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1223. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

La curiosité scientifique me paraît une vertu, et il me répugne de n’y voir qu’une gymnastique de mon cerveau.

1224. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

— Monsieur, vous vous trompez, dit le pauvre, et Molière, inquiet de l’aventure : Où diable, a-t-il dit, la vertu va-t-elle se nicher ? À coup sûr, Don Juan n’est pas assez honnête homme pour faire la même réflexion que Molière ; il faudrait d’abord commencer par reconnaître la vertu. […] Je ne veux pas de ce jargon de femme-de-chambre à propos de la vertu perdue ! » Enfin Louis, resté seul, se dit à lui-même : « Je verrai Lauzun ; son esprit me convient, j’aime presque sa fourberie ; elle ne nous fait jamais bâiller comme les vertus collet-monté !  […] De même qu’il a donné son louis d’or au nom de l’humanité, de même Don Juan peut se faire tuer pour le premier venu, au nom de ce point d’honneur qui remplace tous les genres de vertus, pour ces mauvaises et élégantes natures. — Arrive alors la scène du tombeau.

1225. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Son but, c’est de travailler à la déification des hommes, tantôt par la célébration de leurs vertus, et de leurs beautés, tantôt par l’exécration de leurs laideurs et de leurs crimes. Il faut donc que le statuaire, que le peintre, de même que le chanteur, parcoure un vaste diapason, qu’il montre, la vertu tour à tour lumineuse et assombrie, dans toute l’étendue de l’échelle sociale, depuis l’esclave jusqu’au prince, depuis la plèbe jusqu’au sénat. […] L’image du vice, comme de la vertu, est aussi bien du domaine de la peinture que de la poésie : suivant la leçon que l’artiste veut donner, toute figure, belle ou laide, peut remplir le but de l’art. […] — S’il répond oui, je propose de lui décerner un prix spécial de vertu ; il aura poussé la modestie à ses dernières limites. […] Hugo, je vous ferai remarquer, en toute humilité, qu’on n’a pas eu de peine à ramasser ces niaiseries, vu qu’elles n’ont aucunement changé de valeur, que personne ne les a oubliées, et que ce qu’on nommait un défaut chez le poète, il y a trente ans, n’est pas, que je sache, considéré aujourd’hui comme vertu.

1226. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Comptez enfin les bas-reliefs, les statues des frontons, des métopes et de la frise, surtout l’effigie colossale de la cella intérieure, toutes les sculptures de marbre, d’ivoire et d’or, tous ces corps héroïques ou divins qui mettent sous les yeux de l’homme les images accomplies de la force virile, de la perfection athlétique, de la vertu militante, de la noblesse simple, de la sérénité inaltérable, et vous aurez une première idée de leur génie et de leur art. […] Nous ne comprenons pas de primesaut nos mots un peu généraux ; ils ne sont pas transparents ; ils ne laissent pas voir leur racine, le fait sensible auquel ils sont empruntés ; il faut qu’on nous explique des termes qu’autrefois l’homme entendait sans effort et par la seule vertu de l’analogie, genre, espèce, grammaire, calcul, économie, loi, pensée, conception, et le reste. […] En effet, votre famille paternelle, celle de Crilias, fils de Dropide, a été louée par Anacréon, Solon et beaucoup d’autres poètes, comme éminente en beauté, en vertu, et dans tous les autres biens où l’on met le bonheur. […] Pour le Grec, en effet, la nature est une conseillère d’élégance, une maîtresse de droiture et de vertu. […] Platon, dans le Théagès, dit, en parlant d’un homme vertueux qui discourt sur la vertu : « Dans l’harmonie merveilleuse de ses actions et de ses paroles, on reconnaît le mode dorien, le seul qui soit véritablement grec. » 48.

1227. (1902) Propos littéraires. Première série

3º Enfin capable, à un moment donné, de mettre au service de sa vertu et de la vertu les très mauvais usages, tels que coquetterie, rouerie, mensonge et perfidie, dont, bon gré, mal gré, elle est restée comme pénétrée, comme saturée et dont elle se souvient naturellement, sans même y songer. […] La vertu aigrie par la vue du vice, c’est la définition de Mlle Jacquine. […] C’est la vertu qui a vu le vice et qui en est restée sèche et coriace comme une jeune branche de houx. […] La vertu est adorable ; mais elle a le tort de se voir elle-même dans les yeux des autres. […] Renan, parce que Renan, qui avait de l’esprit et qui n’avait pour défaut (lequel je vous souhaite) que d’en avoir trop, s’amusait quelquefois à dire que l’art valait la morale et que la beauté valait la vertu, ce qui est vrai, vu de Sirius, ou dit entre gens d’esprit.

