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1079. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Dans le poème dont il a commencé la traduction, et qui, nous le reconnaissons, est un travail cyclopéen de philologie et de difficulté d’expression, il n’a pas su distinguer ce qui appartenait à l’esprit hindou de ce qui ne lui appartenait pas, et, cette distinction faite, combien il restait peu à Valmiki de puissance réelle, de sens des choses de l’âme, de vrai génie ! […] Traduit par un homme de grand talent avec la piété d’un Fidèle, avec le soin que mettaient les moines copieurs du Moyen Âge à transcrire leurs plus précieux manuscrits, le vaste livre de Valmiki restera comme un renseignement très curieux et infaillible de l’état cérébral d’un peuple dont jusqu’ici on a forcé les proportions.

1080. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

L’ombre blanche est restée pour jamais une ombre fuyante. […] Il n’y a pas de mal, d’ailleurs, à ce qu’un peu de mystère et de l’esprit du Moyen Âge restent sur ces points en litige.

1081. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Elle a, dans les doctrines d’application et d’exécution de ce socialisme, le dernier enfant de ses entrailles, introduit avec une satanique profondeur de dessein une fausse figure historique du Sauveur des hommes, croyant sans doute qu’il resterait assez d’irrésistibles séductions dans la tête divine — défigurée par elle — pour fasciner les âmes et les entraîner à ses fins. […] Si le protestantisme iconoclaste a tué en Allemagne l’inspiration catholique, il a ébranché l’arbre même du génie national, intimement religieux ; mais ce qui est resté catholique dans cette terre prise sous les glaces de l’examen de Luther, n’a point perdu son flot pur de naïveté, si naturellement épanché.

1082. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Sans doute, la Bible, telle que la voilà, restera quelque chose avec quoi il faudra compter. […] le moyen pour un artiste, fût-il le plus grand et le plus sorcier des artistes, de lutter victorieusement contre cela, contre cette première impression de la vie qui nous est restée vivante, flambante, idéale, et qui fait pâlir toute impression présente devant cette force du souvenir qui, elle aussi, a pour loi de se multiplier par la distance !

1083. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

En gravissant les degrés de l’échafaud de la reine, ils étaient montés à l’histoire, et nous espérions qu’ils y resteraient, — dans l’histoire. […] A force de vouloir lui faire faire ce à quoi répugne son génie vigoureux, net, leste et d’une sobriété si fière, la langue française un jour n’y tiendra plus, et il ne leur en restera que le panache et les caparaçons dans la main.

1084. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Il voit et il dit ouvertement que, si les crimes ont été grands, l’homme est resté petit. […] Après les luttes, les confusions et les renversements révolutionnaires, ces sortes de déclarations qui indiquent les bases restées inébranlables sous les débris, et les garanties légitimes revendiquées par les intérêts nouveaux, sont souvent nécessaires. […] On demandait au général La Fayette ce qu’il avait fait pour ses opinions, sous l’empire ; il répondit : « Je suis resté debout. » Rester debout au milieu d’hommes agenouillés ou inclinés, c’était le dernier effort des esprits fermes et des cœurs intrépides, effort assez rare dans ce temps d’énervement et aussi d’affaiblissement moral ; car le scepticisme, après avoir tout ébranlé dans la sphère religieuse, avait remplacé, chez la plupart des hommes, les passions révolutionnaires dans la sphère politique. […] Il se réfugia dans la science, où il restait maître de sa pensée, et ce furent surtout les sciences exactes qui occupèrent ses veilles. […] Or, quand les marches et les contre-marches s’arrêtent sur les champs de bataille le mouvement recommence presque toujours sur le champ des idées ; l’activité humaine, qui ne peut rester sans aliment, passe alors de la sphère du fait dans celle de l’intelligence.

1085. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 389

Sa Tragédie de Pénélope, restée au Théatre, est aujourd’hui le seul de ses Ouvrages qui ait une apparence de vie.

1086. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Malherbe ne le sentit pas ; il ne s’attacha pas à la prendre dans sa verte tige, sauf à l’émonder et à la corriger ; il ne se dit pas : « On fait une maison, mais on ne fait pas un arbre vert, on ne fait pas une poésie… » La sienne resta donc toujours marquée et frappée d’une sécheresse native, d’une demi-stérilité ; à côté d’un fier rameau qui se couronnait de verdure, tout à côté il y en avait un autre de sec et de mort. […] Le Chœur était tout, à l’origine, dans la tragédie ; l’action ne vint que peu à peu, introduisant et mettant en jeu un petit nombre de personnages devant un autel : le Chœur et ses chants, même quand ils ne parurent plus qu’un entracte dans l’action, restaient donc une partie intégrante de la tragédie antique. […] Malherbe est le type de ces honnêtes gens poètes, et sensés bien que poètes, qui savaient à la fois rester à leur place, modestes en cela, et aussi se mettre à leur place dans leur ordre, fiers et indépendants, comme pas un. […] Le poëte qu’on a vu apparaître déjà mur, tout formé, dans ces pleines années qui suivirent la paix de Vervins, pénétré d’un sentiment national si sain et si juste, et comme prédestiné de longue main à être le chantre des joies, des craintes, des satisfactions sensées et pacifiques de la France sous le plus réparateur des règnes, survivant à ce règne trop tôt interrompu, ne se démentit pas un seul jour ; il resta le poëte de la Régente, de la fidélité, de toutes les louables et patriotiques espérances. […] Malherbe, même vieux, avait encore et toujours de l’élégance. — Et quand j’ai dit qu’il n’avait pas de sensibilité en aimant, il faudrait s’entendre sur ce mot de sensibilité ; car Malherbe était et resta toujours très-vif sur le chapitre de l’amour, tel qu’il le comprenait.

1087. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Fercoc, homme distingué, ami de M. de La Romiguière et resté plus condillacien que lui, y enseignait d’une manière attachante Locke et Condillac, avec un certain reflet moral et sentimental du Vicaire savoyard. […] Ils discernaient avec une rare supériorité de coup d’œil le fond du tempérament du malade, qui était excellent, mais ils faisaient abstraction de la fièvre qui lui restait, et dont les accès allaient redoubler. […] En ce temps-là, on était loin de la promiscuité d’opinions ; les camps restaient tranchés ; chacun combattait sous son drapeau et savait que l’adversaire en avait un qu’il fallait ravir. […] Est-ce donc qu’en philosophie, comme en bien des choses, il n’y aurait pas moyen, avec quelque avantage, de rester amateur toujours, Ami de la vertu, plutôt que vertueux ? […] La séance du 7 janvier 1847 restera mémorable entre celles du même genre.

1088. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Il était doux et bon, d’une sensibilité fine, timide même jusqu’à rester muet et paraître lourd en nombreuse compagnie ou devant des étrangers, ne retrouvant sa verve que devant des amis intimes, et disant même qu’on ne peut bien causer, sinon à deux. […] Quoique whig très-décidé et très-fidèle, il resta modéré dans la polémique, et dans un temps où les vainqueurs tâchaient légalement d’assassiner ou de ruiner les vaincus, il se borna à montrer les fautes de raisonnement que faisaient les tories ou à railler courtoisement leurs préjugés. […] Lorsqu’il fut dans les emplois, son intégrité resta entière ; il servit les gens, souvent sans les connaître, toujours gratuitement, refusant les présents même déguisés. […] Dans le désastre de toutes les Revues ruinées par l’impôt de la presse, le Spectator doubla son prix et resta debout. […] Addison l’y mit, et elle y resta.

1089. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Soit A la perception première ; les circonstances concomitantes B, C, D y restent associées par contiguïté. […] Les deux termes, quoique semblables, restent numériquement distincts, et diffèrent tout au moins par ce simple fait que A′ est une perception tandis que A n’est plus qu’un souvenir. […] Elles apparaissent alors, en fait, à notre conscience, alors qu’elles sembleraient devoir, en droit, rester couvertes par l’état présent. […] Mais d’autre part, comme nous le montrerons plus loin, l’image-souvenir elle-même, réduite à l’état de souvenir pur, resterait inefficace. […] Resterait à savoir, il est vrai, comment des excitations émanant du dedans peuvent donner naissance, par leur action sur l’écorce cérébrale ou sur d’autres centres, à des sensations.

1090. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Beauvoir, Roger de (1809-1866) »

Jules Barbey d’Aurevilly La Muse de M. de Beauvoir a plus d’un rapport avec une célèbre courtisane, restée sincère et tendre, malgré les dissipations de sa vie.

1091. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Penquer, Mme = Salaün-Penquer, Léocadie (1817-1889) »

Traversez un moment leur sphère, mais pour rentrer bientôt dans la vôtre ; restez la muse du foyer toujours, avec ce je ne sais quoi de raisonnable et de modéré jusque dans l’essor, avec la mesure du cadre qui donne un fonds solide aux couleurs.

1092. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 381-382

Les Poésies qui nous restent de lui sont peu estimées ; mais ses Remarques sur la Poésie Françoise le sont beaucoup, & méritent de l’être.

1093. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » p. 333

Quelques morceaux de Poésie qui nous restent de lui, font juger qu’il auroit pu figurer avec éclat parmi les bons Poëtes que sa protection fit éclore.

1094. (1925) Dissociations

Restons dans les sentiers ordinaires et voyons s’il est sensé d’exiger de l’art Dongen de choisir ses sujets de telle sorte qu’ils aient à la fois des explosions de couleur et des explosions de pudeur. […] Comme sentiment de la vie, il est resté un problème. […] Le système est resté, même en France, aussi superficiel que possible et les pharmaciens commencent à inscrire l’once sur leurs catalogues. […] Pourtant cela est arrivé, mais je crois qu’elles resteront lointaines. […] La facilité de demeurer aux champs et de rester tout de même en communication constante avec la civilisation s’opposera peut-être à la tendance au rassemblement des hommes sur un même point.

1095. (1929) Amiel ou la part du rêve

Jusqu’au bout il resta, lui, fidèle à cette défiance. […] Resterai-je à Genève, ou serai-je de France, d’Europe ? […] À Genève il resta quinze ans, mais à l’École quatre ans seulement. […] » L’ami du maréchal de Luxembourg et de Mme d’Houdetot, qui n’était point du bas à Paris, resta du bas à Genève. […] Le tutu-panpan est resté en Arles.

1096. (1910) Rousseau contre Molière

Dans la scène avec Dubois, « plus Alceste a sujet de s’impatienter, plus il doit rester flegmatique et froid, parce que l’étourderie du valet de chambre n’est pas un vice. […] Comment ne comprend-il pas qu’Alceste est un candide, né candide et en qui il restera toujours de la candeur ? […] Il dira : « Je ne trouve partout qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie », et il éclatera ; mais qu’une femme fausse le trahisse, il restera très calme, parce que c’est lui et non un autre qu elle a trompé ; que d’indignes amis le déshonorent, il restera impassible, parce que c’est lui qu’on déshonore injustement et non un autre. […] — Restez dans votre maison ; ne faites pas le couvreur […] Restent quelques mortels qui sont à la fois intelligents et honnêtes.

1097. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Botrel, Théodore (1868-1925) »

—Théodore Botrel a presque toujours su rester simple, sans tomber dans un prosaïsme choquant.

1098. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Favre, Jules (1809-1880) »

Paul Maritain La sève qui fécondait sa belle intelligence ne s’est pas ralentie un instant ; et dans les pages suprêmes qu’il traçait de sa main défaillante, lorsque les ombres sinistres du trépas commençaient à pâlir son front, on retrouve la pureté harmonieuse, la fraîcheur de sentiments et d’images, la noblesse et l’élévation de pensées qui resteront comme les traits caractéristiques de son génie.

1099. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Fèvre-Deumier, Jules (1797-1857) »

Édouard Fournier Son Hommage aux mânes d’ André Chénier est une page éclatante, de laquelle se détache ce beau vers qui est resté : Adieu donc, jeune ami, que je n’ai pas connu.

1100. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Legrand, Marc (1865-1908) »

Elles y habitent, y reçoivent un culte pieux que solennisent des hymnes dignes d’elles, parlent elles-mêmes parfois par la voix de leur hôte, le payent du noble privilège de rester presque seul à posséder l’art du beau vers français.

1101. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Après être resté un moment avec ses collègues, il va à la recherche de son auberge. […] Sans elle, cette connaissance serait beaucoup plus difficile à obtenir et resterait beaucoup plus incomplète. […] Ces petites gazettes et les livres publiés par les symbolistes restèrent d’abord inaperçus en dehors du café en question. […] Quelques individus exigent une admiration sans bornes pour un poète dont les oeuvres restent son secret et le resteront sans doute, et d’autres lui apportent fidèlement et humblement l’admiration exigée. […] Après ces jugements de ses frères du Parnasse symbolique, je pourrais en rester là avec Moréas.

1102. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Ce petit corps ne resta point confiné dans son comté, il eut pendant deux ans et demi des campements très différents, au camp de Winchester, aux côtes de Douvres, aux plaines de Salisbury. […] Suard a le bon goût de ne pas forcer les traits et de rester dans la mesure. […] Qui ne sent pas son prix n’est pas digne d’elle ; mais qui l’a pu sentir et s’en détache est un homme à mépriser… — Gibbon a l’honnêteté de renvoyer à cette lettre où les noms étaient restés masqués par des initiales ; il indique que c’est à lui qu’elle s’applique, et il ajoute : « Comme auteur, je n’appellerai pas du jugement, ou du goût, ou du caprice de Jean-Jacques ; mais cet homme extraordinaire, que j’admire et que je plains, aurait pu mettre moins de précipitation à condamner le caractère moral et la conduite d’un étranger. » j.

1103. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Toutefois, comme le nom manque ; comme, au milieu de l’abondance, de la solidité et même de l’agrément relatif des preuves, il y manque de plus l’éclair et le coup de foudre cher aux Français, ce côté militant de l’éloquence de Bourdaloue lui a peu survécu et ne s’est point dessiné de loin, tandis que Pascal, visière baissée, mais brillant du glaive, dans ses immortels pamphlets, est resté avec les honneurs de la victoire. […] Je dis sévère : car il ne faut pas croire que Bourdaloue, en exposant à son auditoire ces portraits fidèlesl, y mêlât de ces nuances, de ces inflexions marquées de débit et d’accent qui en eussent fait des peintures trop agréables et de trop fines satires : il restait lui-même, c’est-à-dire grave, uni en parlant, sérieusement digne ; il n’avait pas de ces tons familiers, insinuants, touchants, que lui demandait Fénelon ; il maintenait le caractère d’enseignement et de précepte, même dans ses censures ; enfin, il lui suffisait d’être frappant, utile et instructif, il n’était pas enchanteur. […] J’ai tâché, dans ce que j’ai dit aujourd’hui à son sujet, de prouver que ce grave et puissant prédicateur, dont il ne faut pas faire un talent triste et une parole terne, avait, en effet, la finesse, la pénétration, l’à-propos et la science de l’occasion, autant que les plus fortes armes de la démonstration oratoire, et qu’à travers ce qu’il semblait ignorer et ce qu’il aimait mieux ne pas voir pour marcher comme à l’aveugle et plus hardiment, il avait l’œil très ouvert et très clairvoyant sur les hommes et les choses qui l’entouraient. — Il resterait à citer et à discuter un portrait de Bourdaloue tracé par Fénelon dans ses Dialogues sur l’éloquence, portrait où la diversité et presque l’antipathie des natures se fait sentir, et où Fénelon exprime déjà sur ce talent trop réglé et trop uni à son gré quelques-uns des dégoûts modernes : mais il s’y juge peut-être lui-même encore plus que Bourdaloue, et c’est en parlant de Fénelon qu’il y aurait à y revenir un jour.

