/ 2819
1000. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Il ne voulait pas abandonner son frère tête à tête avec la mort, il aimait sa belle-sœur. […] Marchant d’un pas sûr et prudent, la tête un peu penchée en avant, et d’un air pensif, d’une figure bienveillante et d’une grande expression de dignité et de noble douceur, ou bien il baisse les yeux, ou bien il répond avec une politesse, avec une amabilité dépouillées de tout orgueil, aux témoignages d’affection et de respect des passants. […] Sa stature était de moyenne taille ; ses pieds et ses mains étaient petits et admirablement faits ; sa tête, au front haut et large, était garnie de cheveux d’un blanc d’argent ; ses yeux bleus étaient vifs, pleins d’expression et de jeunesse. […] Il marchait d’un pas rapide et inégal, la tête légèrement penchée.

1001. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Bakes, un jeune mameluco ou métis qui avait la tête farcie des légendes et des superstitions de son pays. […] VI En attendant, transportons-nous dans les solitudes méridionales de l’océan Indien ou à l’océan Austral ; il est nuit, l’étoile sur la Croix du Sud dessine son trépied sur nos têtes, un vaisseau de guerre nous porte depuis dix mois sans voir de rivage vers quelqu’une de ces îles grandes comme des continents. […] C’est le coup sourd des vagues qui s’amoncellent et qui viennent de minute en minute heurter les flancs du vaisseau ; ce sont les plaintes des madriers et des solives qui, dans cet immense chantier flottant, tendent à se détacher les uns des autres pour reprendre leur liberté ; ce sont les sifflements des ailes du vent à travers les voilures, dont cinq cents matelots intrépides prennent les ris ; le tumulte des hommes sur le pont tremblant, la voix et le sifflet du commandant, les voiles qui se déchirent et qui emportent dans les airs la force échappée de leurs plis, les mâts surchargés qui se rompent et qui tombent avec leurs vergues et leurs cordages sur les bastingages, le pas précipité des matelots courant où le signal les appelle, les coups de haches qui précipitent à la mer ces débris pour que leur poids ajouté au roulis du navire ne l’entraîne pas dans l’abîme ; le tangage colossal de ces débris mesuré par six cents pieds de quille, tantôt semble gravir jusqu’aux nuages la lame écumeuse et la diriger en plein firmament, tantôt, arrivé au sommet de la vague, se précipiter la tête la première, les bras des vergues tendus en avant dans l’abîme où il glisse, le gouvernail touchant au fond de l’océan ; les matelots suspendus aux câbles décrivent des oscillations gigantesques sur l’arc des cieux ; les canons détachés de leurs embouchures roulent çà et là sur les trois ponts avec des éclats de foudre ; à chaque effondrement du vaisseau entre des montagnes d’écumes qui semblent l’engloutir, un cri perçant monte de la prison des condamnés, puis des voix de femmes et d’enfants qui croient toucher à leur dernière heure. […] XVII Vous redescendez en silence, et vous entrez dans le sanctuaire en mesurant de l’œil au-dessus de votre tête le même abîme que vous mesuriez tout à l’heure au-dessous ! […] Aucun, si ce n’est ce mot qui fait incliner toute tête : Mystère !

1002. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

« Elle était vêtue, comme la sibylle du Dominiquin, d’un châle des Indes, tourné autour de sa tête, et ses cheveux, du plus beau noir, étaient entremêlés avec ce châle ; sa robe était blanche ; une draperie bleue se rattachait au-dessous de son sein ; son costume était très-pittoresque, sans s’écarter cependant assez des usages reçus pour que l’on pût y trouver de l’affectation. […] Ce triomphe n’avait été que d’un jour ; le lendemain, le peuple s’était indigné d’avoir accordé à son favori quelques têtes proscrites. […] Tout porte à croire néanmoins que, s’il eût fallu devenir le Malesherbes des femmes et offrir sa tête aux juges pour sauver celle de la reine, madame de Staël n’aurait pas hésité à se nommer et à se montrer. […] Il aurait su, ce peuple, qu’on apporta devant la fenêtre de Marie-Antoinette la tête de son amie. […] Défendez la reine par toutes les armes de la nature ; allez chercher cet enfant, qui périra s’il faut qu’il perde celle qu’il a tant aimée ; il sera bientôt aussi lui-même un objet importun, par l’inexprimable intérêt que tant de malheurs feront retomber sur sa tête ; mais qu’il demande à genoux la grâce de sa mère ; l’enfance peut prier, l’enfance s’ignore encore.

