En revanche, il est arrivé au cardinal Mazarin, après sa mort, plusieurs bonnes fortunes, et c’est de nos jours particulièrement que sa réputation de grand politique a trouvé des appréciateurs attentifs, compétents, et des vengeurs. […] Nous ne nous figurons guère Mazarin que vieux, goutteux, moribond sous la pourpre ; sachons le voir tel qu’il était dans les temps où il éleva et fonda sa fortune. […] Brienne nous a très bien raconté le moment décisif où, grâce à elle, Mazarin fixa de nouveau et plus solidement que jamais le nœud de sa fortune. […] Sans doute il fut heureux, il réussit finalement en tout ; « il est mort, comme on l’a dit, entre les bras de la Fortune ». Respectons jusqu’à un certain point cette fortune, à demi fille de l’habileté, mais ne l’adorons pas.
Ces vestiges de la fortune et des siècles semés sous ses pas ne lui paraissent que des empreintes gigantesques et mystérieuses d’un fleuve qui a roulé ces débris dans le vaste lit du temps ; elle ne croit pas que ce fleuve revienne jamais sur son cours pour l’entraîner elle-même avec les hommes et les choses du temps présent. […] Le père du poète s’appelait Bernardo Tasso, il était né en 1493 ; orphelin de bonne heure, et sans fortune, il fut élevé par un de ses oncles, évêque de Ricannoti. […] L’évêque de Ricannoti, ayant péri par la main d’un assassin en 1520, laissa Bernardo sans appui ; il entra comme tous les gentilshommes sans autre fortune que son talent et son épée au service de Guido Rangoni, général des armées du pape. […] Son fils, arraché de ses bras, obtint seul l’autorisation d’aller rejoindre son père à Rome ; il raconte lui-même, dans la strophe suivante, le déchirement de deux cœurs que la fortune séparait pour toujours : « La cruelle fortune m’arracha, presque encore enfant, du sein de ma mère ; ah ! […] Je gémis sur le sort de ma fille, qui malheureusement pour elle reste vivante, jeune, sans direction, entre les mains de ses ennemis, sans autre ami que son misérable père, pauvre, âgé, loin d’elle et disgracié de la fortune.
Toute espérance d’ailleurs est perdue pour elle ; Raymond n’aimait que sa fortune. […] Les pièces ont leurs fortunes comme les livres. […] Le comte lègue quatre-vingt mille florins à Spiegel, une bague à Frédérique, au baron et à la margrave quelques misérables milliers de florins de rente, et sa fortune entière, — quatre cent mille florins de revenu ! […] cet homme était un rêveur, un mélancolique, un grand artiste, et, du jour au lendemain, la fortune va le transformer en idiot féroce et grotesque ! […] Savez-vous ce qu’aurait fait votre Frantz, tel que vous nous l’avez montré, abruti et perverti par la fortune ?
Ses opinions n’étaient souvent que ses situations ; ses vérités n’étaient que les points de vue de sa fortune. […] Il ne se dévouait pas à ces expédients un jour de plus que la fortune. […] Cela seul était une fortune ; il se confia à sa nature, comme César à son génie. […] Grand joueur, accoutumé à tout perdre ou à tout gagner avec les événements, il les fit entrer toujours comme enjeu dans sa fortune. […] Bonaparte aspirait à l’empire ; la fortune l’autorisait à tout espérer, l’audace à tout prétendre.
La publication du poème, stérile pour la fortune du poète, fut au moins propice à l’adoucissement de sa captivité. […] Le Tasse, après avoir résidé quelques semaines libre à Ferrare, dans la maison de l’ambassadeur des Médicis Serassi, pour s’occuper de recueillir sa fortune et ses manuscrits, partit le 15 juillet 1586 de Ferrare, sans avoir vu une dernière fois Alphonse. […] Enfin, après de longues réflexions, elle se détermine à s’arrêter dans cette solitude, au moins jusqu’à ce que la fortune favorise son retour. […] l’amour et la fortune payèrent trop mal tant de constance et de fidélité ! […] On ne sait par quel revirement de fortune ou d’humeur on le retrouve deux mois après, dans ses lettres, fatigué de Florence, et demandant à son ami Constantin un asile dans le palais de Santa Trinità à Rome, pour y finir ses jours.
Ne dirait-on pas que c’est une souveraine à la clémence de laquelle il faut recourir, quand on a fait l’imprudence de la quitter pour la fortune ? […] Voyez cette apostrophe : Et ton empire, Fortune ! Et puis cette longue période qui semble se prolonger comme les fausses espérances que la fortune nous donne, et l’adresse avec laquelle il garde pour la fin : Sans que l’effet aux promesses réponde. […] La Fontaine, en disant qu’il plut dans la bourse de ce marchand, a voulu exprimer avec force qu’il avait fait fortune, sans qu’il l’eût mérité par ses soins et par sa prévoyance ; comme il a soin de dire ensuite que, s’il fut ruiné, ce fut par son imprudence, par sa faute, et même pour avoir trop dépensé. […] Il fallait passer bien vite à ces deux vers admirables : Le bien nous le faisons : le mal c’est la Fortune.
À une demande que lui fait un jour le duc de Florence, et qui semblait toute simple aux Gondi et à d’autres gens de qualité mêlés dans les affaires, il répond : « À ce que je vois, M. le duc de Florence me prend pour un banquier ou un mercadant ; or, veux-je bien qu’il sache qu’il n’y en eut jamais en ma race, et partant que je n’en ferai rien. » Sully régit la fortune de l’État comme on ferait une grande fortune territoriale, en supposant toujours le cas de guerre possible, en s’aguerrissant pendant la paix et en ayant des fonds en réserve pour l’accident. […] La fortune de Sully a mis vingt-cinq ans à croître. Cette fortune ressemble à ces grands arbres qu’il a plantés, appelés des Rosny, et qui ont été des siècles à prendre leurs dimensions et leur beauté majestueuse. […] Cela serait supportable à un jeune homme qui n’aurait jamais rendu preuve de son courage, et qui désirerait commencer sa fortune ; mais, la vôtre étant déjà si avancée que vous possédez les deux plus importantes et utiles charges du royaume, vos actions passées vous ayant acquis envers moi toute confiance de valeur, et ayant plusieurs braves hommes dans l’armée où vous commandez maintenant, vous leur deviez commettre ces choses remplies de tant de dangers : partant, avisez à vous mieux ménager à l’avenir ; car, si vous m’êtes utile en la charge de l’artillerie, j’ai encore plus besoin de vous en celle des finances. […] C’est au retour de cette expédition de Savoie que la fortune de Rosny prend toute son assiette et son développement.
Mais, quoique je ne sois point heureux, j’aime mes inclinations, et je n’y saurais renoncer ; je me fais un point d’honneur de protéger leur faiblesse ; je ne consulte que mon cœur ; je ne veux point qu’il soit esclave des maximes des philosophes, ni de ma situation ; je ne fais pas d’inutiles efforts pour le régler sur ma fortune, je veux former ma fortune sur lui. […] Quant à se faire des sectateurs de la fortune dans la même route et côte à côte avec tant de bas poursuivants, sous prétexte qu’on a l’âme noble, Mirabeau déclare qu’il n’y consentira jamais. […] En faisant cette retraite en bon ordre, il redevient tout à fait pareil au Vauvenargues ordinaire, qu’on se figure plus voisin du stoïcien que d’un coureur de fortune et d’un hasardeur d’entreprises. […] La pompe et les prospérités d’une fortune éclatante n’ont jamais élevé personne aux yeux de la vertu et de la vérité ; l’âme est grande par ses pensées et par ses propres sentiments, le reste lui est étranger ; cela seul est en son pouvoir. […] , la perdit, quitta la France, et s’en alla chercher fortune en Allemagne à la petite cour de Baireuth, où il se remaria et devint chambellan et conseiller privé.
Son absolution est pire que le forfait lui-même : c’est le forfait rétrospectif, le forfait de sang-froid, le meurtre de la conscience publique, seul refuge que la fortune triomphante laisse ici-bas à la justice et à la vertu ! […] « Tu as un frère, ton égal en noblesse, ton supérieur par l’âge, digne en tout de la haute fortune où je t’appelle, si tu n’en étais plus digne encore toi-même. […] Tu n’as encore supporté que des fortunes adverses : les prospérités sont des tentations trop stimulantes pour notre âme, parce que les adversités nous apprennent à fléchir et que le bonheur nous corrompt. […] Ne croyez pas, je vous le jure par le nom que je porte, ne croyez pas que je tremble ici pour moi-même (pour moi, qui, éprouvé déjà par la mauvaise fortune, sais qu’il y a autant à craindre de la prospérité) ; non ! […] À ce bruit, le peuple, les sénateurs, les courtisans, la plèbe, qui avaient déjà fui le palais, refluent avec la fortune autour de Galba.
Le voyez-vous dans son petit hôtel de la rue du Paon, malade, mourant, ne se plaignant jamais devant ses amis, mais laissant quelquefois échapper sur le papier le secret de cette apparence tranquille : « Qu’importe à un homme ambitieux qui a manqué sa fortune sans retour, de mourir plus pauvre ? […] Et il laisse pressentir quelques-unes de ces misères : Dans les conditions éminentes, la fortune, au moins, nous dispense de fléchir devant ses idoles. Elle nous dispense de nous déguiser, de quitter notre caractère, de nous absorber dans les riens… Enfin, de même qu’on ne peut jouir d’une grande fortune avec une âme basse et un petit génie, on ne saurait jouir d’un grand génie ni d’une grande âme dans une fortune médiocre. […] La fortune qui l’a réduit à les écrire me paraît injuste. […] Lui qui a tant souffert et si peu réussi, il croit que le plus sûr moyen de faire sa fortune, c’est encore de la mériter ; qu’il n’y a que le mérite réel pour aller directement à la gloire !
Souvent battu, souvent en faute, sa grandeur est d’apprendre à force d’écoles, c’est surtout de réparer ses torts ou ceux de la fortune par le sang-froid, la ténacité et une égalité d’âme inébranlable. […] En racontant l’histoire de ce souverain habile et brave, qui « à la fortune médiocre d’un électeur sut unir le cœur et les mérites d’un grand roi », en nous parlant de ce prince « l’honneur et la gloire de sa maison, le défenseur et le restaurateur de la patrie », plus grand que son cadre, et de qui date sa postérité, on sent que Frédéric a trouvé son idéal et son modèle : ce que le Grand Électeur a été comme simple prince et membre de l’Empire, lui il le sera comme roi. […] Réellement, ce n’est que la fortune qui décide de la réputation : celui qu’elle favorise est applaudi ; celui qu’elle dédaigne est blâmé. […] Pour lui, il est résolu, dans les plus grandes extrémités, de ne jamais céder au hasard ni à la nature brute, et de persévérer si bien dans la voie des grandes âmes, qu’il fasse à la fin rougir de honte la Fortune. Au sortir de cette guerre où coula tant de sang, et après laquelle toutes choses furent remises en Allemagne sur le même pied que devant, sauf les dévastations et les ruines, Frédéric se plaît à faire sentir la faiblesse et l’inanité des projets humains : Ne paraît-il pas étonnant, dit-il, que ce qu’il y a de plus raffiné dans la prudence humaine jointe à la force soit si souvent la dupe d’événements inattendus ou des coups de la fortune ?
Son contrat lui défend de toucher à la fortune de sa femme. […] Jusqu’ici, il avait à peine regardé sa femme ; il la considérait comme un accessoire de la fortune de son père, la poire du poirier. […] Mais Caliste le déteste, ce gros million qu’elle traîne partout après elle ; il lui fait prendre l’amour en doute, la fortune en haine. […] Ce gentilhomme a déchiré autrefois, par excès de délicatesse, un testament imprévu qui lui léguait une fortune. […] Le marquis offre cinq cent mille francs, la moitié de sa fortune ; ce n’est pas assez : dans cinq ans, elle aura gagné le double.
Ce n’est pas cela ; c’était un simple gentilhomme savoyard de peu de fortune et sans illustration jusqu’à lui. […] Ces fortunes attestent la vigueur des opinions aristocratiques et religieuses, solidaires depuis Chambéry jusqu’à Paris et à Pétersbourg. […] Il laissa sa femme à Chambéry, pour y préserver leur petite fortune, et il émigra à Lausanne. […] Son existence, un peu amère sous le rapport de la fortune, était très douce sous le rapport de la société. […] Il sait très bien aussi donner à la fortune le nom majestueux et divin de Providence.
Ainsi établissait-on sa fortune visible. […] Pour quelques personnes, la fortune du vieux vigneron était l’objet d’un orgueil patriotique. […] Grandet, il ne connaît pas lui-même sa fortune ! […] Une si grande fortune couvrait d’un manteau d’or toutes les actions de cet homme. […] « — Ta, ta, ta, il a pris ta fortune, faut te rétablir ton petit trésor.
L’amitié passionnée d’une telle femme était pour Benjamin Constant une trop haute fortune pour qu’il n’en décorât pas sa vie. […] La fortune et la popularité avaient évidemment porté M. […] Des circonstances particulières m’offraient un asile et des ressources de fortune dans la patrie de mes parents, la Suisse ; j’étais à cet égard moins à plaindre qu’un autre, et néanmoins j’ai cruellement souffert. […] Cependant elle n’osa pas résider ouvertement dans le seul pays ennemi de la France où sa résidence eût été un crime, puni peut-être dans la fortune de ses enfants. […] Les Bourbons n’étaient donc pas seulement pour madame de Staël la liberté et la patrie, ils étaient la fortune ; elle les accueillait par réminiscence, mais elle les accueillait aussi par politique.
Fortune de ce livre au dix-huitième siècle. […] Il met les Romains au-dessus de leurs dieux, et il fait de la fortune de leur ville le juste prix dont il a plu à Dieu de récompenser leurs vertus. […] De la pensée de l’Esprit des lois. — Fortune de ce livre au dix-huitième siècle. — Montaigne et Montesquieu. […] C’est là tout à la fois le caractère de la raison dans l’Esprit des lois et l’histoire de la fortune de ce livre. […] L’œuvre du dix-septième siècle a été soumise à plus d’une révision, et je ne sache pas d’écrivain qui n’y ait perdu, gagné, ou reperdu quelque chose ; ces retours n’ont rien ôté à la fortune des moralistes, et peut-être l’ont-ils accrue.
Bernis, homme de société, de conversation aimable, d’un commerce brillant et sûr, et qui semblait borner là son ambition, connaissait déjà Mme de Pompadour ; il était dans sa faveur ainsi que dans celle du roi, et il n’avait pu rien obtenir encore pour sa fortune. […] Ses amis disent qu’à cette époque il n’aspirait qu’à réunir, moyennant quelques petits bénéfices particuliers, une fortune de six mille livres de rente : cela l’eût rendu à jamais heureux. […] Malgré ces essais de retour sincère et cette profession de principes, Bernis avait l’honnêteté de ne s’en point prévaloir, et de confesser son faible, même à Boyer ; sa fortune n’avançait pas. […] On veut trop faire fortune aujourd’hui, et on craint trop de la perdre quand on l’a faite : c’est le mal général qui afflige aujourd’hui l’Europe ; car, Dieu merci, on a beau dire, nous ne sommes pas les seuls qui méritions des reproches. […] Frédéric, adversaire équitable, le confirme dans son Histoire : il ne reproche à Bernis que de s’être prêté à des vues dont il sentait jusqu’à un certain point l’imprudence, et qu’il s’efforça ensuite, mais en vain, de modérer : Tant qu’il s’agissait d’établir sa fortune, écrit l’historien-roi, toutes les voies lui furent égales pour y parvenir ; mais aussitôt qu’il se vit établi, il songea à se maintenir dans ses emplois en se conduisant par des principes moins variables et plus conformes aux intérêts permanents de l’État.
Quoique à l’âge où l’on se livre aisément, Vauvenargues ne disait pas tout sur lui-même ; il se réservait. « Je n’ai jamais osé ouvrir mon cœur à personne tant que j’ai vécu ; vous êtes le premier à qui j’aie avoué mon ambition, et qui m’ayez pardonné ma mauvaise fortune. » C’est dans un dialogue des morts qu’il fait dire cela à Brutus par un jeune homme qui lui-même s’est tué, et ce jeune homme, à bien des égards, c’est lui. […] La façon de penser des autres ne m’a jamais conduit : si je m’en suis mal trouvé du côté de la fortune, j’ai toujours pensé qu’un homme de qualité était au-dessus d’elle ; et, du moins, cela m’a-t-il toujours attiré de ces attentions de société qui ne dépendent que de nous. […] avez-vous oublié qu’il est un pays où vous trouveriez les mêmes plaisirs avec plus de variété, sans quitter le soin de votre fortune, ni celui de cultiver votre esprit, et sans séparer, comme vous faites, les objets de vos passions ? […] Ne songez-vous jamais que vous pourriez aimer ailleurs, être heureux, jouir de même, et faire servir vos plaisirs à votre fortune. […] Mirabeau qui va et vient à sa guise, qui est maître d’une fortune considérable dont il use et abuse déjà, qui n’est à son régiment que quand il le veut bien ; qui, dès que l’envie lui en prend, s’installe à Paris où il va acheter un hôtel ; qui, cette année même (1740), achètera la terre de Bignon dans le Gâtinais pour être toujours à portée de la capitale, Mirabeau en parle donc bien à son aise.
De tout temps, la fortune a fait mauvais ménage avec les jeunes gens. […] Philippe aime Cyprienne sa cousine, mais elle est pauvre, elle aussi, et il attend la fortune pour se déclarer. […] Cette offre, c’est la fortune, c’est le bonheur, c’est Cyprienne épousée la tête haute, le cœur rassuré… Un mot le dégrise de cette belle ivresse. […] En logeant leur héroïne à un étage social supérieur, en la plaçant dans une de ces positions que côtoient naturellement les centres de la fortune et de l’élégance, MM. […] Pas n’est besoin d’être grand clerc pour calculer de l’œil l’écart qui existe entre la fortune de la maison et son mobilier.
Je trouvai la souche d’un arbre, je m’assis dessus, tournant le visage du côté d’où je venais : là, je fis réflexion que j’avais un frère et quatre sœurs qui étaient couchés bien différemment de moi, et qui, avec le temps, me feraient bien des neveux, et que les uns et les autres, si la fortune m’était favorable, prétendraient que je leur en devrais faire bonne part, sans songer aux peines qu’elle m’aurait coûtées. […] Il eut de quoi les satisfaire tous plus ou moins ; il en loue Dieu et ne paraît pas douter que les moyens par lesquels sa fortune s’accrut n’aient été suffisamment légitimes. […] La destinée veut qu’il ne se passe rien de considérable dans le monde qu’il ne s’y trouve ; et toute la fortune du royaume et de M. le cardinal n’est pas assez grande pour nous faire battre les ennemis, s’il n’y joint la sienne. […] Compris dans la disgrâce du surintendant, il lui demeura honorablement fidèle, comme il le fut généralement à tous ceux avec qui il s’embarquait pour courir la fortune. […] La fortune pourtant lui ménageait de plus grands revers : on le choisit entre tous les gens d’affaires de l’entourage de Fouquet pour servir d’exemple mémorable, et il dut songer à la fuite hors du royaume.
