/ 2583
1562. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Six jours plus tard, au-delà du Puy, et malgré son passe-port, la garde bourgeoise vient à onze heures du soir le saisir au lit ; on lui déclare « qu’il est sûrement de la conspiration tramée par la reine, le comte d’Artois et le comte d’Entragues, grand propriétaire du pays ; qu’ils l’ont envoyé comme arpenteur pour mesurer les champs, afin de doubler les taxes »  Ici nous saisissons sur le fait le travail involontaire et redoutable de l’imagination populaire : sur un indice, sur un mot, elle construit en l’air ses châteaux ou ses cachots fantastiques, et sa vision lui semble aussi solide que la réalité. […] » — « Le paysan annonce sans cesse que le pillage et la destruction qu’il fait sont conformes à la volonté du roi. » — Un peu plus tard, en Auvergne, les paysans qui brûlent les châteaux montreront « beaucoup de répugnance » à maltraiter ainsi « d’aussi bons seigneurs » ; mais ils allégueront que « l’ordre est impératif, ils ont des avis que « Sa Majesté le veut ainsi743 »  À Lyon, quand les cabaretiers de la ville et les paysans des environs passent sur le corps des douaniers, ils sont bien convaincus que le roi a pour trois jours suspendu les droits d’entrée744  Autant leur imagination est grande, autant leur vue est courte. « Du pain, plus de redevances, ni de taxes », c’est le cri unique, le cri du besoin, et le besoin exaspéré fonce en avant comme un animal affolé.

1563. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

De l’éclat, du roman, une destinée d’émotion, de dévouement et de tendresse, un touchant malheur, voilà ce qui attache à ces poétiques figures, et ce qui, une fois transmises et consacrées, leur procure dans l’imagination des âges un continuel rajeunissement. […] Une imagination vive, brillante, tours fins et délicats, expressions nouvelles et toujours heureuses, en font l’ornement.

1564. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Barnave, de son côté, repassant dans sa prison les souvenirs de cette époque, a pu dire d’une conjoncture si touchante, « qu’en gravant dans son imagination ce mémorable exemple de l’infortune, elle lui avait servi sans doute à supporter facilement les siennes ». […] Barnave fut transféré des prisons du Dauphiné à Paris, en novembre 93 ; pendant le trajet, et prévoyant le terme prochain, il écrivait de Dijon à l’une de ses sœurs une lettre qui est comme le testament de cette âme grave, noble et stoïquement tendre : Je suis encore dans la jeunesse, écrivait-il, et cependant j’ai déjà connu, j’ai déjà éprouvé tous les biens et tous les maux dont se forme la vie humaine ; doué d’une imagination vive, j’ai cru longtemps aux chimères ; mais je m’en suis désabusé, et, au moment où je me vois près de quitter la vie, les seuls biens que je regrette sont l’amitié (personne plus que moi ne pouvait se flatter d’en goûter les douceurs), et la culture de l’esprit, dont l’habitude a souvent rempli mes journées d’une manière délicieuse.

1565. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Il a de l’imagination jusque dans l’esprit. […] On n’en dira pas autant de lord Chesterfield, et cependant il a plus d’imagination dans les saillies et dans l’expression de son esprit qu’on n’en rencontre chez Saint-Évremond et chez nos fins moralistes en général.

1566. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

L’idée lui était venue d’écrire un roman, Le Gil Blas révolutionnaire ; mais il n’avait rien de cette imagination qui crée les personnages ou qui anime les détails. […] Si quelques événements n’offrent pas dans ses récits le pathétique terrible auquel s’attendait l’imagination du lecteur, on n’en doit pas moins apprécier la finesse impartiale de son esprit.

1567. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

On a là l’idéal de l’imagination de Fontenelle, les fleurs de son printemps ; et quel printemps ! […] Si inférieur à Pascal comme imagination et comme âme, et dans un rapport qu’on dirait incommensurable avec lui (nous sommes en style de géomètre), Fontenelle, à titre d’esprit libre et dégagé, d’esprit net, impartial et étendu, reprend lentement ses avantages, et, sur la fin de ce siècle de grandeur, mais certes aussi d’illusion et de timidité majestueuse, il ose voir en réalité et exprimer en douceur les vérités naturelles telles qu’elles sont.

1568. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Lauzun, qui servait comme aide de camp, y avait tourné la tête à une Mme Chardon, jeune et jolie femme d’un intendant militaire, pleine d’imagination et de caprice. […] Mme Necker avait tracé de Mme de Lauzun dans sa première jeunesse un portrait délicat et senti qu’elle terminait en disant : « Les portraits d’imagination sont les seuls qui lui ressemblent », et dans lequel elle la recommandait vivement comme une vierge orpheline à son bon ange gardien : Ô vous !

1569. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Tous mes soins se portaient donc à présenter la vérité, mais sans la rendre effrayante ; de ce qui n’avait été qu’un tumulte, j’en faisais un tableau ; je cherchais et je saisissais, dans la confusion de ces bouleversements du sanctuaire des lois, les traits qui avaient un caractère et un intérêt pour l’imagination. […] Mallet n’était point ainsi : il appartenait à l’école historique et morale qui est exacte et sévère, et qui n’entre point dans ces compositions, dans ces mélanges où l’imagination et une fausse sensibilité, sous de beaux prétextes, se mettent au service des peurs, des lâchetés et des intérêts : Les contemporains et la postérité, disait-il en exposant ses principes et sa méthode de rédaction, doivent sans doute juger une Assemblée législative sur ses actes, et non sur ses discours : ils imitent en cela l’histoire et la loi, qui se borne à prononcer sur les actions des hommes.

1570. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Cette élévation qu’il n’avait ni dans le cœur ni dans le caractère, il faut bien pourtant reconnaître qu’elle s’était par moments réfugiée dans son imagination. […] Dans le seul voyage qu’il fit, il était allé jusqu’à Marseille et y avait vu la mer : « J’ai donc vu la mer, écrivait-il, ou plutôt je n’ai fait que la revoir, car mon imagination me l’avait mille fois représentée, même plus imposante et plus vaste.

1571. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Fiévée croit qu’il aurait fait surtout des romans, et qu’il aurait eu assez d’imagination pour cela, mais que la Révolution, en y substituant en lui les passions de l’esprit et le goût des réflexions qu’elles font naître, changea par là même sa destination. […] Par penchant et par habitude, il était encore plus homme de presse qu’il ne l’avait été de consultation et de cabinet : « Comme écrivain, disait-il, entre m’adresser au public ou à un souverain, fût-il dix fois plus élevé que la colonne de la place Vendôme, je n’hésiterai jamais à préférer le public ; c’est lui qui est notre véritable maître. » En laissant dans l’ombre les côtés faibles et ce qui n’est pas du domaine du souvenir, et à le considérer dans son ensemble et sa forme d’esprit, je le trouve ainsi défini par moi-même dans une note écrite il n’y a pas moins de quinze ans : Fiévée, publiciste, moraliste, observateur, écrivain froid, aiguisé et mordant, très distingué ; une Pauline de Meulan en homme (moins la valeur morale) ; sans fraîcheur d’imagination, mais avec une sorte de grâce quelquefois à force d’esprit fin ; — de ces hommes secondaires qui ont de l’influence, conseillers nés mêlés à bien des choses, à trop de choses, meilleurs que leur réputation, échappant au mal trop grand et à la corruption extrême par l’amour de l’indépendance, une certaine modération relative de désirs, et de la paresse ; — travaillant aux journaux plutôt par goût que par besoin, aimant à avoir action sur l’opinion, même sans qu’on le sache ; — Machiavels modérés, dignes de ce nom pourtant par leur vue froide, ferme et fine ; assez libéraux dans leurs résultats plutôt que généreux dans leurs principes ; — sentant à merveille la société moderne, l’éducation moderne par la société, non par les livres ; n’ayant rien des anciens, ni les études classiques, ni le goût de la forme, de la beauté dans le style, ni la morale grandiose, ni le souci de la gloire, rien de cela, mais l’entente des choses, la vue nette, précise, positive, l’observation sensée, utile et piquante, le tour d’idées spirituel et applicable ; non l’amour du vrai, mais une certaine justesse et un plaisir à voir les choses comme elles sont et à en faire part ; un coup d’œil prompt et sûr à saisir en toute conjoncture la mesure du possible ; une facilité désintéressée à entrer dans l’esprit d’une situation et à en indiquer les inconvénients et les ressources ; gens précieux, avec qui tout gouvernement devrait aimer causer ou correspondre pour entendre leur avis après ou avant chaque crise.

1572. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Le petit ouvrage qu’il publia en 1845, intitulé : l’Esprit des institutions militaires, et dont le maréchal Bugeaud disait que tout officier en devait avoir un exemplaire dans son porte-manteau, me le montra tel que ses amis me l’avaient fait entrevoir, mais avec une supériorité de vues et de lumières, une netteté d’exposition, une imagination même et une couleur de parole, tout un ensemble de qualités auxquelles bien peu certes auraient atteint parmi les maréchaux de l’Empire. […] Un Français, un Allemand et un Anglais seront toujours très inférieurs sous ce rapport, toutes choses égales d’ailleurs en facultés, à un Corse, un Albanais ou un Grec ; et il est bien permis de faire entrer encore en ligne de compte l’imagination, l’esprit vif et la finesse innée qui appartiennent comme de droit aux méridionaux, que j’appellerai les enfants du soleil.

1573. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

C’est ainsi qu’il ramène tout à l’arithmétique et à la stricte réalité, sans faire sa part à l’imagination humaine. […] « J’approuve, pour ma part, qu’on s’amuse de temps en temps à la poésie, dit-il, autant qu’il faut pour se perfectionner le style, mais pas au-delà. » Il a pourtant lui-même, sans y songer, des formes d’imagination et des manières de dire qui font de lui non seulement le philosophe, mais quelquefois le poète du sens commun.

1574. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

La solitude achèvera de noircir son imagination ; il verra tous ses amis injustes, ingrats, et vous toute la première, si vous refusez une seule fois d’être à ses ordres… Je vois déjà le germe de ses accusations dans la tournure des lettres que vous m’avez montrées. […] De tels griefs (sans aller plus loin), couvés dans la solitude et grossis par une imagination malade, ont dû produire bien des monstres.

1575. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Mais, en pareil cas, il est évident que, si notre imagination suppose à une plante le pouvoir de s’accroître en nombre, elle devra lui supposer aussi quelque avantage sur ses concurrents ou sur les animaux qui s’en nourrissent. […] Mais s’il est aisé de donner ainsi en imagination à une forme quelconque certains avantages sur les autres, fort probablement dans la pratique réelle nous ne saurions en une seule occasion ni ce qu’il faudrait faire, ni comment y réussir.

1576. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

La supputation des probabilités, à laquelle on fait appel, nous montrerait que c’est impossible, parce qu’une scène où des personnes déterminées prennent des attitudes déterminées est chose unique en son genre, parce que les lignes d’un visage humain sont déjà uniques en leur genre, et que par conséquent chaque personnage — à plus forte raison la scène qui les réunit — est décomposable en une infinité d’éléments indépendants pour nous les uns des autres : de sorte qu’il faudrait un nombre de coïncidences infini pour que le hasard fît de la scène de fantaisie la reproduction d’une scène réelle 7 : en d’autres termes, il est mathématiquement impossible qu’un tableau sorti de l’imagination du peintre dessine, tel qu’il a eu lieu, un incident de la bataille. Or, la dame qui avait la vision d’un coin de bataille était dans la situation de ce peintre ; son imagination exécutait un tableau.

1577. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

y retrouve-t-on une Diane de convention, la Diane des ombrages de Fontainebleau et d’Anet, celle des poètes et de la légende, la chasseresse, l’enchanteresse, répondant aux portraits que l’imagination de loin a pu se créer ?

1578. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Les parents ont, pour se faire aimer de leurs enfants dans leur jeunesse, beaucoup des avantages et des inconvénients des rois ; on attend d’eux beaucoup moins qu’on ne leur donne ; on est flatté du moindre effort, on juge tout ce qu’ils font pour vous d’une manière relative, et cette sorte de mesure comparative est bien plus aisément satisfaite ; ce n’est jamais d’après ce qu’on désire, mais d’après ce qu’on a coutume d’attendre, qu’on apprécie leur conduite avec vous ; et il est bien plus facile de causer une agréable surprise à l’habitude, qu’à l’imagination.