1228. (1899) Arabesques pp. 1-223

Deux faits sont à l’éloge des symbolistes : une compréhension très nette des vertus propres au lyrisme et, corollairement, l’instauration du vers libre. […] On boira du vin à la fuchsine ; on mangera du veau mal cuit ; au dessert, on chantera ses vertus sur l’air de l’hymne russe. […] Or Nietzsche leur répond : « Je ne croirai qu’à un Dieu qui sache danser. » « — Tu es fou, cher petit, reprennent les empiriques, car la sagesse exige l’obéissance, la timidité, la défiance de soi-même, le culte des traditions, la tristesse… Et tu ne possèdes aucune de ces vertus. » Nietzsche se met à rire : « Mon plus cher moi-même est ma vertu. […] C’est grâce à ces deux vertus qu’il obligea son corps maladif de recouvrer plusieurs fois la santé et qu’il parvint à écarter ces avalanches d’inquiétudes et de doutes toujours suspendues sur la tête de ceux qui ne craignent pas de se colleter avec la pensée. […] Du jour où l’on tente de l’accommoder à une tactique, du jour où elle cesse d’être l’idéal pour devenir le thème ampoulé sur lequel la faconde de rhéteurs ambitieux brode de tonitruantes variations, elle perd toute vertu.

1229. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. […] Par exemple, au cours de sa recherche du souvenir récalcitrant : Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. […] Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. […] Autrement dit, la sincérité, pour devenir efficiente et génératrice de vérité au point où elle l’était chez Proust, il ne faut plus que ce soit une vertu, à laquelle on s’efforce, il faut que ce soit un vice, auquel on s’abandonne. […] On sent Proust lutter sans cesse contre la tentation, qui est la tentation normale, d’attribuer à l’objet aimé, à ses qualités, à ses vertus, à sa beauté une part efficiente dans le sentiment qui s’est attaché à lui.

1230. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Combien n’y a-t-il pas eu, autour de ce Léman de Genève ou de Vaud, de jeunes cœurs poétiques dont la voix n’est pas sortie du cadre heureux, étroit pourtant, et qui, en face des doux et sublimes spectacles, au sein même du bonheur et des vertus, et tout en bénissant, se sont sentis parfois comme étouffés ! […] L’œuvre d’Hogarth, qui lui tombait sous la main, lui déroulait l’histoire du bon et du mauvais apprenti, et les expressions de crime et de vertu, que ce moraliste-peintre a si énergiquement burinées sur le front de ses personnages, lui causaient, dit-il, cet attrait mêlé de trouble qu’un enfant préfère à tout. […] Cela, me disais-je, ne peut se passer se maintenir de la sorte que dans un ordre de société où cette rapidité dévorante ou futile, cette banalité qu’on appelle la mode ou la gloire, n’a pas flétri et usé les vertus.

1231. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Quand les sauvages pleurent un chef, les femmes chantent les louanges du mort, elles disent ses vertus et ses combats, et par moments, en présence du cadavre, elles rêvent le héros marchant encore dans sa force et dans sa beauté : ainsi font nos poètes avec leur fiction de Christianisme ; ils commencent par la plainte, la désolation, puis leur vient le regret de la dernière religion connue d’eux, et ils finissent quelquefois, en s’exaltant, par s’imaginer qu’elle vit encore. […] La poésie que je sens encore dans sa réalité, c’est la poésie intime, la grande élégie de Joseph Delorme : un enfant de génie, qui a cru à cette égalité dont on a assourdi ses oreilles dès le berceau ; un homme qui se sent le cœur grand, les passions énergiques et la tête puissante ; qui rêve, dans une société équitable, la gloire et les plaisirs qui lui sont dus, et qui se trouve, lui poète, dans un hôpital, occupé à disséquer des cadavres ; qui se plonge dans l’athéisme obscur de Bichat et de Cabanis, se dessèche avec Locke et Condillac, jette un regard sur leurs successeurs parlant de liberté, de devoir et de vertu, et ne trouve en eux que des sophistes ; homme du peuple, plein de sympathie pour ce peuple qu’il voit traité comme un vil troupeau, plein de dégoût pour toutes ces distinctions de rangs fondées sur une absurdité et sur une iniquité ; cherchant avec enthousiasme la vertu pour l’honorer, et ne sachant à quel signe la découvrir ; à la fois emblème de la souffrance de l’artiste et de celle du peuple ; et qui finit par prendre en mépris le monde et l’Humanité, ne voit dans l’univers qu’un destin aveugle, et, relevant sa tête hors du tombeau où il est déjà couché, et où, brisé par la souffrance, il hésite devant le suicide, exhale ses derniers moments en sanglots étouffés, en plaintes arides, en ironie amère, entremêlés de chants sublimes et d’efforts qui touchent à la folie.

1232. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

ce travail même, cette vertu forcée, mais enfin cette vertu de la nécessité, on me la reproche comme une vaniteuse soif de bruit qui obsède les oreilles de mon nom ? […] c’est par la vertu même de ce travail à mort qui est ma condition.

