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975. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

D’ordinaire ils ont débuté par chanter l’amour ; tout autre intérêt, tout autre charme se perdait dans celui-là : mais, à mesure que ce ravissement intérieur a cessé, leur âme s’est élargie vers plus d’objets. […] L’âme du vrai poëte lyrique, après qu’y a pâli l’amour, est comme un Bosphore où le feu grégeois n’illumine plus la nuit, et qui éclaire moins ses rivages, mais qui les réfléchit mieux. […] Quand la sublime illusion cesse, quand l’amour a revolé aux cieux, tout le monde d’alentour reparaît, dans une ombre d’abord, mais bientôt tout s’éclaire comme d’une aube croissante ; l’humanité reprend sa place dans l’univers. […] Les familles n’ont plus aujourd’hui de filles destinées au cloître, et elles n’ont guère de fils destinés à l’autel ; le mot d’amour n’est donc pas en lui-même nécessairement alarmant, et il n’a effarouché d’ailleurs ni dans Paul et Virginie ni dans Télémaque. […] Tous ceux qui marchent sur la terre  Ont soif à quelque heure du jour : Fais, à leur lèvre desséchée, Jaillir de ta source cachée  La goutte de paix et d’amour !

976. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

si tu vis encore, alors peut-être un sage, Près d’une lampe assis, dans l’étude plongé, Te retrouvant poudreux, obscur, demi rongé, Voudra creuser le sens de tes lignes pensantes : Il verra si du moins tes feuilles innocentes Méritaient ces rumeurs, ces tempêtes, ces cris Qui vont sur toi, sans doute, éclater dans Paris ; … alors, peut-être… on verra si… et si, en écrivant, j’ai connu d’autre passion Que l’amour des humains et de la vérité !  […] Il jouera sur deux flûtes : Deux flûtes sur sa bouche, aux antres, aux Naïades, Aux Faunes, aux Sylvains, aux belles Oréades, Répètent des amours. . . . . . . . . . . . . […] Nina, ou la Folle par amour, ce touchant drame de Marsollier, fut représentée, pour la première fois, en 1786 ; André Chénier put y assister ; il dut être ému aux tendres sons de la romance de Dalayrac : Quand le bien-aimé reviendra Près de sa languissante amie, etc. […] L’érudition, le goût d’un Boissonade, n’y seraient pas de trop, et de plus il y aurait besoin, pour animer et dorer la scholie, de tout ce jeune amour moderne que nous avons porté à André. […] Ou peut-être plus simplement : Ton sein est le trône d’amour !

977. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Mais avant de l’analyser en lui-même cet art, disons un mot de cette passion sereine et impersonnelle du beau qui possède certaines âmes d’élite venant en ce monde, qui les séquestre, pour ainsi dire, des vulgarités de notre vie à nous, active mais triviale, et qui les nourrit sans aliments visibles (excepté peut-être quelque amour sans récompense, voilé et innomé dans le rêve du cœur). […] Les poètes populaires, qui sont en général les tailleurs d’habits ou les ménétriers de village, y remplissent leurs veillées de légendes orientales ou d’idylles siciliennes ; la religion, l’amour et la guerre, les trois passions nobles des châteaux et de la chaumière, en sont les sujets. […] Pygmalion, en effet, dont on a fait le symbole de l’amour profane, n’est que le symbole du génie ; il n’adore pas seulement le beau, il le crée. […] XXXVII Il n’y a rien de plus grand que l’admiration ; elle est plus grande même que le génie, car elle est le génie désintéressé de soi-même, l’amour pour l’amour, le quiétisme de Fénelon, la charité parfaite transportée du christianisme dans l’art, le beau pour le beau. […] XL Est-ce que Cervantès ne fut pas le satiriste de ces chevaliers de l’enthousiasme, de l’amour platonique et de la dévotion dans un livre, épopée du ridicule, qui amusa la malignité de son siècle aux dépens de ces excès de vertu et d’engouement des héros, des poètes contemplatifs, luxe risible du cœur humain sans doute, mais luxe qui prouvait sa richesse ?

978. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Puis je leur parlerais du bon Dieu avec des mots d’amour ; je leur dirais qu’il les aime encore plus que moi, qu’il me donne tout ce que je leur donne, et, de plus, l’air, le soleil et les fleurs ; qu’il a fait le ciel et tant de belles étoiles. […] Cela prouve que les enfants ont le sentiment du beau, et que par les œuvres de Dieu il est facile de leur inspirer la foi et l’amour. […] moi, que deviendrais-je sans la prière, sans la foi, la pensée du ciel, sans cette pitié de la femme qui se tourne en amour, en amour divin ? […] C’est mon endroit ; je souffrirais bien plus ailleurs ; je reconnais en ceci un soin de la Providence, qui fait tout avec amour pour ses créatures, qui ne fait pas naître la violette dans les rues. […] Mais la pitié, tout aimable qu’elle est, n’est pas de l’amour !

979. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Nous n’avons pas de poète chez qui l’amour soit plus pur de galanterie comme d’exagération romanesque, soit plus l’amour, pour tout dire. […] Le sentiment de la nature, l’amour de l’humanité idéale, la méditation chrétienne, l’adoration de l’art, tel est le fond de ses premiers ouvrages. […] Lui aussi a senti, comme Pierre Lebrun136, Pour l’eau bleue et profonde un indicible amour. Cet amour il l’a épanché en une suite de petites pièces où sont décrits tous les spectacles de la mer, où est exprimé tout ce qu’il y a de poésie ingénue dans les cœurs vaillants qui ont fait amitié avec elle. Ce poète a un autre amour encore.

980. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Lorsque le soleil glissait entre les branches, criblant de flèches d’or l’herbe drue des clairières, le trille étincelant de l’oiseau disait au rêveur les féeries des palais enchantés, les fiancées blondes, parées de gemmes éblouissantes, tout un monde enfin de fidèle et glorieux amour. […] Enfin, cette voix de l’oiseau, c’est l’écho même de nos pensées ; c’est de notre désir qu’elle parle, elle ne nous annonce que nos propres rêves : « Joyeuse dans la peine, ma chanson chante l’amour … les cœurs seuls la comprennent, qui désirent !  […] Si géniale est la transformation des épisodes, plus admirable encore est celle des personnages : quel chemin n’y a-t-il pas de l’Odin scandinave au Wotan de la Tétralogie, du Sigurd des légendes au Siegfried de Wagner, et, surtout de la Walkyrie ancienne à cette sublime Brunnhilde, émue de la détresse humaine, qui se dévoue, se sacrifie, et affirme, sur les ruines d’un monde, la Rédemption par l’Amour ! […] Il : procédé littéraire de Wagner ; relation entre le drame musical et le théâtre, grec ; l’amour dans le drame wagnérien. […] Non seulement son enthousiasme et son exaltation se communiquèrent aux artistes, mais, fût-ce sa légende qui inspira les Giotto, fût-ce lui qui commença à construire les grands dômes où leur art s’étala, son intense amour de la nature, la personnification qu’il fit des montagnes, des forêts et des fleuves fut la première impulsion à l’observation de la nature, aux essais de la dessiner et de rendre avec le pinceau le vrai milieu, à la place de quelque fond d’or ou de mosaïque.

981. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Si, au mystère de leur cœur grandit un amour secret, ils sentent sa force douce éclore en eux « comme un lis de mer s’épanouit au fond des eaux tièdes de l’Océan ». […] Ils frissonnent en songeant que sur ses bords leur pauvre âme déçue se sentit prise à « l’embûche formidable de la nuit » et de l’amour. […] Voici devant lui un rêve mélancolique, vaguement médiéval, non par amour d’une époque déterminée, mais par nostalgie, par besoin de fuite, et d’imprécision, et de lointain. […] Mais la femme se lamente, dit que leur pitié eut tort et qu’ils auraient dû s’isoler dans leur amour heureux. […] quand consentirez-vous à la loi d’Amour ?

982. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Qu’il ne s’attende point à la photographie décolletée du Plaisir : l’étude qui suit est la clinique de l’Amour. […] Nous trouvons Rose, tranquille, espérante, parlant de sa sortie prochaine, — dans trois semaines au plus, — et si dégagée de la pensée de la mort, qu’elle nous raconte une furieuse scène d’amour qui a eu lieu hier entre une femme couchée à côté d’elle et un frère des écoles chrétiennes, qui est encore là aujourd’hui. […] Il n’est question dans les volumes florissant aux étalages que des amours vénales de dames aux Camélias, de lorettes, de filles d’amour en contravention et en rupture de ban avec la police des mœurs, et il y aurait un danger à dessiner une sévère monographie de la prostituée non clandestine, et l’immoralité de l’auteur, remarquez-le, grandirait en raison de l’abaissement du tarif du vice ? […] D’aventures, il est bien entendu que je n’en ai nul besoin ; mais les impressions de petite fille et de toute petite fille, mais des détails sur l’éveil simultané de l’intelligence et de la coquetterie, mais des confidences sur l’être nouveau créé chez l’adolescente par la première communion, mais des aveux sur les perversions de la musique, mais des épanchements sur les sensations d’une jeune fille, les premières fois qu’elle va dans le monde, mais des analyses d’un sentiment dans de l’amour qui s’ignore, mais le dévoilement d’émotions délicates et de pudeurs raffinées, enfin, toute l’inconnue féminilité du tréfonds de la femme, que les maris et même les amants passent leur vie à ignorer… voilà ce que je demande. […] S’il m’était donné de redevenir plus jeune de quelques années, je voudrais faire des romans sans plus de complications que la plupart des drames intimes de l’existence, des amours finissant sans plus de suicides que les amours que nous avons tous traversés ; et la mort, cette mort que j’emploie volontiers pour le dénouement de mes romans, de celui-ci comme des autres, quoiqu’un peu plus comme il faut que le mariage, je la rejetterais de mes livres, ainsi qu’un moyen théâtral d’un emploi méprisable dans de la haute littérature.

983. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Tu mérites la génisse, toi, et lui aussi : et quiconque également saura se méfier des douceurs de l’amour, ou en éprouvera l’amertume. » C’est le dernier vers qui n’a point satisfait les interprètes. […] C’est-à-dire : « Quiconque est assez hardi pour ne pas craindre l’amour, celui-là en fera l’expérience ou douce ou amère. » Quelle que soit la simplicité du bonhomme Palémon, cela me paraît trop ressembler à une vérité de La Palisse. […] Or, faire ses preuves en amour, c’est en savoir le bien et le mal : c’est se méfier de l’amour dans ses douceurs et l’avoir aussi éprouvé dans ses amertumes. […] Ce Palémon me paraît être un peu comme le vieillard de Daphnis et Chloé, qui a eu affaire à l’Amour oiseau et qui s’est essoufflé à le poursuivre ; il est, à sa manière encore, comme la femme de Mantinée : il est docteur en amour ; et il place son dire un peu à tort et à travers, même sans grand rapport avec ce qui précède.

984. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Ne nous y appesantissons jamais que pour combattre en nous l’amour du bruit, l’exagération de notre importance, l’enivrement de nos œuvres. […] Son christianisme est doux et tempéré, on le voit ; accommodant, mais pur ; c’est un christianisme formel qui ordonne à la fois la pratique de la morale et la croyance des mystères, d’ailleurs nullement farouche, fondé sur la Grâce et sur l’amour, fleuri d’atticisme, ayant passé par le noviciat des jésuites et s’en étant dégagé avec candeur, bien qu’avec un souvenir toujours reconnaissant. […] L’amour du marquis pour dona Diana, l’assassinat de cette beauté et surtout le mariage au lit de mort, sont d’un intérêt qui, dans l’ordre romanesque, répond assez à celui de Bérénice en tragédie. […] En général, ces personnages sont oublieux, mobiles, adonnés à leurs impressions et d’un laisser-aller qui par instants fait sourire ; l’amour leur naît subitement d’un clin d’œil comme chez des oisifs et des âmes inoccupées ; ils ont des songes merveilleux ; ils donnent ou reçoivent des coups d’épée avec une incroyable promptitude ; ils guérissent par des poudres et des huiles secrètes ; ils s’évanouissent et renaissent rapidement à chaque accès de douleur ou de joie. […] Pour sa famille, je ne répondrais pas qu’il l’amusât constamment ; mais nous qui ne sommes pas amoureux, le moyen de lui en vouloir quand il nous dit : « Je lui prouvai par un raisonnement sans réplique que ce qu’il nommoit amour invincible, constance inviolable, fidélité nécessaire, étoient autant de chimères que la religion et l’ordre même de la nature ne connoissoient pas dans un sens si badin ? 

985. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Dans le rôle, l’amour de l’humanité, l’amour de la justice ; dans l’homme, l’humeur pour règle, la conscience parlant bas comme si elle avait peur d’être un préjugé ; le bien et le mal au hasard du tempérament ; les vices de l’individu reprochés à la société ; la prédication dans les livres tenant lieu d’innocence ; l’homme se croyant quitte du devoir quand l’auteur l’a prêché. […] Mais rien n’égale, pour la grâce et la pureté de la peinture, cet amour qui naît comme à l’abri de l’amitié fraternelle ; cet éveil des sens chez le jeune homme qui se trahit le premier, parce qu’il se défie le moins de ce qu’il sent : les troubles de la pudeur qui agitent la jeune fille avant que sa conscience soit avertie, et qui lui parlent sans paroles ; le malaise secret dans ce qui ressemble le plus au bonheur, le premier amour ; les joies permises qui ne laissent guère plus de paix à l’âme humaine que les joies défendues. […] Bernardin de Saint-Pierre élève l’âme en faisant trouver la chasteté supérieure à l’amour ; il épure à la fois les sentiments du jeune cœur qui aime et les souvenirs de ceux qui ont passé l’âge d’aimer. […] Jamais l’amour de la vie et jamais le dégoût de vivre n’avaient été plus violents et plus inséparables qu’en ces temps de ruines récentes et de restaurations merveilleuses, où, pareils à des réchappés d’un naufrage, les hommes éprouvaient en même temps les dernières terreurs du péril et les premières joies de la délivrance.

986. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Plus tard, quand Boileau, par esprit général de dévouement à l’antiquité, mais avec plus de foi que d’amour, voulut venger Pindare des plaisanteries et des contre-sens de Perrault, il fit cette bonne œuvre d’une manière un peu timide, un peu faible. […] Il sonne sur la lyre le nom du Christ ; et, aux accents de son luth à dix cordes, il fait lever de l’enfer les ressuscités. » Interprète passionné des autres chants de victoire ou de deuil semés dans les livres saints, pieusement charmé du Cantique des cantiques, où il ne voit que l’idéal d’un mystique amour, tout en le comparant pour les images et la poésie au brûlant épithalame de Théocrite sur les noces infidèles de Ménélas et d’Hélène, Bossuet semble plus épris encore de cette concise et poétique philosophie des Hébreux, de ces courts axiomes, de ces symboles parlants qui remplissent les livres de Salomon et ceux du fils de Sirach. […] « Ce que je dois faire pour te plaire, ô dieu de la foudre, fils de Cronos, pour être aimé des Muses et pour rester sous la garde du calme heureux de l’âme, voilà ce que je demande de toi12. » Une telle foi, un tel amour devaient inspirer d’autres images que les souvenirs de la fable, un autre sublime que celui d’Homère. […] 19 » La gloire même des temps où il vécut, cette gloire si réelle et si célébrée de Platée, de Mycale, de Salamine, cet amour d’une liberté si bien défendue contre les barbares d’Asie, et dont le triomphe, enlevé surtout par le courage des matelots d’Athènes, accroissait si puissamment l’orgueil démocratique, le laissa fidèle à sa préférence pour des Institutions plus paisibles. […] Et cependant, lorsqu’il la célèbre, au nom d’un de ses enfants, Aristomène, vainqueur aux jeux olympiques, ce qu’il loue en elle, c’est l’amour de l’équité civile, et ce qu’il lui recommande, c’est la haine des troubles populaires.

987. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Si cette poésie n’est jamais légère et profane, elle se pare cependant des affections douces et des images gracieuses, l’amour, le regret tendre, l’espoir, la joie contenue et la douleur aussi ; car l’une et l’autre peuvent avoir un charme de réserve, qui en est comme la pudeur. […] Ce que l’on a nommé l’inspiration, c’est ce moment où l’âme, ravie au-dessus d’elle-même, épuise le dernier degré de douleur, de joie, d’amour, qu’il lui soit possible d’atteindre sans briser sa faible enveloppe et s’échapper d’ici-bas. […] Elle voyait Dieu en imagination ; elle l’associait à ses douleurs par la prière, et ne descendait pas de cette région d’amour et d’espérance dont l’ardeur satisfait seule certaines âmes, mais dévore promptement cette vie mortelle qui les entoure et qui les gêne. […] Mais il n’est pas douteux que, là encore, à part ces inspirations accidentelles que l’amour de la patrie pourrait exciter dans la première âme venue, il y avait, plus qu’en aucun autre pays, un foyer continu de tradition et d’enthousiasme. […] On y voit en symbole et en action le culte de Dieu, l’amour de la patrie juive, la persuasion des promesses divines, la certitude de la délivrance, l’immutabilité de la foi primordiale et l’extension future de ses rameaux transformés.

988. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Pourtant ici son amour de l’Antiquité et son culte classique le sauvent des injustices. […] Il puisa auprès d’elle « ce précoce et irrésistible amour de la lecture, qu’il n’échangerait pas, dit-il, pour les trésors de l’Inde ». […] J’insisterai peu sur ce premier et cet unique amour de Gibbon, passion qui n’était que naturelle en son moment et qui de loin peut sembler un ridicule. […] Les lettres d’amour et de douleur, qu’il écrivait à celle dont il avait espéré la main, se terminaient presque invariablement par ces mots : « J’ai l’honneur d’être, mademoiselle, avec les sentiments qui font le désespoir de ma vie, votre très humble et très obéissant serviteur. » Plus tard, se ressouvenant de cet amour malheureux, loin de retrouver aucun mouvement de trouble ou de regret, il ressent plutôt de la fierté (mêlée de quelque surprise) d’avoir été capable une fois d’un si pur et si exalté sentiment.

989. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Être homme de lettres, — entendons-nous bien, l’être dans le vrai sens du mot, avec amour, dignité, avec bonheur de produire, avec respect des maîtres, accueil pour la jeunesse et liaison avec les égaux ; arriver aux honneurs de sa profession, c’est-à-dire à l’Institut ; avoir un nom, une réputation ainsi fixée et établie, c’était alors une grande chose : il y avait, et parmi les auteurs et dans le public, comme un sentiment de religion littéraire. […] Il nous a été lu deux pièces en un acte : l’une d’Alexandre Duval, intitulée Les Amours de Shakespeare. Il y a, en effet, beaucoup d’amour, de jalousie, d’exaltation, de chaleur ; Shakespeare est amoureux d’une comédienne… Quoique ce ne soit pas une bonne comédie, ni même une comédie, c’est un ouvrage agréable et qui n’est pas sans intérêt : il y a de l’originalité. […] Depuis Les Marionnettes, je suis possédé d’un amour de travail qui m’enchante : je crois, soit dit sans vanité ou avec vanité, que je peux faire de bonnes comédies. […] Daru écrivait à Picard sur sa comédie et dans lesquelles il lui faisait les vraies objections dont l’auteur, malgré son effort, n’a pu triompher, ont à mes yeux une valeur morale et plus que littéraire, si l’on songe qu’elles sont du même homme qui, vers le même temps, disait dans une lettre de Berlin adressée à Mme Daru : « Je t’écris d’une main fatiguée de vingt-sept heures de travail. » On le comprend, c’est moins le détail des conseils et ce qu’ils pouvaient avoir de plus ou moins motivé, que le sentiment même qui les inspire, cet amour et ce culte des lettres, tendre, délicat, fidèle, élevé, que je me plais à observer et à poursuivre en M. 

990. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Et comment aurait-il parlé, en même temps que de la nature, de ce qui donne à la vie privée son embellissement et tout son charme, des femmes qu’il aimait, mais qu’au fond il estimait assez peu, dont il décomposait et niait les plus naturelles vertus par la bouche de Ninon, et en faveur de qui, sous le nom de Bernier, et pour tout réparer, il se contentait de dire : « Maintenons dans les deux sexes autant que nous le pourrons ce qui nous reste de l’esprit de chevalerie… » Mais ce reste d’esprit de chevalerie qui, dès lors bien factice et tout à l’écorce, était bon pour entretenir la politesse dans la société, est loin de suffire pour renouveler et pour réjouir sincèrement le fond de l’âme, pour inspirer le respect et l’inviolable tendresse envers une compagne choisie, et pour former au sein de la retraite une image de ce bonheur dont le grand poète Milton a montré l’idéal dans ces divines et pudiques amours d’Adam et Ève aux jours d’Éden. […] La correspondance qu’il entretint avec sa fille et avec quelques amis durant ses dix mois de captivité, tant à Sainte-Pélagie qu’à Saint-Lazare, offre des pages touchantes, des qualités cordiales, un amour franc de la nature et de la famille : Un botaniste passionné, écrivait-il à sa fille en avril 1794, n’est pas un conspirateur. […] Cowper voit dans cette disposition et dans ce vœu universel un cri de la conscience qui, longtemps méconnue, mais non abolie, rappelle toute créature humaine à son origine et à sa fin, et l’avertit de sortir du tourbillon des villes, de cette atmosphère qui débilite et qui enflamme, pour revenir là où il y a des traces encore visibles, des vestiges parlants d’un précédent bonheur, et « où les montagnes, les rivières, les forêts, les champs et les bois, tout rend présent à la pensée le pouvoir et l’amour de Celui qui les a faits. » Et dans une description minutieuse et vivement distincte, où il entre un peu trop d’anatomie, mais aussi de jolis traits de pinceau, il donne idée de la manière d’interpréter et d’épeler la création, et il montre qu’ainsi étudié, compris et consacré, tout ce qui existe, loin d’être un jeu d’enfant ou un aliment de passion, ne doit plus se considérer que comme une suite d’échelons par où l’âme s’élève et arrive à voir clairement « que la terre est faite pour l’homme, et l’homme lui-même pour Dieu. » Tout cela est grave et solennel sans doute, il faut s’y accoutumer avec le poète : Cowper, c’est à bien des égards le Milton de la vie privée. […] Par des soupirs il encense, sa beauté suprême, et, dans son désespoir, verse une triste libation de larmes ; il adore une créature, et, dévot en vain, reçoit en échange de son amour une réponse dédaigneuse. Comme le chèvrefeuille enlace l’arbre qu’il peut atteindre, aune rugueux, frêne à l’écorce unie ou hêtre luisant, enroule autour du tronc ses anneaux en spirale, et suspend aux branches feuillues ses glands dorés, mais il cause un dommage là où il prête une grâce, entravant la croissance par un embrassement trop étroit ; de même l’amour, lorsqu’il s’enlace aux plus fiers esprits, empêche le déploiement de l’âme qu’il subjugue : il adoucit, il est vrai, la démarche de l’amant, le forme au goût de celle qu’il aime, enseigne à ses yeux un langage, embellit son parler, et façonne ses manières ; mais adieu toute promesse de plus heureux fruits !

991. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Et pour dire ici tout ce que nous pensons, Guérin n’était pas fait pour les grandes et violentes passions de l’amour. […] Un homme pieux et poète, une femme dont l’âme va si bien à la sienne qu’on dirait d’une seule âme, mais dédoublée ; une enfant qui s’appelle Marie, comme sa mère, et qui laisse, comme une étoile, percer les premiers rayons de son amour et de son intelligence à travers le nuage blanc de l’enfance ; une vie simple, dans une maison antique ; l’océan qui vient le matin et le soir nous apporter ses accords ; enfin un voyageur qui descend du carmel pour aller à Babylone, et qui a posé à la porte son bâton et ses sandales pour s’asseoir à la table hospitalière : voilà de quoi faire un poème biblique, si je savais écrire les choses comme je sais les éprouver. […] Il y avait une véritable contradiction en lui : par tout un côté de lui-même il sentait la nature extérieure passionnément, éperdument, il était capable de s’y plonger avec hardiesse, avec une frénésie superbe, d’y réaliser par l’imagination l’existence fabuleuse des antiques demi-dieux : par tout un autre côté, il se repliait sur lui, il s’analysait, il se rapetissait et se diminuait à plaisir ; il se dérobait avec une humilité désespérante ; il était de ces âmes, pour ainsi dire, nées chrétiennes, qui ont besoin de s’accuser, de se repentir, de trouver hors d’elles un amour de pitié, de compassion ; qui se sont confessées de bonne heure, et qui auront besoin de se confesser toujours. […] Lui aussi il était, mais il n’était qu’à demi de la race de René, en ce sens qu’il ne se croyait pas une nature supérieure : bien loin de là, il croyait se sentir pauvre, infirme, pitoyable, et dans ses meilleurs jours une nature plutôt écartée que supérieure : Pour être aimé tel que je suisa, se murmurait-il à lui-même, il faudrait qu’il se rencontrât une âme qui voulût bien s’incliner vers son inférieure, une âme forte qui pliât le genou devant la plus faible, non pour l’adorer, mais pour la servir, la consoler, la garder, comme on fait pour un malade ; une âme enfin douée d’une sensibilité humble autant que profonde, qui se dépouillât assez de l’orgueil, si naturel même à l’amour, pour ensevelir son cœur dans une affection obscure à laquelle le monde ne comprendrait rien, pour consacrer sa vie à un être débile, languissant et tout intérieur, pour se résoudre à concentrer tous ses rayons sur une fleur sans éclat, chétive et toujours tremblante, qui lui rendrait bien de ces parfums dont la douceur charme et pénètre, mais jamais de ceux qui enivrent et exaltent jusqu’à l’heureuse folie du ravissement. […] Il a exprimé en mainte occasion cette sensation diffuse, errante ; il y avait des jours où, dans son amour du calme, il enviait « la vie forte et muette qui règne sous l’écorce des chênes » ; il rêvait à je ne sais quelle métamorphose en arbre ; mais cette destinée de vieillard, cette fin digne de Philémon et de Baucis, et bonne tout au plus pour la sagesse d’un Laprade, jurait avec la sève ardente, impétueuse, d’un jeune cœur.

992. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

A quoi bon descendre à plaisir des hauteurs où vous a placé l’amour pur de la jeune fille pour se révéler à elle le héros d’aventures vulgaires, ou le convalescent échappé de quelque grande passion, avec l’imagination éteinte et le cœur plein de cendres ? […] Tout au plus le volage mériterait-il qu’on dît de lui en amour ce que Socrate disait à Alcibiade : « Vous demandez toujours quelque chose de tout neuf ; vous n’aimez pas à entendre deux fois la même chose. » Le drame, en cet endroit, est très-bien mené : ie comte Herman, tout amoureux qu’il est de sa femme, se voit conduit à la limite et comme à l’entrée d’une triple infidélité. […] » On la rassure ; ce n’est pas elle qui a vieilli, c’est Herman ; il prend tout sur lui, il s’excuse, il s’humilie ; la nécessité… ; il raconte son histoire, ce testament d’un vieil ami, d’un père… plus qu’adoptif ; c’est Pompéa du moins qui le dit, comme elle l’a deviné, à la simple vue d’un portrait et à la ressemblance ; — il parle de son amour pour sa femme, de ce sentiment nouveau qui lui est venu en la voyant : «  J’ai senti que près de cette charmante personne je devenais meilleur ; j’ai apprécié ses excellentes qualités ; je l’ai estimée, puis aimée d’un amour inconnu, confiant, impérissable… » Mais Pompéa n’est pas de celles qui prennent le change ; elle sourit d’un sourire de pitié : « Voilà une idylle qui a le défaut d’arriver trop tard ; hier je t’aurais cru, mais il ne fallait pas me faire passer la soirée avec ta belle-sœur. » Herman assure ne pas comprendre ; Pompéa reprend : « Est-ce qu’on nous trompe, nous autres ? […] Le La Bruyère de l’Antiquité, Théophraste, le savait bien lorsqu’il disait que « l’amour, c’est la passion des gens qui n’ont rien à faire. » Et Ovide n’a fait que traduire cette même pensée plus mythologiquement : Olia si tollas, periere Cupidinis arcus.

993. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

» A son dessein politique de réhabiliter les classes moyennes se superposèrent heureusement une large passion scientifique, un amour désintéressé de la vérité, un absolu besoin de la connaître et de la dire. […] Il aborda son travail d’historien dans un élan d’amour pour les masses anonymes dans lesquelles la France avait successivement vécu, et par qui elle s’était faite. […] Depuis l’invasion barbare jusqu’à la révolution française, il nous donne moins l’histoire objective, impersonnelle, scientifique de la France, que les émotions de Jules Michelet lisant les documents originaux qui peuvent servira écrire cette histoire : on entend ses cris de joie, de douleur, d’amour, de haine, d’espérance, de dégoût, tandis que les pièces qu’il dépouille font passer sous ses yeux les passions, les désirs, les actes de nos ancêtres. […] Il avait le sens des symboles, et la grandeur poétique, la plénitude morale du symbolisme chrétien l’ont saisi : à mesure que la religion du moyen âge se matérialisera, se desséchera, il pleurera cette grande ruine ; il cherchera de tous côtés les illuminés, les indépendants, les révoltés, qui ont gardé la vue de l’Idée et le contact de Dieu : il mettra en eux son amour et sa joie. […] Biographie : Jules Michelet (1798-1874 . fils d’un imprimeur ruiné par le Consulat et l’Empire, répétiteur dans une pension en 1817, professeur au collège Sainte-Barbe en 1822, maître de conférences à l’Ecole normale en 1827. supplée Guizot à la Sorbonne (1833-1836), puis est désigné pour la chaire de morale et d’histoire du Collège de France (1838).Éditions : Principes de la philosophie de l’histoire ; Précis d’histoire moderne, 1828 ; Histoire romaine, 1831 ; les Mémoires de Luther, 1835. 2 vol. in-8 ; Du Prêtre, de la Femme et de la Famille, 1844. in-8 ; le Peuple, 1816. in-8 ; le Procès des Templiers, 1841-52, 2 vol. in-4 ; l’Oiseau, 1850, in-12 ; l’Insecte, 1857, in-18 ; l’Amour, 1858, in-18 ; la Femme, 1859, in-18 ; la Mer, 1861, in-18 ; la Sorcière, 1832, in-18 ; la Bible de l’humanité, 1861. in-18 ; la Montagne, 1868, in-18 ; Histoire de France (Moyen Age, 1833-13, 6 vol. in-8 ; Révolution, 1847-53. 7 vol. in-8 ; Renaissance et Temps modernes, 1855-67, 11 vol. in-8), 1878-80, Marpon, 28 vol. in-12 ; 1885 et suiv., Lemerre, 28 vol. pet. in-12. — Œuvres posthumes : Histoire du xixe siècle, 3 vol., 1876 ; Ma Jeunesse (pub. p.

994. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Il n’est pas tendre : quand il parle d’amour pour son compte personnel, il mêle un peu de sensualité très matérielle à la galanterie mièvre, à la rhétorique éclatante : il ne s’aliène pas assez pour connaître les grandes passions ; de sa hauteur de poète pensif, il se plaît trop à regarder l’amour de la femme « comme un chien à ses pieds 870 ». […] Il n’est que juste aussi, je crois, d’ajouter que l’amour collectif de l’humanité, des humbles, des misérables, fut très réel chez V. […] Leconte de Lisle, après ses deux admirables recueils, fut le maître incontesté de la poésie française ; autour de lui se groupèrent un certain nombre de jeunes poètes, qui prirent le nom de Parnassiens, lorsque l’éditeur Lemerre publia leurs vers dans le recueil du Parnasse contemporain Chacun y apporta son tempérament original, sa force de sentiment ou de pensée : le trait commun de l’école fut le respect de l’art, l’amour des formes pleines, expressives, belles. […] Symboliques déclarations d’amour à l’araignée, à l’ortie, au crapaud.

995. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Hors de là, leurs esprits diffèrent de toute la distance d’un pôle à l’autre : le ton affectueux de Montaigne déguise mal quelque égoïsme ; l’inspiration de saint François de Sales est tendre, affective avec chaleur, et toute brûlante de l’amour d’autrui. […] Lui, il est le contraire de ces natures-là ; il est le plus doux, le plus égal, le plus actif à la fois et le plus pacifique des cœurs, le plus adroit à tout convertir en mieux ; il se mêle à ceux des autres pour y verser la consolation et l’amour ; il est amoureux des âmes pour les guérir ; il s’y insinue pour y faire entrer cette « dévotion intérieure et cordiale, laquelle rend toutes les actions agréables, douces et faciles ». […] Ce qu’il disait à Mme de Chantal, il l’aurait dit également à toute âme : « Tenez voire cœur au large, ma fille ; et, pourvu que l’amour de Dieu soit votre désir, et sa gloire votre prétention, vivez toujours joyeuse et courageuse. » Si l’on ne voyait chez lui que quelques images de mauvais goût et quelques abus d’esprit, de sucre, de miel et de fleurs, on pourrait croire qu’il amollit et qu’il effémine la dévotion : en allant plus au fond et en dégageant sa pensée, les meilleurs juges ont trouvé qu’il n’en était rien, et qu’il est resté fidèle au véritable et sérieux esprit chrétien. […] Lorsque saint François de Sales voulut récidiver et approfondir davantage, lorsqu’il donna, quelques années après (1616), son Traité de l’amour de Dieu, il ne trouva plus la même facilité imprévue ni le même applaudissement. […] Mais il n’y serait pas resté longtemps, l’amour des âmes et le soin de ses peuples l’auraient bientôt fait redescendre.

996. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Fragments d’abord, publiés en 1818, il donnèrent assez de jouissances inattendues à l’imagination contemporaine pour qu’elle ressentit soudainement l’amour d’un livre qui faisait si largement immerger la vie dans l’histoire, et pour qu’elle désirât ardemment connaître l’ensemble et l’effet intégral de cette vaste fresque, comme l’a dit si heureusement M.  […] Et cependant, ne nous y trompons pas, ni le talent qui est suprême en ces Mémoires, — qui va jusqu’au génie, quand il ne s’agit que de peindre, mais qui n’y va pas, quand il s’agit de juger, — ni le sujet de ce récit, grand, varié, et pour nous, les démocrates du xixe  siècle, déjà merveilleux comme une lointaine épopée, ni les hasards d’une publication qui a aiguisé le goût public et l’a fait attendre avant de le satisfaire, ni même, ce que nous ne comptions pas tout d’abord, la rareté des livres sur le siècle de Louis XIV, rareté étonnante et qui vient de la peur qu’inspirait Voltaire, lequel l’avait pris pour sa part de lion et faisait trembler d’y toucher les superstitieux de son génie, ne peuvent suffisamment expliquer l’amour que Saint-Simon, presque inconnu, presque dédaigné au xviiie  siècle, a trouvé tout à coup parmi nous. […] La probité d’un historien se compose de l’amour du vrai le plus pur et de la plus scrupuleuse surveillance de soi-même. […] Même l’amour du pouvoir chez le duc de Saint-Simon est un rêve d’artiste. […] Le mépris n’a pas le droit d’être aveugle, comme l’amour.

997. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

ne comprends-tu pas ce que veut ma pensée, Quand elle meurt en moi de désir et d’amour ? […] Souvent aussi la main qu’on aime, Effleurant le cœur, le meurtrit ; Puis le cœur se fend de lui-même, La fleur de son amour périt. […] Deux voix s’élèvent tour à tour Des profondeurs troubles de l’âme : La raison blasphème, et l’amour Rêve un dieu juste et le proclame. […] Sully Prudhomme, à son tour, s’adresse à Musset ; il le prend sur un tout autre ton avec toutes les cérémonies et tous les respects, mais ce n’est que pour mieux marquer sa dissidence et pour faire acte de séparation : on ne dira pas du moins qu’il ne l’a pas senti et loué comme il faut : Toi qui naissais à point dans la crise où nous sommes, Ni trop tôt pour savoir, ni, pour chanter, trop tard, Pouvant poser partout sur les œuvres des hommes Ton étude et ton goût, deux abeilles de l’art ; Toi dont la muse vive, élégante et sensée, Reine de la jeunesse, en a dû soutenir Comme un sacré dépôt l’amour et la pensée, Tu te plains de la vie et ris de l’avenir !

998. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre II. L’homme »

» Et il envoie à la divine Amaranthe des vers un peu risqués, pleins d’insinuations vives et d’adorations mythologiques, Ces sourires et ces rires, cette galanterie caressante, ces douceurs, ce mélange d’esprit gracieux et de tendresses fugitives composent l’amour en France ; La Fontaine n’en a guère connu d’autre, et il y a passé le meilleur de son temps. […] L’ardeur et la profondeur des sentiments, l’amour qui dessèche et qui, « sans la crainte de l’enfer, pousserait le malheureux rebuté à se donner la mort9, ) » les larmes sincères, l’invective, le vigoureux style oratoire digne de Machiavel, toute cette invention italienne nous choque et le choque par son trop de force. […] Dès que j’ai un grain d’amour, je ne manque pas d’y mêler tout ce qu’il y a d’encens dans mon magasin. » En toutes choses il exagérait, et sincèrement. […] Peu importe leur source : une grande conception, une noble action peut les soulever aussi bien qu’un élan d’amour ; mais celui-ci n’a pas vécu qui ne les a pas eues.

999. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

Ces grands airs, ces gestes immenses, ces prédilections farouches, cette superstitieuse vision de l’aristocratie, cette peur et cet amour du diable, ce catholicisme qui ne recouvre aucune vertu chrétienne, cette impertinence travaillée, ces colères, ces indignations, cet orgueil, cette façon emphatique et terrible de prendre les choses…, j’ai une peine infinie à y entrer. […] Mais, si peut-être un peu de tremblement se mêle à son ingénue et violente sympathie pour les damnés, c’est avec pleine sécurité et c’est d’un amour sans mélange qu’il aime, qu’il glorifie les grands mondains, les illustres dandys, les viveurs profonds, les insondables dons Juans : Ryno de Marigny, le baron de Brassard, Ravila de Ravilès, et combien d’autres ! […] Mais Jeanne est prise pour lui d’un effroyable amour ; et, comme elle ne peut ni dompter sa passion ni l’assouvir, elle se jette dans une mare. […] La vieille Malgaigne, qui a eu jadis des rapports, avec le diable, prédit à l’abbé Sombreval qu’il finira dans l’étang de Quesnay… Et, en effet, le prêtre athée, après avoir déterré sa fille dont il a causé involontairement la mort, se précipite dans l’étang avec le cadavre… (le Prêtre marié)  Ryno de Marigny épouse par amour l’idéale et filiale Hermengarde de Polastron, avec le consentement de sa vieille maîtresse, l’Espagnole Vellini. « Va !

1000. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Que l’ignorance confonde l’homme de Lettres avec ces hommes livrés à la paresse sous le nom de repos, qui se dérobent à l’agitation générale pour vivre dans le desœuvrement, qui dorment mollement sur des fleurs, en s’abandonnant au cours enchanteur d’une riante imagination ennemie du travail, & amie de la paix, dont la longue carrière peut être considerée comme un doux rêve, & qui tombent dans les bras de la mort, sans avoir daigné graver sur la terre le souvenir de leur existence ; cette injustice ne m’étonnera point, elle sera digne d’elle : mais l’œil qui aura suivi les travaux de l’homme de Lettres jugera différemment, il le verra souvent insensiblement miné par de longues études, périr victime de son amour pour les Arts, tomber en poursuivant avec trop d’ardeur la vérité, comme l’oiseau harmonieux des bois tombe de la branche au milieu de ses chants, ou plutôt comme ces illustres Artistes dont la main intrépide interrogeant dans la région enflammée de l’air le phénomene électrique, couronnent tout à coup leur vie par une mort fatale & glorieuse. […] Nos passions ne sont tyranniques qu’autant que nous les carressons, c’est notre foiblesse qui fait leur amorce, c’est notre complaisance qui les déifie ; l’oisiveté les nourrit, les enflamme, l’amour du travail les enchaîne, les amortit ; la dissipation augmente leur délire, étend leur racines ; la raison affoiblit l’enchantement ; & les beaux rayons de la gloire viennent enfin par leur éclat faire pâlir ces feux mensongers, comme à l’approche d’un jour pur se dissipent les horreurs d’un incendie qui jettoit une lueur affreuse parmi les ténébres. […] Sans l’amour sacré de la liberté & d’une noble vengeance, où auroit-il trouvé le courage d’écrire l’histoire de monstres paîtris de sang & de boue ? […] Titus, Marc-Aurele & Julien furent des Empereurs Philosophes, l’antique vœu de Planton fût rempli, & sous leur régne paisible les hommes sentirent le bonheur d’être gouvernés par des Chefs éclairés, & par conséquent échauffés de l’amour de l’humanité.

1001. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Aussi quand on lui parla de pauvres, il répondit assez vivement : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. » Et s’exaltant, il promit l’immortalité à la femme qui, en ce moment critique, lui donnait un gage d’amour 1050. […] L’amour de son œuvre l’emporta. […] Nul doute, en effet, que l’amour tendre dont le cœur de Jésus était rempli pour la petite église qui l’entourait n’ait débordé à ce moment 1075. […] Un haut sentiment d’amour, de concorde, de charité, de déférence mutuelle animait du reste les souvenirs qu’on croyait garder des dernières heures de Jésus 1084.

1002. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Quelle que soit la page de sa correspondance qu’on interroge, il y est et il y reste imperturbablement le Stendhal du Rouge et Noir, de la Chartreuse de Parme, de l’Amour, de la Peinture en Italie, etc., etc., c’est-à-dire le genre de penseur, d’observateur et d’écrivain que nous connaissons. […] Ainsi que l’atteste la Correspondance, l’imagination de cet amoureux de la Passion et de la Force remontait vers la Féodalité expirante pour y chercher des types, des émotions et des effets, et se détournait avec mépris de cette société à âme de soixante-dix ans dont il avait écrit encore cette autre phrase : « À Paris, quand l’amour se jette par la fenêtre, c’est toujours d’un cinquième étage », pour en marquer la décrépitude ; car la vieillesse, comme l’immoralité, comme l’athéisme, comme les révolutions, descend dans les peuples au lieu d’y monter, et c’est ordinairement par la cime que les sociétés commencent à mourir. […] Au moins Goethe avait été chrétien ; il avait été l’auteur du Faust et de l’Egmont, et, quand le Christianisme a passé par un génie, c’est comme l’amour quand il a passé par un cœur : il en reste toujours quelque chose. […] Dans cette Correspondance, qui commence en 1829 pour finir en 1842, nous trouvons, au milieu de toutes les questions intellectuelles qui y sont agitées, plusieurs lettres où Stendhal parle d’amour pour son propre compte et non plus pour le compte de ses héros de roman.

1003. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Quelle que soit la page de sa correspondance qu’on interroge, il y est et il y reste imperturbablement le Stendhal du Rouge et Noir, de La Chartreuse de Parme, de l’Amour, de la Peinture en Italie, etc., etc., c’est-à-dire le genre de penseur, d’observateur et d’écrivain que nous connaissons. […] Ainsi que l’atteste la Correspondance, l’imagination de cette amoureux de la Passion et de la Force remontait vers la Féodalité expirante, pour y chercher des types, des émotions et des effets, et se détournait avec mépris de cette société, à âme de soixante-dix ans, dont il avait écrit encore cette autre phrase : « A Paris, quand l’amour se jette par la fenêtre, c’est toujours d’un cinquième étage », pour en marquer la décrépitude ; car la vieillesse, comme l’Immoralité, comme l’Athéisme, comme les Révolutions, descend dans les peuples au lieu d’y monter, et c’est ordinairement par la cime que les sociétés commencent de mourir. […] Au moins, Gœthe avait été chrétien ; il avait été l’auteur du Faust et du D’Egmont, et, quand le christianisme a passé par un génie, c’est comme l’amour quand il a à passer par un cœur : il en reste toujours quelque chose. […] Dans cette Correspondance, qui commence en 1829 pour finir en 1842, nous trouvons, au milieu de toutes les questions intellectuelles qui y sont agitées, plusieurs lettres où Stendhal parle d’amour pour son propre compte, et non plus pour le compte de ses héros de roman.

1004. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

génies gauches, malencontreux, amers ; poètes sans nom ; amants sans amour ou défigurés ; toi, Rabbe, qu’une ode sublime, faite pour te consoler, irrita ; toi, Sautelet, qui méditais depuis si longtemps de mourir ; et ceux qui vivent encore, et dont je veux citer quelques-uns ! […] Voyons, poëte, si tu comprends encore la douleur ; voyons, jeune homme, si tu crois encore à l’amour. » Eh quoi ! […] Tous vivent aujourd’hui, excepté Sautelet, qui est mort de sa main ; bien peu se souviennent encore de ces années, ou du moins s’y reportent avec regret et amour, excepté Lydia, qui est demeurée, me dit-on, fidèle aux pensées de cette époque, et les a gardées présentes et vives dans son cœur.

1005. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre IV. La comédie »

Mais ce n’est pas pour mettre à l’aise le matérialisme bourgeois qui fait passer l’intérêt et l’argent avant tout : contre ce qu’on pourrait appeler le scribisme, contre l’immoralité décente des classes moyennes, il maintient la nécessité de fonder le mariage sur l’amour. […] La contradiction des deux œuvres n’est qu’apparente ; si l’auteur semble changer de principe, c’est que les espèces ne sont pas les mêmes : l’amour absent dans un cas, présent dans l’autre, détermine la sévérité ou l’indulgence de l’auteur. […] Il s’est donné pour tâche de reconstituer la famille, sur l’égalité, la justice, et l’amour.

1006. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Le cœur, comme endormi dans un bain, s’affadit, On ne se souvient plus de tout ce qu’Elle a dit, Et l’oubli sur l’amour met lentement ses mousses. […] Ma rame bat avec langueur Sur la mesure de ton cœur ; Puis, las d’amour, j’aurai la joie, Avec un simple tour de reins, De faire voir aux riverains Comme une maîtresse se noie ! […] Le retour à plus de simplicité (après une recrudescence du goût primordial dans certaines pièces de Jadis et Naguères) s’accuse fortement dans Amour, où se révèle une langue davantage émondée.

1007. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Soubrettes et bonnes à tout faire Étymologiquement, la soubrette — sobretarde — c’est la servante entremetteuse qui, sur le tard, à la brune, va porter les lettres d’amour. […] Le livre débute par l’histoire d’un amour brutal, sorte de mélo psychologique. […] Ça s’appelle Joujou et c’est un démarquage d’un bien médiocre roman, L’amour infirme de Hugues Le Roux.

1008. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

I Je voudrais bien savoir quel est l’éditeur de cette Correspondance, qui ne demandait pas à paraître, et qui pouvait rester tranquille et morte de sa mort naturelle dans l’éternité… Si c’est le fils de Madame Sand, je n’ai rien à dire, si ce n’est que l’amour filial a un bandeau comme l’autre amour ; mais si c’est M.  […] On avait cru jusqu’ici à quelque grande passion, dans l’éloquence de son égarement, dans l’espèce de beauté que l’amour, quand il est absolu, donne parfois à des sentiments coupables ; il ne fut rien de cela, ou du moins elle n’en dit pas un seul mot.

1009. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Écho mourut, je crois, d’amour pour Narcisse. […] Par le fond, c’est toujours la même ivresse égoïste ou matérielle de l’École Romantique, une poésie d’orgueil ou d’amour sensuel, la même immoralité naïve ou plutôt la même insouciance de toute moralité, et par la forme, c’est toujours la même fureur descriptive qui décrit tout. […] C’est ainsi, par exemple, que la pièce intitulée Chanson d’Amour appartient à l’inspiration de M. 

1010. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

L’Amour médecin. […] Sganarelle était le portrait du perruquier L’Amour. […] Molière ne pouvait y faire allusion, comme on l’a supposé, aux amours de Lauzun et de Mademoiselle. […] Mais cette beauté orgueilleuse et froide accueillit mal la déclaration de son amour. […] Il consentit avec peine à différer la vengeance de son amour.

1011. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Mais quel dangereux amour ! […] Tous les plaisirs de ses sens l’intéressent, la nouveauté des spectacles, le luxe, l’amour et la gloire aussi. […] Donnons-lui sa vraie grandeur : il est le Poëte de l’Amour dans la Peur, de l’Amour dans la Folie et de l’Amour dans la Mort. […] Ce n’est plus d’un chagrin d’amour qu’ils se lamentent. […] M. d’Aurevilly est bien dur pour cet amour qui s’ignore.

1012. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

… Ô égoïsme de l’unique amour ! […] L’amour ! toujours l’amour ! tant d’amour les excède ! […] Spronck, se sont faits les chanteurs de la nature ou de l’humanité, de la beauté plastique ou de la beauté morale, de l’amour terrestre ou de l’amour divin.

1013. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. de Latena : Étude de l’homme »

Après madame de Lambert, après Droz et Meister, il a là-dessus des paroles d’une douce justesse : « Entre un homme et une femme dont le cœur n’est plus accessible à l’amour, l’amitié prend une nuance particulière où viennent se fondre les différences essentielles de leurs organisations. Une union de cette sorte offre une partie des charmes de l’amour, sans en avoir les agitations ni les incertitudes.

1014. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hervilly, Ernest d’ (1839-1911) »

Tout en fréquentant les sombres bureaux de rédaction et en vivant de la vie enfumée, poussiéreuse et énervante de Paris, il laissait son imagination s’envoler vers les pays lointains : amour boréal, amour africain, idylles chinoises et coloniales, tout le captivait, et son Harem n’est autre chose qu’un Tour du Monde en vingt-cinq parties.

1015. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — Q — Quillard, Pierre (1864-1912) »

Lisez ses belles élégies héroïques : le Dieu mort, Ruines, les Vaines Images, qui sont Psyché, Hymnis et Chrysarion, le Jardin de Cassiopée, la Chambre d’amour, et goutez-en la beauté amère et sereine, l’âcre et doux parfum, la cadence sonore. Elles disent l’Amour, la Mort et le Temps, elles exhalent une mélancolie stoïque et païenne ; elles sentent la rose et le cyprès ; il y rôde une odeur de Bois sacré.

1016. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 47, quels vers sont les plus propres à être mis en musique » pp. 479-483

Mon coeur auroit encore sa premiere innocence s’il n’avoit jamais eu d’amour. […] Il n’y entre qu’une image des plus simples, celle de l’amour qui décoche ses traits sur Medée.

1017. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Il a analysé l’amour, l’amitié, les sentiments esthétiques. […] Et ainsi l’on ne peut promettre que les apparences extérieures de l’amour. […] Ni à ce moment ni jamais l’amour, en particulier, ne joua le moindre rôle dans sa vie. […] Mais depuis de longues années déjà elle a senti, et traduit dans ses vers, la tragique puissance de l’amour. […] Mais leurs rêves ne se tournent point du côté de l’amour.

1018. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Léon Daudet nous fait passer par toutes les phases de ces odieuses amours, amours de fous décrites avec un rare talent quoique, disons-le aussi, poussées parfois jusqu’à l’outrance. […] Marie Mancini est touchée de ce dévouement, de cet amour discret. […] Celui-ci qualifie très justement les amours de Rousseau « d’amours de tête et de sens » et conclut en constatant que si Rousseau n’est pas aimé, c’est qu’il n’a pas vraiment aimé. […] C’est l’aventure d’un académicien, jeune encore, assez pour n’avoir pas oublié ce qu’est l’amour. […] On y verra aussi se développer un véritable roman d’amour qui n’est qu’un récit fait de stricte vérité.

1019. (1886) Le roman russe pp. -351

L’autocrate puise sa sagesse en lui-même et dans l’amour de son peuple, conclut le mémoire. […] Amour, instincts, tout ce qu’il y avait de tendre et de passionné dans la femme s’était concentré dans le sentiment maternel. […] Il chasse les autres projets de travail comme l’amour chasse les amitiés. […] L’homme s’enflammera pour l’humanité d’un amour plus ardent que le monde n’en vit jamais. […] C’est un souvenir de la vie d’étudiant en Allemagne, un timide amour qui s’est à peine avoué à lui-même.

1020. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIII » pp. 332-336

Voici un passage du chant second ; le poëte, qui vient de décrire la défense d’un troupeau de bœufs contre un loup, s’écrie tout d’un coup, exprimant cet amour un peu sauvage et forcené pour sa Bretagne qui fait l’inspiration de son poëme : O landes ! ô forêts, pierres sombres et hautes, Bois qui couvrez nos champs, mers qui battez nos côtes, Villages où les morts errent avec les vents, Bretagne, d’où te vient l’amour de tes enfants ?

1021. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Guizot, mais une résurrection ; il a voulu y apporter la vie, l’étincelle directe, l’amour ; tentative hardie, bien scabreuse, car enfin l’historien n’est pas un dieu ni un thaumaturge pour ressusciter par sa vertu les morts. […] Eudore Soulié, « qu’il porte la trace des basses sensualités du temps » ; que « ces joues, ces lippes épaissies n’expriment que trop bien un pesant amour de la chair ?

1022. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Deroulède, Paul (1846-1914) »

. — Histoire d’amour, roman (1890). — Messire Duguesclin, pièce en trois actes et en vers (1895). — Poésies militaires (1896). — La Mort de Hoche, drame en prose en quatre actes (1898). — La Plus Belle Fille du monde, conte dialogué en vers libres (1898). […] Dans cette casemate, au milieu de ce paysage de la Turbie, où Banville lui-même chanta jadis son amour du laurier, parmi ces braves gens qui fumaient, dormaient ou jouaient aux cartes autour de moi, et que j’avais lentement appris à connaître depuis trois ou quatre mois, les mots, même les plus simples, avaient pris un nouveau sens, plus vivant, plus humain, s’étaient gonflés pour moi d’une sève nouvelle, d’une substance plus française, plus noble et plus populaire à la fois.

1023. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

Le roi croyait que la duchesse avait fabriqué une lettre fausse au nom du roi d’Espagne, pour informer la reine de France, sa fille, des amours du roi avec madame de La Vallière. […] Bussy-Rabutin, Amours des Gaules, t. 

1024. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre premier. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu. »

Donc, pour nous, la racine du mal est la vanité, et la racine du bien la charité, de sorte que les passions vicieuses sont toujours un composé d’orgueil, et les passions vertueuses un composé d’amour. […] Pour que deux hommes soient parfaits amis, ils doivent s’attirer et se repousser sans cesse, par quelque endroit ; il faut qu’ils aient des génies d’une même force, mais d’une différente espèce ; des opinions opposées, des principes semblables ; des haines et des amours diverses, mais au fond la même sensibilité ; des humeurs tranchantes, et pourtant des goûts pareils ; en un mot, de grands contrastes de caractère et de grandes harmonies du cœur.

1025. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VII. Des Saints. »

« Ces héros pleins de bonté et de lumière pensent toujours à leur Créateur, et sont tout éclatants de la lumière qui rejaillit de la félicité dont ils jouissent en lui. » — Et plus loin, « héros vient d’un mot grec qui signifie amour, pour marquer que, pleins d’amour pour Dieu, les héros ne cherchent qu’à nous aider à passer de cette vie terrestre à une vie divine et à devenir citoyens du ciel69. » Les Pères de l’Église appellent à leur tour les saints des héros : c’est ainsi qu’ils disent que le baptême est le sacerdoce des laïques, et qu’il fait de tous les chrétiens des rois et des prêtres de Dieu 70.

1026. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Hallé  » pp. 127-130

Quand un artiste introduit dans une composition un saint embrasé de l’amour de Dieu et prêchant sa loi à des peuples et qu’il lui met un bonnet carré à la main, comme à un homme qui entre dans une compagnie et qui la salue poliment, je lui dirais volontiers, Vous vous mêlez d’un métier de génie et vous n’êtes qu’un butor. […] Ne sentez-vous pas que si le sermon est des jugements de Dieu, votre orateur aura l’air sombre et recueilli, et que votre auditoire prendra le même caractère ; que si le sermon est de l’amour de Dieu, votre orateur aura les yeux tournés vers le ciel, et qu’il sera dans une extase que les peuples qui l’écoutent partageront ; que s’il prêche la commisération pour les pauvres, il aura le regard attendri et touché, et qu’il en sera de même de ses auditeurs.