1104. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Il se fit là tout d’un coup comme un réveil de la licence, des intrigues et de l’émancipation en tous sens qui s’était vue au xvie  siècle ; toutes les imaginations, toutes les ambitions étaient en campagne : Il est aisé de comprendre, nous dit La Fare, comme quoi chacun alors par son industrie pouvait contribuer à sa fortune et à celle des autres : aussi les gens que j’ai connus, restés de ce temps-là, étaient la plupart d’une ambition qui se montrait à leur première vue, ardents à entrer dans les intrigues, artificieux dans leurs discours, et tout cela avec de l’esprit et du courage. […] Pour moi, je l’avoue, ces beaux raisonnements et pronostics de décadence, même en partie justifiés depuis, me touchent peu ; il me semble qu’il y avait quelque chose qui eût mieux valu : supporter quelques refus de plus de la part de Louvois, tenir bon sous les armes et sous le drapeau, et rester en mesure pour être de ceux qui honoreront la France dans ses mauvais jours avec Boufflers, ou qui la sauveront avec Villars. […] Il ne travaille pas assez pour arriver à écrire des mémoires un peu longs et complets ; la plume lui tombe des mains avant la fin, et c’est dommage ; il était si capable de bien juger et de donner sur les hommes qu’il a connus de ces traits qui restent et qui fixent en peu de mots la vérité du personnage !

1105. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Il y avait danger, si la question était restée longtemps encore à l’état de conflit et de lutte. […] Il faut, donc les épurer, les simplifier, les éclairer sous tous leurs aspects d’une lumière si vive, que, dans le jeune auditoire, aucune intelligence ne puisse rester rebelle au sentiment de ces grandes vérités. Rien de plus propre à conduire à ce but désirable que des expériences bien choisies, exécutées et discutées avec attention… On ne saurait trop le répéter aux professeurs : Bornez votre enseignement ; loin de vous engager par-delà le programme, restez en deçà plutôt.

1106. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Je ne fais qu’indiquer un portrait du général ministre Grumbkow, persécuteur odieux de Frédéric et de sa sœur : dans son duel avec le prince d’Anhalt, elle le montre effaré et tremblant, et rappelle toutes les autres preuves qu’il avait données de la même disposition, soit à la bataille de Malplaquet, où il était resté dans un fossé pendant tout le temps de l'action, soit au siège de Stralsund, où il s’était démis fort à propos une jambe dès le commencement de la campagne, ce qui le dispensa d’aller à la tranchée : « Il avait, conclut-elle, le même malheur qu’eut un certain roi de France, qui ne pouvait voir une épée nue sans tomber en faiblesse61 ; mais, excepté tout cela, c’était un très brave général. » Et ailleurs, montrant le roi son père qui ne s’accommodait pas des manières polies et réservées du prince héréditaire de Bareith, tout en le lui donnant pour mari : « Il voulait un gendre, dit-elle, qui n’aimât que le militaire, le vin et l’économie. » Certes, dans une société idéale où l’on se figure réunis les Caylus, les Hamilton, les Grammont, les Sévigné, les Coulanges, les Saint-Simon, les Staal de Launay, les Du Deffand, la margrave n’eut pas été hors de sa place ni dans l’embarras ; elle eût trouvé bien vite à payer son écho par maint trait d’esprit et de raillerie bien assénée, qui eût été applaudi de tous et de toutes, de même que son frère, en causant, n’était en reste de mots excellents ni avec Voltaire, ni avec personne ; mais à la lecture, et eu égard au genre et à la nature des tableaux, elle garde sa couleur étrange et son accent exotique. […] Cette amitié passionnée resta sans un refroidissement et sans une tache jusqu’au moment où Frédéric, emporté par la fougue de l’âge et outré par les persécutions domestiques, se livra sans frein à ses mauvais penchants. […] La margrave de Bareith, qui avait vu les choses d’un peu plus loin, resta, même dans le premier moment de l’éclat, plus indulgente au poète : il continuait de lui écrire, et au plus fort de l’orage il eut soin de se la concilier : Les lettres qu’il a écrites à ses amis ici (à Bareith), dit-elle à son frère, lettres qui sont écrites sans défiance et qu’on ne m’a montrées qu’après de fortes instances, sont fort respectueuses sur votre sujet.

1107. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Guérin ne quitta pourtant pas encore la Bretagne, et il y resta jusqu’à la fin de janvier 1834, tantôt à la Brousse, dans la famille de M. de Marzan, tantôt au Val de l’Arguenon, dans l’ermitage de son ami Hippolyte de La Morvonnais, tantôt à Mordreux, chez le beau-père de ce dernier. […] » Aucune circonstance de sa vie, pas même l’inclination qui détermina son mariage, n’est venue démentir ce jugement qu’il portait sur lui-même ; il n’aima jamais qu’à la surface et, pour ainsi dire, devant le premier rideau de son âme : le fond restait mystérieux et réservé. […] On parle des lakistes et de leur poésie, et La Morvonnais, vers ce temps même, en était fort préoccupé, au point d’aller visiter Wordsworth à sa résidence de Rydal Mount, près des lacs du Westmoreland, et de rester en correspondance3 avec ce grand et pacifique esprit, avec ce patriarche de la muse intime.

1108. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

disait-il ; je crois que j’entends venir le roi » Louis XIV ne l’entendait jamais venir, car il l’était et le restait toujours. […] Aussitôt après le passage du Rhin, le prince d’Orange se retire et n’estime pas de la prudence d’attendre dans ses retranchements de l’Yssel Louis XIV qui comptait se porter à sa rencontre : « Cette nouvelle de la retraite prompte du prince d’Orange, quoique avantageuse pour le bien de mon service, me donna d’abord quelque mortification pour ce qui regardait ma propre gloire, parce que, s’il fût resté sur l’Yssel, j’espérais le combattre et peut-être défaire entièrement son armée ; mais, ayant toujours préféré l’intérêt de l’État à celui de ma réputation, je ne songeai qu’à profiter des avantages que la retraite des ennemis me fournissait. » Ce ne fut pas la seule fois que Louis XIV regretta d’avoir manqué l’occasion de se mesurer avec le prince d’Orange : une autre fois, dans la suite de cette guerre (1676), il la manqua encore, proche de Valenciennes, mais par sa faute ce jour-là et par trop de prudence : il ne tenait qu’à lui d’attaquer. […] Mais c’est assez ; mieux vaut en rester sur une impression qui est un témoignage de la vraie grandeur du cœur.

1109. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Bref, Apulée avec ses inconvénients nous est un témoin de bien des choses particulières, qui sans lui seraient restées ignorées et inconnues ; c’est un témoin indiscret et un peu bavard tant mieux ! […] ne restons-nous pas plus ou moins des ânes jusqu’à ce que nous ayons mangé des roses ? […] Elle aurait pu être nommée tout autrement et rester la même.

1110. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Leur renommée, comme un héritage au bon vieux temps, est restée indivise. […] Au xviiie siècle, l’excellent peintre de genre, Chardin, semble avoir voulu renouer à eux pour les scènes d’intérieur et la représentation des objets naturels : « C’est là, c’est chez lui, disait Diderot, l’un de ses grands admirateurs, qu’on voit qu’il n’y a guère d’objets ingrats dans la nature, et que le point est de les rendre. » Chardin, qui était, en outre, un homme de beaucoup d’esprit, répandait sur ses reproductions naturelles une qualité que les Le Nain avaient trop négligée ou ignorée, l’agrément : ceux-ci lui restaient supérieurs peut-être par un trait moral plus prononcé, par une bonhomie plus antique. […] je laisse maintenant ces trouvailles à d’autres ; mais ce qui ne sera jamais démenti, c’est qu’ils étaient pleins de compassion pour les pauvres, qu’ils aimaient mieux les peindre que les puissants, qu’ils avaient pour les champs et les campagnards les aspirations de La Bruyère, qu’ils croyaient en leur art, qu’ils l’ont pratiqué avec conviction, qu’ils n’ont pas craint la bassesse du sujet, qu’ils ont trouvé l’homme en guenilles plus intéressant que les gens de cour avec leurs broderies, qu’ils ont obéi au sentiment intérieur qui les poussait, qu’ils ont fui l’enseignement académique pour mieux faire passer sur la toile leurs sensations : enfin, parce qu’ils ont été simples et naturels, après deux siècles ils sont restés et seront toujours trois grands peintres, les frères Le Nain. » J’honore le critique qui trouve de tels accents, et quand il aurait excédé un peu, comme c’est ici le cas, dans ses conjectures ou dans son admiration pour les trois frères indistinctement, il n’aurait fait que réparer envers ces bons et dignes peintres un long arriéré d’oubli et d’injustice, leur rendre avec usure ce que près de deux siècles leur avaient ôté ; il n’aurait pas fait d’eux un portrait faux, car il reconnaît et relève en toute rencontre leurs inégalités et leurs défectuosités originaires, il n’aurait donné en définitive qu’un portrait un peu idéal, ou du moins un portrait un peu plus grand que nature, un peu plus accusé et accentué de physionomie, mais toujours dans les lignes de la ressemblance et de l’individualité.

1111. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Son pinceau restait fidèle à sa religion. […] Schnetz, du moins, sans jamais s’élever plus haut ni chercher à se surpasser, est resté égal ou semblable à lui-même. […] Debout, les derniers, sont restés Scheffer, Horace Vernet, Delacroix, celui-ci le seul demeurant aujourd’hui ; eux, privilégiés en cela et favorisés du sort, ils ont poussé à bout leur vocation, ils ont rempli toute leur destinée de peintres ; ils ont fait rendre à leur palette tout ce qu’elle recelait, l’un de poésie, l’autre de vérité, l’autre de flamme ; ils n’ont certes rien à regretter.

1112. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Il y était allé, croyant n’y passer que quelques jours : il y resta presque quatre ans. […] Gavarni veut-il nous montrer la fin et l’issue d’un combat de boxeurs, c’est d’abord le vaincu, celui qui est resté sur le carreau : on l’emporte pâle, étendu, la tête renversée, sans connaissance et comme prêt à rendre le dernier soupir ; vous tournez la page et vous voyez le vainqueur : celui-ci, on ne l’emporte pas ; il est debout, on le porte ; deux camarades ont besoin de toute leur force pour le soutenir ; éborgné, fracassé, démoli, croulant, il lui faudra bien des jours pour se refaire, s’il y parvient jamais. […] Il y a dans ces invalides quelques Anglais tels que Childe-Harold ou Oswald : ils sont et restent bien Anglais de type jusque dans leur décadence.

1113. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Tant que la suspension d’armes du côté des Anglais resta indécise, Louis XIV désira que Villars « gardât le milieu entre l’inaction et une bataille dans laquelle on eût risqué le tout » ; et c’est à ce moment que l’idée d’une attaque sur Denain, d’une diversion sur les derrières de l’ennemi, fut suggérée de Versailles par Louis XIV lui-même. Le prince Eugène, en portant son armée entre l’Escaut et la Sambre, continuait de tirer ses approvisionnements et ses vivres de la place de Marchiennes avec laquelle il restait en communication, moyennant le camp retranché de Denain sur l’Escaut. […] » Ce mot restera celui de l’histoire.

1114. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Pour moi, je l’avouerai, ces sortes d’explications sur de grands génies pris dorénavant comme types absolus et symboles, non pas précisément surfaits, mais généralisés de plus en plus et comme élevés en idée au-dessus de leur œuvre, si forte et si grande déjà qu’elle soit en elle-même, ces considérations chères à la haute critique moderne restent à mes yeux nécessairement conjecturales ; ce sont d’éternels problèmes qui demeurent au concours et où l’on revient s’essayer de temps à autre : chacun, à son tour, y brise une lance. […] Hasard, Hasard, si l’on veut rester vrai, on ne fera jamais ta part assez grande, ni l’on ne donnera jamais les coups de canif assez profonds dans toute philosophie de l’histoire. […] Elle était restée longtemps inconnue des Anglais eux-mêmes ; elle se trouve à la page 50 d’un charmant petit livre, Trésor des meilleures chansons et poèmes lyriques (The golden Treasury…), recueilli par M. 

1115. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Nous y avons tous cédé plus ou moins dans nos propres confessions aussi, en vers ou en prose ; mais elle, elle était femme et devait s’en souvenir ; elle pouvait, si elle le voulait absolument, indiquer le fait en glissant un peu ; il y a manière de tout faire comprendre et de tout dire ; mais cette confidence de sang-froid, sous la plume d’une belle personne restée honnête et qui s’appesantit sur une sale image, est tout à fait déplaisante. […] Une autre phrase plus que risquée, à propos de Tacite (p. 181), et qui aurait bien pu sans dommage rester au bout de sa plume, prouverait tout au plus que Mme Roland, lorsqu’elle écrivait, n’était pas moins gaillarde que Mme de Sévigné. […] Avertir ce digne homme qu’elle ne l’aime plus, mais qu’elle lui restera fidèle à son corps défendant, c’est dur, c’est impitoyable ; c’est par trop se faire valoir soi-même et trop peu accorder à la sensibilité des autres.

1116. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

La routine, qui ne s’inquiète guère de la logique, restait la plus forte… » Il n’y avait, sur ce point, ni logique ni routine ; on ne pouvait deviner un fait dont on n’avait pas la moindre preuve. […] J’espère d’ailleurs que le temps pourra quelquefois me justifier ; il apportera sur notre homme de grosses découvertes, mais on se souviendra des petites : la transcription, enfin raisonnable, de la lettre de La Bruyère à Santeul ; l’anecdote de la lettre de celui-ci remerciant La Bruyère de son portrait ; le certificat de licences prises par La Bruyère à Orléans ; l’anecdote de La Bruyère et du prédicateur ; celle de M. le Prince ne se frottant pas, pour s’en amuser, à son caustique gentilhomme ; la mention du mariage du frère aîné avec la fille de M. de Novion, par laquelle se trouve expliqué tout le côté parlementaire du livre ; l’histoire très-complétée de la petite Michallet, de son mariage, et du livre qui fut sa dot ; l’histoire non moins complétée des candidatures de La Bruyère et de sa réception à l’Académie ; le récit de sa mort soupçonnée de poison, etc., bien d’autres choses qu’on ne voit pas encore, parce que je n’ai rien fait pour les montrer ; pauvres aiguilles, comme vous dites, que j’ai perdues négligemment dans une botte de foin… » De mon côté, je ne restai pas sans réponse. […] Gustave Flaubert, au sujet de Salammbô, nous nous étions ainsi querellés à cœur ouvert, que je l’avais critiqué, qu’il m’avait répondu, et que nous n’en étions pas moins restés bons amis, « ce qui est, disais-je, d’un bon exemple », j’ajoutais : « Je serais tenté de vous obéir et d’aller sur le terrain à quelques-uns des endroits que vous me signalez.

