissement, et se donnant tout entier, tandis que les politiques à Paris stipulent et marchandent encore : Il (Louis XVIII) sentit, au tressaillement universel et spontané de sa patrie, qu’il était maître de ce peuple, et qu’on ne lui marchanderait pas sérieusement le règne à Paris.

993. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Non, la statue de la liberté n’a point l’intérêt pour base, et ce n’est pas à la philosophie de la sensation et à ses petites maximes qu’il appartient de faire les grands peuples. […] On s’était trouvé panthéiste en 1828, très-mauvais chrétien98, jusqu’à considérer le christianisme comme un symbole dont la philosophie démêle le sens, bon pour le peuple, simple préparation à une doctrine plus claire et plus haute. […] Les murs, les colonnes, les voûtes, les dalles étaient couverts d’hiéroglyphes et d’inscriptions : chaque pouce de pierre enfermait une pensée, et la cité révélée était un livre de granit où s’était consumée toute la vie de tout un peuple.

994. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Il avait perdu la vue, volontairement, en écrivant, quoique malade, et malgré la défense des médecins, pour justifier le peuple anglais contre les invectives de Saumaise. […] Un peuple entier se précipitait aux genoux d’un jeune libertin incapable et traître. […] Un pédant hérissé, né de l’accouplement d’un lexique grec et d’une grammaire syriaque, Saumaise avait dégorgé contre le peuple anglais un vocabulaire d’injures et un in-folio de citations. […] Les cosmogonies des peuples sont de sublimes poëmes, et le génie des artistes n’atteint son comble que lorsqu’il est soutenu par de telles conceptions. […] Milton le peuple d’allégories solennelles et de figurés royales, et le sublime naît du poëte comme tout à l’heure il naissait du sujet.

995. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Pour attacher, il a choisi le plus grand intérêt qui pût frapper des peuples : c’est toute la Gréce armée qui traverse les mers, pour détruire un royaume florissant. […] Les moeurs, les opinions des peuples sont différentes ; et ces moeurs, ces opinions fondent pour eux un merveilleux particulier et des vraisemblances différentes : ainsi un poëme pourroit être excellent dans un pays, qui feroit pitié ailleurs, parce que des choses réputées grandes en ce pays-là seroient jugées petites dans un autre. […] N’y a-t-il qu’un langage pour les rois et pour le peuple ? […] C’étoit-là, le peuple adorateur d’Homere ; il n’étoit connu que d’eux seuls ; et comme ils avoient intérêt qu’il fût excellent, afin que leur sçavoir ne fût pas frivole, et qu’on les jugeât bien payés de leurs peines, ils venoient aisément à bout de se le persuader à eux-mêmes. […] Il s’y agit du salut et de la gloire de deux grands peuples.

996. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 265

On le vit alors courir de maison en maison, pour exercer, à l’égard d’un peuple malheureux, tous les devoirs de son ministere & de la charité.

997. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » p. 307

Ce Poëte n'a travaillé que pour les Histrions de la Foire, ce qui l'a fait surnommer le Voltaire des Boulevards : aussi est-il, dit-on, fort célebre parmi les Danseurs de corde & tout le petit peuple baladin, qui le regardent comme un Grand Homme, & qui l'ont néanmoins laissé mourir dans un Hôpital.

998. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

On sait, d’ailleurs, que la nation françoise n’a point le ridicule des autres peuples qui n’oseroient traduire en public leurs propres défauts. […] Mais on aura beau faire, il n’y aura jamais de peuple parfait. […] Il me paroît que l’assemblée des notables auroit dû s’occuper de cet objet, elle qui n’avoit en vue que le bien du peuple. […] Dès-lors, de grands airs, de grands tons ; dès-lors, on a calculé, on a rêvé, & l’on a laissé au peuple la bonne & franche gaieté. […] Il n’y a rien de plus excellent pour les peuples, que de leur ouvrir une voie facile pour exposer leurs besoins.

999. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Et il ajouta : — Un peuple est perdu… un peuple est fini… un peuple est mort, qui tolère ces abominables brutalités, qui, non seulement les tolère, mais s’y complaît ! […] Le peuple est indifférent et vaincu. […] Or, le peuple ne veut pas qu’on fasse quoi que ce soit. […] Elle ne savait plus s’amuser, et c’était le grand mal, le grand poison… Les peuples tristes et qui pensent, sont des peuples vaincus d’avance… Il faut, disait-il, qu’un peuple puisse passer gaiement d’un éclat de rire à un éclat de bombe… Or, aujourd’hui, l’on ne rit plus, et l’on ne se bat plus ! […] Ces admirables, ces splendides sacrifices humains qui avaient fait de notre peuple le plus beau, le plus grand peuple de la terre, sont désormais abolis !

1000. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

En même temps, le peuple se soulève en sa faveur. […] Dans la société nouvelle, nous apporterons, nous le peuple, l’amour de la justice et du droit, le travail, les vertus civiques. […] Elle satisfait la conscience du peuple, son besoin de logique, et aussi de respect et de vénération. […] Cette tuerie d’un peuple en masse semble une rodomontade espagnole. […] Le peuple est venu au-devant de lui et lui a jeté des fleurs et des palmes ; son roi l’a complimenté et embrassé publiquement.

1001. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

tout se tient, tout est solidaire dans l’imagination d’un peuple comme dans celle de ses écrivains et de ses artistes. […] Ce fut alors qu’on vit des hommes nouveaux, presque tous sortis de la bourgeoisie ou du peuple, se créer, par les grâces ou les hardiesses de leur esprit, une puissance anonyme qui remplaça toutes les autres, et, chose plus étrange ! […] C’était la première fois qu’un grand peuple, un peuple intelligent, tournant le dos à un gouvernement de fait qui ne le dirigeait plus, se laissait aveuglément conduire par des hommes dont la plus grande force et le principal attrait était de n’avoir jamais gouverné et d’ignorer comment on gouverne. […] Le peuple était à lui, en sa qualité de chef du parti démocratique, ou plutôt en vertu de ces affinités instinctives qui ont, de tout temps, attiré l’une vers l’autre la démocratie et la tyrannie. […] Elle n’entre plus dans les mœurs publiques, et c’est le glorieux prélude du triomphe définitif, que ces persécutions, consenties d’abord par le souverain pour plaire au peuple, finissent par être arrachées à l’un et réprouvées par l’autre.

1002. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Doyen » p. 102

Virginie est manquée ; ce n’est ni Appius ni Claudius ni le père ni la fille qui attachent ; mais des gens du peuple, des soldats et d’autres personnages qui sont aussi du plus beau choix ; et des draperies d’un moelleux, d’une richesse et d’un ton de couleur surprenant.

1003. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

J’ai fait quelques vers médiocres dans ma jeunesse, et cette célébrité de jeune homme m’ayant appelé à de hautes dignités, dans un âge plus mûr j’ai conquis la bienveillance du pays en vivant et en parlant à l’écart des partis passionnés pour ou contre la révolution de 1830 ; et le jour ayant sonné, et la France périssant dans l’hésitation, j’ai vu l’anarchie sanguinaire prête à s’emparer du pouvoir et j’ai proclamé la souveraineté des peuples et la République conservatrice de la société. […] On a été touché partout de notre simplicité, et du motif de notre voyage à pied, et le peuple hospitalier nous a traitées en amies. […] Ils ont bien tort de dire que le peuple est ingrat ; un accident l’a enlevée il y a trente ans et plus à ses bonnes œuvres ; eh bien, elle est aussi présente dans toutes les familles de dix lieues à la ronde que quand elle passait à pas vifs sur la bruyère de cette montagne, pour aller porter secours à un pauvre homme qui venait de se casser la jambe en tombant d’un noyer ! […] Ce trait de générosité touchait vivement le peuple peu réfléchi de ces campagnes, qui croyait que la force était le droit, et que c’était un crime que d’avoir un autre roi que le vainqueur. […] Aussi, ce peuple est si reconnaissant qu’il nous aime comme si nous étions des médecins ; il n’y en a point dans le pays, mais nous tâchons d’y suppléer.