1027. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

J’ai vu l’amour s’éteindre et l’amitié tarir, Les vierges se voilaient et craignaient de mourir. […] Thomas Moore, Irlandais d’un grand talent aussi, venait de publier les Amours des anges et Lalla Rookh, poèmes indiens. […] Je suis l’amour, dit-il, le complément des êtres ; il décrit merveilleusement les délices qu’il leur donne. […] Elle passe au parti de l’ange de l’amour, son amant. […] Voilà un amour sans trouble et sans peur.

1028. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

L’amour de la patrie, le dévouement à la liberté, ont produit des actes héroïques dans toutes les races et dans tous les siècles ; qui en doute et qui ne s’en émeut ? […] La foi, l’amour, la poésie n’ont été pour lui que des matières d’amplifications brillantes. […] Il lui a manqué l’amour et le respect religieux de l’Art. […] Haine de la tyrannie, amour de la liberté, goût de la lutte, ambition de la victoire ou du martyre, tout s’y donne rendez-vous et s’y rencontre. […] C’est là que le poète a renfermé les meilleurs vers qu’il ait dus à son amour sincère et désintéressé du Beau.

1029. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

« Toutes les variétés de l’amour, dit à ce propos M. Émile Montégut, avec quelle vigueur et quelle souplesse à la fois n’a-t-il pas su les saisir et les peindre, imitant avec une adresse souvent incomparable le tour propre à chacune d’elles, subtil avec l’amour de Sylvandre, noblement platonicien avec l’amour de Tircis, orageux et violent avec l’amour de Darnon et de Madonthe, véhément et énergique avec l’amour de Chryséide et d’Arimant, brutalement sensuel et presque bestial avec l’amour de Valentinian et d’Eudoxie, gai et spirituellement cynique avec les amours volages et inconstants d’Hylas. » Ajouterai-je qu’à cet égard d’Urfé est en avance non seulement sur ses contemporains, mais encore et déjà sur la plupart de ceux qui le suivront ? Racine seul, au xviie  siècle, saura peindre et représenter comme d’Urfé les passions de l’amour. […] Car, ne pourrait-on pas dire aussi que l’amour est « la seule passion qui défraye le théâtre français » ? […] On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour : cela serait ridicule. » — Là, dans cette distinction, est le principe de la philosophie de Pascal.

1030. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

S’il en est de plus fortes, de plus puissantes d’essor, de plus orgueilleusement douées, sentant ainsi cette vie d’amour éteinte, elles doivent frémir de colère, se frapper, souvent la poitrine, redemander la flamme perdue à tous les êtres, et, dans leurs moments égarés, en vouloir aux hommes et à Dieu, à la société, à la création elle-même. […] Le regard se promène avec dédain ou sérénité sur le monde, l’intelligence des choses n’a jamais été si limpide ; mais où est la vie, où est l’amour ? […] Les jours où je me sentais agitée au point de ne pouvoir plus reconnaître la ligne de démarcation imaginaire tracée autour de ma prison, je l’établissais par des signes visibles ; j’arrachais aux murailles décrépites les longs rameaux de lierre et de clématite dont elles étaient rongées, et je les couchais sur le sol aux endroits que je m’étais interdit de franchir : alors, rassurée sur la crainte de manquer à mon serment, je me sentais enfermée dans mon enceinte avec autant de rigueur que je l’aurais été dans une bastille. » J’indiquerai encore dans le début toute cette promenade poétique du jeune Sténio sur la montagne, la description si animée de l’eau et de ses aspects changeants, et, au sein de la nature vivement peinte, les secrets surpris au cœur : « Couché sur l’herbe fraîche et luisante qui croît aux marges des courants, le poëte oubliait, à contempler la lune et à écouter l’eau, les heures qu’il aurait pu passer avec Lélia : car à cet âge tout est bonheur dans l’amour, même l’absence. » On pourrait, chemin faisant, noter dans Léliaune foule de ces douces et fines révélations, dont l’effet disparaît trop dans l’orage de l’ensemble. 

1031. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dumas, Alexandre (1802-1870) »

. — La Chasse et l’Amour, vaudeville (1825). — Dithyrambe en l’honneur de Canaris (1826). — Nouvelles contemporaines (1826). — La Noce et l’Enterrement, vaudeville (1826). — Henri III et sa cour, drame en cinq actes, en prose (1829). — Stockholm, Fontainebleau et Rome, trilogie en cinq actes, en vers, avec prologue et épilogue, intitulée d’abord Christine (1830). — Antony (1831). — Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France (1831). — Charles VII chez ses grands vassaux, tragédie en cinq actes et en vers (1831). — Richard Darlington, pièce en trois actes et en prose (1831). — Térésa, drame en cinq actes (1832). — La Tour de Nesle, pièce en cinq actes et 9 tableaux (1832). — Angèle, drame en cinq actes (1833). — Impressions de voyage en Suisse (1833). — Catherine Howard, drame en cinq actes (1834). — Souvenirs d’Antony, nouvelles (1835). — Don Juan de Marana ou La Chute d’un ange, drame en cinq actes (1836). — Kean, drame en cinq actes et en prose (1836). — Piquillo, opéra-comique en trois actes, en collaboration avec Gérard de Nerval (1837). — Caligula, tragédie en cinq actes et en vers (1837). — Paul Jones, drame en cinq actes (1838). — Mademoiselle de Belle-Isle, drame en cinq actes et en prose (1839). — L’Alchimiste, drame en cinq actes, en vers (1839). — Bathilde, pièce en trois actes, en prose (1839). — Quinze jours au Sinaï (1839). — À clé, suivi de Monseigneur Gaston de Phébus (1839). — Une année à Florence (1840) […] Jules Lemaître Il y a deux choses dans Charles VII : un drame d’amour qui semble directement inspiré d’Andromaque, quoique, peut-être, l’auteur n’y ait point songé, et un morceau d’histoire de France accommodé à la Dumas. Le père de d’Artagnan a une philosophie de l’histoire éminemment agréable et facile, où tout s’explique par l’amour, par la vaillance ou la subtilité des aventuriers généreux aimés des femmes et par l’influence des grandes dames scélérates ou des courtisanes sympathiques.

1032. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

L’homme, en effet, qui entre autres choses du présent volume, a écrit la grande et simple et superbe étude sur Chateaubriand, dans laquelle je rencontre des passages aussi surprenants par la gravité forte que par la profondeur de la mélancolie n’est plus, et de nature première ne saurait être uniquement ce poète léger du Plaisir et de l’Amour qui commença par les sensualités du cœur pour finir par les sensualités de l’estomac. […] Or bien, voilà que tout à coup le poète, qui n’est plus celui de l’Amour et du Plaisir, mais de la douleur, venue enfin, comme elle vient toujours, par la vie, s’est mêlé, en ce livre de Portraits, au critique de la réflexion, et tout cela dans une si heureuse mesure qu’on se demande maintenant si le Monselet du pâté de foie gras n’était pas un mythe… ou un mystificateur, qui nous jouait, avec sa gastronomie, une comédie littéraire, et qui avait mis, pour qu’on ne le fît pas trop souffrir, son cœur derrière son ventre, mais non dedans ! […] Il parle de Chateaubriand avec un accent presque émané de Chateaubriand lui-même, avec une mélancolie prise à la source de la sienne et qui n’a rien de la mièvrerie des tristesses de crème fouettée que je trouve dans les élégies de son recueil du Plaisir et de l’Amour, ni de celle-là, moins noble encore, qui pourrait venir de l’estomac de ce dîneur, abîmé (comme il dit) de champagne ; et ce sentiment, si étrange ici sous cette plume légère qui n’a jamais aspiré qu’à la gloire d’être de bonne humeur : Entre les noms dont se contente, Avec grand’peine, maint rimeur, Il n’en est qu’un seul qui me tente : Poète de la bonne humeur !

1033. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Il y témoigne au catholicisme la vénération historique, qui n’est pas encore, il est vrai, celle de la foi et de l’amour, mais qui peut y conduire. […] Demogeot a la reconnaissance des services rendus et l’amour des maîtres. […] Car, s’il est un délicieux enfant comme l’Amour, c’est un enfant que le Caprice, et il vient toujours un moment où il faut emporter les enfants pour que l’on s’entende.

1034. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

C’est un chrétien que Pellico, sans rien plus que le bon sens, le sens apaisé du chrétien en face de la vie, Sans le Christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes. […] La voix d’amour et de résignation était accompagnée de celle de toutes les haines et de toutes les révoltes. […] Dans les Prisons, Silvio Pellico n’accuse personne, mais il ne s’accuse pas lui-même, tandis que dans ces Lettres, écrites presque toutes après la délivrance, quand il pouvait rester, sans jamais en descendre, sur le piédestal où l’amour des partis et la pitié du monde l’avaient placé, c’est lui, lui surtout qu’il accuse et qu’il accuse seul.

1035. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Sans le christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes ! […] La voix d’amour et de résignation était accompagnée de celle de toutes les haines et de toutes les révoltes. […] Dans Les Prisons, Silvio Pellico n’accuse personne, mais il ne s’accuse pas lui-même, tandis que dans ces Lettres, écrites presque toutes après la délivrance, quand il pouvait rester, sans jamais en descendre, sur le piédestal où l’amour des partis et la pitié du monde l’avaient placé, c’est lui, lui surtout qu’il accuse et qu’il accuse seul.

1036. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Gérard, lui (grâce à ses compagnons cette histoire est devenue légendaire), acheta un jour aussi un lit superbe, historique, digne d’une reine, pour y coucher, disait-il, ses amours. […] Fou comme le Tasse, sans que l’amour y fût pour rien et sans avoir créé Armide et Clorinde, la folie de Gérard ne fut pas une force égarée. […] Que Gérard de Nerval ait été un aimable garçon ; qu’il ait offert à ses contemporains le phénomène que nous offre Monselet en ce moment de n’avoir pas eu un ennemi, — ce qui put lui être agréable pendant sa vie, et ce qui lui est, comme vous le voyez, utile encore après sa mort ; qu’il ait été bambin avec des célèbres et qu’il ait joué aux petits jeux de l’amour et de la poésie avec des gens qui ont fait là-dessus leurs Poésies de jeunesse et qui vont faire maintenant là-dessus leurs Poésies de vieillesse, — car les choses sont plus belles quand on se retourne, et les lointains, à mesure qu’ils s’éloignent, se veloutent d’un si joli bleu !

1037. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

C’est, en effet, une épopée, mais une épopée bucolique, dont l’amour d’une jeune fille est le sujet, et la mort de cette jeune fille le dénoûment. […] On pourrait très bien supposer que le poète fruste, salin et amer, découvert aujourd’hui comme une perle dont on ne m’a pas assez montré l’huître, fût, par hasard, quelque lettré moderne qui, blasé des corruptions et des hauts goûts de nos décadences, aurait reculé, par impatience de sensation nouvelle, jusqu’aux formes délaissées de la Bible et d’Homère, et eût fait de l’archaïsme en provençal, avec une habileté plus ou moins scélérate… Seulement, quoiqu’il en pût être, imitateur ou spontané, l’homme quelconque qui a enlevé ces douze chants sur un sujet qui serait vulgaire, si ce n’était pas la rabâcherie immortelle de l’amour, et donné à Daphnis et Chloé des proportions d’Iliade, est en définitive un poète que l’on peut mettre, ici ou là ! […] Frédéric Mistral a tiré sa colossale idylle est l’amour de la fille d’une fermière pour un pauvre vannier, à qui ses parents la refusent en mariage.

1038. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Parfois il parle et dit : Je suis belle et j’ordonne Que pour l’amour de moi vous n’aimiez que le beau. […] L’homme a dans ses rêves des refuges splendides, dans son amour des joies inépuisables. Le rêve et l’amour sont à tous ! Quelques-uns parlent mieux que d’autres d’amour et de rêve, — musiciens, peintres, poètes : — vous donc, l’humanité immense, écoutez-les ! […] Car, nul n’a mieux que moi mérité votre amour.

1039. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Enfin, mal guéri peut-être encore de ma passion pour Mme d’Houdetot, je sentis que plus rien ne la pouvait remplacer dans mon cœur, et je fis mes adieux à l’amour pour le reste de ma vie… « Mme de Boufflers, s’étant aperçue de l’émotion quelle m’avait donnée, put s’apercevoir aussi que j’en avais triomphé. […] Si cela est, et qu’elle ne m’ait pas pardonné cette curiosité frustrée, il faut avouer que j’étais bien né pour être victime de mes faiblesses, puisque, si l’amour vainqueur me fut si funeste, l’amour vaincu me le fut encore plus. » Et là-dessus, sa tête travaillant, il va attribuer à Mme de Boufflers, déçue dans son désir, un mauvais vouloir persistant qui aboutira en projet formel de le livrer à ses ennemis. […] L’amitié qu’ils se portent les engage à ne rien laisser voir de leur passion à celle qui en est l’objet : elle aime l’un des deux ; elle lui déclare son amour ; il n’a pas la force de lui cacher ses sentiments, mais il court en avertir son rival. […] Peu après avoir fait lire sa pièce au président Hénault, Mme de Boufflers reçut au jour de l’an, pour étrennes mystérieuses, un cachet gravé représentant « l’Amitié tenant l’Amour enchaîné. » C’était une galanterie du président.

1040. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Même avant cette fin de la passion d’amitié, on la voit subir un échec, une variation assez sensible à mi-chemin environ, et sitôt qu’un premier sentiment d’amour s’est venu loger dans le cœur qui d’abord n’avait pas de partage. […] Mais, avant d’être coulé près d’elle, il avait su s’en faire aimer, et rien ne prouverait mieux au besoin qu’il n’y a dans l’amour que ce qu’on y met, et que l’objet de la flamme n’y est presque en réalité pour rien. […] Ce sentiment pour La Blancherie, s’il ne mérite pas absolument le nom d’amour et s’il ne remplit pas tout à fait l’idée qu’on se pourrait faire d’une première passion en une telle âme, passait pourtant les bornes du simple intérêt ; il est tout naturel que Mme Roland dans ses Mémoires, jugeant de loin et en raccourci, l’ait un peu diminué : ici nous le voyons se dérouler avec plus d’espace. […] On raconte que l’amour et le dévouement ont fait porter ce déguisement à quelques femmes… Ah ! […] Dans toute cette partie finale et déjà bien grave de la Correspondance, au milieu des vicissitudes domestiques et des malheurs qui assiégent l’existence de celle qui n’est déjà plus une jeune fille, il ressort pourtant une qualité qu’on ne saurait assez louer ; un je ne sais quoi de sain, de probe et de vaillant, émane de ces pages ; agir, avant tout, agir : « Il est très-vrai, aime-t-elle à le répéter, que le principe du bien réside uniquement dans cette activité précieuse qui nous arrache au néant et nous rend propres à tout. » De cet amour du travail qu’elle pratique, découlent pour elle estime, vertu, bonheur, toutes choses dans lesquelles elle a su vivre, et qui ne lui ont pas fait faute même à l’heure de mourir.

1041. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

« Est-ce votre amour que vous regrettez ? […] Sans prétendre sonder, à mon tour, le secret de cette destinée de poëte et mettre la main sur la clef fuyante de son cœur, il me semble, à voir jusqu’à la fin sa solitaire imagination se dévorer comme une lampe nocturne et la flamme sans aliment s’égarer chaque soir aux lieux déserts,  — il me semble presque certain que cette jeune Fille idéale, cet Ange de poésie, celle que M. de Chateaubriand a baptisée la Sylphide, fut réellement le seul être à qui appartint jamais tout son amour ; et comme il l’a dit dans d’autres stances du même temps : C’est l’Ange envolé que je pleure, Qui m’éveillait en me baisant, Dans des songes éclos à l’heure De l’étoile et du ver-luisant. […] Ce n’est point ici qu’on respire la mousse des chênes et les bourgeons du peuplier, ce n’est point ici que les brises et les eaux murmurent d’amour ensemble. […] Toutes les pensées, toutes les passions qui agitent le cœur mortel sont les esclaves de l’amour. […] s’il y a eu dans mon roman d’amour quelqu’un de trompeur, ce n’est pas moi, quelqu’un de trompé, ce n’est pas vous !

1042. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Non, ces mains ne pouvaient bénir ; Maudites, certes, étaient-elles ; Puisque j’ai désiré mourir D’avoir vu leurs pâleurs mortelles ; Puisque le vin de mes amours, Amertumeux et plein de larmes, Endolorit le pain des jours, Depuis leur signe aux fatals charmes. […] Malades et les yeux mi-clos Parmi les feuilles effeuillées, Les chiens jaunes de mes péchés Les hyènes louches de mes haines, Et sur l’ennui pâle des plaines Les lions de l’amour couchés ! […] Pourtant on ne peut nier la puissance de vers tels que ceux-ci : Crois, vie ou mort, que t’importe, En l’éblouissement d’amour ? […] Chante de ta voix qui porte Le message de tout amour Car tu diras le chant des fastes Si tu dis ton intime émoi : Il n’est pas de fatals désastres, Toute la défaite est en toi. Parfois une soudaine image suggère et symbolise après une strophe aux paroles immédiates : Fleuves d’amours imperturbés, Où j’ai lavé le carnage de vivre, Ciel de clarté dont la splendeur délivre, Mers de douceur aux lointains courbés Vers des pays dont le nom vague enivre.

1043. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Beaucoup d’âme, beaucoup d’entrailles, une constante étude, un amour passionné pour son art, tout contribua à composer en elle cet idéal de grande tragédienne qui, jusque-là, ne paraît pas avoir été réalisé à ce degré. […] Mais la grande passion de Mlle Le Couvreur, celle qui mit fin aux hasards de sa première vie, ce fut son amour pour le comte de Saxe, lequel vint pour la première fois en France en 1720, et s’y fixa en 1722, sauf les fréquentes excursions et les aventures. […] Enfin, madame, vous me verrez plutôt me retirer du monde ou l’aimer d’amour, que de souffrir qu’il soit à l’avenir tourmenté pour moi et par moi… M. d’Argental n’eut point connaissance de cette lettre dans le temps où elle fut écrite. […] qu’on me montre beaucoup d’amour et beaucoup d’esprit. » Ce qu’il disait là tout crûment comme un franc original qu’il était, bien d’autres se croyaient en droit de le penser, s’ils avaient la politesse de ne pas le dire. […] Exact en amitié, scrupuleux en amour : l’honnête homme n’est négligé nulle part.

1044. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

En un mot, et avant son mariage (un mariage d’amour qu’il fit à trente ans), et encore après, Diderot continua trop de mener cette vie de hasard, d’occasion, d’expédients, de labeur et d’improvisation continuelle. […] Vien, par exemple, qui a fait une Psyché tenant sa lampe à la main, et venant surprendre l’Amour endormi : Oh ! […] La tête de Psyché devrait être penchée vers l’Amour, le reste de son corps porté en arrière, comme il est lorsqu’on s’avance vers un lieu où l’on craint d’entrer, et dont on est prêt à s’enfuir ; un pied posé, et l’autre effleurant la terre. Et cette lampe, en doit-elle laisser tomber la lumière sur les yeux de l’Amour ? […] Et, en général, toutes les facultés d’improvisation, d’imagination pittoresque et prompte, dont il était doué ; tous ses trésors d’idées profondes, ingénieuses et hardies ; l’amour de la nature, du paysage et de la famille ; même sa sensualité, son goût décidé de toucher et de décrire les formes, le sentiment de la couleur, le sentiment de la chair, de la vie et du sang, « qui fait le désespoir des coloristes », et que, lui, il rencontrait au courant de la plume, toutes ces qualités précieuses de Diderot trouvent leur emploi dans ces feuilles volantes qui sont encore son titre le plus sûr auprès de la postérité.