1117. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Cependant le comte de Senfft, qui lui-même et à la suite de sa femme, était resté un peu sous le charme, nous édifie très-bien, et en termes polis, sur la manière dont se menaient avec lui les transactions diplomatiques et sur les moyens par lesquels on parvenait à l’intéresser. […] Une somme de quatre millions de florins, offerte à Varsovie par les magnats pour obtenir son suffrage en faveur du rétablissement de leur pays, leur fut restituée après être restée déposée pendant plusieurs jours entre les mains du baron de Dalberg. […] Napoléon, dans ce tête-à-tête avec Rœderer, se promenant de long en large, s’animait par degrés, et parlant du contenu de ces lettres : « Il y dit qu’il veut aller à Morfontaine, plutôt que de rester dans un pays acheté par du sang injustement répandu… Et qu’est-ce donc que Morfontaine ?

1118. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Après les diverses tentatives de réhabilitation et de renaissance auxquelles s’était livrée l’école romantique, il en restait une, de tous points indiquée, mais devant laquelle on avait reculé encore. […] Dans son article sur Colletet, par exemple, il indiquera l’Histoire des Poëtes françois, que ce vieil auteur a composée et qui est restée manuscrite : elle est à la bibliothèque particulière du Louvre ; le conservateur, M. […] mais en poésie, c’est la pensée et le sentiment qui restent le principal, qui gardent, pour ainsi dire, la haute main, tandis qu’en peinture la main-d’œuvre, au besoin, prend le dessus. — La quantité de noms célèbres que M.

1119. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Elle aimait à la folie ses enfants, surtout sa fille ; les autres passions lui restèrent toujours inconnues. […] La noble société de nos jours, qui a conservé le plus de ces habitudes oisives des deux derniers siècles, semble ne l’avoir pu qu’à la condition de rester étrangère aux mœurs et aux idées d’à présent6. […] Walckenaer (Mémoires sur Mme de Sévigné) remarque très-bien qu’elle, qui eut le sentiment maternel si développé, n’eut pas le temps d’avoir le sentiment filial, étant restée orpheline en si bas âge.

1120. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Nous avons eu plus d’une fois occasion de montrer en quelles circonstances favorables, et par quelle combinaison de sentiments divers, put se former cette école de poésie et d’art, fruit propre des dernières années de la Restauration, et qui, à ne la prendre que dans son origine, indépendamment de ce que fourniront désormais les principaux membres dispersés, ne restera pas sans honneur. […] Le jour où quelque personne intime, en 1824, la surprenait le plus vive contre les projets de M. de Villèle, tenant en main la brochure du comte Roy sur le 3 pour 100, s’en animant comme en connaissance de cause, et présageant par cette noble faculté d’indignation, qui était restée vierge au milieu du monde, la rupture inévitable de son éloquent ami, ce jour-là peut-être elle avait médité le matin sur l’une des Réflexions chrétiennes qu’elle s’efforçait de mûrir. […] Contrairement à ceux qui, n’approuvant plus une révolution et cessant de rien accepter d’une assemblée, s’abstiennent, se retirent plus ou moins, et émigrent à quelque degré, il y a ceux qui restent dedans, contestent à haute voix, disputent pied à pied, et meurent quand il le faut, mais en proférant des mots qui retentissent ; en regard du système de l’émigration, il y a le système qui se personnifie en Kersaint et qu’on pourrait appeler de son nom.

1121. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

Il ne faut pas s’étonner s’ils sont restés puissants et surtout riches ; rien de plus stable qu’une forme de société. […] La souveraineté l’avait faite ; séparée de la souveraineté, elle est restée aux mains jadis souveraines. […] L’ancien chef peut encore autoriser sa prééminence par ses services, et rester populaire sans cesser d’être privilégié.

1122. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

En trois siècles, de la Renaissance au romantisme, le genre historique est représenté par le Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet, qui est une œuvre de théologie, par l’Histoire des Variations, du même, qui est une œuvre de controverse, par l’Esprit des Lois, de Montesquieu, qui est un essai de philosophie politique et juridique : restent l’Essai sur les mœurs et le Siècle de Louis XIV de Voltaire, qui sont vraiment de l’histoire, malgré la thèse antireligieuse de l’auteur. […] En lisant l’Imitation, tout enfant il avait « senti Dieu » : il resta toute sa vie un inspiré, et les livres qui parlèrent le plus à son cœur furent toujours les livres des voyants et des prophètes, l’Imitation, la Bible, les Mémoires de Luther ; même il sera tendre à Mme Guyon. […] Michelet restera surtout comme l’historien du moyen âge : c’est là la partie vraiment éternelle de son œuvre, où s’équilibrent l’érudition et l’imagination, où la sensibilité vibrante devient un instrument d’exactitude scientifique.

1123. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Resté le dernier survivant de la génération d’écrivains à laquelle il appartenait, il lui faisait honneur à nos yeux ; il la personnifiait par les meilleurs côtés ; c’est en la jugeant par lui qu’on s’en pouvait former l’idée la plus favorable. […] De ces divers écrivains, ainsi agrégés, qui avaient commencé ou qui continuèrent alors de concert la fortune du journal, quatre noms sont restés de loin associés dans le souvenir comme représentant la critique littéraire sous l’Empire : Geoffroy, Dussault, Hoffman et M. de Féletz, qui vient de mourir le dernier. […] C’est en l’approchant de plus près qu’il m’a été donné d’apprécier tout à fait cet esprit resté jeune, nourri d’anecdotes, d’agréables propos, rempli des souvenirs de son temps, nullement fermé aux choses du nôtre.

1124. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Sur ce point nous croyons que le tableau du grand peintre doit subir, pour rester vrai, un peu de réduction, et que sa verve s’est donné trop de saillie. […] Tout ce qui passait de distingué à Cambrai (et presque toute l’armée y passait à chaque campagne, durant ces guerres des dernières années de Louis XIV) voyait Fénelon, était traité par lui ; et, avec cet attrait particulier qui était le sien, il lui restait, de ces connaissances de passage, plus d’une liaison durable. […] Et il entre dans le détail de l’accident : une roue de moulin qui se met tout à coup à tourner au bord d’un pont sans garde-fous, un des chevaux de côté qui s’effraie, qui se précipite, et le reste. — Jusqu’à la fin, malgré ses tristesses intérieures, et quoique son cœur fût resté toujours malade depuis la perte qu’il avait faite de son élève chéri, Fénelon savait sourire, et sans trop d’effort.

1125. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Je n’en citerai qu’un seul exemple, resté secret jusqu’à ce jour. […] Quand on a fait le décompte de ses fautes, de ses ambitions et de ses torts personnels, la somme et le fond de sa politique restent encore ce qu’on vient de voir et qu’il a si bien retracé. Pour le juger comme politique, il convient de se dégager du point de vue français, des illusions françaises, et de ce qui nous est resté de l’atmosphère du ministère de Choiseul.

1126. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Quant aux vers, il faut en désespérer avec lui : sur ce point son gosier restera toujours rauque et dur, et il ne se corrigera jamais. […] Les grands objets de comparaison étaient restés hors de sa portée et de sa vue : il parlait en cette matière tout à fait en homme qui n’avait vu ni conçu à aucun jour la beauté suprême et véritable. […] Je crois être plutôt resté en deçà du vrai, quand j’ai dit que l’attrait de l’esprit entre ces deux hommes survécut même à l’amitié ; car il est évident, à lire de bonne foi toute la suite et la fin de cette correspondance, que l’amitié elle-même n’est pas morte entre eux, qu’elle a repris avec un reste de charme mêlé de raison, et qu’elle se fonde, non pas seulement sur l’amusement, mais sur les côtés sérieux et élevés de leur nature.

1127. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Vieux, arrivé au terme d’une existence jusque-là des plus favorisées et des plus également douces, l’abbé Barthélemy se vit tout d’un coup privé par la Révolution de la fortune, de l’aisance et de la liberté ; dans ces instants d’ennui et de retraite, il eut l’idée d’écrire des Mémoires sur sa vie, restés inachevés, mais suffisants, et qui sont la source où l’on apprend le mieux à le connaître. […] Ce désir du retour finit par l’emporter sur celui qu’il avait eu d’abord de rester, et qui lui faisait dire énergiquement : « J’abandonnerai ce pays avec les regrets de Pyrrhus quand il fut contraint d’abandonner la Sicile. » Durant ce voyage d’Italie, il me semble voir deux instincts aux prises et en lutte au sein de l’abbé Barthélemy : il y a l’instinct pur de l’antiquaire, de l’amateur des vieux débris et du zélé collectionneur de médailles, qui se dit d’épuiser la matière et de rester ; et il y a l’écrivain, l’homme d’art moderne et de style, qui, à la vue de ces monuments épars et de cette ruine immense couronnée d’une Renaissance brillante, sent à son tour le besoin de se recueillir, de rentrer dans sa ruche industrieuse, et de composer une œuvre qui soit à lui.

1128. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

combien elle ambitionnerait de revenir, de rester près de lui, et qu’il ne lui refusât point « place de laquais auprès de sa litière » ! […] Puis, tout à côté, vous la voyez redevenir, ou plutôt rester croyante à la manière des meilleurs catholiques de son âge, donner dans les moindres pratiques, et ne craindre même pas d’y associer des inconséquences. […] Et pourtant il est bon qu’il y ait de telles âmes éprises avant tout de l’humanité, et qui insinuent à la longue la douceur dans les mœurs publiques et dans des lois restées jusque-là cruelles : car plus tard, aux époques même de sévérité recommençante, la répression, quand elle est commandée par des raisons supérieures de politique, se voit forcée de tenir compte de cette humanité introduite dans les mœurs, et de la tolérance acquise.

1129. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

Nous ne sommes plus ici à la hauteur où M. de Suhm nous a portés ; nous n’avons plus affaire à un métaphysicien, homme du monde, homme d’affaires, et à la fois resté plein d’enthousiasme, de l’esprit le plus vif uni avec l’ingénuité du sentiment. […] Les lettres de l’ami qui guerroie à l’ami casanier qui est resté dans sa bibliothèque sont pleines de ces piquants et humains aveux. […] Telle était sa disposition sincère après sa première conquête, après ce premier beau morceau d’histoire ; il aspirait à en rester là, et, l’épisode terminé, à rentrer dans ses propres voies, c’est-à-dire une bonne administration, une libre et gaie philosophie, l’amitié et les beaux-arts.

1130. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Il se rendait à Rome, où il vendait un tableau 25 francs, gagnait Florence, où il n’était sensible qu’à la peinture des Primitifs, attrapait Milan, où sur les 650 francs qui lui restaient, il était volé de 500 francs, dans son auberge, par des voleurs qu’il qualifie de véritables artistes. […] » Et il remarche, jetant des phrases comme celle-ci : « Enfin nous sommes dans un monde tout nouveau, où toutes les conditions de l’existence sont changées, sans qu’on ait l’air de s’en apercevoir… Autrefois un ouvrier chaudronnier gagnait 6 francs par jour… Il pouvait mettre 3 francs de côté… Donc au bout de cinq ans, il avait 5 000 francs et pouvait se faire chaudronnier… Aujourd’hui il faut 800 000 francs pour établir un chaudron… donc il n’y a plus moyen pour le peuple de sortir du peuple… et le peuple ne veut pas rester peuple… Savez-vous avec quelle somme s’est fondée, sous Louis-Philippe, la plus grande fabrique de produits chimiques… Chabrol vous l’apprend… avec 60 000 francs… Allez maintenant chez Salleron, il vous demandera 15 000 francs pour une cheminée… un fourneau sans luxe, c’est une affaire de 50 000 francs… Et tout comme cela… une confiserie se fonde avec un capital de 1 200 000 francs… une épicerie, vous connaissez la maison Potin ?  […] » Mardi 28 décembre Au dîner des Spartiates de ce soir, le général Turr rappelait cette parole du juif Mirès, parole à lui dite en 1860 : « Si dans cinquante ans, vous ne nous avez pendus, vous les catholiques… il ne vous restera pas de quoi acheter la corde pour le faire ! 

1131. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Il y a, d’ailleurs, une autre raison qui ne permet pas de confondre l’estimation objective et l’estimation moyenne c’est que les réactions de l’individu moyen restent des réactions individuelles. […] Les tentatives si souvent faites en vue de réduire les unes aux autres les idées de bien, de beau, de vrai et d’utile sont toujours restées vaines. […] Quand les consciences individuelles, au lieu de rester séparées les unes des autres, entrent étroitement en rapports, agissent activement les unes sur les autres, il se dégage de leur synthèse une vie psychique d’un genre nouveau.

1132. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

. — « Pour garder son pouvoir, un talisman doit rester caché » 110 (Le koutôrou porte-veine, etc […] Il sait que toute précaution restera vaine (La précaution inutile), que jamais homme ne sera assez malin pour obliger sa femme à la fidélité, si roublard soit-il d’autre part ; (V. […] Il ne lui demande que de rester belle.

1133. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Il n’a pas fait, lui, de sermon sur l’unité, mais il lui est resté plus fidèle que celui qui en prononça un. […] Des hommes intelligents eurent l’imbécillité de prétendre qu’il y avait contradiction entre de Maistre, le théoricien incompatible de l’infaillibilité du Pape, et de Maistre, l’homme politique qui, dans une lettre intime faite pour rester secrète, blâme la politique d’un pontife avec la hardiesse d’un grand seigneur et la plaisanterie d’un homme d’esprit qui n’est point pédant. […] Restent donc, au compte de ce tortionnaire innocent, quelques épigrammes bien appliquées, pour sa défense personnelle, à des hommes qui l’avaient, comme Condillac et Locke, férocement ennuyé, et ce rictus épouvantable établi sur la bouche de Voltaire, mais qui, ma foi, n’en a pas beaucoup changé le sourire, et qui ne l’a pas, pour que l’on s’en plaigne, si prodigieusement défiguré !

1134. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Il restait toujours à la porte, et semblait ne pas vouloir entrer. […] Restent les causes. […] Faute de précision, vos descriptions sont restées inexactes.