1579. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Nous aurions bientôt la nouvelle tragédie française que j’ai l’audace de prédire, si nous avions assez, de sécurité pour nous occuper de littérature ; je dis sécurité, car le mal est surtout dans les imaginations qui sont effarouchées.

1580. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Puis, au lieu de le considérer dans les plus sérieux de ses travaux (qu’ils n’avaient point lus), et notamment dans toute la partie de son œuvre antérieure aux Dialogues philosophiques, les badauds l’ont jugé presque uniquement sur certaines fantaisies, délicieuses d’ailleurs, où il avouait lui-même que son imagination s’était donné carrière.

1581. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Il est beau de toute la magie d’une imagination luxuriante, dont l’expansion toujours en décor charrie, jusqu’à s’en exaspérer parfois, des survivances légendaires, des miroitements de fastes, des éclats de féerie.

1582. (1890) L’avenir de la science « VII »

Les seuls travaux inutiles sont ceux où l’esprit superficiel et le charlatanisme prétendent imiter les allures de la vraie science et ceux où l’auteur, obéissant à une pensée intéressée ou aux rêves préconçus de son imagination, veut à tout prix retrouver partout ses chimères.

1583. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

Les effets (Synthèse des moyens) 1° Effet général exaltant, par : a) Richesse, éclat du style (l°)22 b) Imprévu de la syntaxe (2°) c) Imprévu des métaphores et leur clarté (5° c) d) Coloris violent des époques et des lieux ; (6° a, b, da′***) e) Simplicité des personnages (5° b, 6° da′ et b′) f) Humanitarisme et déisme optimiste (6° e d′) g) Exaltation du ton (4°) h) Saillie des objets par antithèse (3° b, 5° ab′, 6° d a′** et b′) 2° Grandiosité amplifiante, par : a) Procédés de répétition (3° a, 5° a a′) b) Absence de détaillement (5° a a′) c) Lointain des époques (6° d, 6° ee′) d) Clair-obscur des lieux (6° b c) e) Simplicité des personnages (6° d) ; f) Art général des développements ascendants g) Ton (4°) h) Sujets (6° e e′) 3° Mystère, par : a) Mots indéfinis (1°) b) Ellipses (2°) c) Tentative d’aperception immédiate, totale, peu claire (5° a a′) d) Lointain des époques (6° a) et des sujets (6° e e′) e) Vague métaphysique (6° e d′ et e′) f) Obscurité des lieux (6° b, c) g) Ton (4°) h) Prédilection générale pour les sujets et les situations où l’imagination n’est pas bornée par les faits, poétisme.

1584. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Le premier de ces yeux s’appelle l’observation, le second s’appelle l’imagination.

1585. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean de Meun, et les femmes de la cour de Philippe-le-Bel. » pp. 95-104

Tout y respire une imagination vive & riante ; tout y prend une ame, une figure, une voix.

1586. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Montmaur, avec tout le Parnasse Latin & François. » pp. 172-183

Il avoit une de ces imaginations qui, pour être remuées, ont besoin de la présence des objets, & qui se refroidissent dans le silence du cabinet & dans la lenteur de la composition.

1587. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

Il le croyoit plus du ressort des discours académiques, plus fait pour éguiser l’esprit des jeunes gens, pour exercer leur imagination, & leur apprendre à construire leurs phrases avec art, & à symmétriser leurs expressions.

1588. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

Imaginations !

1589. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Saint Jérôme brille par une imagination vigoureuse, que n’avait pu éteindre chez lui une immense érudition.

1590. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « A Monsieur Naigeon » pp. 9-14

Peut-être eussiez-vous désiré, pour me servir ici de vos propres termes, « que, me livrant à toute la chaleur de mon âme, et à toute la fougue de mon imagination, je vous montrasse Sénèque, comme autrefois je vous avais montré Richardson » : mais, pour cela, au lieu de plusieurs mois, il fallait ne m’accorder qu’un jour.

1591. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

C’est de l’imitation de nature, soit exagérée, soit embellie, que sortiront le beau et le vrai, le maniéré et le faux ; parce qu’alors l’artiste est abandonné à sa propre imagination : il reste sans aucun modèle précis.

1592. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « III »

S’il est une chose reconnue, c’est l’utilité de la lecture pour se former l’esprit, l’imagination et le style.

1593. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

Pour les imaginations médiocrement préparées, M. 

1594. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

D’un esprit né pour spéculer ou pour rêver je pourrais admettre qu’il reste extérieur à la réalité, qu’il la déforme et qu’il la transforme, peut-être même qu’il la crée, comme nous créons les figures d’hommes et d’animaux que notre imagination découpe dans le nuage qui passe.

1595. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

L’imagination sympathique était absente ; on ne savait pas sortir de soi-même, se transporter en des points de vue distants, se figurer les états étranges et violents de l’esprit humain, les moments décisifs et féconds pendant lesquels il enfante une créature viable, une religion destinée à l’empire, un État qui doit durer. […] On n’imaginait pas la structure de son esprit encore primitif, la rareté et la ténacité de ses idées, l’étroitesse de sa vie routinière, machinale, livrée au travail manuel, absorbée par le souci du pain quotidien, confinée dans les limites de l’horizon visible, son attachement au saint local, aux rites, au prêtre, ses rancunes profondes, sa défiance invétérée, sa crédulité fondée sur l’imagination, son incapacité de concevoir le droit abstrait et les événements publics, le sourd travail par lequel les nouvelles politiques se transformaient dans sa tête en contes de revenant ou de nourrice, ses affolements contagieux pareils à ceux des moutons, ses fureurs aveugles pareilles à celle d’un taureau, et tous ces traits de caractère que la Révolution allait mettre au jour. […] Il a été forgé par l’ignorance, par la crainte, par l’imagination, toutes puissances trompeuses.

1596. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

VI Ce fut la tentation de beaucoup de grands esprits, depuis qu’il y a des penseurs dans le monde, de se révolter, au moins en imagination, contre la nature des choses ; de s’imaginer qu’ils étaient dieux, de critiquer avec mépris l’œuvre du Créateur ; de reprendre l’univers moral en sous-œuvre, de renverser toutes les institutions plus ou moins parfaites de l’humanité, et de reconstruire idéalement une société sur le plan radical de leur imagination, en faisant abstraction des instincts, des traditions, des habitudes, cette seconde nature, des nécessités, des expériences, des nationalités et des faits historiques, qui ont produit, fait par fait et siècle par siècle, les institutions fondamentales et universelles sur lesquelles repose l’espèce humaine. […] Et d’abord, il s’occupe de leur éducation sur les genoux des nourrices ; il en exclut les fables qui défigurent les dieux dans l’imagination de ce premier âge ; il prescrit pour cela des règles aux poètes, pour qu’ils n’attribuent aux dieux, dans leurs œuvres, que le bien et jamais le mal ; il leur défend de faire craindre la mort à ces hommes par la déception des enfers ; il n’autorise le mensonge que dans les magistrats, pour l’utilité du peuple, maxime honteuse qui honore dans l’État le crime contre la vérité puni dans le citoyen, sophisme qui rappelle les deux morales de Machiavel, de Mirabeau, de tous les faux politiques, une morale pour la vie privée, une pour la vie publique ; absolution philosophique des crimes d’État.

1597. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Chacun de ses ouvrages signale un perfectionnement très sensible dans l’instrument littéraire ; mais tous, pourtant, sont empreints d’un commun caractère : ils procèdent plutôt de la pensée solitaire et recueillie, écoutant au-dedans d’elle-même les voies confuses de la rêverie et de l’imagination, que d’un besoin logique de systématiser sous la forme épique et dramatique les développements d’une passion observée dans la vie sociale ou d’une anecdote compliquée d’incidents variés. […] Le poète qui vient d’ouvrir à l’imagination et au sentiment des voies nouvelles, révèle à la poésie française son harmonie. […] Il est de la race, désormais éteinte sans doute, des génies universels, de ceux qui n’ont point de mesure, parce qu’ils voient tout plus grand que nature ; de ceux qui, se dégageant de haute lutte et par bonds des entraves communes, embrassent de jour en jour une plus large sphère par le débordement de leurs qualités natives et de leurs défauts non moins extraordinaires ; de ceux qui cessent parfois d’être aisément compréhensibles, parce que l’envolée de leur imagination les emporte jusqu’à l’inconnaissable, et qu’ils sont possédés par elle plus qu’ils ne la possèdent et ne la dirigent ; parce que leur âme contient une part de toutes les âmes ; parce que les choses, enfin, n’existent et ne valent que par le cerveau qui les conçoit et par les yeux qui les contemplent.

1598. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Samedi 5 février Amusant bonhomme que ce Cernuschi, avec son baragouin franco-italien, sa faconde gouailleuse, ses drôleries d’imagination, ses paradoxes-vérités appuyés sur une vraie science économique, et enfin son art de faire comprendre des choses abstraites avec la vulgarité des comparaisons. […] Vendredi 3 novembre Voisin, le préfet de police apprenait à Claudin, que les arrestations de nuit à Paris, allaient tous les jours de 200 à 240 personnes, et qu’elles montaient à 400 les jours de fête… Vendredi 8 novembre C’est bon, c’est fécondant pour l’imagination, les courses que je fais, la nuit tombée, avant dîner. […] Là ce fut autre chose, l’acier pénétrait dans les chairs comme dans une pomme qui jute…, oui, une pomme pleine de suc. » Mercredi 27 décembre Aujourd’hui que mon livre de La Fille Élisa est presque terminé, commence à apparaître et à se dessiner vaguement dans mon esprit le roman, avec lequel je rêve de faire mes adieux à l’imagination.

1599. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

II On conçoit bien, quand on vient de le lire et qu’on s’est rendu compte de ses facultés, que son imagination ait été entraînée sans parti pris vers ces figures historiques d’une si puissante séduction ; car c’est la séduction, l’irrésistible séduction, qui est le caractère des Guise dans l’Histoire, et qui les y fait même plus grands qu’ils ne le furent en réalité. […] il n’y a que l’amour qui puisse expliquer Philippe II et son règne, et l’empêcher d’être dans l’Histoire l’espèce de monstre qu’ont fait de lui dans l’imagination des hommes les ennemis de ce qu’il aimait. […] Michelet, cet halluciné dans l’Histoire, est l’historien qui doit laisser le plus sa détestable influence sur l’imagination de la génération présente et des générations qui vont suivre.

1600. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Par un instinct naturel, et parce qu’on aime mieux, en imagination au moins, être dupeur que dupé, c’est du côté des fourbes que se met le spectateur. […] Quand on songe à l’intensité et à la fréquence de ce genre de comique, on comprend qu’il ait frappé l’imagination de certains philosophes. […] Au lieu de deux séries contemporaines, on pourrait aussi bien prendre une série d’événements anciens et une autre actuelle : si les deux séries arrivent à interférer dans notre imagination, il n’y aura plus quiproquo, et pourtant le même effet comique continuera à se produire.

1601. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Le politique n’en voit qu’une qui est la vraie ; il a le tact juste, plutôt que l’imagination abondante ; d’instinct, il devine la bonne route, et la suit sans plus chercher. […] En rassemblant toutes les littératures, vous ne trouveriez guère que trois ou quatre imaginations aussi compréhensives et aussi nettes que celle-là. […] Il n’écrivait pas sur des sujets d’imagination, lesquels dépendent du goût régnant, mais sur des choses personnelles et intimes, uniquement occupé à conserver ses souvenirs et à se faire plaisir.

1602. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Ces objets évoquent des idées, des souvenirs et, pour tout dire, des sensations qui varient selon le degré d’imagination et de culture de l’observateur. […] Son imagination était d’ailleurs vagabonde ; il adorait les verroteries, les costumes bariolés. […] Renouvier appelle l’imagination mythologique. […] Eugène Sue, qui ne fut pas un grand écrivain, mais un homme d’imagination géniale, continue de régner dans le feuilleton. […] Son épique silhouette reste à jamais gravée dans l’imagination du lecteur… Voici maintenant l’homme de l’histoire.

