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36. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

La justice et la fermeté : la justice, qui n’est rien sans la fermeté ; la fermeté, qui peut être un grand mal sans la justice ; la justice, qui prévient le murmure et qui règle la bienfaisance ; la fermeté, qui donnera de la teneur à sa conduite, qui le résignera à sa destinée, et qui l’élèvera au-dessus des revers.

37. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Ou bien, dans sa pensée intime, car nous prenons souvent nos prétentions pour notre conscience, le spirituel et amusant satirique se croit-il naïvement des quarts d’heure de justicier et d’oubli de malice dans la justice ? […] la justice ! […] Et quand je dis qu’il va plus loin, il faut entendre qu’il y saute, et avec un geste que la justice ne connaît pas. […] Les fameux paient pour les obscurs… Mais voilà une seconde raison pour que Babou, le sceptique, exclusivement, de nature, ne fasse pas de critique dans les meilleures pages de ses Lettres » — car critique, c’est justice étroite, et vengeance, c’est large justice, disait lord Bacon, cet homme ample de toutes façons. La vengeance de Babou, dont la large justice se permet même d’être vaste, n’est pas le plat que Machiavel voulait qu’on servît froid.

38. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

L’instinct de la justice apprend à l’enfant à chérir sa mère et son père, il devient devoir ; c’est déjà l’âme qui se révèle, ce n’est plus de l’instinct seulement. […] Voilà la société élémentaire, elle n’est plus vil intérêt seulement, elle est déjà réciprocité, c’est-à-dire mutualité, réciprocité qui n’est que la justice des actes, moralité, devoir, vertu. […] Elles ont l’unique et immense mérite d’élever l’âme, les lumières, et le sentiment de justice du peuple, à la hauteur de sa souveraineté. […] Gradation ascendante et descendante dans les rangs et les fonctions des magistrats chargés de l’administration de la justice ou de l’administration des intérêts populaires de l’empire ; spiritualisme qui personnifie la conscience et la providence dans une hiérarchie sans laquelle il n’y a ni autorité distributive, ni ordre, ni stabilité dans les institutions. […] Rousseau, dès qu’il n’a plus besoin de tutelle physique, adhère par justice et reconnaissance au sein qui l’a nourri, à la main qui le protège dans sa faiblesse, et leur rend ce culte filial, image du culte que tout être émané doit à tout être dont il émane.

39. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre III. Trois espèces de jurisprudences, d’autorités, de raisons ; corollaires relatifs à la politique et au droit des Romains » pp. 299-308

Cette science de la divination était la sagesse vulgaire de laquelle étaient sages les poètes théologiens, premiers sages du paganisme ; de cette théologie mystique, ils s’appelaient eux-mêmes mystæ, et Horace traduit ce mot d’une manière heureuse par interprètes des dieux… Cette sagesse ou jurisprudence plaçait la justice dans l’accomplissement des cérémonies solennelles de la religion ; c’est de là que les Romains conservèrent ce respect superstitieux pour les acta legitima ; chez eux les noces, le testament étaient dits justa lorsque les cérémonies requises avaient été accomplies. […] La jurisprudence humaine ne considère dans les faits que leur conformité avec la justice et la vérité ; sa bienveillance plie les lois à tout ce que demande l’intérêt égal des causes. […] Voilà pourquoi les hommes d’aujourd’hui sont portés naturellement à considérer les choses d’après les circonstances les plus particulières qui peuvent rapprocher les intérêts privés d’une justice égale ; c’est l’æquum bonum, l’intérêt égal, que cherche la troisième espèce de raison, la raison naturelle, æquitas naturalis chez les jurisconsultes. La multitude n’en peut comprendre d’autre, parce qu’elle considère les motifs de justice dans leurs applications directes aux causes selon l’espèce individuelle des faits.

40. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1853 » pp. 31-55

Du reste, le ministère de la justice d’alors, qui nous faisait poursuivre, n’avait-il pas eu, vingt-quatre heures, l’idée de poursuivre en police correctionnelle, dans un article de je ne sais qui du Paris, une ligne de points, paraissant avoir un sens obscène à M.  […] Et dans une entrevue au ministère de la justice, M. de Royer lui annonçait que nous serions condamnés, que nous aurions même de la prison, ajoutant que si nous voulions adresser un recours en grâce à l’Empereur, il serait le premier à l’appuyer. […] On nous avait appris que la justice exigeait cette politesse. […] Le lendemain, qui était un samedi, Villedeuil nous menait au Palais de Justice dans sa calèche jaune, une calèche qui tenait du carrosse de gala de Louis XIV et d’un char d’opérateur. […] La Justice bourdonnait là-dedans.

41. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

La justice, c’est la santé de lame. […] Entre justice et commandement il y a antinomie. […] L’égalité est le nom précis dont la justice se nomme. […] Entre contractants il y a justice. […] La justice n’est pas dans l’Évangile.

42. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

C’est donc un instinct de la justice dans l’homme, par conséquent un plan divin que Dieu fait entrevoir à ses créatures. […] Ni la justice, ni la pitié, ni même le pathétique. […] Sa mémoire elle-même est un problème qui fait craindre à l’historien de manquer de justice ou de réprobation en la jugeant. […] Mais la justice que l’on doit à la mort et la vérité qu’on doit à l’histoire passent avant ces retours que l’écrivain peut faire sur son propre temps. […] L’indulgence, en parlant des hommes faibles, est aussi une justice.

43. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Entre citoyens d’un même État comme entre États, le souci de la justice a été sacrifié au respect du fait historique. […] Renan, se défiant, comme Taine, de la raison et des hardies revendications formulées au nom d’une justice extérieure et supérieure aux faits, déclarait qu’il était sage d’entretenir l’inégalité des races, des classes, des conditions individuelles. […] Est-ce Taine ou un théoricien du marxisme (on pourrait aisément s’y tromper) qui a dit que la volonté est serve, et non maîtresse des faits ; que les concepts de justice, d’égalité, de liberté sont de la mauvaise métaphysique ? […] Madame Bovary, de Flaubert, la Chanson des gueux, de Richepin, ont-elles mérité d’être traduites en justice et condamnées plus que tel ou tel roman de l’école naturaliste ? […] Est-ce parce que la justice a eu et a encore la prétention de contrôler et de refréner les incartades de la littérature ?

44. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Étienne Dolet, et François Floridus. » pp. 114-119

Il retomba dans d’autres crimes, & réchappa encore au glaive de la justice. […] Jacques du Lorens, avocat au présidial de Chartres, fut mis à l’amende, pour avoir fait des satyres contre les juges. » On peut ajouter à cette liste le célèbre Vanini, qui, pressé, avant qu’on le jettât au feu, de demander pardon à dieu, au roi & à la justice, répondit : Je ne connois point de dieu, je n’ai jamais offensé le roi, & je donne la justice au diable, s’il y en a.

45. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

[Maurice Maeterlinck] Constater que les dieux personnels sont morts ; détruire les temples extérieurs qui jettent sur nous une ombre malsaine ; ne laisser aux puissances divines, justice, chance, destinée, d’autre refuge que le cœur de l’homme, ou mieux la partie inconsciente et comme souterraine de notre être, « le temple enseveli » : tel est bien, malgré quelques incertitudes et quelques retours en arrière, l’effort de Maurice Maeterlinck. […] Le mystère extérieur qu’il fait rentrer avec le plus de bonheur au sanctuaire psychique est celui de la justice. Il n’y a point de justice transcendante au monde ; il n’y a point de justice immanente des choses. La justice appartient tout entière au domaine humain ; mais elle est, plus encore qu’une pensée, un instinct. […] Mais je cède à un désir qui m’entraîne loin de ce programme de justice.

46. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Avertissement sur la seconde édition. » pp. 23-54

Nous nous élevions contre une Cabale qui se croyoit triomphante ; nous combattions les usurpations du mauvais goût ; nous réduisions à leur juste valeur des mérites équivoques ; nous vengions le vrai mérite des atteintes de l’ignorance & de l’envie ; nous déclarions, en un mot, la guerre à la Philosophie, à la fausse Littérature, à la vanité, à la prévention, à tous les préjugés dominans ; nous rappellions les esprits à la Religion, à la raison, aux vrais principes, à la justice, à la vérité. […] Il s’agissoit de prouver que les Trois Siecles, où l’on rend par-tout justice au vrai génie, où l’on tâche d’inspirer l’amour des regles, l’amour des devoirs, l’amour de la Patrie, l’amour de la Religion, devoit être soustrait aux mains des Lecteurs, pour y laisser de préférence l’Evangile du jour, le Bon Sens, le Systême de la Nature, le Systême Social, & tant d’autres systêmes qui ont déjà produit de si heureux effets parmi nous. […] Qu’avons-nous avancé de contraire à la justice & à la décence ? […] Une telle accusation ne peut tomber avec justice que sur l’esprit caustique qui s’exerce à mortifier l’amour-propre, sans se proposer d’autre but que celui de mortifier : le nôtre a été constamment d’instruire & de corriger, s’il étoit possible ; tout ce que nous avons dit a été animé par ce désir, & dirigé vers cet objet. […] Nous avons vu en même temps, par son moyen, d’heureuses révolutions s’opérer dans les esprits ; les Adorateurs du faux goût rendre hommage au véritable, & murmurer contre l’Ecole qui les avoit égarés ; des Sectateurs de l’impiété ouvrir les yeux sur la supercherie de leurs oracles, & détester leurs dogmes corrupteurs ; des Zélateurs de la Philosophie abjurer ses chimeres & convenir de ses dangers ; des Philosophies même rendre secrétement justice à notre zele, & nous faire de singulieres confidences sur les motifs de leurs engagemens dans la Secte qu’ils paroissoient favoriser.

47. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

C’était la coutume que les accusés eussent recours aux prières et aux larmes ; ils faisaient paraître leurs enfants, leurs proches et leurs amis, pour obtenir par la compassion ce qu’ils n’auraient pas toujours obtenu par la justice. […] Hommes athéniens, leur dit-il, n’exigez donc point de moi ce qui n’est ni honnête, ni conforme à la sainteté et à la justice. […] Socrate, avec la tranquillité d’un homme qui juge une cause qui lui est étrangère, examine s’il doit fuir ou rester : « Ami Criton, dit-il, il n’y a qu’une règle, la justice ; tant que j’ai vécu, je lui ai obéi : je suis encore le même. […] Socrate, laisse-toi persuader, et ne préfère ni tes enfants, ni ta vie, ni rien même à la justice. » Criton cède ; il admire Socrate qui finit par lui dire : « Marchons par où Dieu nous conduit. » Le troisième discours, beaucoup plus connu que les deux autres, est ce Phédon si fameux qui contient le récit des derniers entretiens de la mort de Socrate ; c’est un des ouvrages les plus célèbres de l’antiquité ; c’est celui que Cicéron, comme il nous l’apprend lui-même, n’avait jamais pu lire sans verser des larmes.

48. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Sortis ainsi de l’ordre naturel qui est celui de la justice, ils virent leurs clients se révolter contre eux. […] Le petit nombre d’hommes qui restent à la fin, se trouvant dans l’abondance des choses nécessaires, redeviennent naturellement sociables ; l’antique simplicité des premiers âges reparaissant parmi eux, ils connaissent de nouveau la religion, la véracité, la bonne foi, qui sont les bases naturelles de la justice, et qui font la beauté, la grâce éternelle de l’ordre établi par la Providence. […] Le peuple pris en général veut la justice. […] Au défaut des sentiments religieux qui faisaient pratiquer la vertu aux hommes, les réflexions de la philosophie leur apprirent à considérer la vertu en elle-même, de sorte que, s’ils n’étaient pas vertueux, ils surent du moins rougir du vice.À la suite de la philosophie naquit l’éloquence, mais telle qu’il convient dans des états où se font des lois généralement bonnes, une éloquence passionnée pour la justice, et capable d’enflammer le peuple par des idées de vertu qui le portent à faire de telles lois.

49. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Gilbert Augustin-Thierry »

Gilbert Augustin-Thierry « Cet homme devait subir toutes les suggestions, y étant prédisposé par l’atavisme… « Atavisme … responsabilité solidaire et indéfinie de toute une race devant Dieu  suivant qu’il est écrit au Décalogue : Je suis le Dieu fort et je sais châtier l’iniquité du père jusque sur les   enfants… » … Ô Justice immanente ! […] La justice immanente et implacable qui gouverne secrètement l’histoire des familles et de leurs générations successives, le conflit de la personnalité humaine et des fatalités de l’atavisme ; « les responsabilités solidaires » transmises par les pères aux enfants, le problème de la suggestion … tels sont quelques-uns des sujets qui s’offrent aujourd’hui aux méditations et aux divinations de l’« artiste penseur ». […] Et ces châtiments d’innocents offensant en nous une irréductible idée de justice, comment ne ferions-nous pas ce rêve d’une transmission et d’une réincarnation des âmes  Mais cela n’arrange rien du tout, puisque ces âmes ne se doutent point qu’elles ont déjà vécu ni qu’elles rachètent leurs fautes antérieures… — Laissez-moi tranquille !

50. (1899) Arabesques pp. 1-223

Mais ces nouveaux venus ne se bornent pas à proclamer leur soif de justice et de vérité. […] Car la Justice ne souffre pas qu’on la restreigne. […] La Justice n’a rien de surhumain. […] Voilà la justice… Cependant les Bourgeois protestent. […] Ceux qui combattent pour la justice sont hués.

51. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

« Veux-tu savoir sincèrement ce que c’est que la justice ? « Ne te borne pas à interroger les gens, et à faire vanité de réfuter ensuite leurs réponses, quand tu sais bien qu’il est plus aisé d’interroger que de répondre ; réponds à ton tour, et dis-nous ce que c’est que la justice. […] « — Elle le pourrait. « — N’est-ce point parce que l’injustice ferait naître entre eux des séditions, des haines et des combats, au lieu que la justice y entretiendrait la paix et la concorde ? […] Évidemment, il faut qu’il y ait eu entre eux un reste de justice qui les ait empêchés d’être injustes entre eux, dans le temps qu’ils l’étaient envers les autres, et qui les a fait venir à bout de leurs desseins. […] On examine si la justice, vertu de l’individu, n’est pas logiquement aussi vertu de l’État.

52. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Quels moyens reste-t-il alors à l’éloquence pour frapper les esprits par des pensées ou des expressions heureuses, par le contraste du vice et de la vertu, par la louange ou par le blâme distribués avec justice ? […] Une voix de Stentor criant à la tribune : Caton est un contre-révolutionnaire, un stipendié de nos ennemis ; et je demande que la mort de ce grand coupable satisfasse enfin la justice nationale, ferait oublier l’éloquence de Cicéron. […] D’autres sans inquiétudes sur eux-mêmes, mais ne voulant point blesser les souvenirs de quelques-uns de leurs auditeurs, n’osaient parler avec enthousiasme de la justice et de l’équité ; ils essayaient de présenter la morale avec détour, de lui donner la forme de l’utilité politique, de voiler les principes, de transiger à la fois avec l’orgueil et les remords qui s’avertissent mutuellement de leurs irritables intérêts. […] Ne craint-il pas la justice, la liberté, la morale, tout ce qui rend à l’opinion sa force et à la vérité son rang ? […] Ce qui est vrai dans le fanatisme politique, c’est l’amour de son pays, de la liberté, de la justice, égale pour tous les hommes, comme la Providence éternelle ; mais ce qui est faux, c’est le raisonnement qui justifie tous les crimes pour arriver au but que l’on croit utile.

53. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

Tous deux la contestaient, lorsque dans leur chemin, La justice passa la balance à la main. […] La justice, pesant ce droit litigieux, Demande l’huitre, l’ouvre, et l’avale à leurs yeux ; Et par ce bel arrêt terminant la bataille : Tenez, voilà, dit-elle à chacun, une écaille. […] L’arrivée de Perrin Dandin lui donne un air plus vrai que celui de la justice, qui est un personnage allégorique. […] Cette fable de l’huitre et des plaideurs est devenue, en quelque sorte, l’emblême de la justice, et n’est pas moins connue que l’image qui représente cette divinité, un bandeau sur les yeux et une balance à la main.

54. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Dans le philosophe et dans le poëte, en effet, ce n’est pas seulement la même élévation morale, le même mélange de raison et d’enthousiasme ; c’est, sur un grand point, le gouvernement des sociétés, le même amour de la justice, le même dégoût de la tyrannie sans pudeur et de l’anarchie sans frein. […] « Ô le plus glorieux des immortels140, nommé de plusieurs noms, tout-puissant toujours, Jupiter, principe de la nature, gouvernant tout avec justice, salut ! […] et donne-leur d’atteindre à la pensée sur laquelle tu t’appuies, pour tout régir avec justice ; afin qu’ainsi nous-mêmes honorés, nous te rendions honneur en retour, célébrant tes œuvres, dans nos hymnes sans interruption, comme il convient à l’être mortel ; puisqu’il n’y a pas pour les humains, ni même pour les dieux, autre emploi plus grand que de célébrer, en esprit de justice, la loi générale du monde. » Cette élévation vous semble-t-elle abstraite et froide ?

55. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

Rêve de justice et de bonheur universel, amour des faibles et des opprimés, malédiction jetée à une société pourrie ; extase prophétique, pitié, colère, révolte, ce ne sont qu’attitudes généreuses (certes !) […] Car nous avons beau savoir que les fauteurs de révolte ont toujours participé largement de l’égoïsme contre lequel ils s’insurgeaient ; que, si la justice et la charité appellent quelquefois les révolutions, c’est la haine et l’envie qui les accomplissent, et que, par exemple, ce sont les meneurs de grèves qui, nés capitalistes, eussent été les plus durs patrons : il semble parfois que, les révolutions faites, il en revienne tout de même quelque chose, au bout d’un certain temps, aux résignés, aux humbles de cœur, bien qu’elles n’aient été faites ni par eux ni même, au fond, pour eux ; et il arrive ainsi que les violents et les féroces paraissent finalement avoir travaillé pour la justice… Ou peut-être que je m’abuse, et que le bénéfice humain acquis par des moyens révolutionnaires eût pu l’être, et mieux, par un progrès uniquement légal et pacifique.

56. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

les flatteurs sont là pour faire la contrepartie des détracteurs, bien que pour les nobles cœurs les inanités de la flatterie ne contrebalancent pas les amertumes de la calomnie ; mais, après la mort, la justice au moins, la justice sans adulation ni dénigrement, la justice, sinon pour celui qui l’attendit sans l’obtenir, au moins pour ses enfants ! Mais qui peut se flatter en histoire de tenir les balances de la justice d’une main tout à fait sûre ? […] Thiers d’aimer Napoléon, mais de l’aimer aux dépens de la vérité, de la moralité, de la liberté et de la justice. […] Cependant il y a aussi de grandes et sévères justices faites par l’historien dans ce livre ; mais ces justices semblent plutôt s’exercer sur l’insuccès que sur l’immoralité des actes. […] Thiers rachète ici, par une glorieuse justice rendue à Kléber, les partialités de son premier jugement.

57. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Rien n’y est négligé de ce qu’une telle vie renferme d’instructif du côté de la magistrature et de la justice. […] Les dix Méditations sur les vraies ou les fausses idées de la justice sont une belle lecture. D’Aguesseau, comme Platon, comme Cicéron, croit à une certaine idée naturelle de la justice, qui n’est pas l’intérêt ni l’utilité, mais le droit ; il croit, indépendamment de la révélation positive, au triomphe de cette idée dans les lois des grands législateurs et des grands peuples, à la conscience du genre humain. Il combat Hobbes, il combat d’avance Bentham, il réfute son ami janséniste M. de Valincour, qui refusait à la raison de l’homme, sans la Grâce, cette faculté de justice. […] Royer-Collard, celle de M. le duc de Broglie en législation, ou encore ces hautes idées de justice primordiale que l’ancien Portalis léguait à son fils.

58. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

Il sent qu’il a envers eux des devoirs, non seulement de protection contre l’étranger, mais aussi, et bien plus encore, de justice et de charité. […] Un autocrate pénétré des idées que j’ai dites serait peut-être plus puissant pour l’établissement de la justice et pour l’amélioration de la condition humaine qu’un gouvernement démocratique. Quand ce désir de justice et de charité s’est emparé d’un cœur profondément sincère et pur, on ne lui fait pas sa part.

59. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Bandits honteux, d’ailleurs, qui appellent leurs pillages : victoires de la civilisation, et bandits glorieux qui exaltent les vertus de leurs chefs et le courage de leurs compagnons, la discipline de leurs bandes et l’exacte justice du butin réparti. […] Ainsi naissent une « morale de la sympathie », une « morale de la justice », même une « morale de la concurrence », ainsi se dessinent des mouvements d’opinions comme le nationalisme et comme le pacifisme. Ceux qui prêchent surtout la justice ne renoncent pas toujours à la sympathie, ni ceux qui vantent la sympathie à la justice, ni les humanitaires à la patrie, mais chacun établit au moins de façon différente la hiérarchie des devoirs. […] Justice, devoir, droit, ces mots n’ont de sens que dans une société organisée, dans une société morale, et je refuse toute société morale avec vous, ou plutôt, par nature, je ne puis en accepter. […] Il n’y a pas là beaucoup plus de « justice » que lorsque nous tuons un animal pour le manger (et nous pourrions aussi faire valoir, pour nous concilier l’animal, que nous allons le transformer en un être supérieur).

60. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Les Réformés odieusement persécutés, poursuivis comme des fauves à la voix des ministres du Dieu d’amour et de justice, mais rendus audacieux par la sainteté de leur cause, se relevèrent et combattirent, décidés, s’il le fallait, à périr en défendant la foi nouvelle. […] L’abjuration du nouveau roi de France ne lui fit pas méconnaître ce qu’il devait à ses anciens compagnons et à la justice, et malgré les hurlements de haine du parti catholique, il ne dissimula jamais sa sympathie pour la Réforme. […] Puisque le grand projet d’une république protestante avait été écrasé par Richelieu, ils allaient borner à la vie individuelle et familiale leur rêve de justice sociale. […] Des règnes tels que ceux de Louis XIV, si l’on avait le moindre souci de la justice et de la vérité, devraient être considérés comme des périodes d’obscurcissement national, des périodes ensevelies sous la détresse et sous la honte. […] Situés du côté du droit et de la justice, ils sont orientés vers l’humanité future.

61. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Il y mêlait du pathétique, et il y a, tout au milieu, un vrai mouvement oratoire : « Justice ! […] Les antiquaires, les artistes, les poètes la maudissaient et la chargeaient d’exécration : lui, il l’absout et peu s’en faut qu’il ne la bénisse : car cette bande noire qui brise et pulvérise la terre, en met les morceaux à la portée d’un chacun, et, en faisant des propriétaires, elle fait, selon lui, d’honnêtes gens, c’est-à-dire des gens intéressés à l’ordre, à la paix, à la justice. […] Quelques personnes voudraient que je fusse député et y travaillent de tout leur pouvoir. » Son bon sens pourtant lui disait qu’il ne convenait à aucun parti, et on lui doit cette justice qu’il craignait de s’engager dans aucune cabale. […] Courier. » Ce premier mot échappé sans dessein en amena d’autres, et la justice obtint de cette fille une révélation entière. […] Il comparut devant la justice, il s’y traîna, n’avouant d’abord qu’à demi ; mais bientôt, pressé par les magistrats et par sa conscience, sa déposition se rapprocha de plus en plus de celle de la fille Grivault, au point de n’en plus différer que sur des circonstances très secondaires.

62. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

vous êtes le protecteur de l’innocent et de l’opprimé, car c’est votre amour qui a créé le monde, et c’est votre justice qui le gouverne. […] J’y trouverais à reprendre une teinte un peu trop apocalyptique, un abus d’enfer, de Satan, et un excès d’horreur que les sept hommes couronnés ne méritent pas seuls, et qui s’affaiblirait nécessairement si on la répartissait, comme ce serait justice de le faire, sur toute cette classe supérieure ou moyenne qui les approuve et les soutient. […] Mais le Machiavel de Modène ne devait pas être pris si à la lettre, la vérité ici passe la vraisemblance ; et comme goût d’abord, et un peu comme justice, j’aurais voulu qu’il fût tenu compte des autres coupables dans la société, des coupables par assentiment et par égoïsme inerte, des coupables aussi par passions haineuses et brutalité, comme en offrent sans doute les rangs populaires.  […] Elles passent comme à travers un rêve affreux, et au réveil elles bénissent Dieu qui les a délivrées de ce tourment. » Et suit alors l’hymne de départ du jeune soldat de l’avenir, du soldat qui s’en ira combattre une dernière fois pour la justice, pour la cause du genre humain, pour l’affranchissement de ses frères : « Que tes armes soient bénies, jeune soldat ! 

63. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Cette double action du récit fait d’abord un peu l’effet de la fameuse lettre de madame de Sévigné, lorsqu’elle badine sur les émeutes et les exécutions en Bretagne : Nous ne sommes plus si roués… On se demande si ce n’est pas montrer quelque légèreté que de prendre ainsi le côté sombre et sanglant de la justice comme matière ou contraste à divertissement. […] Certes les Grands-Jours, avec leur justice sans appel et si expéditive, n’étaient point eux-mêmes sans reproches. […] C’était ici le cas, ou jamais, d’appliquer d’avance le mot de Napoléon à l’un des chefs de la justice sous l’Empire : « Eh bien ! […] » — « Mais, Sire, nous tâchons de rendre la justice, au nom de l’Empereur et de la loi, avec équité. » — « Il s’agit surtout de juger beaucoup, et beaucoup, entendez-vous ? 

64. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Ce que je n’ai pas dit quand il combattait contre nous, je puis le dire maintenant, pour que la justice de la Critique soit complète. […] Mais il se vengeait de l’ignorance et de l’incrédulité de leurs esprits en restant enfoncé dans leur cœur et en leur inspirant les vertus qui viennent de lui seul : la miséricorde, la générosité et la justice. […] Vous reconnaissez là l’idée philosophique et utopique de tous les abolisseurs d’immortalité, qui veulent la justice absolue dans l’espace et dans le temps et le Paradis sur la terre, parce qu’ils ne croient qu’à la terre. […] Il sait que la plus belle des vertus, parmi les hommes, est la plus obscure, et puisqu’il n’est pas (de philosophie) absolument un athée, il sait que ceux qui vont à la mort pour la Patrie comme les Saints y vont pour Dieu, et qui montent le long des colonnes couronnées par un nom qui n’est pas le leur, Dieu les a vus monter le long de leur bronze et sait leurs noms à tous, et n’a pas besoin de l’Histoire, même écrite par Michelet, pour leur faire justice.

65. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Un bandit qui se livre à la justice, nuit à ses compagnons, il trahit son groupe. […] L’idée de justice n’arrive pas à se dégager, elle est méconnue et faussée à chaque instant. […] Et l’on ne préconise guère, en effet, la morale de la pitié ou de l’amour sans rabaisser quelque peu la justice, réduite à passer pour dure et fâcheusement inflexible. De même, pour la morale de la justice, l’amour et la pitié sont des guides peu sûrs, capables de dangereuses faiblesses. […] Dès qu’il est reconnu que le devoir qui nous est imposé vient de la justice, l’esprit est satisfait ; car il est parvenu à un principe au-delà duquel il n’y a plus rien à chercher, la justice étant son principe à elle-même.

66. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

La Justice !… oui, vous avez invoqué la Justice et aussi l’Égalité, en faveur d’un homme dont on a osé assimiler le crime à un crime politique ! La Justice ! quelle idée restreinte vous faites-vous donc de la Justice, ou bien quelle équivoque essayez-vous de créer en nos esprits ? […] D’ailleurs, vous n’êtes pas assez naïfs pour supposer un seul instant qu’un acte de haute justice accompli par vous de temps à autre sous les impérieuses pressions de l’opinion publique, désarmera nos colères.

67. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Le réel, c’est le juste… Selon Hugo, il n’y a en nous qu’une chose, une seule, qui puisse être complète, absolue à sa manière, inconditionnelle et adéquate : c’est l’idée du devoir, avec cette volonté de la réaliser qui est la justice : J’ai rempli mon devoir, c’est bien, je souffre heureux Car toute la justice est en moi, grain de sable. […] Mais si Dieu est, par rapport à nous, la justice, c’est qu’il est en lui-même l’amour. […] Cette bienveillance finale est le fond de sa morale même, de sa morale sociale, qui pourrait se résumer en cette formule : identité de la fraternité et de la justice. […] La pitié suprême, qui est en même temps la suprême justice, c’est le pardon universel, c’est l’amour s’étendant à tous les misérables, malheureux ou méchants. Cette pitié, l’homme n’a pu la mettre ni dans ses lois, ni dans ses institutions sociales : c’est ce qui fait l’injustice fondamentale de notre justice.

68. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Il lui donne des conseils sur la justice, l’économie, et contre la fureur de plaider. […] La piété, la pudeur, la crainte de la justice se sont enfuies loin de la terre ; la tyrannie est plus forte. […] Tous les animaux, les poissons, les bêtes des forêts, les oiseaux, se dévorent l’un l’autre, parce qu’il n’y a pas de justice parmi eux : Jupiter a donné la justice à l’homme comme attribut distinctif. Hésiode a le sentiment de la justice et de l’équité à un haut et souverain degré, et il l’exprime magnifiquement.

69. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

A travers ces hautes préoccupations, il n’oubliait pas qu’il était magistrat et chef de la justice : en même temps que ses Ordonnances réformaient les vices de la législation et de la procédure, il visitait les Parlements ; à Paris, à Rouen, à Bordeaux, il admonestait les juges, leur disait d’honnêtes et de fortes paroles, les rappelant à la probité, à l’exactitude, à la vigilance, avec un profond amour du peuple à qui la justice doit être une protection, non une charge. […] Il lutta contre Montmorency et contre les Guises, travailla à la réformation de la justice, au rejet du concile de Trente, au maintien de la paix. […] Taillandier réimprime le mémoire au Roi d’après l’édition imprimée en 1568 : on voit que ce mémoire fut en réalité adressé à l’opinion publique autant qu’au roi. — Il y aurait lieu d’examiner dans quelle mesure l’authenticité du Traité de la Réformat ou de la justice doit être suspectée : j’y trouve deux pages bien étonnantes de divination sur les conséquences que les abus sociaux doivent nécessairement amener, et je doute qu’une créature des Seguier ait pu écrire de telles choses au xviic siècle. […] Guillaume du Vair (1556-1621), conseiller au Parlement de Paris en 1584, envoyé en Angleterre (1596), intendant de justice à Marseille, puis premier président au Parlement de Provence, garde des sceaux (1616), évêque de Lisieux (1617), fut un des chefs du parti des politiques, un des plus fermes et adroits adversaires de la Ligue, un des plus énergiques et dévoués restaurateurs de l’autorité royale et de la paix.

70. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Aux yeux de Rapetti, il y avait plus important ici que l’examen d’un livre, si approfondi d’ailleurs qu’il pût être, il y avait une justice à accomplir, et cette justice, elle est sortie de son intention. […] Le procédé dont Rapetti s’est servi pour faire sa justice est d’une simplicité presque élémentaire.

71. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemaître, Jules (1853-1914) »

Il faudra bien qu’on rende un jour à l’auteur pleine justice à ce livre excellent, qu’on le mette tout à côté de ceux de France, pour la délicatesse et la savante simplicité de la forme, et qu’on reconnaisse en Lemaître un des plus remarquables artistes en vers de ce temps. […] Sully Prudhomme est uniquement épris de la vérité, il la cherche avec cette passion généreuse qui lui a dicté la Justice.

72. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

Moyennant ce biais, de simples Cours de Justice étaient admises à trancher à petit bruit des questions diplomatiques restées plus ou moins douteuses. […] Dans les discours familiers que le sieur de Verjus pourra avoir avec les députés bien intentionnés de la Diète, Sa Majesté a jugé avec beaucoup de raison qu’il serait bon qu’en même temps que ledit sieur de Verjus s’expliquerait avec la hauteur et la fermeté nécessaires pour faire connaître au corps de la Diète qu’elle n’est pas pour rien changer aux ordres qu’elle a donnés, il fut en état de faire connaître que Sa Majesté garde toute la modération et toute la justice que l’on peut raisonnablement désirer d’elle. » Louvois, en donnant ainsi des ordres à un envoyé diplomatique, empiétait d’ailleurs sans façon sur son collègue M. de Croissy, qui avait succédé lui-même au trop mou et trop modéré Pomponne dans le département des Affaires étrangères : il faisait acte de dictature diplomatique. […] De cette manière, le roi paraîtra faire justice et la fera en effet, et la Chambre, en adjugeant à l’évêque ce qui lui appartient, réunira à la couronne de Sa Majesté la souveraineté des lieux que les évêques auront fait assigner… Afin de ne point faire trop de bruit, il ne faut comprendre dans une même requête que cinq ou six villages, et, de huitaine en huitaine, en faire présenter sous le nom de chacun desdits évêques, moyennant quoi, en peu de temps, l’on aura fait assigner tous les lieux qu’on peut prétendre avoir été autrefois desdits évêchés. » La tactique est assez nettement indiquée ; on voit la marche de cette politique rongeante qui bientôt ne se contenta point d’absorber les petits feudataires enclavés, mais qui s’essayait parfois à sortir du cercle et à pousser jusqu’en pays allemand, à la grande clameur des seigneurs, princes ou même rois qui se sentaient atteints. […] En lisant cette histoire de Louvois, en la voyant ainsi montrée à nu et comme par le revers de la tapisserie, je crois entendre continuellement ce mot de la tragédie grecque, qui résonne et se murmure de lui-même à mon oreille ; « S’il faut violer le droit, c’est pour l’empire et la domination, c’est en haute matière d’État qu’il est beau de le faire : dans tout le reste, observe la bonne foi et la justice. » Je paraphrase un peu là parole d’Euripide, cette parole si détestée de Cicéron. […] Pour Strasbourg du moins, l’historien veut bien nous rassurer, et il estime que de ce côté, qui est la plus glorieuse affaire consommée alors par Louvois, l’utilité n’était point séparée du droit et de la justice : « Il y a, nous dit M. 

73. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Insensés, qui croient pouvoir allier la justice et l’arbitraire, le despotisme et la liberté ! […] On lui rend aujourd’hui plus de justice qu’il n’en rendait : il eut des talents divers dont la réunion n’est jamais commune ; jeune, il contribua pour sa bonne part aux gracieux plaisirs de son temps ; plus tard, s’armant d’une plume habile en prose, il fut utile à une cause sensée, et il reste après tout l’homme le plus distingué de son groupe littéraire et politique. […] Et ici il me semble qu’il n’a pas rendu entière justice à l’Académie. […] Molé s’en est emparé avec bonheur, avec l’accent d’une vieille amitié et de la justice ; il a ainsi renoué la chaîne dont le nouvel élu n’avait su voir que les derniers anneaux d’or. […] Thiers a paru une délicate et noble justice.

74. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

« La morale de l’Esprit des Lois, nous dit-il, n’oblige le lecteur qu’à des vœux d’humanité, de justice, de liberté pour tous, qui l’acquittent à son insu de toute obligation particulière. […] « Entre ceux qui aiment Jean-Jacques Rousseau, dit-il, et ceux qui ne lui rendent que justice, il se range décidément parmi les seconds. » Mais rend-on bien justice à ceux que l’on n’aime pas ? […] Il l’admire dans René, et en toute justice ; mais n’est-ce pas à Rousseau qu’il doit son origine ? […] Mais nous croyons en même temps qu’il y a bien des places dans la maison du Seigneur ; qu’un certain classique n’est pas tout le classique ; que le parfait a toujours quelque imperfection qui permet de concevoir un autre genre de parfait ; que, par exemple, le classique du xviie  siècle n’est qu’une forme de classique qui n’est pas sans défaut ; qu’on pourrait soutenir très-fortement que le classique grec lui est supérieur, et peut-être aussi que le classique anglais ou allemand (si l’on peut employer une telle expression) lui est égal ; que, pour comparer en toute justice ces différents genres de chefs-d’œuvre, il faudrait lire Goethe et Shakespeare avec la même préparation que nous lisons Racine ou Corneille : il faudrait se faire Anglais ou Allemand, tandis qu’il nous est si facile d’être Français.

75. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

La jurisprudence, la science de ce droit divin, ne pouvait être que la connaissance des rites religieux ; la justice était tout entière dans l’observation de certaines pratiques, de certaines cérémonies. […] Aux actes religieux qui composaient seuls toute la justice de l’âge divin, et qu’on pourrait appeler formules d’actions, succédèrent des formules parlées. […] La justice de ce dernier âge considère le mérite des faits et des personnes ; une justice aveugle serait faussement impartiale ; son égalité apparente serait en effet inégalité. […] Je me sens assis sur une roche de diamant, quand je songe au jugement de Dieu qui fait justice au génie par l’estime du sage ! […] Conformément à cette métaphysique, Platon donne pour base à sa morale l’idéal de la justice ; et c’est de là qu’il part pour fonder sa république, sa législation idéales.

76. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

L’idée de justice, étant soumise aux variations de la sensibilité, est des plus instables. […] Si la justice est blessée parce que Florus surnage dans le naufrage où périrent Varius et Calvus, c’est la justice qui a tort ; ce n’était point là sa place. […] C’est toujours une erreur d’en appeler à la justice ; mais c’est de la démence d’en appeler à la justice d’un groupe social. […] La justice littéraire est une absurdité. […] On confond l’équité, qui est l’ordre, avec la justice, idée chrétienne.

77. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

On y ferait à chaque pas, en se baissant, son butin de moraliste : « Chaque femme se croit volée de tout l’amour qu’on a pour une autre. » — « Madame Lauter, encore sur ce point, était comme toutes les femmes, — excepté vous, madame ; — elle ne plaçait l’infidélité que dans la dernière faveur. » — « On ne se dit : Je vous aime, en propres termes, que quand on a épuisé toutes les autres manières de le dire ; et il y en a tant que l’on n’arrive quelquefois à dire le mot que lorsqu’on ne sent plus la chose et que le mot est devenu un mensonge. » — « La justice du monde, comme la justice des lois, ne découvre presque jamais les crimes que lorsqu’ils n’existent pas encore, ou lorsqu’ils n’existent plus. » — Mais je m’arrête, de peur du sourire de l’auteur, pendant que je me baisse à ramasser ainsi les aphorismes qu’il sème en s’en moquant tout le premier : il me ferait niche par derrière.

78. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Dans la suite du dialogue le philosophe s’appuie sur ce sophisme de la rétribution temporelle du juste et du méchant par la Providence pour exalter avec raison le droit de la justice humaine contre les coupables envers l’humanité, qui violent les lois institutrices de la société. […] Ce génie est la justice même, le protecteur de tout ce qui est créé. Par le respect de ce génie de la justice et des peines qui la défendent ou la rétablissent, tous les êtres sensibles, qu’ils soient mobiles ou immobiles, sont contenus dans la jouissance légitime de leur nature et ne s’écartent pas impunément de leur devoir. […] Le sage considère le châtiment comme la perfection de la justice. […] Il descend ; il tend sa main souillée de sang, et la justice y jette de loin quelques pièces d’or qu’il emporte à travers une double haie d’hommes écartés par l’horreur.

79. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

Vainement la politique s’efforceroit-elle de suppléer à ses maximes & à l’ascendant de ses inspirations : la politique humaine est chancelante & sujette à l’erreur ; il lui faut un soutien pour la diriger constamment vers la justice & la vertu ; & la Religion seule peut le lui fournir. […] Par elle les Souverains sont assurés de la soumission sincere de leurs Sujets, & les Sujets, de la justice & de l’amour de leurs Souverains. Par elle seule, le Maître peut s’assurer de la fidélité de ses Serviteurs ; le mari, de celle de sa femme ; le pere, du respect de ses enfans ; le Commerçant, de la probité de ses Commis ; le Client, de l’intégrité de son Juge ; & tous les subordonnés, de la justice de leurs supérieurs. […] Les Loix civiles ont le pouvoir d'arrêter les injustices, ou du moins de remédier à celles qui sont sensibles & connues : la Religion fait non seulement des Hommes justes, elle veut encore que la justice, la modération, la bienfaisance, soient aussi réelles qu'apparentes ; elle exige que les vertus ne se bornent pas à paroître, mais qu'elles aient leur racine dans le cœur, qu'elles existent dans toute leur perfection. […] Il y a toujours de la ressource pour ramener au bien celui qui s'en est écarté, tant que la voix de ses devoirs peut se faire entendre à son cœur, au lieu que le méchant irréligieux est inaccessible au cri de la Justice, comme à celui du remords.

80. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Sans doute, c’est une grande présomption en faveur de la justice d’une révolution, que de la voir grandir et se développer à travers les temps et les lieux, sans rencontrer jamais d’obstacles invincibles, et tournant au contraire les obstacles en moyens. […] L’histoire du monde se compose de grandeur et de décadence, de justice et d’injustice : il y a lutte entre les bons et les mauvais principes. […] Je finis par une dernière objection : c’est que la capacité n’est nullement une garantie de justice et de bienveillance dans le souverain. […] Quant aux avantages de la démocratie, Tocqueville leur a-t-il rendu tout à fait justice ? […] Guizot au Père Lacordaire, les preuves vivantes et les heureux témoins du sublime progrès qui s’est accompli parmi nous dans l’intelligence et le respect de la justice, de la conscience, des droits, des lois divines, si longtemps méconnues, qui règlent les devoirs mutuels des hommes, quand il s’agit de Dieu et de la foi en Dieu.

81. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Par là, si nous pressons les termes du parallèle, se découvrirait encore plus d’une ressemblance entre la politique du poëte thébain et celle que Bossuet a parfois tirée des Livres saints, non pour imposer aux peuples le pouvoir absolu, mais pour imposer au pouvoir une absolue justice. […] « Douce tranquillité, dit-il alors, fille de la justice, toi qui agrandis les cités, tenant dans tes mains les clefs des conseils et des guerres, reçois pour Aristomène l’honneur de la palme pythique ; car tu sais donner le bonheur et en jouir à propos. […] Sa louange est un conseil de justice et de clémence ; et par là, cette mission du poëte lyrique se rapproche encore de celle du prêtre, dans un autre temps. […] Des choses accomplies, selon la justice ou contre la justice, le temps ne peut faire que ce qui est œuvre consommée ne le soit pas ; mais l’oubli vient à la suite d’un retour de bonheur. […] Et, si on songe que tout le reste de cette ode est rempli par une peinture du bonheur de l’autre vie pour ceux qui se complairont au respect du serment et auront su garder leur âme de toute injustice, qu’à ce prix seul le poëte les voit cheminant, par la route de Jupiter, jusqu’au palais de Saturne, où les brises de l’Océan soufflent autour de l’île des bienheureux, où des fleurs d’or étincellent, et où ils tressent de leurs mains des guirlandes et des couronnes, ne reconnaît-on pas encore là ce génie religieux qui, en voulant l’unité du pouvoir pour l’ordre stable des États, la réglait en espérance sur l’immortelle justice de la Cité céleste, dont il proposait le bonheur pour récompense aux vertus des puissants et des rois ?

82. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

À Remiremont, le chapitre noble des chanoinesses a « la basse, haute et moyenne justice dans cinquante-deux bans de seigneuries », présente à soixante-quinze cures, confère dix canonicats mâles, nomme dans la ville les officiers municipaux, outre cela trois tribunaux de première instance et d’appel et partout les officiers de gruerie. […] S’il est titré, il est haut justicier, et il y a des provinces entières, par exemple le Maine et l’Anjou, où il n’y a pas de fief sans justice. En ce cas, il nomme le bailli, le greffier et autres gens de loi et de justice, procureurs, notaires, sergents seigneuriaux, huissiers à verge ou à cheval, qui instrumentent ou jugent en son nom, au civil et au criminel, par première instance. […] D’autre part, en dédommagement de ses frais de justice, il reçoit les biens de l’homme condamné à mort et à la confiscation dans son domaine ; il succède au bâtard né et décédé dans sa seigneurie sans testament ni enfants légitimes ; il hérite du régnicole, enfant légitime, décédé chez lui sans testament ni héritiers apparents ; il s’approprie les choses mobilières, vivantes ou inanimées, qui se trouvent égarées et dont on ignore le propriétaire ; il prélève le tiers ou la moitié des trésors trouvés, et, sur la côte, il prend pour lui les épaves des naufrages ; enfin, ce qui est plus fructueux en ces temps de misère, il devient possesseur des biens abandonnés qu’on a cessé de cultiver depuis dix ans. — D’autres avantages attestent plus clairement encore que jadis il eut le gouvernement du canton. […] , 40  Renauldon, avocat au bailliage d’Issoudun, Traité historique et pratique des droits seigneuriaux, 1765, 8, 10, 81 et passim  Cahier d’un magistrat du Châtelet sur les justices seigneuriales, 1789  Duvergier, Collection des lois.

83. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Des hommes animés d’une joie saine doivent chanter d’abord Dieu, d’après de pieuses traditions et avec de chastes paroles, puis demander par libations et prières le pouvoir d’accomplir la justice. […] « Là sont les portes des chemins de la nuit et du jour, roulant entre leur linteau et leur seuil de granit : élevées dans l’éther, elles se ferment par d’immenses battants ; et la Justice laborieuse en garde les doubles clefs. […] La déesse bienveillante m’accueillit ; et, de sa main, elle me prit la main droite ; et elle me dit ces mots : « Ô jeune homme, qui fais route avec des conductrices immortelles, dont les coursiers t’amènent dans ma demeure, réjouis-toi88 ; car ce n’est pas une mauvaise destinée qui t’a fait prendre cette route, en dehors de la voie battue des hommes ; c’est Thémis elle-même et la Justice. […] Ce n’est pas encore la loi de justice et d’amour qui devait enflammer le monde, et y répandre une nouvelle poésie.

84. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Il y perdit, s’il l’eut jamais, la capacité des grandes affaires ; il y devint incapable de jugement et de justice. […] Tantôt il ramasse toute une scène en quelques traits, par un dessin large, hardiment simplifié ; tantôt il développe d’immenses tableaux, comme ceux de la mort de Monseigneur, et du lit de justice qui dégrade les enfants légitimés de Louis XIV. […] Aussi, quand la première édition de ses Mémoires parut en 1830, nos romantiques lui firent fête ; et c’était justice : le duc de Saint-Simon était des leurs.

85. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Troisième partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées politiques. » pp. 350-362

Le système de l’utilité sera banni des relations sociales ; ce système qui engendre le machiavélisme, et qui met faussement le salut du peuple avant la justice, doit être livré au discrédit. […] la persévérance à l’innocent, car c’est une grande dégradation, pour un innocent condamné que de nier la justice. […] Or la volonté de Jupiter, c’est la justice.

86. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

l’idéal anglais de la justice me paraît préférable au nôtre, et surtout plus facile à réaliser. Une justice à laquelle aucun coupable ne pourrait se dérober est une utopie. […] la justice un peu barbare qu’exerce parfois l’opinion publique dans ses réveils inattendus ! […] Pelletan a mise en vente pour payer l’amende et les frais de justice de son procès. […] Il y a donc une justice !

87. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

On ne fonde pas une société sur le culte du plaisir et de la force ; on ne fonde une société que sur le respect de la liberté et de la justice. […] Tous ces maux, il faut les supporter pour confesser sa foi et établir la justice. […] Qu’est-ce que notre justice devant cette justice stricte ? […] Ni mes œuvres, ni ma justice, ni les œuvres et la justice d’aucune créature ou de toutes les créatures ne peuvent opérer en moi ce changement extraordinaire. […] Cela me fit voir que tout le monde, malgré toute la justice qui est en lui, est dans un état de condamnation.

88. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Ce que l’homme n’avait pas et ne concevait pas possible sur la terre, l’égalité, la justice, le bonheur, il le plaçait dans le ciel, et en jouissait par anticipation. […] Inégalité sur la terre, mais égalité dans le ciel ; en d’autres termes, injustice sur la terre, mais justice dans le ciel, voilà ce qu’on disait autrefois. […] J’ai dit plus haut, à propos de la justice, qu’il est horrible de conserver le bourreau après avoir ôté le confesseur. […] L’amour est une forme de l’égalité ou de la justice, de même que l’égalité ou la justice est une forme de l’amour. […] J’aime la justice, et je ne trouve que le hasard.

89. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 2. Caractère de la race. »

César et Strabon nous font un portrait des Gaulois de leur temps, où certains traits nous permettent de nous reconnaître : le courage bouillant et inconsidéré, le manque de patience et de ténacité, la soudaineté et la mobilité des résolutions, l’amour de la nouveauté, un certain sens pratique, et la pente à se mêler des affaires d’autrui pour la justice, le goût de la parure et de l’ostentation, celui de la parole et de l’éloquence, tout cela est français, si l’on veut, autant que gaulois. […] Race plus raisonnable que morale, parce qu’elle est gouvernée par la notion du vrai plutôt que du bien, plus facile à persuader par la justice que par la charité ; indocile, même quand elle est gouvernable, tenant plus à la liber té de parler qu’au droit d’agir, et encline à railler toujours l’autorité pour manifester l’indépendance de son esprit : elle a le plus vif sentiment de l’unité, d’où vient que la tolérance intellectuelle lui est peu familière, et qu’elle est moutonnière, esclave de la mode et de l’opinion, mais tyrannique aussi, pour imposer à autrui la mode et l’opinion, chacun voulant ou penser avec tout le monde ou faire penser tout le inonde avec soi.

90. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

Heureux ceux qui ont faim et soif de justice ; car ils seront rassasiés ! […] Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice ; car le royaume des cieux est à eux !  […] Mais cherchez premièrement la justice et le royaume de Dieu 486, et tout le reste vous sera donné par surcroît.

91. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Il y est parlé du protestantisme et de ces guerres de religion qui n’ont été que la première phase de nos guerres révolutionnaires, et si l’auteur n’y a pas toute la justice qui devrait suivre l’indifférence, il y a au moins l’indifférence qui la précède. […] Si nous le suivions dans le pas à pas de son livre, nous nierions sans broncher sa justice envers un écrivain comme Mathieu (l’auteur du Louis XI, dont il ne parle pas !) […] Voilà ce qui empêche de regarder aux erreurs menues et fait applaudir à la large justice d’un écrivain qui, en jugeant la littérature d’avant Corneille, ne s’est pas rappelé assez qu’il écrit, lui, après Corneille !

92. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’historien, ici dominé par la puissance de la vérité, renonce enfin à flatter son héros ; il se contente de le peindre, il le donne en spectacle et on peut dire même en scandale à la justice de l’histoire. […] Mais ne devançons pas la justice des temps ; les récits qui vont suivre montreront bientôt cette justice redoutable sortant des événements eux-mêmes et punissant le génie qui n’est pas plus dispensé que la médiocrité elle-même de loyauté et de bon sens !  […] La malédiction est la seule justice qui reste aux victimes contre les auteurs de ces désastres de l’humanité ; amollir cette justice, c’est désarmer la conscience des peuples et encourager les conquérants futurs à tout oser devant des historiens qui pardonnent tout. […] Sentez-vous cette édification consciencieuse, cet équilibre intérieur, cette justice satisfaite du bien et du mal qu’une aussi longue histoire doit laisser dans l’âme comme la conclusion historique de tant d’événements et de tant de beaux récits ? Aimez-vous plus la justice ?

93. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Grâce aux Mémoires qui vont paraître dans quelques jours et que nous sommes heureux d’annoncer au public, chacun désormais va le connaître, lui rendre la justice qui lui est due, et le voir au rang estimable qu’il mérite d’occuper. […] On pouvait plus que prévoir dès lors en Mallet du Pan un de ces esprits qui sauraient concilier des idées et des qualités de diverse nature, ne pas verser tout d’un côté, se donner sur les pentes diverses des limites précises, quelqu’un enfin à qui Mme de Staël un jour écrira qu’elle aurait désiré le voir et l’entretenir, ne fût-ce que pour entendre causer des choses avec raison et justice, et pour se reposer « de ces opinions extrêmes, ressource de ceux qui ne peuvent embrasser qu’une idée à la fois ». […] L’inconsistance, l’inconséquence des mesures, toute cette série de légèretés et de témérités, de coups d’État impuissants, qui amenèrent la convocation des États généraux, est vivement présentée par Mallet : Point de combinaison sur les moyens de faire réussir l’opération, dit-il à propos du lit de justice qui suspendit les parlements (8 mai 1788) ; rien qu’un espoir trompé de diviser, de corrompre et d’obtenir la Grand’Chambre, le Châtelet, etc. […] Ce n’est que justice si un rayon tardif aujourd’hui vient tomber sur son front réfléchi et sévère. […] « Autant que j’ai pu vous connaître en vous lisant, lui écrivait Joseph de Maistre (homme pourtant d’une autre ligne), il me paraît que vous aimez faire justice.

94. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

J’aurais tort de m’étonner pourtant, en y réfléchissant, de cette indifférence : c’était naturel ; quand on demande justice ou faveur à son pays, le crime impardonnable, c’est de vivre. […] Ils attendront, avec la patience infatigable de la spéculation, l’heure de ces ventes forcées, de ces encans par autorité de justice, dans l’espoir d’avoir ces millions de terre pour une poignée de papier. […] C’est au nom du Tien qu’on agit ; c’est sa justice qui doit diriger : on ne doit y mêler aucune vue particulière. […] On a dû reconnaître dans cette affaire que la justice et l’humanité m’ont dicté seules la conduite que j’ai tenue. […] Les trente-deux livres suivants sont comme le tableau et le précis philosophique des lois fondamentales de l’État, des principes invariables du gouvernement et des règles générales de l’administration et de la justice.

95. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

D’un écrivain pervers ils font toujours justice. […] Le « lit de justice » est une manière de petit coup d’Etat. […] C’est le pouvoir royal disant à quelqu’un : « A votre égard le cours régulier de la justice est suspendu. […] Le pouvoir en notre temps ne fait pus de lit de justice, parce qu’il n’en a pas besoin. […] Elle demanda justice.

96. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

En un mot, il résulte de la suite des articles que le Parlement gouvernera durant la minorité ; que, lorsqu’il demandera la destitution de quelque ministre ou conseiller, il n’y sera apporté aucune contradiction ; qu’une réforme exemplaire sera introduite dans le maniement des finances, dans la distribution des bénéfices, dans la nomination aux charges, dans l’imposition et la levée des taxes ; bref, « que le pauvre peuple sera soulagé réellement et effectivement, que l’ordre en toutes choses sera remis, et le règne de la Justice pleinement rétabli dans toutes les provinces du royaume ». La conclusion et le but où il en fallait venir est que, le cardinal Mazarin étant incompatible avec cet âge d’or et ce règne de la Justice sur la terre, « il sera incessamment poursuivi jusques à ce qu’il soit mis entre les mains de la justice pour être publiquement et exemplairement exécuté ». […] Retz expose au duc de Bouillon toute sa politique sous la première Fronde, et il faut lui rendre cette justice que, s’il était séditieux, il ne l’était qu’à demi.

97. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

C’est le premier de tous les symboles divins après celui de Jupiter…   Considérons le genre de vertu que la religion donna à ces premiers hommes : ils furent prudents, de cette sorte de prudence que pouvaient donner les auspices de Jupiter ; justes, envers Jupiter, en le redoutant (Jupiter, jus et pater), et envers les hommes, en ne se mêlant point des affaires d’autrui ; c’est l’état des géants, tels que Polyphème les représente à Ulysse, isolés dans les cavernes de la Sicile : cette justice n’était au fond que l’isolement de l’état sauvage. […] Les victimes humaines sont appelées dans Plaute, victimes de Saturne, et c’est sous Saturne que les auteurs placent l’âge d’or du Latium ; tant il est vrai que cet âge fut celui de la douceur, de la bénignité et de la justice !

98. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

Et Dieu, qui prit David pour tuer Goliath, ne pouvait pas faire une plus spirituelle justice. […] Fréron, en dehors des justices qu’il fit sur les médiocrités de son époque, a traité toutes les questions littéraires qui incombent à la Critique et qui sont de son ressort, et il les a traitées avec la certitude d’une supériorité presque toujours infaillible. […] Sous cette plume, d’un naturel profond, et si méprisante du bel esprit qui est le laid, il a des expressions comme celles-ci, que je pourrais multiplier : « Le plat écrivain se rend intérieurement justice.

99. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Depuis le coupable cousu dans un sac qui déferlait sous les ponts humides et noirs du Moyen Age, en criant qu’il fallait laisser passer une justice, on n’a rien vu de plus tragique que la tristesse de cette poésie coupable, qui porte le faix de ses vices sur son front livide. […] On peut la prendre pour une justice, — la justice de Dieu !

100. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

On y voit tour à tour la justice d’un homme d’état, le courage d’un héros, la fierté d’un républicain, la sensibilité d’un ami, et surtout la simplicité de ces hommes antiques qui faisaient de grandes choses sans faste, tandis que depuis on en a fait de petites et quelquefois même de viles avec orgueil. […] C’est dans le temps que les grands hommes sont le plus communs, dit Tacite7, que l’on rend aussi le plus de justice à leur gloire. […] Lucien avec ce talent s’empara donc de son siècle pour en faire justice.

101. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Et quand je me trouve avoir été cinq ans intendant de frontière, et avec assez d’approbation, puis quatorze ans au conseil, fort assidu et en bonne réputation d’intégrité, et que je joindrai à cela une connaissance des pays étrangers et des négociations, alors, si je mérite place dans quelque ministère, on ne dira pas que j’y suis promu comme tant d’autres, et je m’y soutiendrai plus aisément par la justice que par la grâce et la faveur. […] Il aimait la réflexion, l’étude, le vrai pour le vrai, le bien pour le bien ; il avait un sentiment de justice, de droiture, de cordialité que rien n’altéra, et qu’il exprime en des termes d’une sensibilité incomparable : Je suis tout accoutumé, disait-il, à cette espèce d’ingratitude ordinaire, qui est l’oubli des bienfaits, qui ne consiste qu’à ne pas rendre le bien pour le bien. […] De tout cela il lui a résulté peu de soif de la justice, et comme il ne se commande rien à lui-même, par facilité de vivre et par habitude de suivre ses penchants, il ne s’est formé aucuns principes de morale, de justice, ni de droit public ; il ne voit ces règles qu’à mesure des occurrences et de l’offre de chaque espèce, ce qui rend nécessairement cette conduite fautive et peu profonde, n’étant conduite que par l’esprit. […] Cependant voilà le malheur du Français : on prend pour médecins des gens d’imagination (Silva), et pour ministres les robins qui ont le plus fréquenté la Cour, c’est-à-dire ceux qui ont le plus perdu leur temps et qui ont le plus négligé les pauvres et la justice.

102. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Au lieu de s’étendre avec une curiosité tranquille sur le détail de nos misères, il s’était borné à éclairer d’une lumière terrible les principaux objets de notre confiance, ce que l’on pourrait appeler les garanties des sociétés, la justice, la loi, la vertu. […] C’est comme une justice du premier degré, qui abandonne à la justice suprême tous les cas qu’elle ne peut pas accommoder. […] Pour la peine, elle n’est plus bornée, comme dans la morale philosophique, à la vie présente ; mais, en revanche, la morale chrétienne nous parle d’un pardon plus vaste que la peine, et nous promet une justice qui réformera bien des condamnations et cassera bien des absolutions de la justice humaine.

103. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

Il a bien soin d’ajouter : « Mais l’horreur de leur crime passe encore l’horreur de leur supplice. » Il exalte en un autre endroit le procédé de justice expéditive du savetier de Messine, cet homme « dévoré du zèle du bien public », qui se chargeait d’exécuter lui-même le soir, à l’aide d’une arquebuse à vent, les coupables que lui et ses ouvriers avaient condamnés à huis clos dans la journée. […] Non que j’aime une justice trop expéditive : vous savez que j’ai donné des signes de mécontentement lors de l’ascension de Foulon et de Bertier ; j’ai cassé deux fois le fatal lacet. […] au ministère de la Justice en qualité de secrétaire général. […] Quand on ne connaît que de réputation ce pamphlet célèbre et qu’on se met à le lire, on a besoin de quelque réflexion pour s’apercevoir que c’est là un retour au bon sens, aux idées de modération et de justice. […] J’ai dit que Camille, dans un endroit du Vieux Cordelier, a un mouvement d’élévation véritable ; c’est dans le numéro 5, quand il fait bon marché de sa vie et qu’il se montre prêt à la sacrifier pour la cause de l’humanité enfin et de la justice, c’est quand, s’adressant à ses collègues de la Convention, il s’écrie : Ô mes collègues, je vous dirai comme Brutus à Cicéron : Nous craignons trop la mort, et l’exil et la pauvreté.

104. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Aucune vertu, dans quelque sens qu’on prenne ce mot, ne dispense de la justice. » Et il déclare ne pas avoir trop bonne idée « de ces gens qui font de grandes choses aux dépens de la justice. » Le point en quoi Condorcet se sépare de Turgot est ici très net et très sensible : nous touchons à l’anneau par lequel devra se briser entre eux la ressemblance et la similitude des âmes. Turgot, en 93, on peut l’affirmer, serait mort comme M. de Malesherbes, sur l’échafaud ; il serait mort en rendant justice encore à ce roi faible, trompé, mais honnête homme, et qui avait dit en 1776, à la nouvelle des remontrances que préparait le Parlement en faveur des corvées : « Je vois bien qu’il n’y a que M.  […] André Chénier, témoin des mêmes actes, et jugeant Condorcet dans la mêlée comme un transfuge de sa cause, de la cause des honnêtes gens, s’écriait : C…, homme né pour la gloire et le bien de son pays, s’il avait su respecter ses anciens écrits et su rougir devant sa propre conscience ; homme dont il serait absurde d’écrire le nom parmi cet amas de noms infâmes, si les vices et les bassesses de l’âme ne l’avaient redescendu au niveau ou même au-dessous de ces misérables, puisque ses talents et ses vastes études le rendaient capable de courir une meilleure carrière ; qu’il n’avait pas eu besoin, comme eux, de chercher la célébrité d’Érostrate, et qu’il pouvait, lui, parvenir aux honneurs et à la fortune, dans tous les temps où il n’aurait fallu pour cela renoncer ni à la justice, ni à l’humanité, ni à la pudeur. […] Il devait ne pas imiter ces grands prêtres à qui il en voulait tant, et ne pas se dévouer à faire prévaloir sa religion aux dépens de la justice.

105. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 489-496

Helvétius, en passant rapidement sur l’abus de ses talens, en plaignant ses illusions, en rendant justice aux bonnes qualités que je lui avois reconnues, & en m’indignant, par intérêt pour lui, contre une fausse Philosophie qui fut toujours l’ennemie de sa réputation & de son repos. Si ce généreux ami vivoit encore, il rendroit plus de justice à mes sentimens, & seroit le premier à s’élever contre l’Ecrivain qui lui fait les honneurs de m’avoir tiré d’une misere que je n’ai point éprouvée.

106. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

On conçoit qu’avec tous ces souvenirs vivants, en présence de ces membres d’une famille qui est encore aujourd’hui pour la cité ce qu’elle était il y a plus d’un siècle, la fête qui se célébrait, il y a quinze jours, dans la jolie ville d’Hesdin n’était pas une solennité ordinaire, toute d’apparat et de curiosité ; il s’y mêlait un intérêt amical et commun, et ce n’était que justice. […] Le buste avait été placé pour ce jour en dehors de l’hôtel de ville, dont le caractère primitif a dès longtemps disparu sous les restaurations diverses, mais qui a conservé de son ancien style une espèce de tribune en saillie à deux étages et avec dôme : c’est ce qu’on appelle la Bretèche, terme fort en usage dans les coutumes d’Artois pour désigner « le lieu où se font les cris, publications et proclamations de justice ». […] Or, il est dit textuellement dans cette note « qu’un jour que l’abbé Prévost revenait de Chantilly à Saint-Firmin où il habitait, une attaque d’apoplexie l’étendit au pied d’un arbre dans la forêt ; que des paysans qui survinrent le portèrent chez le curé du village le plus voisin ; qu’on rassembla avec précipitation la Justice, qui fit procéder sur le champ à l’ouverture du cadavre, et qu’un cri du malheureux, qui n’était pas mort, arrêta l’instrument et glaça d’effroi les spectateurs ». […] Mgr le prince de Conti, prieur et seigneur temporel et spirituel de Gesne au Bas-Maine, diocèse du Mans, demeurant depuis quelques années dans la paroisse de Saint-Firmin, chez dame Catherine Robin, veuve du sieur Claude-David de Genty, avocat en Parlement ; lequel, ayant expiré dans notre maison presbytérale, a été le lendemain vingt-six dudit mois visité par les officiers de la Justice de Chantilly, d’où cette paroisse dépend ; il a été constaté par ladite visite que ledit Dom Prévost était mort d’une apoplexie… Que s’est-il passé durant les premiers moments dans la maison presbytérale ?

107. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Notes sur l’Ancien-Régime »

La terre des Brosses est, suivant l’usage du pays, évaluée au denier 22, car elle cesse d’être noble par le transport des droits de fief et justice à celle de Blet. […] Droits utiles et honorifiques de la terre de Blet : 1° Droit de haute, basse et moyenne justice sur toute la terre de Blet et autres villages, les Brosses, Jalay. […] En Bourbonnais, jadis la taille était serve et les serfs mainmortables. « Les seigneurs, qui ont encore des droits de bordelage bien établis dans l’étendue de leurs fiefs et justices, sont encore aujourd’hui en possession de succéder à leurs vassaux dans tous les cas, même au préjudice de leurs enfants, si ceux-ci n’étaient résidants avec eux et n’habitaient le même toit. » Mais en 1255, Hodes de Sully, ayant donné une charte, renonça à ce droit de taille réelle et personnelle moyennant un droit de bourgeoisie perçu encore aujourd’hui (voyez plus loin). […] Édit du roi de 1497 fixant cette charge, pour les habitants de Blet et tous ceux demeurant dans l’étendue de la justice, pour ceux de Charly, Boismarvier, etc., à 5 sous par feu et par an, ce qui fut exécuté. « Ce n’est que depuis peu qu’on en a cessé la perception, quoique, par les reconnaissances modernes, tous les habitants se soient reconnus sujets auxdits guet et garde du château. » 10° Droit de péage pour toutes les marchandises et denrées qui passent par la ville de Blet, sauf les blés, grains, farines et légumes.

108. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Mais ici quelques remarques sont nécessaires : la prétention et la ressource de tous les pouvoirs déchus est d’invoquer aussitôt la justice et de s’identifier avec elle. […] « Nous sommes les représentants du droit, de la justice, de la vérité et de la légitimité sociale ; vous, au contraire, enfants de la Révolution, vous êtes des usurpateurs et des hommes du fait. » Cela nous faisait sourire, car nous raisonnions sur ce grand fait révolutionnaire, nous montrions qu’il avait été provoqué, justifié en partie, qu’il avait ses raisons d’être ; et les plus fortes têtes d’entre nous poussaient cette logique des événements jusqu’à établir par maximes une sorte de loi et de fatalité historique inévitable. Aujourd’hui, un grand nombre de ces jeunes hommes d’alors, après avoir passé par le pouvoir et par le gouvernement à leur tour, se voyant déchus à l’improviste et dépossédés, vont recommencer, s’ils n’y prennent pas garde, le raisonnement des hommes d’autrefois ; ils vont vous démontrer point par point qu’ils représentent le droit, la justice, la légitimité sociale ; tout cela, à les entendre, est en eux seuls et non pas en d’autres : ils en gardent le dépôt, et ils vous en parleront avec autant de zèle et de componction qu’aurait pu faire un bon royaliste au lendemain de juillet 1830. […] M. de Lally-Tollendal et ses amis s’étaient arrêtés à un certain jour de l’Assemblée constituante ; la justice et la vérité politique se prolongeaient pour eux jusqu’à ce jour-là, et ne subsistaient pas vingt-quatre heures de plus.

109. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Qui leur a montré, par-delà les limites et sous le voile de l’univers, un Dieu caché, mais partout présent, un Dieu qui a fait le monde avec poids et mesure, et qui ne cesse de veiller sur son ouvrage, un Dieu qui a fait l’homme parce qu’il n’a pas voulu retenir dans la solitude inaccessible de son être ses perfections les plus augustes, parce qu’il a voulu communiquer et répandre son intelligence, et, ce qui vaut mieux, sa justice, et, ce qui vaut mieux encore, sa bonté ? […] Qui leur a dit qu’au-dessus de toutes les incertitudes, il est une certitude suprême, une vérité égale à toutes les vérités de la géométrie, c’est à savoir que, dans la mort comme dans la vie, un Dieu tout-puissant, tout juste et tout bon, préside à la destinée de sa créature, et que derrière les ombres du trépas, quoi qu’il arrive, tout sera bien, parce que tout sera l’ouvrage d’une justice et d’une bonté infinies ? […] Cette connaissance de la liberté produit l’idée du devoir ; analysant cette idée, on y trouve d’abord celle de la justice, puis celle de la tempérance, puis celle de la charité et de tous les degrés de la charité. […] Quelques lignes auparavant, vous retrouvez encore ce mélange d’élévation et d’aisance qui, depuis le dix-septième siècle, semblait perdu : « un Dieu qui a fait l’homme, parce qu’il n’a pas voulu retenir dans la solitude inaccessible de son être ses perfections les plus augustes, parce qu’il a voulu communiquer et répandre son intelligence, et, ce qui vaut mieux, sa justice, et, ce qui vaut mieux encore, sa bonté. » La première phrase touche au sublime ; la seconde descend presque jusqu’au laisser-aller.

110. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Taine ne l’a vu, et Milton aussi, l’auguste Milton, ne sont pas traités avec la même justice. J’ai dit : justice, car il est clair que M.  […] Mais si j’ai dit : justice, je n’ai pas dit : justesse.

111. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

C’est ce qui fait que nulle théologie ne s’entend bien à la justice, cette chose morale qui a pour mesure propre le degré de mérite proportionnel à l’effort de volonté. […] Ce n’est pas seulement la justice, dans certaines de ses applications sociales, qui manque à la morale théologique, c’est le principe même de la justice, la personnalité humaine, qu’on n’y retrouve plus, ou qu’on y retrouve tellement confondue avec la personnalité divine qu’il devient impossible à la conscience de l’homme religieux de fixer le degré de mérite de ses actes. […] On sait ce que vaut et ce que peut la justice humaine. […] Donc nécessité d’un Dieu qui juge, et d’une autre vie où justice entière soit faite à tous les agents libres selon leurs mérites. […] L’âme du Christ contenait en elle un Dieu nouveau, supérieur au Dieu de Moïse, un Dieu de bonté et d’amour, tandis que l’autre est surtout un Dieu puissant et jaloux, terrible dans ses justices, cruel dans ses vengeances.

112. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Sur la scène solennellement émouvante, où des personnages à la fois héroïques et criminels combattent pour le triomphe d’un droit saint en lui-même, mais inique en ce qu’il ne peut triompher que par la ruine d’un autre droit inviolable, plane, jusqu’à la catastrophe finale, l’ombre de la Némésis tragique, comme l’Harmonie suprême et la Justice absolue, qui brisera la justice relative de toutes les volontés particulières, pour rétablir l’accord rompu entre les idées morales, et opérer ainsi la réconciliation intérieure du Divin rentré dans son repos181. […] Tartuffe se brise contre la Religion dont il a pris le masque, contre la sainteté du Foyer conjugal, et contre la justice du Roi. […] Avec ses grands airs de justice, elle renferme en elle-même plus d’injustice que toute celle qu’elle veut renverser, elle ne peut aboutir qu’au crime. […] Ce qui dans le dénouement tragique est détruit, c’est seulement la particularité exclusive… Au-dessus de la simple terreur et de la sympathie tragiques plane le sentiment de l’harmonie que la tragédie maintient en laissant entrevoir la justice éternelle qui, dans sa domination absolue, brise la justice relative des fins et des passions exclusives, parce qu’elle ne peut souffrir que le conflit et le désaccord des puissances morales, harmoniques dans leur essence, se continue victorieusement et conserve une existence réelle et vraie. […] L’homme de justice, à la fin, est obligé de dire : Remettez-vous, Monsieur, d’une alarme si chaude.

113. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

— Ne savez-vous pas, continua-t-il en s’adressant à lui-même, ne savez-vous pas que Jupiter a auprès de lui, sur son trône, d’un côté la justice et de l’autre côté Thémis ? […] Le premier qui l’institua rendit un immense service ; car, si l’homme, parvenu à toute sa perfection, est le premier des animaux, il en est aussi le dernier quand il vit sans loi et sans justice. […] « Certes, la vertu peut, selon nous, élever la voix non moins justement ; la vertu sociale, c’est la justice, et toutes les autres ne viennent nécessairement que comme des conséquences après elle. […] « Tout ceci semble démontrer clairement qu’il n’y a de complète justice dans aucune des prérogatives, au nom desquelles chacun réclame le pouvoir pour soi et l’asservissement pour les autres. […] La justice ici, c’est l’égalité ; et cette égalité de la justice se rapporte autant à l’intérêt général de l’État qu’à l’intérêt individuel des citoyens.

114. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Pourvu que ce gouvernement du suffrage universel émane de tous les citoyens capables, et ne laisse à aucune classe l’oppression des castes sur les âmes, pourvu que ce gouvernement soit l’expression de la justice, qu’importe sa forme, si cette forme est opportune et si elle répond aux besoins de conservation ou de progrès dans la nation ? […] Les privilèges se nivellent d’eux-mêmes, la tolérance des cultes fait justice à toutes les consciences, les grands se sacrifient, le peuple s’exalte, les vérités encore en théorie pleuvent de chaque bouche au milieu d’une ivresse qui semble unanime ; on dirait l’explosion d’une révélation civile, éclatant de son propre éclat dans toutes les âmes et pulvérisant d’évidence tous les obstacles à la réformation des institutions du moyen âge. […] VII Toutes ces tendances exigeaient évidemment, pour être graduellement obéies, un élargissement immense du régime électoral, étroit, privilégié, et par conséquent dangereux à un jour donné pour la société elle-même, qui ne vit que de justice et qui meurt toujours de privilège. […] On doit justice même à ce que l’on réprouve, et, s’il y a une vertu mêlée par hasard au crime dans un homme justement abhorré de ses ennemis ou de ses victimes, il ne faut point nier cet amalgame monstrueux, mais souvent réel ; il faut séparer, avec une sincérité loyale, cette vertu du crime, et dire à l’histoire : Ceci était vertu, ceci était crime ; et ceci, crime et vertu, était l’homme. […] La moindre justice dans l’historien lui paraît une complicité, la moindre équité est à ses yeux une connivence.

115. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

« Remercions aussi l’artiste distingué dont le ciseau a si bien servi cette pensée d’amitié et de justice, et a su figurer à nos yeux l’image et l’esprit de notre ami dans une composition heureuse. […] La justice de l’Empereur se plut à reconnaître ses services en cette occasion, qui en résumait tant d’autres, et à l’en récompenser par des marques de bonté qui ont rejailli sur son excellente veuve. […] J’estime et j’aime beaucoup de ces académiciens gréco-latins ; mais comment pas un, du vivant de Dübner, n’a-t-il élevé hautement la voix dans cette Académie pour la rappeler à la justice ?

116. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Arrive une députation des Aquicoles : il s’agit de donner une nouvelle constitution à leur cité. « Toutes les victimes nécessaires pour obtenir l’assistance des dieux, nous les fournirons  Consultez l’esprit des pères, répond Antistius ; pratiquez la justice et respectez les droits des hommes  Hé ! […] Et voici l’un de ses derniers cris : « Impossible de sortir de ce triple postulat de la vie morale : Dieu, justice, immortalité ! La vertu n’a pas besoin de la justice des hommes ; mais elle ne peut se passer d’un témoin céleste qui lui dise : Courage !

117. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Elles lui mettent le marché à la main : « Survivre, oui : tu survivras si… tu obéis. » — L’illusion messianiste qu’on retrouve dans les morales laïque et humanitaire ne diffère guère de la précédente illusion. « Sacrifie-toi, dit-on à l’individu, ne t’insurge pas contre la société injuste ; la justice régnera un jour. » — Comme si cette promesse n’était pas une dérision et une injure à cette idée de justice que l’on invoque. Car si la justice se réalise un jour, elle n’aura pas d’effet rétroactif ; le futur ne rachètera pas le passé et le contraste de la perfection de l’état futur avec l’imperfection ancienne ne fera que rendre plus sensibles les injustices passées et irréparables. — Spiritualisme, Messianisme, ce sont deux « stades de l’illusion » dont parle M. de Hartmann.

118. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

En se montrant juste, il aurait peut-être entraîné son pays à la justice, et il aurait accompli le plus bel acte de l’historien, qui est de venger la vérité outragée, cette vérité qu’il ne faut pas grand courage pour outrager, puisqu’elle est impassible ! […] Malheureusement, cette justice à rendre à un homme qui mourut loin de son trône et loin de son pays, mais ferme dans sa conscience comme dans son poste, n’a point tenté Macaulay. […] Quant aux cruautés qu’on lui reproche, quant à ces terribles et vivants témoignages qu’on invoque : Jeffreys et le colonel Kirke, il faut se rappeler les idées d’un temps qui croyait que la première des vertus était la fidélité au prince, et ces mœurs publiques qui avaient été pétries dans le sang des guerres civiles, mais surtout, quand on est, comme Macaulay, l’auteur de la belle théorie des décimés de l’Histoire, il fallait savoir l’appliquer, pour l’honneur de la vérité et de la justice, fût-ce à ses ennemis !

119. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Mais une fois mort, la Justice, qui est encore, je crois, plus boiteuse que la Prière, atteint enfin ce mausolée immobile, et le douloureux logogriphe de la vie qui n’avait pas de sens trouve enfin son mot quand la vie n’est plus ! […] Le large tribut d’admiration que Balzac a payé à Beyle n’est que la reconnaissance légitime d’un légataire pour son bienfaiteur. » À notre sens, le spirituel passionne de l’Amour manque profondément de justice. […] Un éditeur qui se dévoue la tire de cet oubli et la replace sous les yeux du public, comme un homme qui compte sur la justesse de son jugement et sur sa justice.

120. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Cérès, s’avançant, montre au roi, chef de la justice, à Triptolème, à Dioclès, qui maîtrise les coursiers, au puissant Eumolpe, à Célée, pasteur des peuples, les saints rites de ses autels : elle leur enseigne à tous les divins mystères, à Triptolème, à Polyxène, à Dioclès, ces mystères terribles qu’il n’est permis ni de pénétrer, ni de savoir, ni de redire ; car une grande crainte des dieux enchaîne ici la voix. […] Ailleurs, se faisant aussi guerrier que le Crétois Hybrias dans une vieille chanson, il disait43 : « Avec la lance, je trouve le pain pétri pour moi ; avec la lance, je recueille la vendange d’Ismare ; avec la lance, j’ai de quoi boire à mon aise couché. » Mais cette prouesse ne se soutint pas ; et, par une justice du sort, l’aveu de sa faiblesse a survécu dans le petit nombre de vers qui nous sont restés de lui. […] Une seule tradition merveilleuse mêlée à son souvenir témoigne bien de l’idolâtrie des Grecs pour les dons de l’esprit, au préjudice de tout intérêt de justice ou même de vengeance.

121. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Je sais que la religion et la justice sont les colonnes et fondements de ce royaume, qui se conserve de justice et de piété ; et quand elles ne seraient, je les y voudrais établir, mais pied à pied, comme je ferai en toutes choses. […] Le roi tenait ce grave discours à ses officiers et gens de justice le 24 ; la veille, il avait écrit ces mots plus lestes à Gabrielle : « Ce sera dimanche (après demain) que je ferai le saut périlleux. » Ce mot a scandalisé à bon droit ; mais il ne faut jamais oublier que Henri IV, nonobstant les sentiments, avait une manière gaie involontaire de prendre et d’exprimer même ce qu’il avait de plus à cœur et de plus sérieux. […] Ils sont à nous : je le juge par l’envie que vous avez de combattre ; mais pourtant nous devons tous croire que l’événement en est en la main de Dieu, lequel sachant et favorisant la justice de nos armes, nous fera voir à nos pieds ceux qui devraient plutôt nous honorer que combattre.

122. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

La justice était sans aucune direction. […] Un jour qu’il était en veine de querelle avec lui, il vint trouver M. l’intendant et lui dit : « Qu’il y avait longtemps que sa conscience lui reprochait sa condescendance pour le procureur général, sur la vie scandaleuse qu’il menait, n’ayant pu l’obliger à mettre hors de chez lui la fille qu’il entretenait au vu et au su de tous ; qu’il était résolu, avant d’en venir aux monitions canoniques, d’avoir recours au Parlement, et de demander l’assemblée des Chambres pour se disculper envers la Compagnie, s’il était obligé d’agir par les voies ecclésiastiques. » « Je crus donc, ajoute Foucault, devoir profiter de la conjoncture de leur brouillerie pour le bien de la justice et de l’ordre, et approuvait résolution de M. de Lescar, en lui disant qu’il ne pouvait trop tôt la mettre à exécution. […] Si Foucault n’avait fait que des expéditions de ce genre, suivies de légers mensonges pour chatouiller l’orgueil du maître, péché bien véniel, — s’il n’avait eu pour l’ordinaire qu’à s’occuper du règlement de la justice, de sa distribution équitable et intègre (ainsi qu’il le fit) et d’autres mesures de ce genre conformes aux vrais principes et à l’Ordonnance de 1667, nous le louerions comme un digne et fidèle élève de Colbert et de Pussort. […] Il était fils de Foucault, greffier de la Chambre de justice de M. 

123. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

C’était (sauf des différences qu’il serait trop long ici d’expliquer), c’était en somme une tentative de réorganisation de la justice en France sur un plan uniforme et d’après l’idée d’une législation homogène ; mais les auteurs de ce plan avaient bien moins songé à l’ordre judiciaire et à la justice en elle-même qu’aux conséquences politiques de cette mesure dans les difficultés extrêmes où ils se trouvaient. […] Dans ce Mémoire, si plein de justice, de vérité et de toutes les droites inspirations humaines, on voudrait vers la fin quelques accents de plus, je ne sais lesquels, mais comme un Cicéron en aurait su trouver. […] Portalis, en entrant dans les Conseils avec Siméon, dont il avait épousé la sœur, vit tout d’abord Thibaudeau, qui s’était honoré dans les derniers temps de la Convention par sa résistance aux mesures exceptionnelles et révolutionnaires trop prolongées : « Nous vous prenons pour chef de file, lui dirent-ils, nous voulons marcher sur votre ligne. » Cette ligne était celle aussi qui aurait fait marcher la Constitution sans violence, sans infraction aux lois, et en y faisant entrer le plus possible les idées de régularité et de justice.

124. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Oui, sans doute, on le sent bien à la lecture, il a manqué quelque chose à cette éloquence ; cet œil ne lançait point d’étincelles ni d’éclairs ; cette voix n’avait point d’éclats sonores, ni de ce qui vibre à distance ; mais du moins un sentiment juste, équitable, pénétré, animait cette gravité douce et abondante ; une imagination tempérée y jetait plutôt de la lumière que de la couleur ; parfois la finesse et une certaine grâce d’ironie n’y manquaient pas ; l’humanité surtout, avec la justice, en était l’âme, et cet orateur au ton sage avait en lui toutes les piétés. […] Il établit les maximes hospitalières consacrées chez tout ce qui n’est point barbare ; il y joint ses aphorismes habituels de justice et de civilisation : « Il faut faire, en temps de paix, le plus de bien, et, en temps de guerre, le moins de mal qu’il est possible. » Il cite à l’appui la belle réponse de ce gouverneur espagnol de La Havane au capitaine de vaisseau anglais, qui, au moment du naufrage, jeté dans le port par la tempête, vient se livrer à lui pendant la guerre de 1746 : « Si nous vous eussions pris dans le combat, en pleine mer ou sur nos côtes, votre vaisseau serait à nous, vous seriez nos prisonniers ; mais, battus par la tempête et poussés dans ce port par la crainte du naufrage, j’oublie et je dois oublier que ma nation est en guerre avec la vôtre. […] Je ne parle point des Jacobins, qui ne sont qu’une poignée d’hommes que l’apparence même de la justice peut faire disparaître. […] Des observations bien faites produisent la sagesse, comme des affections bien ordonnées disposent à la justice.

125. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Les Hellènes servaient donc la justice et l’humanité. […] Et les effets en sont plus funestes encore quand le peuple vaincu a longtemps représenté dans le monde la justice.

126. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Elle vient et revient à la charge, demandant au roi justice et vengeance ; elle le fait en des termes singuliers : « Ô roi ! […] Je le lui ai envoyé dire ; il m’a envoyé menacer qu’il me couperait les pans de ma robe… Un roi qui ne fait point justice ne devrait point régner, ni chevaucher à cheval, ni chausser des éperons d’or, ni manger pain sur nappe, ni se divertir avec la reine, ni entendre la messe en un lieu consacré, parce qu’il ne le mérite pas !  […] si je prends ou fais tuer le Cid, mes Cortès se révolteront ; et, si je ne fais point justice, mon âme le payera. » Et là-dessus Chimène prend la balle au bond et dit : « Tiens, toi, tes Cortès, ô roi ; que personne ne les soulève ; et celui qui tua mon père, donne-le-moi pour égal : car celui qui m’a fait tant de mal me fera, je sais, quelque bien. » Chimène se conduit encore ici comme dans la Chronique ; elle insiste seulement beaucoup plus sur ses griefs et sur les raisons qu’elle a de demander justice. […] Jusqu’ici elle a demandé justice, et maintenant elle veut se marier avec lui ! 

127. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

Il le déclare donc, et il le répète, il occupe, au nom de tous les accusés possibles, innocents ou coupables, devant toutes les cours, tous les prétoires, tous les jurys, toutes les justices. […] Le peuple indigné prit des pierres et se mit dans sa justice à lapider le misérable bourreau. […] Injustice sans doute, mais au fond de laquelle il y avait de la justice. […] Cela s’appelle un acte public et solennel de haute justice. […] La justice ravalée aux stratagèmes et aux supercheries !

128. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Si bien instruit qu’il soit des faits, on peut lui reprocher de juger les personnes et les choses en homme d’école plutôt qu’en historien ; mais on lui rendra cette justice, que sa mesure de jugement n’a rien de commun ni avec la morale du succès, ni même avec la morale de l’utile. […] Michelet est un vivant enseignement de la justice. […] La fatalité, quand elle n’est pas contraire à l’ordre moral, peut être saluée comme une bonne fortune pour le triomphe de la justice. […] L’ordre se reconnaît à de tout autres caractères : à la vérité des principes, à la justice des actes, à la beauté et à la bonté des œuvres. […] On peut admirer le génie triomphant par la force ; heureuse ou malheureuse, la vertu au service de la justice a toujours droit à la même estime.

129. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

L’homme d’aujourd’hui est le produit suprême de ce développement ; or, comme l’explique Sully-Prudhomme dans son poème de la Justice, ce long effort d’où nous sommes sortis constitue notre dignité. […] Et ce cri vers Dieu : Tout affamé d’amour, de justice et de bien, Je m’étonne parfois qu’un idéal se lève Plus grand dans ma pensée et plus pur que le tien !

130. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Il a enseigné le respect des lois et de la justice plus spécialement encore que l’amour de la liberté. […] On remarque que c’est un disciple de Voltaire, nourri de ses conversations journalières, qui a rendu cette justice à Racine. […] La condamnation de Louis XVI ne fut motivée par aucun de ses prétendus juges, ni sur les principes de la justice, ni sur les règles légales. On tira de la souveraineté du peuple, et de la suprême loi du salut de l’État, une dérogation avouée aux lois d’éternelle justice. […] Dès qu’une volonté peut prévaloir contre la justice, il y a despotisme ; absence de justice, c’est absence de liberté.

131. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Une justice plus clémente, un Dieu plus tendre à la faiblesse humaine y accorde aux élus la grâce des réprouvés. […] On ne manqua pas de dire que c’était avec justice qu’on voyait nager dans son propre sang un prince qui avait si cruellement répandu celui de ses sujets. […] Ce principe est si général et si naturel qu’il se montre à tout moment dans les moindres actes de la justice humaine. […] C’est pourquoi je ne comprends rien aux paroles déclamatoires par lesquelles, dans la Justice, m’a répondu naguère le docteur Clémenceau. […] C’est la science sociale qui se fait, mes maîtres, la science de justice et de liberté, par qui se fera la faillite du dogme de servitude de l’esprit et du corps.

132. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Les plus hautes justices — celles qui confondent le mieux les faux jugements des hommes — sont les justices lentes à venir. […] Impossible à écrire jusqu’ici, par conséquent imprévu comme une révélation, ce livre est une de ces justices dont nous parlions tout à l’heure, de celles-là qui sont lentes à venir pour mieux frapper l’esprit de l’homme et s’éterniser sous son regard. […] Clément XIII avait le sentiment du droit de l’Église et de la justice, et il est mort en résistant noblement parce qu’on opprimait ce double sentiment dans son âme, mais ce qu’il fallait, dans ces temps néfastes, c’était l’omnipotence du caractère. […] En effet, il n’y a point de grandeur sans vérité et sans justice, et c’est de justice qu’elle a manqué.

133. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

Telles sont les grâces de Louis le Grand, grâces semblables aux influences du plus beau des astres, et qui me donnent droit de dire avec plus de justice, à l’honneur du roi, que Tertullien n’écrit pour flatter les princes de l’Afrique : l’État et le ciel ont le même sort, et doivent leur bonheur à deux soleils… À ces mots, le voisin de Racine dut se pencher vers lui et lui rappeler à l’oreille la harangue de maître Petit-Jean : Quand je vois le soleil, et quand je vois la lune… Et le voisin de La Bruyère reçu l’année d’auparavant et avec un si éloquent discours, put lui dire : « Ah ! […] — Pressé d’arriver à l’éloge direct de son nouveau confrère, l’abbé de Caumartin, ne craignit pas de toucher le point délicat, la solidité des titres académiques, et tout en caressant le glorieux personnage sur ses autres qualités et prétentions extérieures de manière à le gonfler devant tous, il se piqua de lui faire accroire qu’il ne tenait qu’à lui de pouvoir s’en passer : C’est ce qui nous le fait regretter avec justice, disait-il en parlant des mérites modestes de Barbier d’Aucour, et notre consolation serait faible, si elle n’élait fondée que sur la différence de vos conditions. […] Que de puissants motifs à l’Académie pour vous choisir, et quel bonheur pour elle de pouvoir, en vous associant, satisfaire en même temps à la justice, à son inclination, et à la volonté de son Auguste Protecteur ! […] Il courut se plaindre au père de La Chaise, puis au roi, demandant justice d’un petit prestolet, d’un petit bourgeois qui s’était attaqué en public à un homme comme lui64.

134. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Les historiens s’étaient donc contentés jusqu’à présent de parler de Louvois d’une manière assez générale, rendant plus ou moins de justice à son administration, mais insistant avant tout sur les vices et les défauts de son caractère. […] Vauban indigné répond, et, à son tour, il réclame, il exigé stricte et rigoureuse justice. Cette lettre du 15 décembre 1671 est à encadrer dans un cadre d’or ; elle est à mettre à côté de telle page de L’Hôpital, de telle allocution de Gerson, de telle réponse de ces vieux et grands parlementaires Achille de Harlay ou de La Vacquerie ; c’est l’éloquence du cœur, toute pure et toute crue, et qui n’y va pas par quatre chemins : « Il est de la dernière conséquence d’approfondir cette affaire, tant à l’égard du préjudice que le service du roi en peut recevoir, si ces Messieurs ont dit vrai, que de la justice que vous devez à ceux qui, pour faire leur devoir trop exactement, sont injustement calomniés. […] Mais aussi, si mes accusateurs ne peuvent pas prouver ou qu’ils prouvent mal, je prétends que l’on exerce sur eux la même justice que je demande pour moi.

135. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

On croit entendre les clameurs d’un Isaïe ou d’un Ezéchiel : protestation du droit contre la force, affirmation de la justice contre la violence, espérance superbe de la conscience qui, blessée du présent, s’assure de l’éternité. […] Une idée philosophique et sociale soutient chaque poème : ici affirmation de Dieu ou de la justice, la dévotion au peuple, haine du roi et du prêtre. […] Sully Prudhomme a fait un poème sur la Justice : il la cherche dans l’univers, qui lui montre partout la lutte, la haine, la faim ; il ne la trouve enfin que dans la conscience de l’homme. […] Stances et poèmes (1865) ; Solitudes (1869) Vaines Tendresses (1875) ; la Justice ( 1878) ; le Bonheur (1888). — Éditions : Lemerre. in-18, et pet. in-12

136. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

En assises, au lieu de la fierté du champion de la justice, il montra la vanité de l’homme de lettres et la flagornerie de l’accusé. […] Il était sincère, ce défenseur fortuit de la justice, quand il proclamait : « Votre très légitime inquiétude est l’état déplorable dans lequel sont tombées les affaires. » Les affaires, dans la pensée de ce bourgeois comme dans celle des douze autres, voilà le dieu légitime qui mérite toutes les adorations et toutes les immolations. Le Figaro l’abandonne, et lui ne s’indigne pas ; il comprend : « J’admets très bien, pour un journal, la nécessité de compter avec les habitudes et les passions de sa clientèle. » Quoi, même lorsqu’il s’agit de ce qui apparaît à tes yeux naïfs la grande bataille de ton siècle, tu admets qu’on sacrifie la justice à un intérêt personnel et que, s’étant jeté volontairement dans la lutte, on s’enfuie à la pensée du risque, abandonnant sans armes ses compagnons de combat. […] Tu t’inclines donc, pensée lâche, devant la justice des juges ; et leurs paroles, même quand plus rien de matériel ne les sanctionne, te paraissent dignes d’autre chose qu’un haussement d’épaules.

137. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Mais il en est ainsi de presque tous les honneurs : la justice les institue, la politique les conserve quelque temps au mérite, bientôt la vanité les réclame comme un droit, le vice les usurpe par l’intrigue : au lieu d’honorer ceux à qui on les accorde, quelquefois ceux qui les obtiennent les déshonorent ; et ce qui devait être glorieux et rare, finit par être prodigué et avili. […] Non, lorsque Antonin ou Trajan moururent autrefois dans cette même ville, et que la douleur publique prononça leur éloge en présence des citoyens, dont ils avaient fait le bonheur pendant vingt ans, je suis bien sûr qu’on n’y parla pas davantage de vertu, de justice, de larmes et de désolation des peuples. […] Ses confrères, les pénitents de Lyon, n’approuvèrent point du tout la justice qu’il s’était rendue à lui-même, et firent une grande pompe funèbre « en déploration du massacre fait à Blois, sur Louis et Henri de Lorraine, suivie d’une oraison sur le même sujet ». […] La justice et la renommée qui le louèrent sur son tombeau, ne s’éloignèrent des bords du mausolée, que pour aller répéter ces éloges de pays en pays et de siècle en siècle.

138. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

M. l’abbé Mitraud est un de ces esprits qui croient au développement futur ou possible sur la terre d’une justice et d’une liberté absolues, et qui commencent par oublier les conditions de la nature de l’homme et les idées qu’il faut avoir de la liberté et de la justice, car la liberté a ses trois limites de nombre, de mesure et de poids qu’aucune théorie ne saurait briser, et la Justice a son glaive à côté de sa balance, le glaive qui, par la rigueur du retranchement, rétablit l’égalité des proportions !

139. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Et en vain nous répéterait-il (ce qu’il nous dit si haut dans son histoire) qu’il n’a eu en vue, quand il l’a entreprise, que la justice et la vérité. Est-ce que, pervers ou vertueux, tout ce qui a jamais écrit quatre lignes d’histoire ne s’est pas toujours réclamé de la vérité et de la justice, et la critique a-t-elle le temps ou la puissance d’écouter ces trop naïves ou trop rusées déclarations ? […] Cette voix d’un prêtre qui intervient avec miséricorde dans les justices et les châtiments de l’histoire, nous touche et nous trouble.

140. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Il fit couler le sang des ennemis, avec cette fureur que les caractères atroces nomment justice : l’orateur, en le louant d’une humanité qu’il n’avait pas, tâche au moins de lui inspirer les sentiments qu’il devait avoir. […] Chargé de l’emploi d’Aristide, ils sont forcés d’avoir sa justice. […] Valens, qui ne manqua jamais une occasion d’être cruel, sous prétexte d’être juste, l’avait fait traîner dans les prisons, où il souffrit tous les tourments que notre justice barbare ne compte pour rien, parce que ces tourments ne sont point la mort.

141. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Et cela était juste, et d’une justice gracieuse. […] Tous ces hommes de génie ont sur nous assez d’avantages ; et notre instinct de justice trouve son compte dans toutes ces divulgations, dussent-elles les rabaisser un peu.

142. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Merrill, Stuart (1863-1915) »

Sans doute, est-il, là-bas, des tâches nécessaires — révolte, gestes de justice — qu’il ne faut point délaisser : Ô mon Dieu, je m’agenouille au coin du feu ; Et j’ose vous demander où est mon vrai devoir : Est-ce dans la joie de votre création, ô Dieu, Ou là-bas dans la ville où le soleil est noir ? […] Van Bever Disciple fervent de la Beauté, il le fut non moins de la Justice, et pendant que ses vers, en France, faisaient le charme d’une élite, il organisait les groupes socialistes américains à New York.

143. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sully Prudhomme (1839-1907) »

. — La Justice (1878) […] Sully Prudhomme, avec ses poèmes, la Justice, le Bonheur, a voulu, et cet effort mérite tous les éloges, faire entrer dans les solides cadres de ses dogmes moraux et de ses conceptions sociales, la matière frémissante d’une riche sensibilité que tout ébranle, que tout froisse et meurtrit.

144. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau et M. de Voltaire. » pp. 47-58

Sa patrie lui rend la justice qu’on ne lui a jamais refusée dans tout le reste de l’Europe. […] On ne sçauroit refuser à M. de Voltaire la justice d’avoir toujours écouté la critique, lorsqu’elle étoit impartiale & juste.

145. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

Cochin, à qui je ne crains pas de m’associer en cette occasion — de s’inspirer dans les questions religieuses du principe supérieur de la tolérance… Je dis que sur ce point vous pouvez compter à la fois et sur la vigilance du gouvernement pour maintenir les droits de l’État, et sur l’esprit nouveau qui l’anime (Applaudissements répétés au centre et à droite)… Cet esprit nouveau, c’est l’esprit qui tend, dans une société aussi profondément troublée que celle-ci, à ramener tous les Français autour des idées de bon sens, de justice et de charité qui sont nécessaires à toute société qui veut vivre… » (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs. […] A travers le serf et le seigneur, elle à vu l’homme, et par-delà le pouvoir, la justice : c’est d’elle que date la cité.

146. (1894) Critique de combat

Qu’on ne lui parle pas d’introduire dans l’économie politique la compassion, le sentiment de la justice ! […] On sentait sous les mots une âme ardente, passionnée pour la justice et la vérité. […] Fils, je suis la Justice. […] Il a pu, dans un pays libre, enseigner en pleine liberté ce qu’il croyait être la vérité et la justice. […] Que faire pourtant, si tout cela n’est que justice ?

147. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Le portrait de paix et de justice est connu ; c’est celui du chêne de Vincennes et du jardin de Paris ; je le citerai tout à l’heure en son lieu. […] Les autres, qui n’avaient pas eu le courage de donner cet avis, n’osèrent toutefois le contredire : « Il n’y avait là personne qui n’eût de ses proches amis en prison ; par quoi nul ne me reprit, dit Joinville, mais se prirent tous à pleurer. » Il se livrait donc en leur cœur une sorte de lutte entre le violent désir qu’ils avaient de rentrer en France, et le sentiment de compassion et de justice qui leur disait qu’il n’était pas bien d’abandonner des frères et des compagnons malheureux. […] Il y avait plus de quinze ans que saint Louis était rentré dans son royaume, qu’il en réparait les plaies, qu’il y affermissait chaque jour un ordre de justice et y pourvoyait au bonheur de ses sujets, quand malade et affaibli avant l’âge, au point de ne pouvoir supporter ni le cheval ni à peine la voiture, il se sentit ressaisi d’une extrême ardeur d’aller encore combattre ou plutôt mourir sous la croix (1270). […] Car, de même que saint Louis, malgré sa piété, résiste quelquefois à l’Église quand il s’y croit fondé en justice et sur le bien de ses sujets, de même Joinville, malgré son dévouement à son maître, lui résiste quand il se croit dans le juste et dans le vrai.

148. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

M. de Harlay était trop courtisan et trop voué à son ambition pour avoir le sentiment de la justice ; mais il était doux, d’un naturel humain, et il dut souffrir de ces sévérités exigées en son nom et pour sa défense. […] Le roi, ayant voulu acquérir les justices de Paris appartenant à l’archevêque, on avait proposé à celui-ci, en manière d’échange, Meudon ou Conflans ; et sur le choix du prélat, le roi avait acheté Conflans de M. de Richelieu pour l’unir à l’archevêché. […] … Mystères terribles de la justice de Dieu, profonds abîmes de ses jugements, ce n’est pas à nous à vous pénétrer, mais nous ne saurions assez vous redouter. […] On revint pourtant, peu à peu, au sujet de M. de Harlay ; on lui rendit plus de justice.

149. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Gens sans aveu, réfractaires de tout genre, gibier de justice ou de police, besaciers, porte-bâtons, rogneux, teigneux, hâves et farouches, ils sont engendrés par les abus du système, et, sur chaque plaie sociale, ils pullulent comme une vermine  Quatre cents lieues de capitaineries gardées et la sécurité du gibier innombrable qui broute les récoltes sous les yeux du propriétaire, provoquent au braconnage des milliers d’hommes d’autant plus dangereux qu’ils bravent des lois terribles et sont armés. […] On rappelle les exploits de Mandrin en 1754756, sa troupe de cent cinquante hommes qui apporte des ballots de contrebande et ne rançonne que les commis, ses quatre expéditions qui durent sept mois à travers la Franche-Comté, le Lyonnais, le Bourbonnais, l’Auvergne et la Bourgogne, les vingt-sept villes où il entre sans résistance, délivre les détenus et vend ses marchandises ; il fallut, pour le vaincre, former un camp devant Valence et envoyer 2 000 hommes ; on ne le prit que par trahison, et encore aujourd’hui des familles du pays s’honorent de sa parenté, disant qu’il fut un libérateur  Nul symptôme plus grave : quand le peuple préfère les ennemis de la loi aux défenseurs de la loi, la société se décompose et les vers s’y mettent  Ajoutez à ceux-ci les vrais brigands, assassins et voleurs. « En 1782, la justice prévôtale de Montargis instruit le procès de Hulin et de plus de 200 de ses complices qui, depuis dix ans, par des entreprises combinées, désolaient une partie du royaume757. » — Mercier compte en France « une armée de plus de 10 000 brigands et vagabonds », contre lesquels la maréchaussée, composée de 3 756 hommes, est toujours en marche. « Tous les jours on se plaint, dit l’assemblée provinciale de la Haute-Guyenne, qu’il n’y ait aucune police dans la campagne. » Le seigneur absent n’y veille pas ; ses juges et officiers de justice se gardent bien d’instrumenter gratuitement contre un criminel insolvable, et « ses terres deviennent l’asile de tous les scélérats du canton758 »  Ainsi chaque abus enfante un danger, la négligence mal placée comme la rigueur excessive, la féodalité relâchée comme la monarchie trop tendue. […] Après le sac de la maison Réveillon à Paris, on remarque que, « sur une quarantaine de mutins arrêtés, il n’en est presque point qui n’aient été précédemment des repris de justice, fouettés ou marqués776 ».

150. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Les scrupules de justice ordinaire ne sont pas, en général, ce qui arrête les hommes de la portée des Frédéric et des Napoléon, qu’il s’agisse de la Silésie ou de l’Espagne. […] Son rare bon sens, sinon l’instinct de justice, lui disait que c’était là peut-être la plus grosse affaire encore que depuis le 18 Brumaire il eût entamée. […] Thiers de rendre hautement justice au sentiment généreux qui transporta l’Espagne à cette heure : Je ne suis point, dit-il, je ne serai jamais le flatteur de la multitude. […] On rend généralement hommage et justice a cette grande composition historique et aux belles qualités qui s’y déploient ; mais, selon moi, on ne lui en rend pas encore assez, et l’avenir en dira plus.

151. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Croire à ce point au règne futur de la justice, c’est être bon pour l’univers, c’est pardonner à la réalité d’être présentement fort mêlée. […] La première elle a senti ce qu’il y a de grandeur et de poésie dans sa simplicité, dans sa patience, dans sa communion avec la Terre ; elle a goûté les archaïsmes, les lenteurs, les images et la saveur du terroir de sa langue colorée ; elle a été frappée de la profondeur et de la ténacité tranquille de ses sentiments et de ses passions ; elle l’a montré amoureux du sol, âpre au travail et au gain, prudent, défiant, mais de sens droit, très épris de justice et ouvert au mystérieux… Ce que nous devons encore à George Sand, c’est presque un renouvellement (à force de sincérité) du sentiment de la nature.

152. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

Il faut lui rendre cette justice qu’il ne s’attaque qu’à des puissants du jour, qualifiés pour lui répondre par la plume ou par l’épée, et qu’on le trouve toujours du côté des opprimés, des affamés de justice et de vérité.

153. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Les lois fondamentales changent, le droit a ses époques ; plaisante justice qu’une rivière ou une montagne borne ; vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Certes, le penseur le plus hardi de ce siècle, l’écrivain le plus déterminé à généraliser les idées pour bouleverser le monde, n’a rien dit d’aussi fort contre la justice des gouvernements et les préjugés des nations.

154. (1898) La cité antique

S’il les frappait de mort, ce n’était qu’en vertu de son droit de justice. […] Si un membre delagens n’avait pas le droit d’en appeler un autre devant la justice de la cité, c’est qu’il y avait une justice dans lagens elle-même. […] Elle avait un tribunal et un droit de justice sur ses membres. […] Sacerdoce, justice et commandement se confondent en sa personne. […] Chacune devait avoir sa justice souveraine, et il ne pouvait y avoir aucune justice supérieure à celle de la cité.

155. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Par suite, faute de voir les âmes, on méconnaissait les institutions ; on ne soupçonnait pas que la vérité n’avait pu s’exprimer que par la légende, que la justice n’avait pu s’établir que par la force, que la religion avait dû revêtir la forme sacerdotale, que l’État avait dû prendre la forme militaire, et que l’édifice gothique avait, aussi bien qu’un autre, son architecture, ses proportions, son équilibre, sa solidité, son utilité et même sa beauté. — Par suite encore, faute de comprendre le passé, on ne comprenait pas le présent. […] Un archevêque suzerain d’une demi-province, un chapitre propriétaire de douze mille serfs, un abbé de salon bien renté sur un monastère qu’il n’a jamais vu, un seigneur largement pensionné pour figurer dans les antichambres, un magistrat qui achète le droit de rendre la justice, un colonel qui sort du collège pour venir commander son régiment héréditaire, un négociant de Paris qui, ayant loué pour un an une maison de Franche-Comté, aliène par cela seul la propriété de ses biens et de sa personne, quels paradoxes vivants ! […] Ce qu’on peut dire de mieux en faveur « d’une nation policée394 », c’est que ses lois, coutumes et pratiques se composent « pour moitié d’abus, et pour « moitié d’usages tolérables »  Mais sous ces législations positives qui toutes se contredisent entre elles et dont chacune se contredit elle-même, il est une loi naturelle sous-entendue dans les codes, appliquée dans les mœurs, écrite dans les cœurs. « Montrez-moi un pays où il soit honnête de me ravir le fruit de mon travail, de violer sa promesse, de mentir pour nuire, de calomnier, d’assassiner, d’empoisonner, d’être ingrat envers son bienfaiteur, de battre son père et sa mère quand ils vous présentent à manger. » — « Ce qui est juste ou injuste paraît tel à l’univers entier », et, dans la pire société, toujours la force se met à quelques égards au service du droit, de même que, dans la pire religion, toujours le dogme extravagant proclame en quelque façon un architecte suprême  Ainsi les religions et les sociétés, dissoutes par l’examen, laissent apercevoir au fond du creuset, les unes un résidu de vérité, les autres un résidu de justice, reliquat petit, mais précieux, sorte de lingot d’or que la tradition conserve, que la raison épure, et qui, peu à peu, dégagé de ses alliages, élaboré, employé à tous les usages, doit fournir seul toute la substance de la religion et tous les fils de la société. […] Cette idée, Rousseau l’a tirée tout entière du spectacle de son propre cœur410 : homme étrange, original et supérieur, mais qui, dès l’enfance, portait en soi un germe de folie et qui à la fin devint fou tout à fait ; esprit admirable et mal équilibré, en qui les sensations, les émotions et les images étaient trop fortes : à la fois aveugle et perspicace, véritable poète et poète malade, qui, au lieu des choses, voyait ses rêves, vivait dans un roman et mourut sous le cauchemar qu’il s’était forgé ; incapable de se maîtriser et de se conduire, prenant ses résolutions pour des actes, ses velléités pour des résolutions et le rôle qu’il se donnait pour le caractère qu’il croyait avoir ; en tout disproportionné au train courant du monde, s’aheurtant, se blessant, se salissant à toutes les bornes du chemin ; ayant commis des extravagances, des vilenies et des crimes, et néanmoins gardant jusqu’au bout la sensibilité délicate et profonde, l’humanité, l’attendrissement, le don des larmes, la faculté d’aimer, la passion de la justice, le sentiment religieux, l’enthousiasme, comme autant de racines vivaces où fermente toujours la sève généreuse pendant que la tige et les rameaux avortent, se déforment ou se flétrissent sous l’inclémence de l’air. […] Toutes les portes lui sont fermées même quand il a le droit de les faire ouvrir, et, s’il obtient quelquefois justice, c’est avec plus de peine qu’un autre obtiendrait grâce.

156. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Il répondit : « — Le juge parle au nom de la justice, le prêtre parle au nom de la pitié, qui n’est autre chose qu’une justice plus élevée ; un coup de tonnerre ne doit pas se tromper.” […] Quelle justice ! […] Où finira ce droit de vengeance abstraite, cette justice du talion entre classes ? […] La glorification du bourreau par M. de Maistre ne va pas si loin, car le philosophe de Chambéry fait du bourreau l’ ultima ratio du droit social dans les mains de la justice humaine, et il fait du supplice un vengeur de Dieu. […] N’est-ce pas lui préparer pour l’avenir des justifications toutes faites pour d’autres crimes, que de lui dire d’avance : « Ne t’inquiète pas, Dieu est pour toi ; tu as tes raisons, tu as le droit de colère ; les consciences faibles, les esprits timides, la pitié même, autant que la justice, se soulèveront bêtement contre toi, incapables qu’ils sont de comprendre ta foudroyante divinité, ton coup de tonnerre formé des misères de tous les âges !

157. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Une troisième confrérie, les Clercs de la basoche, jouait, sur la table de marbre du Palais de justice, des pièces analogues au répertoire des Enfants sans souci. […] Combien j’aime mieux la sincérité de Corneille se rendant justice dans le bien et se faisant justice dans le mal ! […] Deux amants qu’attache l’un à l’autre une passion profonde et légitime, et que va rendre ennemis la loi du devoir filial et de l’honneur domestique ; Rodrigue aimant Chimène, mais forcé de venger l’affront de son père dans le sang du père de sa maîtresse ; Chimène forcée de haïr celui qu’elle aime, et de demander sa mort, qu’elle craint d’obtenir ; Rodrigue, tout plein des grands sentiments qui feront bientôt de lui le héros populaire de l’Espagne ; Chimène, héritière de l’orgueil paternel, fière Castillane, qui veut se battre contre Rodrigue avec l’épée du roi ; ce roi, si plein de sens et d’équité, image de la royauté de Salomon, par sa modération, par sa connaissance des hommes, par sa justice ingénieuse : les deux pères si énergiquement tracés ; le comte, encore dans la force de l’âge, qui a été vaillant à la guerre, mais qui se paie de ses services par le prix qu’il en exige et par les louanges qu’il se donne ; le vieux don Diègue, qui a été autrefois ce qu’est aujourd’hui le comte, mais qui n’en demande pas le prix, et ne s’estime que par l’opinion qu’on a de lui ; le duel de ces deux hommes, si rapide, si funeste, d’où va naître entre les deux amants un autre duel dont les alternatives seront si touchantes ; Rodrigue, après avoir tué le comte, défendant son action devant Chimène, qui n’en peut détester le motif, puisque c’est le même qui l’anime contre Rodrigue ; la piété filiale aux prises avec l’amour ; l’ambition désappointée ; l’idolâtrie de l’honneur domestique ; des épisodes étroitement liés à l’action ; un récit qui nous met sous les yeux le sublime effort de l’Espagne se débarrassant des Maures, d’un pays rejetant ses conquérants : quel sujet ! […] Qu’y a-t-il que nous préférions à l’honneur, à ce que nous regardons comme notre devoir envers les peuples opprimés et la justice violée ? […] Nous n’avons qu’une justice étroite et tardive pour les gouvernements sages qui ménagent notre sang et notre argent.

158. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

On l’avait surnommé le Campéador, c’est-à-dire l’homme des champs-clos, des combats singuliers, des grands coups d’épée pour toute justice ; volontiers perfide et parjure, et s’en faisant gloire ; un peu fraudeur ; voleur même, à l’occasion. […] En même temps que Chimène est allée se jeter aux pieds du Roi pour demander justice, Don Diègue de son côté s’y précipite pour solliciter la grâce de son fils. […] Chimène Sire, Sire, justice ! […] Chimène Je demande justice ! […] Chimène élude très joliment : J’offenserais le Roi, qui m’a promis justice.

159. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

Eh bien, dans ce rôle de critique positive que nous pratiquons, la Revue des Deux Mondes se pique de tenir ferme à quelques points, de compter de près avec les œuvres mêmes, et d’observer un certain esprit attentif de vérité et de justice. Il ne suffit pas d’être de ses collaborateurs ou d’avoir un moment passé dans leurs rangs pour être à l’instant et à tout jamais loué, épousé, préconisé, comme cela se voit ailleurs : on a pu même trouver à cet égard que la Revue a souvent exercé jusque sur elle-même une justice bien scrupuleuse. […] Ce rôle, la Revue des Deux Mondes, nous l’espérons bien, ne s’en départira pas désormais, et l’effet même de ces violences extérieures devra être de l’y faire viser de plus en plus : dire assez la vérité même à ses amis, ne pas dire trop crûment la vérité même à ses ennemis (avec de tels agresseurs cela mènerait trop loin), en un mot, ne pas trop oublier l’agrément, même dans la justice.

160. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Aux heures calmes, après la chasse ou l’ivresse, la divination vague d’un au-delà mystérieux et grandiose, le sentiment obscur d’une justice inconnue, le rudiment de conscience qu’il avait déjà dans ses forêts d’outre-Rhin, se réveille en lui par des alarmes subites, en demi-visions menaçantes. […] Secrétaires, conseillers, théologiens, ils participent aux édits, ils ont la main dans le gouvernement, ils travaillent par son entremise à mettre un peu d’ordre dans le désordre immense, à rendre la loi plus raisonnable et plus humaine, à rétablir, ou à maintenir la piété, l’instruction, la justice, la propriété et surtout le mariage. […] Réponse de Louis XV au Parlement de Paris, le 3 mars 1766, dans un lit de justice : « C’est en ma personne seule que réside l’autorité souveraine… C’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage.

161. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Il fixe alors cette vaste étendue du Ciel, cette immense Nature, qui, fiere dans toutes ses productions n’a point fait d’esclaves, elle n’a point bâti de murs, elle n’a point forgé de chaînes ; cet oiseau qui sur une aîle hardie, franchit l’espace, cet animal des bois qui erre sans guide au gré de son instinct, l’ouragan qui passe, tout parle éloquemment à son cœur, & il apperçoit au milieu de l’Univers la liberté, & il s’écrie : c’est à toi que j’adresse mes vœux, ame des nobles travaux, mere des vertus & des talens ; toi qui formes les ames vigoureuses, les esprits élevés & lumineux ; toi qui ne faisant point d’opprimé, ne fais point d’oppresseur ; toi dont la main sacrée grave dans le cœur de l’homme le caractère primitif de la Justice ; c’est à toi que je voue mes jours, conduis mes pas & ma langue ; je le sens, tu éleveras ma pensée, tu la rendras digne de l’Univers. […] Le Génie n’a jamais été & ne peut être le partage d’un esclave ; ces coups de pinceau majestueux, ces nuances de grandeur & de justice qui doivent animer les tableaux de l’Ecrivain philosophique, où les puiseroit-il ? […] Que ces esprits indifférens sur le désordre qui ne les touche pas, que ceux dont la foible prudence méconnoit cette vertu supérieure à toute crainte, l’appellent un insensé, ou le regardent comme un misantrope qui se livre au triste plaisir d’exercer une censure amere ; ce n’est pas à eux de sentir qu’il est impossible à l’homme vertueux de garder le silence, tandis que les cris plaintifs des victimes de l’oppression retentissent à son oreille & frappent son cœur sensible, tandis que les droits éternels de la Justice sont violés pour satisfaire quelques monstres avides, tandis qu’un peuple entier vit dans les larmes, ayant tout perdu jusqu’au droit lamentable d’élever ses soupirs ; ah !

162. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Les intentions, les pensées, mobiles invisibles de tous les actes, leur échappent absolument ; et ce sont cependant les pensées et les intentions, en un mot, tout ce qui se dérobe nécessairement aux justices humaines, qu’il s’agit de juger. […] Ce qu’elles seront, c’est lui seul qui en a l’inviolable secret ; mais la science morale ne dépasse pas ses justes bornes en affirmant que cette justice définitive est indispensable, et que la vie de l’homme ici-bas ne peut se comprendre sans ce complément qui doit la suivre. […] Socrate, malgré sa catastrophe, n’a pas gémi sur son sort ; et il n’a pas douté de la justice de Dieu, même en ce monde, parce qu’il y a fini par la ciguë. […] Servir à tout prix, même au prix de la justice et du bien, la nation qu’on commande, c’est-à-dire accroître sa force, sa puissance, sa richesse, sa sécurité, son honneur, tel est le but habituel des hommes d’État. […] Je crois donc qu’à cette mesure on peut juger équitablement les divers systèmes qui se montrent à nous dans l’histoire de la philosophie, et qu’en les comparant à cet idéal de la science, tout incomplet qu’il est, on peut voir avec assez d’exactitude et de justice ce qu’ils valent.

163. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

« Oseras-tu anéantir ma justice, et me condamneras-tu pour te justifier ? […] « J’étais revêtu d’une incorruptible justice, et je me décorais de mon équité et de mon impartialité comme d’une robe et comme d’un diadème de roi. […] Elle est, pour ainsi dire, la justice de Dieu innée en nous, d’autant plus sainte qu’elle n’est pas libre. […] Mais ce supplice est une réhabilitation après la mort, s’il est bien accepté ; nous en avons pour gage la justice de Dieu, une de ses perfections, qui ne mentent pas. […] — Je sais qu’il y a une justice et une réhabilitation dans le ciel !

164. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Louis Blanc qui, vivant à Londres, se trouvait à la source pour contrôler les rapports français par ceux de la marine anglaise, et qui a pour habitude d’user de tous ses moyens d’information en historien consciencieux, a raconté ce grand combat naval et l’a discuté dans le tome XI de son Histoire de la Révolution française : il a fait justice du récit qui se lit dans le recueil de Victoires et Conquêtes et qui, plein d’emphase sur tout le reste, est empreint d’une malveillance outrageuse à l’égard du délégué de la Convention. […] Soumis à des vexations et des avanies journalières, il eut tout le temps de rapprendre l’humanité, la justice, s’il avait pu précédemment les oublier. […] On raconte (et feu le chancelier Pasquier faisait ce récit fort vivement) qu’un jour, à une entrée de troupes, vers 1808, il y eut dans un faubourg de Mayence un grave désordre ; le préfet envoya aussitôt au maréchal Victor, commandant le corps d’armée, pour se plaindre et demander justice des soldats qui avaient vexé et violenté les habitants. […] Cette justice que nous lui rendons, qu’on ne la refuse pas, en revanche, à de plus irréprochables et à de plus modérés que lui !

165. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

On se rappelle que Philipon, qui avait à chaque instant maille à partir avec la justice royale, voulant une fois prouver au tribunal que rien n’était plus innocent que cette irritante et malencontreuse poire, dessina à l’audience même une série de croquis dont le premier représentait exactement la figure royale, et dont chacun, s’éloignant de plus en plus du terme primitif, se rapprochait davantage du terme fatal : la poire. […] Le fait est qu’on y mettait un acharnement et un ensemble merveilleux, et avec quelque opiniâtreté que ripostât la justice, c’est aujourd’hui un sujet d’énorme étonnement , quand on feuillette ces bouffonnes archives, qu’une guerre si furieuse ait pu se continuer pendant des années. […] dit-il, il fait le mort pour ne pas répondre à la Justice ! […] Robert Macaire, Mœurs conjugales, Types parisiens, Profils et silhouettes, les Baigneurs, les Baigneuses, les Canotiers parisiens, les Bas-bleus, Pastorales, Histoire ancienne, les Bons Bourgeois, les Gens de Justice, la journée de M. 

166. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — I »

Mais elle fait faire d’avance des tapisseries de nattes pour couvrir les murailles de sa chambre, et elle a même envie d’en envoyer en présent à madame de Maintenon une toute semblable qui sera digne assurément de la simplicité de Saint-Cyr. » On lui doit cette justice en effet qu’elle était restée pauvre. […] Pourtant madame de Maintenon reproche encore à madame des Ursins de la retarder, et cette fois le reproche n’est pas sans justice.

167. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Les anciens ne peuvent être surpassés dans leur amour de la justice ; mais ils n’avaient point fait entrer la bienfaisance dans les devoirs. Les lois peuvent forcer à la justice, mais l’opinion générale fait seule un précepte de la bonté, et peut seule exclure de l’estime des hommes l’être insensible au malheur.

168. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Les parents de l’enfant, outrés du traitement qu’il lui avait fait, s’allèrent jeter aux pieds du roi, comme il était à la promenade, en lui demandant justice de cet horrible excès. […] On les y laissa trois jours en cet état (grand exemple de la justice céleste et des misères humaines), et après on les porta dans un cimetière hors de la ville, où ils furent enterrés pêle-mêle dans une même fosse. […] Cependant, il n’en arrive jamais d’accident, par la sévère justice qu’on fait des voleurs en ce pays-là. […] Cependant l’amour de la justice prévalut dans son âme, et ce fut avec horreur qu’il entendit la proposition qu’avait faite le premier ministre de préférer le cadet à l’aîné, qui s’augmenta à mesure que les autres du conseil y prêtaient leur consentement. […] Ils voyaient tous qu’il parlait contre ses propres intérêts, et que ce ne pouvait être que le zèle pour la justice et pour le bien de l’État, le désir de contenter les peuples et la fidélité qu’il devait à son défunt maître qui le faisaient agir.

169. (1900) La culture des idées

L’idée de justice n’est pas autre chose, en effet, que l’idée d’équilibre. […] La vie qui aurait passé par ce point mort de la justice absolue ne pourrait plus vivre, puisque l’idée de vie, identique à l’idée de lutte de forces, est nécessairement l’idée de justice. […] Les théologies situèrent la justice au-delà du monde, dans l’éternité. […] À vrai dire, l’idée de justice est peut-être dissociée ici pour la première fois. […] Aujourd’hui l’on va jusqu’à produire, presque en justice, le reçu du Pauvre, avec timbre de quittance.

170. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Le poète de la Justice 2 sait les raisons de sa tristesse. […] Il y a dans le cri de Kaïn une âpreté plus superbe, s’il se peut, que celle du poète de la Nature, et une espérance non plus forte, mais moins vague et plus voisine de son objet, que celle du Titan voleur de feu  La protestation du corps contre la douleur, du cœur contre l’injustice et de la raison contre l’inintelligible, devient, semble-t-il, plus ardente à mesure que l’industrie humaine combat la souffrance, que l’idée de justice passe dans les institutions et que la science entame les frontières de l’inconnu ; comme si l’homme, moins éloigné de son idéal, en subissait plus invinciblement l’attraction et se précipitait vers lui d’un mouvement plus furieux. […] Mais aussitôt surgissent les rebelles, chers au poète de Kaïn : c’est Khirôn puni pour avoir rêvé des dieux meilleurs que ceux de l’Olympe ; c’est Niobé, fidèle aux Titans vaincus, qui auront leur jour et qui rétabliront le règne de la Justice  Enfin, il se repose de ces graves histoires dans l’adoration de la beauté physique. […] Il déroule cette histoire en une série de petites épopées lyriques, avec des surprises, des coups de théâtre, des explosions d’amour ou d’indignation, des vers immenses faits pour être clamés sur quelque promontoire, par un grand vent, dans les crépuscules  Où Victor Hugo cherche des drames et montre le progrès de l’idée de justice, M.  […] Le choix du poète s’explique : de même qu’il n’a pas vu la justice dans l’histoire, il ne lui plaît pas de voir la tendresse dans la nature, et il craint la charmante duperie des campagnes d’Occident.

171. (1908) Après le naturalisme

Les théories dont on la justifie — et dont nous venons de faire justice — vont-elles, malgré la logique, être celles que suivra notre jeune génération ? […] Ils s’avisent de les combattre et les veulent remplacer par le bien et la justice. […] Ils veulent la Justice et la Fraternité humaines : expression de l’homme intégral dans la société. […] Le bien, la justice, nous les devons tenir d’une réalité autre que l’a priori. […] Elle veut l’homme intégral et beau dans la Vie, tourné vers la Vie, selon la Vie, heureux de la Vie et ses méthodes l’assurent de la Vérité et de la Justice.

172. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

La réalisation de la justice anéantirait l’idée même de justice. […] De là le poème de la Justice. […] La justice est que chacun soit traité selon sa dignité. […] La justice sera ? […] Zola beaucoup plus que ne l’exigeaient la justice et le bon goût.

173. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

ils ne demandent pas justice ! […] Mallet du Pan a rendu à Duclos cette justice qu’il gourmanda plus d’une fois l’effervescence philosophique : « Ils en diront et en feront tant, dit-il un jour impatienté, qu’ils finiront par m’envoyer à confesse. » Ce mot est de ceux qui courent et qui restent. […] À Milan il visite Beccaria, célèbre par son livre philanthropique Des délits et des peines : mais Duclos ne donne pas à l’aveugle dans ces nouveautés qui, poussées trop loin, tendent à désarmer la société et à énerver la justice.

174. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Mais quand tout s’écroule et se renouvelle, quand les institutions antiques tombent en ruines et que l’état futur n’est pas né, que toutes les règles de conduite et d’obéissance sont confondues, que la justice et le droit hésitent entre les cupidités, les intérêts révoltés qui courent aux armes, c’est alors que le don de sagesse est bien précieux en quelques-uns, et que les hommes qui le possèdent sont bientôt appréciés des chefs dignes de ce nom, qu’ils sont appelés, écoutés longtemps en vain et en secret, qu’ils ne se lassent jamais (ce trait est constant dans leur caractère), qu’ils attendent que l’heure du torrent et de la colère soit passée pour les événements et pour les hommes, et qu’habiles à saisir les instants, à profiter du moindre retour, ils tendent sans cesse à réparer le vaisseau de l’État, à le remettre à flot avec honneur, à le ramener au port, non sans en faire eux-mêmes une notable partie et sans y tenir une place méritée. […] Sur ce refus, j’alléguai la loi de l’empereur Théodose, qui, après avoir commandé par colère et trop précipitamment la mort d’un grand nombre de chrétiens, fut rejeté de la communion par saint Ambroise, qui le contraignit de venir à pénitence, et, pour une entière satisfaction, faire une loi par laquelle défense était faite aux gouverneurs en l’administration de la justice qui présidaient dans les provinces, de ne faire à l’avenir exécuter tels mandements extraordinaires qui étaient contre l’ordre et la forme de la justice, sans attendre trente jours, pendant lesquels ils enverraient à l’empereur pour avoir nouveau commandement en bonne et due forme ; ainsi qu’il fallait envoyer promptement au roi… Grâce à cet avis d’une ferme et respectueuse résistance qui prévalut et fut adopté, avant même qu’on eût envoyé vers le roi, le contrordre eut le temps d’arriver de Paris : la Bourgogne fut garantie du crime et du malheur commun, et le nom du comte de Charny est inscrit dans l’histoire à côté de ceux du comte de Tendes, de MM. de Saint-Hérem, d’Orthez et d’un petit nombre d’autres, comme étant resté pur de sang dans l’immense massacre.

175. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Appuyé qu’il est à ces hautes colonnes du temple, regardez-le d’un peu loin : la menace s’ennoblit, la laideur s’efface ; ses invectives les plus grosses, comme ses méchancetés les plus fines, prennent aisément un caractère de justice inexorable et de sévérité vengeresse. Car il y a deux Veuillot : celui qui est debout, grave, triste, imposant d’attitude, d’un beau front, parlant d’or sur les grands sujets, prêchant aux autres le respect qu’il a lui-même si peu, prompt à en remontrer aux gouvernements sur le principe de l’autorité, et, quand il se fâche, le faisant au nom d’une autorité supérieure, et, pour ainsi dire, exerçant les justices de Dieu. — Je ne nie point la part de sentiments sérieux, qui sont d’accord en lui avec cet air-là. Et il y a l’autre Veuillot, celui qui s’amuse, qui, assis dans la tribune des journalistes ou étendu dans son fauteuil, lorgnant et lardant son monde, se tord de rire, a le rictus des servantes de Molière, exerce les justices du bon sens ou les avanies de sa passion, et mord à belles dents à même du prochain.

176. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Leur fanatisme étroit, leurs haines religieuses révoltaient ce large sentiment de justice et de gouvernement civil, que le Romain le plus médiocre portait partout avec lui. […] Selon nos idées modernes, il n’y a nulle transmission de démérite moral du père au fils ; chacun ne doit compte à la justice humaine et à la justice divine que de ce qu’il a fait.

177. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Ainsi peu à peu il s’est formé dans les esprits un caractère d’élévation, ou plutôt de justice. […] Qu’ils opposent à l’injustice d’un moment la justice des siècles ! […] Que chacune de ses paroles soit sacrée ; que son silence même inspire le respect, et ressemble quelquefois à la justice.

178. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Il a été dit, au sein de la commission, beaucoup de choses très fines et très ingénieuses sur les mérites de l’ouvrage en ce sens ; ample justice a été rendue à ces quatre premiers actes surtout, qui sont presque en entier excellents, si nets d’allure et de langage, coupés dans le vif, semés de mots piquants ou acérés, et d’une comédie toute prise dans l’observation directe et dans une réalité flagrante. […] Il a été répondu encore, et d’une manière plus directe (toujours au point de vue dont la commission n’avait point à s’écarter), que, toute part faite et toute justice rendue au talent de l’auteur, sur lequel il n’y avait qu’une voix, on ne pouvait découvrir réellement dans sa pièce d’autre intention dominante que celle de peindre ; qu’il avait porté son miroir où il avait voulu, qu’il avait fait une exhibition fidèle, inexorable, de ce qu’il avait observé, et avait montré les gens vicieux tels qu’il les avait saisis ; que ce n’était pas un reproche qu’on lui faisait, mais que c’était le caractère de sa comédie qu’on se bornait à relever, et que ce serait lui prêter gratuitement que de voir autre chose dans son Demi-Monde qu’une peinture attachante, ressemblante et vraie, digne d’être applaudie sans doute, mais non pas d’être récompensée comme ayant atteint un but auquel l’auteur n’avait point songé.

179. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Voici Fichte s’écriant : « Il faut que la vérité soit dite, le monde dût-il périr. » Voici le propos semblable d’Amiel : « Il n’est nullement, nécessaire que l’Univers soit, mais il est nécessaire que justice se fasse ». […] Que l’on mette en cause une conception de l’ordre moral, politique, social ou religieux, il ne s’agit plus de la comparer avec un modèle idéologique d’une valeur présumée absolue, dont on sait maintenant l’origine arbitraire, avec une idée divinisée de vérité ou de justice, dont on connaît qu’elle n’exprime autre chose qu’un état de sensibilité particulier et propre à un temps donné.

180. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Celui-ci se plaignit : l’abbé convint de la justice des reproches & se mit en devoir de réparer sa faute. […] Il y eut des plaintes portées en justice.

181. (1762) Réflexions sur l’ode

Celui qu’on place avec justice au premier rang, est supérieur dans l’harmonie et dans le choix des mots : des juges, peut-être sévères, désireraient qu’il pensât davantage ; la partie du sentiment est chez lui encore plus faible. […] Elle n’a pas eu lieu de s’en repentir ; et le public, par ce qu’il vient d’entendre et d’applaudir avec justice, peut juger des espérances et des ressources qui lui restent.

182. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Elle y a perdu également de sa justice et de sa beauté. De sa justice, c’est bien évident ; mais de sa beauté ?

183. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Les honnêtes gens du Journal des Débats » pp. 91-101

. — En politique, nous laissons la justice poursuivre les coupables ; nous ne rendons responsable aucune nation, aucun parti, des inventions sauvages de quelques fous monstrueux », — ce qui est l’honnêteté politique, et non plus l’honnêteté littéraire. Nous ne pouvons suivre malheureusement sur ce terrain Rigault, devenu le Blondel de Victor Hugo, que l’univers abandonne (sans calembour), mais la critique, qui est aussi une justice, ces messieurs des Débats ne la permettent pas, et Rigault, leur porte-voix, nous l’interdit.

184. (1888) Portraits de maîtres

Voilà pourquoi, dès le début, malgré quelques aberrations que nous ne prétendons pas défendre, George Sand, en abordant le roman, s’est placée en pleine justice, en pleine vérité. […] À certains retours vers le passé comme à d’éclatants dénis de justice, on croirait lire le nom d’un César quelconque dans l’Histoire Auguste. […] Le voilà qui croit au triomphe de la raison, de la justice, comme à sa propre existence. […] Les Roumains revendiquaient la justice en faveur d’une nationalité alors méconnue. […] Éviradnus et Roland nous figurent dans la pensée du poète l’idéal de justice, tel qu’on pouvait le concevoir au temps où les revanches du droit étaient purement individuelles.

185. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Le sentiment d’où tout part chez le réformé est l’inquiétude de la conscience ; il se représente la justice parfaite, et sent que sa justice, telle quelle, ne subsistera point devant celle-là. […] Les cris d’angoisse ou d’admiration de l’Hébreu solitaire, les transports, les éclats imprévus de passion sublime, la soif de la justice, le grondement des tonnerres et des justices de Dieu, viennent, à travers trente siècles, remuer ces âmes bibliques. […] L’idée de la mort obscure et de l’océan infini où va descendre la pauvre âme fragile, la pensée de cette justice invisible, partout présente, partout prévoyante, sur laquelle s’appuie l’apparence changeante des choses visibles, les illuminent d’éclairs inattendus. Le monde corporel et ses lois ne leur semblent qu’un fantôme et une figure ; ils ne voient plus rien de réel que la justice, elle est le tout de l’homme comme de la nature. […] Nous estimons qu’il n’y a pas de société sans croyances ; nous dérivons la justice de son origine sacrée, et nous sentons qu’en tarissant sa source on dessèche tout le ruisseau.

186. (1888) Poètes et romanciers

Ce grand procès est à instruire dans toutes les questions morales ; je m’en tiens à celle de la justice. […] Vous n’irez pas sans doute chercher la justice en dehors de la vie ? […] Y a-t-il quelque part une justice transcendante ? […] Tous ces mots sacrés n’ont de sens que pour l’homme ; la conscience est l’unique autel de la justice. […] Comment l’homme peut-il créer de son fonds la justice ?

187. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Sa clairvoyance d’historien et son sens profond de la justice lui faisaient prévoir l’issue de la guerre. […] La doctrine chrétienne se résuma à ses yeux dans l’opposition de la justice et de la grâce80, opposition que son cœur ne pouvait admettre ; car la justice sans amour n’est plus qu’une légalité sauvage et impitoyable, et l’amour sans justice un caprice immoral. […] Cet objet, c’est la justice. […] La Révolution a remplacé le principe de la grâce par celui de la justice, qui est identique à la fraternité. […] Dieu ne doit apparaître à l’enfant que quand l’idée de justice est née, comme Dieu de justice.

188. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Rien de moins scholar au fond et de moins pédant que lui ; il vérifie, aussi bien que Bayle, ce mot de Nicole, que le pédantisme est un vice, non de robe, mais d’esprit ; et, se rendant justice à lui-même au chapitre  1er de ses Coups d’État, il a pu dire : « … Car il est vrai que j’ai cultivé les Muses sans les trop caresser, et me suis assez plu aux études sans trop m’y engager. […] Naudé se pique dès l’abord de se bien séparer de ces auteurs qui, traitant de la politique, ne mettent pas de fin à leurs beaux discours de Religion, Justice, Clémence, Libéralité  ; il laisse cette rhétorique à Balzac et consorts. […] Il commence par poser avec Charron « que la justice, vertu et probité du Souverain, chemine un peu autrement que celle des particuliers. » A-t-il tort de le prétendre ? […] Mais cette sévérité, fruit amer de l’expérience humaine, n’admet pas nécessairement la fraude et n’exclut pas la justice ; et j’aime à penser toujours, malgré la rareté du fait, que la volonté ferme du bien, une sagacité pénétrante jointe à l’absence de toute imposture, une équité inexorable, seraient encore les voies les plus sûres de gouverner, de tenir le pouvoir,  — de le tenir, il est vrai, non pas de le gagner ni de l’obtenir. […] Ces vénérables religieux en demandèrent réparation en justice comme d’une appellation infâme.

189. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

La renommée, espèce de spectre composé de bouches et d’oreilles sans yeux, une fausse balance dans une main, et une trompette discordante dans l’autre, fait entrer pêle-mêle dans le temple une partie des voyageurs ; là tous les états sont confondus, tandis que le reste des aspirants, empressé d’entrer et repoussé par la justice ou par la fortune, fait retentir les environs du temple de satires contre ceux qui y sont renfermés. […] En effet, pour ne parler que des états extrêmes, le souverain doit la justice au dernier de ses sujets aussi rigoureusement que celui-ci lui doit l’obéissance. […] Si les talents sont justement choqués de ce partage, c’est à eux seuls qu’ils doivent s’en prendre ; qu’ils cessent de prodiguer leurs hommages à des gens qui croient les honorer d’un regard, et qui semblent les avertir par les démonstrations de leur politesse même qu’elle est un acte de bienveillance plutôt que de justice ; qu’ils cessent de rechercher la société des grands malgré les dégoûts visibles ou secret qu’ils y rencontrent, d’ignorer les avantages que la supériorité du génie donne sur les autres hommes, de se prosterner enfin aux genoux de ceux qui devraient être à leurs pieds. […] Mais la vérité et la justice s’opposent à la bonne volonté que j’ai pour eux. […] Les premiers n’y ont vu qu’une fierté estimable, les autres qu’une vanité révoltante ; c’est au public à juger si les premiers m’ont rendu plus de justice que les seconds.

190. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Ta justice, C’est ton utilité, ton plaisir, ton caprice. […] Mais comme tout d’abord il dévoile son mensonge, et estime sa justice au prix qu’elle vaut ! […] Il faut que le barbare soit religieux, qu’il sente les dieux présents, qu’il porte dans son coeur leur justice et leur colère. […] les pauvres captifs attachés à ces mêmes chars se plaignaient aux dieux dans leur coeur et leur demandaient justice. » (Radotage. […] S’il vient ici quelque pauvre homme vous demander justice, mais si pauvre qu’il n’ait ni argent à donner, ni vin fin à présenter, ni huile à promettre, ni pourpre à offrir, en un mot, qui n’ait ni support, ni faveur, ni revenu (compendieusement, comme dit l’Intimé), après qu’il a rendu sa plainte dans le sénat, d’abord on le contente de paroles », etc.

191. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

CLXXXVII — Mais quand tu seras seul sous le cloître, le long des loges, me dit-elle, comme m’avait dit son mari, ne te fie pas et prends bien garde au meurtrier du sbire dans le dernier cachot, au fond de la cour ; bien qu’il soit bien jeune et qu’il te ressemble quasi de visage, on dit que nous n’en avons jamais eu de si méchant ; mais nous ne l’aurons pas longtemps, à ce qu’on assure, les sbires et les gardes, qui sont acharnés contre ce louveteau, ont déjà été appelés en témoignage, personne ne s’est présenté pour déposer contre eux, et le jugement à mort ne tardera pas à faire justice de celui qui a donné la mort à son prochain. […] Par bonheur, je n’assistai pas à la lecture de la sentence, parce que, dans ces occasions, la justice ne laissait entrer avec elle que le bargello. […] Avez-vous vu de quel front tranquille et résigné il a entendu son arrêt sans vouloir ni confesser son crime, ni demander sa grâce, ni insolenter la justice ? […] CCX Pendant que j’entendais sans lever la tête de dessus le pavé, que je faisais semblant de laver avec mon eau et mon éponge, Dieu sait ce que je pensais en moi-même de la justice des homme qui voit le crime et qui ne lit pas dans les cœurs. […] » CCXIV — Rassurez-vous un peu, nous dit le frère quêteur, sans toutefois trop compter sur la justice des hommes, qui n’est souvent qu’injustice aux yeux de Dieu et qui n’a pour lumière que l’apparence au lieu de la vérité.

192. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Que si j’avais, par hasard, à intervenir quelquefois et bien rarement, pensais-je, ce ne serait guère que s’il était question de littérature, c’est-à-dire de ce que je connais bien ; s’il s’agissait de défendre les intérêts de mes confrères du dehors, de rendre hautement justice à tant d’efforts laborieux, malheureusement trop dispersés, et de répondre peut-être à quelques accusations comme on est tenté d’en élever trop légèrement, à chaque époque, contre la littérature de son temps. […] C’est l’homme éclairé et ami des choses de l’esprit qui préside à la justice et aux cultes : c’est M.  […] Il se crée lentement une morale et une justice à base nouvelle, non moins solide que par le passé, plus solide même, parce qu’il n’y entrera rien des craintes puériles de l’enfance. […] Les recherches de l’auteur sont attentives ; ses jugements, intègres ; sa prédilection, ardente pour tout effort de justice et d’humanité, pour tout noble caractère, dans quelque parti qu’il se trouve.

193. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Antigone pour André Chénier, c’était la Justice, c’était la Patrie. […] Il montre ces efforts subversifs toujours renaissants et infatigables, et les oppose, pour la stimuler, à la tiédeur des honnêtes gens qui, ennemis de tout ce qui peut avoir l’air de violence, se reposant sur la bonté de leur cause, espérant trop des hommes, parce qu’ils savent que, tôt ou tard, ils reviennent à la raison ; espérant trop du temps, parce qu’ils savent que, tôt ou tard, il leur fait justice ; perdent les moments favorables, laissent dégénérer leur prudence en timidité, se découragent, composent avec l’avenir, et, enveloppés de leur conscience, finissent par s’endormir dans une bonne volonté immobile et dans une sorte d’innocence léthargique. […] Il faut se rappeler que ces soldats, après s’être révoltés à Nancy deux années auparavant et avoir pillé la caisse du régiment, avaient été, au nombre de quarante ou cinquante, condamnés aux galères d’après les lois de la justice fédérale en vigueur parmi les troupes suisses. […] Dans ces temps de violence, ils osèrent parler de justice ; dans ces temps de démence, ils osèrent examiner ; dans ces temps de la plus abjecte hypocrisie, ils ne feignirent point d’être des scélérats pour acheter leur repos aux dépens de l’innocence opprimée ; ils ne cachèrent point leur haine à des bourreaux qui, pour payer leurs amis et punir leurs ennemis, n’épargnaient rien, car il ne leur en coûtait que des crimes ; et un nommé A. 

194. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Une loi est un rapport de justice : quel rapport de justice y a-t-il donc entre l’humanité et les rois ? […] Et à propos de ce procès encore, dans un dîner donné par Barère, et où l’on vint à parler des infâmes questions d’Hébert adressées à la reine sur son jeune fils, tandis que d’autres paraissaient irrités contre l’imbécillité d’Hébert qui avait ménagé un triomphe à sa victime, Saint-Just osa dire ce mot qu’un des convives a recueilli : « En somme, les mœurs gagneront à cet acte de justice nationale. » Saint-Just, malgré la fièvre de fanatisme qui l’avait saisi, méprisait les hommes. […] Les notes qu’on a trouvées dans ses papiers ne parlent que de vertu, de justice et d’innocence.

195. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Un savant du dix-septième siècle a cherché principalement cette similitude dans les maximes de Platon comparées aux prescriptions de la loi mosaïque ; il indique en exemple : 1° la crainte affectueuse de Dieu ; 2° l’interdiction de se venger et de faire aucun mal à autrui ; 3° l’obligation de la prière, d’accord avec le précepte pythagoricien : « Commence tous tes actes par la prière, afin de pouvoir les achever » ; 4° le devoir pour les puissants et les princes de se conformer au Roi des rois, au Dieu unique, parfait modèle de toute sagesse et de toute justice. […] Tu conduis par ta justice ce peuple que lu as délivré ; tu le mènes par ta force vers ton saint asile. […] « Et les cieux annonceront sa justice, et que Dieu est un juge. […] L’homme aux mains innocentes et au cœur pur, qui n’a pas mis sa confiance en de vaines divinités, et qui n’a pas juré, avec le dessein de tromper : celui-là remportera la bénédiction de Jéhovah, et la justice des mains de Dieu, son Sauveur.

196. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Par ses maximes sur l’éternelle justice, la providence divine, la pitié pour les faibles, la punition des méchants, Eschyle est, avec Pindare et Sophocle, le poëte le plus moral de l’antiquité, le poëte ami du droit et de la vertu contre la force et le vice. […] L’évêque d’Antioche Théophile citait, pour inspirer la crainte de Dieu, ces vers du poëte tragique : Tu vois la justice muette, inaperçue pendant le sommeil, le voyage, le séjour. […] Si quelqu’un chemine avec insolence en actes ou en discours, sans crainte de la justice, sans respect pour les autels des Dieux, que la mauvaise fortune le saisisse, pour prix de ses misérables joies ! […] Apollon ne se reconnaît plus à ses honneurs : les Dieux s’en vont. » Cette invocation devant le peuple d’Athènes, cet appel à l’éternité de la loi morale, cette demande aux Dieux de manifester leur justice, n’était-ce pas l’hymne sacré dans toute sa puissance, transporté sur le théâtre et y continuant l’instruction commencée dans les temples ?

197. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Ce n’était que justice que Tite-Live eût un goût particulier pour le grand écrivain dont il réalisait l’idée et le vœu dans l’histoire. […] Taine n’a pas rendu toute justice à cette heure unique d’Auguste (voir sa page 25). […] Si l’on ôte quelques passages où la simplicité est affectée et la sagacité raffinée, on croit entendre un des anciens jurisconsultes ; Montesquieu a leur calme solennel et leur brièveté grandiose ; et du même ton dont ils donnaient des lois aux peuples, il donne des lois aux événements… Suivant moi, pour que le livre sur Tite-Live fût entièrement vrai (car il l’est sur presque tous les points, et pleine justice est rendue d’ailleurs à l’historien), il eût suffi de laisser au sens du génie oratoire, du génie de l’éloquence déclaré dominant chez lui, la valeur d’un aperçu littéraire, sans lui attribuer la valeur d’une formule scientifique ; il eût suffi enfin de ne pas inscrire à la première ligne de cette étude, de n’y pas faire peser le nom et la méthode de Spinosa, de ne pas rapprocher des termes aussi étonnés d’être ensemble que Spinosa et Tite-Live.

198. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Il veut que nous prenions parti : « Il y a un irréductible désaccord qu’il faut voir… La justice et l’amour sont-ils le bien sûr, la loi sûre, et le port sauveur, ou bien sont-ils de possibles illusions, des vanités probables ? […] Desjardins a oublié de nous dire qu’il ne donnait aucun sens plus solide aux termes justice, amour, bien, loi, illusion, vanité, destinée, idéal, but, précédemment avancés.) […] Par charité, sentiment de justice ?

199. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Pour la justice, il se contentait de répéter l’axiome répandu : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît à toi-même 230. » Mais cette vieille sagesse, encore assez égoïste, ne lui suffisait pas. […] Purifiez vos pensées ; cessez de mal faire, apprenez le bien, cherchez la justice, et venez alors 259. » Dans les derniers temps, quelques docteurs, Siméon le Juste 260, Jésus, fils de Sirach 261, Hillel 262, touchèrent presque le but, et déclarèrent que l’abrégé de la Loi était la justice.

200. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

La puissance de Méhémet Ali en Égypte était alors l’objet de l’attention des politiques et de la curiosité du monde : c’est par cette étude faite de près et sur les lieux, que le duc de Raguse termina ce voyage, et qu’il put dire en se rendant toute justice : Il est dans mon caractère de prendre un vif intérêt à ce qui a de la grandeur et de l’avenir. […] Comme on préparait, vers le temps de sa mort, une nouvelle édition de ses Voyages, et que l’un de ses amis avait songé que ce pourrait être une occasion de faire appel à la justice, il écrivait (8 janvier 1852) : En résumé, mon cher ami, je vous le répète, celle publication me fera plaisir, et j’espère qu’elle me donnera quelque jouissance. […] Que les haines, s’il en était encore, se taisent ; que les préjugés daignent achever de s’éclairer et de se dissiper ; que la justice et la générosité descendent, au nom de l’Empereur même, sur cette rentrée funéraire du dernier des grands lieutenants de l’Empire ; que les armes de nos soldats l’honorent et la saluent, et il y aura dans le cercueil de Marmont quelque chose qui tressaillira8.

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