1004. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

— dit M. de Goncourt, — commencé par la canaille, parce que la femme et l’homme du peuple, plus rapprochés de la nature et de la sauvagerie, sont peu compliqués… » Humble aveu de faiblesse, qui déshonore l’œuvre qu’on a commise ! […] Moi, j’appelle cela du matérialisme, et du plus borné et du plus stupide, du matérialisme vieux et incorrigible comme le monde, et qui, exilé des littératures fortes, ne manque jamais de reparaître dans les littératures décadentes, quand le souffle divin de la spiritualité n’anime plus les peuples que les littératures expriment. […] La Science, qui est la prétention des vieux peuples, viole ici l’art, sous prétexte de vérité, et elle prouve, par la plume de ceux qui proclament le Naturalisme le dernier mot de la littérature (et il pourrait bien l’être, en effet !), qu’il n’est que la cuistrerie d’un vieux peuple fini, qui se croit savant parce qu’il n’a plus la force de rien inventer. […] Nous savions bien que les peuples décrépits et corrompus tombent tous dans un cabotinisme effréné, mais nous ne savions pas que nous fussions plus avancés dans le sens de gibier faisandé que Rome et Byzance.

1005. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 258-259

Sautreau a composé un Eloge de Charles V, plusieurs Lettres, & quelques Ouvrages polémiques qui ne l'élevent point au dessus du peuple de nos Littérateurs, mais où l'on rencontre des réflexions morales & littéraires qui annoncent l'homme instruit & poli.

1006. (1903) Propos de théâtre. Première série

» Et le peuple ? Le peuple, que les aristocrates, de connivence forcée avec les poètes comiques, bafouaient ainsi sur son propre théâtre, que disait le peuple à tout cela ? […] Il semble bien que le peuple aussi, à Athènes, n’ait rien dit. […] Le peuple pouvait se laisser gouailler. […] Stratonice, la confidente de Pauline, représente le peuple, le peuple païen, ignorant et aveugle.

1007. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — E — Esquiros, Alphonse (1812-1876) »

. — L’Évangile du Peuple (1840). — Chants d’un prisonnier (1841). — Les Vierges martyres, folles et sages (1841-1842-1843).

1008. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 481

Elles ont pour objet les mœurs, la Religion, & la description des pays de plusieurs peuples, soit de l’Asie, soit de l’Amérique.

1009. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 63

Son Histoire générale de tous les Peuples n’est pas mieux écrite.

1010. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 217

Augier de] Abbé, mort en 1762, Auteur d’une Histoire des Arabes, en quatre volumes, où l’on rapporte des conversations ridicules, des anecdotes puériles, des combats bizarres, des contes, des fables, des visions, & toutes les rêveries des Peuples Orientaux.

1011. (1923) Nouvelles études et autres figures

La Révolution de 48, la plus absurde qu’un peuple ait jamais faite, le prit au dépourvu. […] Ces mots de Hugo seraient aussi bien de Michelet, et nous pourrions remplacer l’Homme par le Peuple. […] Le peuple mange de l’herbe. […] Mais la Révolution ayant éliminé cet élément, nous n’étions plus qu’un peuple dénué de haute morale, de métaphysique, de religion, de poésie et d’art, un peuple de psychologues divertissants, capable tout au plus de donner les marionnettes à l’univers. […] Nos écrivains ont subi l’influence du désastre, non celle du peuple qui nous l’avait infligé.

1012. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Il le bat, et chasse le peuple de l’enceinte ; il se croit parmi les Volsques. « Sur un bon terrain, j’en mettrais quarante à bas. » Et quand on l’emmène, il menace encore, et « parle du peuple comme s’il était un dieu choisi pour punir, non un homme mortel comme eux ». […] Alors le tribunal prononce l’accusation et le somme de répondre comme traître au peuple. […] Que le feu du dernier enfer enveloppe le peuple ! […] Le peuple l’exile et appuie de ses acclamations la sentence du tribun. […] C’est le triomphe naïf et abandonné d’une femme du peuple.

1013. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Victor Hugo est tout près du peuple par sa naissance, et cela explique chez lui bien des choses. […] que la royauté, peuples, est douce et belle ! […] Dans cette lutte des rois et des peuples, Victor Hugo prendra parti pour les peuples. […] Ce sera pour un peuple la défaite, pour l’un et l’autre beaucoup de ruines. […] Margot, la fille du peuple, l’ouvrière ou la grisette, est un très médiocre critique littéraire.