1603. (1901) Figures et caractères

De l’édifice poétique qu’habitait cette imagination, il ne nous resterait que la ruine disjointe. […] Venu d’Allemagne et d’Angleterre, il avait déjà pénétré les imaginations avisées. […] Ils refont la vie dans leurs livres à la convenance de leur imagination et au gré de leur désir. […] N’avait-il pas embelli son imagination des plus belles pensées humaines et joué à les agencer en rapports nouveaux ? […] Saint-Simon a l’imagination passionnée.

1604. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Bacon est un architecte qui a l’imagination d’un palais merveilleux, mais ne sait ni le dessin, ni la géométrie, ni la maçonnerie, ni la charpente. […] Le cœur s’était transformé, l’imagination restait la même et le langage aussi. […] Mais un Dieu unique serait pour l’imagination de notre race une faible création ; nous sommes plus généreux et plus fiers. […] Imagination couleur de rose. — Coyer. […] Imagination qui retrace des images. — Massillon.

1605. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Il faut quelque imagination pour trouver de cet esprit-là. […] Quelle folie donc de se mettre l’imagination à la torture pour trouver du neuf ! […] Il les accuse de nous mener grand train à la mort de l’imagination et même à la paralysie générale. […] Il a au plus haut degré l’imagination scientifique, j’entends celle qui se représente la liaison des effets et des causes. […] Cette imagination scientifique, M. 

1606. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

La psychologie les rapporte à une faculté générale, l’imagination. […] Pour plus de clarté, nous avons suppose dans la société une brusque révolte de l’individu, et dans l’imagination individuelle la soudaine apparition d’un dieu qui empêche ou qui défend. […] La pression de l’instinct a fait surgir en effet, au sein même de l’intelligence, cette forme d’imagination qu’est la fonction fabulatrice. […] S’il y mettait encore toute son âme, il se hausserait par un effort d’imagination jusqu’au nuage, il croirait sentir qu’il le crève, il le répandrait en gouttelettes. […] De cette fonction fabulatrice nous avons dit qu’on la définirait mal en faisant d’elle une variété de l’imagination.

1607. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Je crois même qu’il avoit des tablettes, et qu’à la faveur de son manteau il a écrit, sans être aperçu, ce qu’elles ont dit de plus remarquable. » Et sur ce que répond Oriane qu’Élomire avait peut-être même un crayon et dessinait leurs grimaces pour les faire représenter au naturel dans le jeu du théâtre, le marchand reprend : « S’il ne les a pas dessinées sur ses tablettes, je ne doute point qu’il ne les ait imprimées dans son imagination. […] Cette issue une fois trouvée, l’imagination inventive de Molière s’y précipita. […] Il se retira et laissa Molière, qui rêva encore fort longtemps aux moyens d’amuser sa douleur. » Cette touchante scène se passait à Auteuil, dans ce jardin plus célèbre par une autre aventure que l’imagination classique a brodée à l’infini, qu’Andrieux a fixée avec goût, et dont la gaieté convient mieux à l’idée commune qu’éveille le nom de Molière. […] C’est pour cela que les grands génies dramatiques doivent unir tous les éléments de l’âme humaine à un plus haut degré, mais dans les mêmes proportions que le commun des hommes ; qu’ils doivent posséder un équilibre moyen entre des doses plus fortes d’imagination, de sensibilité, de raison. Or, supposez une nature très-lyrique, c’est-à-dire un peu singulière, exceptionnelle, chez laquelle les éléments de l’âme humaine fortement combinés ne sont pas dans les mêmes proportions que chez le commun des hommes ; chez laquelle, par exemple, l’imagination est double ou triple, la raison moindre, inégale, la logique opiniâtre et subtile, la sensibilité violente, ne se produisant jamais qu’à l’état héroïque de passion sans remplir doucement les intervalles.

1608. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Ce n’est ni une étude vraie de la vie moderne, ni un recueil de belle écriture, et il n’y a là dedans qu’un travail d’écureuil, et une dépense de fausse imagination autour d’une situation, tirée par les cheveux. […] Mercredi 11 février Autant c’est chafriolant d’entendre parler cuisine, par des gens curieux de nourriture délicate, raffinée, originale, enfin de petits mangeurs qui ont l’imagination de l’estomac ; autant c’est répugnant, dégoûtant même, d’entendre des goinfres d’une chatte qui se gave de mou, et un bout de langue remueur dans une rotation pourléchante. […] Samedi 21 février C’est vraiment amusant de voir ses imaginations, prendre une consistance en chair et en os, sa prose, se changer en mouvement, en de l’action, — enfin le froid imprimé, dont on est l’auteur, devenir de la vie. […] Et, envoyant promener mon éducation littéraire, je trouve Balzac, plus homme de génie que Shakespeare, et je déclare que son baron Hulot produit sur mon imagination, un effet plus intense que le Scandinave Hamlet. […] Et aujourd’hui mes moqueries, à propos des imaginations inquiètes de la triste et maladive fillette, je me les reproche comme des manques de cœur, et le souvenir m’en est douloureux.

1609. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Elles plaisent à la raison par leur exactitude et à l’imagination par leur étendue. […] Les révolutions soudaines n’existent que dans notre imagination. […] Il avait l’esprit d’imagination et l’esprit d’examen. […] Il n’a pas réussi à étouffer sa robuste imagination. […] Leur imagination est courte, simple, point grivoise.

1610. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Il faudrait avoir l’imagination bien stérile pour ne pas trouver quelque fade plaisanterie contre un homme qui passe sa vie à déchiffrer de vieux marbres, à deviner des alphabets inconnus, à interpréter et commenter des textes qui, aux yeux de l’ignorance, ne sont que ridicules et absurdes. […] Son éducation d’enfant de chœur, son imagination d’artiste, sa rêverie de Celte, sa disposition à parler avec une sérieuse pitié de toutes les superstitions humaines, le prédisposaient singulièrement à cette tâche. […] Serait-il vrai qu’on ne remarque point dans ses derniers livres la grande tendresse de la Vie de Jésus, cette émotion, cette part d’imagination sentimentale et de religieuse sympathie, que M.  […] Mieux que personne, il aperçoit et admire tour à tour leur fantaisie passionnée et éclatante, leur énergie austère et sombre, leur bon sens incisif, leurs révoltes et leurs tristesses, leur imagination visionnaire et émue, leur philosophie hautaine et pratique, leurs folies hallucinées ou leur logique abstraite. […] Comme il y avait en lui un fonds de mysticisme héréditaire, son imagination s’égara vers les profanations, les messes noires des prêtres maudits, les sarabandes démoniaques, les profanations, les sacrilèges.

1611. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Au lieu donc de tyranniser la liberté de l’imagination et du rêve, ils demandent que la poésie les rende à leur essor. […] Spronck sous les yeux, il me semble que je vois mieux qu’autrefois, comment, par quel dangereux prestige, elles ont, depuis une trentaine d’années, séduit et corrompu tant d’imaginations. […] C’est qu’aussi bien, s’il peut suffire de l’imagination ou de la sensibilité pour concevoir une œuvre d’art, c’est la volonté seule qui l’exécute. […] « Si l’imagination chez Flaubert était immense, dit M.  […] Il y a de beaux mots, qui sonnent bien à l’oreille, il y en a d’odieux, qui l’offensent, qui la blessent, qui remplissent aussi l’imagination d’idées communes, vulgaires, ou impures.

1612. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Antoine Campaux, homme de cœur et d’imagination, qui s’est épris du poète, qui l’a de bonne heure lu, relu, imité peut-être dans des vers de jeunesse et pour ses parties avouables59 ; qui l’aime comme un fils indulgent et innocent, avocat désintéressé d’un père prodigue, et qui, concentrant sur lui toute l’affection et l’érudition dont il est capable, a résumé, poussé à fond et comme épuisé les recherches à son sujet. […] Il était préoccupé de l’idée de la mort : il avait de bonnes raisons pour cela, des raisons très particulières, sans compter que le Moyen Âge tout entier en avait l’imagination frappée.

1613. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Et à ce propos on remarquera combien l’idée du Diable revient souvent dans l’imagination du poète, comme pour piquer la somnolence heureuse et stimuler l’ennui. […] On ne saurait présenter et symboliser un amour douloureux sous un plus juste et plus ingénieux emblème. — Veut-il exprimer la quantité de fantaisies qui viennent chaque soir, à l’heure où le rêve commence, se former et s’assembler dans son imagination oisive, et qui ne demandent qu’à prendre forme et couleur chaque matin, il dira : LES COLOMBES.

1614. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Le comte de Saxe, qui avait de l’imagination, a bien voulu en effet, quoi qu’on dise, essayer d’un traité sur l’Art de la Guerre par manière d’amusement, et ce sont ses jeunesses à lui, juvenilia, c’est un pêle-mêle d’ébauches, de boutades et de réflexions, tantôt hasardées, tantôt judicieuses, qu’il nous a livré dans ces feuilles volantes. […] Je crois difficilement que les Français songeassent à l’en déloger, et il faudrait bien que l’Électeur de Bavière s’en consolât. » « Pardonnez, Sire, ce dernier article : il est d’une imagination… ; mais la fortune, quelquefois, aide les hardis.

1615. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Le court séjour qu’elle y fit, et pendant lequel elle écrivait de charmantes lettres collectives à ses trois enfants à Paris, réveilla en elle des traces de jeunesse, et lui apporta, malgré tout, quelque diversion heureuse, un loisir relatif et comme une allégresse d’imagination. […] Elle était bien la sœur du poëte en effet par la sensibilité et par le cœur, et aussi par une certaine simplicité primitive d’imagination.

1616. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Ce soleil de la Sierra, en bronzant leur caractère, avait aussi doré leur imagination. […] On sait comment son royalisme lui était venu : quant à la religion, elle lui était entrée dans le cœur par l’imagination et l’intelligence ; il y voyait avant tout la plus haute forme de la pensée humaine, la plus dominante des perspectives poétiques.

1617. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Étienne Pasquier écrivait à Ronsard en 1555, six ans seulement après que Du Bellay, dans l’Illustration de la Langue, avait sonné la charge et prêché la croisade : « En bonne foi, on ne vit jamais en la France telle foison de poëtes… Je crains qu’à la longue le peuple ne s’en lasse ; mais c’est un vice qui nous est propre, que, soudain que voyons quelque chose succéder heureusement à quelqu’un, chacun veut être de sa partie sous une même promesse et imagination qu’il conçoit en soi de même succès. » Pasquier veut bien croire que tous ces nouveaux écrivasseurs donneront tant plus de lustre aux écrits de Ronsard, « lesquels, pour vous dire en ami, continue-t-il, je trouve très-beaux lorsque avez seulement voulu contenter votre esprit ; mais quand, par une servitude à demi courtisane, êtes sorti de vous-même pour étudier au contentement, tantôt des grands, tantôt de la populace, je ne les trouve de tel alloi. » En sachant gré au poëte de l’avoir nommé en ami dans ses écrits, il ajoutait : « Mais, en vous remerciant, je souhaiterais que ne fissiez si bon marché de votre plume à haut louer quelques-uns que nous savons notoirement n’en être dignes ; car ce fesant vous faites tort aux gens d’honneur. […] Il est poëte de sens, de sentiment et d’esprit plutôt que de haute imagination.

1618. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

. — Et le talent aussi, l’imagination dans le style, n’est-ce donc pas une espèce de coursier de Mazeppa ? […] C’est un mélange singulier des fleurs idéales de l’imagination et des hideuses réalités de la vie servile.

1619. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Voltaire a osé dire de cette belle épître : « Elle paraît écrite entièrement dans le style de Régnier, sans grâce, sans finesse, sans élégance, sans imagination ; mais on y voit de la facilité et de la naïveté. » Prusias, en parlant de son fils Nicomède que les victoires ont exalté, s’écrie : Il ne veut plus dépendre, et croit que ses conquêtes Au-dessus de son bras ne laissent point de têtes. […] Il y a peu de peinture et de couleur dans le style de Corneille ; il est chaud plutôt qu’éclatant ; il tourne volontiers à l’abstrait, et l’imagination y cède à la pensée et au raisonnement.

1620. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Il a l’imagination abstraite, subtile, spirituelle, des souplesses et des sourires nouveaux dans la sécheresse un peu triste d’autrefois. […] Tout le monde connaît cette grâce malicieuse, cette très peu candide et très naturelle simplicité, ces jets imprévus d’imagination ou d’ironie, cet art de dire les choses en se jouant, sans appuyer, et d’enfoncer profondément le trait dont l’atteinte est si légère.