1045. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Si, par exemple, il accordait tant à la constitution municipale des vieilles cités, s’il croyait à la perpétuité de cette constitution depuis les Romains et à travers les diverses conquêtes, s’il en faisait le pivot de sa théorie politique, c’est que cela s’était passé ainsi à Brignoles et aux environs, dans la Provence ; il transportait involontairement au reste de la France cette forme permanente et latente de constitution dont la tradition locale avait tout d’abord frappé son esprit, l’avait imbu et comme affecté d’un premier amour. […] Raynouard se sentait pour les lettres un de ces amours de patriarche, de ces amours vivaces et robustes, et qui résistent au temps : il alla donc plaider et donner des consultations pendant sept ans à Draguignan ; puis, après une interruption forcée, il y retournera cinq ou six autres années encore. […] Sa pièce, en trois actes, sans amour, sans rôle de femme, n’est qu’une déclamation assez ferme, sentencieuse. […] Toutes les faiblesses, toutes les contradictions sont malheureusement dans le cœur des hommes et peuvent offrir des couleurs éminemment tragiques… Puis il critique le jeune Marigni, amoureux sans qu’on connaisse l’objet de son amour et qu’on puisse s’y intéresser, voulant toujours mourir, et un hors-d’œuvre tout à fait inutile à l’action.

1046. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Hugo, et le mot a toujours servi, de là l’impossibilité d’exprimer l’émotion. » Eh bien non, et c’est là ce qu’il y a de désolant pour le poète, l’émotion la plus personnelle n’est pas si neuve ; au moins a-t-elle un fond éternel ; notre cœur même a déjà servi à la nature, comme son soleil, ses arbres, ses eaux et ses parfums ; les amours de nos vierges ont trois cent mille ans, et la plus grande jeunesse que nous puissions espérer pour nous ou pour nos fils est semblable à celle du matin, à celle de la joyeuse aurore, dont le sourire est encadré dans le cercle sombre de la nuit : nuit et mort, ce sont les deux ressources de la nature pour se rajeunir à jamais. […] Disons plus, l’amour de la science et le sentiment philosophique peuvent, en s’introduisant dans l’art, le transformer sans cesse, car nous ne voyons jamais du même œil et nous ne sentons jamais du même cœur lorsque notre intelligence est plus ouverte, notre science agrandie, et que nous voyons plus d’univers dans le moindre être individuel. […] Mais à ce sentiment se mêle ici quelque chose de nouveau, l’amour sincère de la science, la curiosité de l’intelligence abstraite et non pas seulement des yeux en quête de paysages. […] Mon amour est plus vivant et vrai plus que moi-même. […] L’amour apporte la beauté avec lui.

1047. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

De ce que, justes envers le passé, quand ils n’en sont pas enthousiastes, mais l’étudiant avec trop de persévérance et d’efforts pour ne pas finir par l’aimer, — car il est de la nature de l’homme de mettre son amour où il a mis sa peine, — des écrivains se prennent d’une haute bienveillance ou d’un sentiment plus respectueux encore pour quelques grands caractères de l’Église romaine, est-ce une raison suffisante pour déclarer que les écrivains en question ne trouvent d’absolument vrai que les idées au nom desquelles ces grands caractères ont agi ? […] C’est presque aujourd’hui de l’amour ; demain, ce sera de la foi. […] En effet, l’Église catholique a tant agi sur la pensée des hommes qu’elle l’a passionnée à outrance dans les deux sens où se passionne la pensée : l’amour et la haine ; si bien que presque tous les livres qui ont traité de l’Église politiquement ont faussé les choses au profit de ces sentiments opposés. Mais, il faut en convenir, la haine, en ceci, a été plus aveugle que l’amour. […] Nous nous résumerons donc par ce que nous ayons dit en commençant : l’amour de l’ordre a entraîné Hurter à naïvement admirer une société plus organisée que la société européenne de nos jours, qui n’est pas, elle, encore constituée, qui le sera peut-être, mais à d’autres conditions que le Moyen Âge, Dieu merci !

1048. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Cet Hamlet de la poésie douloureuse du xixe  siècle a eu le cœur d’abandonner sa pâle Ophélie, qui n’était malade et un peu folle que d’amour, pour une folle complète, la Philosophie athée des universités allemandes, pour l’affreux squelette vide de la logique d’Hegel le Fossoyeur ! […] Ce n’est pas même l’amour de la mort ; car la mort peut tenter un poète, la mort est quelque chose encore de la vie : elle en est l’image silencieuse, immobile et glacée, et un grand poète peut vouloir être le Pygmalion de cette Galathée funèbre. […] C’est par amour de la boutade et de la polémique que Heine, le plus naturellement romantique des poètes allemands, se moque perpétuellement de la poésie romantique. […] Goethe, comme Hegel, ces deux idoles de l’Allemagne, ont pâli tous deux dans l’imagination et dans l’amour de Heine à mesure que son imagination s’est passionnée, à mesure qu’elle a plongé davantage dans les réalités et les intensités de la vie. […] … Mais du moins ce fut là une douleur de poète, — et du poète qui avait chanté l’amour avec la poignante ironie des âmes oubliées ou trahies !

1049. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Je lui fais tort si je ne vous dis pas son amour de son foyer, sa vigoureuse curiosité intellectuelle qui s’exerce de la manière la plus originale au cours même de la guerre, sa pleine satisfaction dans cette discipline militaire où il satisfait ce qu’il appelle sa « nostalgie de la cathédrale absente », enfin sa volonté indomptable et bien réfléchie d’aller « jusqu’au bout ». […] Voilà des Israélites nouvellement venus parmi nous et chez qui la part irraisonnée, quasi animale qu’il y a dans notre amour de la patrie (comme dans notre attachement à notre mère), n’existe pas. […] La vie me paraît simple, simple, et toujours si admirable que je ne comprends pas qu’on ne s’y prête pas avec reconnaissance…‌ Un des jeunes amis à qui il adresse ces belles lettres cherche à le classer et lui dit ; « Tu es fataliste. » Roger Cahen proteste avec vivacité : « Ni fataliste, ni déterministe ; j’accepte seulement avec amour tous les événements qui sont créateurs de sentiments nouveaux, de forces nouvelles ; je suis celui qui espère toujours, je suis persuadé que le Messie est à venir. »‌ Un autre jour, il écrira : « Je suis d’une âme très pieuse, mais ma piété est celle de Jean Christophe : “Sois pieux envers le jour qui se relève.” […] J’aurais voulu que vous puissiez voir notre joie, à nous juifs qui, d’après vous, Monsieur, n’ont pas l’amour réel de leur patrie ou ne l’ont que par reconnaissance pour un pays où ils n’ont pas été martyrisés… Je me souviens de ce samedi soir, lorsque mes parents m’ont accompagné au Paris-Lyon-Méditerranée. […] Sur le même sujet une lettre signée d’un nom important dans la société parisienne :‌ Je ne voudrais pas vous laisser croire que les consciences des Israélites morts pour la France avec amour « sont vidées de leur tradition religieuse ».

1050. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Green, qui l’avait prise en passant. — Histoire de bien des amours ! […] tous ces riens, tous ces vestiges, tous ces débris, c’était là mon amour ? […] Est-ce l’amour, la colère, la douleur ? […] ô mon cher amour ! […] Les Amours des anges !

1051. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Levallois sait son Jean-Jacques et le possède comme personne en ce temps-ci ; il le sait par devoir et aussi par amour. […] Mais c’est là encore de l’amour, c’est de l’Ovide un peu raffiné et éthérisé, ce n’est pas cette amitié d’esprit plus rare et plus solide, ce fruit savoureux et tardif que mûrira une saison de civilisation plus avancée. […] Après Jean-Jacques, son héritier prochain et le plus direct, Bernardin de Saint-Pierre, excita quelque chose des mêmes amours ; au lendemain de Paul et Virginie, il fut obligé de se défendre de ce débordement d’enthousiasme qui envahissait sa solitude. […] Vous savez qu’il ne tient point à votre génie sublime, à la réputation dont vous jouissez ; je ne m’élève pas jusque-là : la bonté de votre âme, cette courageuse patience que je n’ai connue qu’à vous, l’amour de la vertu pour la vertu même, voilà mon lien, voilà ce qui me fait désirer votre bonheur pour l’honneur de l’humanité autant que pour le bonheur de ceux qui vous connaissent. […] Voilà sans doute pourquoi on estime peu la vieillesse, et on a raison ; car on ne fait de grandes choses que par l’amour de la gloire. — Nos petits-enfants en sont pourvus : votre Théophile (Théophile Bremond d’Ars, son petit-neveu) a toutes les vertus des temps jadis : je désire qu’Hector (Hector Le Veneur, son petit-fils) l’ait rencontré à Postdam… » On voit, par ces lettres, que jusqu’à la fin celle qui se qualifiait « votre antique parente » avait conservé la chaleur du cœur.

1052. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

* * * — Paul et Virginie, un chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre d’un sentiment général particularisé : l’amour renouvelé par le milieu. […] Un beau et primitif tableau de l’amour des grandes races : la lionne attaquant un lion de ses tentations tendres, de ses frottements de caresses, et l’enveloppant de ses chatteries puissantes. […] ce livre, je voudrais ne pas l’avoir fait, quoiqu’il m’ait valu… » et le vieillard battu de ses grands cheveux blancs, ne finissant pas sa phrase, tourne vers sa femme des yeux jeunes d’un remerciement d’amour. […] En somme l’amour est une grosse matérialité à côté de la spiritualité d’une pipe. […] le succès, je n’en sais rien du tout… Et puis, c’est impossible, votre déclaration d’amour de la femme dans la prison, ça éclate comme un coup de foudre ! 

1053. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Il décrit de préférence des lieux abrupts et sauvages ou féerique-ment riches, représente volontiers l’homme comme malade, difforme, pâle, blessé ou charmant et magnifique, l’analyse en ses passions extrêmes et déchaînées : l’amour éperdu, le remords angoissant, la mélancolie profonde, la douleur de préférence ou la joie lyrique et folle, le doue d’une noblesse ou d’une férocité d’âme également démesurées, le place en des incidents forcés où la crise des émotions se trouve grandie par leur conflit. […] Quel amour pourra satisfaire celui qui a entrevu la Béatrice, quelles fleurs lui paraîtront assez larges errant dans les jardins de Cymodocé, et quelles richesses suffisantes, à qui d’un bond de pensée s’ouvre les trésors des mages14 ? […] Ils sont exclus du monde des faits, de la connaissance et de l’amour des simples objets naturels, par le maléfice d’une imagination incurablement raffinée, qui dégoûte de toutes choses par de plus séducteurs idéaux et oublie qu’il manque à ces fantômes la qualité primordiale de l’existence. […] Les Poèmes de l’amour et de la mer de M.  […] Le seul héritier de son observation concise et nuancée, de ses analyses Fragmentaires et profondes, de son sentiment de l’individuel en chaque être humain, de sa composition écourtée toute soumise à sa psychologie, de son amour de la réflexion, des idées générales sur l’homme, de son pessimisme particulier, d’une partie de sa tendresse, est M. 

1054. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

voyez son Pétrarque, Platon de l’amour féminin ! […] Ces satires-là ne sont pas de la haine ; elles sont l’amour du beau et de l’honnête poussé jusqu’à la vengeance contre le laid et le crime. […] Un grand amour des choses honnêtes éclate partout dans ses dégoûts même les plus scandaleux d’expression contre le vice. […] Le seul juste jugement des femmes, c’est l’amour ; qui ne les adore pas ne les connaît pas. […] Ce crime contre l’amour porta malheur aux autres satires de Boileau.

1055. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Puissent les Muses ne plus exalter les fureurs d’une telle justice, ni l’amour des sources du désordre ! […] Quelles oppositions que celles de la douleur empreinte à la fois sur les figures de l’amour, de l’amitié, du zèle, et de la maternité ! […] Son amour pour la belle Catherine d’Atayde, parente d’un favori du roi, amour contrarié par une puissante famille, cause de son premier exil de la cour, origine de ses longs malheurs ; cet amour ardent fidèle et tendre, nous découvre les sources des grâces voluptueuses, de la verve brûlante, et de la mélancolie profonde, qui répandent dans ses vers tantôt la suavité, tantôt le feu qu’on y admire. […] Il démontre avec chaleur que le plus remarquable principe des hautes inspirations de Camoëns, fut l’amour brûlant de la patrie et de la vraie gloire. […] c’est toi qu’appelait son amour, « Toi qu’il pleurait la nuit, toi qu’il pleurait le jour.

1056. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Le trait distinctif et caractéristique de Mme Récamier est d’avoir inspiré de l’amour, un amour très vif, à tous ceux qui la virent et la cultivèrent, et, en ne cédant à aucun, de les avoir conservés tous, ou presque tous, sur le pied d’amis. « Il n’y a guère que vous dans le royaume, écrivait Bussy à sa charmante cousine, qui puissiez réduire un amant à se contenter d’amitié. » Mme Récamier, plus belle, et d’une beauté plus irrésistible, que Mme de Sévigné, peut-être aussi un peu plus coquette et plus irritante au temps de ses élégances, eut bien plus à faire qu’elle pour réduire ensuite au devoir et à la douceur d’un commerce uni ceux qu’elle enflammait. […] Par exemple, se plaignant doucement qu’elle ne rendît point amour pour amour, et supposant qu’elle luttait en cela contre sa destinée naturelle et sa vocation secrète, il lui disait : Ce qu’il y a eu de séparé dans votre existence n’est pas ce qui vous eût le mieux convenu, si vous en aviez eu le choix.

1057. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

accordez à ceux qui vous blasphèment La place à votre droite au sublime séjour ; Donnez-leur tout, Seigneur, donnez : ceux qui vous aiment Ont bien assez de leur amour ! […] du céleste abri bannissez-nous sans crainte : Il nous suffit de notre amour ! […] C’était le temps des bacchanales et des orgiaques amours de l’antiquité. […] Ackermann a publié en 1839 l’Illustration de du Bellay, avec une préface où il commençait l’exposé de ses vues littéraires ; il les a reprises et poussées depuis dans la préface d’un volume intitulé Chants d’Amour (Crozet, 1841).

1058. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Il suit aussi de cette forte avance qu’elle avait trente-cinq ans lors de ses amours à la Bastille avec le chevalier de Ménil, et qu’elle ne se maria enfin avec le baron de Staal que dans sa cinquante et unième année. […] Après cela, que sur certains points délicats et réservés elle n’ait pas tout dit : que, par exemple, ses amours à la Bastille avec le chevalier de Menil aient été poussés encore un peu plus loin qu’elle n’en convient, il n’y a rien là que d’assez vraisemblable, et raisonnablement on ne saurait demander à une femme, sur ce chapitre, d’être plus sincère, sans la forcer à devenir inconvenante. […] La seule ressource que j’imagine seroit une occupation forte et satisfaisante par la dignité de l’objet : l’amour n’en a point de telles. […] que cela lui donnait bien le droit de dire, comme plus tard, et revenue des orages, elle l’écrivait dans une lettre à M. de Silly : « N’en déplaise à Mme de…, qui traite l’amour si méthodiquement, chacun y est pour soi, et le fait à sa guise.

1059. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Élevé par un précepteur particulier dans une maison opulente en vue de toutes les séductions de la société, il fallait que ses dispositions fussent de bonne heure bien décidées, et son amour de l’étude bien ardent, pour pouvoir lutter contre de tels attraits. […] Il puisa dans cette grande école ce souffle qui en était l’âme à l’origine, l’amour vrai de la science et une confiance sincère dans les efforts de l’esprit humain dirigé par les méthodes. […] Après un grand désespoir d’amour, il se fit traducteur pour s’occuper petit à petit sans trop d’effort et se consoler ; il alla jusqu’à près de quatre-vingt-dix ans et survécut à La Fontaine, dont il gardait le cilice comme une relique. […] En nous racontant, d’après Tallemant des Réaux (alors inédit), la grande aventure d’amour de Maucroix avec Mlle de Joyeuse, marquise de Brosses, M. 

1060. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

En effet, c’est la sensualité qui frappe d’abord chez lui, son amour de la beauté plastique, sa saine compréhension de l’amour physique et son grand sens pratique ; c’est qu’il est naturaliste, dans le sens profond du mot ; ce qui explique alors le fonds de mysticisme qu’il y a aussi en lui, et l’intuition géniale qui en fait le peuple des inventeurs, des précurseurs, des martyrs. — L’étranger s’étonne de la « combinazione », la blâme sans la comprendre ; elle est à la fois un art de la politesse et le dernier refuge des consciences opprimées. […] Pétrarque fut ce flambeau d’amour dans les ténèbres de la scolastique. […] C’est la tragédie qui recommence ; quiconque étudie cette histoire dans le détail, sans parti pris, sent grandir dans son cœur la pitié, et, avec le remords, le désir de réparer par l’amour la brutalité de nos pères.

1061. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Mais dans ce travail, qu’elle est faible, la part de l’amour ! […] À mon avis, ce ne sont pas les congrégations que l’on devrait interdire, mais pour l’amour de Dieu, bien plutôt ces marchands de vierges et de jésus. […] Deux choses m’ont fait étudier, avoue Stendhal, dans sa correspondance : la crainte de l’ennui et l’amour de la gloire. […] Tout est généreux dans ce Simon son travail, ses amours. […] Simon, c’est « la conscience » dans une classe, c’est « la tendresse » dans une amitié, dans un amour.

1062. (1925) Portraits et souvenirs

D’amour. […] Qu’est-ce pour lui que l’Amour et même le plaisir ? […] Sylvie, c’est le poème du premier amour, le poème de l’éternel regret et du souvenir. […] Lucien Muhlfeld eut l’amour du travail. […] Il est marié à une charmante femme qu’il a épousée, sinon par amour, du moins avec amour.

1063. (1901) Figures et caractères

Cet amour de la nature est exalté et presque matériel. […] Ce sont des livres d’amour. […] C’est l’amour qui fait les peuples. […] L’amour seul est resté. […] Alfred de Vigny eut d’ailleurs davantage l’amour des idées que l’amour des mots.

1064. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé aux funérailles de M. Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France »

L’amour du bien public, le sentiment abstrait du devoir formaient l’unique mobile de sa vie. […] Indulgere genio est un art que notre ami ne savait pas, ne voulait pas savoir ; il ne pécha que par excès d’amour pour le bien.