C’est plaisir pour nous d’aborder et d’étudier le grand homme d’après ces documents nouveaux et complets qui nous le montrent à ses origines et à tous les degrés de sa fortune. […] C’est grande pitié que de pauvre noblesse, mais il n’y a remède ; contre fortune bon cœur. […] La haute fortune de Richelieu dut s’y prendre à deux fois avant de réussir : « Il y a des temps, dit-il énergiquement, où la fortune commence et ne peut achever son ouvrage. » La France, depuis la mort de Henri IV, était retombée du régime le plus florissant et le plus prospère dans la situation la plus misérable. […] Richelieu raconte qu’il était en visite chez un recteur de Sorbonne au moment où on vint lui apprendre la mort du maréchal : il revint au Louvre, après en avoir conféré un moment avec ses collègues : « Continuant mon chemin, dit-il, je rencontrai divers visages qui, m’ayant fait caresses deux heures auparavant, ne me reconnaissaient plus ; plusieurs aussi qui ne me firent point connaître de changer pour le changement de la fortune. » Il fut le seul de ce ministère que Luynes parut ménager d’abord et vouloir excepter de la disgrâce et de la vengeance commune. […] Il nous montre avec ironie le roi que Luynes fait monter sur une table de billard pour qu’il puisse être vu plus aisément des compagnies de la ville et des ordres de l’État qui viennent le complimenter : « C’était, dit-il, comme un renouvellement de la coutume ancienne des Français qui portaient leurs rois, à leur avènement à la couronne, sur leurs pavois à l’entour du camp. » Il montre Luynes le plus dangereux ennemi du maréchal d’Ancre, parce qu’il l’était moins encore de sa personne que de sa fortune, et « qu’il lui portait une haine d’envie, qui est la plus maligne et là plus cruelle de toutes ».
Cependant deux choses tendent à ramener les ouvrages de science et d’érudition dans notre domaine : la langue française, quand on l’emploie, toute concrète encore et chargée de réalité, et dont les mots apportent, au milieu des abstractions techniques, les formes, les couleurs et comme le parfum des choses sensibles ; ensuite, le tempérament individuel, mal plié encore à la méthode scientifique, et qui jette sans cesse à la traverse des opérations de la pure intelligence l’agitation de ses émotions et les accidents de sa fortune. […] C’est un Gascon, soldat de fortune, de cette petite noblesse provinciale, qui s’attacha directement à la royauté, et lui fournit tant de serviteurs dévoués et dociles, pour détruire les restes de la grande féodalité, et empêcher les princes du sang de la reconstituer. […] D’assez bonne maison pour ne pas s’inquiéter trop de sa fortune, aventureux et aventurier, il n’a l’âme ni féodale ni moderne : sans foi chevaleresque, et sans patriotique affection, il court le monde, pour sa fortune, mais surtout pour voir, curieux admirateur de tous les égoïsmes qui se déploient avec force ou avec grâce. […] C’est le peintre de l’individualisme du siècle, étranger à toute grande idée, à tout sentiment universel, notant avec une égale sympathie, une égale chaleur de style les fortunes amoureuses des dames, et les hautaines entreprises des hommes de guerre ; rien ne le touche que la vie.
Ce qui avilit, ce qui dégrade, ce qui fait perdre le sens des grandes choses, c’est le petit esprit qu’on y porte ; ce sont les petites combinaisons, les petits procédés pour faire fortune. […] un homme qui résume toute sa vie en ces mots : faire honnêtement fortune (et encore on pourrait croire qu’honnêtement n’est là qu’afin de la mieux faire), la dernière chose à laquelle il faudrait penser, une chose qui n’a quelque valeur qu’en tant que servant à une fin idéale ultérieure ! […] J’aime mieux un yogi, j’aime mieux un mouni de l’Inde, j’aime mieux Siméon Stylite mangé des vers sur son étrange piédestal qu’un prosaïque industriel, capable de suivre pendant vingt ans une même pensée de fortune. […] Il semble au premier coup d’œil qu’elle n’aurait aucune chance de fortune. […] Mais comment un homme de quelque sens moral et philosophique a-t-il pu écrire des chapitres intitulés : Conseils pour faire fortune Avis nécessaire à ceux qui veulent être riches Moyens d’avoir toujours de l’argent dans sa poche ?
Récamier de la haute fortune dont il éblouissait Paris et dont il faisait jouir sa femme ; il faut lire ce récit pathétique dans un fragment écrit des souvenirs de la pauvre Juliette. […] On y sent la fièvre de ces vicissitudes domestiques qui sont aux fortunes privées ce que les révolutions sont aux empires. […] C’était le moment où l’empereur Napoléon, son frère, s’écroulait jour à jour sous l’amas de sa fortune et de ses conquêtes. […] Pasquier, instrument habile de gouvernement, qui ne s’usait pas en passant de mains en mains comme la fortune ; M. […] Ils furent, Ballanche et lui, les deux bonnes fortunes de madame Récamier ; M. de Chateaubriand n’en fut que la gloire extérieure.
Un bon livre fait à la faveur de cet interêt, une fortune et plus prompte et plus grande. […] Mais l’éneïde, l’ouvrage du poëte le plus accompli qui jamais ait écrit, a, pour ainsi dire, des moïens de reste de faire fortune. Quoique ce poëme ne nous touche plus que parce que nous sommes des hommes, il nous touche encore assez pour nous attacher : mais un poëte ne sçauroit promettre à ses ouvrages une fortune pareille à celle de l’éneïde, qui est celle de toucher sans cet interêt qui a un rapport particulier au lecteur, à moins d’une grande présomption, principalement s’il compose en françois.
Ce jeune homme, aussi heureusement doué des dons de la famille et de la fortune que des dons de la nature, s’appelait Alexandre. […] Je me confiai donc à la fortune ; elle s’appelait pour moi du nom du prince de Talleyrand. Je raconterai, dans mes prochains Entretiens sur la littérature diplomatique, comment ce même homme d’État, quinze ans plus tard, me prédit une autre fortune plus difficile à discerner dans mon avenir d’orateur, fortune alors très lointaine et très voilée pour tout le monde, excepté pour lui et pour moi. […] La fortune et la France en ont décidé autrement. Mais la nature en sait plus long que la fortune et la France : l’une est aveugle, l’autre est jalouse.
Ce que je puis vous dire, mademoiselle, c’est que jamais personne ne fut si haut que moi, et que je ne croyais pas que la Fortune me dût jamais tant élever. […] Puylaurens, en s’engageant à ce degré dans le parti de Monsieur et en s’attachant coûte que coûte à sa fortune, ne se fait aucune illusion, et en face de Richelieu, ce grande adversaire, il présage ce qui d’un moment à l’autre l’attend. […] Je vois des choses en vous plus éclatantes que votre fortune, et des qualités avec lesquelles vous ne sauriez jamais être un homme ordinaire. […] Je fus étonné qu’un homme nourri toute sa vie entre les bras de la Fortune sût tous les secrets de la philosophie, et que vous eussiez acquis de la sagesse en un lieu où tous les hommes la perdent. […] Il m’est arrivé autrefois de rapprocher la destinée et la fortune de l’abbé Delille (dans sa première moitié) de celle de Voiture : tous deux coquets, brillants, sémillants, adorés, idoles et un peu victimes de la mode.
« On avait le choix entre deux systèmes : l’un tout de force et de représailles, l’autre tout de clémence et de conciliation. » Convenait-il d’user du premier en toute rigueur, comme la victoire en donnait le droit, et de mesurer ses prétentions sur sa fortune ? […] Qu’un seul jour nous fussions vaincus ou à demi vaincus, qu’un seul instant la fortune des armes hésitât, et tous nos ennemis cachés ou publics se lèveraient à la fois et fondraient sur nous. […] Tel est le plan gigantesque que l’implacable fortune, et non pas, comme on l’a dit, un misérable orgueil dynastique, l’a contraint d’adopter, et dont nous le verrons poursuivre l’exécution pendant sept années avec une vigueur d’esprit et de caractère incomparable. « Je sentais mon isolement, a-t-il dit à Sainte-Hélène ; je jetais de tous côtés des ancres de salut au fond de la mer. […] Il aurait pu raconter bien des épisodes piquants, restés longtemps mystérieux, et s’en autoriser dans ce tableau tracé par lui des inimitiés de la vieille Europe, tremblante et soumise en 1812, mais rongeant son frein et ne désespérant pas de la fortune. […] Il me paraît inconcevable que l’homme qui a une fortune aisée et un beau nom sacrifie tous ses avantages, toutes ses affections, pour intriguer, et c’est bien là le cas de M. de Stein.
Je suis déja tombé d’accord que les hommes, qui naissent avec le génie du commandement des armées, ou bien avec le génie de tous les grands emplois, et même, si l’on veut, avec le génie de l’architecture, ne peuvent se manifester qu’ils ne soient secondez par la fortune, et servis par les conjonctures. […] Leurs talens restent enfoüis, parce que la fortune ne les déterre pas. […] Quand la malignité des conjonctures auroit asservi l’homme de génie à une profession abjecte avant qu’il eut appris à lire, voilà ce qu’on peut supposer de plus odieux contre la fortune, son génie ne laisseroit pas de se manifester.
Mais elle avait d’avance limité sa fortune, par l’excès même de sa force. […] Votre fortune à venir en dépend. […] Tout échoua, et en 1709 Swift retourna en Irlande, aigri contre ses amis politiques et très disposé à tenter la fortune du côté de leurs adversaires. […] Il réfléchit amèrement sur sa destinée et comprit que son génie avait nui à sa fortune. […] Il consacrait, par son testament, toute sa fortune à la fondation d’un hôpital pour les aliénés et les idiots.
Charles Gosselin, éditeur des traductions françaises de Walter Scott qui commencèrent sa brillante fortune. […] Je contribuai à sa fortune et on voit qu’il l’avait mérité. […] Nous en avons été récompensés l’un et l’autre par une honorable fortune et une honorable amitié. […] Genoude, pourtant, n’avait trompé personne ; mais, cherchant fortune sur la route du monde, il avait d’abord été lié avec des groupes d’ecclésiastiques ; puis, ayant rencontré des groupes de royalistes qui lui offraient la naissance, la fortune et l’amour dans l’union d’une jeune personne inespérée, il s’était laissé séduire et avait abandonné ses premiers patrons, mais il avait gardé l’estime de ceux qui étaient plus sensibles à l’amitié qu’à l’esprit de parti. […] Mais sa politique et sa vie eurent bientôt le même terme, il mourut en 1849, aux îles d’Hyères, et laissa ses fils sans fortune.
Ils ont l’air de mépriser la famille d’Achille, comme peu favorisée des dons de la fortune. […] Néron profita mieux des maîtres d’agréments qu’on lui donna, comme on fait encore aujourd’hui aux jeunes gens qui ont quelque fortune. […] On conçoit qu’un iroquois tel que l’Hippolyte d’Euripide n’est pas homme à bonnes fortunes, et ne doit pas recevoir galamment une déclaration d’amour de la part d’une femme, et surtout de sa belle-mère. […] Ce fut là, dit-on, le commencement d’une meilleure fortune pour Athalie : on ouvrit les yeux, mais lentement et insensiblement. […] Celle de l’esclave Léonide est pathétique : une mère méprisée, rebutée par sa fille qui a fait fortune à la cour, est un personnage très intéressant.
C’est une certaine lumière de gloire et un certain caractère de grandeur que la vertu héroïque imprimée sur le visage des à omet mes ; elles défendent la solitude et la nudité d’une personne exposée aux outrages de la fortune, accablée sous les ruines d’un parti détruit, abandonnée de ses propres vœux et de sa propre espérance. […] Balzac pense qu’à l’aménité, ils joignaient cette grandeur « dont il leur était impossible de se défaire, parce qu’elle tenait à leur cœur et à leur esprit, parce qu’elle avait racine en eux et n’était pas appliquée sur leur fortune. […] Vous croyez que la vertu se tient lieu de digne et de suffisante récompense, mais qu’elle accepte la gloire sans l’exiger ; que la gloire n’est pas tant une dette dont s’acquitte le public, qu’un aveu de ce qu’il doit, et tout ensemble une protestation qu’il est solvable. » Plusieurs trouveront les conversations rappelées par Balzac d’une gravité qui va jusqu’au ridicule ; les sujets qu’elles traitaient seraient ridicules, sans doute, dans la société d’une bourgeoise de petite fortune qui aurait à soigner elle-même son ménage et ses enfants. […] Mais dans une monarchie ancienne dont rien ne menaçait l’existence, où les affaires publiques étaient gouvernées par un pouvoir héréditaire, où une grande fortune donnait de longs loisirs, où des études suivies étaient le plus sûr moyen d’éviter les ennuis du désœuvrement, où la culture de l’esprit pouvait seule assurer des jouissances à l’âge mûr et à la vieillesse, les études de la marquise de Rambouillet étaient éminemment raisonnables.
Dans cette situation, toutefois, si l’on dépend de la fortune, on n’attend rien de l’opinion, de la volonté, des sentiments des hommes ; et sous ce rapport, comme on a plus de liberté, on devrait obtenir plus de bonheur ; néanmoins ces penchants avilissants ne valent aucune véritable jouissance ; ils livrent à un instinct grossier, et cependant exposent aux mêmes chances que des désirs plus relevés. […] Ils hasardent la fortune qui les fait vivre, ils se précipitent dans les batailles où la mort, ou plus encore les souffrances les menacent, pour retrouver ce mouvement qui les sépare des souvenirs et de la prévoyance, donne à l’existence quelque chose d’instantané, fait vivre et cesser de réfléchir. […] Aimer l’argent, pour arriver à tel ou tel but, c’est le regarder comme un moyen, et non comme l’objet ; mais il est une espèce d’hommes qui, considérant en général la fortune comme une manière d’acquérir des jouissances, ne veulent cependant en goûter aucune ; les plaisirs, quels qu’ils soient, vous associent aux autres, tandis que la possibilité de les obtenir est en soi seul, et l’on dissipe quelque chose de son égoïsme, en le satisfaisant au-dehors.
Ce n’est pas à dire qu’il négligeât absolument sa fortune en cour et le soin d’avancer ; il y aspirait à sa manière et par les voies qu’il estimait les meilleures et les plus solides. […] Le garde des sceaux Chauvelin, qui avait fort contribué à cette mesure, avait pris d’ailleurs d’Argenson en grande estime et amitié ; il voulait lui servir comme de père, disait-il, et faire sa fortune politique. […] Il est curieux de suivre pas à pas l’attente et les lents progrès de la fortune politique de d’Argenson. […] Quoique ce ne fût véritablement pas un homme ambitieux que mon père, cependant le diable le berçait sans qu’il s’en aperçût ; il cheminait volontiers sur les voies de faire sans songer à faire, et à mesure que le goût des bagatelles diminue dans de tels esprits, ils vont jusqu’à s’ennuyer de tout ce qui n’est pas chemin de fortune. […] Mais cette charge était une magistrature ; si ce n’était pas tourner le nez à la fortune que ses inclinations lui promettaient, c’était toujours n’y pas tourner le dos.
Le règne si long de Louis XIV, à soixante-neuf ans d’intervalle, est comme enfermé entre Rocroy et Denain, un début si brillant et si glorieux, et un retour de fortune si tardif, si désiré et si nécessaire. […] C’est à ce moment extrême et décisif (ô fortune aléatoire de la guerre !) […] Il avait retrouvé la veine ; il ne la laissa point refroidir, et toute la fin de cette campagne, qui influa sur la conclusion de la paix, fut marquée par des éclairs de fortune glorieux et des sourires consolateurs. […] Denain, le salut de la France, les beaux sièges qui suivent, tout cela est d’un homme heureux, trop heureux pour ne pas être digne des faveurs de la fortune. […] Mais il est beau que sa fortune fasse la fortune publique. » Et songeant moi-même à Villars, à Masséna, à ces grands hommes de guerre qui ont eu des vices, mais qui peuvent aussi montrer dans leur vie ces nobles pages, Rivoli, Essling et Zurich, ou bien Friedlingen, Hochstett et Denain, je dirai qu’il convient de leur appliquer les paroles de Périclès dans l’Éloge funèbre des guerriers morts pour Athènes : « A ceux qui ont de moins bonnes parties il est juste que la valeur déployée contre les ennemis de la patrie soit comptée en première ligne ; car le mal disparaît dans le bien, et ils ont été plus utiles en un seul jour par ce service public, qu’ils n’ont pu nuire dans toute leur vie parleurs inconvénients particuliers. » C’est la conclusion qui me paraît la plus digne pour ce chapitre d’histoire.
C’est ainsi qu’au moment où elle semblait tout à fait ruinée, la fortune de Richelieu se répare et qu’elle va insensiblement monter et grandir sans plus s’arrêter. […] Même quand il nous expose ces longs contretemps qui barrent sa fortune, le style de Richelieu n’est point irrité et ne marque ni colère ni dépit. […] En voyant l’extravagante fortune et le peu de conduite de l’adversaire, il sentait dans son bon sens qu’il ne s’agissait que d’attendre et de durer : « Il n’est pas de la France comme des autres pays, pensait-il. […] Il était, dit-il encore, d’un esprit médiocre et timide ; peu de foi, point de générosité ; trop faible pour demeurer ferme à l’assaut d’une si grande fortune… Il voulut être prince d’Orange, comte d’Avignon, duc d’Albert, roi d’Austrasie, et n’eût pas refusé davantage s’il y eût vu jour. […] Il en était encore en la fleur, et au temps que la jouissance en est plus agréable ; et, quant à sa fortune, elle ne faisait encore que de le saluer, et n’avait pas eu loisir de se reposer auprès de lui.
« Il les publie, dît-il dans sa préface, pour faire valoir l’esprit de ses illustres amies, et pour ne rien ôter à si reconnaissance et à leur gloire. » Il ajoute : « Je leur dois rendre le témoignage que leurs innocentes faveurs ont adouci tout le chagrin de ma vie et m’ont mis en état de me passer plus aisément de ce qu’on appelle fortune… Les femmes de qualité ont poli mes mœurs et cultivé mon esprit ; et comme je ne leur ai jamais eu d’obligation pour ma fortune, je n’ai jamais souffert auprès d’elles de servitude ni de contrainte. » Ces paroles ne sont pas d’un homme méprisable. […] Orpheline depuis l’âge de 5 ans, élevée par un oncle respectable, instruite par Ménage, mariée à 18 ans, veuve à 26, retirée pendant deux années qu’elle emploie à l’éducation de ses enfants et à l’arrangement de leur fortune, sachant le latin, l’espagnol, l’italien et la littérature, ses premiers pus dans la société se tournent vers l’hôtel de Rambouillet ; la marquise, âgée, isolée par le mariage de sa fille, désolée de la mort de son mari et de celle d’un fils de 31 ans arrivées à un an de distance, fut la première personne dont madame de Sévigné, belle, brillante de jeunesse, d’esprit et de savoir, rechercha la société et ambitionna la confiance. […] Sa fortune ne lui permettait pas de tenir une maison, mais elle était accueillie dans les meilleures, et y figurait convenablement.
» Plus loin le ton change ; c’est une invocation martiale à la Fortune en faveur d’Auguste et des Romains qui vont combattre en Asie les Parthes. Rien ne surpasse, dans la poésie grecque, l’énergie descriptive de ces jeux de la Fortune qui joue avec les trônes, qui élève et abaisse à son caprice les heureux. […] … Ô Fortune ! […] trop courtes de vie, tandis que ta fortune, ta jeunesse et les fils noirs sur le fuseau des trois sœurs (les Parques) le permettent encore. […] que moi, simple affranchi sans fortune, j’ai osé déployer hors de mon petit nid des ailes plus vastes : cet aveu, en retranchant à ma noblesse, ajoutera à mon mérite.
Comme on y sent contre la fortune ce juste et muet mépris qui est la vengeance éternelle des hommes écrasés par l’iniquité de leurs contemporains ! […] Ce chapitre atteste combien Machiavel avait dévisagé la fortune à force de réfléchir sur ce que le vulgaire appelle ses jeux ! L’occasion ne peut rien sans l’homme, l’homme rien sans l’occasion ; c’est du mariage de la fortune avec le génie que naît la puissance ; sans cela, rien. […] Ce retour est précaire comme sa fortune. […] Errant en Corse, il tente une descente sur les côtes de Calabre ; il y trouve le peuple aliéné contre lui, et la mort ; il accepte sa fortune en vaincu et le supplice en héros.
