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28. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

. — La loi de sélection naturelle s’applique aux événements mentaux. — Autre circonstance qui augmente l’aptitude à renaître. — La répétition. — Exemples. — Pourquoi ces deux circonstances augmentent l’aptitude à renaître. […] Si, après plusieurs années d’absence, on rentre dans la maison paternelle ou dans le village natal, une multitude d’objets et d’événements oubliés reparaissent à l’improviste. […] C’est en vertu de cette disproportion que les impressions d’enfance sont si persistantes ; l’âme étant toute neuve, les objets et les événements ordinaires y sont surprenants. […] Quelle que soit l’espèce d’attention, involontaire ou volontaire, elle opère toujours de même ; l’image d’un objet ou d’un événement est d’autant plus capable de résurrection et de résurrection complète, qu’on a considéré l’objet ou l’événement avec une attention plus grande. […] L’individu aura deux mémoires, la première ne rappelant que les événements du premier état, et la seconde ne rappelant que les événements du second état62.

29. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

L’Événement prenait cette devise, qui, après juin, était de saison : « Haine à l’anarchie — tendre et profond amour du peuple. » Et pour qu’on ne se méprît pas sur le sens de la deuxième sentence, le numéro spécimen disait que L’Événement « vient parler au pauvre des droits du riche, à chacun de ses devoirs. […] L’Événement lui rive son clou avec cette frappante réplique : « Si les républicains sont à ce point suspects, n’est-ce pas la faute des républicains ? […] (Événement du 3 novembre). […] Dans son livre l’événement semble n’être qu’un coup de foudre dans un ciel serein, que l’acte de violence d’un seul individu. […] (Événement, nº 14). — Et dans presque tous les numéros, l’Événement continuait à exciter les colères et les peurs contre les vaincus20.

30. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

La Rochefoucauld, spéculatif jeté par les événements dans l’action. — Ses Mémoires. — § III. […] La Rochefoucauld, spéculatif jeté par les événements dans l'action. […] Je l’ai dit : un esprit spéculatif, que des événements plus forts que ses penchants, des passions plus fortes que sa raison, avaient jeté dans une carrière d’intrigue et d’action. […] En s’éloignant des événements, La Rochefoucauld s’élève tout à la fois et devient meilleur. […] Ses Maximes ne quittent guère les hauteurs de la vie publique, et sa morale ressemble à celle de la tragédie, dont les héros sont des rois, et les événements des catastrophes.

31. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Les événements le disent assez, la perfection idéale d’un gouvernement est le rêve qui les fait tous tomber, sans parvenir à rien de meilleur. […] Quant au style, je ne m’en occupai pas ; j’étais sûr que les événements eux-mêmes m’inspireraient, malgré mon peu d’habitude de la prose, la clarté, l’ordre, la lumière, le naturel et même la seule éloquence de l’histoire, la sensibilité communicative qui mêle du cœur au récit. […] Je lui écrivis pour lui demander si les circonstances de sa participation aux événements du 31 mai étaient vraies, et si, dans le cas où ce bruit aurait quelque fondement, il voudrait bien consentir à me recevoir et à me donner sur la mort de ses amis les informations utiles à l’histoire. […] Je pense qu’il n’aimait pas à reporter la pensée de ses paroissiens sur sa qualité de prêtre assermenté et constitutionnel dans sa jeunesse, et qu’il était plus importuné qu’empressé d’être cité en témoignage sur ces événements qui lui rappelaient une faute d’orthodoxie sacerdotale, expiée depuis par sa rétractation. […] C’est en approchant de l’homme témoin des événements qu’on approche le plus près de la vérité des actes et des caractères.

32. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Au printemps de 1824 parut l’Histoire de la Révolution française : ce fut un immense succès et un événement. […] Reportez en idée la méthode de M ignet à un événement déjà ancien et reculé dans les siècles, rien ne paraîtra plus simple, plus légitimement lumineux ; il n’y aura lieu à aucune réclamation. […] Il avait poussé assez avant ce grand travail, lorsque les événements politiques de 1829-1830 le vinrent distraire et appliquer tout entier avec ses amis à l’entreprise du National. […] Il l’a hautement prouvé et par ce livre de la Révolution, et par l’admirable tableau qu’il a donné des événements de Hollande et de la mort des frères de Witt dans le Recueil sur Louis XIV. […] C’est ainsi que des rapprochements qui sont judicieux au fond, mais que le relief de la forme accuse trop, cessent de paraître vraisemblables ; cela a l’air trop arrangé pour être vrai ; l’esprit du lecteur admet difficilement dans la suite, même providentielle, des événements humains une manœuvre si exacte et si concertée.

33. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Partout et toujours la force des choses est la vraie cause des grands événements. […] Voyez la manière dont Hérodote raconte et explique les grands événements qui font la matière de son histoire. […] Ici plus de récits pour l’imagination et la curiosité, comme chez Hérodote ; plus de tableaux et de harangues ayant pour but l’explication toute politique des événements, comme chez Thucydide. […] Si l’on veut un exemple saisissant de la méthode historique des modernes, on peut prendre le grand événement de notre révolution. […] Ce n’est pas seulement la force des événements, c’est aussi la force des sentiments et des impressions populaires qui a fait la fatalité sous laquelle la volonté et la conscience de ces chefs ont trop souvent fléchi.

34. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Ensuite, parce que les événements que l’histoire raconte ont par eux-mêmes un attrait de curiosité, un intérêt, pour nous exprimer autrement, qui empêche le lecteur de faire attention à l’insuffisance ou à la médiocrité du style. […] Ces événements, bien vus, bien écoutés, bien compris, ont un langage parfaitement intelligible qui s’appelle l’expérience, la leçon, la moralité, la sagesse, la philosophie des choses. Il faut que l’historien, profondément sage, comprenne ce langage des événements pour l’interpréter aux autres hommes. […] « Outre ces nombreuses vicissitudes des choses humaines, des prodiges effrayants dans le ciel et sur la terre, les avertissements de la foudre, les présages des événements futurs, présages heureux, sinistres, ambigus, évidents tour à tour. […] « Nous avions pour consolation, dans ces derniers événements de Rome, que la capitale n’avait pas été ensanglantée et que le pouvoir avait passé sans choc d’une main dans une autre.

35. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Un immense événement se prépare. […] Ce fut un événement. […] Depuis quelque temps, le Dr Pusey semble s’être placé à côté des événements ; il est abîmé dans une étude persévérante et sévère. […] L’ordre des événements n’est troublé ni interverti ; au contraire, c’est l’ordre des événements qui s’achève par ces conversions et qui se complète de lui-même, sans l’action directe d’un homme entre tous et d’une circonstance déterminée, mais avec cette puissance anonyme qui laisse voir plus à nu la main de Dieu. […] L’idée théologique de la grâce est la clef qui ouvre le mieux aux regards de nos esprits les événements les plus fermés, les plus incompréhensibles, de l’histoire.

36. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVII » pp. 109-112

Qu'on ne vienne pas parler des conquêtes de l’homme, de ses assurances contre les événements ; nous ne sommes rien. […] Dans tous les cas, cette visite de la reine d’Angleterre, qui n’est qu’un caprice de jeune femme, devient et sera un grand événement politique. […] C'est le grand événement de la chronique. — Je vous le répète, elle a pris cela toute seule sous son bonnet : elle est très-liée avec la reine des Belges (fille de Louis-Philippe), elle s’est très-prise depuis, et d’un goût très-vif, pour la princesse Clémentine (duchesse de Cobourg) ; elle lui avait dit depuis déjà assez longtemps : « Je médite d’aller voir vos parents à Eu, laissez-moi arranger cela, et gardez-moi le secret. » La visite récente du prince de Joinville et du duc d’Aumale à Londres n’était pas pour l’inviter, comme on l’a cru.

37. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

Il faut éviter ici la confusion, l’entortillement, les digressions, ne point remonter trop haut, ni descendre trop bas ; ne rien omettre qui ait rapport à la cause ; enfin tout ce que j’ai dit pour la brièveté trouve aussi son application ici… La vraisemblance consiste à donner au récit tous les caractères de la réalité ; à observer la dignité des personnages ; à montrer les causes des événements ; à faire voir qu’on a eu le moyen, l’occasion, le temps, de faire ce qu’on a fait ; que le lieu aussi convenait à l’exécution de la chose ; que cette chose même n’a rien qui choque le caractère de ceux qui l’ont faite, ou la nature humaine ou l’opinion des auditeurs. […] Rien ne sert en effet de noter exactement tout le détail d’un événement, si l’on n’en a en soi-même une représentation imaginaire, où toutes les circonstances se groupent autour du fait principal, étagées selon leur importance, par plans successifs, plus ou moins noyés d’ombre ou baignés de lumière. […] Dans Corneille, des faits de conscience produisent des actes, qui donnent naissance à de nouveaux faits de conscience, jusqu’à ce qu’on atteigne par ces actions et réactions successives à l’événement final Dans Racine, des faits de conscience engendrent d’autres faits de conscience, pour n’aboutir en général qu’à un seul acte physique, qui est le dénouement. […] On attribue par superstition des événements à des causes imaginaires :                                                     Un corbeau Tout à l’heure annonçait la mort à quelque oiseau. […] Rien n’est plus faux que certain rationalisme dans la critique religieuse, et c’est une puérile entreprise que de ramener les légendes merveilleuses des mythologies aux proportions des événements purement humains.

38. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

Si, dans un même intervalle entre deux événements une horloge compte un moins grand nombre de secondes, chacune d’elles dure davantage. […] Seuls restent contemporains en S′ les événements, contemporains en S, qui sont situés dans un même plan perpendiculaire à la direction du mouvement. […] Mais, aux moments différents où elles marquent dans mon système la même heure, il se passe aux points, H₁′, H₂,′ H₃′ de mon système des événements qui, dans le système S, étaient marqués légitimement comme contemporains : je conviendrai alors de les appeler contemporains encore, pour ne pas avoir à envisager d’une manière nouvelle les rapports de ces événements entre eux d’abord, et ensuite avec tous les autres. […] Ces événements ne sont pas entraînés, eux, dans le mouvement de mon système. […] Or, dans cet éther, devant ces faits optiques, au milieu de ces événements électro-magnétiques, tu sièges, toi, immobile.

39. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Il faut qu’on ait appris à concevoir la vie passivement, à supporter que son cours soit uniforme, à suppléer à tout par la pensée, à voir en elle les seuls événements qui ne dépendent ni du sort, ni des hommes. […] Vous le pouvez facilement ; et lorsqu’aucun des événements de la vie n’est précédé, ni suivi par de brûlants désirs, ni d’amers regrets, l’on trouve une part suffisante de félicité, dans ces jouissances isolées que le hasard dispense sans but. […] Par une sorte d’abstraction, dont la jouissance est cependant réelle, on s’élève à quelque distance de soi-même pour se regarder penser et vivre ; et comme on ne veut dominer aucun événement, on les considère tous comme des modifications de notre être qui exercent ses facultés et hâtent de diverses manières l’action de sa perfectibilité. […] L’idée qui la domine, laissée stationnaire par les événements, se diversifie de mille manières par le travail de la pensée, la tête s’enflamme et la raison devient moins puissante que jamais.

40. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

L’événement se passait dans le compartiment du milieu, le dénoûment s’accomplissait dans celui d’en haut ou dans celui d’en bas. […] L’idéal que nous cherchons dans la représentation d’événements tragiques, nos pères le cherchaient dans la mise en scène de l’histoire de leur foi. […] On ne la fait pas descendre impunément jusqu’aux événements et aux mœurs des personnes de condition privée ; la tentative n’en a jamais réussi. […] Dans la tragédie de caractère l’action est si forte, l’événement marche d’un pas si rapide, que les personnages ne peuvent s’en arracher un moment, et qu’ils ressemblent à des coureurs emportés vers le but. […] Là au contraire où l’amour est une partie essentielle de la pièce, il rend la tragédie plus semblable à la vie, où l’amour est mêlé à tous les événements, comme cause ou comme nœud.

41. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Tout est fixé d’avance dans l’ambition ; ses chagrins et ses plaisirs sont soumis à des événements déterminés ; l’imagination a peu d’empire sur la pensée des ambitieux, car rien n’est plus réel que les avantages du pouvoir. […] Ils ont pour ennemis le besoin qu’a le public de juger et de créer de nouveau, d’écarter un nom trop répété, d’éprouver l’émotion d’un nouvel événement : enfin, la multitude, composée d’hommes obscurs, veut que d’éclatantes chûtes relèvent de temps en temps le prix des conditions privées, et prêtent une force agissante aux raisonnements abstraits qui vantent les paisibles avantages des destinées communes. […] Dans une démocratie, il faut qu’il devance le vœu populaire, qu’il lui obéisse en répondant de l’événement ; qu’il joue chaque jour toute sa destinée, et n’espère rien de la veille pour le lendemain. […] Les événements sont l’extérieur de la vie ; sa véritable source est tout entière dans nos sentiments. […] Il reste encore des moyens d’acquérir du pouvoir, mais l’opinion qui distribue la gloire, l’opinion n’existe plus ; le peuple commande au lieu de juger ; jouant un rôle actif dans tous les événements, il prend parti pour ou contre tel ou tel homme.

42. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Le premier soin de Froissart et son plus grand plaisir au milieu de cette cour, dans la fréquentation de ces nobles et grands seigneurs et de leurs écuyers, fut de s’enquérir avec détail de tous les événements mémorables et de toutes les particularités qui pouvaient lui servir à dresser son histoire. […] Ce qui était le plus important à l’âge et à l’époque de Froissart, c’était précisément d’amasser ces matériaux, de les posséder et de les disposer dans toute leur étendue et dans leur richesse ; et c’est ce qu’il a fait avec un zèle, une ardeur infatigables, et avec un sentiment élevé du service qu’il rendait à ses contemporains et à la postérité en conservant ainsi la mémoire des grands événements et des nobles prouesses. […] Il comprit à première vue qu’il n’y avait que la prose qui pût suffire à embrasser ainsi et à porter à l’aise tous ces événements, et, malgré la facilité tout ovidienne qu’il avait à rimer, il se garda bien d’imiter Philippe Mouskes, l’évêque de Tournai, et d’aller emprisonner sa Chronique dans des rimes. […] Et pour vous informer de la vérité, je commençai jeune dès l’âge de vingt ans ; je suis venu au monde avec les faits et les événements, et y ai toujours pris grand’plaisance plus qu’à autre chose ; et Dieu m’a fait la grâce d’avoir toujours été de toutes les cours et hôtels des rois, et spécialement de l’hôtel du roi Édouard d’Angleterre et de la noble reine sa femme, Madame Philippe de Hainaut, de laquelle en ma jeunesse je fus clerc et secrétaire. […] S’il y a en Écosse ou ailleurs au loin quelque chevalier qui peut le bien renseigner sur tel ou tel fait de guerre qui s’est passé en ces pays étrangers, messire Jean Froissart monte à cheval, sur son cheval gris, et tenant un blanc lévrier en laisse, il va interroger et questionner quiconque le saura compléter sur une branche d’événements qu’il ignore.

43. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la comédie chez les Anciens. » pp. 25-29

Dans la première, aucun des personnages n’a dessein de traverser l’action, qui semble devoir aller d’elle-même à sa fin, mais qui néanmoins se trouve interrompue par des événements que le pur hasard paraît avoir amenés. […] Ici, tous les événements sont produits par des personnages qui ont dessein de les faire naître ; et souvent le spectateur prévient ces événements : ce qui diminue infiniment son plaisir.

44. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Sous une fable brillante et populaire, il vient de reconnaître des événements de la vie réelle. […] Il verra que le propre d’un événement de ce genre est d’agiter à la fois tous les personnages ; que tous sont dès l’abord sous l’empire de la catastrophe qui se prépare : voilà l’unité d’action. […] L’invention, ç’a été de trouver dans un des plus tragiques événements de l’Histoire sainte une tragédie aux conditions où la voulait Racine, avec toutes les vraisemblances qui font d’une fable une réalité. […] Cet événement agite et absorbe tous les personnages de la pièce, selon leurs caractères, leurs intérêts et leurs passions. […] Il n’est ni à Baal ni au Dieu d’Israël ; c’est un officier subalterne de la cour d’Athalie, qui voit dans l’événement un coup à faire.

45. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Un cas de pédanterie. (Se rapporte à l’article Vaugelas, page 394). »

Je n’ai pas été peu surpris, il y a un ou deux mois, de lire un matin (7 juin 1866), dans le journal intitulé l’Événement et qui n’est censé s’occuper que de sujets à l’ordre du jour, la critique d’un discours que j’avais prononcé autrefois sur la tombe d’un de mes amis, le docteur Armand Paulin, discours qui n’avait pas moins de neuf années de date (ce que le critique se gardait bien de dire), discours oublié de moi-même et que je n’avais jamais songé à recueillir dans aucun de mes volumes de Mélanges, publiés depuis. […] Et vous, confrère et médecin, qui trouvez d’ailleurs, dites-vous, mes éloges du docteur Paulin justes et mérités, vous venez, après neuf ans, relever, par une diatribe bruyante, qui vise au grotesque et qui prend en s’affichant des airs de mascarade, quelques négligences et des rapidités inévitables de diction : vous venez en faire une sorte d’éclat et comme de découverte dans un journal quotidien, de telle sorte qu’il ne tenait qu’aux lecteurs de l’Événement, ce jour-là, de croire que je m’étais rendu coupable d’un méfait littéraire assez récent, d’une harangue tout à fait ridicule. […] Je reproduis donc ce qu’on lisait dans le Moniteur du 10 septembre 1857, et qui a fait l’objet d’une dénonciation, assurément tardive, dans l’Événement du 7 juin 4 866. […] Destiné d’abord à l’enseignement des sciences, chargé de professer la physique au lycée de Metz, il reçut dans cette cité patriotique et guerrière le coup direct des événements de 1814 de l’invasion.

46. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Les impressions journalières des mémorables événements d’alors, fidèlement transmises coup sur coup par cette grande âme émue, et exhalées au sein de l’amitié, sont précieuses à recueillir. […] Absente du foyer principal, éloignée du détail des événements dont le spectacle réel, depuis le 5 octobre, aurait peut-être contribué à user son surcroît de zèle et à dégoûter sa confiance, elle était surtout sensible aux lenteurs, aux incertitudes de l’Assemblée et à ses efforts pour arrêter. […] Exaspérée par les événements du Champ-de-Mars, elle en vient, dit-elle, à applaudir aux derniers excès de l’Assemblée et à en désirer de plus grands comme le seul moyen d’éveiller l’opinion publique. […] Les derniers événements l’ont alimenté ; les lumières de la raison se sont unies à l’instinct du sentiment pour l’entretenir et l’augmenter… Je finirai de mourir quand il plaira à la nature, mon dernier souffle sera encore le souffle de la joie et de l’espérance pour les générations qui vont nous succéder. » Les jugements de Mme Roland sur La Fayette en particulier ont lieu de nous frapper par le contraste qu’ils offrent avec l’unanime respect dont nous avons entouré cette patriotique vieillesse. […] Il se passe en effet, il se noue et se dénoue entre Mme Roland et Bancal, durant ces deux années, une espèce de roman ; oui, un roman de cœur, dont, à travers les distractions des grands événements et la discrétion du langage, on poursuit çà et là les traces à demi couvertes.

47. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

On a vu qu’elles tenaient aux plus grands événements ; qu’elles les expliquaient, qu’elles étaient expliquées par eux, que désormais il fallait leur donner une place, et l’une des plus hautes places, dans l’histoire. […] Quoique l’immensité de la distance ne nous laisse entrevoir qu’à demi et sous un jour douteux l’origine des espèces1, les événements de l’histoire éclairent assez les événements antérieurs à l’histoire, pour expliquer la solidité presque inébranlable des caractères primordiaux. […] Telle est la première et la plus riche source de ces facultés maîtresses d’où dérivent les événements historiques ; et l’on voit d’abord que si elle est puissante, c’est qu’elle n’est pas une simple source, mais une sorte de lac et comme un profond réservoir où les autres sources, pendant une multitude de siècles, sont venues entasser leurs propres eaux. […] Arrivés là nous pouvons entrevoir les principaux traits des transformations humaines, et commencer à chercher les lois générales qui régissent non plus des événements, mais des classes d’événements, non plus telle religion ou telle littérature, mais le groupe des littératures ou des religions. […] C’est donc principalement par l’étude des littératures que l’on pourra faire l’histoire morale et marcher vers la connaissance des lois psychologiques, d’où dépendent les événements.

48. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

L’événement l’a prouvé. […] Je suis sorti de cette enquête historique sans trouver ni conjuration, ni plan, ni meneurs de cet événement inexpliqué. […] Il y a des événements qui sortent du ciel, comme des bouches de volcan, sans avoir été allumés par aucune main, ou qui sortent du ciel comme des météores, sans que personne puisse dire d’où ils viennent, ce qu’ils vont frapper et où ils vont s’éteindre. […] On eût dit qu’il savait d’avance que les événements brisent ceux qui leur résistent, mais que les révolutions, comme les vagues, rapportent souvent les hommes où elles les ont pris. […] Sa mort, au contraire, aliénait de la cause française cette partie immense des populations qui ne juge les événements humains que par le cœur.

49. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

De l’expression Au-dessous de la grande action principale, il y a de petites actions subordonnées qu’elle comprend, et chaque phrase en contient une ; la grande représentait la mort de l’agneau, la chute du chêne ; les petites représentent les circonstances de cette mort et de cette chute ; ce sont autant de menus événements découpés dans l’événement total. Et chacun de ces petits événements est décomposé en ses détails par les divers membres de la phrase, et par les divers mots de chaque membre. […] Il faut qu’ayant l’idée d’un objet et d’un événement il trouve d’abord, non pas le mot exact, mais le mot naturel, c’est-à-dire l’expression qui jaillirait par elle-même en leur présence et par leur contact. […] Ceux qui ont inventé le langage n’ont point noté les objets par des signes abstraits à la façon des algébristes ; ils ont joué en leur présence et pour les exprimer un drame figuratif et une pantomime ; ils ont imité les événements avec leurs attitudes, avec leurs cris, avec leurs regards, avec leurs gestes ; il les ont dansés et chantés. […] J’aime mieux cependant considérer dans cette table le mélange des mètres, remarquer les graves alexandrins employés à représenter les événements et les idées graves, puis deux petits vers au milieu d’une longue période choisis pour peindre un petit animal.

50. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

C’est ainsi qu’il devina, dès la formation de l’armée de réserve à Dijon, le plan de Bonaparte pour la seconde guerre d’Italie, sa ligne d’invasion par le Valais, et, dans un souper à Berne entre officiers, il fit un pari que l’événement, cinq mois après, justifia. […] Et avant tout, il faut bien se rendre compte de l’état de la science critique militaire en France pour apprécier ce qu’il y introduisit de tout à fait neuf, et qui mérita de faire événement. […] Il y était démontré qu’en général les plans primitifs de Frédéric pour l’entrée en campagne étaient infiniment inférieurs aux plans accidentels qui lui étaient inspirés dans le cours même de la campagne par la tournure des événements ; qu’il était plutôt l’homme des expédients et des ressources que de la conception grandiose première, plutôt le héros de la nécessité et du bon sens que celui de l’imagination hardie et du haut calcul. […] C’était, selon lui, « l’unique moyen de poser le grand problème, de manière à le résoudre. » Son esprit juste, son jugement essentiellement modéré, en rabattront assez plus tard et bientôt, dès après Iéna et à partir d’Eylau, dès qu’il verra poindre et sortir les fautes et les exagérations du système nouveau et du génie qui l’avait conçu ; il dira alors, en rentrant dans la parfaite vérité : « Loin de moi la pensée de décider si le roi légitime de la Prusse, ne voulant que défendre son trône et son pays, pouvait provoquer, dès 1756, cette révolution immense dans l’art militaire qu’un soldat audacieux autant qu’habile introduisit, quarante ans après, par la force des événements qui l’entraînait ! […] Ayant eu moi-même l’honneur de connaître dans les dernières années le général Jomini, j’ai plus d’une fois entendu de sa bouche le récit des principaux événements qu’il avait à cœur d’éclaircir, et il le faisait presque dans les mêmes termes qu’on retrouve sous la plume du colonel Lecomte.

51. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Enfin, l’on pouvait être étonné, par conséquent entraîné ; et des hommes croyaient qu’un d’entre eux était nécessaire à tous ; de là les grands dangers que courait la liberté, de là les factions toujours renaissantes, car les guerres d’opinions, finissent avec les événements qui les décident, avec les discussions qui les éclairent ; mais la puissance des hommes supérieurs se renouvelle avec chaque génération, et déchire, ou asservit la nation qui se livre sans mesure à cet enthousiasme ; mais lorsque la liberté de la presse, et ce qui est plus encore, la multiplicité des journaux rend publiques chaque jour les pensées de la veille, il est presque impossible qu’il existe dans un tel pays ce qu’on appelle de la gloire ; il y a de l’estime, parce que l’estime ne détruit pas l’égalité, et que celui qui l’accorde, juge au lieu de s’abandonner ; mais l’enthousiasme pour les hommes en est banni. […] On ne trouvera peut-être pas que ce siècle donne encore l’idée d’aucun progrès en ce genre ; mais il faut dans l’effet actuel voir la cause future, pour juger un événement tout entier. […] Les événements du hasard, ceux qu’aucune des puissances de la pensée ne peuvent soumettre, sont cependant placés, par la voix publique, sur la responsabilité du génie. […] que de lumières ils puisent dans l’événement ! […] L’homme accoutumé à compter avec l’histoire, ne peut plus être intéressé par les événements d’une existence commune ; on ne retrouve en lui aucun des mouvements qui le caractérisaient, il ne sent plus la vie, il s’y résigne.

52. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Au reste, quand je parle d’une action théâtrale, je parle d’un appareil, d’une cérémonie, d’une assemblée, d’un événement nécessaire à la pièce, et non pas de ces vains spectacles plus puérils que pompeux, de ces ressources du décorateur qui suppléent à la stérilité du poète, et qui amusent les yeux quand on ne sait pas parler aux oreilles et à l’âme. […] L’auteur n’a, pour occuper la scène, que le danger de Tancrède et l’incertitude des événements. […] On dit seulement qu’Hippolyte a été attaqué par un monstre et déchiré par ses chevaux, parce que, si on eût voulu représenter cet événement plutôt que le raconter, il y aurait eu une infinité de petites circonstances qui auraient trahi l’art et changé la pitié en risée. […] Des hommes de différents caractères sont tous les jours exposés à un même événement. […] C’est le nom qu’on donne quelquefois au tissu d’événements qui entrent dans l’action.

53. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Puisqu’il voulait raconter la fin de la Judée sous les pieds de Rome, n’avait-il pas à nous montrer les figures de Galba, d’Othon, de Vitellius, de Vespasien et de Titus, le preneur de Jérusalem, se détachant, par le côté individuel et humain, sur des événements plus grands que l’homme, des événements de la Providence ! […] La conclusion qui doit sortir de ces événements et de ces récits, prémisses du raisonnement que tout historien impose ou fait faire à son lecteur, il ne la tire pas avec cette force qui en serait l’évidence. […] Le démon des folies allemandes ne le tente pas ; il accepte en fait la lettre des prophéties et prend sous cette dictée les événements qui se sont produits, depuis la venue de Jésus-Christ jusqu’à la chute de Jérusalem et la dispersion des Juifs par toute la terre.

54. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Peut-être n’est-ce qu’un événement terrible ! peut-être l’empire d’anciennes habitudes ne permet-il pas que cet événement puisse amener de long temps ni une institution féconde, ni un résultat philosophique. […] Mais sans analyser les résultats de ce temps horrible qu’il faut considérer comme tout à fait en dehors du cercle que parcourent les événements de la vie, comme un phénomène monstrueux que rien de régulier n’explique ni ne produit, il est dans la nature même de la révolution d’arrêter, pendant quelques années, les progrès des lumières, et de leur donner ensuite une impulsion nouvelle.

55. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

., exécutèrent des pirouettes tout aussi prestes : les mœurs et les événements imposaient de semblables virements de conscience. […] Beaucoup de ces déclassés de l’aristocratie se lancèrent à corps perdu dans le mouvement ; d’autres, plus prudents, plus timorés, René était de ceux-là, hésitèrent et attendirent les événements. […] Les Renés des deux sexes qui tremblaient depuis deux ans ne pouvaient s’intéresser qu’à des romans surchargés d’événements imprévus, de scènes atroces et de passions au vitriol. […] Les événements de la révolution avaient été si imprévus, leur succession si soudaine et leur action sur la vie et la fortune des individus si violente et si brusque, que les notions ordinaires sur l’ordre des choses étaient bouleversées. […] L’homme était le jouet des événements terribles, qui n’obéissaient qu’à l’aveugle et inconsciente Fatalité.

56. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

Ce sont les événements qui fournissent le moyen de les délimiter. […] L’histoire a été conçue d’abord comme la narration des événements mémorables. […] Aux institutions ou aux usages et aux événements ? […] — Comment faire comprendre le caractère des événements et des coutumes ? […] Comment choisir les épisodes d’un événement ?

57. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

On entend par ce mot tout ce qui est non pas extraordinaire, mais merveilleux, tout ce qui est hors de la possibilité naturelle, tout ce qui n’arrive pas, les combinaisons trop ajustées d’événements, les rencontres trop heureuses du hasard, les coups de vertu ou de passion inexpliqués dans leur grandeur, les perfections et les bonheurs incroyables dans leur continuité. […] Les événements ordinaires de la vie, les situations sans nombre que créent les devoirs multiples, parfois contraires, de la famille, de la société, de la conscience, voilà le pays où il faut situer les caractères qu’on veut faire vivre. […] Les sujets historiques, que la tradition offre généralement à traiter dans les compositions de collège, poussent forcément à l’invention romanesque : on ignore trop le détail particulier des événements réels, les ressorts cachés, les causes secrètes, les passions individuelles, les accidents insignifiants, mais gros de conséquences ; et dans la brume vague, dans le recul majestueux, où les hommes de l’histoire apparaissent comme de grands fantômes sans consistance, on n’ose rien soupçonner de médiocre ou d’ordinaire : on ne veut rien que de grand, de surprenant : du sublime et de l’horreur. […] Comment les mêmes événements affectent-ils des tempéraments différents ?

58. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Les événements qui se sont accomplis dans le monde moderne ont été si puissants et si terribles, les esprits et les âmes ont été remués à de telles profondeurs que le prêtre lui-même, le prêtre qui vit dans un écart sublime et dans l’impassible lumière du sanctuaire, en a ressenti le contrecoup. […] Il y a plus que du temps, il y a de l’événement, il y a la révolution française et les Napoléon, deux fois sauveurs ! […] Ventura avait pour la Critique l’intérêt d’un esprit de l’ordre le plus élevé qui, jusque-là, s’était illustré dans de très puissantes polémiques, mais que l’événement et le choix de l’Empereur mettaient en demeure de se montrer fécond et net dans sa fécondité et de dire enfin le mot suprême que, sur toutes les questions, le christianisme, s’il rencontre un homme de génie, n’a jamais manqué de prononcer ! […] dans ce discours où les caractères d’une restauration providentielle sont exposés avec une autorité incontestable, le publiciste sacré, après avoir fait la part de Dieu dans cet événement, arrive à la part de l’homme, à ce quelque chose d’humain que nous autres faibles créatures nous sommes pourtant tenus d’ajouter dans l’histoire aux bontés et aux magnificences divines, et le voilà qui se demande alors, comme dans ses autres discours il ne se l’était jamais demandé jusque-là, ce qu’il faut voir et ce qu’il faut faire pour résoudre cette question de la fragilité, de l’accident qui est, hélas !

59. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Dans celle-là, il n’y a pas que des brigands qui épousent des marquises et qui fusillent des carabiniers du Pape ; il n’y a pas que des Carbonari et des Francs-Maçons, et de la police et des révolutions, et des moines violeurs et des événements à la manière noire d’Anne Radcliffe ou de Mathurin. […] Il a de l’invention dans les faits, mais on est plus poëte en découvrant et en peignant ce qui est dans la société ou dans la nature qu’en inventant des événements et leurs tintamarres de complications. […] Dans Les Aventures de Bianca, il se croit ironique comme Voltaire, parce qu’il se moque de la vraisemblance, de nous et de lui-même, avec un entassement d’événements impossibles et en nous ouvrant sous le nez trente-six tabatières à surprises. […] Charles Didier est un conteur à événements qui a l’habitude de la plume, mais il n’a jamais eu, ce prosateur, d’étoffe ferme et étoffée, dans l’imagination ou dans le style, ni les enchantements passionnés ou rêveurs, ni les belles indolences d’attitudes ou les vivacités éprises, ni les grâces armées et désarmées de la causerie ou du récit, ni les gaietés d’alouette dans un ciel heureux, ni les mélancoliques lenteurs des cygnes sur les bassins tranquilles, que doivent avoir, pour réussir dans la pensée et le langage, les peintres ou les poètes des Décamérons !

60. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Un de ses premiers soins avec ceux qu’il voyait pour la première fois était de revenir sur le passé, de raconter les événements principaux de sa carrière active, et surtout la crise qui avait décidé de son changement de drapeau. […] « Pour moi, mon lot n’est pas si agréable : c’est avec de lourds tacticiens et avec de froides descriptions de combats qui ne ressemblent guère à ceux d’Homère, que je suis forcé de passer tous les instants que je consacre aux événements antérieurs. […] « Ses idées devaient se développer selon la tournure des événements : c’était à la fois l’homme le plus décidé et le plus indécis. […] Une rupture entre la Russie et la France était l’événement qui pouvait l’affecter le plus ; car une entente entre la France et la Russie a été jusqu’à la fin le plus caressé de ses vœux et de ses rêves. […] On pourra s’y faire une idée très-approximative de la manière dont Jomini appréciait les derniers événements en eux-mêmes et dans leurs conséquences relatives à l’art de la guerre.

61. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

L’événement n’est rien : l’impression est tout. […] « Cet événement et tous ceux du jour se sont passés à la cuisine ; c’est là que je fais demeure toute la matinée et une partie du soir depuis que je suis sans Mimi. […] « C’est un événement ici que ce foyer, comme à peu près un nouvel autel dans une église. […] et quelle beauté dans la simplicité des événements, toujours les mêmes ! […] Mais est-ce que l’événement, quelque semblable qu’il soit à lui-même, est jamais monotone ?

62. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Et si l’on passe de cet arrangement purement formel des mots au détaillement même de la description, au développement des situations ou des idées, au narré des événements, on est en présence d’une série de longueurs et d’écourtements, d’omissions et d’insistances sans cause visible, semblable à l’application d’une main faiblissante, puis fiévreuse, puis fléchissant de nouveau sous l’immense tâche et l’abandonnant. […] Les œuvres de Tolstoï tendent à représenter une société entière ; ils en embrassent et le contenu moyen et les extrêmes de conditions, d’événements, de caractères, de scènes, d’âge ; ils la reproduisent non de haut, de loin, vaguement, par synthèses et abstractions, mais de près, par des descriptions où le lecteur se sent comme mis face à face avec la réalité, par des personnages étrangement vivants et individuels. […] Ces romans forcent impérieusement à aller aux personnages, à participer aux événements, à ce qu’on se sente touchant à toutes ces existences, et sans cesse comme aux côtés des héros, adjoint, perdu dans la foule qui les entoure, en témoin invisible de leur solitude et de leurs pensées. Dans cette synthèse complexe, où sont représentés tous les âges, toutes les humeurs, tous les ordres d’intelligence et de moralité, les grands événements et les petits faits journaliers, ce n’est pas telle situation ou tel caractère qui concentre l’intérêt et qui le particularise, mais bien l’ensemble de ce monde artificiel aménagé par merveille et étendu au point que tout homme peut songer y vivre. […] Il s’acquitte de sa tâche, sans plaisir et sans ardeur, avec de lents mouvements de ses puissantes et débiles mains, il assemble les matériaux de son œuvre, où la foule grise de ses âmes, dispose la terre où elles vivent, entrelace le cours des événements, et cette tâche de géant imparfaitement, lentement achevée, mais imposante de grandeur et de vérité, il s’assied et la contemple avec des yeux distraits, distants et songeurs, comme absent de ce monde et de l’image qu’il est parvenu à en donner, comme détaché déjà de tous deux et entrevoyant quelque réalité dernière plus auguste et plus vénérée.

63. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Insuffisants et impuissants aux premiers rôles où le hasard des événements les avait portés, on les retrouve, à peu d’années d’intervalle, aux seconds rangs, devenus de bons, de fermes, d’intègres et infatigables serviteurs du pays. […] Jean-Bon n’avait pas été de ceux que les électeurs envoyèrent tout d’abord à l’Assemblée constituante ; il est possible que s’il avait été membre de cette première Assemblée comme le fut son collègue dans le ministère pastoral, l’estimable Rabaut Saint-Étienne, et s’il avait vu les choses de plus près, il se fût mûri, assagi, et que, son premier feu jeté, il eût bientôt jugé les événements d’un autre œil. […] Cet événement avait soulevé d’indignation la ville de Bordeaux dont la garde nationale avait pris les armes et s’était portée sur Montauban. […] La suite des événements, de 1789 à 1792, dans ces villes du Midi, nous échappe et s’est déjà effacée. […] Qui peut se flatter d’avoir une idée nette et précise de la série de ces événements tour à tour glorieux et déplorables, fruits du génie et de l’audace, des vertus les plus sublimes et des vices les plus bas, de la droiture la plus respectable et de l’iniquité la plus perverse, qui ont ébranlé le globe entier ?

64. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Homère a recueilli les traditions qui existaient lorsqu’il a vécu, et l’histoire de tous les événements principaux était alors très poétique en elle-même. Moins il y avait de communications faciles entre les divers pays, plus le récit des faits se grossissait par l’imagination ; les brigands et les animaux féroces qui infestaient la terre, rendaient les exploits des guerriers nécessaires à la sécurité individuelle de leurs concitoyens ; les événements publics ayant une influence directe sur la destinée de chacun, la reconnaissance et la crainte animaient l’enthousiasme. […] Quelque sublime que soit Homère par l’ordonnance des événements et la grandeur des personnages, il arrive souvent à ses commentateurs de se transporter d’admiration pour les termes les plus ordinaires du langage, comme si le poète avait découvert les idées que ces paroles exprimaient avant lui. […] Rien n’est moins poétique que la plupart des coutumes modernes ; et chez les Grecs ces coutumes ajoutaient toutes à l’effet des événements et à la dignité des hommes. […] La démocratie qui appelle tous les hommes distingués à toutes les places éminentes, portait les esprits à s’occuper des événements publics.

65. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Le talent a très peu orné son histoire ; l’opinion qui y interprète les événements et veut y marquer le sens des choses et des hommes est ce qu’on peut nommer, en ce moment, l’opinion parlementaire éplorée, et la passion qui se sert de cette histoire… n’est pas l’amour des institutions actuelles de la France. Au fond, cela pourrait bien n’être qu’un pamphlet, — un pamphlet à la portée de Rémusat, homme peu véhément de sa nature ; mais enfin l’Histoire y est, sous les arrangements et les ruses de la pensée, l’Histoire, avec l’intérêt poignant de ses événements, et malgré tous les efforts de l’historien pour en faire une impertinence. […] L’auteur de ce volume a souvent éprouvé que ses idées n’allaient pas aussi vite que les événements… On doit donc s’attendre à trouver, dans ce livre, des idées qui ont vieilli… (Souvenirs et Regrets !)  […] » Et plus bas encore il ajoute : « N’allons pas en vouloir aux événements pour avoir fait triompher d’un côté de la Manche les idées qui nous sont chères, parce qu’elles ont succombé ailleurs.

66. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Ils ont fait plus : ils ont eu la prudence, dans les comptes rendus qu’ils ont consacrés au Capitaine Fracasse, de supprimer toute analyse de ce roman, bien sûrs qu’ils étaient d’y trouver des événements tout aussi insignifiants que les sentiments, les passions et les personnages. […] Gautier, pour avoir une juste idée de sa magie, les prodigieux événements de son roman d’aventure. Or, précisément c’est ce que j’ai fait, moi, avec toute la conscience dont je suis capable, et, en fait d’aventures et d’événements créés par une imagination souveraine, voici exactement ce que j’ai trouvé : Écoutez : Le baron de Sigognac est le dernier descendant mâle de l’antique famille de ce nom, tombée du haut d’une splendeur historique dont les rayons remontaient aux croisades, dans une de ces ruines si profondes, qu’on peut les nommer une splendide pauvreté. […] Ici, j’ai cru, je l’avoue, un moment, que les aventures de ce soi-disant roman d’aventure allaient naître, mais je n’ai vu rien suivre de plus que ces événements assez vulgaires : quelques représentations de la troupe comique à Poitiers, l’amour furieux d’un certain duc de Vallombreuse, beau comme le jour, pour la jeune fille aimée de Sigognac avec une chasteté et un dévouement chevaleresques, le duel de Sigognac avec le duc qu’il blesse, — plus tard, l’enlèvement d’Isabelle par ce duc enragé et son contre-enlèvement par Sigognac, enfin la reconnaissance d’Isabelle par le père de ce duc de Vallombreuse à la simple vue d’une bague d’améthyste qu’il avait donnée à sa mère, et le mariage d’Isabelle et de Sigognac !

67. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Comme vous vous plaisez dans les détails de l’amitié, je vous raconterai brièvement les petits événements de mon voyage. […] Cette lettre a été brûlée ; les événements ont changé tout à fait. […] Là nous passerions dans notre souvenir tous les événements qui ont changé la face des nations. […] Je vais vous instruire des principaux événements de ma navigation. […] J’imagine pour vous que vous devez être heureux, dans quelque événement que vous puissiez vous trouver.

68. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

. — Le talent qui veut sortir est comme un fleuve qui creuse jusqu’à ce qu’il se soit fait un lit, fut-ce un lit de torrent. » « — Ce qui me frappe dans ces événements si étonnants, c’est, à travers tout, un caractère d’imitation, — et d’imitation littéraire. […] « Ordinairement la littérature et le théâtre s’emparaient des grands événements historiques pour les célébrer, pour les exprimer ; ici c’est l’histoire qui s’est mise à imiter la littérature.  […] On y voit mille perspectives éclairées aujourd’hui par les événements. […] » « — Saint-Priest relit maintenant Lamartine, et il me dit que cette lecture rétrospective, éclairée par le jour des événements récents, est d’un intérêt tout nouveau.

69. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

L’écrivain qui ne cherche que dans l’immuable nature de l’homme, dans la pensée et le sentiment, ce qui doit éclairer les esprits de tous les siècles, est indépendant des événements ; ils ne changeront jamais rien à l’ordre des vérités que cet écrivain développe. […] Il n’a rien découvert, mais il a tout enflammé ; et le sentiment de l’égalité, qui produit bien plus d’orages que l’amour de la liberté, et qui fait naître des questions d’un tout autre ordre et des événements d’une plus terrible nature, le sentiment de l’égalité, dans sa grandeur comme dans sa petitesse, se peint à chaque ligne des écrits de Rousseau, et s’empare de l’homme tout entier par les vertus comme par les vices de sa nature. […] Lorsque nous sommes émus, le son de la voix s’adoucit pour implorer la pitié, l’accent devient plus sévère pour exprimer une résolution généreuse ; il s’élève, il se précipite lorsqu’on veut entraîner à son opinion les auditeurs incertains qui nous entourent : le talent, c’est la faculté d’appeler à soi, quand on le veut, toutes les ressources, tous les effets des mouvements naturels ; c’est cette mobilité d’âme qui vous fait recevoir de l’imagination l’émotion que les autres hommes ne pourraient éprouver que par les événements de leur propre vie. […] L’enchaînement des idées et la progression croissante des vérités philosophiques fixent l’attention de l’esprit bien plus que les rapports passagers, incohérents et partiels qui peuvent exister entre nos circonstances particulières et les événements de notre temps.

70. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Alors, au lieu de quinze années, nous en aurions peut-être cinquante, mais il resterait toujours à écrire cette histoire dont Moret signale l’absence, cette œuvre, une et vaste, dont le Temps lui-même a tracé le cadre avec des dates et des événements. […] Les quinze années qu’il a choisies pour en raconter et en pénétrer les événements sont les dernières années du règne de Louis XIV. […] Quoique son premier volume ne contienne guères que quatre années de ces quinze qu’il doit nous raconter plus tard, on sait si ces quatre années furent pleines de choses et d’événements ! […] Quand on a lu son livre des Quinze ans du règne de Louis XIV, on a certainement quelques notions justes de plus, quelques faits de plus dans la tête, bien époussetés et bien éclaircis, mais on n’a pas une vue nouvelle, — une de ces traînées de lumière, ou même, simplement, un de ces points fixes et lumineux que les hommes qui fécondent les événements par la méditation allument dans l’esprit avec une phrase ou avec un mot.

71. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Armand Carrel » pp. 15-29

Dans ces journaux, qui prennent aux événements leur contour, leur passion, leur être, il n’y a plus rien qui se voie quand le soleil de la circonstance est couché ! […] Quel que soit le temps auquel on appartienne, quelle que soit la grandeur des événements qu’on représente dans les mille facettes d’une polémique qui n’a souci, le plus souvent, que de les briser, — et ce n’était pas le cas pour Armand Carrel, homme de petite époque, vulgaire et abaissée, — le journalisme, qui fait litière pour l’histoire, n’est jamais de l’histoire, et voilà pourquoi, quand elle commence, lui n’est déjà plus. […] Quant aux événements contemporains qui viennent se mirer dans ces pages ; ils sont bien de taille avec elles. […] Obstinations, taquineries, aigreurs, objurgations de la presse contre le pouvoir et du pouvoir contre la presse, arrestations, duels, convois politiques, émeutes, conspirations et révolutions plus ou moins avortées, toute cette petite pluie de petites choses qu’après les tonnerres de l’Empire il nous a fallu entendre tomber, voilà les événements que Carrel jauge, interprète, éclaire, et sur lesquels il cherche, en tâtonnant, à ajuster la loi de l’avenir.

72. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Qu’il ait écrit les trois livres qui n’en sont qu’un : Un début à l’Opéra, M. de Saint-Bertrand et le Mari de la Danseuse 39, tout d’une haleine ; qu’il en ait inventé ou combiné les événements à tête reposée et de longue main ; ou, comme tant d’autres marquis de la Rocambole du feuilleton, qu’il les ait trouvés au jour le jour dans cette improvisation qu’on apprend comme tout ce qui est de métier et d’exercice, il n’importe ! […] Madame Sand, qui faisait un livre, a traité ce sujet en se plaçant en plein centre d’âmes et de drame tète à tête, et, quoique sa main de femme ait un peu tremblé sur le scalpel et ne l’ait pas enfoncé aussi avant qu’il le fallait, elle en a mis pourtant la pointe à la place juste, tandis que Feydeau, venu après elle et faisant un feuilleton, a enroulé autour du Leone Leoni de madame Sand, dissous et délayé dans une boue plus liquide et plus infecte que la boue qui avait servi la première fois à la confection de ce type, un tas d’événements en arabesques qui sont des prétextes à feuilleton, mais qui ne font rien, absolument rien au sujet. […] Restent donc les faits, les événements, les aventures, toute cette danse macabre des faits qui sont la vie même du roman-feuilleton… Eh bien, ces faits, — la seule ressource qui restât à Feydeau dans sa pénurie d’idées, de sentiment, de conception quelconque ! […] que les événements de la vie, et qui donnent à l’œuvre de l’art tout le décousu de la réalité.

73. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Machiavel y suit Tite-Live événement par événement, comme la lampe suit les contours d’une statue pour en faire jaillir les formes dans la nuit aux regards d’un statuaire. Il explique avec une sagacité véritablement divine la pensée ou la passion des personnages, rois, consuls, magistrats ou peuple, qui amenèrent, dans tel ou tel but, telles ou telles vicissitudes dans les destinées du peuple romain ; il montre comment de l’événement accompli devait nécessairement découler tel autre événement par la seule fatalité des grands esprits, la fatalité des conséquences ; il refait l’histoire romaine tout entière avec une lucidité rétrospective qui éclaire mille fois mieux les faits que l’historien romain lui-même. […] C’est lui qui est le véritable traducteur des événements et qui les interprète en homme d’État ; il en extrait le suc pour en nourrir substantiellement ses amis des jardins Ruccellai, destinés à gouverner après lui la république ou la monarchie, l’aristocratie ou la démocratie de Florence. […] Cette histoire est un monument de bon sens, de connaissance des hommes, de clarté, de récit, surtout de réflexions politiques découlant des événements qu’il retrace ; mais le sujet est trop exclusivement toscan pour s’y arrêter ; la main de Machiavel est plus grande que sa république. […] Nous assistâmes nous-même à ces événements.

74. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Pour cela, il faut faire appel à l’observation personnelle du lecteur, partir de son expérience, comparer les objets inconnus qu’on lui montre aux objets connus qu’il voit tous les jours, rapprocher les événements anciens des événements contemporains. […] Elle comprend les événements de tout genre et les mène de front. […] Tant d’événements amassés font chez lui non un total, mais un tout. […] Par elles les événements épars se rassemblent en un événement unique ; elles les unissent parce qu’elles les produisent, et l’historien qui les recherche toutes ne peut manquer d’apercevoir ou de sentir l’unité qui est leur effet. […] Tout événement en a une multitude.

75. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Après avoir préparé son âme à attendre avec calme ce grand et terrible événement, ses inquiétudes se portèrent sur le bonheur des personnes de sa famille qu’il laissait après lui ; il désirait leur communiquer d’une manière solennelle le résultat de l’expérience d’une vie longue et toujours active. […] le bruit de cet événement subsistera à jamais ! […] Il ne fallait qu’un événement pour passionner l’enthousiasme de ce peuple et du sang pour sacrer cette monarchie de l’opinion. Cet événement se préparait dans l’ombre. […] La jeunesse florentine, un peu revenue de la première terreur de l’événement, se forma d’elle-même en escorte autour de Laurent et le conduisit à son palais par un détour, afin de lui éviter le spectacle du cadavre de l’infortuné Julien.

76. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Bug-Jargal » (1826-1832) — Préface de 1826 »

Ce sont les événements qui se sont arrangés pour le livre, et non le livre pour les événements.

77. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Plaçons-nous, en d’autres termes, sur cette base AB de la mémoire (page 181) où se dessinent dans leurs moindres détails tous les événements de notre vie écoulée. […] Dans le plan extrême qui représente la base de la mémoire, il n’y a pas de souvenir qui ne soit lié, par contiguïté, à la totalité des événements qui le précèdent et aussi de ceux qui le suivent. […] Tel choc brusque, telle émotion violente, sera l’événement décisif auquel ils s’attacheront : et si cet événement, en raison de son caractère soudain, se détache du reste de notre histoire, ils le suivront dans l’oubli. On conçoit donc que l’oubli consécutif à un choc, physique ou moral, comprenne les événements immédiatement antérieurs, — phénomène bien difficile à expliquer dans toutes les autres conceptions de la mémoire. […] Car tout événement dont le souvenir s’est imprimé dans la mémoire, si simple qu’on le suppose, a occupé un certain temps.

78. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Les émotions de l’âme ont donc une cause durable qui subit peu de changements par les événements politiques, tandis qu’à plusieurs égards la gaieté est dépendante des circonstances. […] Ce ne sont pas des maximes de morale, c’est le développement des caractères et la combinaison des événements naturels qui produisent un semblable effet au théâtre ; et c’est en prenant cette opinion pour guide, qu’on pourrait juger quelles sont les pièces étrangères dont nous pouvons nous enrichir. […] Les circonstances de la vie privée suffisent à l’effet du drame, tandis qu’il faut, en général, que les intérêts des nations soient compromis dans un événement, pour qu’il puisse devenir le sujet d’une tragédie. […] L’action infatigable de la peine fait passer et repasser sans cesse dans notre cœur des idées et des sentiments qui tourmentent notre être en dedans de nous-mêmes, comme si chaque instant amenait un événement nouveau. […] Les romans qui n’offriraient que des événements extraordinaires, seraient bientôt délaissés67.

79. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Il lui promit dès lors sa protection à tout événement, et il tint parole. […] Lorsque les événements vinrent changer la face de la France et la remirent elle-même à sa place sur les degrés du trône impérial, un de ses premiers soins, pour le commencement de l’année 1853, fut d’écrire à l’empereur Nicolas et de remplir envers lui ses devoirs d’usage à titre de parente ; mais sa lettre portait naturellement la marque de sa situation nouvelle : il lui répondit (10 janvier 1853) : J’ai eu grand plaisir, ma chère nièce, à recevoir votre bonne et aimable lettre. […] Mais d’autres événements, bien imprévus, se précipitèrent : en moins d’un an, la guerre avec la Russie était résolue et sur le point d’éclater. […] Ces amitiés ont été plutôt suspendues et interrompues que brisées par les événements qui suivirent, et qui jetèrent dans le mécontentement et le dénigrement toute une moitié de la haute société.

80. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Les romans des Anglais ne sont point fondés sur des faits merveilleux, sur des événements extraordinaires, tels que les contes arabes ou persans : ce qu’il leur reste de la religion du Nord, ce sont quelques images, et non une mythologie brillante et variée, comme celle des Grecs ; mais leurs poètes sont inépuisables dans les idées et les sentiments que fait naître le spectacle de la nature. […] Il est un genre d’ouvrages d’imagination, dans lequel les Anglais ont une grande prééminence : ce sont les romans sans merveilleux, sans allégories, sans allusions historiques, fondés seulement sur l’invention des caractères et des événements de la vie privée. […] Les anciens romans français peignent des aventures de chevalerie, qui ne rappellent en rien les événements de la vie. […] Ce sont eux qui ont osé croire les premiers, qu’il suffisait du tableau des affections privées, pour intéresser l’esprit et le cœur de l’homme ; que ni l’illustration des personnages, ni l’importance des intérêts, ni le merveilleux des événements n’étaient nécessaires pour captiver l’imagination, et qu’il y avait dans la puissance d’aimer de quoi renouveler sans cesse et les tableaux et les situations, sans jamais lasser la curiosité.

81. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

On a fait, en quelque sorte, solution de continuité ; et, s’il faut le dire d’une manière sévère, les déplorables événements de 1792 et 1793 ont prononcé un divorce éternel, divorce qu’une usurpation courte par la durée du temps, mais longue par l’intensité du despotisme et par la multiplicité des événements, avait été sur le point de revêtir du manteau légal de la prescription ; divorce enfin qui fut un instant consacré par ce qu’il y a de plus éclatant parmi les hommes, la gloire militaire. […] Lorsque ensuite on a voulu construire de nouvelles digues, rien n’était préparé, et rien ne pouvait l’être, parce que des institutions ne peuvent pas s’improviser : les événements alors sont venus rouler sur les événements comme des vagues furieuses.

82. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Cet événement avait eu lieu dans les langues primitives ; mais il est bien plus promptement survenu dans les langues dérivées. Non seulement nous n’avons plus de pensées sans qu’il s’y lie des signes oraux simultanément perçus avec elles, mais pour nous s’est évanoui dans l’ordre intellectuel le sentiment de l’analogie physique du mot. » Or cet événement que, dans une telle hypothèse, j’aurais confondu avec celui que j’ai voulu signaler, c’est cet événement que j’aurais pris pour l’émancipation de la pensée des liens de la parole. […] Ici, il faut être juste, la patience échapperait s’il ne s’agissait pas de répondre à un homme qui fut si éclairé, et que la religion de l’amitié prend sous sa sauvegarde ; la patience échapperait, car c’est encore l’événement que j’ai retracé, mais mal saisi, mal raconté, mal caractérisé.

83. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Ce sont les événements qui y prennent tout et les événements y sont communs et incohérents, particulièrement incohérents ! […] Mme Gustave Haller ne paraît pas se douter d’une loi souveraine en matière de roman, c’est qu’il faut que les événements sortent des développements et du choc des passions et des caractères, et non pas que les passions et les caractères y soient, comme dans les sots hasards de la vie, emboîtés dans les événements… III Quant aux passions et aux caractères qui pourraient exister fortement même dans un roman dont la trame serait aussi mal faite que celui de Mme Haller, les uns et les autres y sont posés, oui !

84. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

La qualité suprême, en politique, est de prévoir ; en histoire, qui n’est que de la politique rétrospective, l’éminente qualité c’est de voir toute la portée d’un événement, et, qu’elle soit épuisée ou non, cette portée, d’en prendre exactement la mesure. […] l’histoire d’un seul Pape, dans l’histoire de l’Église, a de tels rayonnements en avant et en arrière que ce n’est plus l’histoire d’un siècle ni d’un Pape, mais l’histoire de l’Église universelle et éternelle, concentrée dans la minute d’un siècle ou d’une vie d’homme, comme tout un horizon répercuté et concentré dans une facette de diamant… En intérêt, l’Histoire de la Papauté pendant le xve  siècle, par l’abbé Christophe, vaut, avec d’autres événements et des personnalités différentes, son Histoire de la Papauté pendant le xive  siècle, et elle a le même mérite d’unité dans la variété qui est le caractère particulier de toutes les histoires détachées de l’histoire générale de l’Église, qui a bien raison de s’appeler catholique, c’est-à-dire universelle ; car si Dieu l’ôtait de ce monde, il s’y ferait un de ces trous, comme dit Shakespeare en parlant des monarchies qui croulent, que rien — quoi qu’on y jette — ne peut plus combler ! […] … La prise de Constantinople par Mahomet II, cet événement énorme, se rattache elle-même au concile de Bâle ; car c’est là, c’est dans ce concile où tous les sophismes et toutes les impossibilités se donnaient la main, qu’avorta cette Réunion des Grecs aux Latins, voulue si longtemps et même espérée par les Papes, et qui, si elle avait eu lieu, aurait probablement sauvé l’Empire. […] L’auteur, solide et mesuré, ne passionne jamais son lecteur, et même il l’impatiente, quand ce lecteur est passionné… Rien dans son livre de nouveau et de révélateur sur les hommes et les événements du temps qu’il parcourt.

85. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

La vie m’a appris à être modeste, et les événements publics, comme les événements privés, qui m’ont écrasé sans m’aplatir, ne me laissent de mes œuvres ou de mes actes qu’une fière humiliation devant les hommes et une humble humilité devant Dieu. […] Thiers n’était pas encore ce qu’il est ; l’âge et la vie publique pleine de bon sens, de fautes expiées, de leçons terribles, n’avaient pas donné encore à son esprit ce sens de la moralité ou de l’immoralité des événements et des caractères qui est la vertu de l’histoire. […] Plus j’ai étudié les faits, les hommes, les événements de la Révolution française, plus ce livre a baissé dans mon esprit ; mais habent sua fata libelli . […] J’en donnerai d’étranges exemples, en ce qui concerne les événements et les hommes de 1848, dans mes Mémoires politiques. […] On ne me comprenait pas, mais on commençait à me soupçonner d’une utilité future dans les événements que le temps amène avec lui.

86. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIII » pp. 291-293

Mais l’autre nouvelle qui a préoccupé tous les esprits, depuis quelques jours, a été l’événement fatal arrivé à l’homme le plus littéraire de France, à M. […] Dans un temps où l’on n’a plus d’oraisons funèbres de Bossuet, de tels événements en tiennent lieu et disent assez lequel est le seul grand.

87. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Zeller, avec son bon et droit esprit, a résolu le problème assez délicat d’être court, substantiel toutefois et complet, de ne se perdre ni dans le détail ni non plus dans les généralités, de resserrer les faits, d’en composer un tissu intéressant, et de choisir chaque fois un ordre d’événements et d’actions personnifié dans une ou deux principales figures, un ensemble qui eût un sens et qui fût un tableau. […] Tous ces grands noms, en effet, tous ces grands événements du monde romain, du monde oriental ancien, à cette époque de crise, tout cela n’est pour Bossuet qu’une préparation, une belle et sévère avenue d’un aspect auguste, qui aboutit à la naissance de Jésus-Christ. […] Il le propose comme le modèle inimitable des abrégés : « Cet écrivain, dit-il, que je ne me lasse point de lire ; que, par pressentiment, j’ai admiré toute ma vie ; qui réunit tous les genres ; qui est historien, quoique abréviateur ; qui, dans le plus petit espace, nous a conservé un grand nombre d’anecdotes qu’on ne trouve point ailleurs ; qui défend son lecteur de l’ennui d’un abrégé par des réflexions courtes, qui sont comme le corollaire de chaque événement ; dont les portraits nécessaires pour l’intelligence des faits sont tous en ornement ; enfin l’écrivain le plus agréable que l’on puisse lire… », cet écrivain sans pareil n’est autre pour lui que Velléius. […] Les dates y sont empruntées d’Usserius, et assurément elles n’ont pas toute l’exactitude possible ; mais c’est un chef-d’œuvre dont la première partie offre un tableau chronologique des événements mémorables depuis la Création jusqu’à Charlemagne. […] J’avoue que j’admire cette première partie au moins autant que les deux autres. » Cette première partie ainsi expliquée, et les grands événements de l’histoire ancienne étant une fois distribués chronologiquement et par époques, de manière à venir se ranger, pour ainsi dire, « chacun sous son étendard,) » on est préparé et l’on n’a plus qu’à entrer avec Bossuet, le grand généralissime, dans ce qui fait l’objet principal et le vrai dessein du livre, à savoir les considérations sur la suite du peuple de Dieu, et sur celle des grands empires.

88. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

En étudiant l’histoire, il me semble qu’on acquiert la conviction que tous les événements principaux tendent au même but, la civilisation universelle. […] Ainsi le temps nous découvre un dessein dans la suite d’événements qui semblaient n’être que le pur effet du hasard ; et l’on voit surgir une pensée, toujours la même, de l’abîme des faits et des siècles. L’invasion des Barbares fut sans doute un grand malheur pour les nations contemporaines de cette révolution ; mais les lumières se propagèrent par cet événement même. […] La guerre pour de simples intérêts politiques, entre des peuples également éclairés, est le plus funeste fléau que les passions humaines aient produit ; mais la guerre, mais la leçon éclatante des événements peut quelquefois faire adopter de certaines idées par la rapide autorité de la puissance. […] L’histoire de l’esprit humain, pendant les temps qui se sont écoulés entre Pline et Bacon, entre Épictète et Montaigne, entre Plutarque et Machiavel, nous est peu connue, parce que la plupart des hommes et des nations se confondent dans un seul événement, la guerre.

89. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

J’appelle philosophie, l’investigation du principe de toutes les institutions politiques et religieuses, l’analyse des caractères et des événements historiques, enfin l’étude du cœur humain, et des droits naturels de l’homme. […] Dans le Nord, l’esprit de chevalerie donnait souvent lieu aux événements extraordinaires ; et pour intéresser les guerriers, il fallait leur raconter des exploits pareils aux leurs. […] Le talent s’exerça bientôt à supposer et à peindre des événements fabuleux. […] On a réuni les deux genres en Italie ; l’invasion des peuples du Nord a transporté dans le Midi la tradition des faits chevaleresques, et les rapports que les Italiens entretenaient avec l’Espagne ont enrichi la poésie d’une foule d’images et d’événements tirés des contes arabes. […] Cependant le dernier vers qui termine le récit : Passa la bella donna et par che dorma35, est trop harmonieux, trop doux, glisse trop mollement sur l’âme, pour être d’accord avec l’impression profonde que doit produire un tel événement.

90. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Il faut dans cet examen reconnaître d’abord, combien, des événements semblables en apparence, diffèrent, selon le caractère de ceux qui les éprouvent. […] Je dis à l’homme qui ne veut se plaindre que du sort, qui croit voir dans sa destinée un malheur sans exemple avant lui, et ne s’attache qu’à lutter contre les événements ; je lui dis : parcourez avec moi toutes les chances des passions humaines, voyez si ce n’est pas de leur essence même, et non d’un coup du sort inattendu que naissent vos tourments. […] Si vous êtes traversés dans vos projets pour acquérir et conserver la gloire, votre esprit peut s’attacher à l’événement qui, tout à coup, a interrompu votre carrière, et se repaître d’illusions, plus faciles encore dans le passé que dans l’avenir. Si l’objet qui vous est cher vous est enlevé par la volonté de ceux dont elle dépend, vous pouvez ignorer à jamais ce que votre propre cœur aurait ressenti, si votre amour, en s’éteignant dans votre âme, vous eût fait éprouver ce qu’il y a de plus amer au monde, l’aridité de ses propres impressions ; il vous reste encore un souvenir sensible, seul bien des trois quarts de la vie ; je dirai plus, si c’est par des fautes réelles dont le regret occupe à jamais votre pensée, que vous croyez avoir manqué le but où tendait votre passion, votre vie est plus remplie, votre imagination a quelque chose où se prendre, et votre âme est moins flétrie que si, sans événements malheureux, sans obstacles insurmontables, sans démarches à se reprocher, la passion par cela seulement qu’elle est elle, eût, au bout d’un certain temps, décoloré la vie, après être retombée sur le cœur qui n’aurait pu la soutenir. […] On dit, qu’en s’abandonnant à la pitié, les individus et les gouvernements peuvent être injustes ; d’abord les individus d’une condition privée ne sont presque jamais dans une situation qui commande de résister à la bonté ; les rapports avec les autres sont si peu étendus, les événements qui offrent quelque bien à faire, sont dépendants d’un si petit nombre de chances, qu’en se rendant difficiles sur les occasions qu’on peut saisir, on condamne sa vie à l’inutile insensibilité.

91. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Ainsi, suivant l’auteur, nous parcourons rapidement par la pensée la série des états de conscience, intermédiaires entre le moment du souvenir et le moment où l’événement s’est produit, et c’est par ce mouvement rapide qu’un fait nous apparaît comme passé, et par suite que la mémoire diffère de l’imagination. […] Les divers cas de croyance peuvent se classer sous trois titres : croyance aux événements ou aux existences réelles ; croyance au témoignage ; croyance à la vérité des propositions. La croyance aux événements ou existences réelles peut avoir pour objet le présent, le passé, le futur. […] Quand je dis que je me rappelle l’incendie du théâtre de Drury-Lane ; dire que je me rappelle cet événement et que j’y crois, c’est dire la même chose : ce sont deux états de conscience indiscernables. […] L’idée de nuit est suivie par celle de matin ; l’idée de matin par celle des événements du matin (les voilures dans les rues de Londres) et de toute la journée.

92. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Elle a raconté l’histoire de sa captivité et des événements arrivés au Temple depuis le jour où elle y entra jusqu’au jour où y mourut son frère, et elle l’a fait d’un style simple, correct, précis, sans un mot de trop, sans une phrase, comme il sied à un cœur profond et à un esprit juste parlant en toute sincérité des douleurs vraies, de ces douleurs véritablement ineffables et qui surpassent tout ce qu’on en peut dire. […] Le récit qu’elle a tracé des événements du Temple fut écrit au Temple même dans les derniers mois de sa détention et quand on se fut relâché de l’extrême rigueur. […] Toute cette littérature plus ou moins exaltée, et dans le goût de Mme Cottin, qui s’agitait autour de la jeunesse de Madame Royale, ne l’atteignit évidemment en rien, et le récit qu’elle a tracé en 1795 des événements du Temple serait la critique de tous ces autres récits et de ces faux tableaux d’alentour, si on pouvait songer seulement à les rapprocher. […] Une fièvre contagieuse s’était déclarée parmi les prisonniers français amenés à Mittau par suite des événements de la guerre. […] Cette sorte d’ivresse pourtant, si elle en ressentit quelque chose, ne résista point aux événements de Bordeaux, et à cette nouvelle épreuve si amère qu’elle fit de la fragilité et de l’infidélité humaines.

93. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1823 »

Il a adopté, pour consacrer ces événements, la forme de l’Ode, parce que c’était sous cette forme que les inspirations des premiers poëtes apparaissaient jadis aux premiers peuples. […] Il a donc pensé que si l’on plaçait le mouvement de l’Ode dans les idées plutôt que dans les mots, si de plus on en asseyait la composition sur une idée fondamentale quelconque qui fût appropriée au sujet, et dont le développement s’appuyât dans toutes ses parties sur le développement de l’événement qu’elle raconterait, en substituant aux couleurs usées et fausses de la mythologie païenne les couleurs neuves et vraies de la théogonie chrétienne, on pourrait jeter dans l’Ode quelque chose de l’intérêt du drame, et lui faire parler en outre ce langage austère, consolant et religieux, dont a besoin une vieille société qui sort, encore toute chancelante, des saturnales de l’athéisme et de l’anarchie.

94. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Amédée Thierry a le sentiment de la grandeur humaine et jusqu’à un certain point le sentiment poétique des légendes qu’il aime à raconter, mais avec l’histoire qu’aujourd’hui il a choisie, — Attila et ses successeurs — il fallait plus que ces deux sentiments pour décrire et pour expliquer les événements étranges et sans précédents qui se produisent, comme une succession de coups de tonnerre, dans les annales de l’humanité. […] C’est là qu’il apprit la guerre, et que, mêlé de bonne heure aux événements du monde européen, il connut le jeune Aétius, otage des Romains près de son oncle Roua. […] Malheureusement, il ne l’a point assez invoquée : et de là tous les troubles et tous les rapetissements qu’il y fait subir aux événements et aux hommes. […] Amédée Thierry, dans des histoires plus opulentes encore en événements, en contrastes, en choses grandioses, fauves et terribles, M.  […] Où le premier diminue la poésie de ces hommes et de ces événements hors des proportions des temps actuels, le second prosaïse et réduit tout à cette expression très sage, très modérée, mais très prosaïque, adorée des classes moyennes qui gouvernent la littérature, en attendant la canaille.

95. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

L’amélioration précédente est une cause de l’amélioration future ; cette chaîne peut être interrompue par des événements accidentels qui contrarient les progrès à venir, mais qui ne sont point la conséquence des progrès antérieurs. […] Sous la tyrannie des empereurs, il n’était ni permis ni possible de remuer le peuple par l’éloquence ; les ouvrages philosophiques et littéraires n’avaient point d’influence sur les événements publics. […] Les écrits polémiques, ceux qui doivent agir sur l’opinion du moment et sur l’événement du jour, n’auraient jamais pu être d’aucune utilité, d’aucune influence avant l’usage de la presse ; ils n’auraient jamais été assez répandus pour produire un effet populaire : la tribune seule pouvait atteindre à ce but ; mais on ne composait jamais un ouvrage que sur des idées générales ou des faits antérieurs propres à l’enseignement des générations.

96. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Tous les deux ont raconté les principaux événements du règne de Louis XIV, en mettant au premier plan les détails de l’histoire intérieure de la cour, et chacun l’a fait selon son caractère et sa position. […] Ses lettres sont une agréable gazette, où les grands événements sont touchés comme les nouvelles de cour et les nouvelles de cour comme les grands événements. […] Les anciens ne racontent que les événements publics, la vie publique, soit au pied de la tribune, soit sur les champs de bataille. Peu de détails sont donnés à la négociation, aux conseils, aux causes cachées des événements. […] Quant à l’histoire des événements publics, des campagnes militaires, par exemple, il y est embarrassé et éteint.

97. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Pour peu qu’il vive à l’une des époques décisives de la civilisation, l’âme de ce qu’on appelle le poëte est nécessairement mêlée à tout, au naturalisme, à l’histoire, à la philosophie, aux hommes et aux événements, et doit toujours être prête à aborder les questions pratiques comme les autres. […] Au moment où l’impression de ce livre se terminait, il s’est aperçu des événements tout récents et qui, à l’instant même où nous sommes, occupent encore Paris, semblaient donner la valeur d’une application directe à deux lignes du paragraphe XV de la Conclusion. […] En admettant que ces deux lignes aient un sens, ce ne sont pas elles qui sont venues se superposer aux événements, ce sont les événements qui sont venus se ranger sous elles.

98. (1887) George Sand

C’est dans une conception poétique que naissent ces récits si riches, si variés, qui souvent s’altèrent dans la suite des événements, mais qui toujours ont des commencements merveilleux. […] Les événements se développent ; mais déjà peu à peu quelques-uns des caractères d’abord indiqués changent et se déforment. […] Elle les livrait à la fatalité de son art, comme la vie les livre à la fatalité des événements. […] Soit dans les descriptions, soit dans les analyses, soit dans la suite des événements, il suit l’idée d’un mouvement continu, il l’exprime et le manifeste avec une aisance et une fluidité qui n’empêchent pas la force. […] Tant d’événements n’ont pas été perdus pour elle, ni en politique, ni en philosophie sociale.

99. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Plus religieux que les Grecs, quoique moins fanatique ; plus obéissant aux autorités politiques, moins enthousiaste, et par conséquent moins jaloux des réputations individuelles, il n’était jamais privé de l’exercice de sa raison par aucun événement de la vie humaine. […] Les chefs du peuple n’ont, pour ainsi dire, aucune idée de la postérité ; les orages du présent sont si terribles, les revers et la prospérité portent si loin la destinée, que toutes les passions sont absorbées par les événements contemporains. […] Les Romains n’auraient jamais supporté, sur leur théâtre, les plaisanteries grossières d’Aristophane ; ils n’auraient jamais souffert que les événements contemporains, les personnages publics fussent ainsi livrés en spectacle. […] Nos poètes n’ont laissé aucun genre sans l’avoir essayé ; et ils ont mérité beaucoup de louanges, en osant abandonner les traces des Grecs, et célébrer des événements domestiques, soit dans le genre tragique, soit dans la comédie. […] Il serait hasardé de vouloir garantir qu’il ne se trouverait pas dans des recherches pareilles une exception à la règle générale ; mais une observation de ce genre se fonde sur un très grand nombre d’exemples ; et il est certainement très probable que les Romains du temps de la république n’ont point encouragé les tragédies qui avaient pour sujet les propres événements de leur histoire.

100. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Tous ces mots savants désignent des choses vagues qui ont l’air de lutter, de s’accoupler, et d’agir bien au-dessous des événements dans un bas-fond obscur. […] On voit le vieux petit volume, la reliure de parchemin, les événements racontés, tout le détail des cinq ou six cents pages. […] Art, littérature, philosophie, religion, famille, société, gouvernement, tout établissement ou événement extérieur nécessite et dévoile un ensemble d’habitudes et d’événements intérieurs. […] L’analyse ajoute le monde moral au monde physique, et complète les événements par les sentiments.

101. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

L’événement tout entier est aussi lugubre que la pensée de Hamlet. […] Les événements comprennent une période de quatre années, depuis la retraite du peuple au Mont-Sacré, l’an de Rome 262, jusqu’à la mort de Coriolan. […] Il se place simplement au milieu des événements et des personnages, et d’un souffle mettant en mouvement toutes ces choses inanimées, il nous fait assister au spectacle de leur existence. […] Vivent ces amours embrouillés, avec un paysan bouffon pour valet, plutôt que des événements trop rapprochés de notre temps !  […] Oubliez les événements, sortez du drame ; tous ces personnages demeureront réels, animés, distincts ; ils sont vivants par eux-mêmes, leur existence ne s’évanouira point avec leur situation.

102. (1813) Réflexions sur le suicide

Le temps est quelque chose de sacré qui semble agir indépendamment même des événements qu’il renferme. […] On croit s’affranchir du joug des événements humains en se promettant de se tuer, si l’on n’atteint pas le but de ses désirs. […] Mais les espérances qu’il donne ne se rapportent pas aux événements de cette vie : c’est la disposition de l’âme sur laquelle la prière a le plus d’empire. […] Les événements de ce monde, quelque importants qu’ils nous paraissent, sont quelquefois mus par les plus petits ressorts, et le hasard en réclame sa forte part. […] Comment juger moi-même la place que mon souvenir doit occuper dans la chaîne des événements de l’histoire ?

103. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Elle vous fait parcourir une suite d’objets nouveaux, elle vous fait éprouver une sorte d’événements qui suffisent à la pensée, l’occupent et l’animent sans aucun secours étranger. […] En effet, une vérité abstraite s’éclaircit toujours davantage en y réfléchissant ; mais une affaire, un événement qui nous affecte, s’exagère, se dénature lorsqu’on s’en occupe perpétuellement. […] La sage modération des philosophes studieux dépend, peut-être, du peu de temps qu’ils consacrent à rêver aux événements de leur vie, autant que du courage qu’ils mettent à les supporter.

104. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

Qu’on vante tant qu’on voudra celui qui, démêlant les secrets de nos cœurs, fait sortir les plus grands événements des sources les plus misérables : Dieu attentif aux royaumes des hommes ; l’impiété, c’est-à-dire l’absence des vertus morales, devenant la raison immédiate des malheurs des peuples : voilà, ce nous semble, une base historique bien plus noble, et aussi bien plus certaine que la première. […] Une telle combinaison de choses n’a point de principe naturel dans les événements humains.

105. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Dans cet immense flux d’événements qui est le monde, les séries qui tranchent fortement sur les séries environnantes et dont les éléments sont très semblables entre eux, font ce que l’on nomme les êtres particuliers et individuels. […] Mais, dans l’évanouissement et dans la diversité incessante de tous ses événements constitutifs, le groupe de ses caractères fixes prend une importance capitale, et nous le considérons à bon droit comme la portion essentielle de l’individu. […] Par conséquent, elle n’est, comme toute aptitude, propriété et capacité, qu’un caractère général de l’objet, et ce caractère peut être dégagé, retiré, mis à part par les procédés ordinaires, c’est-à-dire au moyen d’un nom, et, en général, au moyen d’un signe. — Bien mieux, il n’y en a pas de plus facile à mettre à part ; car tous les objets et tous les événements le présentent, puisque chaque objet et chaque événement contribue avec d’autres semblables à faire une collection qui est sa classe. […] Observons donc une série d’objets ou d’événements, en ayant soin de ne considérer en chacun d’eux que sa capacité d’entrer comme composant dans une collection. Pour cela, omettons de parti pris tous ses autres caractères ; après ce retranchement, une file de peupliers, une suite de sons, toute autre file ou suite cesse d’être une file, de peupliers, une suite de sons, une suite ou file d’objets ou d’événements déterminés ; elle n’est plus qu’une suite, file ou série d’uns ou d’unités.

106. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Les diplomates y trouveront des monuments de diplomatie savante, admirablement scrutés et éclairés d’un jour qui ne laisse rien dans l’ombre ; mais la masse des lecteurs superficiels, qui s’attache exclusivement aux événements et aux hommes, laisseront ces riches études aux érudits. […] Si la première loi de l’histoire est d’être véridique, la première loi de la critique est d’être arbitre entre les événements et l’historien. […] « On verra, dit le premier Consul dans cet accès d’éloquente colère, quels ménagements peut mériter une famille… » (La famille des Bourbons, dont l’ombre lui fermait encore l’accès du trône sur lequel il méditait de s’asseoir bientôt après cet événement.) […] D’autres en ont donné des fragments d’une grande précision et d’un style peut-être supérieur comme couleur, mais aucun ne les a placés à leur jour et à leur place dans ce vaste et magnifique ensemble qui donne à chacun de ces événements, militaires ou civils, sa place, sa proportion, sa valeur historique et sa signification dans la destinée du monde. […] Lisez ces quelques lignes jetées après le récit si animé de la bataille d’Austerlitz sur l’entrevue des deux empereurs ; voyez comme le style se détend, ainsi que l’âme, le lendemain des événements qui ont tendu l’esprit jusqu’au délire de la victoire ou jusqu’au désespoir de la défaite !

107. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Les révolutions suppléent au temps en concentrant beaucoup d’événements dans quelques mois. […] Je trouvais ma femme au bord de la mer et nous remontions par les vignes à la Sentinella, en causant des événements de Naples pendant la semaine. […] Elle flottait sur les ondulations des plus graves et des plus tragiques événements comme une rose de Pæstum arrachée de sa tige sur les flots bouillants du golfe. […] Ce que l’esprit n’ose prévoir, les événements et les caractères l’amènent. […] C’était comme un lai des sirventes, comme une légende du moyen âge, dont les seuls événements étaient ses impressions et ses amours, ses songes dans les différentes terres et dans les différentes mers qu’il avait parcourues.

108. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Au point de vue de l’introduction en France de l’œuvre wagnérienne, cette représentation est un événement considérable. […] — A l’Eden-Théâtre, la saison des concerts a cruellement souffert de la préparation de la saison théâtrale ; et tout l’intérêt pour les wagnéristes, qui voient dans une exécution enfin complète de Manfred un événement wagnérien, s’est porté au Châtelet. […] Lors du grand essor du moyen âge, et de l’institution de la chevalerie, elle se répandit par la France entière, rayonna jusqu’en Allemagne, et se trouva concorder, si je puis dire, avec divers événements historiques, les croisades, la création des templiers. […] La duchesse promit, et le mariage fut célébré… « Bien des gens peuvent encore, en Brabant, parler de ces événements extraordinaires de l’arrivée de Loherangrin et de son départ, lorsque la question fut prononcée… Tristement il s’en alla ; son ami le cygne était revenu avec une nacelle. […] Nous sommes convaincus à l’avance que tout sera au mieux à la représentation de Lohengrin, mais nous remettons au 15 mai le récit détaillé de ce mémorable événement wagnérien.

109. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

L’une consiste à donner une idée générale de ce qui va se passer dans le cours de la pièce, par le récit de quelques événements que l’action suppose nécessairement. […] Il est à souhaiter que l’action commence dans un jour illustre ou désiré, remarquable par quelque événement qui tienne lieu d’époque ou qui puisse le devenir. […] Parmi nous, l’épisode se prend pour un incident ou une action détachée qu’un poète insère dans son ouvrage et lie à son action principale, pour y jeter une plus grande diversité d’événements. […] Ces sortes de récits sont, pour l’ordinaire, dans la bouche des personnages qui, s’ils n’ont pas un intérêt à l’action du poème, en ont du moins un très fort qui les attache au personnage le plus intéressé dans l’événement funeste qu’ils ont à raconter. […] Dans l’événement le plus triste et le plus terrible, tout n’est pas également capable d’imprimer de la terreur ou de faire couler des larmes.

110. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Tant d’événements décidés par la force, tant de crimes absous par le succès, tant de vertus flétries par le blâme, tant d’infortunes insultées par le pouvoir, tant de sentiments généreux devenus l’objet de la moquerie, tant de vils calculs hypocritement commentés ; tout lasse de l’espérance les hommes les plus fidèles au culte de la raison. […] L’opinion, si vacillante sur les événements réels de la vie, prend un caractère de fixité quand on lui présente à juger des tableaux d’imagination. […] La plupart des hommes, épouvantés des vicissitudes effroyables dont les événements politiques nous ont offert l’exemple, ont perdu maintenant tout intérêt au perfectionnement d’eux-mêmes, et sont trop frappés de la puissance du hasard pour croire à l’ascendant des facultés intellectuelles. […] À Athènes, à Rome, dans les villes dominatrices du monde civilisé, en parlant sur la place publique, on disposait des volontés d’un peuple et du sort de tous ; de nos jours, c’est par la lecture que les événements se préparent et que les jugements s’éclairent. […] La méditation profonde qu’exigent les combinaisons des sciences exactes, détourne les savants de s’intéresser aux événements de la vie ; et rien ne convient mieux aux monarques absolus, que des hommes si profondément occupés des lois physiques du monde, qu’ils en abandonnent l’ordre moral à qui voudra s’en saisir.

111. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Juger ces événements, de quelques noms qu’on les désigne, c’est les faire rentrer dans l’ordre des idées existantes, des idées pour lesquelles il y avait déjà des expressions. […] C’est donc en écartant cette époque monstrueuse, c’est à l’aide des autres événements principaux de la révolution de France et de l’histoire de tous les peuples, que j’essayerai de réunir des observations impartiales sur les gouvernements, et si ces réflexions me conduisent à l’admission des premiers principes sur lesquels se fondent la constitution républicaine de France, je demande que, même au milieu des fureurs de l’esprit de parti qui déchirent la France, et par elle le reste du monde, il soit possible de concevoir que l’enthousiasme de quelques idées n’exclut pas le mépris profond pour certains hommes1, et que l’espoir de l’avenir se concilie avec l’exécration du passé. […] Dans le canton de Berne, par exemple, on a remarqué que tous les dix ans il y avait à peu près la même quantité de divorces ; il y a des villes d’Italie où l’on calcule avec exactitude combien d’assassinats se commettent régulièrement tous les ans ; ainsi les événements qui tiennent à une multitude de combinaisons diverses ont un retour périodique, une proportion fixe, quand les observations sont le résultat d’un grand nombre de chances. […] Montesquieu, dans son sublime ouvrage sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, a traité, tout ensemble, les causes diverses qui ont influé sur le sort de cet Empire ; il faudrait apprendre dans son livre, et démêler dans l’histoire de tous les autres peuples, les événements qui sont la suite immédiate des constitutions, et peut-être trouverait-on que tous les événements dérivent de cette cause : les nations sont élevées par leur gouvernement, comme les enfants par l’autorité paternelle. […] Dans l’analyse des diverses affections morales de l’homme, il se rencontrera quelquefois des allusions à la révolution de France ; nos souvenirs sont tous empreints de ce terrible événement : d’ailleurs, j’ai voulu que cette première partie fut utile à la seconde, que l’examen des hommes un à un put préparer au calcul, des effets de leur réunion en masse ; j’ai espéré, je le répète, qu’en travaillant à l’indépendance morale de l’homme, on rendrait sa liberté politique plus facile, puisque chaque restriction qu’il faut imposer à cette liberté, est toujours commandée par l’effervescence de telle ou telle passion.

112. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Le xvie  siècle était pour Mézeray ce que le xviiie a été pour nous : il en sortait, il en était nourri, il en savait les traditions, le langage ; il en avait ouï raconter les derniers grands événements à des vieillards ; les souvenirs et l’esprit lui en venaient de tous les côtés ; nul n’était plus propre que lui à en retracer une histoire entière, et c’est ce qu’il a fait pendant l’étendue d’un in-folio et demi. […] Mézeray l’embrasse dans son ensemble ; il la décrit au naturel dans tout son cours, et, quand on l’a parcourue avec lui d’un bout à l’autre, on peut dire véritablement qu’on a vécu avec ces hommes du xvie  siècle, qu’on les a vus au juste point, ni trop loin ni trop près, qu’on les a entendus parler, qu’on a eu la saveur de leurs propos, qu’on a conçu la suite des événements dans leur exacte proportion, avec mille particularités de mœurs qui les animent et qui en sortent d’elles-mêmes. […] Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie  siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange. […] À la veille de cette journée des Barricades et de l’arrivée du duc de Guise à Paris, il n’aurait fallu que bien peu de chose, il nous le fait sentir, pour donner aux événements un tout autre cours. […] On sait encore qu’il se piquait de mettre une boule noire à chaque élection nouvelle ; quel que fût le candidat, il votait contre invariablement : « C’était, disait-il, pour prouver à la postérité par cette marque qu’il y avait liberté à l’Académie dans les élections. » Ennemi de tout ce qui était étiquette et cérémonie, il se moquait, ainsi que Patru, de voir la compagnie y mettre tant d’importance et se rattacher à tout propos par des compliments et des députations aux événements de la Cour ; tous deux, dans leur sans-façon, ils avaient donné à l’Académie les épithètes de délibérante, de dépistante et remerciante.

113. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

La reine fut très sensible au peu d’effet que causa cette mort, au milieu des graves événements qui se préparaient. […] Malheureusement, quoiqu’en assez grand nombre, ils ne sont pas les plus forts ; mais, avec de la douceur et une patience à toute épreuve, il faut espérer qu’au moins nous parviendrons à détruire l’horrible méfiance qui existait dans toutes les têtes, et qui a toujours entraîné dans les abîmes où nous sommes. » Elle annonçait que l’Assemblée allait venir s’installer à Paris, bien que réduite par la désertion de quelques membres ; elle exprimait le vœu que ceux qui étaient partis pour les provinces travailleraient à les calmer, au lieu de les animer sur les événements accomplis : « Car tout, disait-elle, est préférable aux horreurs d’une guerre civile. » Revenant sur les journées des 5 et 6 octobre, elle les résumait sommairement en disant : « Jamais on ne pourra croire ce qui s’y est passé (à Versailles) dans les dernières vingt-quatre heures. […] Je suis prête à tout événement, et j’entends aujourd’hui de sang-froid demander ma tête. […] Il fallut sans doute, pour déterminer Louis XVI à cette fuite même de Varennes, les événements des 17 et 4 8 avril 1791, c’est-à-dire l’obstacle que mit la populace à ce qu’il partît pour Saint-Cloud, où il voulait aller passer la semaine sainte et faire ses Pâques en catimini par le ministère de prêtres non constitutionnels. […] La suite de ce riche présent historique, dont on ne saurait trop le remercier, la marche même de la publication, nous obligera à revenir plus d’une fois sur les personnages et les événements qui y gagnent en lumière.

114. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Il s’appliqua, suivant la nature de son esprit observateur, à tout deviner, à tout démêler dans cet événement extraordinaire, et il en fit, à son retour à Paris, des récits qui charmèrent la société. […] Elles firent événement. […] Les Anecdotes sur la révolution de Russie en l’année 1762 sont un très agréable petit livre, sans prétention solennelle, et où les événements historiques ne sont eux-mêmes envisagés qu’au point de vue des mœurs. […] Chamfort, alors son ami, lui en adressa des condoléances, auxquelles Rulhière répondit par une épître en vers un peu longue, mais dans laquelle il développe avec facilité ses principes de philosophie et de sagesse, qui ne sont autres que ceux d’Horace :      L’astre inconstant sous lequel je suis né,      Des biens aux maux m’a souvent promené ; Mais aux événements payant mon caractère, En jouissant de tout, rien ne m’est nécessaire. […] Après cela, j’avouerai que son style est ordinairement périodique (on avait reproché à Rulhière d’avoir la phrase trop longue), c’est-à-dire tel qu’il devait être pour représenter par l’enchaînement des expressions la liaison des idées, pour rapprocher et développer les circonstances des grands événements, et pour conserver à l’histoire sa magnificence et sa dignité.

115. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

À la même époque, un Espagnol, doué de la plus riche imagination, connaissant les préceptes et les modèles de la scène antique, mais, comme il le disait lui-même, les tenant enfermés sous dix clefs, pour ne pas succomber à la tentation de suivre les uns et d’imiter les autres, s’était condamné à l’extravagance, pour plaire à sa nation, amoureuse de l’élévation démesurée des sentiments, de la pompe emphatique du langage, et de la complication fatigante des événements. […] Une poétique du temps d’Élisabeth et de Philippe II se serait mal appliquée aux événements fabuleux ou historiques de l’antiquité ; il y aurait eu une sorte de disconvenance et presque d’anachronisme à traiter des sujets grecs autrement que ne les auraient traités les Grecs eux-mêmes. […] Or, il peut, devant des spectateurs immobiles et rassemblés pour quelques heures, présenter toujours un même lieu, ou se métamorphoser en vingt lieux divers ; marquer, par la succession des événements, la durée d’un seul jour ou celle de plusieurs années. […] Son exposé, où la prévention se cachait mal sous un air d’impartialité, fut, pendant quelque temps, l’objet d’une controverse que fit taire bientôt le fracas des événements et des intérêts politiques. […] Nos malheurs nous ont rendus, sinon plus sensés, du moins plus sérieux ; nos âmes, longtemps froissées par le choc des événements extérieurs, aiment davantage à rentrer, en elles-mêmes, pour y trouver quelque repos ; la religion a repris tout son empire, et la morale tous ses droits, ou du moins on n’outrage plus impunément l’une ni l’autre.

116. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Habitué à vivre en lui-même, les événements qui l’intéressent sont les événements de son âme ; les révolutions qui le frappent sont les variations de sa pensée ; les mécanismes qui l’amusent sont les contre-coups de ses passions. […] Les événements intérieurs ont donc leurs lois, comme les événements extérieurs, et, puisque le progrès de l’observation a découvert de nouvelles lois dans le monde physique, le progrès de l’observation doit découvrir de nouvelles lois dans le monde moral. […] Voilà des faits ; car les tendances et les idées sont des faits ou événements observables.

117. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

le compte des médecines qu’on a prises vérifié par un Purgon de cour ou un monsieur Fleurant, respectueux sujet en toutes ses parties, — mais c’est le journal de toute la vie, heure par heure, écrit non de la main d’un tiers, mais de la main même du Roi, — du Roi qui n’a pas passé un seul jour de son règne sans noter pieusement (pieusement envers lui-même) tout ce qu’il a fait dans la journée, et qui, mettant à le noter une exactitude qu’aucune circonstance, aucun événement n’a pu ni interrompre ni troubler, s’est peint, sans le savoir, avec une naïveté et une transparence qui envoient promener du coup tous les Tacites de la terre et se passent très bien de leurs profondeurs ! […] Tout y est : la santé, les maladies, les indispositions, les bains, les médecines, les dîners, les jeux, les loteries, les bals, les chasses, les comédies, les revues, les pensions, les libéralités, les messes, les communions, les dévotions, et tous les événements du temps et leurs dates. […] … À quoi pensait-il, au milieu d’événements qui auraient dû le frapper, l’avertir, le distraire des étiquettes et du tous les jours de la vie ?

118. (1861) La Fontaine et ses fables « Conclusion »

Une race se rencontre ayant reçu son caractère du climat, du sol, des aliments, et des grands événements qu’elle a subis à son origine. […] Son oeuvre nous tient lieu des expériences personnelles et sensibles qui seules peuvent imprimer en notre esprit le trait précis et la nuance exacte ; mais en même temps elle nous donne les larges idées d’ensemble qui ont fourni aux événements leur unité, leur sens et leur support.

119. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

On obtiendra une ombre active, agissante, capable d’influer sur les événements humains. […] Car il ne s’agit de rien de moins que de la réaction de l’homme à sa perception des choses, des événements, de l’univers en général. Que l’intelligence soit faite pour utiliser la matière, dominer les choses, maîtriser les événements, cela n’est pas douteux. […] Si l’événement n’est pas complètement insensible, ne réussirons-nous pas à l’influencer ? […] Il suffira que la condescendance dont témoignent certains événements se retrouve dans des choses.

120. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

Avant de parler de cette révolution, l’ordre chronologique nous oblige à passer en revue plusieurs événements qui affligèrent le parti honorable. […] Sa mort ne fut pas un grand événement.

121. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

L’une des principales causes finales des grands événements qui nous sont connus, c’est la civilisation du monde. […] Il faut que la pensée soit avertie par les événements ; c’est ainsi qu’en examinant les travaux de l’esprit humain, on voit constamment les circonstances ou le temps donner le fil qui sert de guide au génie. […] Les historiens grecs marchent avec les événements ; ils en suivent l’impulsion, mais ne s’arrêtent point pour les considérer.

122. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Les poètes anglais, pourra-t-on dire, sont remarquables par leur esprit philosophique ; il se peint dans tous leurs ouvrages ; mais Ossian n’a presque jamais d’idées réfléchies : il raconte une suite d’événements et d’impressions. […] Le merveilleux étonne ; mais de quelque manière qu’on le combine, il n’égalera jamais l’impression d’un événement naturel, lorsque cet événement rassemble tout ce qui peut remuer les affections de l’âme, et les Euménides poursuivant Oreste, sont moins terribles que le sommeil de lady Macbeth.

123. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

La vie se passe au-dedans de soi, les circonstances extérieures ne sont qu’une manière d’exercer un sentiment habituel ; l’événement n’est rien, le parti qu’on a pris est tout, et ce parti, toujours commandé par une loi divine, n’a jamais pu coûter un instant d’incertitude. […] La rapide succession des événements, les émotions qu’elle faisait naître, causaient une sorte d’ivresse produite par le mouvement, qui hâtait le temps, et ne laissait plus sentir le vide, ni l’inquiétude de l’existence. […] On peut encore penser, en reconnaissant l’avantage des caractères inspirés par leurs propres penchants, que la dévotion étant d’un effet général et positif, donne des résultats plus semblables et plus certains dans l’association universelle des hommes ; mais d’abord, la dévotion a de grands inconvénients pour les caractères passionnés, et n’en eût-elle point, ce serait, comme je l’ai dit, au nombre des événements heureux, et non des conseils efficaces qu’il serait possible de la classer.

124. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

En effet, si, après une révolution politique qui a frappé la société dans toutes ses sommités et dans toutes ses racines, qui a touché à toutes les gloires et à toutes les infamies, qui a tout désuni et tout mêlé, au point d’avoir dressé l’échafaud à l’abri de la tente, et mis la hache sous la garde du glaive ; après une commotion effrayante qui n’a rien laissé dans le cœur des hommes qu’elle n’ait remué, rien dans l’ordre des choses qu’elle n’ait déplacé ; si, disons-nous, après un si prodigieux événement, nul changement n’apparaissait dans l’esprit et dans le caractère d’un peuple, n’est-ce pas alors qu’il faudrait s’étonner, et d’un étonnement sans bornes ? […] La marche sombre et imposante des événements par lesquels le pouvoir d’en haut se manifeste aux pouvoirs d’ici-bas, l’unité éternelle de leur cause, l’accord solennel de leurs résultats, ont quelque chose qui frappe profondément la pensée. […] Quand elle a cessé de tonner dans les événements, elles la font éclater dans leurs inspirations, et c’est ainsi que les enseignements célestes se continuent par des chants.

125. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Seulement, étiolés par cette diplomatie dans laquelle on avait déporté leur énergie, ils assistent, l’âme assombrie et l’esprit désarmé, aux événements qui passent devant eux et dont ils mesurent la portée avec la tristesse de l’impuissance ; et comme si ce n’était pas assez de les voir diminués par la diplomatie, cette rogneuse d’hommes, il faut qu’un autre diplomate comme eux, — et s’il ne l’est pas, il est digne de l’être, — le comte Adhémar d’Antioche, intervienne à chaque instant dans leur Correspondance et la coupe où bon lui semble, pour obéir, affaiblissement sur affaiblissement ! […] Eux, ils ont été les petits… Ils ont été secoués par les événements contemporains, mais fécondés, non ! […] … Dans ce livre, où il n’est pas question une seule fois du moindre traité conclu ou à conclure, et où les deux diplomates qui s’y trouvent ne sont que des capitonneurs de situation, mis entre deux gouvernements pour les empêcher de se heurter, il n’y a guères, au fond, que deux correspondants, au fait, comme tout le monde, des choses de leur époque, et qui tâtonnent dans les événements pour y trouver des solutions dont ils n’ont jamais la certitude.

126. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’écrivain monte et descend avec le sujet, jamais au-dessus, il est vrai, mais toujours au niveau de l’événement public ou familier qu’il retrace. […] L’univers, pour notre malheur, l’a su de manière à ne jamais l’oublier ; mais il faut, pour son instruction, lui apprendre, par le détail même des événements, ce qu’il n’a su que par le bruit d’une chute épouvantable. […] les cieux racontent la gloire de Dieu  ; mais la terre aussi et ses grands événements racontent la gloire de Dieu dans les choses humaines. […] où est-elle cette moralité des événements ? […] Après tant d’événements, après tant de bruit, après tant de mouvement, après tant de génie, après tant de cadavres et tant de ce que l’écrivain appelle gloire, on se demande : L’humanité a-t-elle grandi ?

127. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Louis XIV, peu instruit dans les lettres, et dont la première éducation avait été fort négligée, avait reçu cette instruction bien supérieure qu’un esprit juste et droit et qu’un cœur élevé puisent dans les événements où l’on est de bonne heure en jeu. […] Louis XIV a lui-même exposé la première idée qu’il se fit des choses, et cette première éducation intérieure qui s’opéra graduellement dans son esprit, ses premiers doutes en vue des difficultés, ses raisons d’attendre et de différer ; car « préférant, comme il faisait, à toutes choses et à la vie même une haute réputation, s’il pouvait l’acquérir », il comprenait en même temps « que ses premières démarches ou en jetteraient les fondements, ou lui en feraient perdre pour jamais jusqu’à l’espérance » ; de sorte que le seul et même désir de la gloire, qui le poussait, le retenait presque également : Je ne laissais pas cependant de m’exercer et de m’éprouver en secret et sans confident, dit-il, raisonnant seul et en moi-même sur tous les événements qui se présentaient ; plein d’espérance et de joie quand je découvrais quelquefois que mes premières pensées étaient les mêmes où s’arrêtaient à la fin les gens habiles et consommés, persuadé au fond que je n’avais point été mis et conservé sur le trône avec une aussi grande passion de bien faire sans en devoir trouver les moyensm. […] Regrettait d’en être venu si tard à l’étude de l’histoire, il considère que « la connaissance de ces grands événements que le monde a produits en divers siècles, étant digérée par un esprit solide et agissant, peut servir à fortifier la raison dans toutes les délibérations importantes ». […] Quand on lit ces notes écrites jour par jour, ces réflexions qu’il tirait de chaque événement, quand on y joint la lecture des instructions diplomatiques qu’il adressait dans le même temps à ses ambassadeurs et agents dans les diverses cours, on ne peut s’empêcher d’admirer, du sein des carrousels et des fêtes, le caractère appliqué, solide, prudent et tenace de ce jeune ambitieux. […] Mais il est plus utile d’insister sur les ressorts élevés qu’il trouvait dans cette foi et dans cette conscience royale, ce qui lui faisait dire au milieu des hasards de la politique : « Mais au moins, quel qu’en soit l’événement, j’aurai toujours en moi toute la satisfaction que doit avoir une âme généreuse quand elle a contenté sa propre vertu. » Parlant de ces six volumes de Mémoires au moment où ils parurent, M. de Chateaubriand les a très bien jugés en disant : Les Mémoires de Louis XIV augmenteront sa renommée : ils ne dévoilent aucune bassesse, ils ne révèlent aucun de ces honteux secrets que le cœur humain cache trop souvent dans ses abîmes.

128. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Je juge les événements avec calme, j’envisage les dangers sans les craindre ; mais je dois dire la vérité à Votre Majesté, et je désire qu’elle ait assez de confiance en moi pour s’en rapporter à ma manière de voir. […] L’opinion prit alors ce caractère énergique qui la rend maîtresse des événements ; et c’est ainsi que le grand mouvement qui a abattu la puissance gigantesque créée par la Révolution, loin de démentir l’esprit primitif de celle-ci et le génie du siècle, n’a fait que déployer le principe fondamental de l’une et de l’autre, sous de plus nobles auspices et dans une direction plus heureuse. » Quand il écrivait ainsi, M. de Senfft était encore libéral, et il avait foi encore en l’avenir des peuples. — Mêlant des idées mystiques et des pensées de l’ordre providentiel à ses observations d’homme politique, il voyait, l’année suivante (1812) et lors de la gigantesque expédition entreprise pour refouler la Russie, il voyait, disait-il, dans « cette réunion monstrueuse » de toutes les puissances de l’Europe entraînées malgré elles dans une sphère d’attraction irrésistible et marchant en contradiction avec leurs propres intérêts à une guerre où elles n’avaient rien tant à redouter que le triomphe, « un caractère d’immoralité et de superbe, qui semblait appeler cette puissance vengeresse nommée par les Grecs du nom de Némésis » et dont le spectre apparaît, par intervalles, dans l’histoire comme le ministre des « jugements divins. » Il lisait après l’événement, dans l’excès même des instruments et des forces déployées, une cause finale providentielle en vue d’un résultat désiré et prévu : car telle grandeur d’élévation, telle profondeur de ruine. […] Une meilleure tête que l’abbé de Pradt eût été insuffisante à conjurer les événements qui se précipitèrent.

129. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Sans doute il faut être à la tête des affaires pour juger les événements, pour voir à la fois mille petits détails séparés dont les rapports entre eux méritent plus ou moins d’être appréciés, enfin pour pouvoir embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble, même des choses. […] Pour y suppléer, il voulut entasser les événements ; il croyait vieillir ses institutions en pressant les dates. […] Vous souffrez volontiers que certains hommes conservent un culte de vénération pour vingt-cinq ans de notre histoire, parce qu’eux ont été plus ou moins mêlés aux événements de cette époque récente, parce qu’ils en ont plus ou moins adopté les résultats ; et vous vous irritez de ce que certains autres hommes, plus religieux dépositaires des mœurs anciennes, des vieilles habitudes, des illustrations consacrées par les siècles, se retirent quelquefois dans le silence de leurs foyers pour brûler un grain d’encens aux pieds de leurs premiers dieux domestiques, qui, après tout, furent assez longtemps les dieux de la patrie. […] Il faut donc éviter soigneusement de faire entrer ce fatal interrègne dans notre chronologie morale et politique : malgré l’importance dont il a été par ses suites et ses résultats, un si triste événement ne doit être considéré que comme récapitulation de faits antérieurs, et non point comme étant lui-même un fait nouveau.

130. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

— une telle histoire manque d’événements. Mais que sont les événements pour des moralistes d’une certaine profondeur ? […] Ce qui est au-dessus de l’événement, ce qui lutte avec lui et quelquefois le modifie, c’est l’âme humaine et le degré de développement, de vertu et de vérité, que, sous une bonne discipline, elle est capable de recevoir.

131. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Tel fut le peintre Louis David, dont la vie, comme on sait, a été si fortement agitée par les grands événements de la révolution française. […] Il a donc vu se dérouler près des trois quarts d’un siècle, et l’un de ceux des temps modernes les plus fertiles en grands événements. […] Aussi la coïncidence de ces deux événements mérite-t-elle attention. […] C’était un homme comme les événements de ce temps en mirent beaucoup en évidence. […] L’âge de la comtesse permettait que l’on regardât sa mort comme un événement prochain.

132. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

J’ai été inoculée, aucun événement ne peut donc me faire tomber de ma place, et j’ai douze ans d’empire assurés. […] Mais M. de Meilhan, qui cherche le point précis et décisif où les événements ont commencé à échapper à la direction et au conseil des gouvernants pour se précipiter par des pentes imprévues et rapides, n’a peut-être pas tort dans l’indication de l’origine. […] Il veut que les causes aient été purement et simplement politiques : On pourrait comparer, dit-il, la Constitution de la France à un vaste édifice dont on a laissé tous les abords ouverts : peu importe qu’on soit entré par une porte ou par une autre pour en dévaster l’intérieur ; on y aurait toujours pénétré du moment où la surveillance en avait été abandonnée à des gardiens négligents ou infidèles. — Un homme est-il assassiné chez lui par un voleur, dit-il encore, le principe de ce crime est l’avidité des richesses ; la cause de l’événement, le voleur ; et si la porte de la maison se trouve ouverte, elle a été l’occasion favorable à l’assassin. Les causes véritables sont celles sans lesquelles l’événement n’aurait point eu lieu, quelques circonstances qui eussent été rassemblées. […] Les événements qui se précipitèrent firent évanouir ce projet comme tant d’autres. — J’ai lu, depuis, le roman de L’Émigré, et j’en ai fait usage en revenant sur Sénac de Meilhan à l’occasion de ses relations avec Mme de Créqui (Causeries du lundi, t. 

133. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Aujourd’hui les événements ont marché ; ils sont loin d’avoir donné raison en tout à M. de Maistre, et ce serait même plutôt le contraire qui aurait lieu : mais ils ont mis de plus en plus en lumière la hauteur de ses vues et leur vrai sens, la perspicacité de ses craintes, la sagesse de quelques-uns de ses regrets. […] L’impression que fit ce livre au moment où il parut, fut vive ; mais sa grande explosion n’eut lieu que vingt ans plus tard, lorsque les événements en eurent vérifié les points les plus mémorables. […] Je ne juge pas ici cette philosophie de l’histoire qui donne aux événements un sens tout nouveau ; mais si l’on croit bien réellement à la Providence, à sa présence réelle et à son action efficace en toutes choses, on sera plus ou moins amené à des explications de ce genre. […] Une dame, une amie de M. de Maistre, s’effrayait de cette installation de plus en plus souveraine d’un pouvoir qui lui paraissait non légitime : Avec tout le respect que je vous dois, Madame, écrivait M. de Maistre, je ne puis être de votre avis sur le grand événement qui fixe les yeux de l’Europe et qui me paraît unique dans l’histoire. Vous y voyez l’établissement définitif, la consolidation du mal ; moi, je persiste à le regarder comme un événement heureux dans toutes les suppositions possibles.

134. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

On frotte des ciseaux contre des pincettes aux oreilles d’Alfred Maury pendant qu’il dort : il rêve aussitôt qu’il entend le tocsin et qu’il assiste aux événements de juin 1848. […] En quelques secondes, le rêve peut nous présenter une série d’événements qui occuperait des journées entières pendant la veille. […] À l’état de veille, le souvenir visuel qui nous sert à interpréter la sensation visuelle est obligé de se poser exactement sur elle ; il en suit donc le déroulement, il occupe le même temps ; bref, la perception reconnue des événements extérieurs dure juste autant qu’eux. […] Que la mémoire interprétative se tende, qu’elle fasse attention à la vie, qu’elle sorte enfin du rêve : les événements du dehors scanderont sa marche et ralentiront son allure — comme, dans une horloge, le balancier découpe en tranches et répartit sur une durée de plusieurs jours la détente du ressort qui serait presque instantanée si elle était libre. […] Si nous rêvons, la nuit, des événements de la journée, ce sont les incidents insignifiants, et non pas les faits importants, qui auront le plus de chances de reparaître.

135. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame de La Fayette ; Frédéric Soulié »

Les Mémoires en question, les autres romans de l’auteur, ces drames de toute forme, très intrigués et dans lesquels les événements semblent des nœuds gordiens impliqués les uns dans les autres, frappèrent à poing fermé sur l’imagination d’une époque qui avait ressenti les étincelantes secousses du Romantisme. Nul plus que Soulié ne montra ce qu’on dépense de force pour combiner des événements et des caractères.

136. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Si quelque chose se rencontre alors à l’endroit indiqué, ce n’est pas elle, mais un de ses précédents ou une de ses suites, un événement qui lui est lié et qu’elle désigne, réel sans doute, mais autre qu’elle-même, et qui, par une correspondance heureuse, l’accompagne ordinairement à l’état normal. […] Si elles sont fugitives comme un éclair, un cercle de fer décrit par un charbon tournant, un météore impalpable, elles nous semblent un simple événement situé et figuré. […] On a montré comment, dans la vue, la sensation de la rétine se trouve projetée en apparence hors de notre surface sensible, pour être incorporée à l’objet qui la provoque, en sorte que la couleur, qui est un événement de notre être, nous semble une qualité de l’objet. […] Pris dans ce sens, on peut dire qu’à notre fantôme correspond une substance indépendante de nous, permanente, douée d’une force efficace, capable de provoquer en tout être sentant tel groupe de sensations, plus généralement encore capable de provoquer et de subir un événement que nous avons reconnu comme l’équivalent de nos sensations les plus importantes, à savoir le mouvement ou changement de lieu. […] Partant, la naissance infaillible de la prédiction suppose la présence presque infaillible du groupe, et le cours des événements, qui, par sa régularité, a formé mon attente, trouve, dans sa régularité même, les moyens de la justifier.

137. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Le moraliste ne regarde pas si elle est utile ou nuisible, bien ou mal conduite, liée à cet événement ou à cet autre, produite en ce lieu, à ce moment, à cette occasion, par cette personne, mais si elle est juste ou injuste ; il écarte ce cortège obscur de caractères accessoires et découvre dans la foule le droit, qui s’y cachait confondu. […] La philosophie omet les détails de l’objet complexe, et ainsi le change en chose abstraite ; elle ne prend dans l’objet particulier que ce qu’il a de commun avec les autres, et ainsi le change en un être général ; elle ne l’observe complexe et particulier que pour l’apercevoir général et abstrait ; elle n’agit que pour altérer, dénaturer, transformer ; elle est un raisonnement continu, où les faits ne comptent que parce qu’ils prouvent des lois, où les êtres n’entrent que pour se résoudre en qualités, où les événements ne sont reçus que pour se fondre en formules ; elle ne part de la connaissance primitive que pour s’en écarter. […] C’est une source fécondante où les lois n’entrent que pour se transformer en événements, où les idées ne sont admises que pour se condenser en objets, où les forces ne sont reçues que pour être déployées en actions. […] Ainsi réunis par un nouveau lien, les objets et les événements prennent un nouveau relief.

138. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Ayant perdu son père de bonne heure, il passa à l’école de Brunetto Latini, un des plus savants hommes du temps ; mais il s’arracha bientôt aux douceurs de l’étude, pour prendre part aux événements de son siècle. […] Après cet événement, il se flattait d’une paix durable, lorsqu’étant allé en ambassade à Rome, les Noirs profitèrent de son absence, mirent à leur tête Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, et, secrètement aidés par Boniface VIII, rentrèrent dans la ville. […] Aussi on ne peut se figurer la sensation prodigieuse que fit sur toute l’Italie ce poëme national, rempli de hardiesses contre les papes, d’allusions aux événements récents et aux questions qui agitaient les esprits ; écrit d’ailleurs dans une langue au berceau, qui prenait entre les mains de Dante une fierté qu’elle n’eut plus après lui, et qu’on ne lui connaissait pas avant. […] L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme.

139. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Les tragiques grecs, fondant la plupart de leurs pièces sur l’action continuelle de la volonté des dieux, étaient dispensés d’un certain genre de vraisemblance, qui est la gradation des événements naturels ; ils produisaient de grands effets, sans les avoir amenés par des nuances progressives ; l’esprit étant toujours préparé à la crainte par la religion, à l’extraordinaire par la foi, les Grecs n’étaient point astreints aux plus grandes difficultés, de l’art dramatique ; ils ne dessinaient point les caractères avec cette vérité philosophique exigée dans les temps modernes. […] Les conceptions heureuses d’événements extraordinaires sont beaucoup plus l’ouvrage des traditions que des poètes. […] De ce que les événements les plus forts et les plus malheureux de la vie ont été peints par les Grecs, il ne s’ensuit pas qu’ils aient égalé les modernes dans la délicatesse et la profondeur des sentiments et des idées que ces situations peuvent inspirer.

140. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

C’est par l’homme et son entourage qu’il explique surtout ces événements qu’on a appelés des forces irrésistibles ou d’impénétrables fatalités. […] Le plus souvent on a besoin, pour en expliquer les catastrophes et les infortunes, de recourir aux idées des hommes désorientés par le malheur suprême, à ces idées qui sont comme les planches de salut qu’ils saisissent quand ils ne comprennent plus rien aux faits de la vie dans le naufrage de leur raison : logique des événements, justice de Dieu, Providence ou hasard, lois mystérieuses qui régissent le monde ! […] Il fallait des événements bien graves pour interrompre cette habitude qu’il avait de courir les bois.

141. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur : Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome III. »

Comme pourtant Louis XVI était assez porté de lui-même à soutenir par les armes la Hollande, son alliée, contre les Anglais et les Prussiens, tout l’art de M. de Brienne, alors principal ministre, se tourna à éluder une délibération définitive et à temporiser jusqu’à l’issue des événements. […] Quand il avait une fois commencé, il s’arrêtait difficilement, et aucun de ses auditeurs n’était tenté de mettre le signet. » Or, comme à chaque séance du Conseil, M. le maréchal de Ségur soumettait à la délibération l’affaire de Hollande et sollicitait une décision prompte, l’archevêque, s’emparant adroitement de la parole, trouvait moyen d’interpeller M. de Malesherbes sur quelque événement passé, analogue aux circonstances présentes ; et celui-ci, selon son usage, commençait à raconter.

142. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Charles Barbara » pp. 183-188

Les événements qui font la trame du roman de Charles Barbara sont combinés avec une force égale à celle qu’il lui fallait pour attaquer le terrible et sévère sujet du remords dans une âme perverse et puissante. […] Son effroyable héros, dans l’âme de qui se passe le drame, ne se raconte pas, mais c’est sous la pression d’événements noués habilement autour de lui que l’auteur fait jaillir des éclairs de la vérité qui le torture !

143. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

Les préventions qui ont retardé de dix années cet événement théâtral sont, il me semble, aussi honorables qu’irréfléchies. […] Lamoureux qui excite par des mesures intempestives l’animosité de ses ennemis ; enfin, moins d’une semaine plus tard, l’événement de Pagny-sur-Moselle. […] 20 avril, l’Evénement : chronique de M.  […] A noter, comme événement Wagnérien, les auditions du prélude et de l’entracte des fiançailles de Lohengrin bissés à chaque exécution. […] Les événements de 1891, pour la reprise du même opéra, furent plus graves et mieux orchestrés.

144. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Recul des événements dans le passé—. […] Le souvenir est une classification spontanée et une localisation régulière des choses ou des événements, ce qui lui donne encore une valeur esthétique. […] Nos événements intérieurs se groupent autour d’impressions et d’idées maîtresses : ils leur empruntent leur unité ; grâce à elles, ils forment corps. […] Toute notre jeunesse vient souvent se grouper autour d’une image de femme, sans cesse présente à nos événements d’alors. […] L’école historique, au contraire, reporte les événements sur le passé concret.

145. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Chateaubriand Ce n’est pas sur les grands événements de la Révolution que ces Mémoires peuvent jeter du jour ; ce n’est pas même sur des événements secondaires, non moins recherchés parce qu’ils sont moins connus, que portent les récits de l’auteur.

146. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Un certain nombre de lignes imprimées où, neuf fois sur dix, sont relatés et commentés des événements d’une parfaite insignifiance : fêtes, mariages, scandales mondains, histoires de comédiens, et ce qu’ont dit ou fait les hommes du jour, qui sont souvent les hommes d’un jour. Ces événements négligeables se passent dans un monde excessivement restreint, dans un très petit groupe humain, et ne deviennent intéressants (quelquefois, et pas pour tout le monde) que parce que ce petit groupe s’agite sur un point imperceptible du globe qui s’appelle Paris. […] Ces considérations sur l’événement parisien de la veille, que des milliers d’âmes simples lisent avec tant de candeur et de foi, un malheureux homme de lettres les a écrites tantôt avec un inexprimable dégoût, tantôt avec l’indifférence résignée qu’on apporte à une corvée journalière.

147. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Quoique, dans le premier volume de son ouvrage, Macaulay ébauche en traits rapides une histoire générale de l’Angleterre, depuis la Bretagne sous les Romains jusqu’à l’avènement de Jacques II, qui est pour lui le grand événement, l’événement décisif dans l’histoire d’Angleterre ; quoique sa préoccupation de whig soit telle qu’il ne veuille pas reconnaître comme monarchie anglaise la monarchie normande de Guillaume le Conquérant, et qu’il place l’origine de la vraie monarchie d’Angleterre à la fière extorsion de la Grande Charte, pour lui, cette histoire si confuse et si indistincte ne doit apparaître nettement, sans luttes, sans tiraillements, régulière et devenue enfin ce qu’elle doit être, qu’à la chute du dernier Stuart et à l’écroulement de cette monarchie de droit divin qui ne fut pas uniquement, comme il voudrait nous le faire croire, une chimère ou une réalité incessamment repoussée. […] Et voilà pour le point de vue général du livre, pour la thèse dont il est la forme, au lieu d’être, sans parti pris et sans polémique, le déploiement sincère, impartial et majestueux, des grands événements de 1688.

148. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

Que si, au contraire, l’oubli a eu raison de s’étendre sur les plateaux pyrénéens, si ces peuplades intermédiaires — Catalans, Aragonais, Navarrais, Béarnais et Basques, — ne sont placées aux frontières de France et d’Espagne que pour appointer des forces respectives et jeter dans la balance des intérêts de ces deux pays le poids de leurs atomes orageux ; si, enfin, toute cette paille d’hommes hachés par les événements et par la guerre n’est là — comme on pourrait le croire — que pour faire fumier aux grandes nations qui résument l’Europe, et par l’Europe le genre humain, à quoi bon remuer, avec un tel détail, ce monde de faits sans signification vive et profonde, et sous lesquels le lecteur périt accablé ? […] Nature particulière de climat, de production et de situation ; influence de ces agents physiques sur les habitants qui viennent successivement s’y fixer ; importance des révolutions intérieures qui agitèrent ces populations ; part immense qu’elles prirent aux événements qui se déroulèrent dans l’Espagne et dans les Gaules… » Et, plus loin, il ajoute encore : « Si les champs catalauniques furent, au temps d’Attila, selon la belle expression de Jornandès : l’aire où venaient se broyer les nations, les Pyrénées, au contraire, furent la retraite bienfaisante où les débris de ces mêmes nations abritèrent leurs pénates et leurs croyances… Lorsque le mouvement torrentiel des diverses races a fini de s’agiter à leur base, l’historien retrouve dans leurs vallées l’Ibère, le Gaulois et le Cantabre, avec leurs forces primitives, leurs fueros, leur farouche liberté. […] Ce grand spectacle de l’ensemble et de l’unité de l’Europe aurait replacé, pour l’historien des Pyrénées, dans leur véritable perspective les hommes, les événements et les choses de cette encoignure historique, qu’il nous a grossis parce qu’il les a regardés de trop près, et il n’eût pas fait l’honneur d’une si longue et si pieuse histoire à ces bouillonnements de peuplades, écumant ici ou là, un instant, aux avant-postes des vraies nations, de ces nations aux pieds de marbre qui constituent l’Europe actuelle, et qui n’ont point passé entre deux soleils !

149. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

Les romans qu’il recherche, en effet, sont aussi gros que lui et doivent être bourrés de ces événements matériels assez faciles à inventer, — qui sont dans la vie comme ils pourraient bien n’y pas être, — mais qui plaisent à cette curiosité badaude qui n’a rien de commun, du reste, avec l’ardente ou délicate curiosité de l’imagination et du cœur. La Louise 10 d’Édouard Gourdon est, au contraire, une œuvre courte, fine, passionnée, sans grands événements extérieurs, un de ces livres dont le sens se perd un jour mais se retrouve l’autre, car il est éternel comme le cœur ; livres brefs, mais pleins, qui n’ont besoin pour intéresser le lecteur que d’une seule situation profondément creusée ou d’un seul sentiment éloquemment exprimé. […] Serait-ce plutôt l’événement de la grossesse de Louise et de la mort de son enfant, involontairement tué par suite de l’obstination qu’elle met, étant enceinte, à aller avouer son changement de cœur à son premier amant ?

150. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

L’histoire d’Albéric Second est si bien racontée, il la fait glisser sur des événements si ingénieusement inventés, et la capitonne de tant de naturel et de rondeur dans la manière dont il la conte, qu’on finit par comprendre que la comtesse Alice ait pu aimer le fou — en cravate rouge et en chemise bleue — qu’elle a traité comme un mendiant. […] Tout y est parisien au plus haut degré : les événements, les figures, le langage, la plaisanterie, et, comme dans La Semaine des trois jeudis (un autre roman très réussi d’Albéric Second), jusqu’aux crimes. […] Albéric Second, qui me fait l’effet d’être un très habile constructeur de romans, quant aux faits qu’il ramène très bien à ses fins, Albéric Second, qui a peut-être dans l’esprit, sans qu’il en ait conscience, ses Trois Mousquetaires, s’amuse et s’attarde, au lieu d’attaquer quelque long sujet de récit, à un roman de chronique, fait avec des événements de chronique, et il est si naturellement et si habituellement chroniqueur qu’il n’écrit même pas en italique, dans son roman, une foule de locutions qu’on ne comprendra peut-être que dans dix ans, à cent cinquante lieues de Paris.

151. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Il le sait mieux que moi, sans doute, mais moi, je parierais avec assurance que c’est un événement extérieur d’une forte action sur sa pensée qui a poussé dès l’origine l’esprit de M.  […] L’auteur des Mystères de Londres, des Amours de Paris, du Fils du Diable, du Bossu, des Fanfarons du Roi et de tant d’autres ouvrages, est, dans l’ordre du roman, ce que les mélodramaturges sont dans l’ordre du drame, et ils ont beau tresser et tordre, dans les implications et les complications de leur œuvre, les événements, les incidents, les péripéties, les surprises ; les mélodramaturges du roman, comme ceux du drame, n’en sont pas moins obligés, dans une mesure quelconque, à la passion, sous peine de n’être plus que des joueurs d’échecs ou de casse-têtes chinois littéraires. […] Féval ne procède jamais à la manière incolore de ce pauvre diable de Le Sage, à peu près poétique comme son nom, mais il n’en trouble pas moins la hiérarchie des choses, dans son système de roman, en mettant en premier l’intérêt des événements, qui devrait être le second, et en second, l’intérêt des sentiments, qui est certainement le premier… Et ne croyez pas qu’il n’en ait pas l’intelligence !

152. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Il a l’air de commander aux événements ; il les appelle, il les prédit ; il lie ensemble et peint à la fois le passé, le présent, l’avenir : tant les objets se succèdent avec rapidité ! […] Il semble que du sommet d’un lieu élevé, il découvre de grands événements qui passent sous ses yeux, et qu’il les raconte à des hommes qui sont en bas. […] Quelquefois même le dialogue passionné de l’orateur s’étend jusqu’aux êtres inanimés qu’il interroge comme complices ou témoins des événements qui le frappent.

153. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Il ne s’agit pas de savoir si, un an après, résumant dans son livre des Considérations les événements accomplis, elle a écrit « que c’était une niaiserie de vouloir masquer un tel homme que Napoléon en roi constitutionnel » ; il s’agit de savoir ce qu’elle a pu écrire dans les premiers instants, quand l’avenir était encore incertain, et en apprenant ces concessions inattendues et si entières que faisait l’Empereur à la force des choses et aux exigences de l’opinion. […] Il suffît d’ouvrir le livre admirable où elle apprécie d’un jugement si ferme les principaux événements de la Révolution française, pour être pleinement édifié sur le peu de foi qu’elle accordait au libéralisme de celui, etc., etc. » Mais, Madame, il ne s’agit pas, encore une fois, du livre de Mme de Staël rédigé plus tard et d’après une impression totale et résumée où l’on supprime et l’on abolit tout ce qui a pu s’en écarter un moment ; il s’agit de lettres écrites dans les cinq premières semaines des Cent-Jours, sous le coup des événements les plus menaçants, de conseils d’amis sans doute très pressants, et sous l’inspiration aussi d’un sentiment national honorable, dont la suggestion a pu être plus forte que les règles et les principes. […] C’est dangereux dans ce moment… » La conclusion à tirer de tout ceci, à ce qu’il me semble, c’est que, dans cette succession si rapide d’événements et dans cette mobilité d’impressions souvent contraires, l’impossibilité morale de la lettre en question n’existe pas.

154. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Il n’est pas douteux pourtant que, quoi que l’homme veuille faire, penser ou écrire (puisqu’il s’agit ici de littérature), il dépend d’une manière plus ou moins prochaine de la race dont il est issu et qui lui a donné son fonds de nature ; qu’il ne dépend pas moins du milieu de société et de civilisation où il s’est nourri et formé, et aussi du moment ou des circonstances et des événements fortuits qui surviennent journellement dans le cours de la vie. […] Taine n’a fait autre chose qu’essayer d’étudier méthodiquement ces différences profondes qu’apportent les races, les milieux, les moments, dans la composition des esprits, dans la forme et la direction des talents. — Mais il n’y réussit pas suffisamment, dira-t-on ; il a beau décrire à merveille la race dans ses traits généraux et ses lignes fondamentales, il a beau caractériser et mettre en relief dans ses peintures puissantes les révolutions des temps et l’atmosphère morale qui règne à de certaines saisons historiques, il a beau démêler avec adresse la complication d’événements et d’aventures particulières dans lesquelles la vie d’un individu est engagée et comme engrenée, il lui échappe encore quelque chose, il lui échappe le plus vif de l’homme, ce qui fait que de vingt hommes ou de cent, ou de mille, soumis en apparence presque aux mêmes conditions intrinsèques ou extérieures, pas un ne se ressemble14, et qu’il en est un seul entre tous qui excelle avec originalité. […] L’esprit humain coule avec les événements comme un fleuve. […] « L’esprit humain, dites-vous, coule avec les événements comme un fleuve. » Je répondrai oui et non.

155. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

J’ai montré comment, en littérature, le goût a dû s’altérer ; et dans la politique, les événements ayant devancé les idées, les idées rétrogradent par-delà leur point de départ. […] La table des morts et des naissances présente des résultats certains et invariables, aussi longtemps que subsiste l’ordre régulier des circonstances habituelles ; le nombre des divorces qui auront lieu chaque année, le nombre des vols et des meurtres qui se commettront dans un pays de telle population, et de telle situation religieuse et politique, ce nombre peut se calculer d’une manière précise ; et ces événements qui dépendent cependant du concours journalier de toutes les passions humaines, ces événements arrivent aussi exactement que ceux qui sont uniquement soumis aux lois physiques de la nature. […] Comment convaincre un homme que tel événement tout à fait nouveau, tout à fait inattendu a été prévu par ceux qui lui ont présenté des maximes générales sur la conduite qu’il devait tenir ?

156. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

A une première ébauche de l’esprit français ; à quelques poésies satiriques, inspirées par nos mœurs nationales ; à quelques récits clairs et intéressants des événements de notre histoire. […] On l’a vu plus haut pour les chroniqueurs : les événements contemporains sont l’unique matière de leurs récits. […] Quand ils se guindent ainsi à réfléchir sur les événements, et à regarder dans le passé et dans l’avenir, ils semblent comme pris de vertige. […] Les mœurs du présent sont la matière des poètes comme les événements sont celle des prosateurs.

157. (1908) Après le naturalisme

Certes, la Littérature se nourrit des idées du moment, se conditionne des événements et des circonstances. […] N’est-ce pas la pire façon de subir l’influence des événements ? […] Remarquons, en effet, qu’en cela elle domine les événements au lieu de les subir et que c’est la meilleure façon d’en subir l’influence. […] Ils agissent pour le bien de l’homme, et en vérité, ce sont moins, par eux-mêmes, des événements que des valeurs. […] Quelques événements, reconnaissables à leur caractère général, à l’immanence qu’ils contiennent, marquent les symptômes des moments suprêmes.

158. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

A quel signe reconnaissons-nous d’ordinaire l’homme d’action, celui qui laisse sa marque sur les événements auxquels la fortune le mêle ? […] Il y a là, se succédant les unes aux autres, des trillions d’oscillations, c’est-à-dire une série d’événements telle que si je voulais les compter, même avec la plus grande économie de temps possible, j’y mettrais des milliers d’années. Mais ces événements monotones et ternes, qui rempliraient trente siècles d’une matière devenue consciente d’elle-même, n’occupent qu’un instant de ma conscience à moi, capable de les contracter en une sensation pittoresque de lumière. […] Ne devons-nous pas croire, alors, que si notre perception contracte ainsi les événements de la matière, c’est pour que notre action les domine ? […] Elle opère par deux méthodes complémentaires — d’un côté par une action explosive qui libère en un instant, dans la direction choisie, une énergie que la matière a accumulée pendant longtemps ; de l’autre, par un travail de contraction qui ramasse en cet instant unique le nombre incalculable de petits événements que la matière accomplit, et qui résume d’un mot l’immensité d’une histoire.

159. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

Trois choses se succèdent continuellement dans les discours de Bossuet : le trait de génie ou d’éloquence ; la citation, si bien fondue avec le texte, qu’elle ne fait plus qu’un avec lui ; enfin, la réflexion ou le coup d’œil d’aigle sur les causes de l’événement rapporté. […] C’est par l’opposition qui se trouve entre ce grand cœur, cette princesse si admirée, et cet accident, inévitable de la mort, qui lui est arrivé comme à la plus misérable des femmes ; c’est parce que ce verbe faire, appliqué à la mort qui défait tout, produit une contradiction dans les mots et un choc dans les pensées, qui ébranlent l’âme ; comme si, pour peindre cet événement malheureux, les termes avaient changé d’acception, et que le langage fût bouleversé comme le cœur.

160. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Mais, en France, le dix-huitième siècle n’avait pas été fécond en événements. […] Les événements du jour leur importaient peu, et n’étaient point de leur ressort. […] Leur imagination s’allumait par le spectacle des grands événements dont ils étaient témoins. […] Il dit les événements sans y joindre de réflexions. […] Toutefois n’oublions pas qu’il est facile de juger après l’événement.

161. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Aujourd’hui, nous considérerons la poésie romane dans son application aux événements politiques et religieux. […] Une double vérité naîtra pour nous de cette étude ; nous connaîtrons mieux les événements et l’esprit du temps tout à la fois. […] Dans le Cid, c’est moins la grandeur des événements que la grandeur de l’homme qu’il faut considérer. […] Cependant la chevalerie est un événement réel de l’histoire, une grande institution du moyen âge. […] Nulle part on ne sentira mieux l’alliance entre la réalité des événements et les fictions de cette époque.

162. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

La pensée n’est pas, comme beaucoup l’admettent encore par tradition, un événement qui se passe dans un monde suprasensible, éthéré, insaisissable. […] Voyons sommairement ce que l’on sait sur l’attention sous ses deux formes : appliquée aux objets extérieurs (attention proprement dite) ou aux événements intérieurs (réflexion). […] Ce que nous soutenons, c’est que l’attention n’existe pas in abstraclo, à titre d’événement purement intérieur : c’est un état concret, un complexus psycho-physiologique. […] L’état de monoïdéisme est constitué, de sorte que l’événement réel n’est que le renforcement de la représentation préexistante. […] L’affaiblissement de l’attention et cette des mouvements vont donc de pair : ce sont deux aspects d’un événement unique au fond.

163. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

On apprend ainsi qu’il faut dans une tragédie des monologues, des chœurs, des songes, des ombres, des dieux, des sentences, de vastes couplets, de brèves ripostes, un événement unique, illustre, un dénouement malheureux, un style élevé, des vers, un temps qui ne dépasse pas un jour : tout cela pêle-mêle, sans subordination ni sens intérieur. […] En leur vrai sens, elles représentent le minimum de convention qu’on ne peut retrancher dans la représentation de la vie : on suppose que le plancher de la scène est un autre lieu quelconque du monde, mais toujours le même lieu, et que les deux heures du spectacle peuvent contenir les événements d’une journée : mais l’idéal où l’on tend, c’est de réduire la durée de l’action à la durée de la représentation. […] Il avait défini les caractères de l’action tragique : elle doit être morale et intérieure en son principe ; l’intéressant, ce n’est pas l’événement, c’est le sentiment, et les faits extérieurs, même nécessaires à l’action, ne valent que comme donnant une expression aux faits moraux, ou ayant sur eux un contre-coup. […] Sans doute la mort du comte est un événement fortuit qui met obstacle au bonheur de Rodrigue et de Chimène, mais qui ne voit que le fait matériel de cette mort n’est rien, et que les sentiments déterminés chez les deux amants par cette mort sont tout l’obstacle ?

164. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Quand il en vient aux époques de la Réforme, de la guerre de Trente Ans, l’historien-roi définit en peu de mots ces grands événements par leurs traits généraux et dans leurs principes réels ; toujours et partout il démêle le fond d’avec les accessoires. […] Tout à côté des mesures et des calculs dictés par une hardiesse prévoyante, il reconnaît ce qu’il doit à « l’occasion, cette mère des grands événements », et il est soigneux de faire en toute rencontre la part de la fortune : Ce qui contribua le plus à cette conquête, dit-il, c’était une armée qui s’était formée pendant vingt-deux ans par une admirable discipline ; et supérieure au reste du militaire de l’Europe (remarquez l’hommage à son père) ; des généraux vrais citoyens, des ministres sages et incorruptibles, et enfin un certain bonheur qui accompagne souvent la jeunesse et se refuse à l’âge avancé. […] Dans le récit des événements de guerre, il est sobre, rapide, n’entrant pas dans les détails particuliers, sauf en un petit nombre de cas où il ne peut s’empêcher de payer un tribut de reconnaissance à ses braves troupes ou à quelque vaillant compagnon d’armes. […] Au sortir de cette guerre où coula tant de sang, et après laquelle toutes choses furent remises en Allemagne sur le même pied que devant, sauf les dévastations et les ruines, Frédéric se plaît à faire sentir la faiblesse et l’inanité des projets humains : Ne paraît-il pas étonnant, dit-il, que ce qu’il y a de plus raffiné dans la prudence humaine jointe à la force soit si souvent la dupe d’événements inattendus ou des coups de la fortune ?

165. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Les grandes guerres et les événements inouïs qui ont rempli la fin du dernier siècle et les quinze premières années du nôtre, nous ont trop fait oublier ce qu’avaient de terrible et d’inouï aussi à leur moment les douze premières années du xviiie  siècle. […] Un grand esprit contemporain et acteur dans ces scènes mémorables, Bolingbroke, l’a dit : « Les batailles, les sièges, les révolutions surprenantes qui arrivèrent dans le cours de cette guerre sont d’un genre à ne point trouver leurs semblables dans aucune période de la même étendue. » C’est ainsi que les générations se croient privilégiées par la grandeur des événements et des catastrophes dont elles sont témoins et victimes, jusqu’à ce que d’autres générations surviennent qui leur ravissent l’orgueil de cette illusion. […] Toute la correspondance de Mme des Ursins, durant cette année 1709, fait le plus grand honneur à sa générosité et à son élévation d’âme comme aussi à sa perspicacité de vue ; car, en définitive, l’événement lui a donné raison, et le trône des Bourbons d’Espagne est resté debout sans que celui de Louis XIV en fût trop rabaissé. […] La catastrophe qui précipita Mme des Ursins est restée un des événements les plus singuliers, les plus dramatiques et les plus inexpliqués de l’histoire.

166. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IV. Le théâtre des Gelosi » pp. 59-79

. ; mais la perspective ordinaire, au milieu de laquelle se déroulaient les événements de la comédie, c’était cette piazetta ou ce carrefour, doré de soleil, divisé en coins et recoins mystérieux, qui, avec une plus grande simplicité d’architecture, a servi également à nos premiers poètes comiques. […] Le faux page, en regardant dans cette glace, feint d’y voir s’y dessiner tous les événements passés, la jeunesse de Pantalon et son amour pour Olympia, Olympia abandonnée donnant le jour à une fille, cette fille grandissant, venant à Rome, se déguisant en page pour entrer chez son père, et s’écriant enfin : “Padre mio, io son quella e Olympia è mia madre !” […] On les emploie tantôt pour occuper la scène pendant que des événements plus ou moins importants sont censés se passer dans la coulisse, tantôt pour égayer une fin d’acte.

167. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre II. La mesure du temps. »

On sait que Rœmer s’est servi des éclipses, des satellites de Jupiter, et a cherché de combien l’événement retardait sur la prédiction. […] En général, on néglige la durée de la transmission et on regarde les deux événements comme simultanés. […] Nous choisissons donc ces règles, non parce qu’elles sont vraies, mais parce qu’elles sont les plus commodes, et nous pourrions les résumer en disant : « La simultanéité de deux événements, ou l’ordre de leur succession, l’égalité de deux durées, doivent être définies de telle sorte que l’énoncé des lois naturelles soit aussi simple que possible.

168. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Quelques grands hommes sont devenus l’objet d’une véritable idolâtrie ; ils ont eu leurs pontifes, leurs dévôts, leurs fanatiques ; leurs livres ont été commentés comme un texte sacré ; les plus minces événements de leur vie ont donné lieu à des querelles quasi théologiques ; des reliques problématiques de ces nouveaux saints ont même été pieusement recueillies sous verre et exposées à l’adoration des fidèles. […] On est arrivé ainsi à reléguer au rang des fables quantité de légendes qui ne peuvent plus trouver place dans le tissu serré des événements reconnus pour vrais ; puis, d’antiques mensonges une fois écartés, l’on s’est trouvé en présence d’un bon nombre de notions importantes. […] Parfois elle nous découvre, comme un fait dont l’autorité est l’indiscutable, l’action exercée sur un écrivain par un événement ou un objet extérieur.

169. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Les écoles politiques du xixe  siècle ont ce caractère général d’être plutôt des partis que des écoles : nées des événements et mêlées aux événements, elles n’ont guère cette impartialité abstraite qui caractérise la science ; et par la même raison, elles ont laissé ou laisseront peu de ces ouvrages mémorables et éternels, qui survivent aux passions d’un temps. […] Cette rencontre et cette alliance fut un des événements les plus graves du siècle.

170. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

C’est du moins un sujet unique, car Dieu, qui met parfois des échos dans les circonstances, n’a pas permis aux événements de le répéter. […] Les trois sommets de l’île de la Trinité, aperçus par lui et répétant à leur manière le nom projeté de cette île, qu’il devait appeler la Trinidad avant de l’avoir découverte, l’histoire de la croix plantée de sa main à la Vera-Cruz et dont le bois produisit pendant tant d’années des guérisons si extraordinaires et si désespérées, le compte inouï de tous les grands événements de la première expédition de Colomb, lesquels, tous heureux, tombèrent à point nommé le vendredi, depuis le vendredi du départ jusqu’au vendredi du retour, tous ces faits que le très commode hasard, inventé pour faire substitution et pièce « à la Providence », n’explique et n’éclaire plus, parce que le hasard est essentiellement solitaire et que des faits nombreux et continus lui ôtent son caractère de hasard, M.  […] Il l’a grandie, il l’a élevée dans ses événements et dans son héros, mais il n’a pas empêché l’historien d’entrer dans ce que la critique de la philosophie appelle le positif et la réalité des choses humaines.

171. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Henri III, Henri IV, tous les événements du siècle qui tourne autour d’eux, n’ont pas donné une seule distraction à l’historien attaché au sujet particulier de son livre et qui l’ouvre en 1584 pour le fermer en 1598. […] Aussi n’est-ce pas dans toute cette histoire, officielle et si connue qu’elle en est vulgaire, n’est-ce pas sous l’épiderme des événements du xvie  siècle, mais bien dans les entrailles des réalités les plus profondes, qu’il fallait chercher la raison supérieure de la nécessité de la Ligue et de son héroïque légitimité. […] Évidemment il ne se méprend ni sur la gravité des événements ni sur la valeur des hommes, mais il ne mesure pas plus l’influence des uns qu’il ne caractérise l’individualité des autres.

172. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Grave question, du reste ; car, si le livre réussissait, il y aurait peut-être derrière le succès qu’il provoque un de ces terribles événements destinés à éclater plus tard, et auquel l’auteur et le livre auraient également contribué. Que ceux qui touchent aux événements de l’histoire moderne, de cette histoire qui nous a enfantés dans l’erreur et le trouble, ne se fassent pas de lâche ou de sotte illusion. […] Theiner, outre que c’est là un nom modéré et honnête pour toutes les lâchetés politiques, c’est précisément la question, et elle nous semble suffisamment résolue par les événements déplorables dont l’abolition fut suivie.

173. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

Elles ont même de la hardiesse dans le génie, par le mépris qu’elles font des événements qui forment la trame vulgaire de la vie, et par la préoccupation des sentiments que sa noblesse est d’exprimer. […] Il n’y a dans tout ce flot d’amour, qui déferle d’un bout à l’autre en ces lettres éloquentes, qu’un seul événement, en dehors de cet amour qui est le fond du livre, et encore qui ne s’y accomplit pas. […] Cette résolution, qui ne dure qu’une minute, est la seule circonstance étrangère au magnifique développement d’amour qui est l’intérêt profond de ce roman par lettres sans égal ; car Clarisse et Delphine et les Lettres de deux jeunes mariées sont pleines d’événements.

174. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

Pour moi, il me semble que ces hommes, doués d’une seconde vue, sont assez semblables à ces chauves-souris en qui le savant anatomiste Spallanzani a découvert un sixième sens plus accompli à lui seul que tous les autres… Ce sixième sens, si admirable, consiste à sentir dans chaque objet, dans chaque personne, dans chaque événement, le côté excentrique pour lequel nous ne trouvons point de comparaison dans la vie commune et que nous nous plaisons à nommer le merveilleux… Je sais quelqu’un en qui cet esprit de vision semble une chose toute naturelle. […] Les phénomènes singuliers et subtils dans lesquels se complaît le génie d’Hoffmann, lorsqu’il ne les tire pas d’un concours plus ou moins romanesque d’événements tout extérieurs, et lorsque la nature humaine et l’âme sont sur le premier plan, se rapportent plus particulièrement, comme on peut le penser, à ces âmes sensibles et maladives, à ces natures fébriles et souffrantes, qui peuvent en général se comprendre sous le nom d’artistes : ce sont elles qui font le sujet le plus fréquent et le plus heureux de ses expériences.

175. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

Voilà l’événement capital, trop souvent méconnu et qu’il faut sans cesse rappeler. […] Dans les pages qui suivent, à propos d’hommes et d’événements quotidiens, j’ai fixé durant quelques instants ma pensée sur quelques uns des problèmes capitaux de la vie artistique, sociale et religieuse.

176. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

Il n’est pas plus étrange de trouver des compagnons, des précurseurs et des successeurs à un caractère général, que d’en trouver à un individu particulier ou à un événement momentané. Sans doute, dans l’éparpillement infini et l’écoulement irrémédiable de l’être, ces sortes de caractères sont les seuls éléments qui soient partout les mêmes et renaissent toujours les mêmes ; mais ils n’existent point en dehors des individus et des événements, comme le voulait Platon, ni dans un monde autre que le nôtre ; car ils sont les caractères des événements et des individus qui composent notre monde. Comme les individus et les événements, ils sont des formes de l’existence, et ils ne diffèrent des individus et des événements que parce qu’ils sont des formes plus stables et plus répandues. […] Celui qui fait la grosse voix est en colère. » — Au commencement, étant donné un individu ou événement d’une certaine classe, il ne portait sur lui qu’un de ces jugements généraux ; bientôt il en porte deux, trois, quatre, puis dix, vingt, cent, et ainsi de suite. […] Dans l’un sont inclus tous les événements réels, dans l’autre tous les corps réels.

177. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Racine ne pouvant, comme Euripide, présenter aux spectateurs Hippolyte déchiré, couvert de sang, brisé par sa chute, et dans les convulsions de la douleur et de l’agonie, a été forcé de faire raconter sa mort ; et cette nécessité l’a conduit à blesser, dans le récit de cet événement terrible, et la vraisemblance et la nature, par une profusion de détails poétiques, sur lesquels un ami ne peut s’étendre, et qu’un père ne peut écouter. […] Elles forcent le poëte à négliger souvent, dans les événements et les caractères, la vérité de la gradation, la délicatesse des nuances : ce défaut domine dans presque toutes les tragédies de Voltaire ; car l’admirable génie de Racine a été vainqueur de cette difficulté comme de tant d’autres. […] Quand je dis qu’ils peignent une vie entière, je ne veux pas dire qu’ils embrassent dans leurs pièces toute la vie de leurs héros ; mais ils n’en omettent aucun événement important, et la réunion de ce qui se passe sur la scène et de ce que le spectateur apprend par des récits ou par des allusions, forme un tableau complet, d’une scrupuleuse exactitude. […] Nos héroïnes passionnées, Alzire, Aménaïde, Adélaïde du Guesclin, ont quelque chose de mâle ; on sent qu’elles sont de force à combattre contre les événements, contre les hommes, contre le malheur. […] Nos héroïnes tendres, Monime, Bérénice, Esther, Atalide, sont pleines de douceur et de grâce, mais ce sont des femmes faibles et timides ; les événements peuvent les dompter.

178. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

C’est là l’événement qui se dégage de tous les autres dans cette histoire des iie et iiie  siècles. […] Ni les événements sur lesquels je comptais pour élever son talent à la même puissance qu’eux, ces événements d’un moment unique dans l’Histoire : l’incendie de Rome sous Néron, l’état du inonde d’alors, et ce siège de Jérusalem, aussi exceptionnel par l’énergie que la nation qui le soutint, n’ont exalté dans M.  […] Dans le récit de ces événements prodigieux, qui n’ont pas été néanmoins pour lui des événements inspirateurs, il a été — ce qu’il fut toujours — une plume d’une correction assez élégante et sobrement colorée, d’une fermeté de goût qui n’a guères fléchi qu’à deux ou trois endroits, car le goût est peut-être la seule chose qui soit ferme en cet incertain ; mais l’écrivain, qui n’est pas de race chez M. 

179. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

II Et voilà l’événement. L’événement n’est pas que Michelet ait continué, en l’honneur des femmes (est-ce honneur qu’il faut dire ?), la malheureuse campagne d’aventurier physiologique qu’il avait commencée, l’événement c’est qu’il l’ait continuée avec moins de talent qu’il ne l’a ouverte, et qu’au lieu d’une question d’idées et de philosophie, il n’y ait plus entre lui et la Critique qu’une unique question de valeur littéraire. […] Michelet, le Michelet de 1847, regardé, vu et jugé à la lumière des événements qui se sont produits depuis 1847, quelle expérience et quelle leçon ! […] Il n’y a que plus insolent encore, ce sont les soufflets que les événements viennent camper à vos prophéties.

180. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Frédéric en rapporta toujours à son frère l’initiative et la première idée : L’honneur des événements que nous prévoyons (il parle à son point de vue d’égoïsme national) vous sera dû, mon cher frère, lui écrit-il, car c’est vous qui avez placé le premier la pierre angulaire de cet édifice ; et sans vous je n’aurais pas cru pouvoir former de tels projets, ne sachant pas bien, avant votre voyage de Pétersbourg, dans quelles dispositions cette cour se trouvait en ma faveur. […] Et enfin, le 17 juin 1778 : Mon cher frère, je suis bien fâché que vous voyiez tout en noir, et que vous vous représentiez un avenir funeste, quand je ne vois de mon côté que de ces sortes d’incertitudes qui précèdent tous les grands événements. […] Une bataille fera encore bien d’autres changements que la campagne stérile en événements que nous venons d’avoir. […] Frédéric fit remarquer à son frère que la guerre tirait peut-être à sa fin, et qu’il n’y aurait probablement aucun événement nouveau à cause de l’hiver, jusqu’à ce que cette question de paix fût tranchée ; il le pria de différer sa résolution de quelques mois : Je suis bien fâché d’apprendre que votre santé, mon cher frère, n’est pas telle que je la désire.

181. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Rien n’est cependant plus du sien, et Sa Majesté est persuadée qu’il convient tout à fait à son service, de faire entrer son armée en Piémont la campagne prochaine… Vous devez avoir reçu une lettre de Sa Majesté par laquelle elle vous marque que, voulant absolument que son armée entre en Piémont la campagne prochaine, elle ne vous rendra en aucune façon responsable des événements de la campagne, et c’est ce qu’elle m’a encore ordonné de vous confirmer… Comme je crois que vous voulez bien me compter au nombre de vos amis, j’ai cru ne pouvoir vous donner une plus grande marque que j’en suis que de vous avertir pour vous seul, s’il vous plaît, que Sa Majesté est persuadée que, si votre goût n’était point aheurté à une guerre défensive, il ne se trouverait peut-être pas tant de difficultés à en faire une offensive cette année : ainsi, quoique je ne sois pas capable de vous donner des conseils, cependant je crois devoir vous donner celui de renouveler de soins et d’attentions pour essayer de rendre facile, par l’avancement de la voiture (du voiturage) des farines, une chose que le roi désire aussi ardemment. » Catinat répondait en remerciant Barbezieux de cet avis amical, et il protestait que la défensive n’était point chez lui un parti pris et que son goût n’était point aheurté à ce genre de guerre ; qu’elle lui tenait, au contraire, l’esprit dans une continuelle inquiétude dont il aimerait mieux se décharger en agissant ; il ajoutait : « Le roi me demande des mémoires sur les dispositions de l’offensive : je ne puis que me donner l’honneur de les lui envoyer aussi détaillés qu’il m’est possible avec les difficultés qui se rencontrent dans leur exécution, afin qu’il lui plaise de donner ses ordres pour les surmonter. » Louis XIV se rendait en dernier ressort aux raisons et démonstrations de Catinat ; mais il se formait de lui peu à peu une idée qui n’était plus aussi avantageuse qu’auparavant, ni aussi brillante. […] Cependant à la première nouvelle de l’événement, ses amis de Paris s’agitaient, s’émouvaient avec plus de délicatesse et de susceptibilité qu’il n’en avait lui-même ; ils conféraient entre eux sur la conduite la plus convenable qu’il aurait à tenir et lui dépêchaient courrier sur courrier pour lui faire part de leurs avis et du résultat de leurs délibérations. […] J’y ai fait de mon mieux ; les événements en sont désagréables ; il faudrait bien des pages d’écriture pour montrer comment ces disgrâces sont arrivées, les motifs qui y ont donné occasion, et comment les fautes y ont été commises. […] Elle écrivait d’Ormesson, le 7 juillet 1703, à Mme de Grignan ; — elle vient de parler de MM. de Boufflers et de Villars : « Mais, madame, je m’amuse à vous parler des maréchaux de France employés, et je ne vous dis rien de celui [Catinat] dont le loisir et la sagesse sont au-dessus de tout ce que l’on en peut dire ; il me paraît avoir bien de l’esprit, une modestie charmante ; il ne me parle jamais de lui, et c’est par là qu’il me fait souvenir du maréchal de Choiseul ; tout cela me fait trouver bien partagée à Ormesson : c’est un parfait philosophe, et philosophe chrétien ; enfin, si j’avais eu un voisin à choisir, ne pouvant m’approcher de Grignon, j’aurais choisi celui-là… » De son côté, Fénelon, en décembre 1708, énumérant toutes les qualités nécessaires à un général qui eût commandé une armée sous le duc de Bourgogne et qui, en même temps, lui eût servi de mentor, écrivait au duc de Chevreuse : « Il faudrait qu’au lieu de M. de Vendôme, qui n’est capable que de le déshonorer et de hasarder la France, on lui donnât un homme sage et ferme, qui commandât sous lui, qui méritât sa confiance, qui le soulageât, qui l’instruisît, qui lui fît honneur de tout ce qui réussirait, qui ne rejetât jamais sur lui aucun fâcheux événement, et qui rétablît la réputation de nos armes.

182. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Il est vrai qu’il a reçu l’instruction des événements : il a vu s’achever le long et lourd règne de Louis XIV, il écrit dans le fort de la réaction qui suivit la mort du grand roi ; et il y aide, pour son compte, de tout son cœur. […] Il croit à l’efficacité de l’intervention humaine, individuelle, dans le cours des événements historiques. […] Cependant, dans l’ensemble de l’ouvrage, domine le dogmatisme du théoricien politique qui pense lier les événements par des chartes. […] Il est impossible, dans l’infinie complexité des choses humaines qu’une infinité de forces concourent à produire, quand les causes physiques et les causes morales se perdent dans les obscures profondeurs de notre organisme et de notre conscience, quand on ne démêle encore — et au temps de Montesquieu on était loin d’être aussi avancé que nous sommes — quand on ne démêle que les plus superficielles réactions et les plus grossiers enchaînements de phénomènes, il est impossible de déterminer ce qu’il aurait fallu ôter ou retrancher d’énergie humaine ou de travail législatif pour détourner ou barrer le cours des événements.

183. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

J’ai classé dans cette catégorie les contes qui n’ont d’autre but que de provoquer l’intérêt par l’exposé d’événements de deux sortes : les uns, comportant des personnages de nature fabuleuse et les autres ne produisant en scène que des personnages de nature humaine qui évoluent au milieu d’une action purement anecdotique ou romanesque. […] Dans ces derniers récits le conteur rapporte un événement arrivé à d’autres qu’à lui (voir Le konkoma — Le chasseur de Ouallalane — Les maîtres de la nuit, etc.). […] A côté de ces récits fantastiques ou simplement merveilleux se placent ceux ayant pour base un événement romanesque ou même une anecdote sans portée. […] Il n’a pas, comme nous, cet atavisme de morale religieuse dont l’influence persiste même chez les « libres-penseurs » les plus dégagés, en apparence, de l’étreinte du passé et qui nous fait nous effaroucher devant le récit d’actes ou d’événements somme toute conformes à la loi de Nature.

184. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Au fond des tranchées, en première ligne, il note que les seuls événements de son histoire « ce sont les changements de l’ordre naturel, la tombée de la nuit, la naissance du jour, un ciel couvert ou étoilé, la chaleur ou la fraîcheur de l’air. Cette confusion avec la vie du monde donne à notre vie une grandeur, une beauté incomparables… »‌ Ainsi attaché à la splendeur universelle, il défie le destin. « J’ai confiance que quoi qu’il arrive aujourd’hui, demain, dans huit jours, je me suis monté assez haut pour dominer les événements et ne les regarder qu’avec curiosité ». […] Toute chaude, toute noble, profondément douloureuse pour ceux qui l’écoutent avec une parfaite sympathie, mais pour lui nuancée de paix joyeuse :‌ Je me suis interdit de porter des jugements de valeur sur les événements de ma vie ; je les accepte tous comme des occasions que m’offre le sort pour mieux me connaître et m’améliorer.‌ […] La vie me paraît simple, simple, et toujours si admirable que je ne comprends pas qu’on ne s’y prête pas avec reconnaissance…‌ Un des jeunes amis à qui il adresse ces belles lettres cherche à le classer et lui dit ; « Tu es fataliste. » Roger Cahen proteste avec vivacité : « Ni fataliste, ni déterministe ; j’accepte seulement avec amour tous les événements qui sont créateurs de sentiments nouveaux, de forces nouvelles ; je suis celui qui espère toujours, je suis persuadé que le Messie est à venir. »‌ Un autre jour, il écrira : « Je suis d’une âme très pieuse, mais ma piété est celle de Jean Christophe : “Sois pieux envers le jour qui se relève.”

185. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

. —  Il n’est pas certain que tous les événements arrivent selon des lois. —  Le hasard dans la nature. […] Nous n’avons qu’à regarder les éléments qui la composent et les événements dont elle part pour comprendre que sa portée est restreinte. […] Pouvons-nous décider que tout événement à tout point du temps et de l’espace arrive selon des lois, et que notre petit monde, si bien réglé, est un abrégé du grand ? […] Car, lorsque je constate un événement, je l’isole artificiellement de son entourage naturel, et je le compose artificiellement d’éléments qui ne sont point un assemblage naturel. […] Il y a une force intérieure et contraignante qui suscite tout événement, qui lie tout composé, qui engendre toute donnée.

186. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Que dans un état de société si calme et sensé, au milieu d’une modération si profonde et d’une intelligence si impartiale, on vienne maintenant conseiller à ceux qui demandent haut les conséquences politiques des événements de juillet, de ne pas pousser à l’anarchie ; qu’on leur vienne parler à l’oreille du 10 août et des excès républicains ; que, s’ils persistent, on signale leurs doctrines comme imprudentes et pernicieuses : c’est presque une moquerie ; c’est faire une étrange confusion des choses et des temps. […] En ce sens et dans la sphère politique, il est vrai de dire que notre époque doit reprendre et développer le mouvement de 89 : et cela est d’autant plus vrai qu’elle sera moins sujette aux mêmes crises passionnées, aux mêmes événements impétueux.

187. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Bientôt les événements dans leur réalité nous présentent nos enfants élevés par nous, pour d’autres que pour nous-mêmes, s’élançant vers la vie, tandis que le temps nous place en arrière d’elle, pensant à nous par le souvenir, aux autres par l’espérance ; quels parents sont alors assez sages, pour considérer les passions de la jeunesse comme les jeux de l’enfance, et pour ne pas vouloir occuper plus de place parmi les unes que parmi les autres ? […] La tendresse des enfants pour leurs parents se compose, pour ainsi dire, de tous les événements de leur vie ; il n’est point d’attachement dans lequel il entre plus de causes étrangères à l’attrait du cœur, il n’en est donc point dont la jouissance soit plus incertaine.

188. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

. — Dans tous ces cas, une expérience présente suggère l’idée d’une autre expérience possible ; nous faisons la première et nous imaginons la seconde ; l’aperception d’un événement, objet ou caractère éveille la conception d’un autre événement, objet ou caractère.

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