1014. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

La scène se passe sur une guillotine et sur le corps d’un guillotiné ; le squelette de la Mort qui domine tient en main et lit le journal le Peuple ; un peu au-dessous, un jeune Asiatique joue de la flûte sur un os perforé : dans le fond, ce ne sont qu’incendies et ruines. […] A peine arrivé (6 décembre 1862), une lettre35 lui fut remise où il était dit qu’il en était temps encore, qu’une marque de distinction pouvait adoucir les derniers moments d’Horace Vernet et réparer un oubli ; que personne plus que Béranger et lui n’avaient contribué à entretenir dans le peuple la tradition impériale. […] Peuple léger, flatte-toi même d’être devenu un peuple grave ; tu as pris assez de peine pour y réussir.

1015. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

« Le roi, écrivait-il, pose pour ses portraits ; il en est au onzième ; et le peuple ne peut s’accoutumer à contempler l’abus de la faiblesse en ces mêmes lieux où, si peu de mois auparavant, il a vu régner l’abus de la force. » Le miracle du débarquement et du retour de l’île d’Elbe, survenant sur ces entrefaites, le transporta. […] C’est ce qui me rend le peuple favorable. […] je n’y ai d’autre mérite que d’avoir deviné ce peuple. » Et brusquant les répliques qui n’étaient que pour la forme : « Oui, oui ! […] Il a le soin et l’humanité, tout le long de son histoire, de se préoccuper du peuple, de la situation qui lui est faite, des progrès de sa condition ou de la continuité de ses misères.

1016. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Méconnaissant donc tout à fait le rôle de plus en plus difficile des hommes sincères de 89, ne voyant dès lors dans l’opposition patriotique et les Constituants qu’amis et ennemis du peuple en présence, et persuadée que là aussi on n’avait rien à emporter que de haute lutte, son point de départ, pour sa conduite politique active, fut une grave erreur de fait, une fausse vue de la situation. […] conclut-elle, il n’y a que cela pour ordonner les affaire et pour rendre les peuples heureux. » A travers cette faiblesse et ce manque de science politique positive, percent à tout moment des vues fort justes et fort prévoyantes qui montrent qu’elle ne se faisait pourtant pas illusion sur l’état réel de la société. […] Mme Roland, quinze jours avant sa mort, rétractait sans aucun doute ses anciennes âcretés contre La Fayette, en justifiant dans les termes suivants, Brissot, accusé par Amar de complicité avec le général : « Il avait partagé l’erreur de beaucoup de gens sur le compte de La Fayette ; ou plutôt il paraît que La Fayette, d’abord entraîné par des principes que son esprit adoptait, n’eut pas la force de caractère nécessaire pour les soutenir quand la lutte devint difficile, ou que peut-être, effrayé des suites d’un trop grand ascendant du peuple, il jugea prudent d’établir une sorte de balance. » Ces diverses suppositions sont évidemment des degrés par lesquels Mme Roland revient, redescend le plus doucement qu’elle peut de son injustice première. […] On conçoit, on pressent cette fâcheuse destinée de Lanthenas, dès qu’on le voit adresser à Brissot des articles aussi niaisement intitulés que celui-ci : Quand le peuple est mûr pour la liberté, une nation est toujours cligne d’être libre, ou bien lorsqu’il propose à Bancal de faire quelque grande confédération pour travailler dans quelques années, en même temps en Angleterre et en France, à nous débarrasser absolument des prêtres.

1017. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Ils nous refuseraient volontiers le droit dont ils usent, et ne consentiraient point à dire qu’après tout chaque peuple a des sentiments qui lui sont propres, sa manière de concevoir le beau et de reconnaître la nature. […] Non, il n’est pas tout à fait vrai que ce qui charme le peuple de Londres, satisfasse autant les gentlemen lettrés ; et même il arrive, quand le plaisir est commun, qu’il se rattache à des affections très diverses. […] Disons plus, une tragédie est assez historique quand elle peint à grands traits les véritables mœurs d’un peuple et d’un siècle. […] Jadis des peuples grossiers ont été dupes de ces vains prestiges, je le sais, et j’en conclus que l’on pourra bien me montrer sur la scène des personnages imbus de ces traditions et de ces frayeurs : mais qu’il faille que ces spectres m’apparaissent à moi-même, je n’en conçois ni la nécessité ni là convenance.

