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1340. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IX. »

C’est la magie du poëte de transformer ce qu’il touche ; c’est l’honneur de la pensée d’être plus précieuse que tout ce qu’elle décrit.

1341. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Certes c’est une Énéide dont le grand dessein ne nous touche plus, où le pieux Eudore va rejoindre dans notre indifférence le pieux Énée, et dont nous subissons le décor épique et le protocole du merveilleux avec une torpeur morne. […] Tous quatre sont des esprits pleinement intelligents, que la poésie touche, qui ont le goût de la perfection et le sens de la lumière, qui sont terriblement gênés par leur temps. […] Cette mode ne fait qu’effleurer Lamartine, ne touche point Hugo, ni le Sainte-Beuve critique. […] Moins le son de la lyre, que la lyre même, qui nous est tendue pour que nous la touchions et caressions. […] Vigny seul a eu le bonheur de toucher ici une corde sérieuse.

1342. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Car il la toucha malicieusement bien avant les fameux articles du Mercure en 1800. […] De la famille de Racine par le cœur et par les vers, il touchait à Voltaire par l’esprit et par le ton courant. […] Est-il possible que vous ne soyez pas touché « de tout ce que le Ciel a fait pour vous, et que vous « songiez à autre chose qu’à la Grèce sauvée ?  […] C’est par eux que vous pouvez voir et toucher toute votre machine. […] Mais, du moins, il en est quelques-unes pour qui l’heure ne compte pas, simples grâces que l’haleine divine a touchées en naissant, et qui ont la jeunesse immortelle.

1343. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Les événements intéressent ou touchent sans faire souffrir. […] Un sylphe touche de la racine magique les yeux du jeune homme, et change son cœur. […] Cette passion est un rêve, et cependant elle touche. […] Shakspeare effleure les objets d’une aile aussi prompte, par des bonds aussi brusques, avec un toucher aussi délicat. […] Agile, impétueux, passionné, délicat, son génie est l’imagination pure, touchée plus fortement et par de plus petits objets que le nôtre.

1344. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Ce sont deux modes de notre éducation, à la fois sensible et intellectuelle, qui se touchent dans la conscience, ne différant entre elles que par l’organe ou la faculté qui leur sert de véhicule. […] Il n’y a rien de petit et d’ignoble dans tout ce qui touche à l’amélioration de l’humanité. […] Ils supportent faim, misère, envies, railleries, sans en être touchés. […] Que ce soit là un des côtés de la réalité, je le veux bien ; que vous y touchiez une fois, soit ; mais toujours, cela passe les bornes. […] La touche de l’Enterrement est si dure, si rugueuse et si négligée, qu’on croirait volontiers que le peintre ne s’est servi, en guise de pinceau, que de son couteau à palette.

1345. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Dans le monde, réservé et froid, il aborde volontiers tous les sujets, sauf pourtant ceux qui le touchent d’un peu près. […] Ce sont livres d’un conteur de santé exubérante, de verve abondante, de gaieté bruyante, à la touche brutale, au rire cynique. […] Il s’est laissé toucher par le sentiment de l’universelle fraternité dans la souffrance, par la pitié douce et profonde. […] On voudrait convaincre par la force du raisonnement plutôt encore que toucher. […] C’est qu’ils ont été touchés par la grâce qui est la « sainte dynamite du bon Dieu ».

1346. (1890) Dramaturges et romanciers

L’âme ainsi touchée aura vécu et compris la vie, elle ne l’aura pas créée. […] Feuillet nous a fait toucher du doigt combien est mince la cloison qui sépare le crime du simple péché. […] Je veux pouvoir le mesurer de mon regard, le toucher de ma main, le nommer par son nom. […] Cependant, si la victime ne parvient pas à nous toucher, ses tortionnaires féminins nous inspirent en revanche tout le genre d’intérêt qu’elles méritent. […] Droz ; cela est peint en pleine pâte, enlevé avec vigueur, merveilleusement éclairé, bien vivant, bien turbulent, bien irritant, bien odieux ; la touche d’un véritable artiste est là.

1347. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Mais alors notre planète sera bien vieille et touchera aux termes de ses destins. […] Comme le feu duc de Broglie, M. de Barante touchait au terme de sa vie quand il entreprit d’écrire ses mémoires, et la mort a interrompu ce dernier travail. […] Il toucha, remua, changea les cœurs et vit à ses pieds les plus belles pénitentes. […] Mais cela ne touche en rien à notre grande affaire. […] Mais en deux bonds il remplit le reste de sa carrière et touche le but.

1348. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Elle mit la tête à la portière et lui cria publiquement : « Monsieur, vous êtes un maraud, un drôle, un fils de… » Touché de ce compliment, il accepta ses bonnes grâces, et obtint par contre-coup celles du roi. […] On développe tout haut les aventures de Mlle Warmestre la dédaigneuse, « qui, surprise apparemment pour avoir mal compté, prend la liberté d’accoucher au milieu de la cour. » On se répète tout bas les tentatives de Mlle Hobart, l’heureux malheur de Mlle Churchill, qui, étant fort laide, mais ayant eu l’esprit de tomber de cheval, toucha les yeux et le cœur du duc d’York. […] Ce n’est pas qu’ils ne puissent toucher les sujets graves ; mais ils les touchent à leur façon, sans sérieux ni profondeur. […] L’écrivain est un philosophe qui nous fait toucher dans un exemple particulier une vérité universelle. […] C’est pour cela qu’il n’y en a pas d’autre où la comédie, en restant comique, offre une morale ; Molière est le seul qui nous donne des modèles sans tomber dans la pédanterie, sans toucher au tragique, sans entrer dans la solennité.

