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211. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Le bon goût dans les choses littéraires, et la méthode, cet autre bon goût qui est particulier aux sciences, le xvie  siècle n’en sut point le prix ni l’usage. […] En 1628, la Faculté de médecine le choisit pour faire le discours latin d’apparat, proprement dit le paranymphe, qui était d’usage à la réception des licenciés ; c’était une grande solennité scholaire. […] Il fallait pour cet échange mutuel entre tout le monde et quelques-uns et pour ce second travail de la dissémination des lumières la lente action de deux siècles, une langue à l’usage de tous, non plus latine ni pédantesque, l’influence paisible et bienfaisante des chefs-d’œuvre, un frottement prolongé de société, et la coopération gracieuse d’un sexe que les Saumoise de tout temps n’ont apprécié que trop peu ; en un mot il fallait, après Scaliger, que vinssent Mme de La Fayette et Voltaire. […] Pour le cardinal, son maître, homme d’État, il composa son livre des Coups d’État  ; pour son neveu, le comte Fabrice de Guidi, il fit en latin le petit traité de l’Étude libérale, à l’usage des jeunes gentilshommes ; pour un autre neveu, le comte Louis, le gros traité latin sur l’Étude militaire, à l’usage des guerriers instruits. […] Ç’allait être un beau jour pour lui, le plus beau jour de sa vie, que celui où la publicité de cet établissement unique eût été complète245 ; déjà la porte particulière à l’usage des savants était pratiquée sur la rue ; déjà l’inscription latine destinée à figurer au-dessus, et qui devait dire à tous les passants (aux passants qui savaient le latin) d’entrer librement, se gravait sur le marbre noir en lettres d’or ; Naudé touchait à l’accomplissement du rêve et du labeur de toute sa vie.

212. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

XI L’ambassade française à Naples était alors dirigée par le duc de Narbonne, émigré rentré d’Angleterre avec le roi Louis XVIII, mais émigré formé à Londres aux usages du régime constitutionnel, complètement rallié à la Charte française, cette transaction habile et loyale entre 89 et 1815, qui affermissait les rois et qui coïntéressait les peuples libres à la monarchie populaire. […] Le pape, selon l’usage, lui donna à dîner en grande cérémonie au Vatican le jeudi saint. […] Les liaisons sont des serments tacites que la morale peut désapprouver, mais que l’usage excuse et que la fidélité justifie. […] Le cavalier servant et l’époux, selon l’usage aussi du pays, s’entendaient pour adorer, l’un d’un culte conjugal, l’autre d’un culte de pure assiduité, l’idole commune d’attachements différents, mais aussi ardents l’un que l’autre. […] Mais si l’usage de tous les temps et le bon sens de tous les peuples ne suffisaient pas pour établir ici cette distinction entre le poète et le héros, M. de Lamartine avait pris soin de l’établir d’avance dans la préface même de son ouvrage. « Il est inutile, dit-il, de faire remarquer que la plupart des morceaux de ce dernier chant de Childe Harold se trouvent uniquement dans la bouche du héros que, d’après ces opinions connues, l’auteur français ne pouvait faire parler contre la vraisemblance de son caractère.

213. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Cette belle personne de l’âge de seize ans, qu’il se choisit pour se récréer la vue et pour s’entretenir avec elle lorsqu’il demeurerait seul, plutôt que pour aucun usage auquel il la pût appliquer, en ferait le principal ornement. […] Je lui avais bien dit que, pour vérifier sa critique, on irait à Bayle et qu’on resterait sur Bayle sans retourner à sa critique : c’est ce qui m’est arrivé, car l’article censuré m’amuse, puis me mène au suivant, et j’oublie M. l’abbé… » Marais n’est pas précisément un esprit fort ; il a des principes de religion ; ce n’est pas un pyrrhonien pur : il trouve précisément dans Bayle comme un moyen terme à son usage. […] Trois avaient paru (librairie Firmin Didot), lorsque je donnai ces articles. — On écrivait autrefois Matthieu Marais : l’éditeur a supprimé le t, et je vois que c’est assez l’usage aujourd’hui. […] Il s’agit là de ceux qui ont à parler en public, et qui ont à faire usage parfois de l’arme de l’ironie ou du ridicule ; la recommandation en ce qui les concerne est, on le conçoit, d’une importance bien plus grande encore, tout actuelle, pour ainsi dire, et tout immédiate : « Parcendum est maxime caritati hominum, ne temere in eos dicas qui diliguntur. » Il ne s’agit pas d’aller se moquer d’un personnage généralement aimé.

214. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Benoist qui aspire à nous en tenir lieu et à les résumer tous à notre usage. […] Sur l’orthographe de Virgile, le savant éditeur nous avertit qu’il a dû aussi transiger et céder quelque peu à l’usage, — au moins bon usage : « Il n’est pas possible, dit-il, dans l’état actuel des études grammaticales en France, d’adopter une orthographe scientifique pour un classique latin dont l’usage est répandu. » Cet aveu ne laisse pas d’être grave.

215. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

En effet, tantôt les écrivains reproduisent dans leurs œuvres cette vie intime, le jeu compliqué des sentiments qu’elle suscite et les conflits de volontés qu’elle amène ; tantôt, comme nous l’avons vu déjà, opposant leur idéal à la réalité, ils travaillent à changer dans le sens de leurs prédilections les traditions consacrées par l’usage ou l’organisation sanctionnée par le Code. […] Même quand le poète veut s’affranchir de l’usage, les comédiens et surtout les comédiennes l’y plient bon gré mal gré. […] Il se moque de ces appellations solennelles qui étaient encore d’usage entre père et fils. […] Les contes de Perrault, les fables de La Fontaine, à supposer qu’elles soient faites pour des enfants, quelques récits de Fénelon, voilà à peu près tout ce qu’on avait composé à leur usage, en dehors des livres de classe qui ne pouvaient point passer pour des livres d’agrément.

216. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Lucas-Montigny, et aujourd’hui c’est grâce à lui-même et à ses obligeantes communications que nous venons nous servir de quelques pièces dont il n’avait fait dans le temps qu’un usage plus restreint. […] Il lui demandait à elle-même de lui envoyer là-dessus des notes, des mémoires, dont il ferait ses délices : « Écris-les avec détail, tendresse et naïveté, disait-il ; fais pour mon usage une petite récapitulation des dates, des principaux événements de nos amours (à la fois si heureux et si infortunés), depuis que je te connais. » Il rédigea et ordonna ensuite tout cela en quelques Dialogues qu’on a jusqu’au sixième, lequel est resté interrompu. […] On a déjà pu remarquer l’usage fréquent de ces temps de verbe trop prononcés (prétérits définis, à la seconde personne du pluriel), que n’évitait pas non plus Rousseau. […] On a une brochure, alors imprimée, de lui, où il raconte par le menu et où il décrit les pompes et solennités touchantes dont la ville de Pontarlier fut le théâtre en cette occasion, et le repas donné aux notables du lieu par M. de Saint-Mauris, et les courses, de bague, vieil usage légué par les Espagnols, et les soixante bourgeois qui s’étaient formés en un corps de dragons volontaires, et les devises et les illuminations, enfin tout un bulletin naïf et sentimental.

217. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

En un mot, au style près, qui, soit par la longueur des phrases ou par l’usage de certaines expressions, fait quelquefois perdre à la narration une partie de ses graces, on ne peut s’empêcher d’admirer la fécondité de l’auteur, & son art à faire des tableaux agréables. […] Tantôt ce sont des figures outrées qui font un galimatias des termes pompeux de ciel, de soleil & d’aurore ; tantôt ce sont des saillies du Capitan Matamore, des mouvemens rodomonts qui ne laissent pas véritablement d’avoir de la grandeur & de la force, mais qui sont trop opposés aux usages, pour qu’ils puissent être goûtés des François. […] Il a fait de la piéce angloise le même usage que Virgile faisoit des ouvrages d’Ennius ; il a imité de Shakespear les deux dernieres scènes, qui sont les plus beaux morceaux d’éloquence qu’il y ait au théâtre. […] Je m’arrêterai principalement à l’éloge de la Ville de Moukden & de ses environs : Poeme composé par Kienlong, Empereur de la Chine & de la Tartarie actuellement regnant, accompagné de notes curieuses sur la Géographie, sur l’histoire naturelle de la Tartarie orientale, & sur les anciens usages des Chinois.

218. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Mais cette continuité d’usage et de ton dans la société cesse vers le moment où Louis XIV finit : au xviie  siècle, en remontant, c’est tout un ancien, tout un nouveau monde. […] Que de choses indispensables, de particularités à apprendre sur les usages, les habitudes, les circonstances journalières de la vie ! […] Quand le roi l’eut fait grand maître de l’ordre de Saint-Lazare, en même temps qu’il s’adonna beaucoup au cérémonial et prêta à jaser aux railleurs, Dangeau conçut une idée utile, honorable : il fonda une pension à l’usage des jeunes gentilshommes de l’ordre, et qui visait à être dans son genre un pendant de Saint-Cyr.

219. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Les mœurs espagnoles, les usages de Madrid et de la cour, les bizarreries et les monotonies de cette vie si nouvelle pour une Française et une amie des La Fayette et des Sévigné, y sont touchées avec une discrète ironie. […] Il veut savoir mener et manier des troupes sous toutes les formes et dans le plus fréquent usage. […] On ne peut nier qu’il n’ait, en effet, conquis par ses seules actions et ses services continuels l’avancement dont il fît un si heureux et glorieux usage.

220. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Alfieri s’était enhardi enfin ; il avait été présenté à la comtesse et, depuis deux ans environ, il était auprès d’elle, selon les usages du pays, sur le pied de cavalier servant. […] Ajoutez les mœurs et les usages de l’Italie que M.  […] La femme elle-même, souvent si légère ailleurs, y est dépourvue de toute coquetterie, ce vain masque d’amour et de toute inconstance… Les liaisons sont des serments tacites que la morale peut désapprouver, mais que l’usage excuse et que la fidélité justifie. » Stendhal, de même, qui savait si bien sa Rome et sa Florence, n’a cessé de nous montrer l’amour italien, exempt de toute coquetterie et de toute lutte maniérée et vaniteuse.

221. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Il y avait de la reine dans la manière dont Mme de Mondonville établissait cette domination à son usage : La Supérieure, disait-elle, donnera une fois le mois une audience à chacune des filles qui demandera de lui parler, les accueillera avec un visage serein, les écoutera paisiblement et charitablement, gardant un juste tempérament entre la familiarité et la pesanteur d’une trop tendue conversation… Enfin, elle se comportera de telle manière qu’elle ne les renvoie jamais mécontentes, s’il est possible. […] Sur quoi les railleurs avaient fait des vers satiriques, une espèce de parodie des Commandements de Dieu à l’usage des Filles de l’Enfance : Madame seule adoreras, Et l’Institut parfaitement. […] Elles garderont, était-il dit, un juste tempérament, qui ne fasse pas rire les fous et qui ne contriste pas les sages, qui ne les fasse pas remarquer par la légèreté de la mode, ni par le ridicule d’un usage passé… Elles seront bien propres sans curiosité, nettes sans délicatesse, et bien mises sans afféterie.

222. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

Franklin, là aussi, a essayé d’appliquer sa méthode : prenant le livre des Prières communes à l’usage des protestants, il a voulu le rendre plus raisonnable selon lui, et de plus en plus moral ; et pour cela il en a retranché et corrigé plus d’une partie ; il a touché aux Psaumes, il a abrégé David. […] Le tour de son esprit pourtant le ramène toujours à la pratique et à l’usage qu’on peut tirer de la science pour la sûreté ou le confort de la vie. […] Il part en octobre 1776 sur un sloop de guerre, n’oublie pas durant la traversée de faire, selon son usage, des observations physiques sur la température marine, et arrive sur la côte de Bretagne, dans la baie de Quiberon, d’où il se rend par terre à Nantes, puis à Paris (fin de décembre).

223. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Une autre chose qui ne choque pas moins, ce sont les petits usages des peuples civilisés. […] Des figures nues dans un siècle, chez un peuple, au milieu d’une scène, où c’est l’usage de se vêtir, ne nous offensent point. […] C’était l’usage des Grecs, nos maîtres dans tous les beaux-arts.

224. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Toutes leurs opinions étoient puisées de la boutique de quelque rêveur qu’ils suivoient en tout et partout… Ils vinrent à dire beaucoup de mots anciens, qui leur sembloient fort bons et très utiles en notre langue et dont ils n’osoient pourtant se servir, parce que l’un d’entre eux1 qui étoit leur coryphée, en avoit défendu l’usage. […] Ce rythme a de la cadence, une allure vive et sautillante, et, bien que la place, toujours la même, imposée aux césures, nécessite de nombreux enjambements, l’usage judicieux de ce mètre peut rendre de vrais services. […] Toute la Pléiade en acceptait l’usage, et cela beaucoup plus souvent qu’on ne le pense communément.

225. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Il y eut, en un mot, des muscadins, comme il y avait eu des sans-culottes ; mais ces muscadins étaient armés de bâtons courts et plombés en forme d’assommoirs, et en faisaient un fréquent usage contre les jacobins dans toutes les rencontres. […] Celui-ci conservait pourtant sa majorité conventionnelle ; il en fit usage au 18 fructidor contre lui-même et contre les Conseils pour sauver la Constitution ; mais il ne la sauva qu’en la violant, et, après cette première violation, aussi nécessaire que funeste, il ne sut plus prolonger son existence qu’à force de coup d’État, M. 

226. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Quand Jules Favre, plaidant pour un critique sévère par lequel un peintre de portraits se prétendait diffamé, disait : « Voici un écrivain assis sur le banc des criminels pour avoir trouvé que le bras de Medina-Cœli n’était pas assez accusé, et que sa robe était trop belle », l’accusation ainsi énoncée était plus qu’à demi réfutée, et il enlevait à l’adversaire l’usage de tous ces lieux communs sur le respect dû aux personnes et sur les empiétements de la critique, qui pouvaient faire impression sur le tribunal. […] C’est une arme facile à l’usage des gens qui sont à bout de raisons ou qui ne savent pas raisonner : que de discussions où l’on voit les adversaires se jeter mutuellement leurs vérités au nez, n’avoir souci que de se noircir réciproquement, sans toucher au sujet qui est en délibération, comme s’il suffisait de déshonorer son contradicteur pour prouver qu’on a raison sur un fait particulier !

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