1018. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Il comprendra que, dès qu’on s’élève un peu au-dessus des fins prochaines du métier, de la vie de tel individu, ou tout au plus de tel peuple, l’approbation ou la désapprobation ne signifient guère autre chose que la sympathie ou l’antipathie du juge, et qu’il en est souvent ainsi même dans les autres cas. […] Il sait que tous ces biens ne sont que des moyens, qu’ils ne valent que par des fins plus hautes, la vie sociale d’un peuple ou de l’humanité, qu’ils représentent et que, bien souvent, ils représentent mal. […] Il est des peuples qui à un certain moment s’accommodent de plus ou moins de socialisme ou de plus ou moins d’individualisme. Et il est bien difficile de dire ce qui convient même à un peuple donné à un moment donné de son histoire.

1019. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre III. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique. » pp. 32-86

Mais vivant au milieu de payens qui haïssoient & méprisoient sa nation, il diminue autant qu’il peut la foi que l’on doit aux miracles ; & quand il parle de certains effets d’une Providence extraordinaire de Dieu dans la conduite de son peuple, il ajoute à son récit qu’on peut croire de ces merveilles ce qu’on en jugera à propos. […] Son Histoire du Peuple de Dieu, depuis son origine jusqu’à la naissance du Messie, in-12. […] Un ouvrage semblable à celui-là pour le plan, le systême & l’audace est l’Histoire du Peuple de Dieu, depuis la naissance du Messie, jusqu’à la fin de la Synagogue par le même, in-12. , huit vol. 1754. […] Une fois que vous aurez commencé l’histoire des Juifs, vous voudrez sans doute connoître ce qu’est devenu ce peuple après la venuë du Messie.

1020. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Par exemple, pour savoir si l’état économique actuel des peuples européens, avec l’absence d’organisation38 qui en est la caractéristique, est normal ou non, on cherchera ce qui, dans le passé, y a donné naissance. […] En effet, pour que les sentiments collectifs que protège le droit pénal d’un peuple, à un moment déterminé de son histoire, parviennent ainsi à pénétrer dans les consciences qui leur étaient jusqu’alors fermées ou à prendre plus d’empire là où ils n’en avaient pas assez, il faut qu’ils acquièrent une intensité supérieure à celle qu’ils avaient jusqu’alors. […] C’est pourquoi, même chez les peuples inférieurs, ou l’originalité individuelle est très peu développée, elle n’est cependant pas nulle. […] Même, pour ces criminologistes, c’est l’institution pénale tout entière, telle qu’elle a fonctionné jusqu’à présent chez tous les peuples connus, qui est un phénomène contre nature.

1021. (1901) Figures et caractères

Michelet est l’historien du peuple. […] L’avenir du peuple restait lointain, confus. […] Les grands jours du peuple tardaient. […] C’est l’amour qui fait les peuples. […] Versailles allégorise un instant la vie d’un peuple.

1022. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Il devait réorganiser la France, dominer le désordre et faire ensuite appel au peuple. […] Puis, dans ce livre, il avait fait le portrait idéal du pape prédestiné qui serait chargé du salut des peuples. […] » Je reconnais qu’il y a beaucoup de familles très nombreuses dans le peuple, mais le nombre des célibataires y grossit fort appréciablement. […] Ce ne fut pas seulement le peuple qui témoigna son empressement, mais la Cour elle-même. […] Plusieurs princes régnants, les rois de Naples et de Westphalie, y étaient à la tête de leurs peuples.

1023. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

Les reproches qu’on peut lui faire sont, à certains égards, les mêmes : elle eut son Versailles au Palais d’Hiver, son Trianon ou son Marly à l’Ermitage, et s’occupa peu du vrai peuple. […] C’est cela même qui est trop, qui exprime trop manifestement le mépris qu’on a des hommes et des peuples, et qui, sinon dans le présent, à coup sûr dans l’histoire, prend une importance et des proportions que d’abord on ne soupçonnait pas.

1024. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Redescendu avec regret des hauteurs du moyen âge, il s’était trop habitué à considérer la terrasse commode de la Restauration comme une sorte de terrasse royale de Saint-Germain, comme un paisible et riant plateau où l’on pouvait rêver et chanter sous des ombrages, se promener ou s’asseoir à loisir sans essuyer la chaleur du jour et la poussière ; et il se contentait de voir, de temps à autre, le peuple et le gros de la société se presser confusément au bas, dans la grande route commune, où, à part le nom bien cher de Béranger, ne retentissait aucun nom de vrai poète. Aujourd’hui que la Restauration n’est plus, que la terrasse si laborieusement construite a croulé, et que peuple et poètes vont marcher ensemble, une période nouvelle s’ouvre pour la poésie ; l’art est désormais sur le pied commun, dans l’arène avec tous, côte à côte avec l’infatigable humanité.