1621. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

J’ai souvent éprouvé que je ne vivais jamais plus énergiquement par l’imagination et la sensibilité que quand je m’appliquais à ce que la science a de plus technique et en apparence de plus aride. Quand l’objet scientifique a par lui-même quelque intérêt esthétique ou moral, il occupe tout entier celui qui s’y applique ; quand, au contraire, il ne dit absolument rien à l’imagination et au cœur, il laisse ces deux facultés libres de vaquer à leur aise.

1622. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Aux catholiques l’habitude de s’adresser à l’imagination ; le goût des pompes théâtrales et des arts qui parlent aux yeux ; un style volontiers sensuel, coloré, voluptueux. […] Il faut relever le caractère spécial qu’a revêtu alors le catholicisme ; quelle secte, quel ordre y dominait ; quel saint, quel grand homme du passé y était pris pour modèle ; quelle face du dogme y était exposée en plein jour et quelle laissée dans l’ombre ; si la première place y était donnée à l’Ancien ou au Nouveau Testament ; s’il s’adressait de préférence au peuple ou bien à telle ou telle classe privilégiée ; s’il voulait parler à la raison, au cœur, à l’imagination, aux sens ; quels étaient les ; sujets de controverse où il se complaisait, etc.

1623. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

On cherche dans son imagination quelque malheur unique, pour s’y vouer et s’y envelopper dans la solitude. […] Si l’imagination de l’auteur anglais n’a pas embelli les lieux, Lesage avait trouvé dans son faubourg l’ermitage du poète et du philosophe.

1624. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

Mais, ô nuit charmante, o vere beata nox, pour mille jeunes recluses, bernardines, bénédictines, visitandines, quand elles vont être visitées… Voilà Camille qui commence à se révéler avec ses goûts de saturnales, sa république de Cocagne comme il la rêve, cette république qu’il a presque inaugurée, le 12 juillet, en plein Palais-Royal, et qui dans son imagination s’en ressentira toujours. […] L’enfant gamin que nous connaissons, le drôle à imagination effrénée et libertine, revient se jouer jusqu’au milieu de l’émotion.

1625. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

La France, pour M. de Maistre, qui est Français de langue, et, à bien des égards, de cœur et d’esprit, la France est un instrument, un organe européen que rien ne saurait remplacer, et qui, même lorsqu’il frappe à faux, ne doit pas être à l’instant rejeté et brisé : Il y a dit-il, dans la puissance des Français, il y a dans leur caractère, il y a dans leur langue surtout, une certaine force prosélytique qui passe l’imagination. […] Il ne la connut en effet qu’en 1814, et cette idée de séparation et de privation paternelle revient souvent sous sa plume, paroles et expressions les plus vives et qui vont au cœur : « L’idée de partir de ce monde sans te connaître, lui écrit-il, est une des plus épouvantables qui puissent se présenter à mon imagination. » Il avait une autre fille aînée qui était également loin de lui, et qui était alors à marier, avec toutes sortes de qualités, mais sans fortune ; c’est en pensant à elle qu’il s’écriait d’une manière charmante : « Ah !

1626. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Jamais il ne consent à admettre le divorce entre l’imagination et le jugement. […] Que si Locke et Condillac « manquaient également tous deux du secret de l’expression, de cet heureux pouvoir des mots qui sillonne si profondément l’attention des hommes en ébranlant leur imagination, leur saura-t-on gré de cette impuissance ? 

1627. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Mais une fois jeté en prison (avril 1794), détenu au Luxembourg, La Harpe, avec cette âpre personnalité qu’on lui connaît, s’étonna plus qu’un autre d’avoir été atteint ; l’idée de la mort lui apparut, son imagination lui fit tableau ; il fut en proie à un grand tumulte, et, dans ce bouleversement de tout son être, il sentit une révolution s’opérer en lui : il eut le coup de foudre, ce qu’on appelle le coup de la grâce, qui le renversa et le retourna. […] Je n’examine pas le raisonnement, qui est hardi et qui tend à introduire le surnaturel parce qu’il y a eu de l’extraordinaire : la seule remarque que je veuille faire en ce moment, c’est que, le jour où La Harpe a écrit d’inspiration cette scène de verve et de vigueur, son talent pour la première fois s’est trouvé monté au ton de sa sensibilité émue et de son imagination frappée.

1628. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Son imagination, en ces matières, lui faisait tableau, et il était incapable par lui-même de ces lentes économies de détail qui seules assurent le succès des grandes entreprises particulières. […] Tel, on le voit, tel vivait le duc de Raguse pendant la seconde moitié de la Restauration, oubliant peu à peu ses disgrâces, très aimé de ses amis, absous et plus qu’absous de tous ceux qui rapprochaient, et qui lisaient à nu dans cette nature vive, mobile, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur (le mot est d’un bon juge, et je le reproduis) ; piquant d’ailleurs de parole, pénétrant dans ses jugements, parlant des hommes avec moquerie ou enthousiasme, des choses avec intérêt, avec feu et imagination, parfaitement séduisant en un mot, comme quelqu’un qui n’est pas toujours froidement raisonnable.

1629. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Là où il est sur son terrain, dans l’ordre de sa vocation, et véritablement maître, c’est quand, à propos du Manuscrit de 1814 du baron Fain (25 avril 1830), il parle des choses de la guerre, de l’art et du génie qui y président : Dans une belle opération de guerre, il y a une partie de savoir et de calcul qui n’est pénétrée que par quelques esprits ; mais il y en a une autre qui produit dans toutes les imaginations l’émotion du beau, et qui est toute en spectacle. […] Il lui manque un peu de ce qu’il a tant blâmé chez les hommes de l’école opposée, l’imagination dans l’expression.

1630. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

La lecture de Robinson fut pour lui un événement ; lui aussi, il cherchait en imagination son île, mais bientôt ce ne fut plus une île solitaire, il s’y donnait des compagnons ; il la peuplait à son gré d’un monde choisi, dont il se faisait le législateur pacifique : car il était ambitieux, et son penchant le portait naturellement ou à s’isoler ou à se donner le beau rôle. […] Il lui arriva alors comme aux hommes d’imagination qui embrassent d’autant plus qu’on leur refuse davantage ; ne pouvant obtenir aussi vite qu’il le voulait sa réintégration et de l’emploi au service de France, il revint à l’idée d’être législateur en grand, et résolut d’aller proposer ses services en Russie, où Catherine venait de saisir l’empire.

1631. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

En revanche les chapitres que je méprise un peu, les chapitres de pure imagination, empoignent le petit public. […] Nous tous, je nous trouve commis voyageurs, à côté de ces deux imaginations.

1632. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

C’est le vide rigoureux des légendes interplanétaires, le nihil in tenebris de l’imagination scolastique. […] Le style le plus décharné est parfois vivant ; une goutte d’eau ressuscite le rotifère desséché  ; une lueur d’imagination restitue aux mots glacés leur valeur émotionnelle.

1633. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Les esprits vifs, pleins de feu, et qu’une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s’assouvir de l’hyperbole. […] Je conseille à un auteur né copiste, et qui a l’extrême modestie de travailler d’après quelqu’un, de ne se choisir pour exemplaires que ces sortes d’ouvrages où il entre de l’esprit, de l’imagination, ou même de l’érudition : s’il n’atteint pas ses originaux, du moins il en approche, et il se fait lire.

1634. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Je jure qu’elle est fixée pour jamais dans mon imagination à côté de celle de l’ amitié de Falconet. […] Quel est le travail de l’imagination qui les produit ?

1635. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Et qui se révoltait, comme toutes les bégueules se révoltent, parce qu’elles n’entendent rien, ces pauvres diablesses, indigentes d’imagination, à la grâce de certaines faiblesses qui font le bonheur de la vie ! […] Trelawney, le Trelawney des Mémoires de lord Byron et de notre imagination prévenue, dans l’écrivain quelconque qui a tenu la plume et qui a osé signer du nom de Trelawney les Recollections.

1636. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Philarète Chasles, cet écrivain à l’imagination humouristique, à la verve mousseuse et pétillante, à la grâce italienne, aurait mis, comme Beaumarchais, de la gaieté dans sa vengeance, — ce qui fait, en France, la vengeance meilleure. […] Lui qui avait de la réalité à côté de l’imagination dans la tête, qui avait de l’observation, de la netteté dans le regard, et de la raillerie au service de tout ce qui était hypocrite, pédant et niais, croit à la perfectibilité du genre humain comme le plus simple épicier de cette grande époque, dont c’est l’opinion.

1637. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Presque tout le mérite de Pigal se résume donc dans une habitude d’observation sûre, une bonne mémoire et une certitude suffisante d’exécution ; peu ou pas d’imagination, mais du bon sens. […] J’ai dit que Gavarni l’avait complétée ; et, en effet, entraîné par son imagination littéraire, il invente au moins autant qu’il voit, et, pour cette raison, il a beaucoup agi sur les mœurs.

1638. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

On retrouvait là cette « imagination vagabonde » dont M. 

1639. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Post-scriptum sur Alfred de Vigny. (Se rapporte à l’article précédent, pages 398-451.) »

J’ai entendu plusieurs personnes soutenir que la peinture de cet orage n’était pas réelle, que c’était de pure imagination.

1640. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Il est piquant de voir comment la diversité d’imagination et de cœur les lance dès le point de départ dans des routes de rêverie bien éloignées, où ils ont trouvé moyen l’un et l’autre de recueillir une si abondante moisson de sentiments et de poésie.

1641. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

M. de Balzac a découvert cette veine ; c’est lui qui, le premier, après d’inconcevables écoles, a fini par bien saisir et par traiter dans ses moindres nuances la forme de sensibilité, d’imagination, de fatuité, de rouerie, qui caractérise un certain monde à la mode de notre temps.

1642. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface d’avril 1823 »

Il faudrait pour cela une hardiesse d’imagination, une force d’esprit dont on ne trouve guère d’exemples que parmi les inventifs bourreaux du Japon, et peut-être de quelque autre pays.

1643. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

qui bégayent des formules, mauvaises d’un côté, bonnes de l’autre ; les vieilles religions qui font peau neuve ; Rome, la cité de la foi, qui va se redresser peut-être à la hauteur de Paris, la cité de l’intelligence ; les théories, les imaginations et les systèmes aux prises de toutes parts avec le vrai ; la question de l’avenir déjà explorée et sondée comme celle du passé.

1644. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

Le second volume surtout intéressera les philosophes par des analyses psychologiques fines et neuves sur les sens, l’imagination, les rêves, les hallucinations.

1645. (1879) Balzac, sa méthode de travail

Chose singulière, Balzac qui sait « se couper » dans ses œuvres d’imagination, ne paraît pas avoir usé de cette faculté dans ses préfaces, ses mémoires justificatifs, ses polémiques.

1646. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

Ce grand homme nous a laissé un arbre encyclopédique, où se trouve la division générale de la science humaine en histoire, Poésie & Philosophie, selon les trois facultés de l’entendement, mémoire, imagination & raison.

1647. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

L’acteur des atellanes joüoit donc son rolle d’imagination et il le brodoit à son plaisir.

1648. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

L’homme de génie dont je viens de parler avoit conçû par la seule force de son imagination que le spectacle pouvoit tirer du pathetique, même de l’action muette des choeurs, car je ne pense pas que cette idée lui fut venuë par le moïen des écrits des anciens, dont les passages qui regardent la danse des choeurs n’avoient pas encore été entendus, comme nous venons de les expliquer.

1649. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

Lisons, ça mettra mon imagination en train… Si je me faisais journaliste ?

1650. (1912) L’art de lire « Chapitre X. Relire »

Le plaisir de mieux comprendre met, du reste, dans l’esprit un certain feu, une certaine chaleur qui excite l’imagination elle-même.

1651. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Non seulement on est étonné, si on y regarde, de la rareté des grandes publications dans lesquelles le talent et l’ordre des travaux éclatent, mais on est presque stupéfait de voir combien reste au-dessous du compte fait à l’avance par l’imagination le nombre des livres quelconques qui s’impriment.

1652. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

C’est à cette distance des hommes que la renommée paraît auguste, que la postérité se montre, que la gloire tourmente et fatigue l’imagination.