1003. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

La ligne droite, base fondamentale de ses statues, depuis l’orteil jusqu’au sommet de la tête, est plus longue et plus élancée que la ligne grecque ; les inflexions, plus hardies et plus étranges de cette ligne donnent aux traits, aux formes et aux mouvements de ses statues des nervures, des attitudes, des torsions, des majestés, des hardiesses qui dressent l’homme plus haut sur ses pieds et qui semblent faire escalader l’art jusqu’au ciel. […] Les écrivains florentins décrivent ce carton de Michel-Ange comme un poëme national, prélude du poëme universel de son Jugement dernier, et nullement inférieur à ce prodige du crayon et du pinceau : « Pendant que les soldats sortaient en hâte des ondes ruisselantes sur leurs membres, on voyait parmi eux, dit Vasari, par la main divine de Michel-Ange, la figure d’un vétéran qui, pour s’ombrager du soleil pendant le bain, s’était coiffé la tête d’une guirlande de lierre, lequel s’étant accroupi sur le sable pour remettre sa chaussure que l’humidité de ses jambes empêchait de glisser sur sa peau, et entendant en même temps les cris de ses compagnons et le roulement du tambour appelant aux armes, se hâtait pour faire entrer de force son pied dans sa chaussure mouillée ; en outre, ajoute Vasari, que tous les muscles et tous les nerfs du vétéran se dessinaient en saillie dans l’effort, toute sa physionomie exprimait son angoisse, depuis la bouche jusqu’à l’extrémité de ses pieds. […] Qu’on imagine l’invention libre dans la tête de Michel-Ange, les trésors de la catholicité à sa disposition, le ciseau dans sa main, le pape devant lui applaudissant à sa propre apothéose. […] La statue colossale de Moïse, dont la tête, reproduite depuis dans toutes les langues du dessin, s’est gravée dans la pensée des hommes comme une œuvre de la nature, n’a pas besoin d’être décrite pour être immortelle. […] Michel-Ange y avait perdu son temps, sa fortune et ses yeux ; sa vue resta plusieurs années affaiblie par l’attitude forcée de la tête, qu’il avait dû renverser en peignant la voûte.

1004. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Nous qui parlons, nous avons retrouvé et constaté à La Haye, dans une vitrine du musée japonais, l’impossible serpent de l’Orestie ayant deux têtes à ses deux extrémités. […] Le vase plein me tombe sur la « tête et s’y casse, odorant, mais autrement qu’une urne à parfums. » Qui dit cela ? […] Tout le groupe des têtes blondes chante, rit et joue au soleil sous les arbres. […] Ici la masure d’une épopée, là une tragédie démantelée ; de grands vers frustes enfouis et défigurés, des frontons d’idées aux trois quarts tombés, des génies tronqués comme des colonnes, des palais de pensée sans plafond et sans porte, des ossements de poëmes, une tête de mort qui a été une strophe, l’immortalité en décombres. […] On sait par les didascalies que les Perses furent représentés sous l’archonte Ménon, les Sept Chefs devant Thèbes sous l’archonte Théagénidès et l’Orestie sous l’archonte Philoclès ; on sait par Aristote qu’Eschyle osa, le premier, faire parler deux personnages à la fois ; par Platon, que les esclaves assistaient à ses pièces ; par Horace, qu’il inventa le masque et le cothurne ; par Pollux, que les femmes grosses avortaient à l’entrée des Furies ; par Philostrate, qu’il abrégea les monodies ; par Suidas, que son théâtre s’écroula sous la foule ; par Élien, qu’il blasphéma ; par Plutarque, qu’il fut exilé ; par Valère-Maxime, qu’un aigle le tua d’une tortue sur la tête ; par Quintilien, qu’on retoucha ses pièces ; par Fabricius, que ses fils sont accusés de cette lèse-paternité ; par les marbres d’Arundel, la date de sa naissance, la date de sa mort et son âge, soixante-neuf ans.