C’est, par exemple, dans le Vieillard et ses enfants, le trésor dans le champ, symbole qui veut dire : il y a un trésor qui est le travail que vous ferez et qui vous reviendra en ressource, en revenus et en fortune. […] La médiocrité de condition, d’état, de fortune, etc., c’est le bonheur. […] Mais enfin le bonheur, c’est dans la médiocrité qu’il faut le chercher et surtout il ne faut pas être, comme le mulet de finances, fier de sa fortune, fier des dons de la destinée, car ils ont quelque chose d’incertain. […] Cela l’attriste ; et pour récompenser ses hôtes des soins et de l’amitié qu’ils ont eus pour lui, il leur dit : « Vous savez, j’ai un privilège : je peux vous permettre de faire trois souhaits, pas un de plus, et ces souhaits seront exaucés. » Voilà ces bonnes gens qui, comme tout le monde aurait fait, ou à peu près, commencent par demander la fortune, cela va de soi. La fortune les entraîne dans de tels ennuis, dans de telles incommodités, dans de tels chagrins, et le domaine à administrer, et les comptes avec les financiers, et les grands seigneurs qui leur empruntent, enfin les inconvénients de la fortune sont si visiblement perçus par eux, si nettement éprouvés par eux presque tout de suite, qu’ils demandent la médiocrité.
Il trouva que l’Empire avait du bon : « Napoléon a fait ma fortune », avouait-il dans un de ces rares moments, où il déposait sa couronne d’épines. […] La fortune lave toutes les taches et tient lieu de toutes les vertus. […] C’était à un poète peu favorisé de la fortune et non à une œuvre patriotique que le don devait appartenir ». […] Il faut avouer qu’il était plus intelligent que les hommes de génie, qui ne savent jamais se retourner et ne laissent jamais de fortune. […] On pourra se faire une idée de la rapidité avec laquelle s’accroissait la fortune du maître quand on saura que celui-ci réalisa, en 1884, onze cent mille francs de droits d’auteur.
Aujourd’hui comme autrefois, nous ne manquons pas de ces gens à qui la fortune tient lieu de politesse et de mérite, qui n’ont pas deux pouces de profondeur, à qui la faveur arrive par accident ; seulement ces fortunes subites qui sont le déshonneur de la Fortune elle-même, arrivent, aujourd’hui, par d’autres moyens que les moyens d’autrefois, elles se produisent, dans des lieux différents, avec des caractères tout nouveaux. […] Est-ce que le jeu, l’ambition, la fortune, la renommée et la gourmandise, ne seraient pas suffisants à cette canaille ? […] la griffe est la même ; aujourd’hui cependant, comme autrefois, « faire sa fortune » est une belle phrase, éloquente et splendide ; — elle a grandi, cette grande phrase ; elle est devenue un Évangile ! […] Or, ce qui se dit ici des royaumes, des républiques et des empires, exposés à ces changements, à ces variations, à ces insolences de la fortune, on en peut dire autant de ces royaumes en miniatures, qu’on appelle un salon ! […] on était tenté de l’applaudir ; elle voulait être au courant de toutes choses, car elle s’occupait tout à la fois de sa fortune et du drame nouveau. — Où en sont mes terrains des Champs-Élysées ?
Il a l’imagination, par laquelle l’historien se fait le témoin de la vie des aïeux, la sensibilité par laquelle il prend sa part de leurs joies et de leurs peines, le style qui seul préserve les ouvrages d’histoire de la fortune passagère des romans. […] Peut-être eût-on désiré pour une si belle plume une fortune plus haute que l’histoire ou la critique des systèmes ; peut-être un nouvel effort supérieur d’invention et de démonstration, pour nous faire monter quelques échelons de plus vers l’inaccessible, eût-il plus servi la philosophie que les modestes affirmations de l’éclectisme. […] Je m’effraye des vicissitudes de fortune que subissent les pièces de théâtre. […] Je ne dirai de lui qu’une chose : c’est que je voudrais ne pas craindre pour Scribe la fortune de Sedaine. […] La fortune la plus semblable à celle des costumes, c’est la fortune des romans.
Son génie se croyait sans cesse en droit de demander des miracles, et, comme on dit, de mettre le marché à la main à la Fortune. […] Après les miracles d’Austerlitz et d’Iéna, ne le voit-on pas pousser à bout la Fortune, et vouloir absolument lui faire rendre plus qu’elle ne peut donner ? […] À dater de ce jour, la Fortune commence à tourner ; elle aura de brillants retours encore, mais le prestige est évanoui. […] Et puis la Fortune souriait encore, et réparait tout : personne n’arrivait tard, personne ne se trompait ! […] Aussi des hommes qui ne sont qu’au second rang, si on les compare à lui, ont su se pousser, eux et leur patrie, à des fortunes plus stables et se maintenir dans leur succès.
Tandis que celui-ci était confiant jusqu’à l’exaltation, les chefs avaient, quelques-uns du trouble, d’autres des prévisions et des circonspections inaccoutumées ; ils avaient éprouvé les revers de la fortune et s’en souvenaient. […] Un autre élément très-positif de la fatalité, dans ces quatre journées glorieuses et sinistres de juin 1815, ç’a été la lenteur de rédaction et l’ambiguïté de parole du maréchal Soult comme major-général ; — ç’a été la circonspection morale des chefs, toujours braves et plus braves que jamais dans l’action, mais peu confiants désormais en la fortune, et qui, entre deux suppositions possibles, inclinaient toujours pour la plus défavorable, la plus fâcheuse et la plus timide : témoin Ney, Reille, Vandamme, d’Erlon, surtout Grouchy. […] Il obéit donc à Ney, son chef immédiat, n’osant plus se fier aveuglément à Napoléon et à son étoile, à César et à sa fortune. […] Mais même avec cette fatale malencontre qui ôtait sa portée et ses ailes à la victoire, tout était bien encore ; tout dans le plan du grand capitaine se pouvait réparer et continuer à souhait, si la fortune ne nous réservait pas, à un second et plus formidable Ligny, un second et plus grave incident d’Erlon.
Laujon avait acquis une fortune assez considérable. […] Les lettres étaient en crédit, car le faux savoir même était un moyen de fortune ; Les Femmes savantes en sont la preuve. […] Sans doute de grands malheurs ont nécessité de grands sacrifices, car la fortune publique est livrée à des parvenus grossiers ; des laquais enrichis foulent aux pieds toutes les lois de l’honneur ; l’honnêteté, la pudeur sont bravées ; la vertu n’est plus qu’un vain mot !!! […] En voulez-vous encore des témoins irrécusables : voyez ces jeunes débauchés qui semblent se parer du mépris public ; voyez ce marquis de Moncade, qui oublie sa dignité pour réparer sa fortune.
Jeté, à quelque temps de là, dans le monde, sans fortune et sans appui, Chamfort se trouva bientôt réduit à l’état le plus misérable ; il ne subsistait que de son travail pour quelques journalistes et pour quelques prédicateurs, dont il faisait les sermons. […] j’aurai un prix à l’Académie, ma comédie réussira, je me trouverai lancé dans le monde, et accueilli par les grands que je méprise ; ils feront ma fortune sans que je m’en mêle, et je vivrai ensuite en philosophe. » Heureux pressentiment ! […] Cet homme qui avait supporté la mauvaise fortune avec tant de courage, devint la proie d’une mélancolie profonde ; et l’indigence qui s’était un moment éloignée de lui, ne tarda pas à revenir l’assaillir ; mais il trouva dans les soins généreux de l’amitié un soulagement à ses maux. […] Son cœur et son esprit étaient remplis de sentiments républicains ; il applaudissait au décret qui supprimait les pensions ; et pourtant toute sa fortune était en pensions, il les remplaça par le travail ; et le Mercure de France s’enrichit de la nécessité dans laquelle on le mettait encore une fois, de se faire une ressource de sa plume.
Avec tant de talens, le Sage ne fit jamais fortune, parce que son ame, naturellement fiere & élevée, étoit ennemie de la flatterie & de l’intrigue, qu’on sait être les voies qui y conduisent ordinairement. C’est ce qui porta un de ses amis à lui faire cette Epitaphe : Sous ce tombeau gît le Sage abattu Par le ciseau de la Parque importune : S’il ne fut pas ami de la Fortune, Il fut toujours ami de la Vertu.
Selon lui, le Ministre Protestant se joua de l'Evêque de Meaux, qui crut, dit-il, avoir converti un Ministre, & qui ne fit que servir à la fortune d'un Philosophe. […] Un Philosophe est donc, de l'aveu de M. de Voltaire, un être versatil, souple, artificieux, toujours prêt à profiter des circonstances, à quitter le masque, à le reprendre, dès que les métamorphoses peuvent servir à sa fortune ?
« Forcé par la fortune à être avare de mon temps, je suis souvent réduit à le consacrer à ces hommes qui, nés avec plus de fortune que de talent, aspirent à la gloire littéraire, quoique la Nature leur ait refusé les moyens d’en acquérir.
C’est cette heureuse coïncidence de bonnes fortunes littéraires qui vit et qui fit naître Racine, c’est-à-dire la perfection incarnée de la langue poétique en France ! […] C’était le moment de la gloire et de la faveur de Molière, génie jusque-là inconnu et avili par la mauvaise fortune. […] Molière avait le droit d’espérer que la gloire de son protégé deviendrait la fortune de sa scène. […] Une suprême occasion de consolider cette faveur et de river sa fortune dans le cœur même de la nouvelle favorite ne tarda pas à se présenter. […] Elle avait goûté, aimé, protégé la fortune du poète, il n’était pas beau à lui de célébrer, dans sa chute, le triomphe de sa rivale.
À peine embarqué sur le Northumberland qui devait le transporter de la rade anglaise à Sainte-Hélène, Napoléon qui, de ses derniers compagnons de fortune, n’avait pu garder avec lui que le grand maréchal Bertrand, les généraux Montholon, Gourgaud et M. de Las Cases (sans compter son fidèle valet de chambre Marchand), Napoléon passait de longues heures, dans cette traversée qui fut de plus de deux mois (8 août-17 octobre), en plein air, sur le pont du vaisseau, — tantôt immobile, à cheval sur un canon qui était à l’avant du bâtiment et que les marins anglais eurent bientôt baptisé le canon de l’Empereur, regardant le ciel et les flots, se voyant aller à la tombe et décliner au plus profond de l’Océan comme un astre qui change d’hémisphère ; tantôt se levant, interpellant ses fidèles compagnons et se parlant comme à lui seul, s’interrogeant sur tant d’événements prodigieux desquels lui-même se surprenait étonné après coup, et que sa pensée, pour la première fois oisive dans le présent, roulait en tumulte. […] Il recommençait sa vie : il se revoyait à Brienne, à Toulon, au fort de l’Éguillette, sa première victoire ; puis, après une disgrâce passagère qui faillit faire de lui le plus bizarre en apparence et le plus homme à projets d’entre les officiers généraux non employés, et certainement le plus incommode des mécontents, il se montrait reprenant bientôt le vent de la fortune, consulté, mis à sa place et à même enfin de se produire tout entier, gravissant à vingt-sept ans comme général en chef ces rampes escarpées d’où l’on découvre tout d’un coup l’Italie, cette Italie de tout temps l’objet de ses méditations, Italiam ! […] Mais la gloire des hommes célèbres est, comme leur vie, exposée à des fortunes diverses. […] Il n’est pas exact de dire qu’à Sainte-Hélène il ait parlé des traîtres et mis à leur charge les torts de sa fortune. […] La masse des hommes est faible, mobile parce qu’elle est faible, cherche fortune où elle peut, fait son bien sans vouloir faire le mal d’autrui, et mérite plus de compassion que de haine.
Il ne serait pas impossible d’en tirer encore cette autre conséquence, que madame de Maintenon a favorisé, peut-être même a déterminé le penchant du roi à la dévotion, et fait jouer ce ressort pour assurer sa fortune. […] quel esprit est assez grossier pour ne pas comprendre les paroles de madame de Sévigné, qui dévoilent tout le mystère de la fortune de son amie ? […] Tous ces trésors d’idées et de sentiments que madame de Maintenon déposait ou faisait naître dans l’esprit du roi, furent les fondements de sa fortune. […] Puisque les conséquences ultérieures de cette fortune ne sont plus de notre sujet, et que nous nous arrêtons ici dans l’histoire de la société polie, jetons un dernier regard sur les personnages qui la composent en 1680, rassemblons-les dans notre pensée : leur aspect suffira pour nous faire entrevoir l’avenir que nous laissons à d’autres le soin de décrire. […] De quoi n’est-il point capable dans la vue de sa fortune ?
— Les femmes ont rendu sur le jeune Beaubourg un arrêt pareil : elles le déclarent « trop commun. » Il a la jeunesse, la gaieté, la fortune ; mais il lui manque la ligne, la race, le contour, le chic le je ne sais quoi. […] Mais une fortune imprévue, léguée par un oncle, l’a transformée, d’un jour à l’autre, comme par une machine de féerie, en riche héritière. […] Il s’est aliéné à jamais, par une basse insulte, l’héritière dont il convoite la fortune ; l’antipathie qu’elle avait pour lui s’est changée en haine, et l’on dirait qu’il vient d’accomplir un chef-d’œuvre de ruse et de séduction ! […] Huit cent mille francs de billets fictifs, souscrits par lui à une marquise dont il a été l’amant appointé, et qui redeviennent réels et valables lorsque la dame, devenue dévote, les lègue, avec sa fortune, à la Compagnie. […] Alors à quoi bon ce siège gratuit, ces mines inutiles, pour s’emparer d’une fortune qui mettra son assaillant à la porte aussitôt qu’il y aura installé le prétendant pour lequel il lutte ?
Lui mort, elle s’occupa avec suite des intérêts de ses enfants, très compromis dans des procès longs et cruels, qu’elle eut à soutenir contre sa propre famille : « Il y a si peu de grandes fortunes innocentes, que je pardonne à vos pères, écrit-elle à son fils, de ne vous en avoir point laissé. […] Quand de concert la fortune et la vertu ont mis un homme en place, c’est un double empire, et qui exige une double soumission. » Mais que cette rencontre est rare ! De loin les favoris de la fortune en imposent : « La renommée exagère leur mérite, et la flatterie les déifie. […] Le mot d’humanité revient souvent sous sa plume : « L’humanité, dit-elle à son fils, souffre de l’extrême différence que la fortune a mise d’un homme à un autre. […] La conclusion littéraire sur Mme de Lambert, sur cette personne de mérite, si délicate à la fois et si bien-pensante, et qui fit de ses qualités et de sa fortune un si noble usage, a été donnée dès longtemps par un de ses autres amis que j’ai déjà nommé, le judicieux marquis d’Argenson : Ses ouvrages, écrivait-il, contiennent un cours complet de la morale la plus parfaite à l’usage du monde et du temps présent.
Cette fable, a pour intérêt de bien nous montrer, une fois de plus, le caractère même de La Fontaine, qui s’est soucié comme vous le savez des avantages de la fortune et de ses préférences, et qui a été celui qui a toujours attendu la fortune dans son lit. La différence, entre sa vie et la fable qu’il faisait, c’est que la fortune n’est jamais venue le chercher. […] Qui ne court après la fortune ? […] La Fortune a-t-elle des yeux ? […] Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.
III Aussi eut-elle, sinon immédiatement, un succès qui se consolida, et avec une telle force qu’on put le croire indestructible… Pendant vingt-cinq ans pour le moins, en effet, ni les fautes de Buloz, — de piéton modeste et incomparable devenu directeur assis et incompétent, — ni ses humeurs peccantes qui feraient le bonheur d’un médecin de Molière, ni sa tyrannie bourrue et tracassière, ni son orgueil durci par la fortune, ni les bornes sourdes de son esprit, ni ses procédés hérissons, ni ses grognements ursins, ni l’horreur de ses meilleurs écrivains mis en fuite par cet ensemble de choses charmantes, ni l’ennui enfin le plus compacte qui soit jamais tombé d’un recueil périodique sur le lecteur assommé, rien n’a pu le diminuer, ce succès étrange, ou l’interrompre un seul jour… C’est à n’y pas croire ! […] Comme Buloz a fait sa fortune dans la direction de sa Revue, Véron a fait la sienne dans la direction de l’Opéra, et pour cette raison les voilà tous deux en posture d’hommes infiniment habiles, aux yeux de ces forts jugeurs qui s’imaginent que le succès fait toujours équation avec du génie ! […] On lui a reproché souvent d’avoir refusé d’abord, avec une sagacité à la Buloz, l’opéra de Robert le Diable, ce chef-d’œuvre qui fut depuis la cause de sa fortune. […] Du reste, il y a d’autres différences qu’il faut noter en ces deux favoris de la fortune.
Des biens de la Fortune & ceux de la naissance ? […] Il n’est rien d’assuré dans ce vaste Univers, Tout y est inconstant, & rien qui soit solide ; La Fortune, suivant ses caprices divers, Fait, défait ici-bas, & tout elle décide.
Telles sont les vraies causes de la grande fortune des Essais. […] Les emplois qu’un Auteur a exercés, le nombre de ses domestiques, ses bonnes fortunes, ses* vertus, ses défauts, ses goûts, ses dégoûts, ses maladies, sont des objets qui flattent peu la curiosité & ne conduisent à rien.
Ces amis espéraient libérer ainsi, pour l’âge où l’on doit liquider sa vie comme sa fortune, mon patrimoine obéré par des causes tout à fait étrangères à celles que la malveillance ou l’ignorance supposent. […] Les uns ont attribué ces embarras de fortune à des dissipations de main fabuleuses ou à des prodigalités de cœur sans prudence, afin d’avoir le droit de détourner les yeux et l’intervention du pays de revers selon eux trop bien mérités. […] Ma fortune, plus apparente que réelle, n’a jamais été très grande. […] Ces acheteurs, en effet, ne peuvent se rencontrer que parmi des capitalistes bienveillants pour moi, ou parmi des capitalistes hostiles et avides, à l’affût des fortunes qui croulent pour en accaparer à rien les débris. […] Je ne désespère pas de moi-même : la patience active use la plus mauvaise fortune et les plus tristes jours ont des lendemains.
Il épousa Térentia, femme d’illustre extraction et de fortune modique. […] que ce ne fut ni le repentir ni la crainte, mais la fortune du peuple romain, qui arrêta ton bras et suspendit ta fureur ? […] Pourquoi n’ai-je pas affronté ma fortune ? […] … Et puis je ne voudrais pas m’éloigner davantage, de peur que si, par hasard, il arrivait quelque changement inespéré à ma fortune du côté de Rome, je ne fusse trop longtemps à l’ignorer. […] Mais, s’il y eut complaisance envers la fortune dans cette conduite du grand orateur romain, il n’y eut jamais complicité avec César.
Avec la fortune extraordinaire a disparu le héros singulier ; le malheur fait voir le grand caractère. […] Il y avait dans ce succès de quoi rengager Lesage à toujours dans le théâtre, où ses débuts avaient eu des fortunes très diverses. […] Il a sa fortune à faire ; dirai-je que c’est là le premier de ses défauts ? On fait sa fortune de deux façons : ou par un état, ou par la domesticité chez les puissants. […] Les premières faveurs de la fortune l’avaient gâté ; les dernières l’améliorent, parce qu’elles sont le juste prix de son mérite.