1135. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Du premier au dernier de ses recueils, l’inspiration, dans ce qu’elle a d’essentiel, restera la même. […] Il est resté très enfant. […] Il est toujours resté en lui un peu de l’enfant de chœur habitué à jouer avec les vases de l’autel. […] Le cœur est resté chrétien pendant que la raison cessait de l’être. […] On dit encore qu’il est bien certain d’avance que la victoire restera au défenseur du dogme.

1136. (1925) Comment on devient écrivain

Un auteur couronné est oublié le lendemain ; les plus beaux débuts restent les trois quarts du temps stériles. […] Harpagon et Othello restent jusqu’au bout des avares et des jaloux. […] Il vous restera toujours assez de jeu pour les fantaisies de l’exécution. […] Il faut que la lecture donne cette illusion ; sans cela les auditeurs restent froids. […] Il n’en est rien resté.

1137. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Il devait rester un peu ; et puis, subitement, il s’en alla. […] Il n’en resterait absolument rien, si la joie ne s’arrêtait nulle part. Il ne resterait, à la fin de ce grand gaspillage, nul résultat : il resterait seulement la pratique multipliée d’une vertu. […] Tout de même, il resta médecin. […] Il y resta deux ans.

1138. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Deschamps, Émile (1791-1871) »

Auguste Barbier Comme poète, il avait peu d’invention et de sentiment, mais une facture de vers remarquable, une grande habileté dans la connaissance et le maniement des rythmes lyriques ; ses poésies légères, voltairianisme un peu romantisé, et son petit poème de Florinde, tiré du Romancero, resteront comme des œuvres pleines de grâce et d’habileté.

1139. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Krysinska, Marie (1857-1908) »

Imprécis quant à la forme, solubles et souples comme des lianes, chantants et harmonieux comme des improvisations musicales, ils resteront le seul exemple d’une œuvre d’art parfaite, créée contrairement à toutes formules.

1140. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Ruyters, André (1876-1952) »

Pour résumer, dans une anthologie, ou l’on se jouerait à réunir quelques poèmes des soirs, et où Apparition, de Stéphane Mallarmé, Soir d’octobre et Nuit de juin, de Léon Dierx, resteraient d’incontestables chefs-d’œuvre, un petit Nocturne, de M. 

1141. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vandeputte, Henri (1877-1952) »

Mecislas Golberg, que le « vers libre restera toujours le journalisme poétique.

1142. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 113

Ses autres Ouvrages, tous médiocres, & même au dessous du médiocre, sont restés dans l’oubli, & l’on a eu raison de dire dans son épitaphe : Ci-gît un Auteur peu fêté, Qui crut aller tout droit à l’immortalité ; Mais sa gloire & son corps n’ont qu’une même biere ; Et lorsqu’Abeille on nommera, Dame Postérité dira : Ma foi s’il m’en souvient, il ne m’en souvient guere.

1143. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article » pp. 252-253

Il est le premier qui soit parvenu à déterminer, avec précision, l’état actuel de la population, des récoltes & des consommations du Royaume, trois objets dont la connoissance, plus importante qu’on ne croit à l’Administration, étoit restée imparfaite sous les regnes de Louis XIV & de Louis XV.

1144. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Avant-propos » pp. -

C’est faire apprécier au lecteur l’ensemble de toutes les tentatives, dans lesquelles les auteurs se sont essayé à voir avec des yeux autres que ceux de tout le monde ; à mettre en relief les grâces et l’originalité des arts mis au ban par les Académies et les Instituts ; à découvrir le caractère (la beauté) d’un paysage de la banlieue de Paris ; — à apporter à une figure d’imagination la vie vraie, donnée par dix ans d’observations sur un être vivant (Renée Mauperin, Germinie Lacerteux) ; à ne plus faire éternellement tourner le roman autour d’une amourette ; à hausser le roman moderne à une sérieuse étude de l’amitié fraternelle, (Les Frères Zemganno) ou à une psychologie de la religiosité chez la femme (Madame Gervaisais) ; — à introduire au théâtre une langue littéraire parlée ; — à utiliser en histoire des matériaux historiques, restés sans emploi avant eux, (les lettres autographes, les tableaux, les gravures, l’objet mobilier) ; — tentatives enfin, où les deux frères ont cherché à faire du neuf, ont fait leurs efforts pour doter les diverses branches de la littérature de quelque chose, que n’avaient point songé à trouver leurs prédécesseurs.

1145. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VIII. De la cosmographie poétique » pp. 231-232

. — Le ciel ne fut pas d’abord plus haut pour les poètes, que le sommet des montagnes ; ainsi les enfants s’imaginent que les montagnes sont les colonnes qui soutiennent la voûte du ciel, et les Arabes admettent ce principe de cosmographie dans leur Coran ; de ces colonnes, il resta les deux colonnes d’Hercule, qui remplacèrent Atlas fatigué de porter le ciel sur ses épaules.

1146. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Et Rousseau, le seul parmi eux qui fût un artiste, c’est à la sensuelle musique de son style qu’il doit de nous rester cher. […] Mallarmé restera toujours la parfaite incarnation du Poète idéal. […] Je me suis entêté dans ma littérature, et je suis resté un classique. » Une aventure pareille est arrivée à M.  […] Décidément la science avait saisi là un mauvais reflet : et la nature éternelle restait inexplorée. […] Nous ne voulons plus du nouveau, quand bien même il en resterait au monde, — où d’ailleurs, fort heureusement, il n’en reste plus.

1147. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Il replaça la statue du grand homme sur son piédestal, elle y est restée depuis, elle y restera toujours. […] Son père l’envoya faire ses études aux Jésuites ; il y resta cinq ans et s’éleva jusqu’à la philosophie. […] Il resta pénétré du sentiment de son ingratitude entre une amie qu’il avait trahie et une jeune épouse qui devait le trahir ; mais son talent le consolait toujours. […] … Tartuffe, se démasquant tout à fait, prétend rester maître de la maison et des biens, en vertu du contrat de donation qu’il a obtenu de son ami Orgon. […] Et, loin d’accuser Molière et Le Sage d’avoir rien exagéré, il faut les louer d’être restés dans de si justes bornes.

1148. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 322-323

Boissi, [Louis de] de l’Académie Françoise, né à Vic en Auvergne en 1694, mort à Paris en 1758 ; Poëte comique, dont un grand nombre de Pieces sont restées au Théatre.

1149. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 52-53

Parmi ses Ouvrages perdus, ceux qu’on doit regretter davantage, sont une Epître à Bayle, qui, dit-on, étoit bien faite, & un Poëme de deux mille Vers sur les Campagnes de Charles XII, dont les fragmens qui nous restent donnent la plus haute idée.

1150. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 357-358

Sa plus grande réputation vient de sa Tragédie d'Iphigénie en Tauride, Piece qui eut un grand succès, & restée au Théatre, malgré ses endroits foibles & même vicieux.

1151. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

Pour trois ou quatre poëtes qui nous sont restés d’eux, combien d’autres n’a-t-on pas perdus, et qui n’étaient pas inférieurs en renommée ! […] Gautier lui-même ; mais, pour y rester fidèle jusqu’au bout et le remplir, pour se faire, à titre de peintre dépaysé, un coin de poésie à soi, pour le marquer d’une heureuse et singulière culture et l’enrichir de fruits à bon droit plus colorés qu’ailleurs, pour y réaliser, comme Andromaque exilée en Épire, le petit Xanthe et le Simoïs de l’éclatante patrie, combien il eût fallu d’efforts religieux et purs, de mesure scrupuleuse, de tact moral sous-entendu et, je le dis au sens antique, de chasteté !

1152. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Le temps en est passé : les Philippiques de Démosthène, au contraire, sont toujours contemporaines, parce qu’il parlait à l’homme, et que l’homme est resté. […] dans quel cœur resterait la trace de cet être passager qui implore la durée ?

1153. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Vainement les goûts se modifient, les inclinations changent ainsi que le caractère ; il faut rester la même puisqu’on vous croit la même ; il faut tâcher d’avoir quelques succès nouveaux puisqu’on vous hait encore pour les succès passés ; il faut traîner cette chaîne des souvenirs de vos premières années, des jugements qu’on a portés sur vous, de l’existence enfin telle qu’on vous la suppose, telle qu’on croit que vous la voulez. […] Il faut néanmoins user la trame de cette vie telle qu’elle est formée, puisque l’imprudence de la jeunesse en a tissu les premiers fils, et chercher dans les liens chéris qui nous restent et dans les plaisirs de la pensée, quelques secours contre les blessures du cœur.

1154. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Le monde, par raison et par mode, s’affranchissait de la tradition ancienne et ne reconnaissait que l’usage actuel : ainsi tout terme suranné était absolument proscrit ; il ne restait plus à la disposition de l’individu à qui il plaisait de l’utiliser. […] Comme après tout il est impossible de vider les mots de toute qualité sensible, comme ils restent sons, et recèlent toujours quelque possibilité d’image, de grands poètes, de grands artistes sauront organiser ce langage intellectuel selon la loi de la beauté, ils en exprimeront des formes esthétiques ; mais il en est d’autres, et non les moins grands, qui refuseront de souscrire aux arrêts de l’Académie, et qui, pour épancher leur riche imagination, iront rechercher les éléments d’un plus copieux et substantiel langage.

1155. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Ôtez les vers de lord Byron qu’à chaque page on cite ; ôtez les fragments des Mémoires de lord Byron qu’on y ajoute ; ôtez les faits connus et trimbalés partout sur ce génie, déjà légendaire ; ôtez enfin tout ce qui n’est pas de l’auteur de Robert Emmet, et il ne restera rien et ce sera son livre ! […] Lord Byron qui, comme quelques-uns de ses héros, est resté par bien des côtés un mystère, après ce livre, continuera d’en être un… Il semblait cependant qu’une femme, une nature de femme, ne devait pas être entièrement incapable de comprendre quelque chose à cette âme de lord Byron, à cette âme violente et douce, égoïste et magnanime, contradictoire comme toutes les femmes de la terre, et qui avait les deux sexes comme Tirésias.

1156. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Renée resta Français, et Français de Paris, et nous eûmes une histoire pénétrante souvent, brillante parfois, mais vivante toujours, et toujours écrite ; car il est toujours ce que Sismondi n’est jamais, dans le sens aiguisé du mot : je veux dire un lettré et un écrivain. […] Lui qui pense, comme les hommes vraiment politiques, que Louis XVI fut moins malheureux que coupable, contrairement à l’opinion commune qui le fait moins coupable que malheureux, lui qui pourrait, comme Vaublanc, resté immuablement royaliste, et Mirabeau, qui le redevint, avoir de ces traits perçants et terribles qui sont moins les vengeances que les justices de l’histoire, sait noblement s’en abstenir.

1157. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

… Ou il doit recommencer sérieusement, ce qui ne manquerait pas de hardiesse, la comédie de Molière, cette comédie des Précieuses, qui n’a point passé comme le temps qu’elle a peint, et dans laquelle tout est resté aussi vrai et aussi réel que cet éternel bonhomme que Molière met partout, ce Gorgibus qui est Chrysale ailleurs, et Orgon, et même Sganarelle ; car Sganarelle, c’est Gorgibus avec quelques années de moins et une… circonstance de plus ; ou bien — ce qui serait beaucoup plus crâne encore — il doit être, ce livre, la défense enfin arborée des Madelon et des Cathos contre les moqueries de Molière, la négation des ridicules mortels qu’il leur a prêtés, et la cause épousée par un spiritualiste du xixe  siècle de ces idéales méconnues qui tendaient à s’élever au dernier bien des choses, et voulaient des sentiments, des mœurs et une langue où tout fût azur, où tout fût éther ! […] Peut-être parce qu’il est plus loin, son bleu paraît plus doux… Fille adoptive de Michel Montaigne, qui avait fourré ses jeunes mains dans le manchon du vieux sceptique, elle les en avait retirées pénétrées de son influence, et cette influence lui était restée.

1158. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

Or, ces mots, qui sont la grande affaire de Fournier, croyez-vous qu’il y en ait beaucoup qui restent à terre sous sa massue, ou qu’il nous en tire d’autres de l’obscurité qui doivent briller désormais comme les escarboucles de l’histoire ? […] … Pour ma part, je n’ai pas très bien vu ce que l’information pure et simple a gagné au livre de Fournier ; je n’ai pas vu quelles modifications importantes en sont résultées dans l’ordre des connaissances, ordinaires ou vulgaires, — et, excepté le divertissement qui vient de toute nouveauté pour la masse des esprits ennuyés et superficiels, heureux et surpris de trouver un passe-temps dans des études qui devraient toujours rester sévères, excepté le divertissement des enfants et des femmes qui a fait son succès, je ne vois rien en l’Esprit dans l’histoire qui le recommande aux esprits seulement curieux.

1159. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Alors, au lieu de quinze années, nous en aurions peut-être cinquante, mais il resterait toujours à écrire cette histoire dont Moret signale l’absence, cette œuvre, une et vaste, dont le Temps lui-même a tracé le cadre avec des dates et des événements. […] Diviser un règne comme celui de Louis XIV, ou ne pas étreindre dans son dessein le siècle tout entier dont on dit les premières années, c’est toujours, quelque parti qu’on prenne, fragmenter un ensemble, briser et disjoindre ce qui devrait rester cohérent, altérer la nature des choses.

1160. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

III Toute l’histoire de Segretain est l’histoire de cette faute incompréhensible de Henri IV, qui s’immobilisa dans l’Édit de Nantes et resta sur le pays, dont elle brisa l’unité. […] un prêtre espagnol, en pleine chaire, demanda que Sixte fût déposé comme fauteur d’hérétiques, — et cela pour avoir voulu rester LE PAPE, et n’incliner d’aucun côté les droits de sa paternité sublime.

1161. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

S’il n’y avait de dangereux que les chefs-d’œuvre, la Critique pourrait devenir sans inconvénient une bonne fille et le nouveau livre de Michelet rester bien tranquille dans sa primitive innocence. […] , ces deux traits saillants du génie, ne se trouvèrent jamais chez elle. » C’était « une bourgeoise enrichie », le fait est vrai ; mais Michelet veut dire qu’elle était restée bourgeoise d’esprit et de cœur, — ce qui est faux !

1162. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Mais personne, avant MM. de Goncourt, n’avait appliqué cette idée à l’Histoire avec une telle précision et même une telle exclusion que si vous ôtiez de la leur les gravures, les miniatures, les portraits, les caricatures, l’ameublement, l’ornementation des appartements, tout le bric-à-brac, tout l’inventaire artistique du xviiie  siècle, on se demanderait ce qui resterait de l’Histoire ! […] … Ne sent-on pas, sous la phrase froidie par la volonté de rester dans le calme de l’historien, palpiter, contenus, l’horreur, le mépris, la colère qui donnent au talent une force que le talent n’a jamais seul ?

1163. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

… Mais qu’on réponde comme on voudra, il n’en restera pas moins vrai et acquis à l’Histoire, que ce fut de la basse aristocratie de quelques vanités petites et jalouses que sortit cette sublime démocratie américaine avec l’exemple de laquelle, depuis qu’elle a été fondée, on cherche à faire propagande de république contre les monarchies, dans tout l’univers ! […] III Toutes questions restées pendantes dans le livre de Xavier Eyma.