1025. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Le fait est que le peuple, y compris la pourpre et le cordon bleu, a été désaccoutumé par force à se faire une opinion ; contrairement à la théorie de Taine, il est avéré que les événements maniés par quelques individus (appelés « grands hommes » dans le vocabulaire de la méthodologie historique) déterminent le plus souvent ses avis intellectuels comme ses mœurs. […] Jamais, l’on n’a trop de personnalité, — et il ne s’agit pas de rédiger des légendes « pour le peuple ».

1026. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

» Poser la question, c’était la résoudre, et sans être prophète, comme le veut l’évangéliste, le grand-prêtre put très bien prononcer son axiome sanglant : « Il est utile qu’un homme meure pour tout le peuple. » « Le grand-prêtre de cette année », pour prendre une expression du quatrième évangéliste, qui rend très bien l’état d’abaissement où se trouvait réduit le souverain pontificat, était Joseph Kaïapha, nommé par Valérius Gratus et tout dévoué aux Romains. […] Partant des principes admis d’emblée par toute l’ancienne politique, Hanan et Kaïapha étaient donc en droit de dire : « Mieux vaut la mort d’un homme que la ruine d’un peuple. » C’est là un raisonnement, selon nous, détestable.

1027. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

La politesse passa du sénat aux ordres inférieurs, voire au plus bas étage du menu peuple ; et si en leur cause, on doit croire leur témoignage, ils ont effacé ensuite toutes les grâces et toutes ces vertus de la Grèce, et ont laissé son atticisme bien loin derrière leur urbanité. » Ici Balzac nous apprend que de son temps ce mot d’urbanité n’était pas encore reçu en France : il pense que quand l’usage l’aura mûri, et aura corrigé l’amertume de la nouveauté, nous nous y accoutumerons , comme à d’autres que nous avons empruntés de la même langue. […] L’auteur y oppose l’amour de la gloire qui, chez les peuples anciens, à Rome surtout, payait les plus grands services ; il s’exalte de nouveau et avec une éloquente chaleur au souvenir de ces grands hommes de la république romaine, dont il sent si bien la dignité.

1028. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

C’est que je ne comprens point le bas peuple dans le public capable de prononcer sur les poëmes ou sur les tableaux, comme de décider à quel dégré ils sont excellens. […] Elles sont les seules qui puissent marquer le rang des poëmes et des tableaux, quoiqu’il se rencontre dans les ouvrages excellens des beautez capables de se faire sentir au peuple du plus bas étage et de l’obliger à se récrier.

1029. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Zola, dans son Assommoir, nous vide un pot de chambre — le pot de chambre du peuple — sur la tête ! pour nous prouver que cet Ange de peuple n’est pas tout à fait un corps glorieux.

1030. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La diplomatie au xviie  siècle »

En effet, tel que le voilà, s’il est creux, il est grave ; et la gravité est une tartufferie de l’esprit qui réussit toujours, avec ce peuple d’Orgons intellectuels dont le monde est fait. […] Or, on sait avec quelle majesté s’impose l’ennui à ce singulier peuple français, qui ne le pardonnait pas autrefois et qui passait, dans sa légèreté séculaire, pour vouloir, avant tout, s’amuser !

1031. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Girard ne les défend guère énergiquement que par la seule raison qu’il était de tradition chez les Grecs, peuple harangueur, de faire des harangues ; qu’on tenait cela de la poésie épique, etc. […] C’est cette raison qui, dans l’art littéraire des Grecs comme dans les autres arts, retranche, combine, mesure, équilibre, sacrifie le détail vigoureux à ce qu’elle appelle un peu vaguement l’harmonie de l’ensemble, dispute enfin, dispute avec la forme, comme, en philosophie, elle dispute avec le fond, chez ce peuple disputeur par excellence, pour qui la harangue même, dont nous parlions plus haut, n’était qu’une des formes de la dispute éternelle.