Il y a maintenant de grands poètes, des poètes de talent, des poètes de génie, des poètes d’art, ou des poètes qui veulent être quelqu’un de ceux-là ; mais ce qui constituait autrefois le poète agréable, ce mélange d’esprit, d’imagination, de facilité, de négligence et de bonne humeur, cette absence de prétention en rimant ou cet air de n’en pas avoir, ce demi-ton de conteur qui était de plain-pied avec la conversation du salon, cet à-propos de menus sujets, cette adresse à trousser en vers un compliment ou une épigramme qui circulait aussitôt et faisait fortune, et parfois aussi la fortune de son auteur, tout cela existe-t-il encore ? […] Mais la mort de la vieille duchesse d’Angoulême en 1682, et celle surtout de la reine en 1683, vinrent arrêter la fortune et intercepter en quelque sorte la vocation de Sénecé. […] Sénecé a dit quelque part un mot précieux ; c’est dans une anecdote sur Racine ; donnons-la : Racine, dit-il, ayant fait une fortune considérable à la Cour pour un homme de lettres, prétendit usurper une espèce de tyrannie sur les autres gens de son caractère, et, regardant le bel esprit comme son patrimoine, s’établit autant qu’il put dans la possession de persuader à toute la France que l’on ne pouvait en avoir sans sa permission, qu’il n’accordait, à personne. […] Quoi qu’il en soit, ce poète de Toulouse, qui végéta toute sa vie dans les fonctions de président au présidial d’Aurillac, est un digne représentant des poètes disgraciés par la fortune, et dont le mérite n’a pu triompher d’une mauvaise étoile ; il a droit de se citer lui-même en exemple au malheureux Acanthe, et, pour mieux le consoler encore, il lui retrace les malheurs de leur père commun et de leur maître, Apollon.
Les plaisirs, la société, les tentatives d’ambition et de fortune y furent pour beaucoup. […] Cette idée d’une reine française, simple fille de qualité, cette brusque fortune avait mis les imaginations en éveil. […] la fortune et mes amis feront mieux quand il leur plaira. […] À un moment, cette union étroite des deux frères cessa ; le duc se sépara du grand prieur, et Chaulieu suivit la fortune de ce dernier. […] Ces lettres, pleines de sentiment, de grâce, de vive estime pour un mérite personnel si rare qu’outrageait la fortune, font honneur au cœur autant qu’à l’imagination de Chaulieu.
Ses soixante dernières pages surtout, sont écrites comme un valet qui, voulant faire fortune, écrirait l’histoire de son maître, à qui il viendrait tous les matins la lire à son lever. […] D’abord il querelle très sérieusement la fortune de ce qu’elle a osé attaquer un grand homme tel que Polybe : cependant il voit bien qu’elle a été très adroite, car elle a trouvé le seul endroit par où elle le pût blesser. […] » Et ensuite une prière à la fortune, pour qu’elle veuille bien permettre « qu’un si grand empereur remédie aux maux du genre humain désolé… Si elle regarde Rome en pitié, si elle n’a pas encore résolu d’anéantir le monde, ce prince, envoyé pour consoler l’univers, sera aussi sacré pour elle, qu’il l’est déjà pour tous les mortels26 ».
La fortune avait suffisamment secondé les travaux du banquier percepteur des tributs de Venouse ; il aspirait plus à illustrer son fils qu’à l’enrichir ; il se contentait de son aisance appelée par les Romains la médiocrité dorée. […] Il l’honorait par adulation d’un vice qu’il n’avait pas ; il sacrifiait son caractère à sa fortune. […] La fortune avait décidé, il était devenu épicurien, il ne voulait pas se roidir contre la fortune. […] Ce père avait consumé la plus grande partie de sa fortune dans l’éducation, dans les voyages, dans l’avancement militaire de son enfant. […] Dira-t-on que je la dois au hasard de la fortune ?
Il s’attache à la fortune et à la personne de cette charmante protectrice ; elle l’emmène avec elle à Chambéry dans la retraite délicieusement occupée des Charmettes ; elle y achève l’éducation littéraire de son protégé. […] Amant prétendu de la nature, il méprise la simple beauté des jeunes filles de basse condition, pleines de prévenances et d’agaceries pour lui ; il avoue ses goûts tout aristocratiques pour le rang, l’orgueil, la parure des jeunes personnes de haut rang et de haute fortune. […] Il entre comme caissier dans la maison de madame Dupin, il en sort après quelques jours de noviciat ; il renonce à toute ambition de fortune par un travail régulier ; il trouve qu’il est plus facile d’accepter la pauvreté que d’acquérir l’aisance. […] Voltaire avait vécu dans les intrigues de la régence, dans la diplomatie du cardinal de Fleury, dans la cour du grand Frédéric, dans la familiarité des rois et des ministres qui jouaient au jeu des batailles avec la fortune. […] Voilà un homme fait qui, voyant la fortune de cette femme baisser, épuise sa pauvre bourse pour aller à Paris chercher quelque autre fortune de hasard, sans se retourner seulement d’une pensée vers celle qui fut sa providence, de peur d’avoir pitié de sa dégradation !
Des fonctions honorables, l’élégance des mœurs, la fortune et les lumières rapprochaient cette classe de l’aristocratie : il était trésorier de la Chambre des comptes. […] En homme d’un sens pratique prématuré, il s’occupa de sa fortune. […] Ces opérations, surveillées au bénéfice de Voltaire par les frères Pâris, ses bienfaiteurs et ses amis, élevèrent sa fortune au niveau de ses pensées les plus ambitieuses d’indépendance. La fortune assez considérable, héritée en même temps de son père et de son frère, fut placée également par Voltaire en spéculations très-lucratives. […] Cette fortune n’était point pour Voltaire une ostentation de luxe, mais une mesure de prudence ; il en dépensait une partie considérable en bienfaits plus qu’en plaisirs.
Or qu’est-ce qui a fait la fortune de la philosophie cartésienne ? Je ne dis pas que cette fortune est illégitime. Je dis : qu’est-ce qui a fait cette fortune. […] Qu’est-ce qui a fait la si haute et si grande et si juste fortune de la philosophie cartésienne. […] Dans le désordre même il peut y avoir des coups de fortune et même des coups d’ordre.
Ces menues circonstances toutes naturelles ajoutent au tragique de la catastrophe et à la leçon que va donner la fortune. […] Il s’engage donc dans le récit de quelques particularités singulières qui eurent lieu hors du champ de bataille et aux alentours, par exemple l’aventure d’un chevalier français et celle d’un écuyer de Picardie, qu’on poursuivait, et qui sur le point d’être pris, par un coup de fortune et d’adresse, firent prisonnier chacun son poursuivant. […] Mais Froissart, qui s’est écarté, rentre bientôt après dans son sujet, et par une réflexion assez piquante : « Ainsi adviennent souvent, dit-il, les fortunes en armes et en amours, plus heureuses et plus merveilleuses qu’on ne les pourroit ni oseroit penser et souhaiter. » Il se répète sensiblement en cet endroit, et a quelque peine à se remettre en train ; il recommence plus d’une fois à reprendre haleine ; on dirait qu’on est avec lui dans le flux et le reflux de la mêlée. […] C’est à un Français transfuge (nouveau coup de fortune !) […] [1re éd.] et disoient qu’en lui il y avoit et y auroit encore un gentil seigneur dans l’avenir s’il pouvoit longuement durer et vivre, et en cette fortune persévérer
Mais il en veut aux grands, de mettre la fortune à ce prix. […] Sa peinture de l’homme est juste, un peu banale ; c’est l’homme de Montaigne, de La Rochefoucauld et de Pascal : égoïste, léger, inconstant, toujours en deçà et au-delà du vrai, prenant pour raison sa fantaisie, son habitude et son intérêt, incapable d’un sentiment profond et durable, plus capable d’un grand effort d’un instant que d’une vertu moyenne et constante, allant aux belles actions par vanité, ou par fortune, soumis à la mode dans ses mœurs, dans ses idées comme dans son vêtement. […] Ce caractère se découvre dans l’affaire du quiétisme, qui fut l’écueil de sa fortune et de son ambition. […] Il avait d’autant plus sur le cœur son humiliation, que sa fortune avait sombré dans cette affaire de quiétisme. […] Des biens de fortune : « Arfure cheminait seule », etc. : le trait final, et le curé l’emporte, est entièrement objectif.
Il est devenu, depuis, un ingénieur distingué ; sa réputation est lancée et sa fortune est à moitié faite. […] Elle fait sauter les fortunes et tourner les têtes. […] Le prince, devenu roi, adorait sa fille, mais il mourut subitement, sans avoir eu le temps de lui assurer une fortune. […] Lionnette est le gouffre, charmant et terrible, qui a englouti cette fortune. […] Je ne me récrie point sur cette fortune : on en voit de pareilles dans la finance féerique d’aujourd’hui.
On ne craindrait nullement de conserver, dans la traduction de cette ode grecque il la Fortune, l’image des vicissitudes que voyait t’œil du poëte, et de porter dans l’expression cette alternative de haut et de bas qui fait le sujet même. La voix, dont les hardis préludes chantant, il y a plus d’un quart de siècle, la grandeur du conquérant de l’Europe en cellule il Sainte-Hélène, célébraient cet aigle qui, abattu et captif, Manque d’air dans la cage, où l’exposent les rois ; cette voix, aujourd’hui proscrite par un contrebas de la fortune, ne serait pas embarrassée pour rendre l’expression littérale et l’accent même du poëte thébain, pour nommer l’oiseau domestique, non moins que sa cage ; et, sans avoir besoin de l’aigle, personnage noble en tout temps, elle dirait ce coq guerroyant au logis (ἐνδομάχης), dont s’effrayait le bon abbé Massieu. […] « Je t’en supplie, fille de Jupiter libérateur, veille autour (le la puissante Himère, Fortune préservatrice. […] Noble Aglaé, Euphrosine qui te plais aux mélodies, soyez aujourd’hui propices : et toi aussi, Thalie, amoureuse du chant, vois cette fête s’avancer, sons une heureuse fortune. […] malgré toutes ces oppositions de fortune et de pensée, un trait dominant, le style, cette physionomie de l’âme, rapproche tellement ces deux hommes qu’une page de l’évêque de Meaux est le plus fidèle crayon du poëte olympique, et que la prose française de Bossuet, quand il est sublime, est ce qui ressemble le plus à la poésie grecque de Pindare.
Quoi qu’il en soit, ç’a été là l’écueil de ma fortune et ce qui m’attira la persécution de Louvois, qui me contraignit enfin de quitter le service. […] Il est évident qu’il ne croit pas à la liberté dans le sens philosophique du mot ; il explique toute la diversité qu’on voit dans les pensées et par conséquent dans la vie des hommes, indépendamment des divers âges du monde et des états ou degrés de civilisation où ils naissent, par le tempérament, la fortune et l’habitude ; et il en vient ainsi, d’une manière un peu couverte, à exposer ce que nous appellerions sa philosophie de l’histoire. […] Appliquant cette idée aux dernières époques historiques, il montre que le xvie siècle, par exemple, fut un siècle de troubles et de divisions, d’abaissement de l’autorité royale et de rébellions à main armée, tellement que ces guerres et rivalités de princes et de grands seigneurs sous forme de religion étaient devenues le régime presque habituel : Comme il y avait beaucoup de chemins différents pour la fortune, et des moyens de se faire valoir, l’esprit et la hardiesse personnelle furent d’un grand usage, et il fut permis d’avoir le cœur haut et de le sentir. […] Il se fit là tout d’un coup comme un réveil de la licence, des intrigues et de l’émancipation en tous sens qui s’était vue au xvie siècle ; toutes les imaginations, toutes les ambitions étaient en campagne : Il est aisé de comprendre, nous dit La Fare, comme quoi chacun alors par son industrie pouvait contribuer à sa fortune et à celle des autres : aussi les gens que j’ai connus, restés de ce temps-là, étaient la plupart d’une ambition qui se montrait à leur première vue, ardents à entrer dans les intrigues, artificieux dans leurs discours, et tout cela avec de l’esprit et du courage. […] Il était capitaine des gardes de M. le duc d’Orléans, après l’avoir été de Monsieur, et croyait avec raison avoir fait une grande fortune.
Il avait donc voulu ne sortir de la scène que sur un retour de fortune et après s’être montré encore une fois chef d’armée et capitaine. […] Après donc avoir donné ses soins à réparer ses affaires, à les régler une dernière fois et à les remettre sur un pied suffisant, il se retirait en prudent et en sage sur un dernier bon semblant de fortune, sur un succès modeste, sans pousser plus avant les chances, sans trop demander au sort, et, sans se soucier d’ailleurs des discours et propos, mêlés de sourire, qu’en tiendraient immanquablement entre eux les ennemis et les jaloux. Car il savait bien qu’on imputerait, malgré tout, sa résolution à faiblesse, et que tous ses succès anciens, éclipsés pour un temps, seraient méconnus,, attribués uniquement et comme jetés à la fortune. […] Un ambassadeur vénitien écrivait peu après, en terminant une dépêche où il résumait tout le règne et le caractère de Charles-Quint : « Mais la fuite d’Inspruck, le mauvais succès de l’entreprise de Metz ont traversé le cours de cette gloire et sont venus remettre en mémoire les autres mauvais succès, comme ceux de Provence, d’Alger et de Castelnuovo ; la trêve désavantageuse conclue avec Sa Majesté très chrétienne, la renonciation aux États, le départ pour l’Espagne et l’entrée dans un monastère, tout cela lui a fait perdre presque toute sa réputation, je dis presque toute, parce qu’il lui en reste autant qu’il reste d’impulsion à une galère qui a été fortement poussée par les rames et le vent, et qui, l’un et l’autre cessant, fait pourtant encore un peu de chemin ; chacun concluant de là que c’est par le souffle favorable de la fortune qu’a été guidé l’immense navire des États, royaumes et pires de Sa Majesté. » Mais, patience ! […] Mignet, « ce grand homme, qui savait commander à ses passions, ne savait pas contenir ses appétits ; il était maître de son âme dans les diverses extrémités de la fortune, il ne l’était pas de son estomac à table ».
Le sujet traité par M. d’Alton-Shée n’est autre que celui du séducteur marié, ou plutôt de l’homme à bonnes fortunes et du libertin marié (car le mot de séducteur a une acception un peu plus particulière) ; un tel sujet, sous un de ses aspects ou sous un autre, n’a pu manquer de venir plus d’une fois à la pensée des auteurs dramatiques, et l’on pourait dresser, en effet, une assez longue liste de pièces dont les titres sont plus ou moins dans ce sens. Pour peu qu’on cherche ou qu’on interroge, on trouve une comédie d’Imbert, une autre du marquis de Bièvre, toutes deux restées, comme on dit, au répertoire ; le Mari à bonnes fortunes n’est pas oublié ; quantité surtout de jolis vaudevilles, hier encore en vogue, viennent se présenter à l’esprit : le Réveil du lion, la Deuxième année, un Mari qui se dérange… Mais, à prendre le sujet dans sa largeur et sa simplicité, à se figurer Lovelace, don Juan ou le comte Almaviva mariés, il me semble que deux idées s’offrent d’abord : la première, si l’on veut, et la plus naturelle, c’est celle du fat et du libertin puni. […] malgré la vraisemblance apparente, il en est rarement ainsi ; la réalité dément la conjecture : ces fats célèbres, ces hommes à bonnes fortunes, une fois mariés, — à commencer par ce libertin d’Ovide, — trouvent le plus souvent des femmes sages, dociles, modestes, des modèles de mérite et de vertu, qui les adorent et dont ils sont sûrs. […] Son personnage principal, le duc Pompée-Henri de Joyeuse, un lion à la mode, beau, aimable, doué de tous les talents, un ténor et un virtuose comme on en a connu, — comme un Mario ou un Belgiojoso, — arrivé à l’âge de quarante ans, cette extrême limite de la jeunesse, à bout de ressources et de désordres, tout à fait ruiné, est appelé en Allemagne par un ancien ami de sa famille, un ami de sa mère, le comte Herman qui, en mourant, l’adopte et lui laisse par testament son immense fortune, à la condition de prendre son nom et de séjourner en Allemagne au moins une année. […] Cette divine cantatrice n’est autre que l’élève, la fille chérie, la création, l’esclave, la maîtresse (comme vous voudrez l’appeler) du duc Pompée qui, au temps de ses triomphes désordonnés et de sa gloire, lui avait donné son nom, procuré une fortune, et qui l’a laissée dans la douleur en s’éclipsant… Enfin elle a fait son deuil et elle rentre… La conversation s’engage alors forcément sur ce duc Pompée, ce mystérieux élégant si soudainement disparu : M. de Noirmont ne dit que ce qu’il en faut pour satisfaire à la curiosité des personnes présentes qui ne soupçonnent pas Pompée dans le comte Herman.
Je vous vois parcourir le vaste miroir des siécles écoulés, examiner les ressorts qui changent la face des Empires, pénétrer le jeu rapide des révolutions de la Fortune, percer les intrigues de l’Ambition, par les événemens passés prédire les événemens futurs, alors tout sert à vous affermir dans vos heureux principes ; vous les jugez, ces foibles humains, vous les jugez sans passion, vous les voyez tels qu’ils sont, composés de grandeur & de foiblesse, de vertus et de vices, mais qui doivent peut-être leurs crimes non à la Nature, qui a caché dans leurs cœurs le doux sentiment de la pitié, principe des vertus, mais à la Tyrannie, à l’affreuse Tyrannie, qui aggravant sur leur tête un joug humiliant les a fait gémir, haïr, détester leur existence & les a forcés d’être méchans en les rendant malheureux. […] Entouré des génies les plus rares, c’est à eux qu’il rend son hommage, & non aux idoles de la Fortune. […] Inhabile à flatter, incapable d’offrir à la Fortune le sacrifice de ses pensées, il renonce à ces places où il faut adopter un esprit de corps, c’est à-dire de cupidité, & c’est ici le vrai triomphe de l’homme de Lettres. […] On veut dire que quiconque a rampé pour l’interet de sa fortune n’a rien à prétendre à la gloire.
La marche d’une telle fortune m’a paru digne d’être étudiée. […] Petite-fille d’Agrippa d’Aubigné, gentilhomme français, compagnon et familier de Henri IV, mais dénuée de toute fortune, son nom lui ouvrit les meilleures maisons : devenue veuve, sans parents, ce n’était pas assez de son nom pour s’y soutenir au rang que son nom lui marquait ; il fallait y être aimable. […] C’est à ce prix qu’était la considération pour elle, cette considération qui, dans le monde, devait lui tenir lieu de la fortune si nécessaire pour en concilier un peu aux gens sans mérite, cette considération qui sans doute ne met pas absolument au-dessus du besoin, mais du moins aide puissamment à en sortir, en fait toujours sortir sans déshonneur, parce qu’elle intéresse l’honneur même d’un grand nombre de nobles amis à préserver de tout avilissement l’objet de leur affection et de leur estime. Le secret de la prodigieuse fortune à laquelle s’éleva madame de Maintenon n’a pas été pénétré par tous ceux qui se sont ingérés de nous l’apprendre ; ce secret n’a pas été, comme tant d’écrivains l’ont supposé, une excessive ambition de richesses, de vains honneurs, de grandeur et de pouvoir, aidée par une dévotion hypocrite, par une intrigue savante et quelques charmes, dont une coquetterie raffinée augmenta l’influence.