1653. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

ou bien un philosophe qui était tout à la fois physicien, géomètre, naturaliste, politique, dialecticien, qui avait porté l’analyse dans toutes les opérations de l’esprit, assigné l’origine et la marche de nos idées, cherché dans les passions humaines toutes les règles de l’éloquence et du goût, et en qui le concours et l’union de toutes ces connaissances devaient former un esprit vaste et une imagination qui agrandissait tous les arts en réfléchissant leur lumière les uns sur les autres, ne devait-il pas en effet avoir moins d’estime pour un orateur qui avait plus d’harmonie que d’idées, et pour un maître d’éloquence qui savait mieux les règles de l’art, que l’origine et le fondement des arts même et des règles ?

1654. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

L’évêque, son successeur, nous a laissé, à la tête de ses éloges, une description charmante de ce lieu ; on y voit un homme enthousiaste des lettres et du repos, un historien qui a l’imagination d’un poète, un évêque nourri des doux mensonges de la mythologie païenne ; car il nous peint avec transport ses jardins baignés par les flots du lac, l’ombre et la fraîcheur de ses bois, ses coteaux, ses eaux jaillissantes, le silence profond et le calme de sa solitude ; une statue élevée dans ses jardins à la nature ; au-dedans, un salon où présidait Apollon avec sa lyre et les neuf Muses avec leurs attributs ; un autre où présidait Minerve ; sa bibliothèque, qui était sous la garde de Mercure ; ensuite l’appartement des trois Grâces, orné de colonnes doriques et de peintures les plus riantes ; au-dehors, l’étendue pure et transparente du lac, ses détours tortueux, ses rivages ornés d’oliviers et de lauriers ; et, dans l’éloignement, des villes, des promontoires, des coteaux en amphithéâtre, chargés de vignes ; et les hauteurs naissantes des Alpes, couvertes de bois et de pâturages, où l’œil voyait de loin errer des troupeaux.

1655. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IX. »

Simonide est un précurseur de Pindare, dans ce culte de la gloire publique si bien assortie à l’imagination des cités libres de la Grèce ; il est le chantre des jeux guerriers et des athlètes vainqueurs ; il écrit en vers l’épitaphe de Léonidas et des siens.

1656. (1925) Comment on devient écrivain

Je suis seulement frappé par le monstrueux débordement de tant d’œuvres d’imagination insignifiantes et médiocres. […] On n’a pas besoin d’expérience pour écrire des romans d’amour ; l’imagination suffit. […] L’imagination, cette fois, s’interdit d’inventer : elle a assez affaire d’évoquer, de reconstituer, de donner au passé la vie du présent. […] C’est à cette source qu’il a, pendant la première moitié de sa carrière, incessamment retrempé son imagination créatrice. […] Flaubert et Bouilhet se complétaient l’un l’autre, « Il est avéré, dit Cassagne, que le bon sens de Bouilhet a souvent tempéré les outrances d’imagination de Flaubert.

1657. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Sans doute les idées sont obscures aux sens, à l’imagination et à l’âme : les sens ne voient que les objets extérieurs auxquels ils se prennent ; l’imagination a besoin de représentations, l’âme de sentiments. […] Là sans doute tout est obscur pour les sens et pour l’imagination, mais là aussi est toute lumière pour la réflexion. […] Le sublime excède les limites de l’imagination et de toute représentation déterminée. Il y a en quelque sorte contradiction entre la force limitée de l’imagination humaine et le sublime. […] À l’autre extrémité de la civilisation et de l’imagination, considère-t-on des objets qui ont un caractère très déterminé et des formes très arrêtées ; l’art entre-t-il dans les détails et dans le fini des choses ?

1658. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Enfin comme on y sent, dans les détails domestiques de sa métairie, de ses occupations, de sa pauvreté, de sa déchéance au milieu des meuniers, des chaufourniers et des cabaretiers de son village de Toscane, cette souplesse d’imagination et cette verve de goût, d’amour, de débauche même, qui rappellent le Molière dans le Tacite, l’auteur des comédies dans l’homme d’État ! […] Mais il y a quelque chose de plus étrange encore, et qui montre dans cette vigoureuse imagination aux prises avec l’indigence et l’abandon de sa patrie l’énergie légère et vicieuse des nations de ce pays et de ce temps. […] On a vu des Curtius du bien public, mais ce Curtius du crime n’exista certes jamais que dans l’imagination des imbéciles ou des pédants.

1659. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Tout ce pêle-mêle de grisettes, de filles perdues, de vieillards désespérés, d’étudiants goguenards, de philosophes radicaux, de braves rêveurs, de héros sans cause, est d’un mouvement désordonné qui peint bien l’imagination populaire un jour de révolution. […] La quantité de civilisation se mesure à la quantité d’imagination. […] XXXIV On me demandait un jour, en 1848, au moment où les théories de partage égalitaire jetaient le plus de trouble dans les imaginations : — Comment cela finira-t-il ?

1660. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

En tout, c’était la figure de Werther, amoureux, pensif, désespéré, tel que le capricieux génie de Goethe venait de le jeter dans l’imagination de l’Europe pour y vivre longtemps de ses larmes et de son sang. […] Lorsque le jour tombe, assis dans mon jardin, je fixe mes regards sur cet ermitage solitaire, et mon imagination s’y repose. […] Ce sacrifice complet de toutes les affections humaines n’est point encore accompli : ma vie se passe en combats continuels, et les secours puissants de la religion elle-même ne sont pas toujours capables de réprimer les élans de mon imagination.

1661. (1923) Au service de la déesse

« Voyez ce que la création d’un Julien Sorel peut faire de ravages dans les imaginations fortes… Ah ! […] Elle est dans les imaginations des penseurs et des ignorants. […] Par exemple, les Goncourt n’avaient pas beaucoup d’imagination : en pareil cas, l’on préconise l’excellence du réalisme. […] N’est-ce pas une imagination séduisante et vaine de M.  […] Après cela, l’on cherche de plus grandes compositions de ce bon peintre : elles sont médiocres ; il n’a guère d’imagination.

1662. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

L’œil de l’artiste voyait, son cerveau concevait, son imagination créait, mais la main du tisserand avait aussi son rôle dans l’œuvre merveilleuse. […] Son cœur, son esprit, son imagination étaient toujours préoccupés de souvenirs et de rêves anglais, et de la culture telle qu’il l’avait reçue de l’Angleterre. […] Elle s’efforce de faire entrer la passion, l’imagination et la poésie dans le domaine de la fiction. […] Il était médecin, et il est continuellement hanté par les créations de son imagination. […] Ici nous trouvons un noble sujet noblement traité, la délicatesse de l’instinct poétique, et la richesse d’imagination.

1663. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Il en voulait misérablement aux Byron, aux Lamartine, comme Pascal à Montaigne, comme Malebranche à l’imagination, parce que ces grands poètes l’attaquaient par son côté faible. […] S’il parvenait à les surmonter, et si, au sortir de là, comme on le lui faisait entendre, un patronage honorable et bienveillant l’introduisait dans le monde, sa destinée était sauve désormais ; des habitudes nouvelles commençaient pour lui et l’enchaînaient dans un cercle que son imagination était impuissante à franchir ; une vie toute de devoir et d’activité, en le saisissant à chaque point du temps, en l’étreignant de mille liens à la fois, étouffait en son âme jusqu’aux velléités de rêveries oisives ; l’âge arrivait d’ailleurs pour l’en guérir, et peut-être un jour, parvenu à une vieillesse pleine d’honneur, entouré d’une postérité nombreuse et de la considération universelle, peut-être il se serait rappelé avec charme ces mêmes années si sombres ; et, les renvoyant dans sa mémoire à travers un nuage d’oubli, les retrouvant humbles, obscures et vides d’événements, il en aurait parlé à sa jeune famille attentive, comme des années les plus heureuses de sa vie. […] Quand son imagination malade se serait un peu grossi les traits du tableau, faudrait-il moins compatir à tant de souffrances ? […] Je l’admirais comme écrivain d’imagination, comme homme je l’honorais moins.

1664. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Mais un romancier ne peut plagier que des œuvres d’imagination ; s’il se borne à chercher des détails curieux dans des ouvrages spéciaux, cela fait seulement honneur à sa conscience d’écrivain. […] On respire, dans cette pièce, un vrai parfum des temps passés ; elle dispose à la rêverie, elle fait courir le caprice, elle entraîne l’imagination bien loin des Rougon-Macquart. […] Or, le Sublime est un document, ce n’est en aucune façon un ouvrage d’imagination : son titre seul a pu faire illusion. […] On prétend qu’il bannit l’idéal : il ne le fait que si par idéal on entend le vain caprice, la fantaisie mensongère ; le rêve trompeur et malsain d’une imagination qui croit s’élever : comme si l’on pouvait s’élever en quittant la vérité pour l’erreur !

1665. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Chez Flaubert, Tourguéneff nous traduit le Prométhée et nous analyse le Satyre : deux œuvres de la jeunesse de Goethe, deux imaginations de la plus haute envolée. […] Aussitôt après le déjeuner, a commencé la visite des deux mille bronzes, des faïences, des porcelaines, de toute cette innombrable réunion des imaginations de la forme. […] Il m’a semblé en interrogeant mon triste cerveau, que je n’avais plus en moi la puissance, le talent de faire un livre d’imagination, et j’ai peur… d’une œuvre que je ne commence plus avec la confiance que j’avais, quand lui, il travaillait avec moi. […] Toute la légère fabulation s’est envolée, s’est perdue dans le vide, comme un oiseau sous un coup de pierre, et tous les efforts de mon imagination, travaillant à ressaisir l’ébauche de création de la soirée, n’aboutissent qu’à reconstruire dans ma cervelle, et me faire toute présente, la néfaste figure de M. 

1666. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Cette Américaine me disait, qu’elle connaissait l’auteur, qui est un médecin, et qui avait fait ce livre tout à fait d’imagination, — mais voici le curieux, — qu’il lui était venu de deux endroits différents de l’Amérique, deux lettres, où les signataires lui demandaient, comment il avait pu pénétrer ce secret de famille, si bien caché à tout le monde. […] Une jolie imagination. […] Lundi 19 juillet C’est absurde, ce ferment batailleur qu’il y a en moi, avec cette impressionnabilité du système nerveux, qui dans les imaginations de la nuit et de l’insomnie, à propos des choses les plus simples, me fait entrevoir les complications les plus malheureuses, les conflits des plus violents. […] À quoi, je lui dis de se défier de l’imagination, et que je crois que ce qui fait le beau des vrais livres, c’est la sélection de cet emmagasinage.

1667. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

D’un tel instinct on peut d’ailleurs se demander s’il a jamais existé ailleurs que dans l’imagination des philosophes, où il a surgi pour des raisons de symétrie. […] Son intelligence et son imagination utiliseront, pour exprimer en mots ce qu’il éprouve et en images matérielles ce qu’il voit spirituellement, l’enseignement (les théologiens. […] Une personne fait l’effet d’être simple ; le monde matériel est d’une complexité qui défie toute imagination : la plus petite parcelle visible de matière est déjà elle-même un monde. […] Il est évident qu’ils entendent par là une énergie sans bornes assignables, une puissance de créer et d’aimer qui passe toute imagination.

1668. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Ce Gascon de Gautier de Costes de La Calprenède, — son nom mérite qu’on l’imprime tout au long, — et ce Normand de Scudéri, qui n’est d’ailleurs en ceci que le prête-nom de sa sœur Madeleine, écrivent leurs Ibrahim et leurs Cassandre, leurs Cléopâtre et leurs Artamène, vrais romans d’aventures, qui passionnent autour d’eux toutes les imaginations, tandis qu’avec les Scarron, les d’Assouci, les Saint-Amant le burlesque s’engendre, pour ainsi parler, du picaresque. […] Mais, en même temps que forte et hardie, il avait aussi l’imagination noble et haute ; — c’est-à-dire que, dans l’extraordinaire et dans le romanesque, il préfère ce qui est noble à ce qui est bas ; — ce qui exalte l’âme à ce qui la déprime ; — et généralement les héros aux monstres. — Qu’il n’est pas vrai cependant que, comme on l’a dit [Cf.  […] VII, p. 172] ; — et comment enfin la forme de son imagination se change eu une fureur d’inventer, d’innover, et de compliquer sans raisons. — C’est pour cela qu’« il charge maintenant ses sujets de matière » ; — qu’après voir expulsé l’amour, il l’y réintroduit, sous les espèces de la galanterie la plus froide [Cf.  […] De la psychologie et de l’art de Racine ; — et avant tout qu’ils ne font qu’un ; — comme le « système dramatique » de Corneille et la « qualité de son imagination ». — La peinture des caractères, objet principal de Racine [Cf.  […] — La naïveté des Contes de Perrault n’existe que dans l’imagination de ceux qu’ils amusent ; — le mot de La Fontaine sur Peau d’âne ; — agrément original des sujets de Perrault ; — et sécheresse du style dont il les a lui-même revêtus.