1065. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 493-499

Nous répondrons que la corruption du goût, le renversement des idées, l’amour de la nouveauté, ne seront jamais capables de justifier ce qui répugne à toutes les regles. […] Il fait juger des choses par les principes, & non par les succès ; il se rappelle, dans ces momens de délire général, que les alimens les plus contraires sont quelquefois agréables aux estomacs dépravés, que la disette ou l’amour de la nouveauté donne du prix à la médiocrité, au vice même ; & connoissant tout à la fois les sources de la bizarrerie dominante, de la nature des objets qui l’entretiennent, le génie de la Nation qui l’encense, il attend, & pourroit prédire avec certitude, le moment de la révolution qui doit guérir de cette frénésie.

1066. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. Nous prendrons pour objet de comparaison chez les anciens, dans les amours champêtres, l’idylle du Cyclope et de Galatée.

1067. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VIII. Bossuet historien. »

« Le fond d’un Romain, pour ainsi parler, était l’amour de sa liberté et de sa patrie ; une de ces choses lui faisait aimer l’autre ; car, parce qu’il aimait sa liberté, il aimait aussi sa patrie comme une mère qui le nourrissait dans des sentiments également généreux et libres. […] Puissent, puissent les nations, au défaut d’amour pour nous, entretenir ainsi dans leur cœur les unes contre les autres une haine éternelle178 ! 

1068. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

., créatures de grâce ou de conversion, d’humilité et de repentance, ces perles dont l’écorce était l’amour de Dieu, les premières que l’Évangile propose à nos imitations ! […] Les héroïnes de Michelet, toutes ces femmes modernes qui ne sont pas de vraies chrétiennes, toutes ces femmes plus ou moins libres, avec les droits politiques qu’elles rêvent ou jalousent, avec leurs vaniteuses invasions dans les lettres et dans les arts, avec cet amour de la gloire, le deuil éclatant du bonheur, disait madame de Staël, et qui est le deuil aussi de la vertu ; toutes ces femmes, il ne faut pas s’y tromper !

1069. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 385-448

CXI Ma sœur nous raconta l’amour du capitaine des sbires pour sa belle enfant, la condition que l’avocat avait mise tout bas à la vie du châtaignier et à la restitution de nos petits champs, troqués contre la cousine d’Hyeronimo. […] CXIII Mais l’amour d’un débauché qui a vu une innocente, et qui pense l’emmener dans sa maison, est un charbon ardent qui brûle la main et qui ne laisse pas dormir celui qui ne craint pas Dieu plus que le feu dans ses veines. […] Allons, Fior d’Aliza, continua-t-il en s’adressant à la jeune et rougissante sposa, conte au seigneur ton idée en faisant ce que tu fis, et comment la grâce de Dieu a tout fait tourner, malgré tant de transes, au profit de l’amour. […] L’amour, à ce qu’il paraît, est un mystère. Tout cela n’est que pour vous dire que je ne me doutais seulement pas que j’aimais d’amour Hyeronimo, et que lui non plus ne se doutait pas qu’il m’aimait d’amour jusqu’au moment où les sbires, en l’emmenant à la mort, nous apprirent que l’un ne pouvait pas respirer sans l’autre.

1070. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Puis, avec une exagération qui marque mieux la nouveauté du dessein, Chartier élimine de son discours les faits, les circonstances de temps et de personnes pour se tenir dans les idées générales : il pousse l’amour du lieu commun jusqu’à la plus vague amplification. […] Ses sujets sont peu de chose : la banalité de l’amour courtois, la banalité du renouveau qui chasse l’hiver. […] Il n’a pas plus de sentiment national que de véritable amour. […] On peut dire que la moitié des pages éloquentes ou des émotions poétiques du xve  siècle (comme déjà du xive ) est un produit du patriotisme, l’expression d’un amour nouveau de la France, et de la tendresse ou de l’indignation que les misères des humbles et des laborieux excitent. […] Puis, prudemment, il se donna de l’air et partit pour Angers : il fit à l’occasion de ce départ son Petit Testament, où il met sur le compte de certaines mésaventures d’amour son subit départ.

1071. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Songe d’amour et rêve de la mort ! […] Est-ce de l’amour ou de l’amitié ? […] Elles sont touchées de l’amour, avec candeur. […] L’amour maternel et l’amour divin sont ici unis étroitement. […] Mais un sceptique par amour.

1072. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

On n’embrassera pas votre fille pour l’amour du grec, mais son petit garçon l’aimera bien un jour pour l’amour du latin qu’il apprendra si doucement sur ses genoux. […] Entre parler politique et parler de la politique, il existe à peu près la même différence qu’entre parler d’amour et parler de l’amour ; or, le siècle se fait vieux et se contente volontiers de théories. […] Anselme Schanfara par l’amour, au mariage et à la vie bourgeoise. […] ce rêve plus impossible encore de l’amour ! […] La charité chrétienne, l’amour universel qui embrasse tous les êtres, est la base de son caractère.

1073. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Sa compagnie, sa joie, son amour, c’était sa sœur Lucile, nature exaltée, nerveuse, avec qui il rêva de vies merveilleuses, de courses lointaines, et de sensations toujours renouvelées. […] Des sermons de Massillon même, il tirait des troubles et des plaisirs sensuels ; d’un amalgame de souvenirs littéraires et de visages entrevus, il forma son idée de la femme, un « fantôme d’amour » qu’il devait exprimer dans tous ses livres, chercher en toutes ses amies. […] Autour du grand homme se formait un petit groupe d’amis discrets et dévoués : Fontanes, pur et froid poète, Joubert645, penseur original et fin, tous les deux utiles conseillers, sans envie et sans flatterie ; et puis ces femmes exquises, dont Chateaubriand humait le charme, l’esprit, l’admiration, faisant passer ces « fantômes d’amour » à travers son ennui, sans se douter assez que c’étaient là des êtres de chair et de sang qui le berçaient dans leur angoisse : Mme de Beaumont, Mme de Custine, Mme de Mouchy. […] Il aura des tendresses délicieuses : il aimera ses amitiés et ses amours, c’est-à-dire lui-même ami et amant, infiniment plus que ses amis ou ses aimées ; il s’aimera effrénément dans l’image splendide que d’ardentes affections lui renverront de son être : une de ses voluptés choisies fut de se mirer dans un cœur qu’il remplissait. […] Chateaubriand s’y donne le plaisir de noircir dramatiquement les émotions de sa jeunesse : d’une amitié fraternelle, toute simple, innocente et commune, encore qu’ardente et nerveuse, il fait un gros amour incestueux ; il donne à René, masque transparent de lui-même, le fastueux et malsain prestige de la passion coupable, contre nature, et il invente la sublimité poétique des monstruosités morales658.

1074. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

« Qu’écrire à une femme, lui dit-il, si on ne lui peut parler ni d’affaires ni d’amour ?  […] Mais, tandis que les autres se fatiguaient à la poursuite de ce rare, elle le trouvait sans le chercher, par quelque habitude de jeunesse, comme son amour pour les romans de Mlle de Scudéry. […] Valait-il mieux que, pour échapper au reproche d’aimer ingénieusement, elle eût affecté une naïveté arrangée qui l’eût rendue plus suspecte, ou un emportement qui ne sied pas à l’amour maternel ? […] On y voit même l’opposition ; mais ce qui en perce dans les confidences de Mme de Sévigné ressemble un peu à l’opposition qu’on faisait à Racine par amour pour Corneille : c’est le regret du passé, mêlé de je ne sais quel dépit d’avoir à admirer et à aimer ce qui le remplace. […] C’est, en tout cas, un exemple qui doit nous rendre indulgents pour les vrais politiques, et nous faire estimer ces qualités de gouvernement qui n’excluent ni l’honnêteté, ni l’amour du vrai, ni l’indépendance, mais qui les accommodent à la nécessité des affaires, et qui n’ajoutent pas aux difficultés des choses en offensant les personnes.

1075. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Oui… » ou bien, à propos de Tristan : « Peu me soucie que Wagner, philosophe, ait songé à l’anéantissement, à l’effacement de la personnalité dans l’inconscience infinie ; en dépit de tout, et de l’auteur lui-même s’il le faut, le chant final d’Iseult est le chant de l’amour immortel, l’hymne des âmes réunies à jamais. » Il est bien étonnant que ceux-là même qui définissent ainsi l’artiste, aient fait de Wagner leur maître de prédilection, quand ils avaient à portée de leur esprit Berlioz, qui n’avait pas de théories arrêtées, qui produisait suivant son inspiration, tantôt bien, tantôt mal, mais sans savoir pourquoi : celui-là est le véritable artiste selon leur cœur. […] Peu soucieux d’une cadence banale, nous écouterons avec attendrissement l’incomparable début de la grande scène d’amour : « Les chants se sont éteints… nous sommes seuls, bien-aimée ! […] Et, dans la chambre nuptiale, sa tendresse se fait plus inquiète ; en vain Lohengrin lui rappelle le serment qu’elle a prononcé, la prie, la conjure de chasser le doute, d’avoir confiance, de ne pas perdre la candeur de son amour. […] Ainsi, le bonheur reposait sur la confiance, sur la foi ; mais le doute est venu : le doute a tué l’amour, et avec l’amour le bonheur. Car l’amour exige une confiance absolue, une foi illimitée.

1076. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Un prince d’Allemagne, connu par son amour pour les lettres, vient de proposer un prix pour la meilleure dissertation philosophique sur le rire. […] Maclou de Beaubuisson, fort bien joué par Bernard-Léon, je pensais que j’avais senti, confusément peut-être, que cet être ridicule avait pu inspirer de l’amour à de jolies femmes de province, qui, à leur peu de goût près, auraient pu faire mon bonheur. […] L’on a ri, dans la scène de brouille et de raccommodement entre Valère et Mariane, à une réflexion maligne que Dorine fait sur l’amour.

1077. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Bussy-Rabutin, dans ses Amours des Gaules 61, raconte comment il arriva que madame de Montespan, sous les yeux, dans la société intime de madame de La Vallière, devint sa rivale préférée, longtemps avant que cette amante passionnée s’en doutât, longtemps encore après qu’elle en eût la certitude ; le roi se trouvant alors partagé entre la maîtresse qu’il n’aimait plus, celle qu’il commençait à aimer, et la reine, dont il affligeait la tendresse, toutefois sans déserter sa couche. […] Les mémoires de mademoiselle de Montpensier nous apprennent que jusqu’à la mort de la reine-mère, arrivée le 20 janvier 1666, « le roi avait gardé quelques mesures de secret sur son amour pour madame de La Vallière, pour ne point donner de chagrin à la reine-mère ; mais que quand il fut hors de cette appréhension, cette affaire devint publique » ; et Mademoiselle ajoute que dans ce temps-là… madame de Montespan, qui était une des dames de la reine, « commença à aller chez madame de La Vallière, qui était ravie de la voir chez elle pour amuser le roi. » C’est cet amusement du roi qui commença l’intrigue dont Bussy-Rabutin raconte si bien l’origine. […] Après avoir parlé avec peu de ménagements de la condescendance de madame de Montausier à acheter la charge de madame de Navailles, si glorieusement chassée , disait-il, il ajoute : « Ce qui surprit bien davantage, ce fut la protection que madame de Montausier donna à madame de Montespan, au commencement de son éclat avec son mari, pour les amours du roi et l’asile que le roi lui-même lui donna, en choisissant M. et madame de Montausier pour retirer madame de Montespan chez eux, au milieu de la cour, et l’y garder contre son mari, Il y pénétra pourtant un jour, et voulant arracher sa femme des bras de madame de Montausier, qui cria au secours de ses domestiques, il lui dit des choses horribles. » Tous les détails de ce récit sont inexacts.

1078. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre : Cette fable est célèbre et au-dessus de tout éloge. […] si l’amour n’assaisonne Les plaisirs que l’amour nous donne, Je ne vois pas qu’on en soit mieux.

1079. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Mais l’amitié a ses aveuglements comme l’amour. […] Ni toute cette malheureuse et vaine littérature qu’elle avait d’abord absorbée avec une voracité d’engoulevent, dans le temps où elle avait ses trois professeurs allemands à la suite qui la chargeaient de notions inutiles ou de connaissances ridicules, comme on charge de poudre, à l’en faire crever, une pauvre pièce d’artillerie, ni le grand amour de Dieu qui l’atteignit plus tard, cette mâle passion des âmes fortifiées, ne purent lui faire perdre le sexe de ses facultés qui ne furent jamais, Dieu en soit béni ! […] Chirurgienne d’abord, elle a un courage d’analyse qui a dû affreusement lui coûter, car sur le tranchant de son scalpel ont dû couler, mêlés, le sang de l’amour-propre et celui de l’autre amour ; mais comme la Sœur de Charité, vite, y succède !

1080. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

La princesse Oghérof, en dehors de ces détails russes dont Mme Henry Gréville aime à poudrer le fond de ses romans, est une histoire d’amour qui serait vulgaire sans le renoncement des deux amoureux, l’un à l’autre, et par là, l’échappement à l’adultère, — l’éternel adultère de tous les romans contemporains ! […] Tout ce qu’il y a d’inappuyé, de faible, et même de berquinal dans ce roman — où les fous sont corrigés de leurs folies et les sages de leur sagesse, par l’éducation de l’amour — est sauvé par l’esprit qui y étincelle, qui y flambe, qui y remue, qui y bondit, dans des vivacités charmantes ! […] — qui aurait pu écrire avec cette légèreté impétueuse et cette grâce, un livre que les femmes ont appelé un amour de livre, comme ce livre de Dosia !

1081. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Rien donc de bien étonnant à ce que notre amour pour l’Allemagne allât ricocher jusqu’aux Indes ! […] c’était le genre d’amour qu’elle nous avait inspiré. […] Vous pouvez tourner les pages du Ramayâna les unes après les autres, et vous n’en trouverez pas une seule qui rappelle en énergie et en vérité l’épisode du Koran, par exemple, où les amies de la femme de Putiphar, qui ont commencé à blâmer l’amour honteux de la belle égyptienne pour son esclave, ne s’aperçoivent pas qu’elles se coupent les doigts avec leurs couteaux, dans leurs rêveries, en le regardant servir à table, affolées qu’elles sont déjà de l’éclatante beauté de Joseph.

1082. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XI. Gorini »

M. l’abbé Gorini n’a pas non plus cet amour en cercle de serpent qui se mord la queue, qu’on appelle l’amour de l’art pour l’art ou de la science pour la science. […] Quoiqu’il eût quelque part, sans doute, dans un angle de son cerveau, un pli où dormait cette vocation de savant que son amour pour l’Église n’a pas créée, l’Église n’en a pas moins été l’étincelle à la poudre qui a fait partir la vocation !

1083. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Ronsard »

Ce poète, ce grand seigneur, cet homme de cour, qui n’aima jamais que deux paysannes, deux filles tout près de la nature, rencontrées au bord des rivières et des bois : Simples glayeuls, à couleur arc-en-cine, et qu’il engrava en ses vers sous les noms, de Marie et de Cassandre, — car la troisième, qu’on y trouve aussi sous le nom de Synope, il n’est pas bien sûr qu’il l’ait aimée, — aima donc au-dessous de lui, comme les hommes vraiment grands, qui descendent presque toujours vers la femme qu’ils aiment, tandis que les petits veulent monter vers elle, — et il eut dans l’expression de son double amour une ampleur d’embrassement, un si vaste réchauffement de cœur, un emportement de geste si impérieux dans la caresse, que ses Sonnets et ses autres pièces intitulées : Amours, effacent par la passion, le mouvement et l’image, tout ce qui a jamais parlé d’amour.

1084. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

» et qui l’avait fui, comme l’hirondelle, car à peu près personne ne savait que cette romance fût de Lamartine, il n’y a rien dans ces Mémoires inédits qui accuse la prétention, l’ambition, l’orgueil et même l’amour de la littérature. […] Seulement, elle ne fut pas de force à monter avec le poète jusqu’à la hauteur de ses Harmonies, et comme, plus tard, il devait rester au plafond où il avait voulu siéger seul, le poète resta seul aussi dans son ciel… Ce qu’il y avait d’amour humain dans ses Méditations avait saisi toutes les âmes et touché tous les cœurs, mais l’amour de Dieu est d’une grandeur et d’une beauté plus incompréhensibles à la majorité des hommes.

1085. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

Comme Godwin, ce fort romancier anglais qui le premier eut l’audace de faire un livre où l’intérêt n’est plus l’amour, Ferdinand Fabre s’est adressé à d’autres passions que celle de la femme, et il a prouvé que, démêlées par une griffe de moraliste qui sait les carder, elles sont d’un intérêt, pour qui les comprend, tout aussi intense que la banale passion de la femme, qui est au niveau de toutes les âmes, même les plus basses… C’est l’ambition aussi — comme l’auteur du Caleb William — que Fabre a mise en scène dans son nouveau roman ; mais c’est l’ambition spécialisée dans un prêtre, c’est-à-dire la plus profonde, la plus terrible et la plus grandiose des ambitions ! […] puisque la haine n’est jamais que l’envers de l’amour. […] Lui, il voudrait que le prêtre restât toujours grand pour l’histoire, et s’il ne l’est pas, il en souffre… Seulement, impartial comme l’artiste sincère, il le peint ce qu’il le voit, par amour de la peinture vraie ; et s’il en souffre, il ne s’en venge même pas en forçant le trait.

1086. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Ainsi je n’ai pas parlé de l’amour de Louise pour un avocat nommé Verdelon, lequel la trahit pour épouser une femme que lui donnent encore ces gredins de jésuites ! Ainsi je n’ai rien dit de la découverte par Julio que la belle Louise n’est pas sa sœur, et de l’amour sensuel, de l’amour turbulent qui saisit le chaste Julio à cette découverte.

1087. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

 » Cette réponse touchante n’a pu sortir que d’un cœur doué de toutes les délicatesses de l’amour, et fait éclater la justesse infinie de sa raison : il suffit de la connaître pour aimer ce sage autant qu’on l’admire, elle révèle son âme socratique toute entière. […] Ma rhétorique fut venue au secours de mon entêtement, si l’amour de l’innovation m’avait rempli la cervelle ; et l’avantage d’être entendu dans cette enceinte m’eût paru même une occasion propice dont je me serais flatté de tirer parti. […] leurs triomphes contre les ennemis de leur liberté les ont remplis d’un certain amour de domination, et d’une manie belliqueuse qui les pousse à faire la guerre à tous leurs voisins. […] Mais les bizarreries de l’amour jaloux ont été pour Molière et ses imitateurs une intarissable source de gaîté, que leur muse n’aurait su comment épuiser. […] Le ridicule naît en nous de nos fassions : celui de la jalousie soupçonneuse vient de l’amour : celui de l’avarice inquiète et défiante résulte de l’intérêt : celui de la peur des maladies et de la crédulité aux remèdes tient à notre excès d’attachement à la vie.