1005. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Il soutenait sa tête pensive ; sa main gauche, comme alanguie par l’excès des sensations, tenait un petit bouquet de pervenche et de fleurs des eaux noué par un fil, que les enfants lui avaient sans doute cueilli, et qui traînait, au bout de ses doigts distraits, dans l’herbe humide. […] Sa tête et le port de sa tête rappelaient trait pour trait en femme celle de l’Apollon du Belvédère en homme ; on voyait que sa mère, en la portant dans ses flancs, avait trop regardé les dieux de marbre. […] Des harpes et des vers, souvenirs d’une fête, Des livres échappés à des doigts assoupis, Et des festons de fleurs détachés de la tête,             Y jonchaient les tapis. […] Sur un nuage d’or une femme apparaît… Son sein était couvert d’une robe éclatante ; Du bandeau virginal sa tête se parait, Et son bras agitait la bannière flottante.

1006. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Au point de vue raccourci des multitudes, et c’est pour elles qu’on écrit l’histoire, toute faute de roi évoquée par l’histoire, avant de retomber sur la tête du monarque a trouvé plus haut la royauté qui en recevait toujours le premier coup. […] Ce qui n’a pas répugné à la prudence d’une pareille tête peut donc être osé sans péril. […] Après Luther, le théologien, après Calvin, l’homme d’État du Protestantisme, on vit s’élever les philosophes : Bacon, Hobbes, Gassendi, Locke, et, plus tard, l’Hydre aux mille têtes de l’Encyclopédie. […] Clément XIV, glissant la tête en bas dans les voies des concessions qui perdent tous les pouvoirs quand ils croient se sauver par elles, renonce à promulguer, comme ses glorieux prédécesseurs, le Jeudi-Saint, dans la basilique de Saint-Pierre, la bulle In Cœna Domini. […] Du reste, ce grand égarement d’une époque spirituelle, éclairée, polie, parce que ses passions lui remontèrent à la tête comme une congestion de sang impur, est un de ces faits qu’on ne saurait plus discuter.

1007. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

C’est alors que le Cid joua au plus fin et se ménagea un jeu à part ; trompant également le roi Mostaïn, dont il était l’allié, et le roi Alphonse appelé l’Empereur dont il continuait de se dire le vassal, il ne songea, à la tête de son armée, qu’à pousser ses propres affaires, comme le plus osé et le plus habile des trois larrons. […] Le comte sort à la tête de cent chevaliers gentilshommes et se met à défier Diègue, fils de Laïn Calvo : « Laissez mes lavandières, fils de l’alcade citadin… » Il paraît que Diègue était d’une origine immédiatement bourgeoise ou citadine, quoiqu’il prétendît à une descendance royale éloignée. […] Les premiers vers du poème manquent ; le Cid banni nous apparaît tout d’abord pleurant à l’aspect de sa maison et des biens qu’il va quitter : « Pleurant très-fortement de ses yeux, il tournait la tête et il les regardait. […] Voir les réflexions en tête de la chanson latine sur le Cid, publiée par lui, pages 284 et suiv. du volume intitulé : Poésies populaires latines du Moyen-Age, 1847.

1008. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Il faut que ceux qui marchent à la tête d’une pareille nation y gardent toujours une attitude fière, s’ils ne veulent laisser tomber très-bas le niveau des mœurs nationales. […] A ce signal, une grande partie de la classe moyenne donnait l’exemple de la faiblesse ; elle demandait à grands cris qu’on pliât, qu’on évitât la guerre à tout prix : le sauve qui p. ut était général, parce que l’exemple était parti de la tête. […] Nous allons maintenant passer par toutes les phases, pour ainsi dire, de la délibération de Tocqueville ; car nul esprit ne se faisait autant d’objections au préalable et ne pourpense en lui-même davantage avant d’entreprendre : tous les mais, les si et les car, qui peuvent entrer dans une tête réfléchie, il les agitait auparavant et les pesait avec soin dans sa balance : « Il y a longtemps déjà, continuait-il, que je suis occupé, je pourrais dire troublé, par l’idée de tenter de nouveau un grand ouvrage. […] Je voudrais bien que tu m’aidasses à y voir plus clair… » Les sceptiques pourraient bien avoir raison : cette philosophie des faits, tirée à distance, avec tant d’effort, et qui varie au gré de chaque cerveau, ne prouve guère, après tout, que la force de tête et la puissance de réflexion de celui qui la trouve.