Mais pourquoi tout cela, qui lui constitue dans l’Histoire une si haute fortune, ne lui constitue-t-il pas une grandeur ? […] Toutes célèbres à des titres divers, cette cargaison de nièces, venues d’Italie par le coche, étaient et furent les crampons à l’aide desquels l’officier de fortune, devenu cardinal et ministre d’État, entra dans le cœur des plus grandes familles de son temps. […] Il s’agit du duc de la Meilleraie, qui épousa Hortense Mancini, la plus belle des Mancines, et qui reste connu, dans la splendeur d’un ridicule égale à sa fortune, sous le nom de duc de Mazarin. […] Grâce à cette manière d’administrer, il se débarrassa en partie de cette immense fortune dont sa conscience était accablée. » Une telle page, que nous n’avons pas voulu mutiler et qui n’est pas la seule (il y en a plus de sept dans ces sept nièces de Mazarin !)
Là était la gloire, la renommée, la fortune, l’enivrement poétique ! […] Maître Jean Monteil suivait d’un regard indigné ces jeux sanglants de la fortune insolente. […] Pas un de ses parents qui n’eût sa part dans cette fortune. […] tu le vois, notre fortune avance ; il faut te déclarer, mon enfant. — Demain, mon père, oui, demain ! […] Il y en avait pour toutes les fortunes, pour toutes les imaginations, pour tous les esprits.
« Les présents de la fortune ? […] « 0 fortune ! […] « 0 fortune ! […] « 0 fortune ! […] Il a fait une fortune immense à des commerçants ; il n’a pas fait la sienne, parce qu’en toute circonstance la fortune est la chose à laquelle il a le moins pensé.
Il y fut froidement reçu par sa belle-mère ; il reprit la route de Paris en 1761, n’ayant pour toute fortune que 120 francs d’argent et une somme à peu près égale en un billet de la loterie de Saint-Sulpice. […] » Cette dernière proposition satisfaisait à tout ; M. de Saint-Pierre l’accepta avec reconnaissance: c’était un premier pas vers la fortune, et il commençait à concevoir que la fortune ne lui serait point inutile pour accomplir ses grands projets. […] Cependant, chaque jour, je priais Dieu pour vous, et je lui demandais de vous revoir avant de mourir. — Bonne Marie, je n’ai pas fait fortune, mais j’ai toujours eu le désir de vous faire du bien […] En attendant, il céda à sa sœur plusieurs petites rentes sur son patrimoine ; et après une semaine, dont tous les moments lui furent consacrés, il revint tristement chercher fortune à Paris. […] Elle me disait quelquefois: « Si je venais à mourir, que deviendrait Virginie sans fortune ?
La Providence voulut que les premiers peuples naturellement fiers et féroces trouvassent dans leur croyance religieuse un motif de se soumettre à la force, et qu’incapables encore de raison, ils jugeassent du droit par le succès, de la raison par la fortune ; c’était pour prévoir les événements que la fortune amènerait qu’ils employaient la divination.
Comment avait-il perdu sa fortune ? […] Sa tabatière, également en or, contenait un médaillon plein de cheveux qui le rendaient en apparence coupable de quelques bonnes fortunes. […] Certes elle se croyait, sous le rapport de la fortune, un parti sortable. « Quant au reste, je vaux bien le bonhomme ! […] Son père, sa mère, ses deux frères, ses deux sœurs, et une tante dont la fortune consistait en pensions, vivaient sur la petite terre de Rastignac. […] D’ailleurs, sa fortune n’étant connue qu’au moment où il n’y avait plus de danger à être riche, il n’excita l’envie de personne.
C’est la même gravité monacale, la même indifférence de tout, excepté de l’autorité et de la justice, la même prudence supérieure, et, dans la manière de gouverner comme dans la manière de porter sa robe, la même rigidité dans l’ampleur, investi d’une plus longue faveur, Ximénès monta lentement tous les degrés de sa fortune, s’asseyant à chaque marche de son élévation dans cette attitude monumentale qui n’eut sa véritable perspective que quand il fut arrivé au faite. D’abord confesseur de la reine Isabelle, ensuite archevêque de Tolède, puis cardinal et grand inquisiteur de Castille et de Léon, enfin ministre et régent d’Espagne, sous les différentes pourpres du commandement qu’il revêtit avec tant de magnificence, l’humble sandale du Franciscain se retrouva toujours… Richelieu, auquel le docteur Hefele la comparé dans un parallèle très substantiel et très détaillé, est principalement gentilhomme et grand seigneur, — Mazarin est un habile et séduisant officier de fortune, — mais Ximénès est un moine qui entend le gouvernement des hommes parce qu’il le regarde du point de vue de Dieu. […] À dater de ce moment, Ximénès monta dans cette haute et constante fortune dont aucun échelon ne se brisa sous son pied.
La fortune superbe, En naissant, me fit don de sa plus belle gerbe. […] Enfin, lorsque ma vie aux choses fut ouverte, Quand vint l’ambition dans la maturité, La fortune toujours se tint de mon côté. […] Mais tout cela, mon père, a fatigué mon âme Sans l’user, — tout cela, amour, jeunesse et femme, La gloire du Sénat, celle des bataillons, Et le peuple en drap d’or, et le peuple en haillons, Tout cela m’a bientôt paru fortune aride ; En le voyant de près, j’en ai trouvé le vide, Et, déchirant ma robe au fer de mes talons, J’ai porté mes regards vers de plus hauts jalons !
Son mérite fut d’avoir la passion des lettres et des antiquités, comme d’autres ont l’ambition de la fortune ou des grandeurs. […] Sa bibliothèque, dans un temps où il y en avait peu, et où les livres n’étaient pas encore un luxe, fut ouverte à tous ceux qui voulaient s’instruire ; et il communiquait non seulement ses livres et ses lumières, mais sa fortune. […] Ce serait un exemple à présenter, je ne dis pas seulement aux princes, mais à une foule de citoyens qui, embarrassés de leur opulence, prodiguent leurs richesses en bâtiments, en luxe, en chevaux, en superfluités aussi éclatantes que ruineuses, transportent des terres, aplanissent des montagnes, font remonter des eaux, tourmentent la nature, construisent pour abattre, et abattent pour reconstruire, se corrompent et corrompent une nation, achètent avec des millions des plaisirs de quelques mois, et dans quelques années échangent leur fortune contre de la pauvreté, des ridicules et de la honte.
Lavallée a été naturellement amené à rechercher les origines et les fortunes diverses de cette maison ; il a trouvé à Versailles, soit dans la bibliothèque du séminaire, soit aux archives de la préfecture, un grand nombre de recueils et de pièces originales qui permettent d’établir le récit le plus détaillé avec certitude. […] Cette idée de secourir les demoiselles pauvres pour les préserver des dangers où elle-même avait passé, fut chez elle très ancienne, très naturelle ; elle l’envisageait comme une dette et comme une rançon, devant Dieu, de sa grande fortune. […] Cet idéal était patriotique et chrétien tout ensemble : un jour, dans un entretien dont les termes ont été recueillis par ses pieuses élèves, et après leur avoir parlé de tout ce qu’il y avait eu de peu médité et de non prévu dans sa grande fortune à la Cour, elle a dit avec un élan et un feu qu’on n’attendrait pas de sa part, mais qu’elle avait dès qu’elle en venait au sujet chéri : Il en est de cela comme de Saint-Cyr, qui est devenu insensiblement ce que vous le voyez aujourd’hui. […] Et quant au célibat auquel trop de jeunes filles, en sortant, pouvaient être condamnées faute de dot et de fortune (car « ce qui me manque surtout, disait-elle agréablement, ce sont des gendres »), elle y voyait également un état triste. […] Elle y était respectée, chérie, écoutée ; absente, ses lettres lues à la récréation faisaient l’orgueil de celle qui les avait reçues et la joie de toutes ; présente, on se concertait pour éveiller ses souvenirs, pour la ramener sur ses débuts et sur les incidents singuliers de sa fortune, pour la faire parler d’elle-même, ce sujet qui nous est toujours si reposant et si doux.
Gardons-nous d’oublier que ceux qui n’ont pas réussi ont contre eux bien des apparences et des commencements équivoques qui auraient un tout autre air moyennant une autre issue : un rayon de soleil tombant à propos change bien les aspects. « Mais pour ce que les histoires, dit quelque part Rohan, ne se font que par les victorieux, nous ne voyons ordinairement d’estimes que les enfants de la fortune. » Tout cela est vrai ; et toutefois c’est bien Richelieu qui dans cette lutte a raison, et qui a la conscience de la grande cause qu’il sert, de la noble monarchie qu’il continue, et de la France incomparable qu’il achève. […] Il n’osa toutefois assumer la responsabilité d’un refus, et il se mit de la partie avec ce même sentiment de la difficulté et de la non-réussite qui constitue son étoile : « Je considérais quel fardeau je prenais sur mes épaules pour la troisième fois ; je me ramentevais l’inconstance de nos peuples, l’infidélité des principaux d’iceux, les partis formés que le roi avait dans toutes nos communautés, l’indigence de la campagne, l’avarice des villes, et surtout l’irréligion de tous. » Par irréligion il faut simplement entendre l’affaiblissement de ce principe religieux exalté qui ne s’était vu qu’au xvie siècle et qui poussait à tous les sacrifices de vie et de fortune pour la foi, affaiblissement qui tenait déjà de l’esprit moderne, et un vertu duquel beaucoup d’estimables réformés préféraient le commerce à la guerre ; Ce n’était pas le compte de Rohan ni des chefs féodaux. […] L’heure était décisive en effet pour la fortune même et pour la grandeur de Richelieu. […] La constance, l’opiniâtreté, la foi intrépide de Richelieu dans son bon conseil et dans la fortune de la France, triomphèrent de tout, même des éléments. […] C’est bien celle qui ne s’accommodait même pas de Henri IV comme roi, et qui résistait sous son règne à la fortune qu’il voulait faire à son fils46.
Son instinct supérieur lui faisait dès ce moment entrevoir les combinaisons qui pourraient lui ouvrir le chemin de la fortune et du pouvoir. […] Marmont, à ce moment, est lié à toutes les vicissitudes de la fortune naissante de Bonaparte. […] Dans le beau portrait qu’il a tracé d’un général qui remplit toutes les conditions du commandement, il n’oublie pas celle-ci : « Un général doit être aussi magnifique que sa fortune le lui permet. » Ce n’est pas mon fait ici de suivre pas à pas Marmont dans tous les degrés de sa carrière. […] Il le citera toujours ensuite comme un exemple de ces généraux plus heureux qu’habiles, et qui ont eu pour eux la fortune sans la mériter. […] C’est ce qu’on vit au passage du Duero (16 juillet 1812) ; le duc de Wellington rendait hommage à cette marche offensive, mais prudente, qu’il ne put prévenir ni contrarier : « L’armée française, disait-il, marchait en ce moment comme un seul régiment. » Mais, peu de jours après, la fortune tournait, et trahissait l’habileté même.
Quelle loterie des carrières, des fortunes et des noms à la sortie ; ça a quelque chose de semblable aux fusées des bouquets de feux d’artifice, qui, parties ensemble, crèvent presque aussitôt, ou montent, en volant, jusqu’au haut du ciel. […] Curieux détails sur les savants Y… et Z…, sur ces Germains qui ne sont pas plus savants que d’autres, mais que la mode du germanisme dans le monde actuel de la science, a poussés à des fortunes ironiques. […] * * * — Un insolent mot de la Païva, un mot comme grisé par la Fortune : « Moi, tous mes désirs sont venus à mes pieds, comme des chiens couchants ! […] Mon père, mes sœurs, mes enfants, j’ai fait vivre tout ça… Ma fortune, ce n’est pas pour faire le piteux avec vous, vous comprenez ? […] Après l’achat de cette maison de près de cent mille francs, cette maison, si déraisonnable au point de vue de la raison bourgeoise devant notre petite fortune, nous offrons deux mille francs, un prix dépassant le prix d’un caprice de l’Empereur ou de Rothschild, pour un monstre japonais, un bronze fascinatoire, que je ne sais quoi nous dit que nous devons posséder.
Le Portugais, dont la langue a toutes les magnificences de l’espagnol sans en avoir les défauts, a la supériorité dans l’aventure et dans l’audace ; il a joué sa fortune sur toutes les vagues de l’Océan. […] Ne faut-il pas que toutes les mauvaises fortunes aient leur Némésis ? […] Évitant des grandeurs la présence importune, Je ne vais point au Louvre adorer la fortune. […] … est une image interrompue qui emporte l’avare et le lecteur jusqu’aux extrémités de l’Océan, à la fortune ou à la mort. […] Qu’à son gré désormais la Fortune me joue ; On me verra dormir au branle de sa roue !
Cervantes le suivit à Rome et fit partie de sa maison en qualité de chambellan ou valet de chambre ; mais cet état de domesticité, réputé honorable, paraît lui avoir peu convenu, et, au lieu de pousser sa fortune près de son patron, de devenir signor abbate et le reste, on le voit bientôt engagé soldat au service de la ligue conclue entre le pape, Philippe II et les Vénitiens, dans cette espèce de sainte croisade commandée par Don Juan d’Autriche contre les Turcs. […] C’était une demoiselle de bonne famille, mais de peu de fortune, qui habitait Esquivias près de Madrid. […] Sa vie littéraire commence à ce moment ; il avait trente-sept ans ; marié, sans fortune, homme d’imagination, n’ayant gagné à sa première vie militaire que de l’estime et des blessures, il se dit, après son début de Galatée, qu’il y avait à faire de belles choses dans les lettres, et particulièrement à entreprendre pour le théâtre qui était resté comme dans l’enfance. […] En 1590, découragé apparemment ou bien tenté par la fortune, il eut l’idée de s’expatrier et adressa au roi une requête pour obtenir quelque place en Amérique, dans cette contrée qu’il appelle quelque part « le pis aller et le refuge des désespérés d’Espagne. » Il énumérait à l’appui de sa requête ses longs services, ses aventures, ses souffrances en Alger ; et cet ensemble de pièces et d’attestations, longtemps enseveli dans des archives, est devenu un document inappréciable pour ses biographes.
Il était au cercle de Mme du Barry : les habitués y racontaient tout haut leurs bonnes fortunes ; le jeune abbé de vingt ans, très-élégant sous son petit collet « avec une figure qui sans être belle était singulièrement attrayante et une physionomie tout à la fois douce, impudente et spirituelle », gardait le silence : « Et vous, vous ne dites rien, monsieur l’abbé ? […] Jugeant les hommes avec indulgence, les événements avec sang-froid, il a cette modération, le vrai caractère du sage… « Amène ne songe pas à élever en un jour l’édifice d’une grande réputation ; parvenue à un haut degré, elle va toujours en décroissant, et sa chute entraîne le bonheur, la paix ; mais il arrivera à tout, parce qu’il saisira les occasions qui s’offrent en foule à celui qui ne violente pas la fortune. […] Avec le même fonds intérieur, il dut y avoir des différences ; l’intérêt l’aiguillonnait : il n’était pas tout à fait le même homme avant sa fortune faite qu’après. […] Je ne l’aimai jamais, et je me reproche d’autant plus de n’avoir pas assez résisté à cette séduction ; je me blâme comme particulier, et encore plus comme législateur, qui croit que les vertus de la liberté sont aussi sévères que ses principes, qu’un peuple régénéré doit reconquérir toute la sévérité de la morale, et que la surveillance de l’Assemblée Nationale doit se porter sur ces excès nuisibles à la société en ce qu’ils contribuent à cette inégalité de fortune que les lois doivent tâcher de prévenir par tous les moyens qui ne blessent pas l’éternel fondement de la justice sociale, le respect de la propriété.
Il avoit toutes les prétentions ; celles de la plus haute naissance, du génie, de la figure, du courage, de l’homme à bonnes fortunes. […] La fortune le trahit encore dans une autre occasion ; il perdit une pension de deux mille livres qu’il avoit de la cour, & fut mis à la Bastille pour s’être diverti sur le compte des RR. […] Ce fut une fortune pour lui d’être d’abord avocat, ensuite d’épouser la veuve d’un de ses cliens, fort riche. […] Le patissier, en très-peu de temps, acquit une si grande réputation qu’elle fit sa fortune.
On peut dater de Law ce grand essor des entreprises, du négoce, de la spéculation et des fortunes ; arrêté par la guerre, il reprend plus vif et plus fort à chaque intervalle de paix, après le traité d’Aix-la-Chapelle en 1748, après le traité de Paris en 1763, et surtout à partir du règne de Louis XVI. […] Sur les bénéfices s’élèvent beaucoup de grandes fortunes, encore plus de fortunes moyennes, et les capitaux ainsi formés cherchent un emploi. — Justement, voici que les plus nobles mains du royaume s’étendent pour les recevoir, nobles, princes du sang, états provinciaux, assemblées du clergé, au premier rang le roi, qui, étant le plus besogneux de tous, emprunte à dix pour cent et est toujours en quête de nouveaux prêteurs. […] Défiance et colère à l’endroit du gouvernement qui compromet toutes les fortunes, rancune et hostilité contre la noblesse qui barre tous les chemins, voilà donc les sentiments qui grandissent dans la classe moyenne par le seul progrès de sa richesse et de sa culture Sur cette matière ainsi disposée, on devine quel sera l’effet de la philosophie nouvelle. […] « Un jour593 que l’on parlait devant le ministre de la guerre d’un officier général parvenu à ce grade par son mérite : Ah oui, dit le ministre, officier général de fortune ! […] Et, pour achever de rendre cette noblesse respectable, elle se recrute et se régénère par l’adoption de ces hommes qui ont accru leur fortune en dépouillant la cabane du pauvre hors d’état de payer ses impositions596. » — « Pourquoi le Tiers, dit Siéyès, ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérants et de succéder à des droits de conquête597 ?
Grâce à lui, ils ouvrent devant le public, éternellement ébloui par un certain état de maison qu’il croit être le bonheur, des perspectives de vie fastueuse, ou large, ou même ruinée, fortune présente, fortune passée, peu importe, puisque l’or a ruisselé devant ceux qui le connaissent à peine. […] C’est que la race alliée à la fortune crée des êtres plus complexes, des êtres de sentiment et de plaisir et, par conséquent, de souffrance. […] Ce sont des hommes qui ont parfois gagné leur fortune au lieu de la recevoir, mais ils la dépensent à peu près de même. […] Tous les états de fortune relèvent de lui ; tous les hommes sont bénéficiaires de l’effort. […] Le directeur d’un grand magasin lui fait offrir six cents francs, plus de sept mille francs par an, — la fortune pour elle, — si elle veut venir diriger son rayon de modes.
Madame de Montespan elle-même, malgré le plaisir qu’elle avait trouvé autrefois dans ces conversations, les tourna après en ridicule pour divertir le roi63. » Il était fort naturel sans doute qu’à la cour, où tant d’intrigues étaient toujours en action, soit pour la galanterie ou pour la fortune, on regardât comme oisifs les gens qui faisaient les plaisir de la conversation, et que le roi et madame de Montespan, dans les ébats d’un double adultère, eussent besoin de donner un nom ridicule aux personnes spirituelles de mœurs régulières et décentes. […] Cependant, on voit par une multitude de lettres adressées par le duc de La Rochefoucauld à madame de Sablé, dans le temps qu’il complétait, corrigeait, soumettait à la critique les Maximes qu’il a publiées en 1665, que madame de Sablé les jugeait, et les modifiait très judicieusement ; on voit de plus qu’elle les soumettait au jugement d’autres femmes célèbres, de ses amies, notamment à la maréchale de Schomberg, Marie d’Hautefort, alors âgée d’environ 49 ans, anciennement l’objet de cette passion religieuse de Louis XIII, qui a été tant célébrée, et à son amie la comtesse de Maure ; qu’elle rédigeait elle-même des maximes, ou, pour parler plus exactement, des observations sur la société et sur le cœur humain, observations dont il paraît que le recueil de La Rochefoucauld renferme quelques-unes ; et enfin que cette dame avait de la fortune, une bonne maison, une excellente table, citée alors pour son élégante propreté ; qu’elle donnait des dîners dans la maison qu’elle occupait à Auteuil ; et que le duc de La Rochefoucauld allait souvent l’y voir. […] Son mari était Antoine Rambouillet, fils d’un financier, qui n’avait de commun avec les d’Angennes, marquis de Rambouillet, qu’une grande fortune, amassée dans les affaires du domaine, et dont il dépensa une partie à construire une maison dite la Folie de Rambouillet, sur le terrain de Reuilly, autrefois séparé du faubourg Saint-Antoine, et dont il ne subsiste plus que la porte d’entrée.