1349. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Camille Lemonnier a touché à tous les genres ou presque, histoire, géographie, critique d’art, etc. […] C’est, dans la venelle qui touche à l’église, une maison à deux étages, bien vieille sous son crépi de chaux fraîche, et toute penchée. […] Triste amitié, au demeurant, dont aucune larme, aucun sourire, aucun plaisir d’amour-propre (les seuls qui touchent) ne paiera les délicats services ! […] Il a, par ailleurs, d’admirables élans, une tristesse infinie, et dans ses peintures une touche molle et douce qui est sa marque. […] Duruy en est loin, avec de belles prétentions à y toucher.

1350. (1921) Esquisses critiques. Première série

Et c’est peut-être ici que nous touchons ce qu’il y a de plus rare dans son talent. Il plante ses personnages avec une sûreté de touche et une décision qui leur donne immédiatement un air de généralité supérieure. […] Cela semble fait sans y toucher. […] Au reste, si l’on ne craint point de toucher à ces choses charmantes avec un pédantisme bien lourd, on peut partager les œuvres de M.  […] Sa vision est d’une extrême acuité ; la curiosité du détail caractéristique ne l’empêche pas de toucher la réalité profonde.

1351. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

La maison Courasse, attenant à la mienne, et déjà touchée deux fois par les obus prussiens, a une fente comme la tête, du toit aux fondations. […] Toute la méchanceté trouble de ce livre, je l’ai sentie, je l’ai touchée chez quelques jeunes gens, mais encore accrue, développée, mise en pratique fielleuse par une basse naissance. […] Ai-je touché à la vie libre et occupée de ce que j’aime ? […] C’est singulier, comme il faut aux documents historiques un enfoncement dans le passé, pour me toucher. […] Dire qu’au lendemain de l’entrée des Versaillais, on pouvait tout, on pouvait l’impossible, et l’on n’a pas touché à ce suffrage mortel.

1352. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Nous allons aujourd’hui vous entretenir de la sculpture, littérature éternelle, qui, au lieu d’écrire des sons pour la voix humaine, ou au lieu d’écrire des couleurs sur une toile pour l’œil, ou au lieu d’écrire des lettres sur un papier fragile pour la pensée, écrit en lettres de bronze ou de marbre des formes pour le toucher. La sculpture, en effet, est la littérature palpable, la littérature du toucher. […] D’ailleurs, deux sens sont convaincus et satisfaits à la fois par l’œuvre de l’artiste : l’œil voit, la main touche ; l’un de ces sens rend témoignage à l’autre, l’admiration enveloppe la statue par toutes ses faces ; la beauté, l’éclat et le poli de la matière d’où la statue semble naître immortelle, ravissent également le regard et le tact ; son éternité même imprime un respect de plus aux sens qui en jouissent.

1353. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Il nous reste à faire un appel à l’opinion, à cette grande majorité de spectateurs qui a applaudi Henriette Maréchal, à tout ce monde d’hommes et de femmes du Paris intelligent et lettré qui ne veut pas que la tyrannie de la politique ou l’exagération de la morale touche à ses plaisirs, à ses goûts, à ses sympathies. […] Au xxe  siècle que nous touchons, quelle place aura donc le livre et quelle place aura le théâtre ? […] C’est une détermination prise… je n’y puis rien. » Un peu touché toutefois par nos tristes figures, il ajoute : « Que Lireux vous lise et fasse son rapport, je vous ferai jouer, si je puis obtenir une lecture de faveur. » Il n’est encore que quatre heures.

1354. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

mille choses admirables, mille féeries incompréhensibles qui permettent à l’homme de vivre vingt fois plus et vingt fois mieux qu’autrefois ; quoi, nous avons pris de la terre glaise pour en faire un métal plus beau que l’argent, nous touchons à la navigation aérienne, et il faut s’occuper de la guerre de Troie et des panathénées ! […] Ils s’abattront en chantant sur ces terres incultes et inutilisées ; ils ouvriront des canaux, ils traceront des chemins de fer, exploiteront les forêts, défricheront les champs, élèveront des villes, bâtiront des ports, établiront des entrepôts et enrichiront tout ce que touchera leur main. […] Il faut, en un mot, que chacun puisse rapprocher, la toucher, la comprendre et lui donner le baiser de la communion.

1355. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Dans le premier cas, la maladie élimine purement et simplement certains états sans toucher aux autres. […] À peine la suggestion a-t-elle touché l’imagination que la chose suggérée se dessine à l’état naissant, et c’est pourquoi il est si difficile de distinguer entre une sensation faible qu’on éprouve et une sensation faible qu’on se remémore sans la dater. […] Disons donc, comme nous l’expliquions dans Matière et Mémoire 55, qu’il est à la perception ce que l’image aperçue derrière le miroir est à l’objet placé devant lui, L’objet se touche aussi bien qu’il se voit ; il agira sur nous comme nous agissons sur lui ; il est gros d’actions possibles, il est actuel.

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