1164. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Mais, en dévorant le littérateur, il a fait de ce qui en restait quelque chose de bien plus compté par les sots que l’écrivain, dont la fonction noble et désintéressée est de mettre de la beauté dans ce qu’il dit et de la vérité dans ce qu’il pense. […] Il est resté ferme, droit et pur, dans sa conduite comme dans ses idées.

1165. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

Je ne sache que Lope de Vega, qui, avec ses dix-huit cents pièces de théâtre, ait plus écrit que Balzac, mais Lope de Vega est plus un nom qu’on prononce qu’une chose intégrale qui se lit, et il n’a pas fait, dans ses œuvres, vingt volumes qui puissent égaler les vingt volumes de la Comédie humaine, qui sont immortels, et qui, si le vieux monde ne tombe pas en enfance, resteront, comme l’Iliade, sous les yeux et dans les préoccupations de l’humanité. […] L’homme n’existe dans ses mérites divins que par le cœur et par l’esprit, et les lettres d’amour de Balzac devaient être publiées, parce qu’elles importent au Cœur humain comme le système de la gravitation importe à l’Esprit humain, et devrait être publié si, Newton mort, il était resté inédit.

1166. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

Esprit de réverbération, système nerveux de harpe éolienne, Hoffmann avait été tellement remué par la main toute-puissante de Goethe, que l’air terrible resta éternellement vibrant dans ses cordes et qu’il le répéta toujours. […] Hoffmann resta toute sa vie dans l’entre-deux, entre cette foi au surnaturel sans laquelle il ne saurait y avoir de vrai fantastique, et cette comédie de terreur qu’Anne Radcliffe nous a jouée en maître.

1167. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

Georges-Alfred Lawrence a été certainement un des scholars les plus distingués de l’Université d’Oxford, — et j’en suis bien aise pour sa famille, qu’un tel succès a dû ravir, — mais il est resté incommutablement scholar depuis qu’il est sorti d’Oxford, et j’en suis fâché pour son talent que j’aime et dans lequel personne ne met plus d’espérances que moi. […] Guy Livingstone est le frère du Giaour, de Lara, de Conrad le Corsaire, moins coupable sans doute que ces sombres figures de la Force blessée au cœur et qui continuent de vivre avec la fierté de la Force jusqu’au moment où, d’un dernier coup, Dieu les achève… C’est un héros de Lord Byron resté au logis (at home), dans son ordre social, qui a été très bon pour lui et qui lui a donné à peu près tout ce que l’ordre social peut donner : la naissance, la fortune, l’éducation, les relations, tout ce qui s’ajoute à la force individuelle dans un pays où l’ordre social est si bien fait qu’un homme s’y dira, avec la certitude qu’on n’a jamais ailleurs, dans les pêles-mêles que l’on prend pour les sociétés : « Je nais ici, et c’est là que je puis mourir. » Comme les héros de Lord Byron, Guy Livingstone est un de ces Puissants taillés pour l’Histoire, et qui les jours où l’Histoire se tait, — car il y a de ces jours-là dans la vie des peuples, — débordent de leur colosse inutile le cadre de la vie privée.

1168. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Son Lord Byron, très en ronde-bosse, est resté incomplet, et l’historien de cette grandeur littéraire a toujours le droit d’arriver… Je ne dirai point que le voici, mais qui sait ? […] Lord Byron, naïf et menteur comme les poètes, ces femmes redoublées, et se vantant de vices qu’il n’avait pas, n’est pas plus compris comme homme que comme poète, et ce qu’il a de plus exquis et de plus rare est resté sous le boisseau de l’admiration à boisseau.

1169. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Depuis la mort de Jouffroy et la publication de l’Essai resté essai de philosophie par Lamennais, on n’a plus vu que quelques livres de morale sans autorité et quelques maigres monographies. […] Taine, — et il y est resté.

1170. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

il y resta jusqu’à son dernier jour, tenté comme le Sauveur Jésus, aussi sur la montagne ; et son tentateur, à lui, fut son propre génie, affamé de ce que les sciences de la terre n’ont jamais donné : la certitude ! […] C’est par le sentiment, même quand il est inexprimé, de cette poésie terrible, plus que par sa roulette, plus que par un pamphlet toujours populaire, plus que par tout ce qu’il a fait jamais, qu’il est resté le dominateur des esprits, et même de ceux qui lui sont rebelles : car on a répondu, bien ou mal, à toutes ses raisons, et, malgré l’accablante expression de son génie, l’intelligence humaine n’est pas vaincue, mais ses sentiments emportent tout, et ceux-là qu’il n’a pu convaincre de ce qu’il croit, il les a emportés par la beauté de ce qu’il écrit, et ils conviennent qu’ils sont emportés !

1171. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVIII. M. Flourens »

Descartes a toujours fait des efforts enragés pour sortir du moi et il y est resté. […] Flourens jetait aux Bichats de l’avenir, pour le développer, le germe d’une nouvelle chirurgie, et ce n’était là qu’un profit de la physiologie ; mais la théorie posant l’axiome superbe : « la matière passe et les forces restent », frappait le matérialisme, d’un premier coup, au ventre même.

1172. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

sans cela, que nous resterait-il ? […] Il l’est resté comme Newton, qui avait aussi voulu interpréter l’Apocalypse comme Swedenborg.

1173. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Ce bonheur-là, je l’ai eu un jour, si on se le rappelle, quand je signalai l’un des premiers, si ce n’est le premier, le livre d’un inconnu (Revelière), intitulé magnifiquement : Les Ruines de la Monarchie française, sous lesquelles, par parenthèse, il pourrait bien rester enseveli… Eh bien, je vais avoir ce bonheur encore en parlant d’un autre livre, non moins substantiel, non moins fort d’observation et de raison que celui de Revelière, et aussi non moins ignoré… Ce livre s’appelle : Les Philosophes et la Philosophie, et il est d’un écrivain à peu près aussi inconnu que Revelière, c’est M.  […] Il n’est point pédant comme les philosophes qu’il combat, et dont quelquefois il se moque avec une bonhomie meurtrière… Du fond de sa province, où il est peut-être resté toute sa vie, — comme Rocaché, le grand médecin des Landes, cet immense praticien, plus haut que la fortune et que la gloire, inconnu à Paris, mais regardé comme un dieu de Bordeaux à Barcelone, où il régna cinquante ans sur la santé et sur la maladie, — le Dr Athanase Renard, dont j’ignore la valeur comme médecin, apparaît dans son livre comme un robuste penseur solitaire, et ce qui étonne davantage, comme un homme de la compétence la plus éclairée sur toutes les questions d’enseignement, de méthodes et de classifications de ce temps, et comme s’il avait vécu dans le milieu philosophique où ces questions s’agitent le plus… Par ce côté, il ressemble encore à Saint-Bonnet, le grand esprit métaphysique dont le rayonnement finira un jour par tout percer, et qui aussi vivait au loin de ce que les flatteurs ou les fats de Paris appellent insolemment la Ville-lumière.

1174. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Nul souffle puissant ne passait donc sur ces faits qui sont comme les os de l’histoire, et ils restaient inanimés. […] Écrasé par le sujet auquel il avait osé mettre la main, l’historien n’en avait pas moins écrit son nom à la suite du nom de Bossuet, et les rayons du nom flamboyant se projetaient sur le nom fait pour rester obscur.

1175. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Sa mère l’avait nommée Delphine, par préoccupation de Mme de Staël, et elle resta éternellement timbrée de cette préoccupation de sa mère, qui était devenue la sienne… La poésie, qui se compose de sentiments exprimés avec plus ou moins de puissance, la poésie est si naturelle à la femme, être tout de sentiment, qu’une femme n’est pas nécessairement ce qu’on appelle un bas-bleu dans la langue littéraire, parce qu’elle fait seulement des vers. […] Au milieu des livres qu’elle écrivit et qu’on ne lit déjà plus, un seul fut un chef-d’œuvre et restera, et justement parce qu’il n’est pas un livre, parce qu’au contraire il est (heureusement !)

1176. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Georges-Alfred Lawrence a été certainement un des scholars les plus distingués de l’Université d’Oxford, — et j’en suis bien aise pour sa famille qu’un tel succès a dû ravir, — mais il est resté incommutablement scholar depuis qu’il est sorti d’Oxford, et j’en suis fâché pour son talent que j’aime et dans lequel personne ne met plus d’espérances que moi. […] Guy Livingstone est le frère du Giaour, de Lara, de Conrad le Corsaire, moins coupable sans doute que ces sombres figures de la Force blessée au cœur et qui continuent de vivre avec la fierté de la Force jusqu’au moment où, d’un dernier coup, Dieu les achève… C’est un héros de lord Byron, resté au logis (at home), dans son ordre social, qui a été très-bon pour lui et qui lui a donné à peu près tout ce que l’ordre social peut donner : la naissance, la fortune, l’éducation, les relations, tout ce qui s’ajoute à la force individuelle dans un pays où l’ordre social est si bien fait, qu’un homme s’y dira, avec la certitude qu’on n’a jamais ailleurs dans les pêles-mêles que l’on prend pour les sociétés : Je nais ici, et c’est là que je puis mourir.

1177. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Ces belles contrées entre le Danube et la côte d’Asie seront laissées aux races chrétiennes ; Sainte-Sophie sera redevenue chrétienne ; cette ville de Constantinople, cette entrée orientale de l’Europe lâchement livrée aux Turcs il y a quatre siècles, conquise de leurs mains par droit de massacre, restée désormais sous leur joug par droit de stupidité, d’après ce titre d’être la nation la plus propre à posséder inutilement un grand empire, sera rendue à la fédération chrétienne d’Europe. […] Candie, cette terre admirable par le commerce et les arts, cette compensation dans un partage inévitable, ne peut rester barbare ; et ces changements qui s’apprêtent, ces révolutions suspendues sur l’orient de l’Europe, conduiront à la plus grande œuvre que puisse se proposer l’esprit moderne, à la renaissance de ces belles contrées, de ces riches cultures, qui, du golfe de Clazomène au mont Olympe d’Asie, et des sept villes de l’Apôtre aux murs d’Antioche et de Nicomédie, formaient, sous le nom de province d’Asie, un si fertile empire.

1178. (1893) Alfred de Musset

Ses petits-fils purent jouir de sa verve intarissable ; Fantasio devenu grand-père était resté Fantasio. […] Elle a beau ne plus être pour l’absent qu’un frère chéri, elle restera toujours l’unique amie. […] Quand mes sacrifices furent faits, je comptai ce qui me restait. […] Il ne resta plus au poète de pensées ni de paroles pour autre chose que son malheur. […] Celle-ci a fini par rester aux mains de George Sand.

1179. (1932) Les idées politiques de la France

Herriot a écrit à ce moment ce mot émouvant et instructif, que le sentiment de la patrie était tout ce qui lui restait, à lui, de religion. […] Herriot restera désemparé. […] Herriot ne resta court qu’une fois, devant un : « Moi, je n’ai pas eu de bourse !  […] Mais aussi ces idées restent des idées de parti. […] Et pourtant le socialisme reste ou doit rester un parti d’idées.

1180. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Or, bien que l’idéal doive planer toujours un peu plus haut que la ligne de l’horizon au-dessus du réel, dans les œuvres des esprits supérieurs qui veulent faire avancer le monde social, afin qu’il y ait toujours un mieux moral posé devant les hommes pour les faire marcher à Dieu ; cet idéal ne doit jamais être tellement séparé du réel, c’est-à-dire des conditions bornées de la nature dans l’imparfaite humanité, qu’il sorte entièrement de l’ordre réel et qu’il devienne rêve au lieu de rester pensée. […] Ils s’étaient glissés dans le jardin, et ils y étaient restés. […] Quelques feuilles jaunes, restées du dernier automne, se poursuivaient joyeusement, et semblaient gaminer. […] L’enfant était vêtu en garde national à cause de l’émeute, et le père était resté habillé en bourgeois à cause de la prudence. […] Seulement un peuple civilisateur doit rester un peuple mâle.

1181. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Jusque vers la dernière heure, son intelligence resta nette, ses dernières pensées se reportèrent avec lucidité vers ce roi éloigné de lui, ce roi malade aussi et qui l’avait tant aimé. […] On se reprocha d’avoir été la dupe de la fausse conduite d’un homme qui n’avait de sacré que lui-même, et, si sa réputation de savant resta la même, sa réputation de bonhomme déclina peu de jours après sa mort. […] Des cahiers qui ont été rédigés à cette occasion par des auditeurs intelligents me sont restés inconnus. […] « Dans l’état actuel de la science, le système solaire se compose de onze planètes principales, de dix-huit lunes ou satellites, et d’une myriade de comètes dont quelques-unes restent constamment dans les limites étroites du monde des planètes : ce sont les comètes planétaires. […] De la part d’Ovide, on eût pu attendre, comme fruit de son long séjour à Tomes, dans les plaines de la Mœsie inférieure, une description poétique de ces déserts sur lesquels l’antiquité est restée muette.

1182. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Il faut qu’ils restent de l’autre côté. […] Ne restez donc pas ainsi misérablement perdu dans vos réflexions. […] Il me faut rester maintenant avec la connaissance de ce que j’ai fait ! […] Pour trouver nous-même plus de plaisir au retour de la société, nous resterons seul jusqu’au souper : d’ici là, que Dieu soit avec vous ! […] De grâce, restez à vos places.

1183. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Nous n’entendons point par idées des espèces d’atomes psychiques, analogues aux « idées simples » de Locke ; nous ne croyons point que tout ce qui se passe en nous soit une combinaison de certains éléments de conscience qui resteraient toujours les mêmes, avec un certain quantum de force immanente. […] S’il en était ainsi, l’objet qu’on veut poser en face de la conscience comme seul réel lui resterait totalement étranger, et, en voulant le poser, on le supprimerait. […] La psychologie devient ainsi, comme la biologie, une étude d’organisation et d’évolution ; au lieu de rester à un point de vue purement statique, elle s’élève au point de vue dynamique. […] Au contraire, la grenouille qui a perdu la patte droite et dont on brûle la cuisse droite avec un acide, se servira des moyens qui lui restent pour essuyer l’acide : elle remuera la patte gauche, tandis qu’ordinairement elle se sert de la patte droite pour essuyer la cuisse droite. […] L’exemple des sensations de lumière, qui restent indifférentes entre de larges limites tout en variant d’intensité, est beaucoup plus probant ; or, dans ce dernier cas, on peut fort bien obtenir une sensation de lumière dont l’intensité soit un « multiple » d’une autre.