L’un en lin était un parasite honnête, une fourchette suppliante, l’autre était un Mauvais Garçon, un Ribaud, et sa fourchette était le croc menaçant qui enlevait la fortune du pot, quand le pot avait une fortune ! C’était là toute la sienne, fortune traîtresse, à laquelle il se lia trop puisqu’elle ne lui rapporta jamais que misère, anxiété, angoisse, mépris public, infamie, je ne sais combien de mois de torture et deux condamnations à mort !
ce mot affreux, antilittéraire, antimilitaire, anti-marin, anti-savant, anti-toutes choses, et qui est le caractère cherché et voulu des livres actuels pour qu’ils fassent fortune, — et je dis fortune, au point de vue commercial de l’écoulement. […] Son oncle, capitaine de vaisseau, en le voyant arriver sur son bord, avait dit en haussant les épaules de pitié : « À la première action, un boulet lui emportera la tête, et c’est toute la fortune qu’il peut espérer !
ce mot affreux, antilittéraire, antimilitaire, anti-marin, anti-savant, anti-toutes choses, et qui est le caractère cherché et voulu des livres actuels pour qu’ils fassent fortune, — et je dis fortune au point de vue commercial de l’écoulement. […] Son oncle, capitaine de vaisseau, en le voyant arriver sur son bord, avait dit, en haussant les épaules de pitié : « À la première action, un boulet lui emportera la tête, et c’est toute la fortune qu’il peut espérer !
Tant qu’il ne s’agissait que du renversement des fortunes, il en prenait son parti encore plus facilement, et il allait même par instants jusqu’à désirer quelque chose au-delà de ce qu’il voyait : Le bien-être terrestre, disait-il, m’a paru si bien un obstacle au progrès de l’homme, et la démolition de son royaume en ce monde un si grand avantage pour lui, qu’au milieu des gémissements qu’occasionnait le renversement des fortunes pendant la Révolution par une suite de la maladresse et de l’ignorance de nos législateurs, je me suis souvent trouvé tout prêt à prier que ce genre de désordres s’augmentât encore, afin de faire sentir à l’homme la nécessité de s’appuyer sur son véritable soutien dans tous les genres. Dans cette disposition où il se trouvait quelquefois de prier le ciel pour que les maux de fortune allassent encore plus loin, il était néanmoins obligé de convenir que la Convention, par certains de ses décrets (notamment par son décret final sur la contribution de guerre), lui laissait bien peu à désirer, et qu’elle agissait exactement comme si elle eût voulu combler ses intentions et ses souhaits d’un dépouillement absolu de chacun54. […] [NdA] En matière de propriété, Saint-Martin avait une doctrine très large et qui ne diffère guère de celles que nous avons vu professer de nos jours par quelques-unes des écoles socialistes les plus avancées : Quoique ma fortune souffre beaucoup de la Révolution, disait-il, je n’en persiste pas moins dans mon opinion sur les propriétés ; j’y peux comprendre particulièrement les rentes. […] Tous nos profits, tous nos revenus, devraient être le fruit de notre travail et de nos talents ; et ce renversement des fortunes opéré par notre Révolution nous rapproche de cet état naturel et vrai, en forçant tant de monde à mettre en activité leur savoir-faire et leur industrie.
Mais une malheureuse petite fortune à peine commencée, chancelante, ébranlée dans les occasions qui devraient raffermir, l’on se dit : Ne faisons rien qu’à la pluralité des voix ; et l’on ne fait rien qui vaille. Pour nous expliquer toute la vérité sur Villars, sans lui faire injure, et pour nous expliquer en même temps le jugement indigné de Saint-Simon sans faire à ce dernier trop de tort, nous n’avons qu’à nous figurer (ce qui arrivait en effet) Villars dans quelque retour à Versailles, Villars déjà comblé et se présentant comme à moitié délaissé et déçu, parlant avec ostentation de sa malheureuse petite fortune à peine commencée, et de son peu de faveur en Cour, disant tout haut qu’il voyait bien que c’était une des maximes favorites des rois qu’on retient plus les hommes par l’espérance que par la reconnaissance, qu’ils font espérer beaucoup et accordent peu, et donnant par là à entendre qu’à lui, on lui promettait plus qu’on ne tenait. Saint-Simon, présent à de telles paroles, et qui avec son œil de lynx lisait dans tous les plis de cet amour-propre avantageux et content de soi, content de se déployer au soleil, ne se sentait pas de colère : « Je laisse à penser, écrit-il, en une circonstance pareille, comment ce mot fut reçu venant d’un compagnon de sa sorte, élevé et comblé au point où il se trouvait. » Je doute cependant que l’éloquent duc et pair ait éclaté devant Villars, mais il rentrait chez lui outré, grinçant des dents, la tête fumante, et il couchait sur le papier toutes ses indignations contre cet homme « le plus complètement et le plus constamment heureux de tous les millions d’hommes nés sous le long règne de Louis XIV », et qui prétendait se donner comme heureux en effet sans doute, mais comme n’ayant pas atteint à toute sa fortune. […] Il ne se cachait nullement de ses profits ni de la source, et dans un compte de sa fortune qu’il adressa au roi en 1705 sans qu’on le lui demandât, il faisait monter le produit des sauvegardes dans l’empire à deux cent dix mille livres. — Il est plus agréable de se reporter sur ses grandes qualités de capitaine, et lui-même il est le premier à nous y convier et à nous avertir que c’est là le côté principal par lequel il convient de considérer surtout un homme de son métier, lorsqu’écrivant à l’un de ses amis pendant cette campagne du Danube, il dit avec une vive justesse : Mais à propos (il venait de citer le nom de M. de Feuquières), pourquoi ne s’en sert-on pas, de ce Feuquières ? […] Lui aussi, tout le prouve, il eût pu être à son heure un utile pacificateur dans nos Vendées : Il insistait auprès de Chamillart et du roi pour être employé d’une manière conforme à ses talents et à son ardeur : « Je vous avoue, écrivait-il au ministre, que l’amour-propre voudrait quelquefois qu’on ne trouvât pas tous les hommes égaux. » Faute de mieux, dans cet intervalle de campagne, il imagina un moyen de signaler son dévouement et sa reconnaissance, sous prétexte qu’il venait d’être nommé chevalier de l’Ordre : « En réfléchissant, dit-il, à ces bontés du roi et à l’état du royaume, calculant aussi mes revenus et comptant avec moi-même, je crus pouvoir faire une proposition dont l’acceptation m’aurait comblé de joie. » En conséquence, il envoie l’état de sa fortune à Chamillart, et le supplie d’obtenir du roi qu’il veuille accepter en don la somme totale de ses revenus personnels et pensions, le tout montant à soixante-et-onze mille livres par an, et cela jusqu’à la paix générale, se devant contenter, pour ses dépenses, de son traitement annuel comme commandant d’armée.
Lorsque je rentre chez moi, je compare naturellement mon état avec tout ce qui m’environne, et je vois que je ne suis rien et qu’il faudra bientôt renoncer à tout cela ; un ami solide et accrédité conviendrait mieux à mon caractère et à ma fortune ; je l’aurai trouvé en vous si votre amitié s’acquiert par de l’amitié. […] Hennin, qui vient d’aider Bernardin de sa bourse, a le droit de lui donner ces bons conseils ; il lui parle le langage d’un esprit juste qui suppose à son correspondant le désir réel de fixer sa fortune et sa destinée. […] Ils étaient venus, il y avait plusieurs années, chercher fortune ; ils avaient quitté leurs parents, leurs amis, leur patrie, pour passer leurs jours dans un lieu sauvage, où l’on ne voyait que la mer et les escarpements affreux du morne Brabant ; mais l’air de contentement et de bonté de cette jeune mère de famille semblait rendre heureux tout ce qui l’approchait. […] Après avoir beaucoup souffert et s’être trouvé si à l’étroit dans cette île qu’il devait immortaliser, Bernardin, revenu en France (mai 1771), se remit à tenter et à fatiguer la fortune. […] Comme il s’en faut bien que ma fortune approche de sa médiocrité d’or, je ne vous donnerai que des fraises et du lait dans des terrines ; mais vous aurez le plaisir d’entendre les rossignols chanter dans les bosquets des Dames-Anglaises, et de voir leurs pensionnaires et leurs jeunes novices folâtrer dans leur jardin.
Smithers vous dira que j’étais décidée à vous laisser toute ma fortune. […] Il court sus à la belle fortune de mistress Hoggarthy, affligé de voir qu’elle rapporte à peine quatre pour cent à mistress Hoggarthy, décidé à doubler le revenu de mistress Hoggarthy. […] La fortune ne peut plus maintenant nous priver de cette joie. […] Pour mesurer sa fortune à son vice, il la conduit triomphante à travers la ruine, la mort ou le désespoir de vingt personnes, et la brise au moment suprême d’une chute aussi horrible que son succès. […] À la dernière page, il l’installe bourgeoisement dans une médiocre fortune escroquée par des manœuvres obscures, et la laisse, décriée, inutilement hypocrite, reléguée dans le demi-monde.
Elle n’avait pas d’enfant de son mari ; cette stérilité menaçait de laisser sans héritier direct l’immense fortune et le nom princier de la maison de Devonshire ; elle résolut, dit-on, de devoir à l’intrigue ce qu’elle ne pouvait obtenir de la nature. […] Les bruits de cette illégitimité parvinrent aux oreilles des véritables héritiers du nom et de la fortune de Devonshire ; on menaça le père, la mère et le fils d’un procès ; les témoignages domestiques abondaient ; des scandales si compliqués auraient fait une explosion déplorable dans l’aristocratie anglaise. […] Voyez-la dans l’impression qu’elle a faite sur la France et sur l’Angleterre au moment où vivait madame Tallien, où resplendissait mon amie Georgina Spencer, où je brillais moi-même d’un éclat emprunté à ma famille, à mon rang, à ma fortune ; où l’Europe avait bien autre chose à faire que de s’arrêter devant une femme de dix-huit ans. […] J’avais été très fier d’y être admis malgré mon obscurité, et j’y portais un véritable culte à ces prestiges de la beauté, du nom, de la fortune, de la vertu, dans une même famille. […] La fortune seule lui avait manqué pour tenir le premier rang parmi les salons littéraires de l’Europe ; elle avait assez de flamme pour illuminer seule dix salons ; elle donnait de l’âme à tout ce qui l’approchait.
On y voit Reynier, officier savant et d’ordinaire peu heureux, ayant en lui je ne sais quel défaut qui paralysait ses excellentes qualités et justifiait cette défaveur de la fortune, « fort possédé du goût d’écrire sur les événements auxquels il assistait, et dissertant sur les opérations qu’on aurait pu entreprendre ». […] Simple, dépourvu d’extérieur, ne cherchant pas à montrer son esprit, qui était pourtant remarquable, négligent même lorsqu’il avait encore toute l’activité de la jeunesse, déjà très dégoûté de la guerre, sacrifiant beaucoup à ses plaisirs, il n’avait pas cette hauteur d’attitude, naturelle ou étudiée, qui impose aux hommes, qui est l’un des talents du commandement, que Napoléon lui-même négligeait quelquefois de se donner, mais qui était suppléée chez lui par le prestige d’un génie prodigieux, d’une gloire éblouissante, d’une fortune sans égale. […] On y admire jusqu’à la fin, surtout dans le chef malheureux, des qualités de bravoure, de sang-froid, de ténacité, auxquelles il n’a manqué que la fortune. […] Je comprends que lorsqu’on a à écrire, non pas seulement quelques pages, mais des volumes tout entiers, et à fournir un long cours de récit, on ne se laisse pas trop aller à ces bonnes fortunes qui tentent, que l’on choisisse de préférence un ton simple, uni, qu’on s’y conforme et qu’on y fasse rentrer le plus possible toutes choses, au risque même de sacrifier et d’éteindre quelques détails émouvants.
Est-ce pour expliquer et motiver aux yeux de ceux qui la liraient la différence de leurs sorts et de leurs fortunes à tous deux ? […] La fortune, dit-elle en commençant, n’est pas aussi aveugle qu’on se l’imagine. […] « Pour rendre ceci plus palpable, j’en ferai le syllogisme suivant : « Les qualités et le caractère seront la majeure ; « La conduite, la mineure ; « La fortune ou l’infortune, la conclusion. […] Peu s’en faut que, par la faute de cette mère, la fortune de Catherine ne se brise dès le premier pas, et qu’on ne les renvoie toutes deux dans leur Allemagne ; mais la jeune fille sait par sa conduite se garantir, et par quelques mots bien placés, par des riens, se séparer des sottises de sa mère.
Ils n’ont pour fortune et pour joie Que les refrains de leurs couplets, L’ombre que la voile déploie, La brise que Dieu leur envoie, Et ce qui tombe des filets ! […] « J’espère que la fortune rougira aussi de son injustice, et vous accordera un sort indépendant et digne de vous. […] « Elle ne vous lègue qu’un nom ; mais que de fortunes voudraient s’échanger contre un pareil titre de noblesse !
Plusieurs personnes l’ont représenté comme naturellement inquiet, capricieux, téméraire, vindicatif, envieux, jaloux des talens, de la fortune & de la réputation des autres. […] Tous les amis de Saurin tremblèrent pour lui : mais il parvint à sauver son honneur & sa fortune, graces au soin qu’il eut de gagner des personnes puissantes & qu’il sçavoit lui être contraires : de faire valoir le contraste de ses mœurs & de celles de son ennemi, de répéter qu’il n’avoit jamais fait qu’une chanson pour une de ses maîtresses. […] A cet âge, où les biens de la fortune sont le plus nécessaires, il ne subsistoit que des secours de quelques amis.
Sous la régence, de nouvelles combinaisons de fortune occupèrent tout. […] Patru, qu’on ne lit plus, avait alors des admirateurs ; c’était la première curiosité d’un peuple étonné de ses richesses, et qui en jouit avec l’empressement que donne une fortune nouvelle : il y a d’ailleurs, comme noua avons vu dans chaque époque, un certain niveau que prennent les esprits, les âmes, les mœurs, la langue, le style même : tout tend vers ce niveau et s’en rapproche. […] L’officier en deviendrait plus grand, le soldat même n’oserait plus se croire avili dans son obscurité ; il saurait que pour aspirer à la renommée, il suffit d’être brave, et qu’elle n’est plus, comme les honneurs, le patrimoine exclusif de celui qui a de la fortune et des aïeux.
Aussi son livre ne fit point fortune. […] Il rougissoit de sa réputation d’auteur, laquelle avoit fait sa fortune & toute sa gloire, l’avoit mis dans les bonnes graces de l’empereur Maximilien, de Henri de Valois, de plusieurs papes, & de beaucoup de cardinaux & princes d’Italie.
Telle est la nature humaine, que l’on considère d’un regard malveillant la récente fortune d’autrui. […] Cependant les généraux d’Othon le conjurent de tenter encore la fortune. […] « Nous nous sommes souvent éprouvés, la fortune et moi. […] « Il y a un repentir et un retour aux pensées qui ne sortent pas de la sphère de la vie privée, et on peut y livrer impunément plus ou moins de soi-même à la fortune ; mais pour ceux qui tendent à l’empire, il n’y a point de milieu entre le faîte et l’abîme ! […] Grands témoignages, conclut l’historien, de l’instabilité des choses humaines, qui mêle et confond les sommets et les précipices de la fortune !
Et comme ce sont moins les vérités générales qui, de leur vivant, font la fortune, même des meilleurs, que le tour d’esprit du moment, qu’une disposition de leur époque qu’ils ont flattée ou subie à leur insu, le moindre risque que nous courions en les imitant, c’est de nous donner des défauts exotiques. […] On ne songe pas assez qu’à la fortune de l’écrit est attaché le repos de l’écrivain, et que, dans la carrière des lettres, les revers de réputation sont plus douloureux que dans toute autre. […] Ce passage de l’Art poétique, caractérise admirablement Ronsard, sa fortune singulière, et sa chute. […] En le portant au baptême, la porteuse le laissa choir ; mais la fortune de la France voulut que ce fût sur des fleurs. […] Ces doutes seraient à sa louange, et c’est ce qui m’y fait croire ; car, quoique rien n’annonçât encore le retour qui allait suivre cette fortune et que Malherbe n’eût pas encore taillé la plume qui devait biffer tout son recueil, Ronsard avait prouvé par plus d’une pièce, et par quelques écrits en prose, qu’il avait assez de talent pour n’être pas toujours content de lui.
Avec vous notre jeune France s’est mise à l’œuvre ; avec vous elle a voulu détruire ces grands monuments littéraires auxquels nous autres auteurs de l’empire avions enchaîné notre gloire et notre fortune. […] Il n’y a jamais cherché la fortune, mais il y poursuivait une renommée pure, légitime : douce chimère qui nous fait oublier l’absence de la richesse, et berce, par l’espoir de n’être pas tout à fait oublié, les derniers ans de notre laborieuse existence ! […] Sans doute ils le pouvaient, en cédant aux conseils des hommes qui, pendant plus de quarante ans, ont contribué à leur fortune par leurs travaux. […] Maintenant que l’expérience doit les avoir détrompés, et qu’il ne leur reste de leurs chimères de fortune que quelques lambeaux de décoration et les vieux habits tout neufs du moyen âge16, ils se rappelleront (car le malheur ramène bien des souvenirs) qu’il existait avant vous des hommes de lettres qui, sans frais, sans dépense, aidés du talent de cinq ou six acteurs et par le seul ascendant de leur esprit et de leur éloquence, contribuaient tout à la fois à la fortune et à la gloire du Théâtre-Français. […] Afin d’éviter le sort qui m’était préparé, et sur l’avis secret du ministre de l’intérieur, qui prenait à moi beaucoup d’intérêt, je passai promptement à l’étranger, où une année d’exil me punit beaucoup trop du tort d’avoir fait un ouvrage moral, intéressant, et qui, selon toutes les probabilités, en faisant la fortune du théâtre, devait augmenter la mienne.
Whom gentler stars unite, and in one fate Their hearts, their fortunes, and their beings blend. […] Heureux et les plus heureux des mortels ceux que la bienfaisante destinée a réunis, et qui confondent dans un même sort leurs cœurs, leurs fortunes et leurs existences. […] Le contentement de l’âme, le repos de la campagne, une fortune qui suffit à l’élégant nécessaire, l’amitié, des livres, la retraite, le travail et le loisir, une vie utile, une vertu progressive et le ciel approbateur !
Vraie devise de la vanité, qui explique pourquoi le précieux a fait deux fois fortune dans notre France, et pourrait y renaître une troisième. […] La démangeaison de se mêler de ce qui se dit et s’écrit, assez semblable aux courages que suscite l’odeur de la poudre, c’est là toute la vocation littéraire de l’amateur, vocation très commune dans un pays où l’on fait fortune par la conversation, et où tant de gens n’apprennent guère que de quoi causer. […] De là cette fortune des phrases contournées, de la précision louche, « de ces riens pesés dans des balances de toile d’araignée20 » ; de là le scandale des réimpressions de Trublet, qui indignaient un critique profond, Grimm, pensant, quarante ans après, au mal qu’aurait pu faire à l’esprit français, qu’il aimait comme le bien du genre humain, le retour du précieux qui se relevait des railleries du dix-septième siècle et reprenait l’offensive21.