1669. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Denne-Baron, distrait aux caprices, au laisser-aller d’une imagination réelle, mais vagabonde, n’eut point cette patience ardente qui donne au talent le droit de marcher à la suite des génies.

1670. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

Le tombeau de Jésus-Christ retombera entre les mains des infidèles, mais les membres de Jésus-Christ seront libres. » Et c’est ainsi que renseignement secondaire initie les jeunes filles au sentiment vrai de nos origines modernes, et les émancipe, les aguerrit par degrés en leur donnant sous cette forme agréable la clef des vicissitudes et des révolutions de l’histoire générale : c’est quelque chose déjà que de les guérir d’un convenu dans le jugement des œuvres de l’esprit et de l’imagination.

1671. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

On y verrait le grand et chaleureux amateur qui, le premier, a fondé la critique d’art en France, dans le négligé flottant de son costume, le cou nu, le front inspiré et annonçant du geste cette conquête nouvelle que l’imagination et la science du critique sauront se faire dans le monde de l’art.

1672. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Un homme véritablement criminel, ne peut donc point être ramené ; il possède encore moins de moyens en lui-même, pour recourir aux leçons de la philosophie et de la vertu ; l’ascendant de l’ordre et du beau moral perd tout son effet sur une imagination dépravée ; au milieu des égarements, qui n’ont pas atteint cet excès, il reste toujours une portion de soi qui peut servir à rappeler la raison : on a senti dans tous les moments une arrière-pensée, qu’on est sûr de retrouver quand on le voudra, mais le criminel s’est élancé tout entier ; s’il a du remord, ce n’est pas de celui qui retient, mais de celui qui excite de plus en plus à des actions violentes ; c’est une sorte de crainte qui précipite les pas : et, d’ailleurs, tous les sentiments, toutes les sources d’émotion, tout ce qui peut enfin produire une révolution dans le fond du cœur de l’homme, n’existant plus, il doit suivre éternellement la même route.

1673. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Comme le jugement qu’on doit porter sur de telles circonstances dépend d’un petit nombre d’idées simples et promptement aperçues, le temps qu’on y donne par-delà, est tout entier rempli par les illusions de l’imagination et du cœur.

1674. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Des mots propres, inouïs, bizarres, palmistes, tatamaques, papayers, dressent devant les imaginations françaises toute une nature insoupçonnée et saisissante.

1675. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Puis il énumère les conditions auxquelles sera soumise la réouverture de l’établissement… Rien n’est oublié ; c’est d’une prévoyance d’aliéné qui aurait beaucoup d’imagination et qui aurait subi une forte discipline scientifique.

1676. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

La belle imagination de l’auteur s’est fortifiée en se purifiant ; son style, sans rien perdre de sa flexibilité, de sa fraîcheur et de son éclat, a perdu les défauts qui le déparaient.

1677. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Que si elles avaient le défaut de faire de l’amour un délire de l’imagination, elles eurent aussi le mérite d’élever les esprits et les âmes au-dessus de l’amour d’instinct, et de préparer cet amour du cœur, ce doux accord des sympathies morales si fécond en délices inconnues à l’incontinence grossière, cet amour qui donne tant d’heureuses années à la vie humaine, appelée seulement à d’heureux moments par l’amour d’instinct.

1678. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

Tout le monde sait combien le repentir expia ces écarts de son imagination, quand on eut dissipé sa sécurité : Vrai dans tous ses Ecrits, vrai dans tous ses Discours, Vrai dans sa pénitence à la fin de ses jours, Du Maître qui s’approche il prévient la justice, Et l’Auteur de Joconde est armé du cilice*.

1679. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racine, et Pradon. » pp. 334-348

La lecture de ce grand maître, dans l’art d’émouvoir les passions, frappa tellement son imagination tendre & vive, qu’il se promit bien dès-lors de les imiter un jour.

1680. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

La difficulté de loger la discorde, parce qu’il n’y avait point de couvent de filles, est un trait imité de l’Arioste, qui la loge chez les moines ; mais La Fontaine qui voulait la loger chez les époux, a su tirer parti de cette imagination de l’Arioste.

1681. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

Dans le premier, on fait entrer les morceaux d’imagination & de pur agrément.

1682. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

S’il est ictérique et qu’il voie tout jaune, comment s’empêchera-t-il de jeter sur sa composition le même voile jaune que son organe vicié jette sur les objets de la nature, et qui le chagrine, lorsqu’il vient à comparer l’arbre vert qu’il a dans son imagination, avec l’arbre jaune qu’il a sous ses yeux ?

1683. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Pour être bon spectateur il faut avoir cette tranquilité d’ame qui ne naît pas de l’épuisement, mais bien de la sérenité de l’imagination.

1684. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 15, observations concernant la maniere dont les pieces dramatiques étoient représentées sur le théatre des anciens. De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données » pp. 248-264

De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données L’imagination ne supplée pas au sentiment.

1685. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

Et cependant le sujet historique que Labutte n’a pas craint d’aborder n’en restera pas moins un des plus intéressants et des plus magnifiques sujets qu’un homme d’imagination et de science pût traiter, s’il l’avait compris.

1686. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres portugaises » pp. 41-51

Dès les premiers mots de cette larmoyante élégie, soupirée lâchement aux pieds d’un homme et où le tonnerre du grand nom du Dieu qu’on outrage ne retentit pas une seule fois, l’imagination est cruellement trompée.

1687. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

» s’il n’avait été enfin qu’un faiseur de pamphlets vulgaires, est-ce que le mystère qui l’enveloppe eût tourmenté longtemps l’imagination excitée qui a besoin de mettre une suscription à ses hommages ?

1688. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

Les tyrans, l’avenir du monde, l’égal partage, l’homme se faisant Dieu un jour ou l’autre très-prochainement, toutes ces vulgarités du xixe  siècle ont saisi l’imagination de M. 

1689. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Et dites si des imaginations aussi pauvres valaient la peine d’être si absurdes.

1690. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Camille, il faut le dire (et je ne lui en fais pas précisément mon compliment), résista, ne prit pas feu, ne s’enflamma point par l’imagination. […] L’imagination de Chateaubriand à côté de cela ne paraît que de la décoration. […] On l’y voit tourmentée surtout par son imagination et ne sachant pas prendre dès l’abord son parti d’une persécution qui, mesquine assurément dans son principe, aurait pu être supportée avec plus de calme et de simplicité ; mais il faut accepter les natures comme elles sont, et celle de Mme de Staël, orageuse, sentimentale et digne, rachetant quelque faiblesse par beaucoup de courage, mérite qu’on fasse pour elle toutes les exceptions. […] Mais n’est-il pas vrai, cher Matthieu, que ce n’est pas une compensation, parce que personne ne vous aime comme moi et parce que votre oncle a le bonheur de ne pas souffrir par l’imagination ? […] défendant ses fils et son talent au péril de son bonheur, de sa sécurité, de sa vie, est un moment touchée de ce qu’un jeune homme d’une nature chevaleresque sacrifie tout au plaisir de la voir140. — J’estime avant tout sur cette terre le dévouement, l’élévation et la générosité. — Je voudrais qu’on pût y joindre l’absence totale de faiblesses d’imagination ; mais de toutes les faiblesses, celles qui souillent la plus à mes yeux, ce sont celles du calcul ou de la pusillanimité !

1691. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Pendant ce temps d’ivresse et de bonheur, son imagination se livra à tous les charmes d’une compagnie délicate et choisie, qu’un soleil couchant de divine beauté embellissait encore. […] L’insuccès de ces trois premiers volumes, qui aurait pu se prévoir, agit plus que de raison sur cette imagination mobile. […] Ampère, dans les années suivantes, eut l’occasion de se lier plus particulièrement avec les mêmes voyageurs que l’Italie avait fixés, et quand il s’aperçut que sa conversation d’une ou deux heures chaque après-midi était un intérêt, un soulagement, peut-être un besoin pour la délicate malade, il n’y tint pas ; son imagination si voisine de son cœur s’enflamma, et il enchaîna de nouveau sa vie. […] A force de la fréquenter et de la posséder dans ses antiquités, dans ses ruines, il s’y sentait comme chez lui et y habitait en idée à tous les âges ; son imagination le transportait à volonté à une époque historique quelconque ou par-delà jusque dans les périodes légendaires. […] Et encore, avec variante : « Quand je vois Ampère, son érudition, son intelligence, son imagination, sa promptitude et sa saillie, je suis tout effrayé de la quantité de qualités qu’il faut pour… ne pas faire un artiste. » 91.

1692. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

La brillante imagination de Bernardin de Saint-Pierre, mêlée d’un peu de vanité, se signala de bonne heure. […] On eût dit alors les colonnades, les portiques d’une ville en ruine, au milieu desquels l’imagination frappée voyait se mouvoir des sphinx, des centaures, des harpies, le dieu Thor avec sa massue, et tous les fantômes de la mythologie du Nord. […] L’imagination de notre jeune législateur s’enflammait à tous ces récits ; il brûlait de voir cette femme extraordinaire, et cependant il ne voulait ni l’adorer en esclave, ni marcher à ses côtés comme un instrument de ses plaisirs ou de ses volontés. […] Il en fit de touchantes descriptions ; la solitude des lieux donnent le champ libre à son imagination romanesque. […] En rentrant chez lui, il ajouta cette jolie scène à sa pastorale ; et ceci est un trait caractéristique de ce génie observateur: il ne savait décrire que ce qu’il avait vu ; mais quelle riante imagination ne fallait-il pas pour voir dans les jeux de deux enfants du faubourg Saint-Marceau un tableau digne du pinceau de l’Albane !

1693. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

La plupart des enfants dénaturent tout de la sorte, par des à peu près ; ils ont de la peine à devenir exacts et scrupuleux, c’est-à-dire à maîtriser leur imagination. […] On soupçonne, on croit même avoir reconnu, des imaginations analogues chez des chroniqueurs du moyen âge157. […] Elle se forme comme la légende, par des souvenirs confus, des allusions, des interprétations erronées, des imaginations de toute origine qui se fixent sur quelques personnages ou quelques événements. […] Il faut se résigner à traiter la légende comme le produit de l’imagination d’un peuple ; on peut y chercher les conceptions du peuple, non les faits extérieurs auxquels il a assisté. […] Les conceptions par elles-mêmes ne sont que des faits psychologiques ; mais l’imagination ne crée pas ses objets, elle en prend les éléments dans la réalité.

1694. (1842) Discours sur l’esprit positif

Sous sa seconde phase essentielle, constituant le vrai polythéisme, trop souvent confondu par les modernes avec l’état précédent, l’esprit théologique représente nettement la libre prépondérance spéculative de l’imagination, tandis que jusqu’alors l’instinct et le sentiment avaient surtout prévalu dans les théories humaines. […] Ce n’est plus alors la pure imagination qui domine, et ce n’est pas encore la véritable observation ; mais le raisonnement y acquiert beaucoup d’extension, et se prépare confusément à l’exercice vraiment scientifique. […] La pure imagination perd alors irrévocablement son antique suprématie mentale, et se subordonne nécessairement à l’observation, de manière à constituer un état logique pleinement normal, sans cesser néanmoins d’exercer, dans les spéculations positives, un office aussi capital qu’inépuisable, pour créer ou perfectionner les moyens de liaison, soit définitive, soit provisoire. […] Depuis que la subordination constante de l’imagination à l’observation a été unanimement reconnue comme la première condition fondamentale de toute saine spéculation scientifique, une vicieuse interprétation a souvent conduit à abuser beaucoup de ce grand principe logique pour faire dégénérer la science réelle en une sorte de stérile accumulation de faits incohérents, qui ne pourraient offrir d’autre mérite essentiel que celui de l’exactitude partielle. […] Sous l’aspect dogmatique, elle professe d’ailleurs que les conceptions quelconques de notre imagination, quand leur nature les rend nécessairement inaccessibles à toute observation, ne sont pas plus susceptibles dès lors de négation que d’affirmation vraiment décisives.