1009. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Quoiqu’il n’eût point un commandement en son nom, comme il avait paru le désirer d’abord, Jomini, replacé ainsi à la tête de l’état-major du maréchal Ney le 4 mai 1813, c’est-à-dire le surlendemain de la bataille de Lutzen et quelques jours avant celle de Bautzen, se retrouvait plus que jamais dans sa sphère et dans son élément, à même de rendre les plus grands services. […]  » Oudinot, Macdonald, Ney, placés à la tête d’armées secondaires, justifièrent trop bien le pronostic dès cette reprise d’armes et furent successivement battus. […] Ajoutez à cela que l’ambassadeur d’Angleterre, lord Cathcart, se mêlait aussi des opérations55. » Le peu d’entente inévitable dans un conseil formé d’autant de têtes se trahit tout d’abord pour l’attaque de Dresde. […] Il y eut un moment où Ney, battu du canon en flanc dans sa marche, n’y tint pas et fit tête de colonne à droite malgré tout ce que put lui dire Jomini, à qui il ferma la bouche avec ce propos de soldat : « Je n’entends rien à toute votre sac… stratégie ; je ne connais qu’une chose, je ne tourne pas le dos au canon. » 51.

1010. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Les proportions générales se sentent mieux, et les individus de génie détachent seuls leur tête. […] J’ai parlé des excellentes petites biographies et des notices en quelques lignes, mises à la tête des extraits. […] Avertissement en tête des Disputations chrétiennes, 1552. […] Voir, en tête de l’édition du Cours de Littérature de La Harpe (1826), l’excellent, le complet Discours préliminaire, non signé, mais qui trahit, à chaque ligne et sur chaque point, l’exacte critique de M.

1011. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Le préjugé et l’intérêt pourraient seuls en ternir l’évidence ; mais jamais cette évidence ne manquera à une tête saine et à un cœur droit. […] Les estampes431 représentent dans une chaumière délabrée deux enfants, l’un de cinq ans, l’autre de trois, auprès de leur grand’mère infirme, l’un lui soulevant la tête, l’autre lui donnant à boire ; le père et la mère qui rentrent voient ce spectacle touchant, et « ces bonnes gens se trouvent alors si heureux d’avoir de tels enfants qu’ils oublient qu’ils sont pauvres »  « Ô mon père432, s’écrie un jeune pâtre des Pyrénées, recevez ce chien fidèle qui m’obéit depuis sept ans ; qu’à l’avenir il vous suive et vous défende ; il ne m’aura jamais plus utilement servi. » — Il serait trop long de suivre dans la littérature de la fin du siècle, depuis Marmontel jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, depuis Florian jusqu’à Berquin et Bitaubé, la répétition interminable de ces douceurs et de ces fadeurs  L’illusion gagne jusqu’aux hommes d’État. « Sire, dit Turgot en présentant au roi un plan d’éducation politique433, j’ose vous répondre que dans dix ans votre nation ne sera plus reconnaissable, et que, par les lumières, les bonnes mœurs, par le zèle éclairé pour votre service et pour celui de la patrie, elle sera au-dessus des autres peuples. […] Formées par un lent et délicat tissage, à travers un long appareil de signes, parmi les tiraillements de l’orgueil, de l’enthousiasme et de l’entêtement dogmatique, combien de chances pour que, dans la meilleure tête, ces idées correspondent mal aux choses ! […] À la place de ma volonté, il y a désormais la volonté publique, c’est-à-dire, en théorie, l’arbitraire changeant de la majorité comptée par têtes, en fait, l’arbitraire rigide de l’assemblée, de la faction, de l’individu qui détient le pouvoir public  Sur ce principe, l’infatuation débordera hors de toutes limites.