Qui ne se rappelle qu’avec sa seule Vie de Nelson Robert Southey fixa définitivement sa fortune et sa gloire ? […] Moins poétique, moins mystérieux, moins divin que la sainte « Pastoure », incompréhensible si le miracle n’était pas là pour l’expliquer, Jacques Cœur, qui fut, lui, tout positivement et tout bonnement un grand homme, donna à Charles VII pour continuer la guerre tout ce que celui-ci voulut prendre d’une colossale fortune, et il fut payé de son dévouement avec la même ingratitude qui avait soldé le sacrifice de la vierge de Domrémy. […] » Ce fut lui qui, devenu l’argentier du roi, dit cette simple parole que l’Histoire a gardée : « Syre, tout ce que j’ay est vostre », et qui la fit suivre du fait, en versant une part de son immense fortune dans les finances de son pays.
La réussite, la fortune, le million, dont il est le poète et l’apôtre, lui ont persuadé, avec cette facilité d’illusion qui est particulière aux gens heureux, qu’une comédie pouvait s’improviser, en deux temps, sous le ciel de Naples, « lorsqu’on n’avait pas de journaux à lire et qu’il faisait trop chaud pour sortir ». […] Il a fait une immense fortune à la Bourse, comme il dit, moyennant un carnet et un crayon de six sous. […] Elle y serait aidée encore par les opinions du jeune marquis, qui veut se faire médecin et qui est l’homme de ce temps de transition, l’homme crépusculaire, s’il n’aimait pas une de ses cousines germaines, sans fortune.
Très jeune à l’âge où les autres jeunes gens se dissipent, à l’âge des coups d’épée (il en donna un), il se fait rendre compte judiciairement par son père de la gestion de sa fortune, en proie aux plus affreuses dilapidations, rachète la terre de Buffon que ce bourreau d’argent avait vendue, et le garde tendrement chez lui, ce bourreau qui se remarie, et dont il garde également et élève les enfants ! […] » Riche par le fait de son énergie, il employa sa fortune à former des relations nécessaires à son ambition sans turbulence, et il avait dès lors, nous dit son biographe, « l’aplomb de la richesse et de la beauté », ces deux choses qui font d’ordinaire perdre leur équilibre aux hommes ! […] Buffon administra le Jardin comme il avait administré sa fortune.
Ses amis ont eu la bonté d’apprendre au monde que le talent de l’auteur de Tolla faisait sortir de terre les testaments et les donations, et que, comme Burke et Chatham, il avait trouvé des duchesses de Marlborough qui, par fanatisme d’admiration, avaient versé sur sa tête la corne d’abondance de toute une fortune ! […] Si le comte de La Villanera épousait cette jeune fille à la condition qu’elle adopterait le petit bâtard de madame Chermidy, l’enfant aurait un titre, une possession d’état et une fortune. […] On y gagne plus d’honneur et de fortune, à coup sûr.
Les premiers regardent ces éloges comme une justice rendue à des citoyens utiles, ou qui ont voulu l’être ; comme une manière de plus d’honorer les arts ; comme un tribut de l’amitié entre les hommes qui ont été unis par le désir de s’instruire ; comme des matériaux pour l’histoire de l’esprit humain ; enfin, comme un encouragement et une leçon qui apprennent aux citoyens de toutes les classes que le mérite peut quelquefois tenir lieu de fortune et attirer aussi le respect. […] Vous voyez les parents, calculant la fortune, contredire le génie, et le génie indomptable surmonter tout. […] Si vous examinez leur âme, ils s’offrent presque tous désintéressés et nobles, ou ne daignant pas appeler la fortune, ou la dédaignant même quand elle va à eux ; les uns ayant une pauvreté ferme et courageuse, les autres retranchant aux besoins pour donner aux bienfaits, et dans leur médiocrité, assez riches pour être généreux.
Il nous montre d’ailleurs sans fard les motifs habituels aux acteurs de son temps, les revirements hideux et non colorés à chaque tour de roue de la fortune et à chaque vacance du pouvoir. […] » Car, de même, continue Plutarque, que la poésie d’Antimaque et les peintures de Denys, ces deux enfants de Colophon, avec tout le nerf et la vigueur qu’elles possèdent, donnent l’idée de quelque chose de forcé et de peiné, tandis qu’aux tableaux de Nicomaque et aux vers d’Homère, sans parler des autres mérites de puissance et de grâce, il y a, en outre, je ne sais quel air d’avoir été faits aisément et coulamment : c’est ainsi qu’auprès de la carrière militaire d’Épaminondas et celle d’Agésilas, qui furent pleines de labeur et de luttes ardues, celle de Timoléon, si on la met en regard, ayant, indépendamment du beau, bien du facile, paraît à ceux qui en jugent sainement l’œuvre non pas de la fortune, mais de la vertu heureuse. Et cependant ce grand homme rapportait à la fortune tous les succès qu’il avait ; car, soit qu’il écrivît à ses amis de Corinthe, soit qu’il haranguât les Syracusains, il disait souvent qu’il savait gré à Dieu de ce que, voulant sauver la Sicile, il s’était inscrit sous son nom ; et dans sa maison, ayant érigé une chapelle à la Spontanéité (à ce qui vient de soi-même), il y sacrifia ; et la maison même, il la dédia au Génie sacré. […] Rohan, encore un coup, n’en est pas ; il n’est pas de ce groupe de capitaines dont on peut dire que la fortune leur sourit comme une Vénus et comme une femme.
tombent sur moi tous les fléaux de la nature et de la fortune pour me rendre un remède si doux ! […] Une autre fois, dans le même temps du séjour de Rousseau à l’Ermitage, Deleyre, au retour de quelque absence et de quelque poursuite de fortune, écrivait à celui dont l’amitié était sa première ambition : « Rappelez-moi, cher citoyen, dans votre retraite, sur vos bancs de gazon, au pied du grand escalier à six marches, qui s’élève devant votre porte. […] Il a beau se contenter des dons du sort et de la médiocrité du sage, il y a des moments où il sent le besoin pourtant d’un peu plus de fortune pour la variété et pour le renouvellement de la vie ; il a conscience de ce qui lui manque, tant pour l’entière satisfaction du cœur et de l’esprit que pour les excitations légitimes du talent : « Il nous faudrait à tous deux (à Thomas et à lui), mais surtout à moi, dit-il, un peu plus de fortune : cela me mettrait à même de couper, par quelques parties agréables, la monotonie d’une existence qui n’a point assez de mouvement pour un homme né penseur, que la vue des mêmes visages et du même horizon ramène trop facilement sur son état et sur la misère des choses humaines. » Puis il se repent presque aussitôt d’avoir trop demandé, et faisant allusion à quelque image mélancolique que lui suggérait une lettre de Deleyre (malheureusement nous ne possédons aucune de celles qui sont adressées à Ducis) : « Hélas !
Elle s’était endormie dans cette certitude, insouciante des jeux de la fortune et la voici qui se réveille au bruit de craquements sinistres. […] Encore les accueillent-ils comme agencement du ménage, choses de rapport, espoir de gain, cartes nouvelles au jeu de la fortune. […] C’est navré d’une plaie incurable que le poète rejoint ses foyers et s’il est sans fortune, il y trouve une nouvelle déception. […] Ils ne se souciaient « d’arriver », ni par la flatterie, comme les poètes de l’ancien régime, à qui souvent une dédicace opportune suffisait pour ouvrir la considération et la fortune, ni par la ruse comme Julien Sorel, ni par les femmes comme Lucien de Rubempré.
Mais la mauvaise fortune s’abat sur lui, il tombe lourdement, on lit ses comptes, et le journal est aux galères. […] Pourtant Eugène était habile, et en songeant à sa fortune les autres s’étonnent et s’effrayent.
Le désillusionnement systématique, le pessimisme absolu, le jargon de rouerie, de socialisme ou de religiosité, la prétention aristocratique naturelle aux jeunes démocraties et aux brusques fortunes, cette manie de régence et d’orgie à froid, la brutalité très-vite tout près des formes les plus exquises, il a exprimé tout cela avec vie souvent et avec verve dans ses personnages. […] Arthur, doué de toutes les qualités de la naissance, de la fortune, de l’esprit et de la jeunesse, Arthur, doué d’une puissance rare d’attraction et du don inappréciable d’être aimé, a reçu de bonne heure, d’un père misanthrope, un ver rongeur, la défiance ; la défiance de soi et des autres. […] Est-ce bien lui, en effet, ou sa fortune, qu’aime sa cousine Hélène ? […] Est-ce trop peu encore de qualifier à ce taux son égoïsme en bonnes fortunes et en toutes choses ? […] Qu’on veuille l’étudier ici un instant avec nous, avant son coup de fortune.
La nécessité de notre nature nous fait vicieux ; la nécessité de la fortune nous fait heureux ou malheureux ; ni notre volonté n’élude la nature, ni notre mérite ne gouverne la fortune. […] Une enfance sans parents, un mariage sans tendresse, un mari qui la trompe, la ruine, et se fait tuer pour une autre, la laissant veuve en pleine jeunesse, en pleine beauté, avec deux enfants à élever ; ces enfants à peine élevés, les craintes pour le fils qui va à l’armée, le désespoir surtout de perdre la fille qui suit son mari à l’autre bout du royaume, et dès lors de longues séparations qui remplissent tous ses jours d’inquiétude, de brèves réunions où sa tendresse, irritée et froissée à tout instant, envie les tourments de l’absence ; la fortune qui s’en va, l’argent difficile à trouver, le dépouillement, lent et douloureux, pour payer les fredaines du fils, l’établir, le marier, mais surtout pour jeter incessamment dans le gouffre ouvert par l’orgueil des Grignan ; une petite-fille à élever, tant de veilles, de soins, d’appréhensions, pour voir la pauvre Marie Blanche, ses petites entrailles, disparaître à cinq ans dans un triste couvent ; la vieillesse, enfin, triste avec les rhumatismes et la gêne : telle est la vie de Mme de Sévigné359. […] La voilà chargée d’élever les enfants de Mme de Montespan : c’est le coup de fortune, qui change sa vie. […] Roger de Rabutin, comte de Bussy (1618-1693), était lieutenant général et mestre de camp général de la cavalerie, quand son Histoire amoureuse des Gaules brisa sa fortune.
« Tout en chantant, l’enfant interrompait de temps en temps sa marche et jouait aux osselets avec quelques pièces de monnaie qu’il avait dans sa main, toute sa fortune probablement. […] Hugo va chercher pour son héros du bagne, en 1818, la considération publique où elle est, dans une addition bien faite, dans une fortune acquise sou par sou, en faisant, par charité, travailler une multitude d’ouvriers chastes et probes, à condition que la journée de chacun et de chacune lui rapporterait à lui-même un bon bénéfice ! […] De ce détail de la fortune de Thénardier, Hugo s’élève à vol d’aigle dans le champ de bataille impérial du siècle, et il écrit une bataille de Waterloo qui efface, selon moi, tout ce qu’on a, jusqu’ici, écrit de lyrique sur ce champ de mort. […] Un officier anglais, parlementaire, s’avance et crie au bataillon : — Braves Français, vous avez assez fait pour la gloire, la fortune a décidé ; rendez-vous pour sauver à l’humanité un meurtre inutile ! […] XXVII Quant à nous, nous persistons à croire que 1815 fut le désastre immérité d’une armée vaillante et sublime, que Napoléon commanda mal ce jour-là des manœuvres tardives, et abandonna au hasard du reste de la journée sa fortune, c’est-à-dire la moitié du génie d’un conquérant.
Tout lui promettait la richesse et la gloire sous les auspices des Médicis, ses patrons dans sa patrie, quand les Médicis eux-mêmes, expulsés de Florence par une révolution populaire, emportèrent avec eux la fortune de leur protégé. […] Cet exil, qui reposait sa main et cultivait son esprit, cessa par un retour de fortune des Médicis rentrés à Florence. […] Michel-Ange y avait perdu son temps, sa fortune et ses yeux ; sa vue resta plusieurs années affaiblie par l’attitude forcée de la tête, qu’il avait dû renverser en peignant la voûte. […] Être enseveli dans un temple et dans des sarcophages décorés de la main de Michel-Ange paraissait aux Médicis une fortune dans la postérité égale à leur fortune dans le temps. […] Vittoria Colonna, instruite de cette tentative, lui écrivit cette lettre où la vertu parle, dans ces temps corrompus, un langage digne de l’antiquité : « Souvenez-vous, lui écrivit-elle, de votre vertu, qui vous élève au-dessus de la fortune et de la gloire des rois.
au-dessus des revers comme des triomphes, la fortune ne peut rien sur lui. […] Toutes les nations frappées par la fortune ont connu, hélas ! […] Jouirons-nous d’une fortune meilleure ? […] Souvenez-vous d’Athènes et de l’Hellade, afin que nul ne méprise sa fortune présente, et, dans sa convoitise du bien étranger, ne perde sa propre richesse. […] Du port de la tombe, il montre à ses peuples la mobilité des fortunes humaines, et quels naufrages elle entraîne, quand la crue de l’orgueil humain a dépassé le niveau permis.
Quoique la prédication fût alors mon plus grand objet, je ne laissais pas de m’exercer à écrire selon l’occasion, soit en français, soit en latin, sachant bien que plus on vaut, plus on peut faire fortune auprès des Grands qui en sont la source. […] Et pourtant quelle onction pouvait-on attendre d’un prédicateur abordant la chaire avec cette seule idée de faire fortune ? […] C’était un bel esprit servi à souhait par la nature et favorisé par la fortune. […] Agé de quarante-six ans à peine, dans toute la force et la maturité de l’ambition, Harlay ne vit d’abord dans l’archevêché de Paris qu’un degré à une fortune plus éminente encore : il se voyait déjà en idée ministre ou chancelier.
Émile n’a cessé depuis de se former et d’apprendre ; il ne tardera pas à en appeler de ces trois classes, et, tout en marquant toujours sa place dans les premiers rangs, il ne verra bientôt plus autour de lui qu’une société moderne, ouverte à tous, et ne portant sur sa bannière que trois mots inscrits : Activité, talent, fortune. Il est difficile aux auteurs de ne pas se peindre, surtout dans un premier ouvrage : Émile, qui ne fait autre chose que se raconter à Mathilde, essaye à un endroit de se peindre aussi, ou du moins de tracer l’idéal relatif qu’il a parfois devant les yeux et qu’il est tenté de réaliser : « Il y aurait, dit-il, un caractère intéressant à développer dans un roman ; ce serait celui d’un jeune homme né comme moi sans famille, sans fortune, suffisant à tout ce qui lui manquerait par sa seule énergie, et dont les forces croîtraient avec les obstacles ; un jeune homme qui se placerait au-dessus d’une telle position par un tel caractère ; qui, loin de se laisser abattre par les difficultés, ne penserait qu’à les vaincre, et, esclave seulement de ses devoirs et de sa délicatesse, aurait su parvenir, en conservant son indépendance, à un poste assez élevé pour attirer sur lui les regards de la foule et se venger ainsi de l’abandon. […] La fortune, arrêtée dans sa course par les débris de nos armes, agite le bonnet de la liberté comme une vaine marotte, ou bien en trafique comme d’une enseigne mercantile. La fortune est la religion du jour, l’égoïsme l’esprit du siècle.
Jaloux de la faveur et du crédit, porté en naissant au sein de la fortune, il ne négligea aucun moyen de se pousser et de monter aussi haut qu’il le pourrait : il avait de quoi justifier cette ambition par son mérite et par divers genres de talents. […] En lui refusant un de ces grands succès, tel que l’eût été par exemple Dettingen, s’il y eût été vainqueur, une de ces actions d’éclat qui couvrent bien des fautes ou des insuffisances et qui font passer un homme de l’état contesté a l’état consacré, il semble que la Fortune, si prodigue d’ailleurs envers lui, n’ait été que juste et qu’elle ait résisté, au dernier moment, à couronner une gloire trop superficielle. […] C’est un homme né pour faire la plus grande fortune quand il ne l’aurait pas trouvée toute faite chez lui. […] Elles assiègent la fortune à la sape, quand les hommes d’un vrai mérite perdent la leur par des orages ; et s’il arrive que quelques-uns de ces grands seigneurs se fassent une réputation d’application et de bons mots, on les charge d’affaires, et on en fait les premiers personnages du théâtre.
Il faut bien s’entendre toutefois : on aura beau faire, Mme de Maintenon est peu intéressante, peu sympathique (comme on dit aujourd’hui), par son caractère, par sa conduite, par son art, par sa prudence même, et par la fortune où elle a su atteindre. […] Ce qui était vrai d’un Masséna, l’enfant chéri de la Victoire, d’un Vandamme85 et de bien d’autres, peut s’appliquer également à Villars, « cet enfant de la Fortune », ainsi que le baptise Saint-Simon. […] Je courus aux batteries faire tirer, afin de venger la perte de l’État et la mienne. » De telles pages, toutes sincères et d’original, sont de ces bonnes fortunes qu’on ne saurait négliger en passant et dont on aime à faire partager l’impression à ses lecteurs. […] De l’esprit, une grande valeur, une plus grande audace, une pointe de folie gouvernée toutefois par l’ambition, et la probité et son contraire fort à la main, avec une flatterie et une bassesse insignes pour le roi, firent sa fortune et le rendirent un personnage à la Cour, craint des ministres et surtout aux couteaux continuels avec M. de Louvois.
Talleyrand avait deux moyens de faire et d’accroître sa fortune, le jeu d’abord, l’agiotage, et ensuite quand il fut au pouvoir, les cadeaux et douceurs qu’il recevait des puissances grandes ou petites pour les servir. […] Les deux premiers avaient de la fortune, mais ils l’ont dissipée. […] Il faut dire ici que M. de Talleyrand, tout en profitant de sa position pour augmenter sa fortune par des moyens quelquefois peu délicats, ne s’est jamais laissé engager, même par les motifs d’intérêt les plus puissants, à favoriser des plans qu’il pouvait regarder comme destructeurs pour le repos de l’Europe. […] Je le pratique depuis seize années ; j’ai même eu de la faveur pour lui ; mais c’est sûrement le plus grand ennemi de notre maison, à présent que la fortune l’a abandonnée depuis quelque temps.
Il se fait dire par lady Sutton : « Je ne vous trouve point changé, pas même vieilli… » Il est vrai qu’il lui avait demandé lui-même, comme ferait un parvenu : « Mais dites-moi, madame, que vous fait ma fortune nouvelle ? […] » On voit percer, même dans cette scène qui vise et touche à l’émotion, cette double fatuité qui ne le quitte jamais, celle de l’homme à bonnes fortunes qui veut rester jeune, et celle du personnage littéraire qui ne peut s’empêcher d’être glorieux. J’ai prononcé le mot d’homme à bonnes fortunes ; il convient de l’expliquer à l’instant et de le relever. M. de Chateaubriand était un homme à bonnes fortunes, mais il l’était comme Louis XIV ou comme Jupiter.