1032. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La révocation de l’Édit de Nantes »

Et, en effet, pour Charles Weiss, comme pour le siècle dont il est le fils, le mal produit par la révocation de l’Édit de Nantes a été le plus grand mal qui puisse arriver à un gouvernement ou à un peuple ; et savez-vous pourquoi ? […] Demandez plutôt à tous les peuples qui ont perdu le sens des choses de l’âme, et qui tiennent comme maintenant à l’état d’axiome que l’histoire d’une prospérité politique quelconque s’écrit comme un livre de commerce et s’établit par doit et avoir.

1033. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Léon Aubineau. La Vie du bienheureux mendiant et pèlerin Benoît-Joseph Labre » pp. 361-375

dans ce temps de démocratie où les Saints du peuple devraient être au moins respectés par tous ceux qui n’ont la bouche ou la plume pleine que de ce nom de peuple, parions que Benoit Labre, né d’ouvriers (ces rois actuels qui ont détrôné les autres), fera rire le siècle de toutes ses vilaines dents, et que ce nom même de Labre, d’assez piètre physionomie, j’en conviens !

1034. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

Seulement, pour nous qui ne voulons pas la discuter et qui savons l’histoire ; pour nous qui avons appris, en la lisant, où se trouve la politique pour les peuples, demandons-nous si la France, à cette heure, était assez chrétienne, assez historique, assez politique pour repousser cette question du divorce, qui, de ce qu’elle est posée comme elle l’est, devait incontestablement triompher ! […] Dumas, elle eut triomphé plus tard immanquablement, parce qu’elle est dans la logique de ce temps, et que les peuples sont gouvernés par la logique des principes qu’ils ont posés, — et s’ils lui échappent une fois, deux fois, ils sont toujours repris par elle !

1035. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Jésus, le Dieu qui a crucifié l’orgueil et la volupté humaine, qui est venu apporter au monde païen deux choses qui, pour la première fois, descendaient du ciel : l’humilité et la charité, n’est plus maintenant qu’un philosophe qui a dit aux peuples d’une voix plus douce, mais qui a dit comme les Gracques ou comme tous les souleveurs de plèbe : « Comptez vos maux et comptez-vous !  […] Il entre, par les images, dans le cœur des peuples, qu’il réchauffe et qu’il inspire.

1036. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Il changea d’attitudes et d’allures, passant immédiatement d’un extrême à l’autre, comme chez la duchesse ; défaisant ce qu’il avait fait avec une obéissance désespérée à l’opinion la plus méprisée par lui jusque-là ; littérairement tombant au-dessous de lui-même, employant la riche palette que nous lui reconnaissons, son seul don littéraire, aux gravures sur bois du Juif Errant et des Mystères du Peuple, et, comme on l’a dit de M.  […] Avant qu’une génération soit écoulée, peut-être on n’en parlera pas plus que de ce Rétif de La Bretonne, par exemple, qui fut aussi un grand producteur, qui fut aussi le Diderot du peuple et des mauvais lieux et l’annonciateur à sa manière du Socialisme contemporain.

1037. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Ils se souviendront toujours du caractère exact de l’union sacrée durant la guerre ; ils ne laisseront jamais dire qu’elle ait été la simple excitation ou l’expédient d’un peuple surpris par le péril.‌ […] Notre grande force est d’être un peuple de terriens qui ne parlent pas, qui vivent sur des bribes de catéchisme et d’école primaire.

1038. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Abstenons-nous donc, pour la sûreté de notre personne, de ce nom si cher au peuple, et qui révolterait le monde contre nous. […] Où est ce cœur vainqueur de toute adversité, C’est honneste désir de l’immortalité Et ceste belle flamme au peuple non commune ? […] Ils avaient trouvé un pays désert et glacé, habité par un peuple rustaud, arrogant, intempérant, mal vêtu et logé dans des huttes enfumées. […] Un homme du peuple, comme souvent ces gens-là, par aveuglement de zèle, se laissent plus émouvoir à la colère qu’à la pitié, saute à la tête de Clitiphon, lui jette son chapeau par terre et ensuite se prend à crier au calviniste. […] Il fanatisait son parterre ; il était l’apôtre du peuple et même de la populace.

1039. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 362

Les sentences sont les proverbes des honnêtes gens, comme les proverbes sont les sentences du peuple ».

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