1184. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Il avait les goûts élégants et nobles dans une misérable fortune ; il adorait mon père comme un modèle du gentilhomme loyal et cultivé, qui l’entretenait de cour, de guerre et de chasse ; il aimait M. de Vaudran, qui lui avait ouvert sa bibliothèque ; il commençait à m’aimer, tout enfant que j’étais moi-même, de cette amitié qui devint mutuelle quand les années finirent par niveler les âges alors si divers ; amitié restée après sa perte au fond de mon cœur comme une lie de regrets qu’on ne remue jamais en vain. […] Je restai seul avec M. de Valmont. […] « Non, non, me dit alors le vieillard avec un sourire gracieux qui ne lui était pas naturel, ne craignez pas de rester quelques minutes de plus dans ce lieu suspect. […] Je restai un instant stupéfait de surprise sur le seuil, ne sachant où poser le pied pour y entrer à la suite de mon guide. […] ce chant de l’âme qui exhale ce qui nous semble trop divin en nous pour rester enseveli dans le silence ou pour être exprimé en langue usuelle ; littérature instinctive et non apprise, qui prend ses soupirs pour des accents, et qui cadence les battements de deux cœurs pour les faire palpiter à l’unisson de leurs accords.

1185. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

Lorsque je vis la grosseur des graines de ce beau Lis d’eau, le Nelumbium, me souvenant des remarques d’Alph. de Candolle au sujet de cette plante, je crus que sa distribution géographique devait rester à jamais inexplicable ; cependant Audubon affirme qu’il a trouvé les graines du grand Lis d’eau méridional (probablement le Nelumbium luteum, d’après le docteur Hooker) dans l’estomac d’un Héron. […] Sans doute que si une espèce a quelques avantages sur une autre, elle la supplantera totalement ou partiellement dans un bref délai ; mais si l’une et l’autre sont également bien adaptées à leurs situations respectives dans la nature, toutes les deux garderont leur place et resteront séparées presque pour quelque période que ce soit. […] Mais chaque souche individuelle, tendant à se multiplier dans un même lieu, entra, par le fait, en concurrence avec toutes les autres, et la localisation des climats et des autres conditions physiques de la vie aidant, la sélection naturelle dut commencer à agir pour fixer, déterminer et limiter les espèces qui restèrent encore longtemps très variables. […] Enfin, s’il est vrai que les organismes supérieurs de chaque classe soient des branches collatérales modifiées des types inférieurs de même type, il s’ensuit que la force d’atavisme doit être beaucoup plus puissante dans les rameaux généalogiques restés sans modification, que dans ceux qui ont, au contraire, subi de nombreuses et profondes transformations successives. […] En résultante générale, on pourra peut-être admettre, au moins comme probable, que si, en effet, actuellement et durant les périodes géologiques dont il nous reste des documents fossiles, les organismes inférieurs paraissent, en moyenne, avoir varié moins vite que les organismes supérieurs, cette invariabilité ne leur est pas essentielle, mais dépend de l’accumulation de la force d’atavisme ; de sorte qu’à mesure que le niveau supérieur de l’organisation s’élève et s’élève de plus en plus rapidement au moyen d’espèces progressives, formant comme les bourgeons terminaux de la cime et des principales branches de l’arbre de vie, la faculté générale de variabilité n’en suit pas moins dans tout le monde organique une sorte de mouvement uniformément retardé, et d’autant plus retardé que les types sont plus anciens, et sont restés invariables durant de plus longues périodes.

1186. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Le poète, resté seul, s’endort. […] Dans cinquante ans, qu’en restera-t-il ? […] Il aurait bien dû s’en douter ; mais ce grand garçon est resté naïf. […] Voilà Pugnol resté seul. […] Il ne restera de nous, un jour, qu’un bien petit tas de poussière.

1187. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Et, pour comble de bonheur, il ne saura jamais tout ce qu’il veut savoir ; il restera toujours sur son appétit. […] Or, cette Barbe-Bleuette est restée, pour les Provençaux, la plus populaire et la plus aimée des princesses de légendes. […] Et Lebonnard ne s’expose-t-il point à rester quinaud ? […] Il est donc plausible que ces dispositions intérieures, qui dans la réalité restent quelquefois inertes, agissent toujours chez lui, dès qu’une occasion le sollicite. […] Dumas, et son plaisir sera austère ; ou il restera défiant et trouvera que c’est mettre bien du tragique dans les affaires de l’amour.

1188. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Il faut ou partir et vivre, ou rester et mourir. […] je crains moins de rester que de partir. […] « Et je resterais abandonné dans la poussière, quand une providence bienfaisante fera revivre les fleurs ! […] Elle achève, pour ainsi dire, les heureuses dispositions qu’on a reçues de la nature, et qui, sans l’imagination, resteraient incomplètes et stériles. […] Il ne consulta que son devoir et la sainteté de la cause qu’il restait seul à défendre.

1189. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 437-439

Plusieurs sont restées au Théatre.

1190. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

En quelques minutes à peine, nous aurions récapitulé tous les souvenirs précis qui nous restent de la journée la plus pleine d’incidents. […] Mon fantôme s’appelait Corambé et ce nom lui resta… Je voulais l’aimer comme un ami, comme une sœur, en même temps que le révérer comme un Dieu. […] On peut rester quelque temps avant de comprendre ; mais dès que l’intellection se produit, c’est une illumination brusque, instantanée. […] Nous aussi nous contemplerons son œuvre d’un œil calme ; elle nous restera étrangère, ne nous touchant pas le cœur. […] Le plus souvent même, nous en restons là.

1191. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Le père Casimir avait du génie ; ses pâtés resteront longtemps célèbres. […] Cela peut rester. […] L’un des côtés avait roulé sur la route qu’il jonchait, l’autre restait en l’air, menaçant. […] Sa place restera marquée dans l’histoire du Théâtre. […] Marietta, tu nous restais encore.

1192. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

On sait par l’expérience directe que la quantité d’eau qui peut rester suspendue dans l’air à l’état de vapeur est limitée pour chaque degré de température, et que ce maximum devient moindre à mesure que la température diminue. […] La direction qu’il avait dans la première fraction d’espace est restée la même pendant la deuxième. La vitesse qu’il avait pendant la première fraction de durée est restée la même pendant la deuxième. […] Soit une droite inflexible AB ; supposons qu’elle remonte tout entière et de façon à rester toujours parallèle à sa première position ; au bout d’un certain temps elle devient A′B′ parallèle à AB, et nous convenons que ce laps de temps est une seconde. […] Considérant deux lignes sensibles et sensiblement perpendiculaires à une droite, nous vérifions par une infinité de mesures très promptes qu’elles restent à égale distance l’une de l’autre.

1193. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Vous pouvez ajouter qu’ils sont restés galants et pratiquent de point en point le grand précepte des cours amoureuses ; sachez bien qu’au moyen âge le sixième sens n’est pas resté plus oisif que les autres. […] S’il veut expliquer pourquoi la Palestine a passé de main en main, sans rester jamais sous une domination fixe, « c’est que Dieu ne veut pas qu’elle soit longtemps entre les mains de traîtres et pécheurs, chrétiens ou autres. » Il a vu à Jérusalem, sur les degrés du temple, la marque des pieds de l’âne que Notre-Seigneur montait « lorsqu’il entra le dimanche des Rameaux. » Il décrit les Éthiopiens, gens qui n’ont qu’un pied, mais si large qu’ils peuvent s’en servir comme d’un parasol. […] La race subjuguée n’est pas une nation démembrée, disloquée, déracinée, inerte comme les populations du continent qui, au sortir de la longue exploitation romaine, ont été livrées à l’invasion désordonnée des barbares ; elle fait massé, elle est restée attachée à son sol, elle est en pleine séve ; ses parties n’ont point été transposées, elle a été simplement décapitée pour recevoir, à son sommet, un faisceau de branches étrangères. […] Robin a rêvé que deux yeomen le rossaient, il veut aller les chercher, et repousse avec colère Petit-Jean, qui s’offre pour aller en avant. « Combien de fois m’est-il arrivé d’envoyer mes hommes en avant,  — et rester moi-même en arrière !  […] Ce qui les révolte contre la pompe et l’insolence ecclésiastique, ce n’est ni l’envie du plébéien pauvre, ni la colère de l’homme exploité, ni le besoin révolutionnaire d’appliquer la vérité abstraite, mais la conscience ; ils tremblent de ne point faire leur salut, s’ils restent dans une église corrompue ; ils ont peur des menaces de Dieu, et n’osent point s’embarquer avec des guides douteux pour le grand voyage

1194. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Brutus pour conserver sa vie ne faisait pas d’actions indignes ; il se contentait de rester mélancolique, silencieux et de soutenir une réputation de maniaque. […] Son grand malheur est d’être toujours restée à quinze ans, ce qui n’est pas l’âge où s’arrête une immortelle. […] Alfred de Musset aux livres quelque peu sans façon de l’auteur des : Jeunes France, ce n’est pas rester sur le même terrain, ce n’est pas respirer la même atmosphère. […] Un pareil système fit pourtant des sectateurs, et on ne saurait s’en étonner ; il chatouillait les secrets penchants de l’artiste à l’endroit le plus sensible, en concédant de prime abord le privilège magistral à tel qui aurait dû rester sur les bancs longtemps encore. […] Toutefois j’aime beaucoup mieux rester ce que je suis, c’est-à-dire dans les neutres, et me borner à trouver avec la partie désintéressée du public que M. 

1195. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XVIII » pp. 74-75

Tous les libraires s’y sont mis comme sur une idée lucrative, et on a gâté ce qui pourtant est resté utile et aura pour résultat une plus grande diffusion.

1196. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Holmès, Augusta (1847-1903) »

Même quand elle cherche à imiter Wagner, Mlle Holmès est elle-même, comme Mozart restait Mozart quand il écrivait dans le style de Hændel.

1197. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Valade, Léon (1841-1884) »

Il a enfermé, d’une main singulièrement délicate, des sentiments exquis dans des vers achevés ; il faut autre chose dans le bruit du moment, mais cela suffit pour rester.

1198. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 183-184

Il étoit fils d’un Chef d’Escadre, ainsi qu’il le dit lui-même dans l’Epître Dédicatoire de la troisieme Partie de ses Œuvres, où il nous apprend que son pere avoit commandé, pendant vingt-deux ans, une Escadre d’Elisabeth, Reine d’Angleterre, & qu’ayant été pris dans une de ses courses, il resta trois ans prisonnier à Constantinople.

1199. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Amédée Vanloo » p. 218

Le temps a enlevé la couleur ; mais la force de la composition et des caractères, le génie de l’artiste est resté.

1200. (1763) Salon de 1763 « Conclusion » p. 255

Vous aurez sans doute remarqué, comme moi, que quoique le Salon de cette année offrît beaucoup de belles productions, il y en avait une multitude de médiocres et de misérables, et qu’à tout prendre, il était moins riche que le précédent ; que ceux qui étaient bons, sont restés bons ; qu’à l’exception de La Grenée, ceux qui étaient médiocres, sont encore médiocres, et que les mauvais ne valent pas mieux qu’autrefois.

1201. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Et quand nous nous en sommes aperçus, au lieu de hâter le retour, nous avons décidé de rester ici jusqu’au soir. […] Resterait donc l’étude des langues germaniques, l’allemand et l’anglais. […] Un trône est resté vide, et semble attendre un grand élu. […] Tous les moindres détails me sont restés présents. […] vous devriez m’avertir… J’en étais restée, ce me semble, aux premiers temps de l’enfance.

1202. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Pour continuer à mériter cette bienveillance, il me restait à préparer consciencieusement l’ouvrage que je présente aujourd’hui au public. […] Elle était si bien imitée, qu’en la lisant Rousseau resta confondu de reconnaître sa propre tournure d’esprit, ses idées et son style même. […] Cicéron est resté le roi de l’amplification. […] De longs tourbillons restaient suspendus en l’air. […] Nous restâmes donc à sec, en roulant d’une manière effroyable.

1203. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

C’est d’ailleurs resté une croyance populaire. […] Il en restera toujours quelque chose. […] Restons en là. […] L’expression nous est restée : monter au ciel. […] Alors, si nous restions sur la terre, tout simplement ?

1204. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Girardin, Delphine de (1804-1855) »

Édouard Fournier Ce qui restera de Mme de Girardin, avec les deux petites pièces… (La joie fait peur et Le Chapeau d’un horloger), ce sont quelques-uns de ses poèmes, dont celui qu’elle préférait, Madeleine, n’est malheureusement pas achevé, et quelques poésies, comme celle consacrée à la mort de la jeune Rémy, tombée parmi les victimes de l’attentat Fieschi.

1205. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Valéry, Paul (1871-1945) »

Sa poésie restera comme un beau danger, attirant et souvent fatal.

1206. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 334-336

Il ne restera qu’un odieux souvenir des Perturbateurs de la raison humaine.

1207. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 319-320

Si cela continue, il ne me restera seulement pas la réponse que fit, au moment de mourir, ce bon M. de Lagny, à notre illustre Confrere Maupertuis.

1208. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

« Mais les amis de Sénèque lui auraient-ils conseillé de rester, au hasard de périr ?  […] Ils se déterminèrent donc à élever, à rester à côté d’une bête féroce. » Que prouve évidemment ce passage ? […] Le sénat avili restait sans autorité, les troupes prétoriennes sans discipline, le peuple sans énergie. […] Restera-t-il au peuple quelque affection pour lui ? […] Après la mort d’Agrippine, tous les deux restent à la cour ; mais l’un y fait le rôle de courtisan, l’autre celui de censeur.

1209. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Le public ne connut qu’en 1722 l’ouvrage resté jusqu’alors en manuscrit. […] Ce livre était resté longtemps en manuscrit. […] Aussi bien ces victoires n’ont pas été meurtrières, et le principe vaincu n’a pas péri ; seulement il est resté au second rang. […] Il sentit qu’il consumerait vainement tout ce qui lui restait de vie à poursuivre un adversaire qui, par mille tours de souplesse, échappait à toutes les prises. […] Si l’évêque de Meaux resta maître des intelligences, l’archevêque de Cambrai resta maître des imaginations.