1012. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Cette souple nature s’est développée à travers trois quarts de siècle, recueillant toutes les influences, frémissant à tous les souffles ; les acquisitions, les transformations, les progrès de cet esprit sont exactement les acquisitions, les transformations, le progrès de l’esprit public ; et il n’a été si puissant que parce que son développement interne coïncidait avec le mouvement des idées de la nation : son rôle fut de lancer aux quatre coins du monde les pensées fraîchement écloses dans toutes les têtes. […] Le bonasse Régent, qui l’avait embastillé, s’était laissé tirer une pension par une dédicace ; et plus tard, au moment où le ministère venait de le contraindre à imprimer clandestinement à Rouen sa Henriade, dont les exemplaires entraient la nuit à Paris dans les fourgons de la marquise de Bernière, Voltaire poussait sa première pointe à la cour, il recevait une pension sur la cassette de Marie Leczinska ; cette petite dévote se laissait ensorceler par l’esprit du poète, à qui la tête tournait en s’entendant appeler familièrement par la reine : « mon pauvre Voltaire ». […] Pour se délasser, il a ces délicieux soupers, où Algarotti, Maupertuis, d’Argens, La Mettrie, le roi faisaient éclater les plus étranges ou impudents paradoxes, où rien n’était sacré à la raillerie sceptique, où Voltaire apprit, mieux qu’il n’aurait pu faire ailleurs, de quel pas il fallait marcher pour rester à la tête du siècle. […] la lune de miel fut courte : en novembre, de secrètes angoisses le travaillent ; en décembre, il écrit à sa nièce « à côté d’un poêle, la tête pesante et le cœur triste » ; il se demande : « Pourquoi suis-je donc dans ce palais ? 

1013. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

On montre à la Farnésine une tête colossale dessinée au crayon par Michel-Ange qui, selon la tradition, aurait voulu donner une leçon à Raphaël et lui apprendre qu’il fallait viser au grand. […] Du sommet du tumulus sort la tête d’un géant endormi. Cela rappelle trop les pâtés de perdreaux montrant la tête hors de la croûte. […] Lucien, qui était philosophe de profession, homme d’esprit, Grec, et par conséquent beau diseur, perdit la tête parce qu’un pédant s’était avisé de lui reprocher un mot comme n’étant pas d’une bonne grécité.

1014. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

L’idée de placer la France du dix-septième siècle à la tête de l’Europe intellectuelle, de faire accepter de tout le monde l’appellation du Siècle de Louis XIV, de présenter à l’esprit humain, comme sa plus parfaite image, l’esprit français personnifié dans nos écrivains, nos savants et nos artistes, cette idée-là ne vint à Voltaire ni d’un besoin public, ni d’une invitation de la mode. […] Du côté du roi, un goût très vif pour les lettres, une admiration vraie pour Voltaire, le besoin d’une main à la fois exercée et discrète pour corriger ses vers ; du côté de Voltaire, la vanité chatouillée par un commerce d’esprit avec un roi et un grand homme : tels étaient les attraits, non les liens, qui firent de ces deux hommes deux amis de tête, et de Voltaire le commensal de Frédéric à Berlin. […] Le promoteur de la première croisade, Pierre l’Ermite, c’est « Coucoupètre ou Cucupiètre, ce Picard qui marche à la tête de l’armée, en sandales et ceint d’une corde, nouveau genre de vanité. » L’éloquence de saint Bernard lui vaut quelque justice ; mais Voltaire s’en rachète bien vite aux yeux de Frédéric, par un portrait de saint Bernard « refusant l’emploi de général pour se contenter de celui de prophète, prêchant partout en français à des Allemands, et prédisant des victoires à des armées qui sont battues. » Pour saint Louis, auquel il n’a pas nui, aux yeux de Voltaire, d’avoir tenu tête à Rome, il l’admire sincèrement ; mais Saladin lui est plus cher.

1015. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Il n’y a plus à craindre chez les plus passionnés que l’amour les livre aux coups de tête et aux folies. […] Ce n’est pas qu’il ne se donne de bonnes raisons : “Tu seras plus tranquille ensuite, tu auras la tête moins lourde et tu travailleras mieux”, mais tout de suite après il s’interrompt et se tance : Ah, sophiste éhonté, cœur fragile, âme lâche Tu glisses, malheureux !  […] Tous, excédés de platitude et d’ennui, la tête pleine de visions et de fumées, partent : Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. […] Le monde s’étonne, et eux-mêmes, s’étonnent, peut-être, plus encore de ces réflexes qui les poussent, à chaque instant, à détourner la tête vers les brumes du passé : Où rêvent, fraternels, les éphèbes antiques Et Narcisse au grand cœur qui mourut de s’aimer, Eux-mêmes ne s’expliquent guère cette obsession à rouvrir : L’Ère auguste des dieux et des amours bizarres, « Bizarres »,, c’est le désaveu qu’ils jugent prudent de s’infliger.

/ 2819