1233. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

L’objet de l’auteur est d’inspirer la vertu, en déclarant la guerre aux vices de la société. […] On a prétendu que les efforts continuels qu’elle fait pour démontrer l’impuissance de la raison, ne sont propres qu’à énerver l’ame, & à la priver de cette force, de cette énergie qui enfante les vertus. […] Heureux s’il avoit toujours respecté la Religion, & s’il n’avoit jamais fait rougir la vertu.

1234. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Quelquefois, ils se réunissent en grande cérémonie pour distribuer des prix de vertus — ce qui, soit dit entre parenthèse, serait beaucoup mieux dans les attributions du ministère de l’intérieur. — Ces jours-là ils arrivent en nombre, rayonnants de joie, car ils se font cette illusion qu’ils sont revenus à ce bon temps où ils pouvaient bavarder tout à leur aise dans une assemblée consultative ; un orateur désigné d’avance se lève, il déroule un cahier et se met à lire. Vous croyez qu’il va parler de vertu, de récompenses, d’art, de poésie ? […] Ce mouvement, purement utilitaire, qui couvre le monde entier d’un réseau de chemins de fer, qui pousse sur tous les océans des flottes de navires à hélice, qui bâtit de vastes usines, qui substitue chrétiennement la force de l’association à la faiblesse individuelle, qui brise les vieux liens qui nouaient l’essor de la société, qui détruit les hiérarchies conventionnelles, qui se préoccupe surtout des classes déshéritées et qui cherche à donner à chacun une somme de bien-être plus grand, de vertus plus hautes, d’intelligence plus rayonnante, ce mouvement a besoin d’être dirigé ; pourquoi la littérature ne se chargerait-elle pas de cette mission qui se rattache aux œuvres vives du corps social actuel ?

1235. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

ciel, que de vertus vous me faites haïr. […] Chacun de la vertu recherchait les caresses. […] Les trônes de leurs rois n’étaient point revêtus Des ornements de l’or, mais de ceux des vertus, etc. […] Quel fut le prix de ses rares vertus ? […] C’était justice ; car à part l’amour de la vertu qui règne dans les œuvres de l’abbé de Saint-Vilmer, on n’y trouve que défectuosités dans le plan et dans la versification.

1236. (1911) Nos directions

On discutera, on disputera de ses vertus philosophiques ou humaines, — mais il aura créé. […] La principale vertu dramatique de Phocas, c’est bien sa forme. […] Il est généreux avant tout ; son acte extrême ne peut être qu’un acte de générosité ; Candaule pousse à bout sa vertu principale. […] Elle vit donc d’une vertu indestructible, cette harmonie qu’il a rêvée vivante, en la fixant sur le papier ! […] Sa trop courte vertu lyrique, le XIXe siècle, après l’avoir en vain forcée, l’aura remise au point.

1237. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Il n’y a pas une noble tendresse du cœur humain qui n’ait sa note sur le clavier d’Homère ; il ne charme pas, il n’émeut pas seulement, il pétrit le cœur humain de vertus naturelles. […] Homère, dans cette sagesse précoce et accomplie qu’il attribue au héros d’Ilion, a eu évidemment pour but de montrer qu’Hector était né aussi propre à gouverner un jour sa patrie qu’à combattre pour elle ; à faire ressortir davantage la sauvage et capricieuse férocité d’Achille par opposition à toutes les vertus du fils de Priam ; enfin à redoubler le pathétique de la mort prochaine d’Hector par l’admiration et par le regret de tant de vertus fauchées dans leur fleur. […] La pierre du cercueil ne sut pas t’en défendre ; Et, de ces vils serpents qui rongèrent ta cendre, Sont nés, pour dévorer les restes d’un grand nom, Pour souiller la vertu d’un éternel poison, Ces insectes impurs, ces ténébreux reptiles, Héritiers de la honte et du nom des Zoïles, Qui, pareils à ces vers par la tombe nourris, S’acharnent sur la gloire et vivent de mépris !

1238. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Au fond, ce n’est que justice ; mais la justice n’est pas une vertu assez courante pour qu’on passe sous silence les actions honnêtes qu’elle inspire. […] Son couronnement a eu lieu au Là, s’il vous plaît, chez Boulanger, traiteur, à la barrière des Vertus. […] Quand l’auteur de Valentine, dans ses plaidoyers contre le mariage, veut perdre une héroïne, elle la fait descendre jusqu’à la faute en la poussant, par toutes sortes de circonstances indépendantes de sa volonté, sur une pente si douce, si insensible, qu’on ne s’en aperçoit pas ; de sorte que lorsque la femme honnête est devenue adultère, elle garde tout son charme et toute sa vertu aux yeux du lecteur ; chacun la plaint, la trouve malheureuse, et se dit : « A sa place, j’aurais fait comme elle !  […] Mais, de même qu’au lieu du mal poétique et du vice doré il peint le mal tel qu’il est et le vice hideux, au lieu du bien factice, il dépeint la vertu vraie, le bien réel.

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