1210. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Toute la suite de l’existence du poëte en fut entravée et resta sujette à la gêne. […] Sinon que, pour consolation en ces derniers temps, j’ai acquis des amis tels que vous ; et votre compagnie, qui me tient lieu de l’étude, et de tout plaisir et de toute espérance, serait presque une compensation à mes maux, si la maladie me permettait d’en jouir comme je le voudrais, et si je ne prévoyais que bientôt peut-être ma fortune va m’en priver encore, en me forçant à consumer les années qui me restent, sevré des douceurs de la société, en un lieu beaucoup mieux habité par les morts que par les vivants ; votre amitié me suivra toutefois, et peut-être la conserverai-je même après que mon corps, qui déjà ne vit plus, sera devenu poussière. […] Après un court séjour à Rome (1831-1832) et un retour passager à Florence, Leopardi était allé s’établir à Naples sur la fin de 1833, déterminé par un ami dont le nom restera désormais inséparable du sien. […] « Je retournerai certainement à Florence à la fin de l’hiver pour y rester autant que me le permettront mes faibles ressources déjà près de s’épuiser : lorsqu’elles viendront à manquer, le détestable et inhabitable Recanati m’attend, si je n’ai pas le courage (que j’espère bien avoir) de prendre le seul parti raisonnable et viril qui me reste158… » « Vous attendez peut-être que je vous dise quelque chose de la philologie romaine. […] Et toutefois, vous collines et coteaux, vous ne resterez pas longtemps plongés dans l’ombre, vous retrouverez tout à l’heure, de l’autre côté de l’horizon, une aube nouvelle, suivie d’un radieux soleil ; et il ajoutait : « Mais la vie mortelle, du moment que la belle jeunesse a disparu, ne se colore plus jamais d’une autre lumière ni d’une autre aurore ; elle est veuve jusqu’à la fin, et, à cette nuit qui obscurcit tous les autres âges, les Dieux n’ont mis pour terme que le tombeau. » Ma la vita mortal, poi che la bella Giovinezza spari, non si colora D’altra luce giammai, nè d’altra aurora.

1211. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Toutes ces transactions sont restées inexpliquées et louches : les Mémoires de M. de Talleyrand en donnent sans doute le vrai mot. […] Ne voulant pas rentrer à Paris après la déchéance du roi, au service d’une faction qui débutait par un assaut au palais et par un emprisonnement du monarque, ne voulant pas non plus rester en Angleterre, en butte aux animadversions suscitées par M. de Chauvelin, M. de Talleyrand, diplomate pour son propre compte, passa aux États-Unis d’Amérique. […] Supposez Mirabeau assez riche pour avoir les dettes de César, ou assez homme d’affaires pour avoir l’opulence de M. de Talleyrand, Mirabeau, intact de manèges avec la cour, et investi d’une clientèle bien solide dans l’opinion, pouvait devenir le dictateur de la France, au lieu de rester le législateur d’une anarchie. […] XXVI Voici ces actes, exprimés en paroles dignes de leur grandeur : Les honneurs de la sépulture rendus à l’infortuné souverain pontife Pie VI, mort dans la captivité en France, et resté jusque-là sans sépulture royale ou pontificale à Valence : « Il est de la dignité de la nation française et conforme à son caractère de donner des marques de considération à un homme qui occupa un des premiers rangs sur la terre, des honneurs funèbres et un monument conforme au caractère du prince enseveli sans décrets. » Des envoyés dans toutes les cours où ils peuvent être reçus avec dignité sont nommés pour saisir et renouer les fils rompus des relations internationales : le général Bournonville à Berlin, M.  […] La diplomatie de Maret n’était que la foi d’un sectaire ; la diplomatie de Caulaincourt n’était que l’horreur de voir remonter les Bourbons sur le trône de France : l’un défiait toujours au nom de son maître à demi vaincu ; l’autre concédait tout, pourvu que le trône impérial restât debout sur les ruines de la France.

1212. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Le poème, dans sa forme primitive, La Mort de Siegfried, date de 1848, ainsi que certains fragments musicaux ; et puisque c’est ce poème qui a suggéré toute la Tétralogie et que les fragments musicaux, quoique fort courts, ont acquis une importance thématique dans le Ring entier, on peut affirmer que l’idée de la Goetterdaemmerung est restée vivante en Wagner. […] Mais le gros du poème resta tel quel, littéralement ; pas un mot n’y fut changé. […] Beethoven était et est toujours resté symphoniste ; cependant, il ressentit le besoin impérieux, dans la IXe Symphonie et dans la Missa, d’adjoindre à sa symphonie des paroles et des voix humaines, pour en préciseras sensations. […] … Traduire en une parfaite exactitude le mot par le mot doit rester — mais combien difficile ! […] Wolfram resté seul après qu’elle s’est retirée, s’adresse à l’étoile du soir qui monte à l’horizon, et la charge de porter une mystérieuse consolation à celle qui ne voulait point être consolée.

1213. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

» Jeudi 30 janvier Daudet me dit à un moment de la soirée, où je suis assis à côté de lui : « Je crois décidément avoir trouvé la formule : le livre c’est pour l’individu, le théâtre c’est pour la foule… et à la suite de cette formule, vous voyez d’ici les déductions. » Il y avait à dîner les Lafontaine, et la voix de Victoria Lafontaine, demeurée très jeunette, restée la voix fraîchement musicale de la fillette honnête, me donne une singulière hallucination. […] Moi qui suis resté dans ma baignoire, sans me mêler à la salle, je crois à un succès. […] » Et tout le monde couché au coup de canon de neuf heures et demie : le maître voulant que tout le monde soit au lit, et agacé de savoir que Mme Lockroy restait levée dans sa chambre. […] Il lui objectait qu’il n’y avait pas à rester parce que, à six heures, son mari serait enterré ; la décomposition des corps étant si rapide, que l’enterrement a lieu deux heures après. […] Eh bien, sous ces attaques, et plus tard dans le silence un peu voulu qui a suivi, renfonçant en lui l’amertume de sa carrière, et n’en faisant rejaillir rien sur les autres, Flaubert est resté bon, sans fiel contre les heureux de la littérature, ayant gardé son gros rire affectueux d’enfant, et cherchant toujours chez les confrères ce qui était à louer, et apportant à nos heures de découragement littéraire, la parole qui remonte, qui soulève, qui relève, cette parole d’une intelligence amie dont nous avons si souvent besoin, dans les hauts et les bas de notre métier.

1214. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Nous restâmes impatients et attentifs, assis sur l’herbe à portée de la voix. […] Mais ici notre mère, retrouvant toutes les naïvetés du ménage antique restées les usages du ménage moderne dans notre vie rurale, redoubla d’intérêt dans sa voix et redoubla notre attention par la sienne. […] Vos plus belles robes restent négligées dans vos coffres ; cependant le jour de votre mariage approche, et vous devez vous orner de vos plus belles parures, et même en offrir à votre époux. […] Dès que brillera l’aurore, allons donc ensemble au lavoir, où je vous accompagnerai pour vous aider, afin que tout se fasse plus vite ; car maintenant, songez-y, vous n’avez pas longtemps à rester vierge ; les plus riches d’entre les Phéaciens vous recherchent en mariage, parce que vous êtes d’une illustre origine. […] Ils se mettent en route ; les bergers et les chiens restent seuls pour la garde des bergeries.

1215. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Quoi qu’il en soit, vers la fin de la Restauration, et grâce aux travaux et aux luttes enhardies de cette jeunesse déjà en pleine virilité, le spectacle de la société française était mouvant et beau : les espérances accrues s’étaient à la fois précisées davantage ; elles avaient perdu peut-être quelque chose de ce premier mysticisme plus grandiose et plus sombre qu’elles devaient, en 1823, à l’exaltation solitaire et aux persécutions ; mais l’avenir restait bien assez menaçant et chargé d’augures pour qu’il y eût place encore à de vastes projets, à d’héroïques pressentiments. […] Jouffroy restèrent indivis, malgré l’absence de l’oncle qui était commerçant, jusqu’à la mort du père. […] Jouffroy ne trouve pas dans la seule philosophie l’emploi de toutes ses facultés cachées, si quelques portions pittoresques ou passionnées restent chez lui en souffrance, il n’est pas moins fait évidemment pour cette réflexion vaste et éclaircie. […] Un rude sacrifice s’est accompli en lui ; il a fait pour le bien, il a pris sa science au sérieux et a voulu que rien de téméraire et de hasardé n’y restât.

1216. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

La nation politique a donc été deux mille ans comme morte : plus d’Italie ; mais les Italiens sont restés. Or ces Italiens ont été et sont restés toujours par leur nature la première race de la famille moderne sur le sol le plus vivace et le plus fécond de l’Europe. […] Oubliez-vous que l’Espagne catholique de Charles-Quint et de Philippe II, dont l’infanterie disposait de l’Europe au service de la Rome papale, n’est plus qu’une puissance de huit millions d’hommes, qui ne compte plus en Europe que par son grand nom et par le caractère resté entier de sa chevalerie militaire ; puissance historique plus que politique aujourd’hui dans les combinaisons des nations ? […] Absorbés, vous tomberez avec la faible monarchie qui vous enserre ; ligués, vous resterez debout dans toutes les secousses de l’Europe.

1217. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

Les paroles du peuple, à l’aspect de ce cortège, étaient décourageantes et intempestives ; les soldats restaient dans un silence menaçant. […] Les deux sophistes restèrent longtemps muets tous les deux, soit de peur de déconseiller vainement une chose résolue, soit qu’ils fussent convaincus que les choses en étaient descendues à cette extrémité que, si Agrippine n’était pas prévenue dans sa vengeance, il ne restait à Néron qu’à périr. » XLIV « Enfin Sénèque, toujours plus soudain dans ses avis, regarde Burrhus et lui demande si l’on peut commander le meurtre aux soldats. […] « Un petit nombre de serviteurs étaient restés aux abords de l’appartement ; tous les autres s’étaient dispersés sous la terreur des soldats qui forçaient les portes.

1218. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Voici où j’en étais resté de cette Critique dans le 70e Entretien : reprenons ce que je disais des partis parlementaires que l’on semble tant regretter. […] Peu de temps après, je repartis de Paris pour Bessancourt, afin de compléter et d’éclaircir quelques autres circonstances du récit restées obscures dans mon esprit. […] J’en découvris une autre bien plus sûre, bien plus précise et bien plus originale dans Souberbielle, vieux et fidèle terroriste, resté jusqu’à quatre-vingts ans fanatique de Robespierre comme au jour de la proclamation de l’Être suprême, et ne cessant pas de déplorer le 9 thermidor et le supplice du tribun-pontife, comme l’holocauste de la vertu. […] Ces sortes de figures sinistres doivent rester dans l’ombre des tableaux ; la lumière les jette trop en avant sur la scène.

1219. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Fils de M. de Bombelles, émigré français rentré avec le roi et devenu, depuis la mort de sa femme, évêque d’Amiens, il était resté au service de l’empereur François. […] Je dois avouer aussi que la beauté candide, et cependant incomparable, de la jeune fille ou femme qui fut, bien à son insu, l’héroïne de cette histoire, me resta profondément gravée dans les yeux, que mes yeux ne purent jamais l’oublier, et que toutes les fois qu’une apparition céleste de jeune fille ici-bas me frappa depuis, soit en Italie, soit en Grèce, soit en Syrie, je me suis demandé toujours : « Mais est-elle aussi délicate, aussi virginale, aussi impalpable que Fior d’Aliza, de Saltochio ?  […] Nous l’ensevelîmes le troisième jour après son retour ; il ne me resta de lui que Hyeronimo, que je nourris plus de larmes que de lait. C’est ainsi que nous ne restâmes plus que six à la cabane : notre vieille mère, qui ne comptait plus les années de sa vie que par les pertes de son mari, de ses frères, de ses sœurs, de ses filles mariées bien loin dans la plaine ; Antonio, que vous voyez déjà aveugle et ne pouvant plus sortir qu’avec son chien de la cabane, pour aller à la messe au monastère de San Stephano deux fois par an ; Hyeronimo, mon fils unique, et Fior d’Aliza, dont la mère était morte la semaine où elle était née ; c’était la chèvre blanche qui l’avait nourrie.

1220. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Il y a une route, sans doute, et nous la trouverons ; mais qui oserait dire que le courage et la force de celui qui a pu s’élever si haut pour la chercher ne sera pas cause de notre courage pour la chercher à notre tour, nous qui sommes restés dans la plaine, et ne nous servira pas ainsi prodigieusement à la découvrir ! […] Mais, par son éducation protestante, si soignée et si savante, il appartenait aussi à la patrie de Leibnize, à un pays qui, ayant abordé, dans l’époque antérieure, sous la forme théologique du Moyen-Âge, tous les grands problèmes de la religion, de la morale, et de la société, s’était arrêté à certaines solutions, et n’avait pas voulu aller plus loin, qui n’avait pas pu faire deux révolutions coup sur coup, et qui, s’étant fait protestant, était resté chrétien. […] Tandis que l’Allemagne était restée superstitieuse, la France était devenue athée. […] Mais malgré cette ruine d’une âme dont les éléments sont sublimes, ces éléments n’en restent pas moins beaux en eux-mêmes.

1221. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Parmi les poëtes restés fidèles aux exemples de Marot, le plus illustre, Mellin de Saint-Gelais, nom aimable, n’est pas indigné d’une mention dans une histoire de la littérature française. […] Ainsi, il resta bon catholique. […] Il restait à indiquer les moyens. […] Sur ce point, il est excessif il ne pouvait souffrir que la France restât en arrière de personne, et où les Grecs et les Latins ne suffisaient pas, il voulait que les Italiens et les Espagnols y suppléassent.

1222. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Né à Munich, en 1845 ; d’abord maître d’école à Freising et à Ebersberg ; Franz Lachncr le décide à étudier le chant ; en 1865. il débute dans is Freischütz, à Munich » où il est resté. […] Vogi épousa Mademoiselle Therese Thosu, qui fut également engagée et resta avec lui au théâtre de Münich. […] Le peuple d’Allemagne était resté une race simple et naïve, spécialement disposée, par une multitude de circonstances historiques, à ressentir les émotions. […] Sans la mimique des acteurs, bien des passages saillants resteraient lettres mortes ; sans la musique, le drame ne serait qu’un stérile scénario.

1223. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Vogl est resté superbe aux premier et troisième actes de Tristan ; l’insuffisance de la voix était plus pénible au second Rien à ajouter sur les autres interprêtes ; l’absence de M.  […] Restent encore les Poèmes symphoniques de « Maître Franz entre autres Le Tasse ; mais nous devons nous borner. […] A ce banquet, Richard Wagner proposa un toast à l’ami qui lui était resté fidèle plus d’un quart de siècle malgré les ennuis et les attaques qu’on lui prodiguait sans relâche (voir dans le Daily News du 23 mai 1877, en rapport sur le banquet et sur le « toast » que proposa Richard Wagner. […] L’orchestre restera sous la direction sympathique du capellmeister Anton Seidl, que le » Wagnériens d’Amérique ont regretté de ne pas retrouver cet été à Bayreuth.

1224. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Les époques riches produisent des impuissances relatives qui restent intéressantes : Sainte-Beuve, furieux de n’être pas poète, cocufie Hugo avec une papelardise amusante et insulte Vigny avec une malice moralement infâme et intellectuellement, jolie. […] Les vieilles filles poitrinaires ont le droit de faire des vers lamartiniens que nous restons libres de ne point lire. […] Faguet resté en route injurie son guide de loin et crie d’une voix aigre qu’« il manque une dizaine de termes au raisonnement ». […] La voici dans sa mélancolie : « Ce sera là peut-être tout ce qui restera de P. 