1088. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Nul n’a jamais incorporé moins de sensibilité dans une œuvre pourtant sentimentale ; il vivait trop « avec amour », pour écrire encore « avec amour ». […] Il y a des sensoriels très complexes en qui l’idée d’amour soulève de tumultueuses hallucinations. […] Entre ses deux groupes de sons la douceur de l’amour et la douce heure de l’amour, où est l’habile qui établira une différence phonétique ? […] Pourquoi amour et orgue sont-ils féminin au pluriel ? […] Amour était donc féminin, jadis aussi bien qu’amours.

1089. (1913) Poètes et critiques

Comment Richepin ne se fût-il pas tourné avec envie, avec amour, du côté de la mer ? […] La naissance de l’enfant, l’éveil de l’amour, la beauté de l’hymen, les joies de la maternité, l’effort douloureux, mais viril, du travail, les tristesses du deuil, la perspective auguste du tombeau, voilà quelques-uns des sujets traités. […] Ainsi l’amour qui râlait vit encore : Ô ! […] Tout ce qui m’est cher D’une aile d’effroi Mon amour le couve au ras des flots. […] Les tricoteuses et les filandières de plein air, les belles filles qui tissent leurs brins de fil avec des fuseaux d’os ont coutume de la chanter : elle est innocemment douce, elle se joue avec la candeur de l’amour, comme au bon vieux temps ».

1090. (1933) De mon temps…

La voix éloquente a cessé son hymne d’amour à la vie, à la beauté, à la douleur. […] Je l’admirais et je respectais en lui cet amour fanatique des Lettres qui avait été sa passion unique et avait fait la haute et noble dignité de sa vie. […] Le conteur de l’Amour Suprême ne pouvait ressentir que de l’éloignement pour le romancier de La Maison de la Vieille. […] Un immense amour et une immense pitié pour l’humanité s’en dégagent, de même que s’en exhale une profonde et mâle tendresse pour sa terre natale. […] Il écrit l’Amour en visites, l’Amour absolu, Messaline, le Surmâle, mais ces publications n’excitent plus l’attention.

1091. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Ce gracieux bagage de famille et de société172 offrait à la fin son étiquette et comme son cachet dans une spirituelle approbation et un privilège en parodie qui étaient censés émaner de la jeune épouse de l’auteur, petite-fille d’un illustre chancelier : D’Aguesseau de Ségur, par la grâce d’amour, L’ornement de Paris, l’ornement de la cour, A tous les gens à qui nous avons l’art de plaire, C’est-à-dire à tous ceux que le bon goût éclaire, Salut, honneur, plaisir, richesse et volupté, Presque point de raison et beaucoup de santé ! […] Chaque événement, chaque anniversaire de cette vie intérieure était célébré par de petites comédies, par des vaudevilles qu’on jouait entre soi, par de gais ou tendres couplets qui parfois circulaient au-delà : quelques personnes de cette société renaissante se rappellent encore la chanson qui a pour titre : les Amours de Laure. […] Successivement nommé au Corps législatif, à l’Institut, au Conseil d’État et au Sénat, grand maître des cérémonies sous l’Empire, nous le perdons de vue à cette époque au milieu des grandeurs qui le ravissent aux lettres, mais non pas à leur amour ni à leur reconnaissance : une élégie de madame Dufrenoy a consacré le souvenir d’un bienfait, comme il dut en répandre beaucoup et avec une délicatesse de procédés qui n’était qu’à lui. […] S’il est vrai, comme on l’a dit, que plus tard, les circonstances européennes étant changées, Catherine, pour mieux déjouer la mission de M. de Ségur à Berlin, ait envoyé au roi de Prusse les billets confidentiels dans lesquels l’ambassadeur de France avait autrefois raillé les amours de ce neveu du grand Frédéric, elle ne fit en cela sans doute que suivre les pratiques constantes d’une politique peu scrupuleuse ; mais elle put bien y mêler aussi tout bas le plaisir de se venger d’un ancien dédain. […] Traité avec le plus grand mépris dans cette Cour, et privé de l’espoir de jouer un rôle à Paris, la mort lui parut être sa seule ressource ; mais il porta sur lui une main mal assurée ; le courage manqua à ce nouveau Caton, pour achever… L’amour de la vie prévalut, un chirurgien fut appelé, et le comte prouva qu’il ne savait ni vivre ni mourir. » Quand on a eu affaire dans sa vie à des haines aussi cruelles et aussi envenimées que cette page en fait supposer, on a quelque mérite à n’avoir jamais pratiqué qu’indulgence et bienveillance, comme l’a fait M. de Ségur.

1092. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

L’amour de l’éducation du peuple est inné chez madame Gros. […] Illusion divine, illusion providentielle assurément, la vertu n’en est pas moins comme l’amour le résultat d’un charme en dehors de la raison, qui nous entraîne, nous séduit. […] À l’âge de onze ans, elle s’est attachée à une famille qu’elle a toujours servie avec amour. […] Messieurs, et qu’on en peut tirer de belles choses, quand un artiste habile se trouve à côté de lui, pour faire jaillir en son cœur la source des larmes, de la prière intime et de l’amour ! […] Un dessein d’amour éclate dans l’univers ; malgré ses immenses défauts, ce monde reste après tout une œuvre de bonté infinie.

1093. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

… Ces séraphins, qui tombent du ciel ou du plafond, viennent là comme, en d’autres temps, seraient venus les Amours et les Cupidons ; on les introduisait sans y croire ; c’est fâcheux, même en poésie. […] Cette jeune fille que Mme de Girardin décrit avec une complaisance de sœur, Ayant un peu d’orgueil peut-être pour défaut, Mais femme de génie, et femme comme il faut, a tous les enthousiasmes d’abord, tous les cultes et les amours d’un cœur de jeune fille, et il est permis de supposer que le poète lui en a prêté quelques-uns des siens. […] Cette Napoline qui se tue et s’asphyxie de désespoir, c’est le génie éteint, énervé par le monde ; c’est l’amour et la foi qui expirent dans un cœur. […] Vois le mépris, là où a péri l’amour ; la méfiance, là où croissait l’amitié ; l’orgueil, là où autrefois une nature aimante nourrissait tous les sentiments de vérité et de tendresse ! […] Si nous croyions à la métempsycose, nous dirions que l’âme de quelque peintre de paysage, malheureux en amour, avait passé dans le corps de ce noble cerf, tant il s’est montré artiste dans toutes ses promenades et jusque dans sa chute… Tout cela est poussé un peu loin, un peu marivaudé peut-être ; le conteur s’amuse et abuse : il tient à son joli dire, et, une fois mis en train, il ne le lâche pas.

1094. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Ce qu’il y a de moins bon dans les Lettres écrites du donjon de Vincennes, ce sont précisément les lettres d’amour. […] Même dans les choses d’amour, dans ses souvenirs élégiaques, écrivant à son amie, il la défend en idée devant ses accusateurs, et il la défend en se levant, en se tournant volontiers vers le public absent, qu’il apostrophe et qu’il invoque : Voulez-vous, demande-t-il, qu’elle ait fait une imprudence ? […] Il dira des regards de son amie, qu’ils pompent l’amour sur ses lèvres. […] L’amant était encore tout vivant et tout délirant en lui ; le père était tout occupé de l’enfant qui venait de naître et qui vécut peu ; le prisonnier multipliait ses réclamations, ses apologies, ses mémoires, dans la vue de ressaisir sa liberté, et, en attendant, l’homme d’étude se livrait à toutes les lectures qui lui étaient possibles, à la traduction et à la composition de divers ouvrages, dont on voudrait à jamais anéantir deux ou trois, pour l’honneur de l’amour, pour la dignité du malheur et celle du génie. […] Ce grand et immortel amour s’était pourtant usé peu à peu dans la souffrance, dans l’absence.

1095. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Précisément en ce que les sensations et sentiments supérieurs auront un caractère à la fois plus intense et plus expansif, par conséquent plus social : — « La solidarité sociale est le principe de l’émotion esthétique la plus haute et la plus complexe. » Les plaisirs qui n’ont rien d’impersonnel n’ont, rien de durable ni de beau : « Le plaisir qui aurait, au contraire, un caractère tout à fait universel, serait étemel ; et étant l’amour, il serait la grâce. […] Le génie est une puissance d’aimer qui, comme tout amour véritable, tend énergiquement à la fécondité et à la création de la vie4. » Le principe de la vie « la plus intense et la plus sociale » se retrouve donc partout. […] Hugo, et le mot a toujours servi ; de là l’impossibilité d’exprimer l’émotion. » — « Eh bien non, répond Guyau, et c’est là ce qu’il y a de désolant pour le poète, l’émotion la plus personnelle n’est pas si neuve ; au moins a-t-elle un fond éternel ; notre cœur même a déjà servi à la nature, comme son soleil, ses arbres ses eaux et ses parfums ; les amours de nos vierges ont trois cent mille ans, et la plus grande jeunesse que nous puissions espérer pour nous ou pour nos fils est semblable à celle du matin, à celle de la joyeuse aurore, dont le sourire est encadré dans le cercle sombre de la nuit : nuit et mort, ce sont les deux ressources de la nature pour se rajeunir à jamais. » La masse des sensations humaines et des sentiments simples est sensiblement la même à travers la durée et l’espace, mais ce qui s’accroît constamment et se modifie pour la société humaine, c’est la masse des idées et des connaissances, qui elles-mêmes réagissent sur les sentiments. « L’intelligence peut seule exprimer dans une œuvre extérieure le suc de la vie, faire servir notre passage ici-bas à quelque chose, nous assigner une fonction, un rôle, une œuvre très minime dont le résultat a pourtant chance de survivre à l’instant qui passe. […] Disons plus, l’amour de la science et le sentiment philosophique peuvent, en s’introduisant dans l’art, le transformer sans cesse, car nous ne voyons jamais du même œil et nous ne sentons jamais du même cœur lorsque notre intelligence est plus ouverte, notre science agrandie, et que nous voyons plus d’univers dans le moindre être individuel. » VII. — La part croissante des idées scientifiques dans les sociétés modernes produira, selon Guyau, une transformation de l’art dans le sens d’un réalisme bien entendu et conciliable avec le véritable idéalisme. […] Nul ne pouvait mieux comprendre cette vérité que Guyau, dont l’âme fut toujours si profondément désintéressée. « Mon amour, dit-il, est plus vivant et plus vrai que moi-même.

1096. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

Hamlet, le doute, est au centre de son œuvre, et aux deux extrémités, l’amour ; Roméo et Othello, tout le cœur. […] Ces deux innocences auxquelles l’amour a manqué de parole ne peuvent être consolées. […] Ce qu’on ne s’avoue pas, la chose obscure qu’on commence par craindre et qu’on finit par désirer, voilà le point de jonction et le surprenant lieu de rencontre du cœur des vierges et du cœur des meurtriers, de l’âme de Juliette et de l’âme de Macbeth ; l’innocente a peur et appétit de l’amour comme le scélérat de l’ambition ; périlleux baisers donnés à la dérobée au fantôme, ici radieux, là farouche. […] Bien et mal, joie et deuil, homme et femme, rugissement et chanson, aigle et vautour, éclair et rayon, abeille et frelon, montagne et vallée, amour et haine, médaille et revers, clarté et difformité, astre et pourceau, haut et bas. […] Qu’est-ce que cette vaste chanson immodérée qu’il chante dans les siècles, chanson de guerre, chanson à boire, chanson d’amour, qui va du roi Lear à la reine Mab, et de Hamlet à Falstaff, navrante parfois comme un sanglot, grande comme l’Iliade !

1097. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Quand Gœthe, lutiné par l’idée de Voltaire, voulut jouer aussi à l’universalité, quand il se fit naturaliste, dessinateur, et dessinateur jusqu’au point de dire « qu’en dessinant, son âme chantait un morceau de son essence la plus intime », Gœthe tombait de son ancienne poésie, sentie, ressentie, exprimée, selon l’âme qu’il avait (et il n’en avait pas beaucoup), dans l’art élégant, ingénieux, fin, savant ; dans l’art qui est toujours le stérile, quoique le matériel amour des choses difficiles. […] Peut-être à votre vue elle a baissé la tête, Car, bien pauvre qu’elle est, sa naissance est honnête ; Elle eût pu, comme une autre, en de plus heureux jours, S’épanouir au monde et fleurir aux amours, etc. […] Elle est dans Le Soir de la jeunesse, qui est la méfiance de l’amour ; dans La Contredanse, ce dialogue de la tristesse au sein du plaisir ; dans la Promenade, qui est la caractérisation la plus vive et la plus pénétrante de la manière de ce poète pathologique, que M.  […] Ainsi dans L’Invocation, qui est l’impuissance d’un cœur appelant à grands cris l’amour, l’amour qui nous soulèverait de cette morne vie, et qui ne vient pas !

1098. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

L’Amour céleste répond à l’appel désespéré de l’Amour humain.

1099. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

La fausse ostentation de l’amour de la Patrie n’en imposera plus dans des bouches mensongeres ; & l’Ecrivain utile qui respectera les Loix, vengera la Religion, rappellera les mœurs, défendra le goût, sera assuré de voir protéger ses travaux, & de n’avoir pas à gémir des tristes effets de son zele. […] Cet heureux accord lui procureroit le suffrage d’un plus grand nombre de Lecteurs, & contribueroit plus efficacement au triomphe du goût & à l’amour des vrais principes.

1100. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 92-99

Avoir reçu du Ciel une imagination vive & féconde, un jugement aussi exquis que solide ; allier à l’étendue du savoir une profonde sagesse ; aux charmes de l’éloquence l’empire de la vertu ; à l’élévation des dignités un amour aussi éclairé qu’intrépide pour le bien ; avoir ajouté à ces qualités une application infatigable à cultiver ses talens, une modestie sincere, la véritable parure du mérite : tel est le privilége heureux qui distingue ce Grand Homme, à qui les hommages ne peuvent être trop prodigués. […] Dans ses Mercuriales sur-tout, il est aisé de reconnoître une suite de tableaux où l’Homme de Loix est forcé de puiser la plus haute idée de sa profession & l’amour de ses devoirs, l’Homme d’Etat, les leçons de la saine politique & les moyens de la rendre utile & respectable ; le Philosophe, le modele de l’usage qu’il doit faire de ses lumieres & de la sagesse qui sait les contenir ; le Littérateur, les finesses de son art & les solides beautés qui peuvent l’embellir ; tous les hommes, le respect des Loix, les regles de la vertu & les charmes qui la font aimer.

1101. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 489-496

S’il nous est permis de faire quelques réflexions sur son caractere, nous serons autorisés à dire, que l’amour de la célébrité & trop de penchant à se laisser séduire par des insinuations artificieuses, ont été la vraie cause de l’abus qu’il a fait de ses talens, propres d’ailleurs à le faire estimer. […] lui qui a attendu sa mort pour relever les erreurs du Livre de l’Esprit, avec une sévérité & une amertume qui décelent plus de haine pour l’Auteur, que d’amour & de zele pour la vérité.

1102. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Marie Tudor » (1833) »

S’il y avait un homme aujourd’hui qui pût réaliser le drame comme nous le comprenons, ce drame, ce serait le cœur humain, la tête humaine, la passion humaine, la volonté humaine ; ce serait le passé ressuscité au profit du présent ; ce serait l’histoire que nos pères ont faite confrontée avec l’histoire que nous faisons ; ce serait le mélange sur la scène de tout ce qui est mêlé dans la vie ; ce serait une émeute là et une causerie d’amour ici, et dans la causerie d’amour une leçon pour le peuple, et dans l’émeute un cri pour le cœur ; ce serait le rire ; ce serait les larmes ; ce serait le bien, le mal, le haut, le bas, la fatalité, la providence, le génie, le hasard, la société, le monde, la nature, la vie ; et au-dessus de tout cela on sentirait planer quelque chose de grand !

1103. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Le vieillard, assis sur la montagne, fait l’histoire des deux familles exilées ; il raconte les travaux, les amours, les soucis de leur vie : Paul et Virginie n’avaient ni horloges, ni almanachs, ni livres de chronologie, d’histoire et de philosophie. […] Enfin, cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait aux grandes scènes rustiques d’Hésiode, d’Homère et de la Bible ; mais elle rappelle quelque chose d’ineffable, comme la parabole du bon Pasteur, et l’on sent qu’il n’y a qu’un chrétien qui ait pu soupirer les évangéliques amours de Paul et de Virginie.

1104. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 22, quelques remarques sur la poësie pastorale et sur les bergers des églogues » pp. 171-178

C’est avec la guitare sur le dos que les païsans d’une partie de l’Italie gardent leurs troupeaux et qu’ils vont travailler à la terre : ils sçavent encore chanter leurs amours dans des vers qu’ils composent sur le champ, et qu’ils accompagnent du son de leurs instrumens. […] S’il en est quelques-unes où la passion parle toute pure, et dont les auteurs n’invoquerent Apollon que pour trouver la rime, combien d’autres sont remplies d’un amour sophistiqué qui ne ressemble en rien à la nature.

1105. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Alors il mit à les réédifier tout son amour, et ses dernières forces, encore très nerveuses. […] Ils sont gentils, avec un air qui parle de courtoisie et de fine amour. […] Amour monstrueux qui me condamne à aimer un ennemi abhorré !  […] J’étais jeune, j’allais à des rendez-vous d’amour et je méprisais les morts. […] Je ne connais pas de baume contre le mal d’amour !

1106. (1927) Des romantiques à nous

Il l’a portée dans l’amour et la politique. […] Mais Saint-Lambert, c’est l’amour, sujet brûlant, et qui peut allumer par surprise l’incendie. […] Ce fut comme un dogme de la religion de l’amour romantique. […] Il est vrai que toutes les chansons sont d’amour ; et tous les rêves. […] Le mariage tardait parce qu’ils n’avaient que leur amour à mettre en commun.

1107. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Montrez-le-moi, ce mortel privilégié : son imagination a tenu toutes ses promesses ; l’amour l’a conduit par la main ; heureux époux, père plus heureux encore, il n’a acheté par aucun tourment le charme des affections du cœur ; il a connu les agréments de la société sans ignorer les plaisirs de la solitude ; il n’a rencontré sur sa route que des hommes bons et généreux, et lui-même n’a jamais vu au fond de son âme que des pensées douces et calmes qu’il s’est plu à entretenir ; il a joui de ses souvenirs comme il avait joui de ses espérances ; il a trouvé dans le passé le gage de l’avenir : montrez-le-moi ! […] Il y songea dès 1811, et il est à croire que, dans sa pensée primitive, l’amour sans bonheur de la pieuse Antigone et du généreux Hémon devait consacrer sous une forme idéale et antique les sentiments dont il était plein : « L’amour et le malheur ont été une même chose pour eux : pour eux la mort et l’hymen devaient aussi être une même chose. » Mais peu à peu, et quoiqu’à le bien entendre ce fonds personnel soit encore ce qui anime le reste, la pensée du poëte se généralisa, s’agrandit, et, chemin faisant, recueillit des impressions successives. […] N’auras-tu pas toujours la paix de la conscience, les louanges des hommes et l’amour des Dieux ?  […] Ce mal est si beau dans de tendres jeunesses, il tient de si près au dévouement et à l’amour des hommes, il est, pour ainsi dire, si sacré, qu’on est tenté de l’envier pour soi, bien loin d’essayer chez d’autres de le guérir. […] Fauriel parlait toujours de Mme Récamier comme étant la Béatrice de Ballanche, car son adoration pour elle rappelait l’amour de Dante pour la divine Béatrice : il devait y avoir eu une semblable étincelle d’amour céleste dans ces deux âmes. » Et plus loin, à une période bien plus avancée de la vie de Mme Récamier : « Le premier objet de son intérêt était M. de Chateaubriand ; mais elle avait d’autres amis, et M.