1695. (1923) Paul Valéry

Effet, en partie, d’imagination. […] Mais chez Valéry le parti est franc, avoué « Je me propose d’imaginer un homme de qui auraient paru des actions tellement distinctes que si je viens à leur supposer une pensée, il n’y en aura pas de plus étendue. » Un tel homme n’est en effet qu’un objet d’imagination, car, à la limite (et c’est bien de cette limite qu’il s’agit pour Valéry) il coïnciderait avec Dieu. […] (Songez aux imaginations de ses Mots Anglais) Je suppose que si l’on comptait chez Hugo les vers assonancés ou allitérés, et généralement les deux, on arriverait au moins à 80 %. […] Valéry indique un point de vue de ce genre dans son essai sur Léonard, et voit dans le dessin de Léonard une figure de cette imagination. […] La communauté végétale refuse d’épouser cette apparence de corps individuel, qu’à l’imitation de la cuisse du cheval — même du cheval ailé — et d’une chair solide d’athlète, l’imagination du poète fait contracter à son tronc substantiel et dur.

1696. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Son imagination, d’abord nourrie de religieuses et sentimentales lectures, et tempérant Pascal par Fénelon et par Virgile, se plaisait aux fables grecques, au monde de Pythagore, d’Orphée et d’Homère. […] Montrez-le-moi, ce mortel privilégié : son imagination a tenu toutes ses promesses ; l’amour l’a conduit par la main ; heureux époux, père plus heureux encore, il n’a acheté par aucun tourment le charme des affections du cœur ; il a connu les agréments de la société sans ignorer les plaisirs de la solitude ; il n’a rencontré sur sa route que des hommes bons et généreux, et lui-même n’a jamais vu au fond de son âme que des pensées douces et calmes qu’il s’est plu à entretenir ; il a joui de ses souvenirs comme il avait joui de ses espérances ; il a trouvé dans le passé le gage de l’avenir : montrez-le-moi ! […] En s’élevant sur la montagne, la jeune personne à l’imagination sensible et pieuse remarque que les fleurs y sont la plupart d’un bleu pâle comme le ciel de cette contrée, qu’elles ne penchent point sur la terre comme celles de nos plaines : « Presque toutes celles que nous vîmes, ajoute-t-elle, étaient de petites cloches.

1697. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

À chaque instant de notre vie nous y revenons ; il faut une contemplation bien intense, presque une extase, pour nous en arracher tout à fait et nous le faire oublier pendant quelques minutes ; alors même, par une sorte de choc en retour, nous rentrons avec plus d’énergie en nous-mêmes ; nous revoyons en esprit toute la scène précédente, et, mentalement, vingt fois en une minute, nous disons : « Tout à l’heure j’étais là, j’ai regardé de ce côté, puis de cet autre, j’ai eu telle émotion, j’ai fait tel geste, et maintenant je suis ici. » — En outre, l’idée de nous-mêmes est comprise dans tous nos souvenirs, dans presque toutes nos prévisions, dans toutes nos conceptions ou imaginations pures. — De plus, toutes nos sensations un peu étranges ou vives, notamment celles de plaisir ou de douleur, l’évoquent, et souvent nous oublions presque complètement et pendant un temps assez long le monde extérieur, pour nous rappeler un morceau agréable ou intéressant de notre vie, pour imaginer et espérer quelque grand bonheur, pour observer à distance, dans le passé ou dans l’avenir, une série de nos émotions. — Mais ce nous-mêmes, auquel, par un retour perpétuel, nous rattachons chacun de nos événements incessants, est beaucoup plus étendu que chacun d’eux. […] Il y a des circonstances où une série d’événements imaginaires s’insère dans la série des événements réels ; nous nous attribuons alors ce que nous n’avons pas éprouvé et ce que nous n’avons pas fait. — À l’état de veille, la chose est rare ; elle n’arrive guère qu’aux hommes dont l’imagination est surexcitée. […] Le point de départ de ces illusions n’est pas difficile à démêler ; on le trouve dans le procédé d’esprit de l’écrivain dramatique, du conteur, de toute imagination vive ; au milieu d’un monologue mental, une apostrophe, une réponse jaillit ; une sorte de personnage intérieur surgit et nous parle à la deuxième personne : « Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre. » — Maintenant, supposez que ces apostrophes, ces réponses, tout en demeurant mentales, soient tout à fait imprévues et involontaires ; cela arrive souvent.

1698. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

À cela il faut ajouter encore que, nourri dans un pays inculte et religieux, sous les yeux d’une mère pieuse, la vue du vieil autel catholique éveillait chez lui les souvenirs de l’enfance, toujours si puissants sur une imagination sensible et grande. […] VI Le treizième livre n’offre rien à l’imagination et à la pensée que ces lieux communs de toutes les annales, ces détails d’administration qui, en temps calmes, servent de transition d’un événement à l’autre. […] Sans doute on y pouvait blâmer l’abus d’une belle imagination ; mais après Virgile, mais après Horace, il est resté dans la mémoire des hommes une place pour l’ingénieux Ovide, pour le brillant Lucain, et, seul peut-être parmi les livres de ce temps, le Génie du Christianisme vivra, fortement lié qu’il est à une époque mémorable ; il vivra, comme ces frises sculptées sur le marbre d’un édifice vivent avec le monument qui les porte.

1699. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Ceux qui pensent que le sentiment et l’imagination, les instincts spontanés de la nature humaine peuvent par une sorte d’intuition atteindre les vérités essentielles seront également conséquents en envisageant les recherches du savant comme de frivoles hors-d’œuvre, qui n’ont même pas le mérite d’amuser. […] Il faut avouer qu’il y avait, dans le supernaturalisme primitif, dans celui qui a créé les systèmes mythologiques de l’Inde et de la Grèce, quelque chose d’admirablement puissant et élevé 33 ; à celui-là, je pardonne bien volontiers, et quelquefois je le regrette ; mais il n’est plus possible ; la réflexion est trop avancée, l’imagination trop refroidie pour permettre ces superbes contre-bons sens. […] Notre rationalisme n’est donc pas cette morgue analytique, sèche, négative, incapable de comprendre les choses du cœur et de l’imagination, qu’inaugura le XVIIIe siècle ; ce n’est pas l’emploi exclusif de ce que l’on a appelé « l’acide du raisonnement » ; ce n’est pas la philosophie positive de M. 

1700. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Par lui les jeunes imaginations furent nourries de ces exemples d’héroïsme et de dévouement à la patrie si communs dans les républiques anciennes. […] Il n’a jamais été clément aux écarts d’imagination et il a toujours refusé ses couronnes aux novateurs hardis et violents. […] Ils leur reprochent leurs envolées dans les nuages, leurs débauches d’imagination, leurs orgies de lyrisme.

1701. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Si, de plus, nous y ajoutons le mouvement avec les sensations musculaires, enfin le toucher actif et passif, la carte spatiale finira par se dessiner de mieux en mieux dans notre imagination ; et cette carte ne sera pas autre chose qu’un résidu de sensations et d’états de conscience divers, mais ayant pour caractère commun l’extensivité, laquelle est immédiatement fournie par la sensation constante de notre corps entier. […] IV Subjectivité de l’idée d’espace Il semble à première vue que l’on pourrait se figurer un monde sans espace, en supprimant par l’imagination ce qu’ont de particulier les sensations motrices et en ne conservant que les idées d’activité et de passivité, de temps, avec les notions dérivées de succession et de coexistence. […] Nous sommes ainsi sous la fascination de l’espace, dont nous faisons ensuite une idée a priori, presque surnaturelle et divine, quand elle est peut-être une forme de notre imagination et de notre conscience relative à notre constitution cérébrale.

1702. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

une chemise sans taille, et pour tout le reste ; ce sont des ajustements au caprice et à la fantaisie de la femme. » Là-dessus, il nous met sur les genoux un album de ses anciennes lithographies qu’il a retrouvé, et nous voyons combien, avant d’arriver à sa facilité de dessin sans modèle, à son imagination du vrai, il a fait de profondes, sérieuses, patientes, scrupuleuses études de la nature… C’est partout là-dedans, la mère de Feydeau, le père de Feydeau, et d’Abrantès, et jusqu’au dos d’Henri Berthoud, faisant le dos de cet inconnu. […] Soudain, il se met à nous réciter des lambeaux formidablement cocasses d’une tragédie ébauchée avec Bouilhet sur la découverte de la vaccine, dans les purs principes de Marmontel, où tout, jusqu’à « grêlée comme une écumoire » était en métaphores de huit vers : tragédie à laquelle il a travaillé pendant trois ans, et qui montre la persistance de bœuf de cet esprit, même dans les imaginations comiques, dignes d’un quart d’heure de blague. […] Je ne sais si c’est réel ou une imagination des sens, mais sans cesse il nous faut nous laver les mains.

1703. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Comme d’ailleurs cet élément fabuleux flatte plus agréablement les imaginations des hommes, il ne tarde pas à usurper sur l’élément historique, auquel même on le voit servir d’explication, jusqu’à ce qu’il prenne enfin toute la place, dans les Romans de la Table-Ronde par exemple, où l’histoire ne sert plus que de prétexte au trouvère pour exercer la fertilité de son invention ; — et le roman se détache ainsi de l’épopée. […] Ce qui équivaut à dire que toutes les qualités qui sont celles de l’enfance, elle les a eues ; et, pour cette raison, nous pouvons encore aujourd’hui nous complaire à y rafraîchir, comme on ferait à une source plus pure, nos imaginations échauffées. […] Ajoutez que ce que Boileau croyait qu’il eût « débrouillé » le mérite appartient au moins à Villon de l’avoir « résumé ». — L’idéal de Villon est assurément très éloigné de celui de la « poésie courtoise — mais, s’il existe une poésie de l’aventure et de la vie de bohème, c’est la sienne ; — et il ne l’a pas inventée. — La forme sous laquelle l’idée de la mort a hanté les imaginations du Moyen Âge n’a pas eu non plus de plus éloquent interprète [Cf. les Vers de la Mort du moine Hélinand, dans l’Histoire littéraire de la France, t. 

1704. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

… Lorsque ce bel esprit de l’histoire, plus femme qu’homme, il est vrai, dans ses facultés, introduisait une imagination vive et jeune alors dans l’âpre domaine qu’il se chargeait de cultiver, et que nous lui laissions nouer, comme à un bel enfant grec, l’éclatant feston autour du chapiteau sévère, nous doutions-nous que le temps viendrait où, flétrie par les partis et parlant leur langage, cette imagination n’aurait plus souci, nous ne disons pas de la Vérité, — amour trop fort et trop viril pour elle, — mais de la Forme même dont elle était la noble esclave, et qu’elle la perdrait comme on perd tout, — en s’abaissant ? […] Michelet revenait à l’histoire personnelle et à la défroque biographique, puisqu’il abordait un sujet (les femmes) si cher aux imaginations françaises, on pouvait croire, n’est-il pas vrai ?

1705. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

. — Mettant à profit ce qu’il a vu en 1792, et écrivant, comme il le dit, non d’imagination, mais de mémoire, il rappelle les principes auxquels on ne revenait qu’avec lenteur, car les révolutions aussi ont vite leur routine ; il montre le nouveau pouvoir exécutif tel qu’on l’a conçu avec méfiance, incomplet, démembré, mutilé : Il était très bon sans doute d’ôter les forces à un mauvais gouvernement, disait-il, mais il est absurde de n’en pas donner à celui qu’on travaille à rendre bon. — Le Directoire exécutif, tel que le projet l’annonce, est un berceau, qu’on nous passe ce mot, un nid de factions ennemies ; et sa destinée serait de ressembler bientôt à tous les conseils de gouvernement que nous avons vus en France depuis trois ans, où Roland et Pache, Robespierre et Billaud se sont tour à tour arraché la puissance… Je n’entre pas dans le détail des voies et moyens, des remèdes plus ou moins efficaces qu’il proposait ; je ne fais qu’indiquer la ligne générale de Roederer en ces années. […] Où trouvez-vous que je manque ou d’éloquence, ou de sensibilité, ou d’imagination ?