1225. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Vivant au xixe  siècle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu’on appelle « les basses classes » n’avait pas droit au Roman ; si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l’interdit littéraire et des dédains d’auteurs, qui ont fait jusqu’ici le silence sur l’âme et le cœur qu’il peut avoir. […] On nous a fait, un long moment attendre, avant d’ouvrir une autre porte, et pendant ces minutes d’attente, tout notre courage s’en est allé, comme s’en va, goutte à goutte, le sang d’un blessé s’efforçant de rester debout. […] Elle entretenait des hommes, le fils de la crémière, auquel elle a meublé une chambre, un autre auquel elle portait notre vin, des poulets, de la victuaille… Une vie secrète d’orgies nocturnes, de découchages, de fureurs utérines qui faisaient dire à ses amants : « Nous y resterons, elle ou moi !  […] Les lecteurs se plaignent des dures émotions que les écrivains contemporains leur apportent avec leur réalité brutale ; ils ne se doutent guère que ceux qui fabriquent cette réalité en souffrent bien autrement qu’eux, et que quelquefois ils restent malades, nerveusement, pendant plusieurs semaines, du livre péniblement et douloureusement enfanté.

1226. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Puis sortit un matin pour le champ où l’on pleure         Le cercueil tardif de l’aïeul, Puis un autre, et puis deux, et puis dans la demeure         Un vieillard morne resta seul ! […] Tous mes enfants sont morts, excepté la Marguerite, qui était la dernière de mes filles, et que vous appeliez la Pervenche des bois, parce qu’elle avait les yeux bleus comme ces fleurs qui croissent à l’ombre, vers la source ; elle a été veuve à vingt-huit ans, et elle a refusé de se remarier pour venir me soigner et me nourrir dans la petite cabane là-haut, où elle est née et où elle restera jusqu’à ma mort ; elle a une petite fille et un petit garçon, qui mènent les bêtes au champ, et qui continuent à servir mes pratiques d’œufs et de pommes. […] Si ce chant eût été noté dans des vers, il serait resté l’hymne de la félicité humaine, l’holocauste du bonheur terrestre rallumé dans le cœur de l’homme par la vue des lieux où il fut heureux ! […] J’y suis resté plus longtemps aujourd’hui et plus absorbé dans le passé et dans l’avenir, qu’à aucun autre de mes retours ici.

1227. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Sa phrase étant tout son talent, s’il ne l’avait pas, que lui resterait-il ? […] Pindare, dont on peut comprendre la lettre, mais dont l’esprit évaporé sous le souffle des siècles rend la gloire incompréhensible, est presque un sujet vierge en littérature Longin et Boileau l’ont touché, mais le peu qu’ils en ont dit, ces porte-respects formidables, a suffi pour empêcher la petite critique familière de l’approcher ; et il est resté, ce fameux Pindare, sans traduction intégrale ou convenable, sous le balustre de son texte : mystérieux, fermé, mais n’ayant plus la vie, — absolument comme un tombeau, Certes, pour qui y voit la vie encore, il n’est rien de plus attirant que ce sépulcre fermé de Pindare, qu’il s’agit d’ouvrir pour nous montrer qu’il est plein de choses immortelles et que la Gloire n’a pas menti ! […] Bon pour faire brillamment une classe, Villemain voulut un jour aborder l’histoire et il ne comprit rien à celle de Grégoire VII, sous laquelle sa minceur d’homme de lettres resta écrasée… Pas plus d’instinct que de réflexion, Villemain ne va à ce qui est supérieur et grand, et pas plus dans l’ordre de la parole, qui est son domaine, que dans l’ordre de l’action, qui ne l’est pas… Chose à remarquer ! […] Mais l’âme de cet éclatant mauvais sujet, que fut Fox, resta, au milieu de ses incroyables excès, indestructiblement généreuse, et c’est cette générosité indestructible qui fit son éloquence.

1228. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Victor Hugo pouvait se jouer dans tout cela comme Ariel dans les nuages, mais Ariel, oubliant ses ailes, s’est accroupi à deux ou trois places de l’Histoire, et est resté là, monumentalement immobile sur son lourd derrière de Caliban. […] Mais cette Muse-là, sur laquelle on pouvait compter, la Muse des Châtiments, est restée muette. […] En ces termes, si elle y restait, l’idée en question révolterait peut-être encore bien des âmes. […] Toutes les qualités en sont parties, mais tous les défauts y sont restés.

1229. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Après beaucoup de conversations et de promenades, cette passion les fiance tous les deux, et s’ils ne s’appartiennent pas dans le roman, ils s’y donnent du moins leurs anneaux et quelques baisers, tout cela, bien entendu, malgré le mariage, connu de la jeune fille, et dont le sombre Daniel, dans les plans de l’auteur, reste et doit rester la victime. […] Feydeau, l’auteur de Fanny aurait dû rester ce qu’il était, un réaliste que je ne comparerai pas à Champfleury, — un réaliste de l’état-major de la place, qui emboîte le pas derrière M.  […] Il est resté à son ancienne place ; il n’a pu s’enlever. […] Il restera auprès de M. 

1230. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Vavasseur, Gustave (1819-1896) »

Remy de Gourmont Il restera toujours un peu de lumière autour de ce nom, Gustave Le Vavasseur, puisque Baudelaire l’écrivit en des pages qui ne périront pas.

1231. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Conclusions » pp. 178-180

On trouve même chez les symbolistes des poètes comme Albert Samain et Laurent Tailhade, restés fidèles à la formule parnassienne, mais tous sont imprégnés du même esprit nouveau et se marquent initiateurs par un certain côté de leur doctrine.

1232. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 298-300

Bitaubé prit, il y a quelques années, de refondre cette Traduction libre, & d’en donner une entiere & plus fidelle, n’a pas fait revenir les esprits sur cette Production restée médiocre, quoique vantée par les Journalistes ; mais son Poëme en prose sur la fondation des Provinces-Unies, intitulé Guillaume de Nassau, lui a mérité le suffrage & l’estime des Connoisseurs.

1233. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 105-106

On sait que Dancourt fut le Harangueur ordinaire de la Troupe, pendant tout le temps qu’il resta sur le Théatre.

1234. (1763) Salon de 1763 « Peintures — De Machy » pp. 242-243

Il y avait cette année à la foire un marchand de bosses ; tous ses meubles furent consumés, tous ses plâtres mis en pièces ; il n’y eut que le groupe de L’Amour et de l’Amitié qui resta intact au milieu des flammes et de la chute des murs, des poutres, des toits, en un mot de la dévastation générale qui s’étendit de tous côtés, autour de leur piédestal sans en approcher.

1235. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Il y eut là, tout au sortir de l’enseignement de Malherbe, dans notre poésie française lyrique, une veine trop peu abondante, trop tôt distraite et interrompue, mais très pure, très française, neuve, élevée et douce : il en est resté quatre ou cinq odes au plus, mais dignes d’Horace, qu’on y retrouve imité sans servilité et avec génie, et bien faites surtout pour enchanter et inspirer, comme cela a dû être, la jeunesse de La Fontaine. […] On a dit de nos jours avec un grain de malice et un coin de vérité : « La poésie française, au temps de Henri IV, était comme une demoiselle de trente ans qui avait déjà manqué deux ou trois mariages, lorsque, pour ne pas rester fille, elle se décida à faire un mariage de raison avec M. de Malherbe, lequel avait la cinquantaine. » Mais ce ne fut pas seulement un mariage de raison que la poésie française contracta alors avec Malherbe, ce fut un mariage d’honneur. […] Après la mort d’un de ses fils, il trouva pourtant le moyen d’aller à Rome pour se distraire et se consoler, de s’y attacher à M. de Noailles, l’ambassadeur, et d’y rester environ deux ans ; mais il fallut revenir et reprendre la vie de province avec les ennuis du métier.

1236. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Croirait-on que jusqu’à ces derniers temps, l’existence de Mme de Boufflers, passé ce moment de 1789 et ce dernier voyage qu’elle fit en Angleterre, était restée un problème, et que cette figure si animée et si constamment en vue s’éclipsait totalement ? […] » Malgré ces infidélités extérieures, Mme de Boufflers n’était pas moins restée pour le prince l’amie essentielle et honorable, celle de tous les jours et des derniers instants. […] Il avait connu Fouquier-Tinville chez un procureur au Parlement ; il se rapprocha de l’affreux magistrat, s’arrangea pour le rencontrer à dîner chez ce procureur ; il allait aussi à la buvette et causait familièrement avec lui, ne négligeant aucun bon moyen : il obtint ainsi que les papiers des dames de Boufflers restassent toujours au fond du carton.

1237. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Ce qui lui est resté de distinct entre ses plus anciens et ses premiers souvenirs, ce n’est aucun fait particulier, mais « la vision très nette de certains lieux, la note exacte de l’heure et de la saison, et jusqu’à la perception de certains bruits qui n’ont cessé depuis de se faire entendre : « Peut-être vous paraîtra-t-il assez puéril de me rappeler qu’il y a trente-cinq ans tout à l’heure, un soir que je relevais mes pièges dans un guéret labouré de la veille, il faisait tel temps, tel vent ; que l’air était calme, le ciel gris ; que des tourterelles de septembre passaient dans la campagne avec un battement d’ailes très sonore, et que tout autour de la plaine, les moulins à vent, dépouillés de leur toile, attendaient le vent qui ne venait pas. […] On eût dit que ce geste d’une personne qui marche et qui a chaud rafraîchissait aussi sa mémoire… Quoique brisée par un long voyage en voiture, il lui restait encore de ce perpétuel déplacement une habitude de se mouvoir vite qui la faisait dix fois de suite se lever, agir, changer de place, jeter les yeux dans le jardin, donner un coup d’œil de bienvenue aux meubles, aux objets retrouvés. […] Les cent pages où il nous a rendu l’enfance et l’adolescence de Dominique sont et resteront véritablement charmantes.

1238. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Collé aime le latin et en sème volontiers ses lettres : souvent il cite de l’Horace ; une fois il cite de l’Ovide ou plutôt il le parodie : c’est pour s’avertir soi-même qu’il est temps de finir et de ne pas pousser trop loin sa carrière d’auteur : « Crois-moi, vieillard : celui qui se tait fait bien, et chacun doit plutôt rester au-dessous que viser au-dessus de son âge : « Crede, senex : bene qui tacuit bene fecit, et infra Ætatem debet quisque manere suam. […] Collé restait trop exclusivement gaulois et ne souffrait point qu’on fît un pas en avant ; il abondait dans son sens et dans ses goûts : c’était une fin et un bout du monde qu’une telle manière d’être non renouvelée. […] Le bonhomme a toujours manqué d’une élévation d’âme, même commune ; pour peu qu’il en eût eu, il aurait été le plus malheureux des hommes. » Collé donc, à la différence de Panard, avait de l’élévation d’âme : il voyait les grands, les gens riches, les amusait, leur plaisait, mais ne se donnait pas ; il restait lui ; il se défendait de leur trop de familiarité par le respect ; il gardait de sa dignité hors de sa gaîté ; il savait que, si bon prince qu’on fût avec lui, on ne l’était pas autant à Villers-Cotterets qu’à Bagnolet ; assez chatouilleux de sa nature, il allait au-devant des dégoûts par sa discrétion, et se tenait sur une sorte de réserve, même quand il avait l’air de s’abandonner : quand il sortait ces jours-là de sa maison bourgeoise, il disait qu’il allait s’enducailler, comme d’autres auraient dit s’encanailler ; puis, son rôle joué, sa partie faite, il revenait ayant observé, noté les ridicules, et connaissant mieux son monde, plus maître et plus content à son coin du feu que le meunier Michau en son logis.

1239. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Il s’ensevelit sous la religion du silence, à l’exemple des gymnosophistes et de Pythagore ; il médita dans le mystère, et s’attacha par principes à demeurer inconnu, comme avait fait l’excellent Saint-Martin. « Les prétentions des moralistes, comme celles des théosophes, dit-il en tête des Libres Méditations, ont quelque chose de silencieux ; c’est une réserve conforme peut-être à la dignité du sujet. » Désabusé des succès bruyants, réfugié en une région inaltérable dont l’atmosphère tranquillise, il s’est convaincu que cette gloire qu’il n’avait pas eue ne le satisferait pas s’il la possédait, et s’il n’avait travaillé qu’en vue de l’obtenir : « Car, remarque-t-il, la gloire obtenue passe en quelque sorte derrière nous, et n’a plus d’éclat ; nous en aimions surtout ce qu’elle offrait dans l’avenir, ce que nous ne pouvions connaître que sous un point de vue favorable aux illusions. » Il n’est pas étonnant qu’avec cette manière de penser, le nom de M. de Sénancour soit resté à l’écart dans cette cohue journalière de candidatures à la gloire, et que, n’ayant pas revendiqué son indemnité d’écrivain, personne n’ait songé à la lui faire compter. […] Il s’exposa, à diverses reprises, en passant les frontières pour venir visiter sa mère, restée à Paris. […] seul moment resté à l’homme !

1240. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

« Moi, je ne m’estime pas, car, après m’être adressé de semblables questions, je ne les ai pas résolues et j’en suis restée là ; M. […] Je suis restée hier au gîte, espérant que vous viendriez. […] En un mot, elle a la puissance et le cœur, et plus on la connaîtrait en tous ses orages, plus on lui resterait attaché par cet attrait qui intéresse aux natures singulières en même temps que par ce nœud qui lie aux êtres profondément humains.

1241. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Pendant longtemps il est resté engourdi ; il manque même d’instinct732 ; machinalement et sans lever les yeux, il tire sa charrue héréditaire. […] On fait venir les dragons de Provins, les braconniers en tuent un, abattent trois chevaux, sont sabrés ; quatre d’entre eux restent sur la place et sept sont pris. — On voit par les cahiers des États Généraux que, chaque année, dans chaque grande forêt, tantôt par le fusil d’un braconnier, tantôt et bien plus souvent par le fusil d’un garde, il y a des meurtres d’hommes  C’est la guerre à demeure et à domicile ; tout vaste domaine recèle ainsi ses révoltés qui ont de la poudre, des balles et qui savent s’en servir. […] On ne les avait jamais vus ; comme des blaireaux de forêt ou comme des rats d’égout, ils restaient dans leurs tanières ou dans leurs bouges.

1242. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

On l’entend bien, le concept philosophique n’est pas nécessairement antérieur au concept plastique ; l’un et l’autre restent indissolublement unis si, encore une fois, les formes secondaires ont leur raison d’être dans le conflit qu’elles achèvent d’exprimer. […] C’est le cas ordinaire pour les « travaux de longue haleine »… Mais n’y aura-t-il pas symbole si l’idée et le songe qui l’environne se développent en l’unanime adhésion des formes, — si les formes restent concordantes en leur variété multipliée et dérivent naturellement de la forme première par analyse ou par antithèse ? […] Chez lui les images restent concordantes, mais en tel de ses livres, c’est moins peut-être par leur harmonie que par leur manque de variété, malgré toute la richesse imaginative de ce poète.

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