Notre philosophe dit quelque part (livre II, chapitre xvii) qu’il connaît bien assez d’hommes qui ont diverses parties très belles : l’un, l’esprit ; l’autre, le cœur ; l’autre, l’adresse ; tel la conscience, tel autre la science, plus d’un le langage ; enfin chacun a sa partie : « Mais de grand homme en général, et ayant tant de belles pièces ensemble, ou une en tel degré d’excellence, qu’on le doive admirer ou le comparer à ceux que nous honorons du temps passé, ma fortune ne m’en a fait voir nul… » Il fait bien ensuite une exception pour son ami Étienne de La Boétie, mais c’est là un de ces grands hommes morts en herbe et en promesse, et sans avoir eu le temps de donner. […] « Qui ne me voudra savoir gré, dit-il, de l’ordre, de la douce et muette tranquillité qui a accompagné ma conduite, au moins ne peut-il me priver de la part qui m’en appartient par le titre de ma bonne fortune. » Et il est inépuisable à peindre en expressions vives et légères ce genre de services effectifs et insensibles qu’il croit avoir rendus, bien supérieurs à des actes plus bruyants et plus glorieux : « Ces actions-là ont bien plus de grâce qui échappent de la main de l’ouvrier nonchalamment et sans bruit, et que quelque honnête homme choisit après, et relève de l’ombre pour les pousser en lumière à cause d’elles-mêmes. » Ainsi la fortune servit à souhait Montaigne, et, même dans sa gestion publique, en des conjonctures si difficiles, il n’eut point à démentir sa maxime et sa devise, ni à trop sortir du train de vie qu’il s’était tracé : « Pour moi, je loue une vie glissante, sombre et muette. » Il arriva au terme de sa magistrature, à peu près satisfait de lui-même, ayant fait ce qu’il s’était promis, et en ayant beaucoup plus fait qu’il n’en avait promis aux autres. […] Montaigne alors sent que c’est en lui seul, après tout, qu’il peut se fonder dans la détresse et s’affermir, et que c’est le moment ou jamais de mettre en pratique ces hautes leçons qu’il a passé sa vie à recueillir çà et là dans les livres des philosophes ; il se ranime, il arrive à toute sa vertu : En un temps ordinaire et tranquille on se prépare à des accidents modérés et communs ; mais, en cette confusion où nous sommes depuis trente ans, tout homme françois soit en particulier, soit en général, se voit à chaque heure sur le point de l’entier renversement de sa fortune. […] Il eut la satisfaction de sentir qu’il avait quelque tenue contre la fortune, et qu’il fallait un plus grand choc que cela pour lui faire perdre les arçons .
Disons vite que l’intention du gouvernement d’alors ne paraît jamais avoir été que l’arrêt de mort fût exécuté : le baron de Damas, devenu à ce moment ministre de la Guerre, croyait pouvoir répondre de la grâce et de la clémence du roi ; mais c’était une grâce, et Carrel, fort de la capitulation et des paroles données, croyait pouvoir réclamer pour lui et pour ses compagnons de fortune un droit. […] La fortune n’a point permis la réponse à cette question. […] Homme d’occasion et de lutte sur un terrain déterminé, habile à profiter du moindre pli, et sachant en définitive autant que personne combien la fortune et l’humeur gouvernent le monde, il était disposé par sa nature d’esprit à considérer les conceptions générales comme des rêves. […] Il répugnait à tout ce qui aurait modifié profondément le rapport des classes, la base des fortunes, l’assiette de l’impôt : les preuves, en avançant, ne manqueront pas.
Loin d’être enivré du succès, il ne voit que les difficultés surgissantes, et il se méfie de la Fortune « qui aime, dit-il, à changer de parti ». […] Et puis il faut laisser quelque chose à César et à sa fortune. Et à son père, trois jours après (21 décembre) : Je vais donc encore faire l’épreuve de la fortune.
Sans parler des conditions physiques comme le climat, on comprend que les conditions de vie sociale, la profession, le rang, l’état de fortune, les relations, l’isolement ou la vie de société fassent triompher dans la conduite ordinaire d’un individu tel ou tel ordre de considérations, telles, ou telles, raisons d’agir et impriment à sa volonté et à son caractère telle courbure particulière. […] Dans notre civilisation où la question de fortune joue un rôle prépondérant, une richesse considérable est l’épine dorsale de beaucoup d’énergies, tandis que le manque de fortune en réduit beaucoup d’autres à l’impuissance.
La fontaine où il ira boire, c’est la fontaine de cette sirène, qui n’eut jamais pour lui d’écueil, la Fortune. […] La Fortune, qui pour lui, de son vivant, brisa sa roue, s’acharne à rester assise sur le marbre de son tombeau. Au bonheur d’une félicité non interrompue il fallait ajouter l’honneur d’avoir souffert quelques jours, et on a inventé cette gloire du malheur pour que le bonheur de Goethe fût plus grand, son illustration plus complète, et que tous les genres d’intérêt, cet enfant gâté de la destinée les inspirât… Après cela, dira-t-on que la Fortune n’est pas une chienne fidèle, — et qu’elle n’a pas payé dans les mains de Goethe tout ce qu’elle doit depuis des siècles aux hommes de génie malheureux ?
Rien n’a manqué à sa fortune : ni la pointe de scandale, qui est le sel d’un livre en France, ni l’intérêt dramatique d’un procès. […] Flaubert a établi sa madame Bovary dans une bourgade de Normandie, au beau milieu d’une société de petit endroit, composée du pharmacien, du curé, du notaire et du receveur des contributions, et il a bâti sous ses yeux, dans la perspective, le château voisin de toute bourgade, où expirent présentement les vieilles races dans le dernier lambeau de fortune qu’elles ont sauvé des révolutions. […] La vie en commun qu’il mène avec cette maîtresse, exigeante de passion, exigeante de caprice, et, par dessus le marché, exigeante des raffinements de l’existence matérielle, l’oblige à des dépenses qui menacent sa fortune et compromettent son avenir.
Il y a tant de maux sur la terre, cependant, qu’il semblerait que tout ce qui arrive dans le monde, doit être une jouissance pour l’envie ; mais elle est si difficile en malheurs, que s’il reste de la considération à côté des revers, un sentiment à travers mille infortunes, une qualité parmi des torts ; si le souvenir de la prospérité relève dans la misère, l’envieux souffre et déteste encore : il démêle, pour haïr, des avantages inconnus à celui qui les possède ; il faudrait, pour qu’il cessât de s’agiter, qu’il crut tout ce qui existe inférieur à sa fortune, à ses talents, à son bonheur même ; et il a la conscience, au contraire, que nul tourment ne peut égaler l’impression aride et desséchante, que sa passion dominatrice produit sur lui. […] Mais le mal que l’envieux sait causer, ne lui compose pas même un bonheur selon ses vœux ; chaque jour, la fortune ou la nature, lui donne de nouveaux ennemis ; vainement il en fait ses victimes, aucun de ses succès ne le rassure, il se sent inférieur à ce qu’il détruit, il est jaloux de ce qu’il immole ; enfin, à ses yeux mêmes, il est toujours humilié, et ce supplice s’augmente par tout ce qu’il fait pour l’éviter.
L’élite des courtisans se compose d’hommes puissants, au moins indépendants ou par leur fortune, ou par leur rang, ou par l’éminence de leurs talents, même par l’éminence de leurs vertus, l’élévation de leur caractère, et la grandeur de leurs desseins. […] Pour les hommes vulgaires, les rois sont des sources de fortunes particulières et rien de plus.
Nous en parlerons plus loin, ici nous suivons le cours de la fortune qui favorisait madame Scarron. […] Elle lui donnait une existence considérable : et ce progrès de la fortune de la gouvernante n’était sans doute pas ce qui plaisait le plus à madame de Montespan, dans l’élévation de ses enfants.
L’idée d’avoir manqué sa fortune, d’avoir perdu l’estime de son prince & l’espoir de ses libéralités, faisoit son tourment. […] Il ne finissoit point sur le récit de ses bonnes fortunes.
Et sa fortune dramatique ressemble à son talent : il marche de chute en succès et de succès en chute ; il tombe, se relève, retombe encore. […] Vous les détenez illégalement puisque je suis majeur et que j’ai droit à ma fortune. […] Rivière fait parcourir à son assassin une brillante carrière ; il le montre comblé des faveurs de la fortune. […] Il n’a fait qu’y passer, de manière à en savourer les plaisirs, car la pauvreté au début a ses plaisirs comme la fortune. […] La fortune poursuivie par Angèle et sur laquelle elle met la main, c’est l’amour déçu, l’abandon et la mort.
Déjà quelque chose s’est dérangé dans la fortune de Don Juan. […] Plus de crédit, plus de fortune, plus de riches habits, plus de fêtes somptueuses, et plus d’argent dans votre bourse, seigneur Don Juan. […] Le pauvre dérange celui-là et celui-ci, dans leur existence de bonnes fortunes, de bombance et d’aventures. […] Donc Chremyle, citoyen d’Athènes, s’inquiète fort de la fortune inexplicable des sacrilèges, des rhéteurs, des délateurs, de tant de scélérats inopinément enrichis, et il s’en va à l’oracle, pour demander où se tient la Fortune ? […] ô fortune !
Il ajoute avec un tact délicat : « Que le salon Charpentier aura peut-être la fortune — chose regardée comme impossible en France — de réunir et de mettre en contact des gens d’opinion différente, qui s’estiment et s’apprécient, chacun, bien entendu, gardant son opinion. » Et il parle de l’Angleterre, où le soir, dans le même cercle, les antagonistes les plus violents se donnent la main. […] Zola répond à peu près ceci : « Vous, vous avez une petite fortune qui vous a permis de vous affranchir de beaucoup de choses… moi, ma vie, j’ai été obligé de la gagner absolument avec ma plume, moi j’ai été obligé de passer par toutes sortes d’écritures, oui d’écritures méprisables… Eh ! […] Je suis chez Charpentier à faire mes envois, au milieu de commis qui passent, à tout moment, la tête par la porte, et jettent : « C’est X… qui en a demandé 50, et qui en veut 100… Peut-on, en donner 13, à Y… Marpon réclame qu’on lui complète son 1 000… Il veut, si le livre est saisi, les avoir dans sa cachette. » Et dans l’activité, le bruit, le tohu-bohu de ce départ fiévreux, j’écris les dédicaces, j’écris plein de l’émotion d’un joueur qui masse toute sa fortune sur un coup, me demandant, si ce succès, qui se dessine d’une manière si inattendue, va être tout à coup tué par une poursuite ministérielle, me demandant, si cette reconnaissance de mon talent, arrivant avant ma mort, ne va pas être encore une fois éloignée par cette malechance, qui nous a poursuivis, mon frère et moi, toute la vie. […] l’ironie des bonnes et des mauvaises fortunes de la vie… Puis, dans ce restaurant, où, en face de moi, a été si souvent assis mon frère, la chaise vide de l’autre côté de ma table me fait penser à lui, et une grande tristesse me prend, en songeant, que le pauvre enfant n’a eu que le crucifiement de la vie des lettres. […] Je sens que la fortune et la graisse de ces hommes, ont été faites avec l’égorgement des paysans.
Ne serait-ce pas une chose trop dure que nos disgrâces, œuvre de la sotte fortune, ou, ce qui revient au même, de la fortune des sots, pussent toujours être considérées comme l’exacte mesure de notre mérite ? […] Je n’allais point aux stalles ; une fortune de collégien n’y eût point suffi. […] « Je n’ai jamais rien préféré à l’honneur de mon rang », dit-il quelque part, « pas même la fortune » : Rien de plus vrai. […] Le joueur a un père, mais il l’a quitté ; il n’a point la disposition de sa fortune ; il n’aime Angélique que par pis-aller. […] Ils ont eu la même passion, à laquelle ils ont sacrifié fortune et carrière, la passion des vers.
Et bientôt, après quelques mots sur la fragilité de la fortune, sur la vanité des poursuites de l’ambition, il passe à la description des délices des champs ; et de cette peinture tant de fois célébrée, il tire une inspiration naturelle, large et durable. […] Or, Racan applique ainsi cette image à M. de Termes, mort dans les combats : Il voit ce que l’Olympe a de plus merveilleux ; Il y voit à ses pieds ces flambeaux orgueilleux, Qui tournent à leur gré la Fortune et sa roue ; Et voit comme fourmis marcher nos légions Dans ce petit amas de poussière et de boue, Dont notre vanité fait tant de régions13. […] Il mourut en 1646 à soixante-quatre ans, sans avoir pu jamais forcer la fortune. […] La pièce vraiment belle de Maynard, celle qui mérite de conserver son nom, est une autre ode de lui : « Alcippe, reviens dans nos bois… » Le thème y est à peu près le même que celui de Racan ; il s’agit d’arracher à la Cour un ami que la fortune y abandonne et qui s’acharne à une ingrate poursuite.
. — Retour de fortune. […] Tel était Villars et tel il nous apparaît les jours où il se voyait malheureux et le plus maltraité par la fortune. […] Je connais votre zèle, et la valeur de mes troupes ; mais enfin la fortune peut vous être contraire. […] Au lieu de rien demander après de tels services rendus, il n’avait qu’à s’abstenir, à se renfermer dans le sentiment de sa juste gloire ; mais alors il eût été un autre ; et il était surtout un talent, un beau zèle et une fortune.
Cette série de bonnes fortunes racontées sur le même ton, et où l’inconstance essaie parfois à faux des notes de la sensibilité, finit par ennuyer, par dégoûter même ; le cœur en est affadi. […] Quant à sa carrière, on ne lui laissa pas le temps d’y songer : « On me fit entrer à douze ans, dit-il, dans le régiment des Gardes (françaises), dont le roi me promit la survivance, et je sus, à cet âge, que j’étais destiné à une fortune immense et à la plus belle place du royaume, sans être obligé de me donner la peine d’être un bon sujet. » A quatorze ans, il commença sa carrière de Richelieu et de don Juan. […] Le héros de roman s’était heurté contre la réalité et s’y était brisé : il va essayer, dans la seconde partie de sa vie, d’être un héros d’histoire, mais la fortune lui en refusera l’occasion, et, en la lui refusant, elle ne sera que juste. […] Sortie de France pour la seconde fois depuis le commencement de la Révolution, elle eut l’imprudence de revenir d’Angleterre à Paris au printemps de 1794, dans l’espoir de sauver quelque partie de sa fortune qu’elle employait surtout en bienfaits, et elle périt avec tant d’innocentes victimes, mais la plus pure, la plus angélique de toutes.
Parlant de celles des Romains : « Nous tirons cet avantage, disait-il, de la médiocrité de nos fortunes, qu’elles sont plus sûres : nous ne valons pas la peine qu’on nous ravisse nos biens. » Montesquieu ne concevait pas qu’il y eût un jour possible, un jour prochain, où le clergé en masse serait dépossédé, où la noblesse le serait en grande partie, où les premières têtes du parlement de Paris monteraient en ordre sur l’échafaud : un 1793, cela ne se devine pas. […] Tous deux croient à un conseil souverain dans les choses humaines ; mais Bossuet met ce conseil en Dieu et dans la Providence, qui a son secret et son but : Montesquieu le met ailleurs : Ce n’est pas, dit-il, la fortune qui domine le monde ; on peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre. […] Il avait la bonhomie de croire qu’il avait négligé de faire la fortune de son nom et l’illustration de sa maison : « J’avoue, disait-il, que j’ai trop de vanité pour souhaiter que mes enfants fassent un jour une grande fortune ; ce ne serait qu’à force de raison qu’ils pourraient soutenir l’idée de moi ; ils auraient besoin de toute leur vertu pour m’avouer. » Ainsi il croyait, par exemple, que si l’un de ses enfants devenait ministre, chancelier, ou quelque chose de tel, ce serait un embarras à un personnage si considérable que d’avoir un père ou un aïeul comme lui qui n’aurait fait que des livres, Ceci même est un excès de modestie ou un reste de préjugé qu’on a peine à comprendre.
Il fut véritablement attaché à la fortune de César, bien moins à son char qu’à sa personne. […] Le père d’Arnault, qui avait vingt-cinq mille livres de rentes, avait aliéné une partie de sa fortune pour acheter dans la maison du comte de Provence et du comte d’Artois, frères de Louis XVI, des charges qui étaient alors réputées une source de faveur ; de Paris, il était allé demeurer à Versailles et se faire homme de cour. […] C’est ainsi que l’année suivante, après s’être associé d’abord à l’expédition d’Égypte, retenu à Malte par une fièvre de son ami et futur beau-frère Regnault de Saint-Jean-d’Angély, il profitera d’une première occasion pour s’en revenir en France sans pousser à bout sa fortune ; il interrompra une seconde fois la chance qui est entre ses mains. […] Cependant la chute de l’Empire atteignit Arnault dans sa fortune d’abord, et bientôt dans sa sécurité.
Rougon dans la Fortune, et le campement des insurgés la nuit dans Plassans, l’abbé Mouret et frère Archangias courant les Artaud, les luttes exaspérées de Florent contre les poissardes de la Halle commandées par la dynastie Méhudin, toutes ces scènes parfaitement localisées se passent fait par fait. […] La Fortune des Bougon contient à la fois une série de faits sur la lâcheté stupide de quelques bourgeois, et une fraîche et sanglante idylle d’amour. […] Depuis le père Rougon qui, par un sourd travail de mine, édifie la fortune des siens, jusqu’à l’abbé Faujas conquérant Plassans, d’Aristide Saccard, qui démolit une ville, et accumule des millions, à Octave Mouret qui, par l’adultère, par le mariage, par l’incessante exploitation de la femme, écrase Paris de ses magasins, tous les grands hommes du romancier sont robustes, guissants, actifs sans compter, acharnés en besogne, s’acquittant dans le monde de leur tâche de force vive, résumés en ce colossal Eugène Rougon qui, solide et dur des épaules à l’âme, a la sourde tension d’une machine sous vapeur. […] La Fortune des Rougon, la Faute, Une page, Germinal, sont souillés du sang des justes.
De tous, il fut donc celui qui manqua le plus à sa fortune : il y manqua par ses qualités mêmes. […] C’était un de ces événements terribles même dans ce qu’ils ont de plus heureux, car s’ils ne portent pas aux nues, ils écrasent ; leur bonheur se retourne contre l’homme qui n’en a pas usé, et fait croire que la fortune s’est prostituée. […] Comme l’évidence était trop complète, comme il ne pouvait pas ne point voir quel coup de fortune c’était pour l’Église que la prise de Constantinople, il ne s’abstint pas entièrement d’agir dans le sens éternel de la position de ses prédécesseurs et de la sienne. […] Ce qu’il fit pour l’administration de Rome et comme prince temporel pour l’Italie ; ce qu’il accomplit comme Pape en Allemagne, où il fut heurté par les prétentions de l’Empire ; sa belle tutelle du jeune Frédéric en Sicile ; sa conduite avec Jean-sans-Terre, ce prince qui mettait toujours, par ses fautes, la fortune du côté de ses ennemis, comme il y mettait le droit par ses crimes, tous ces succès brillants, incontestés, ne sauraient compenser le mal de ses fautes, surtout de cette persécution albigeoise contre laquelle il n’osa s’élever du haut de sa chaire de pontife.
Quelle ode à la Fortune égale l’image et la leçon contenues dans ces vers : « Maintenant, ô mon fils, tu peux voir la coupe remplie de tous les biens pour lesquels se tourmente la race humaine. […] « Maître, lui dis-je, quelle est cette Fortune, dont tu m’as dit un mot ? […] Avec une joie égale à celle des autres créatures du premier ordre, elle roule sa sphère et jouit de son bonheur. » Vous avez présent cet hymne d’Horace à la divinité d’Antium, à cette Fortune dont les Romains avaient cru sentir les puissantes faveurs, dans les calamités qu’eux-mêmes infligeaient aux vaincus. […] Quelques autres images du poëte de Tibur, cette courtisane, ces amis qui, fuyant avec la Fortune, disparaissent quand l’amphore est vide, vous faisaient songer seulement à d’humbles catastrophes de la vie privée sous les Césars.
La fortune de Genoude est une des plus singulières et des plus burlesques, en même temps que des plus néfastes, de ce temps. […] A travers cela, il se mariait richement, il faisait sa fortune : 80 000 livres de rentes, s’il vous plaît.