1706. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Lassay était de ces esprits tempérés, bien faits et polis, que l’usage du monde a perfectionnés en les usant, qui ont peu d’imagination, qui n’ajoutent rien aux choses, et qui prisent avant tout une observation juste, une pensée nette dans un tour vif et concis : « Un grand sens, disait-il, et quelque chose de bien vrai renfermé en peu de paroles qui l’expriment parfaitement, est ce qui touche le plus mon goût dans les ouvrages d’esprit, soit en vers, soit en prose. » Il n’allait pas pourtant jusqu’à la sécheresse, et il tenait à rester dans le naturel ; il croyait que les choses qu’on dit ont quasi toujours chance de plaire quand elles sont plutôt senties que pensées : « Il y a des gens qui ne pensent qu’à proportion de ce qu’ils sentent, observait-il ; et il semble que leur esprit ne sert qu’à démêler ce qui se passe dans leur cœur : ces gens-là, qui sont toujours vrais, ont quelque chose de naturel qui plaît à tout le monde. » Chamfort, qui prête quelquefois de son âcreté aux autres et qui est homme à la glisser sous leur nom, a écrit dans ses notes : « M. de Lassay, homme très doux, mais qui avait une grande connaissance de la société, disait qu’il faudrait avaler un crapaud tous les matins pour ne trouver plus rien de dégoûtant le reste de la journée quand on devait la passer dans le monde. » On ne voit rien ou presque rien dans ce que dit et dans ce qu’écrit Lassay qui soit en rapport avec une si amère parole54. […] À défaut d’imagination, on y sent l’urbanité. — Des quatre volumes de Lassay, il me semble qu’on en pourrait tirer un qui ne serait pas désagréable, et qui le classerait à quelque distance, et un cran plus bas, entre les Caylus et les Aïssé.

1707. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Poète admirable et le plus naturel sans doute depuis Homère (quoique si diversement), de qui l’on a pu écrire avec raison qu’il a une imagination si créatrice et qu’il peint si bien, avec une si saillante énergie, tous les caractères, héros, rois, et jusqu’aux cabaretiers et aux paysans, « que si la nature humaine venait à être détruite et qu’il n’en restât plus aucun autre monument que ses seuls ouvrages, d’autres êtres pourraient savoir par ses écrits ce qu’était l’homme !  […] Non, la tradition nous le dit, et la conscience de notre propre nature civilisée nous le dit encore plus haut, la raison toujours doit présider et préside en définitive, même entre ces favoris et ces élus de l’imagination ; ou si elle ne préside pas constamment et si elle laisse par accès courir la verve, elle n’est jamais loin, elle est à côté qui sourit, attendant l’heure prochaine et l’instant de revenir.

1708. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Elle réunit, cette même loi, les hommes moins enthousiastes, qui, accoutumés à la discussion des intérêts divers et si compliqués que la société met sans cesse aux prises, savent les difficultés de la pratique, aiment à voir agir en tout l’expérience, ne recourent que dans les cas extrêmes aux principes de métaphysique, toujours contestables, et qui ont reconnu bien souvent que la réalité des choses, en se développant, déjoue la plupart des espérances ou des craintes que l’imagination s’était faites à l’avance. […] L’état le plus naturel à l’homme qui étudie, comme à celui qui compose avec suite, même dans l’ordre de l’imagination, et qui par conséquent a besoin de longues heures de travail, est encore la vie domestique, régulière, intime.

1709. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

. — Enfin n’oublions pas, en la lisant, qu’un poète n’est pas nécessairement un physicien ni un philosophe ( fortunatus et ille deos qui novit agrestes ), et qu’aussi, derrière toutes les charmantes visions auxquelles s’attachaient son imagination et son cœur, — ce cœur resté enfant à tant d’égards, — il y avait chez la femme bien de la fermeté et un grand courage. […] Cette idée d’une descendance espagnole sourit à son imagination ; elle n’en est pas bien certaine, mais elle tâche de se le persuader, et elle convie son frère à l’aider à y croire : « Je me suis toujours sentie attirée vers l’étude de la langue espagnole, parce que Douai est tout rempli des vestiges de cette nation. — Nous-mêmes, je crois, mon bon frère, nous en sortons du côté de la mère de mon père.

1710. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Son père, né à Flamicour, village près de Péronne, homme vif, mobile, probablement spirituel, d’une imagination entreprenante et peu régulière, assez de l’ancien régime par l’humeur et les défauts, aspira constamment, dans le cours d’une vie pleine d’aventures, à une condition plus relevée que celle dont il était sorti. […] Reçu au Caveau en 1813, condamné à sa part d’écot en couplets, il ne put s’empêcher d’y porter sa curiosité et son imagination de style, sa science de versification, la richesse de son vocabulaire.

1711. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

L’imagination de l’abbé de La Mennais est restée ardente jusqu’à quarante ans : il eût aimé s’en laisser conduire dans le choix et la forme de ses écrits. […] Nulle ressource, même pour le fort, n’est de trop en de tels moments ; ce qu’il y a de plus haut et ce qu’il y a de plus humble : composer la Théodicée et lire son bréviaire. — M. de La Mennais n’a rien écrit en fait de pure imagination ou de poésie que de petits fragments, des espèces d’Hymnes ou de Proses, qui sommeillent dans ses papiers.

1712. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Il exploita, en homme d’esprit et d’imagination, ses rapides voyages et les impressions dont sa tête était remplie. […] Lord Byron a eu depuis longtemps ce rôle d’influence sur les hommes : combien de nobles imaginations atteintes d’un de ses traits se sont modelées sur lui !

1713. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Ainsi, chez Mme Des Houlières, la sensibilité, la mélodie, remplacent quelquefois ce qui manque pour l’imagination, et font taire le bel esprit moraliste et raisonneur. […] Je remarque dans le style quelque chose de précis, pas plus d’imagination et bien moins d’esprit que chez Mme Des Houlières.

1714. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Avant d’aller plus loin l’on demanderait, peut-être, une définition du bonheur ; le bonheur, tel qu’on le souhaite, est la réunion de tous les contraires, c’est pour les individus, l’espoir sans la crainte, l’activité sans l’inquiétude, la gloire sans la calomnie, l’amour sans l’inconstance, l’imagination qui embellirait à nos yeux ce qu’on possède, et flétrirait le souvenir de ce qu’on aurait perdu ; enfin, l’inverse de la nature morale, le bien de tous les états, de tous les talents, de tous les plaisirs, séparé du mal qui les accompagne ; le bonheur des nations serait aussi de concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies, l’émulation des talents et le silence des factions, l’esprit militaire au-dehors et le respect des lois au-dedans : le bonheur, tel que l’homme le conçoit, c’est ce qui est impossible en tout genre ; et le bonheur, tel qu’on peut l’obtenir, le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l’homme peuvent agir, ne s’acquiert que par l’étude de tous les moyens les plus sûrs pour éviter les grandes peines. […] j’ai tant éprouvé ce que c’était que souffrir, qu’un attendrissement inexprimable, une inquiétude douloureuse s’emparent de moi, à la pensée des malheurs de tous et de chacun ; des chagrins inévitables et des tourments de l’imagination, des revers de l’homme juste, et même aussi des remords du coupable, des blessures du cœur les plus touchantes de toutes, et des regrets dont on rougit sans les éprouver moins ; enfin, de tout ce qui fait verser des larmes, ces larmes que les anciens recueillaient dans une urne consacrée, tant la douleur de l’homme était auguste à leurs yeux.

1715. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Ces maîtres de l’homme sont le tempérament physique, les besoins corporels, l’instinct animal, le préjugé héréditaire, l’imagination, en général la passion dominante, plus particulièrement l’intérêt personnel ou l’intérêt de famille, de caste, de parti. […] Sur cet exemple et dans cette voie, les imaginations s’échauffent depuis un demi-siècle.

1716. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

On peut juger, d’après le récit qu’il a fait de l’origine de sa passion, que Lucretia était la maîtresse du poëte, et non de l’homme : il cherchait un objet propre à fixer ses idées, à leur donner la force et l’effet nécessaires à la perfection de ses productions poétiques, et il trouva dans Lucretia un sujet convenable à ses vues, et digne de ses louanges ; mais il s’arrêta à ce degré de réalité, et laissa à son imagination le soin d’embellir et d’orner l’idole à son gré. Tous les mouvements, tous les sentiments de sa dame occupent sans cesse sa pensée : elle sourit, ou elle s’irrite ; elle refuse, ou elle est près de céder ; elle est absente, ou présente ; elle s’introduit le jour dans sa solitude, ou elle lui apparaît dans ses songes de la nuit, précisément au gré du caprice de l’imagination qui le guide.

1717. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Ne prenons pas le change sur le cadre ou sur le ton : tant d’énumérations moralisées ou satiriques que nous rencontrons, ne sont qu’une forme originale de littérature réaliste, dont le caractère essentiel est de réveiller chez l’auditeur la sensation des réalités qui lui sont prochaines : et comme cette littérature s’adresse à des imaginations vierges, non blasées encore, ni réfractaires par un trop long usage à l’action suggestive des mots, les noms soûls des choses, sans descriptions, sans épithètes, sans tout le mécanisme compliqué du style intense, les noms tout secs sont puissants : le poète se contente d’appeler, pour ainsi dire, chaque objet, aussi le voilà présent, en sa concrète et naturelle image, aux esprits de ceux qui l’entendent. […] Le goût des abstractions et des formules didactiques ne laissait d’issue à l’imagination que du côté de l’allégorie : et ce fut là en effet qu’aboutirent tous les clercs qui, en latin ou en français, cherchèrent dans l’amour une matière de poésie.

1718. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Jean Michel a fait une autre Passion, pour être jouée à Angers en 1486 : moins sec et moins juste que son devancier, moins respectueux du texte sacré, plus bavard, accueillant toutes les fantaisies des apocryphes et les légendes les plus extravagantes, il a parfois des saillies, des trouvailles heureuses d’imagination. […] En effet elle est souvent attendrissante, et parfois pathétique : c’est vraiment ce que nous appelons le drame, avec toute la variété de tons et de dénouements que ce mot comporte, avec la variété de sujets, qui tantôt sont historiques, tantôt légendaires, tantôt de pure imagination, et tantôt d’origine religieuse.

1719. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

L’imagination ni la passion n’ont jamais été pour Montesquieu. Il ne parle pas à la passion comme les grands séducteurs ; il ne parle pas à l’imagination comme les grands hommes.

1720. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Mme de Montespan, expiant sa faveur et ses fautes par les macérations, les ceintures à pointes de fer, et, ce qui est moins mêlé d’imagination, par la douceur et la bienfaisance ; travaillant, de ses mains restées si belles, à des ouvrages grossiers pour les pauvres ; si humble après tant de hauteur ; « mourant, dit Saint-Simon, sans regret et uniquement occupée à rendre son sacrifice plus agréable à Dieu » ; une vaincue si résignée n’est pour Voltaire qu’« une vieille maîtresse disgraciée qui s’amuse à doter des jeunes filles » ; et si elle ne va pas, comme la Vallière, aux Carmélites, « c’est, dit-il, qu’elle n’est plus dans l’âge où l’imagination y envoie. » Cette impossibilité de voir le bien où il faudrait en faire honneur au christianisme, ôte toute autorité aux chapitres sur les affaires ecclésiastiques et les querelles religieuses au dix-septième siècle.

1721. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Les poètes de l’heure sont enclins à la prudence et à n’aimer qu’en imagination et en décor. […] Il a traversé, en imagination, les marais carbonifères, les forêts de l’âge mésozoïque.

1722. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Or cette prédominance des associations synchroniques produit une tendance à concevoir les choses sous des formes concrètes, colorées, riches d’attributs et de détails : disposition d’esprit qu’on appelle l’imagination et qui est une des facultés du peintre et du poëte. […] Sans doute l’expérience ne donne de cette vérité qu’une connaissance actuelle, et par là ne semble pas suffisante à fonder un axiome ; mais, qu’on le remarque, l’imagination y supplée ; nous nous formons une image mentale des deux lignes, et nous voyons que, dès qu’elles se rencontrent de nouveau, elles cessent d’être droites.

/ 2583