1108. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

C’est le bon Pan, le grand pasteur…, qui, non seullement ha en amour et affection ses brebiz, mais aussi les bergiers. […] Ce sentiment ne peut être que l’amour de Dieu : où donc y aurait-il un centre, s’il n’était pas là ? […] Religion, c’est union avec Dieu, vie en Dieu ; obéissance, amour, fidélité. […] Or, s’il en était ainsi, si la notion de devoir et d’amour était réellement anéantie, le langage de l’Écriture serait une énigme pour nous. […] Ce principe, on l’appelle, selon le point de vue, devoir, sens moral, conscience, amour, Dieu.

1109. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Les exaltations de cette première flamme, que des obstacles vinrent traverser, respirent dans ses premiers ouvrages, dans Les Dernières Aventures du jeune d’Olban, fragments des amours alsaciennes (Yverdon, 1777), et dans un volume d’Élégies en deux parties, également imprimées à Yverdon en 1778. […] Un bon nombre des élégies de Ramond parurent, en effet, dans ce même Journal des dames (avril 1778), sous ce titre : Les Amours d’un jeune Alsacien. […] On y découvrirait pourtant quelques notes avant-courrières d’un lointain printemps, par exemple : Je suis seul, mécontent, au sein de la nature ; Quand tout chante l’amour, à mes sens moins émus Tout est muet, et l’onde, et l’ombre, et la verdure ; Avec le monde, hélas ! […]         Dégage-toi d’un sein rebelle,         Franchis ta barrière mortelle ;     Vole, ô mon âme, à la voûte éternelle, Holocauste échappé des flammes de l’amour !

1110. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Ici je viens pleurer sur la roche d’Onelle De mon premier amour l’illusion cruelle ; Ici mon cœur souffrant en pleurs vient s’épancher… Mes pleurs vont s’amasser dans le creux du rocher… Si vous passez ici, colombes passagères, Gardez-vous de ces eaux : les larmes sont amères. […] Si l’on pouvait s’identifier au printemps, forcer cette pensée au point de croire aspirer en soi toute la vie, tout l’amour qui fermentent dans la nature ! […] Et le moment où tout ce qui d’abord n’était que fleur sans feuille n’est plus que germe et feuillage, où les amours des végétaux ont cessé, et où la nutrition du fruit commence : 22 mai. — Il n’y a plus de fleurs aux arbres. Leur mission d’amour accomplie, elles sont mortes, comme une mère qui périt en donnant la vie.

1111. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Salammbô s’est montrée ; elle aussi, d’un coup d’œil, elle a versé l’ivresse ; et voilà ces chefs ambitieux, avares ou cupides, qui vont être déterminés dans leur conduite future par l’amour que ce simple coup d’œil leur a mis au cœur. […] Toute cette traduction à la carthaginoise des signes avant-coureurs de l’amour, tout ce tatouage, un peu renouvelé d’Atala et de Velléda, est habilement exécuté. […] Il est vrai que l’auteur, au lieu de faire Mâtho doucereux, s’est appliqué à garder à son amour un caractère animal et un peu féroce. Mais toute la différence de lui aux autres héros de roman ne sera que dans cette forme donnée à un amour, également invraisemblable d’ailleurs comme mobile et comme ressort principal.

1112. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Il est de certaines époques de l’histoire, dans lesquelles l’amour de la gloire, la puissance du dévouement, tous les sentiments énergiques, enfin, semblent ne plus exister. […] Pour dompter de tels conquérants, pour relever de tels vaincus, il fallait l’enthousiasme, noble puissance de l’âme, l’égarant quelquefois, mais pouvant seule combattre avec succès l’instinct habituel de l’amour de soi, et la personnalité toujours croissante. […] Ils les aimaient, ils leur étaient fidèles, ils leur rendaient un culte ; ils pouvaient éprouver quelque sensibilité par l’amour. […] Le christianisme, en faisant du mariage une institution sacrée, a fortifié l’amour conjugal, et toutes les affections qui en dérivent.

1113. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Par un hasard singulier, sa foi fut récompensée : elle finit par se reposer dans un amour absurde et un mariage ridicule, qui fut heureux. […] Il ne faut pas méconnaître que Mme de Staël a été inspirée dans son libéralisme par un ardent amour de l’humanité, par un désir généreux de liberté, de justice et d’égalité, par une bonté large, dont les libéraux et les doctrinaires ne se sont pas toujours inspirés. […] Dieu, en son infinité, est bien cet objet d’amour infini qu’elle a cherché à travers tant d’expériences douloureuses. […] Dieu donnait à son esprit l’infini de la science comme à son cœur l’infini de l’amour.

1114. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Peut-il exister en dehors des divers systèmes politiques, aux confins des doctrines qui se combattent et se font la guerre, un terrain plus ou moins neutre, une sorte de lisière, où l’on est bien venu à errer un moment, à rêver, à se souvenir de ces choses vieilles comme le monde et éternellement jeunes comme lui, du printemps, du soleil, de l’amour, de la jeunesse ; à se promener même (si la jeunesse est passée) un livre à la main, et à vivre avec un auteur d’un autre âge, sauf à en raffoler tout un jour et à demander ensuite, en rentrant dans la ville, à chaque passant qu’on rencontre : L’avez-vous lu ? […] Mais l’essentiel est que ce droit un peu vague, bien que si réel, ne soit jamais supprimé, et que jamais les doctrines régnantes, au nom même du salut commun, ne puissent dire au poète, au littérateur, à l’érudit curieux, comme dans la banlieue d’une place de guerre le génie militaire dit à l’honnête homme, qui a sa métairie avec son petit bois et sa source d’eau vive : « Monsieur, nous avons besoin de ce petit coin qui vous sourit : il entre dans nos lignes, il nous le faut ; voilà le prix, soyez content, mais vous n’y rentrerez pas. » Ceux qui vivent des lettres, de l’amour des livres et des études, de ces passions après tout innocentes et désintéressées, peuvent céder un moment ce coin de leur être et le prêter à la chose et à la pensée publique, ils le doivent dans les cas urgents ; mais, ce cas cessant, ils rentrent de plein droit dans leur domaine. […] Rien de plus simple, on le voit ; c’est le début de Manon Lescaut, ou de Daphnis et Chloé demeurant rue Saint-Denis, et de tant d’autres romans où la passion n’ira pas si loin ; c’est le commencement de toutes les faciles amours. […] Louise passera ainsi de l’amour pour Eugène au caprice pour Hubert, et finalement les quittera tous deux pour aller retrouver un des beaux seigneurs de la terrasse, qui l’a relancée jusqu’à ce château.

1115. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Les mêmes détracteurs des Symbolistes affectent surtout un dédain suprême pour Vielé-Griffin dont les Cygnes, la Chevauchée d’Yeldis et le dernier livre, l’Amour sacré, avec ses légendes de Sainte Agnès ou de Sainte Julie sont de pures beautés. […] c) Citons comme exemple du troisième type (3 + 6 + 3) les vers suivants : La saison | des renoncules d’or, | la saison Qui transfor | me en scintillant écrin | le gazon, Reparaît ; les yeux baignés d’amour, elle éveille La fourmi dans ses greniers blottie, et l’abeille Attendant, sous l’abri tiède et clos, le moment Où la fleur, dont le bouton hâtif pointe à peine, Va s’unir, alourdie et pâmée, à l’amant. […] Il y en a de douces aussi parmi les rimes masculines, celles, par exemple, qui sont suivies d’une consonne qui se prononce, comme amour, sœur ; dans le cas contraire, les rimes masculines sont énergiques. […] Voici par exemple le beau poème de Verlaine : En sourdine : Calmes dans le demi-jour Que les hautes branches font, Pénétrons bien notre amour De ce silence profond.

1116. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Ils l’essayèrent sans nul doute, par goût de la distinction et par amour de l’esprit. […] Telles sont les expressions citées par Somaize : avoir un œuf caché sous la cendre, pour dire avoir de l’esprit et n’en avoir pas la clef ; il me semble, monsieur, que vous avez des quittances d’amour, pour dire des cheveux gris. […] On résolut de faire des discours : Racan parla contre les sciences, Chapelain contre l’amour, Gombauld sur le Je ne sais quoi.

1117. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Il a ajouté à l’éclat des grands talens, le mérite des plus hautes vertus : c’est plus qu’il n’en faut pour consacrer son nom à l’amour & au respect, autant qu’à l’immortalité. […] Jamais la vertu n’emprunta, pour parler aux hommes, un langage plus enchanteur, & n’eut plus de droit à notre amour. […] Ses sentimens sur l’amour de Dieu exciterent des débats.

1118. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Lord Byron, — pour qui ne croit pas ce qu’il dit, car il ne faut pas toujours le croire, — Lord Byron n’est qu’un artiste, qui n’aime que son art, et qui, quand il fait l’amour, pense à son art encore, le fait dans une vue d’art supérieur qui ne le quitte jamais, même sur le cœur de sa maîtresse. […] Mirabeau se vantait un jour à Sophie d’avoir eu, dans sa vie, quelques milliers d’amours, et on pouvait le croire, ce fier monstre, en le regardant… Mais Byron n’était pas cette tonne de sang de Mirabeau où la corruption finissait par allumer le phosphore. […] , dans Lara, ce poème fait avec dix mystères, Kaled, le page, aime d’un amour sans sexe le maître de sa vie.

1119. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Ne devrait-elle plus attendre qu’une de ces époques déjà signalées dans le monde, où la science des choses matérielles avait détruit le sentiment de l’idéal, où la force et le travail tenaient enchaînées dans un vulgaire bien-être des millions d’intelligences éteintes à l’amour de la liberté civile et des arts ? […] On ne peut donc en douter : à cette race sans nom, et ce peuple multiple et mêlé qui s’étend si loin du nord au sud de l’Amérique, appartient déjà le meilleur des enthousiasmes patriotiques, celui qui tient à la liberté comme au sol, et qui a respiré l’amour des lois avec l’air natal. […] Religion, liberté, patriotisme, culte des lois, amour des arts, où que vous soyez, il peut toujours, quand vous êtes, s’élever un poëte lyrique !

1120. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IX » pp. 77-82

Assurément ce n’est pas là le commencement d’un amour romanesque, à moins qu’on n’appelle ainsi un amour né du respect le plus profondément senti et d’une vive sympathie de vertu.

1121. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVII » pp. 298-304

Une lettre de madame de Maintenon à madame de Saint-Géran, sans date, mais probablement du mois d’avril ou de mai 1671, fait connaître un incident survenu dans les amours du roi et de madame de Montespan. […] Toutefois, l’accès de piété, éprouvé par le roi, plus vivement que par madame de Montespan, était déjà une de ces alternatives qui marquèrent si longtemps le refroidissement de son amour.

1122. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Clément Marot, et deux poëtes décriés, Sagon & La Huéterie. » pp. 105-113

C’étoit moins l’amour de son pays qui l’affectoit, que l’idée de triompher de l’envie & des auteurs de ses désastres. […] Avant que de se lever, Honneur harangue la compagnie, & dit aux convives : De paix devriez être bons amateurs, Vivre en amour comme frêres & filz De Minerve, disant de Discord, sy ; Et vous tenir d’Apollo le begnin Vrays zélateurs, déchassant tout venin.

1123. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Guarini, et Jason de Nores. » pp. 130-138

C’est l’Amour même qui parle dans le Pastor Fido. […] On convenoit en général que l’amour est mieux traité dans le Berger fidèle que dans l’Aminte.

1124. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 25, des personnages et des actions allegoriques, par rapport à la poësie » pp. 213-220

Le lecteur fera de lui-même la reflexion que Venus, l’amour, Mars et les autres divinitez du paganisme, sont des personnages historiques dans l’éneïde. […] Ainsi Minerve, l’amour et Jupiter même ne doivent pas y jouer un rolle principal.

1125. (1894) Critique de combat

De belles dames qui font de même au jeu de l’amour et du hasard ! […] France en est resté à ses premières amours. […] L’amour est un des mystérieux ressorts de la politique, etc. […] Malauve est repris d’un désir fauve et, dans la maison funèbre, c’est une folle nuit d’amour. […] Il dit, par exemple, du mal de l’amour.

1126. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

C’est l’Astrée, du sieur Honoré d’Urfé, ce roman pastoral qui met en scène des bergers et des bergères enrubannées plus habiles à deviser d’amour qu’à conduire des chèvres et des moutons. […] , c’est l’amour. […] Les rochers et les bois n’entendent nuit et jour Que de pauvres bergers qui se plaignent d’amour. […] En proie à l’amour du passé, regrettant toujours d’inutiles fadaises, antique, moyen âge, rococo, bonnet rouge et jamais actuelle, elle assiste au travail émouvant de son siècle en mal de vérité, sans même paraître s’en apercevoir… » Je n’ai point ici à juger si la poésie a répondu brillamment à cet appel. […] Comment laisser de côté Lamennais, qui, vers la même époque, faisait entrer dans ses ardentes tirades : l’évangile, la liberté, la démocratie, la Pologne, éléments bien divers qu’unissait pourtant un grand souffle de fraternité, un amour sincère et violent des petits et des opprimés ?

1127. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

— Herbe qui rallume l’amour éteint. […] L’amour, l’amour qu’on rêve ascétise et fornique. […] Ô terrible frisson des amours novices sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux. […] Ils se complaisent dans le rare et poussent l’amour de l’unique jusqu’au culte du décadent. […] — La bergeronnette ou hochequeue ; on s’en servait dans les enchantements dont le but était d’inspirer de l’amour.

1128. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Ici, comme on ne veut pas bâiller et comme on ne peut pas se tourner le dos, on cause d’amour. […] On avait l’amour de la règle. […] Ce qu’il chante, c’est son amour, sa douleur, ses joies, ses espérances infinies. […] L’artiste aperçoit en toutes choses l’Amour et la Vie. […] Corrège eut le même don et le même amour.

1129. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Ariane, ma sœur, de quel amour blessée Vous mourûtes, aux bords où vous fûtes laissée ! L’harmonie de ces deux derniers vers évoque la vision du rivage où Ariane se meurt lentement d’amour. […] nous rendrez-vous l’amour ? […] Le saint ordre de paix ; d’amour et d’unité. […] Un jour, le roi Behram-Gor était aux pieds de la belle Dail-Aram. « Il lui disait son amour ; elle lui répondait le sien.

1130. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

C’est un récit assez embrouillé, et qui contient beaucoup de scènes d’amour. […] quel amour filial ! […] Jamais l’Amour n’eut un chantre pareil. […] C’est que leur amour est autrement tendre que celui de l’homme. […] Certes, il se peut que j’en parle avec exagération  : et même je l’espère car il n’y a pas d’amour sans exagération, et là où l’amour fait défaut, l’intelligence est absente.

1131. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Dédaignant en amour et mystère et dignité, ne cherchant ni ne fuyant le scandale, il devait se faire un système mitigé du temps ; amoureux avant tout de sensualités et de repos, une licence régularisée et organisée était son fait ; il le pressentit, et après quelques liaisons dans lesquelles ses goûts s’étaient essayés avec indécision et inconstance, il finit, sous les yeux d’une chaste épouse et d’un fils austère, à la face de la France et de l’Europe, par conclure un arrangement, c’est le mot, avec madame de Pompadour. […] Mais lisez madame du Hausset, et elle vous apprendra quels ministres étaient bien ou mal avec madame, et pourquoi ; ce que c’était que le petit abbé de Bernis, qui menait de front une poésie légère, une intrigue d’amour, une partie de chasse et une guerre désastreuse ; ce que c’était que M. de Choiseul qui le supplanta, grand seigneur, de fort bonne mine, si ami de madame qu’on le disait doublement ministre du roi, et de quelle honnête manière il décachetait les lettres avec un gobelet d’eau tiède et une boule de mercure ; vous y verrez comment Machault fut ingrat envers sa bienfaitrice qui avait payé ses dettes, et comment elle brisa cette créature infidèle ; vous y remarquerez surtout la disgrâce de d’Argenson, ministre ennemi de la marquise : ce jour-là, il y eut des évanouissements et des sanglots ; la femme de chambre apporta des gouttes d’Hoffmann ; le roi lui-même arrangea la potion avec du sucre, et la présenta de Voir le plus gracieux à madame.

1132. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Ce que j’ai toujours eu, c’est l’amour de la vérité. […] Le monde est en train de se laisser envahir par des races tristes, qui n’ont jamais su ce que c’est que jouir, races dures, sans sympathie, qui n’ont ni l’amour ni l’estime des hommes.

1133. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

L’amour physique, par exemple, mais c’est d’ordinaire tout pomponné, tout frais, satin et rubans et mandoline, rose au chapeau, des moutons pour un peu, qu’il apparaît au « printemps de la vie ». […] Et puis, il va si loin parfois, l’amour physique, dans nos têtes d’âge mûr, quand nos âges mûrs ne sont pas résignés, y ayant ou non des raisons. […] L’amour de la vie dans l’art n’a-t-il pas fait voir à M.  […] C’est aussi sous la dictée de l’amour de la vie dans l’art que M.  […] Esprit d’homme de lettres, idées moyennes, sensations cordiales bourgeoises — nul plus mauvais « chantre » de l’amour.

1134. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Les épreuves de Stella ne commencèrent pas le jour où elle se vit trahie pour une autre femme ; elle souffrit dans son honneur, bien avant de souffrir dans son amour. […] On se plaint de l’observation du dimanche, mais on oublie l’utilité des églises pour les marchés, les rendez-vous d’affaires et d’amour, et surtout le sommeil. […] Au commencement de 1712, elle avoua son amour à Swift et lui offrit sa main. […] Dans ce poème de Cadenus et Vanessa, plein de tristes beautés, où il exhorte Vanessa à une sorte d’amour platonique, lui offrant, dit-il, « un perpétuel délice d’esprit, appuyé sur la vertu, plus durable que les séductions de l’amour, et qui échauffe sans brûler » ; dans ce poème où l’on a pu voir un aveu d’intimité à travers ce passage équivoque : « Mais quel succès Vanessa a-t-elle remporté ? est-elle restée, pour plaire à son adorateur, dans ces hautes régions romanesques, ou descend-il pour elle à agir avec une fin moins séraphique, ou pour tout concilier, associent-ils les livres et l’amour ?

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